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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> YOH-EKALE MWANJE v. BELGIUM - 10486/10 - Chamber Judgment (French Text) [2011] ECHR 2421 (20 December 2011) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2011/2421.html Cite as: 55 EHRR 37, (2013) 56 EHRR 35, (2012) 55 EHRR 37, 56 EHRR 35, [2011] ECHR 2421 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE YOH-EKALE MWANJE c. BELGIQUE
(Requête no 10486/10)
ARRÊT
STRASBOURG
20 décembre 2011
DÉFINITIF
20/03/2012
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Yoh-Ekale Mwanje c. Belgique,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Danutė Jočienė,
présidente,
Françoise Tulkens,
Dragoljub Popović,
Işıl Karakaş,
Guido Raimondi,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 novembre 2011,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Procédures en mariage et en obtention d’un nouveau passeport
6. Le 7 septembre 2009, la requérante et son partenaire déposèrent une première demande de mariage auprès de l’officier d’état civil de Baarle-Hertog commune. Interrogée sur l’absence de visa sur son passeport, la requérante déclara avoir été en possession d’un tel visa à son arrivée à Paris mais que son passeport lui fut ensuite volé. Elle avait ensuite demandé et obtenu un nouveau passeport au Cameroun.
7. Contacté par la commune, le service des étrangers indiqua, le 11 septembre 2009, que la requérante résidait à l’adresse indiquée et qu’il n’y avait pas de dossier à son nom. Dans l’attente de plus amples vérifications, il sollicitait la suspension de la demande de mariage.
8. Le 15 septembre 2009, lors d’un contrôle de police, la requérante confirma sa déclaration ajoutant qu’elle ne s’était pas rendue au Cameroun pour obtenir son nouveau passeport et qu’elle avait en réalité perdu le précédent passeport. Le nouveau passeport lui fut confisqué par la police fédérale pour contrôle de véracité.
9. Le 21 septembre 2009, la police fédérale informa la police locale qu’il s’agissait d’un faux passeport.
10. Le 22 septembre 2009, la requérante fut entendue par la police locale et confirma sa précédente déclaration en précisant qu’elle avait donné les informations nécessaires à l’obtention d’un nouveau passeport à un ami afin qu’il les remette à sa sœur au Cameroun et que celle-ci fasse les démarches pour l’obtention d’un nouveau passeport.
11. Le 23 septembre 2009, entendue par l’assistante sociale du centre fermé où elle était détenue (paragraphe 20 ci-dessous), elle déclara avoir vécu en Belgique pendant douze ans et demi et n’avoir entamé aucune procédure en vue de sa régularisation.
12. Le 7 octobre 2009, les autorités belges envoyèrent un courrier à l’ambassade du Cameroun en Belgique demandant qu’un document de voyage soit délivré à la requérante en vue de son rapatriement. En réponse, l’ambassade informa les autorités belges que, pour l’établissement des documents en vue du mariage, la requérante avait présenté un passeport avec le même numéro mais avec une date et un lieu de délivrance différents et qu’il s’agissait, à leur avis, de démarches en vue d’un mariage de complaisance. Les autorités camerounaises refusèrent de lui délivrer un laissez-passer.
13. Le 17 novembre 2009, un nouveau passeport fut délivré à la requérante.
14. Le 18 décembre 2009, la requérante finalisa son dossier auprès de la commune.
15. Le 10 décembre 2009, les services d’immigration néerlandais informèrent la police locale belge que la requérante avait introduit une demande de permis de séjour aux Pays-Bas sous un autre nom, Catherine Oke Akum.
16. Le 21 décembre 2009, la requérante et son compagnon introduisirent une deuxième demande de mariage qui fut refusée le 15 février 2010 en raison d’une présomption de mariage simulé.
17. Le recours contre la décision de refus de mariage fut rejeté par le tribunal de première instance de Turnhout le 30 juin 2010 et en appel le 15 juin 2011.
B. Ordre de quitter le territoire du 22 septembre 2009
18. Le 22 septembre 2009, au motif que la requérante ne disposait pas des documents valables pour séjourner en Belgique et était en possession d’un faux passeport (article 7 alinéas 1-1o, 2 et 3 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (« la loi sur les étrangers »)), l’Office des étrangers (« OE ») lui délivra un premier ordre de quitter le territoire.
19. Le 23 septembre 2009, elle fut examinée par un médecin et fut déclarée apte à voyager.
C. Détention en centre fermé du 22 septembre au 16 octobre 2009
20. Le 22 septembre 2009, la requérante fut placée dans le centre fermé pour illégaux de Bruges dans l’attente que les autorités de son pays lui fournissent un document de voyage en vue de son expulsion.
21. Le 12 octobre 2009, invoquant l’article 3 de la Convention et la circonstance que la requérante était atteinte par le VIH, son avocat introduisit une requête de mise en liberté auprès de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Turnhout.
22. Le 16 octobre 2009, la requérante fut libérée au motif qu’aucun document de voyage n’avait été délivré en vue de son éloignement. Elle fut sommée de quitter le territoire avant le 21 octobre 2009.
23. Le 22 décembre 2009, la requête de mise en liberté fut rejetée car elle était devenue sans objet.
D. Ordre de quitter le territoire du 17 décembre 2009
24. Le 17 décembre 2009, la requérante fut invitée par la police à se présenter à l’OE et un deuxième ordre de quitter le territoire avec reconduite à la frontière lui fut délivré sur fondement de l’article 7 alinéas 1-1o, 2 et 3 de la loi sur les étrangers. Il indiquait notamment que :
« L’intéressée n’est toujours pas en possession d’un visa valable dans son passeport.
(...)
Vu que sa demande de mariage ne confère pas [à l’intéressée] automatiquement un droit de séjour. Elle peut retourner dans son pays pour obtenir un visa une fois la date du mariage fixée.
L’intéressée refuse manifestement de mettre fin de sa propre initiative à la situation de séjour illégal dans laquelle elle se trouve de sorte que l’exécution forcée de la reconduite à la frontière s’impose. L’intéressée a déjà fait l’objet à deux reprises d’un ordre de quitter le territoire. En date du 15/09/2010 et en date du 16/10/2009. A ce jour elle est à nouveau appréhendée en séjour illégal.
En application de l’article 7 alinéa 3 de la même loi l’intéressée doit demeurer en détention vu que sa reconduite à la frontière ne peut intervenir immédiatement. »
25. Le 21 décembre 2009, invoquant la violation des articles 3 et 8 de la Convention, l’avocat de la requérante demanda la suspension en extrême urgence de l’ordre de quitter le territoire auprès du Conseil de contentieux des étrangers (« CCE »).
26. Le 23 décembre 2009, le CCE rejeta la demande de suspension. Selon le CCE, la requérante n’avait pas d’intérêt à contester l’ordre de quitter le territoire du 17 décembre 2009 puisqu’elle avait fait l’objet d’un premier ordre de quitter le territoire le 22 septembre 2009 contre lequel elle n’avait pas introduit de recours. Or, tant l’argument tiré de l’impossible expulsion pour des raisons médicales que celui tiré de l’existence d’une vie familiale étaient connus à l’époque où la requérante pouvait introduire un recours.
E. Détention en centre fermé du 17 décembre 2009 au 9 avril 2010 et indication de mesures provisoires par la Cour
27. Le deuxième ordre de quitter le territoire était assorti d’une décision de maintien en un lieu déterminé et la requérante fut placée le jour même, le 17 décembre 2009, au centre fermé 127 bis en vue de son expulsion.
28. Invoquant l’introduction d’une nouvelle demande de mariage le 21 décembre 2009 et la circulaire du 13 septembre 2005 (paragraphe 69 ci-dessous), l’avocat de la requérante introduisit, le 22 décembre 2009, une deuxième demande de mise en liberté qui fut rejetée par le président de la chambre du conseil de Turnhout le 29 décembre 2009. Furent retenues les circonstances que la requérante n’était pas en séjour régulier, que la circulaire n’avait pas de valeur contraignante et que la perspective d’un mariage ne l’autorisait pas à séjourner en Belgique.
29. Toujours le 22 décembre, l’avocat de la requérante s’adressa directement à l’OE pour demander la libération de sa cliente au vu de son état de santé et des soins dont elle avait besoin.
30. Invoquant la violation des articles 5 § 1 f) et 8 de la Convention, la requérante forma appel contre l’ordonnance du 29 décembre 2009. Le 19 janvier 2010, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel d’Anvers confirma l’ordonnance. Par un arrêt du 16 février 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé contre cet arrêt.
31. Entre-temps, le 29 janvier 2010, invoquant la détérioration de son état de santé et l’absence de traitement adéquat au centre, la requérante cita l’Etat belge devant le tribunal de première instance de Bruxelles en vue d’obtenir, sous peine d’astreinte, sa libération immédiate en vue d’être soignée.
32. Le 16 février 2010, l’OE décida de prolonger jusqu’au 15 avril 2010 la détention sur fondement de l’article 7 alinéas 1-1o, 2 et 3 de la loi sur les étrangers. La décision de maintien en détention indiquait :
« 1) L’intéressée était écrouée le 17/12/2009. Elle était en possession d’un PP camerounais valable. Vu qu’elle a introduit une demande de régularisation et une procédure de mariage, un rapatriement ne pouvait pas être organisé.
2) Vu qu’on a reçu de la commune un refus de la commune de Baarle-Hertog le 15/02/2010 concernant le mariage et que la demande de régularisation est recevable mais non fondée, un rapatriement peut suivre.
3) A ce jour il subsiste toujours une possibilité que l’intéressée soit éloignée dans un délai raisonnable. Un rapatriement est prévu le 23/02/2010. ».
33. Le 22 février 2010, ayant appris que le rapatriement de la requérante était planifié pour le 23 février 2010, l’avocat de la requérante saisit la Cour d’une demande d’application de l’article 39 du règlement en vue d’obtenir la suspension de l’expulsion de la requérante vers le Cameroun. Il soutenait notamment qu’elle était proche de la fin et qu’elle souhaitait éviter les souffrances dues au déficit de soins dans son pays et bénéficier, pour affronter la maladie et son évolution, du soutien moral de son conjoint.
34. Le jour même, la Cour indiqua au gouvernement belge qu’il était souhaitable, dans l’intérêt des parties et du bon déroulement de la procédure devant la Cour, de ne pas expulser la requérante vers le Cameroun jusqu’à nouvel ordre.
35. Le 23 février 2010, se référant à la décision de la Cour, l’avocat de la requérante mit l’OE en demeure de libérer la requérante.
36. Le 24 février 2010, le tribunal de première instance de Bruxelles rejeta la demande du 29 janvier 2010 au motif notamment que la requérante bénéficiait au centre fermé d’un traitement médical adapté et que cela n’avait pas été remis en question par son conseil à l’audience.
37. Parallèlement la requérante introduisit une nouvelle demande de mise en liberté qui fut rejetée le 2 mars 2010 au motif que l’OE avait agi conformément à l’article 7 de la loi sur les étrangers. Cette décision fut confirmée en appel le 16 mars 2010. Suivant le ministère public qui soulignait que la Cour avait accordé, dans le cadre de l’octroi de la mesure provisoire, la priorité à l’affaire, la cour d’appel d’Anvers considéra que :
« La circonstance que la Cour européenne des Droits de l’Homme a décidé de suspendre l’expulsion de [la requérante] ne signifie pas que, pour cette raison, l’expulsion ne puisse avoir lieu dans le délai règlementaire tout en tenant compte de la décision finale de cette Cour. »
La requérante fut libérée le 9 avril 2010.
F. Situation médicale de la requérante et demande d’autorisation de séjour pour raisons médicales
38. Quand la requérante fut placée en centre fermé le 22 septembre 2009, elle informa son avocat, nouvellement désigné, qu’elle était atteinte par le VIH depuis 2003 et que l’affection était déjà à un stade avancé.
39. Ce dernier en informa le médecin du centre qui avait établi l’attestation la déclarant apte à voyager.
40. Le 9 octobre 2009, il fut attesté, dans un certificat médical délivré par un médecin de Médecins du Monde, que le pronostic vital de la requérante était engagé et que le retour de la requérante dans son pays d’origine l’exposerait à un risque pour sa vie car elle n’y aurait pas accès aux soins requis.
41. Le 15 décembre 2009, la requérante vint en consultation à l’Institut des maladies tropicales d’Anvers qui procéda à une série d’examens. A cette occasion, un certificat médical fut établi attestant que son taux de lymphocytes CD4 était égal à 254 par mm3 de sang et recommandant que la requérante reste en Belgique. Des rendez-vous pour examens complémentaires furent pris pour le 29 décembre 2009 et le 4 janvier 2010.
42. Le 18 décembre 2009, le lendemain de son placement en centre fermé, l’avocat de la requérante informa le centre que des rendez-vous étaient pris auprès de l’Institut des maladies tropicales d’Anvers et leur communiqua les informations en sa possession relatives à son état de santé.
43. Le 21 décembre 2009, grâce aux démarches menées par le compagnon de la requérante, elle obtint du centre public d’action sociale le bénéfice de l’aide médicale d’urgence.
44. Le 22 décembre 2009, le service médical du centre répondit à la demande du compagnon de la requérante que celle-ci ne serait pas libérée pour se rendre à ses rendez-vous à Anvers mais qu’il prendrait contact avec l’institut et se tiendrait informé des résultats.
45. Le 23 décembre 2009, la requérante introduisit une demande d’autorisation de séjour spéciale de plus de trois mois pour raisons médicales sur la base de l’article 9ter de la loi sur les étrangers.
46. La demande fut rejetée par l’OE le 12 janvier 2010 sur la base de l’avis du fonctionnaire-médecin rendu la veille. Selon le fonctionnaire-médecin, les traitements antirétroviraux (« ARV ») étaient disponibles au Cameroun, notamment dans les hôpitaux de district répartis sur tout le territoire ainsi que dans les hôpitaux universitaires. De plus, selon ce rapport, les traitements ARV étaient gratuits et, si la requérante devait ne pas bénéficier de la gratuité, son coût annuel, qui s’élevait à 200 euros (EUR), pouvait être pris en charge par les organisations internationales. Enfin, la requérante était apte à voyager. L’OE conclût que le retour de la requérante n’emportait pas de risque contraire à l’article 3 de la Convention.
47. Le 18 janvier 2010, au vu des résultats des analyses, l’Institut des maladies tropicales contacta la requérante et son médecin traitant pour qu’elle se présente au plus vite pour entamer un traitement ARV sous peine d’une évolution rapide et d’une fin proche si elle n’était pas traitée rapidement. L’avocat de la requérante en informa le service médical de l’OE le 20 janvier 2010.
48. Le 25 janvier 2010, le service médical du centre informa la requérante que des examens complémentaires étaient nécessaires pour déterminer la thérapie exacte dont elle avait besoin.
49. Dans un courrier du 27 janvier 2010, l’Institut des maladies tropicales informa le médecin du centre du résultat des analyses de sang prélevé le 25 janvier qui montrait une baisse du taux de lymphocytes CD4 à 194 par mm3 de sang.
50. La requérante fit état dans son journal intime de ce que courant janvier son état de santé s’était dégradé, qu’elle s’était mise à tousser et à cracher du sang et qu’elle avait reçu des antibiotiques qui l’avaient un peu calmée. Elle se plaignait de fortes douleurs en particulier aux articulations et se disait angoissée de mourir. Le médecin du centre l’envoya chez un psychologue qui lui prescrivit des anxiolytiques. Après chaque contact ou visite de sa compagne au centre, le partenaire de la requérante tint l’avocat informé par courriel de chacun de ces évènements.
51. Le 30 janvier 2010, un médecin extérieur au centre examina la requérante et attesta, auprès des services de l’OE, que la requérante était dans une phase « à évolution potentiellement et rapidement péjorative » et que le « traitement antirétroviral hautement actif » (HAART) s’imposait sans attendre, traitement qu’elle n’aurait pas les moyens de s’offrir au Cameroun.
52. Par courriers des 25 janvier et 3 février 2010, l’avocat informa également le service médical de l’OE de la situation de la requérante. Le 8 février 2010, le médecin du centre lui répondit qu’une consultation spécialisée externe était prévue et que la requérante recevait son traitement contre l’hypertension et prenait des anxiolytiques.
53. Le 4 février 2010, l’Institut des maladies tropicales établit un certificat médical formulé dans les mêmes termes que celui du 4 décembre 2009.
54. Le même jour, dans le cadre du référé devant le tribunal de première instance de Bruxelles (paragraphe 31 ci-dessus), le conseil de l’Etat belge adressa un courrier à l’avocat de la requérante lui demandant de mettre en demeure sa cliente de lui adresser une prescription médicale précisant le traitement adéquat à suivre.
55. Le 9 février 2010, la requérante se rendit à l’hôpital universitaire Erasme pour une consultation spécialisée, sur rendez-vous pris par le service médical du centre, afin de déterminer quel traitement était le plus approprié. Selon la requérante, le médecin se déclara choqué par l’absence de traitement, indiqua que le centre ne lui avait pas envoyé les échantillons de sang prélevés et proposa qu’en attendant le résultat des analyses, la requérante reprenne son précédent traitement. Le service médical indiqua que les traitements commenceraient le 19 février.
56. Le 11 février 2010, l’avocat de la requérante écrivit à nouveau au service médical de l’OE en attirant son attention sur l’urgence de la situation et lui demandant quand le traitement approprié serait administré à la requérante. Il lui fut répondu que, selon le service consulté, des examens complémentaires pour évaluer la résistance de la requérante aux médicaments étaient nécessaires en raison du fait que la requérante avait arrêté son traitement pendant un an alors qu’elle résidait aux Pays-Bas.
57. La requérante continua de faire état dans son journal de l’augmentation des douleurs aux articulations, de ce que sa peau avait foncé, que des plaques noires étaient apparues sur ses jambes et qu’elle souffrait de démangeaisons.
58. Dans un courrier du 26 février 2010, l’Institut des maladies tropicales indiqua au service médical de l’OE que la requérante avait développé une résistance aux médicaments qu’elle prenait antérieurement et avait besoin, conformément aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (« OMS »), d’un traitement de seconde ligne (médicaments Kaletra et Truvada).
59. Dans un courrier du même jour, le médecin du centre informa le service médical de l’OE qu’il était toujours en attente des résultats des examens de résistance faits par l’hôpital Erasme pour commencer le traitement, que l’état général de la requérante était bon, que son poids était stable et qu’elle n’avait pas développé de maladies opportunistes.
60. Le 1er mars 2010, le médecin de l’Institut des maladies tropicales contacta à nouveau le centre qui l’informa que le traitement commencerait dès que possible. Dans un courrier adressé à son avocat, la requérante confirma avoir reçu les médicaments recommandés par l’Institut des maladies tropicales pour la première fois le 1er mars 2010.
61. Le résultat des tests de résistance aux médicaments effectués par l’hôpital Erasme fut communiqué au médecin du centre le 3 mars 2010 qui confirma les résistances et l’adéquation du traitement entrepris.
62. Par suite de la médiatisation de l’affaire de la requérante à l’initiative de la Ligue des droits de l’homme, le médecin du centre rendit un rapport le 11 mars 2011 récapitulant le suivi médical dont avait bénéficié la requérante et indiquant que le traitement prescrit par l’Institut des maladies tropicales avait été administré à la requérante à partir du 1er mars 2010.
63. Le 6 avril 2010, la requérante retourna en consultation à l’hôpital Erasme. Selon la requérante, le médecin indiqua à nouveau ne pas avoir reçu du centre les échantillons de sang afin de poursuivre les examens.
64. Le CCE rejeta le recours en annulation de la décision du 12 janvier 2010 refusant la régularisation de son séjour pour raisons médicales dans un arrêt du 19 avril 2010. Il considéra que l’OE avait correctement motivé sa décision en constatant que le traitement gratuit des patients atteints du sida était une réalité au Cameroun, que la requérante s’était contentée de se référer à des rapports généraux relatifs à l’accessibilité des traitements ARV au Cameroun et n’avait pas démontré in concreto qu’elle n’aurait pas accès à ces traitements.
65. Le 14 mai 2010, un recours en cassation administrative fut introduit par la requérante devant le Conseil d’Etat qui fut rejeté dans un arrêt du 27 mai 2010.
66. Le 23 juin 2010, l’unité de traitement des immunodéficiences de l’hôpital Erasme établit un certificat indiquant que la requérante était :
« actuellement parfaitement contrôlée par son traitement médical qui permet de maintenir une charge virale indétectable et un taux de CD4 à 237/mm3. La prise chronique de ce traitement ainsi qu’un suivi médico-psycho-social n’est malheureusement pas disponible dans son pays. Cette patiente est actuellement en cours de procréation assistée, soulignant le fait que le traitement antiviral est nécessaire mais également un suivi biologique mensuel pour éviter la transmission de la mère à l’enfant ».
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. En matière de séjour
1. La loi du 15 décembre 1980 sur les étrangers
Article 7
« Sans préjudice des dispositions plus favorables contenues dans un traité international, le Ministre ou son délégué peut donner l’ordre de quitter le territoire avant une date déterminée, à l’étranger qui n’est ni autorisé ni admis à séjourner plus de trois mois ou à s’établir dans le Royaume:
1o s’il demeure dans le Royaume sans être porteur des documents requis par l’article 2;
2o s’il demeure dans le Royaume au-delà du délai fixé conformément à l’article 6, ou ne peut apporter la preuve que ce délai n’est pas dépassé;
3o si, par son comportement, il est considéré comme pouvant compromettre l’ordre public ou la sécurité nationale; (...)
Dans les mêmes cas, si le Ministre ou son délégué l’estime nécessaire, il peut faire ramener sans délai l’étranger à la frontière.
L’étranger peut être détenu à cette fin pendant le temps strictement nécessaire à l’exécution de la mesure sans que la durée de la détention puisse dépasser deux mois.
Le Ministre ou son délégué peut toutefois prolonger cette détention par période de deux mois, lorsque les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’étranger ont été entreprises dans les sept jours ouvrables de la mise en détention de l’étranger, qu’elles sont poursuivies avec toute la diligence requise et qu’il subsiste toujours une possibilité d’éloigner effectivement l’étranger dans un délai raisonnable.
Après une prolongation, la décision visée à l’alinéa précédent ne peut plus être prise que par le Ministre.
Après cinq mois de détention, l’étranger doit être remis en liberté.
Dans le cas où la sauvegarde de l’ordre public ou la sécurité nationale l’exige, la détention de l’étranger peut être prolongée chaque fois d’un mois, après l’expiration du délai visé à l’alinéa précédent, sans toutefois que la durée totale de la détention puisse de ce fait dépasser huit mois. »
Article 9ter
§ 1er. L’étranger qui séjourne en Belgique qui démontre son identité conformément au § 2 et qui souffre d’une maladie telle qu’elle entraîne un risque réel pour sa vie ou son intégrité physique ou un risque réel de traitement inhumain ou dégradant lorsqu’il n’existe aucun traitement adéquat dans son pays d’origine ou dans le pays où il séjourne, peut demander l’autorisation de séjourner dans le Royaume auprès du ministre ou son délégué. La demande doit être introduite par pli recommandé auprès du ministre ou son délégué et contient l’adresse de la résidence effective de l’étranger en Belgique. L’étranger transmet avec la demande tous les renseignements utiles concernant sa maladie et les possibilités et l’accessibilité de traitement adéquat dans son pays d’origine ou dans le pays où il séjourne.
Il transmet un certificat médical type prévu par le Roi, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres. Ce certificat médical indique la maladie, son degré de gravité et le traitement estimé nécessaire. L’appréciation du risque visé à l’alinéa 1er, des possibilités de traitement, leur accessibilité dans son pays d’origine ou dans le pays où il séjourne et de la maladie, son degré de gravité et le traitement estimé nécessaire indiqués dans le certificat médical, est effectuée par un fonctionnaire médecin ou un médecin désigné par le ministre ou son délégué qui rend un avis à ce sujet. Ce médecin peut, s’il l’estime nécessaire, examiner l’étranger et demander l’avis complémentaire d’experts. (...) »
68. Les décisions prises par l’OE en matière de séjour peuvent être contestées en introduisant un recours en annulation devant le Conseil du contentieux des étrangers (« CCE »), juridiction administrative mise en place par la loi du 15 septembre 2006 réformant le Conseil d’Etat et créant un Conseil du contentieux des étrangers. La procédure devant le CCE est décrite dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC] (no 30696/09, §§ 136-142, 21 janvier 2011).
Article 75
« Sous réserve de l’article 79, l’étranger qui entre ou séjourne illégalement dans le Royaume est puni d’un emprisonnement de huit jours à trois mois et d’une amende de vingt-six EUR à deux cents EUR ou d’une de ces peines seulement.
Est puni des mêmes peines l’étranger à qui il a été enjoint de quitter des lieux déterminés, d’en demeurer éloigné ou de résider en un lieu déterminé et qui se soustrait à cette obligation sans motif valable.
En cas de récidive dans le délai de trois ans d’une des infractions prévues aux alinéas 1 et 2, ces peines sont portées à un emprisonnement d’un mois à un an et à une amende de cent EUR à mille EUR ou à une de ces peines seulement. »
2. Circulaire du 13 septembre 2005
« Lorsqu’un étranger auquel a été notifié ou est notifié un ordre de quitter le territoire désire se marier dans le Royaume avec un Belge ou un étranger admis ou autorisé à séjourner plus de trois mois dans le Royaume ou à s’y établir, l’Office des étrangers ne procédera pas à l’exécution forcée de l’ordre de quitter le territoire jusqu’au lendemain du jour de la célébration du mariage, jusqu’au jour de la décision de refus de célébration du mariage par l’officier de l’état civil ou jusqu’à l’expiration du délai, fixé dans l’article 165, § 3, du Code civil, dans lequel le mariage doit être célébré, lorsque les conditions suivantes sont réunies :
- l’étranger dispose d’une preuve d’identité valable, au sens de l’article 64, § 1er, 2o du Code civil;
- l’officier de l’état civil confirme que la déclaration de mariage de cet étranger a été inscrite dans le registre des déclarations.
L’exécution de l’ordre de quitter le territoire ne sera toutefois pas suspendue lorsque l’ordre de quitter le territoire est délivré sur la base de l’article 7, alinéa 1er, 3o à 11o de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. »
B. En matière de détention
1. La loi du 15 décembre 1980 sur les étrangers
Article 71
L’étranger qui fait l’objet d’une mesure privative de liberté prise en application des articles 7, 8bis, §4, 25, 27, 29, alinéa 2, 51/5, §1er , alinéa 2, et §3, alinéa 4, 52/4, alinéa 4, 54, 57/32, § 2, alinéa 2 et 74/6 peut introduire un recours contre cette mesure en déposant une requête auprès de la Chambre du Conseil du tribunal correctionnel du lieu de sa résidence dans le Royaume ou du lieu où il a été trouvé.
L’étranger maintenu dans un lieu déterminé situé aux frontières, en application de l’article 74/5, peut introduire un recours contre cette mesure, en déposant une requête auprès de la Chambre du Conseil du tribunal correctionnel du lieu où il est maintenu.
Sans préjudice de l’application des articles 74/5, § 3, alinéa 5 et 74/6, § 2, alinéa 5, l’intéressé peut réintroduire le recours visé aux alinéas précédents de mois en mois.
Toutefois, lorsque, conformément à l’article 74, le Ministre a saisi la Chambre du conseil, l’étranger ne peut introduire le recours visé aux alinéas précédents contre la décision de prolongation du délai de la détention ou du maintien qu’à partir du trentième jour qui suit la prolongation.
Article 72
La Chambre du Conseil statue dans les cinq jours ouvrables du dépôt de la requête après avoir entendu l’intéressé ou son conseil le Ministre, son délégué ou son conseil en ses moyens et le Ministère public en son avis.
Elle vérifie si les mesures privatives de liberté et d’éloignement du territoire sont conformes à la loi sans pouvoir se prononcer sur leur opportunité.
Les ordonnances de la Chambre du Conseil sont susceptibles d’appel de la part de l’étranger, du Ministère public et du Ministre ou son délégué.
Il est procédé conformément aux dispositions légales relatives à la détention préventive, sauf celles relatives au mandat d’arrêt, au juge d’instruction, à l’interdiction de communiquer, à l’ordonnance de prise de corps, à la mise en liberté provisoire ou sous caution et au droit de prendre communication du dossier administratif.
Le conseil de l’étranger peut consulter le dossier au greffe du tribunal compétent pendant les deux jours ouvrables qui précèdent l’audience.
Le greffier en donnera avis au conseil par lettre recommandée.
2. La loi du 20 juillet 1990 sur la détention préventive
Article 31
« § 3. Le dossier est transmis au greffe de la Cour de cassation dans les vingt-quatre heures à compter du pourvoi. (...)
La Cour de cassation statue dans un délai de quinze jours à compter de la date du pourvoi, l’inculpé restant en détention. L’inculpé est mis en liberté si l’arrêt n’est pas rendu dans ce délai ».
III. LE TRAITEMENT MÉDICAL DE L’AFFECTION PAR LE VIH ET LE SIDA AU CAMEROUN
72. Le Cameroun connaît une pandémie généralisée en augmentation exponentielle avec de fortes disparités régionales. La séroprévalence dans la tranche d’âge de 15 à 49 ans était évaluée à 5,1 % en 2010, soit environ 560 000 Camerounais. Les provinces du Nord-Ouest (8,7 %) et de l’Est (8,6 %) sont les plus touchées par opposition à celles du Nord et de l’extrême Nord (2 %) (L’impact du Sida et du VIH au Cameroun à l’horizon 2020, publication du Comité National de Lutte contre le sida en collaboration avec le Programme Commun des Nations Unies sur le VIH-Sida, ONUSIDA, septembre 2010).
73. En ce qui concerne l’accès aux ARV, la prise en charge a été décentralisée au sein des hôpitaux de district et le Cameroun dispose à ce jour de plus de 150 cliniques réparties dans tout le pays qui fournissent des ARV. De plus, en mai 2007, le programme national pour l’accès aux ARV a introduit une nouvelle politique en garantissant l’accès gratuit des ARV prescrits en première ligne à tous les patients éligibles au traitement. Cette politique a contribué à augmenter significativement leur diffusion et, en 2009, la couverture était estimée à 41 % des personnes vivant avec le VIH ayant besoin de traitement et dont le taux de lymphocytes CD4 était inférieur à 200 mm3 de sang et à 53 % des personnes vivant avec le VIH ayant besoin de traitement dont le taux de CD4 était inférieur à 350 (Epidemiological Factsheet Cameroon, Unaids - OMS, 2009).
74. S’agissant des médicaments ARV prescrits en seconde ligne aux personnes qui ont développé des résistances aux ARV de première ligne, leur accessibilité fait l’objet de l’action coordonnée d’UNITAID, de la Clinton Foundation HIV-AIDS Initiative et du Gouvernement camerounais, liés par un accord de coopération signé en mai 2007 et déjà renouvelé à deux reprises. L’objectif principal de l’accord consiste à fournir gratuitement aux patients, en cas de résistances virales aux traitements de première ligne, cinq formulations simples d’ARV et trois combinaisons à doses fixes doubles, toutes inscrites dans la liste des médicaments de seconde ligne recommandés par l’OMS. Toutefois, depuis l’entrée en vigueur de l’accord, moins de 2 % des patients sous ARV ont accédé à un traitement de seconde ligne. Une des études les plus complètes à ce jour sur la situation du sida au Cameroun - le rapport de l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS) publié en février 2010 et intitulé Accès décentralisé au traitement du VIH/sida : évaluation de l’expérience camerounaise - explique ce qui suit :
« (...) avec le temps, la multiplication des situations d’échecs thérapeutiques et les résistances virales observées chez un certain nombre de patients ont rendu nécessaire le recours aux traitements de seconde ligne. Ces médicaments étant couverts par des brevets, le Cameroun a dû faire face à des difficultés inédites. L’accord entre la Clinton Foundation HIV-AIDS Initiative et le gouvernement camerounais est la solution qui s’est imposée pour surmonter l’obstacle. L’absence d’un système intégré centralisant l’information relative au profil des patients et renseignant sur l’évolution de la pandémie, de même que l’accès insuffisant aux outils de suivi biologique, rendent toutefois ardue la quantification précise des besoins en antirétroviraux de seconde ligne. Au Cameroun, les critères retenus pour déterminer si un patient est en situation d’échec thérapeutique, sont calqués sur les recommandations de l’OMS (...), à savoir : échec clinique, immunologique et virologique. Cependant les tests de détermination de la charge virale et du taux de CD4 étant financièrement inabordables pour le programme national et pour les patients camerounais, (...). Est particulièrement encouragée la combinaison thermostable de lopinavir/ritonavir, associée à l’abacavir et au ténofovir. Toutes ces molécules sont protégées par des brevets et ne sont donc disponibles qu’à des prix élevés. L’initiative de l’UNITAID a donc été décisive pour rendre ces médicaments accessibles aux patients qui en ont besoin. (...) Cela posé, il faut constater que deux années après l’entrée en vigueur de l’accord, la distribution des médicaments de seconde ligne demeure marginale (seulement 1,89 % des patients en bénéficient). Cela peut être partiellement lié au fait que leur distribution est limitée aux centres de traitement agréés, contrairement aux médicaments de première ligne qui sont distribués dans tout le pays, via les unités de prise en charge décentralisées. (...). Les manques de formations et de compétences du personnel de santé aux niveaux les plus décentralisés constituent une véritable barrière à la diffusion de ces nouveaux traitements et expliquent leur concentration dans quelques grandes villes. »
75. Ce même rapport fournit des informations précises sur le suivi biologique des malades. Ce suivi est réalisé au moyen d’une série de tests immunologiques, hématologiques et biochimiques effectués à des moments bien précis. Il débute par l’identification du statut immunitaire du patient, effectué théoriquement à l’occasion d’un bilan d’orientation. À cela s’ajoutent un bilan pré-thérapeutique et un contrôle thérapeutique bisannuel. Le prix total de ces tests oscille entre 10,67 et 32 EUR. Le coût du suivi biologique est partiellement subventionné par le gouvernement camerounais (à hauteur de 27,44 EUR), grâce à l’aide financière du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria. Le solde est à la charge du patient. Quant aux tests de charge virale, ils ne sont pas subventionnés et s’élèvent à plusieurs centaines d’euros.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 2 ET 3 DE LA CONVENTION DU FAIT DE L’EXPULSION AU CAMEROUN
Article 2
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.
(...) »
Article 3
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
Elle soutient, s’appuyant sur plusieurs rapports internationaux, que la thérapie qui lui a été prescrite n’est pas disponible au Cameroun, et que les ARV de deuxième ligne, à supposer qu’ils soient disponibles au Cameroun, ne sont pas ou peu subventionnés et sont donc difficilement accessibles. De plus, les médicaments dont elle pourrait avoir besoin en troisième ligne ne sont à ce jour pas disponibles au Cameroun. A cela s’ajoutent les insuffisances du suivi biologique et notamment du bilan thérapeutique et des mesures de charges virales. La requérante fait valoir qu’en tout état de cause, son espérance de vie ne serait pas supérieure à douze mois.
La requérante allègue enfin que le caractère inhumain de sa situation au Cameroun sera aggravée par les discriminations auxquelles elle devra faire face et par le fait d’être séparée de son futur époux.
Selon le Gouvernement, la requérante ne se trouve pas dans les circonstances très exceptionnelles reconnues par la Cour pour empêcher son expulsion. Il ne s’agit pas d’une personne proche de la mort, sans réseau de soutien et sans perspective de traitement. Au contraire, comme en atteste le rapport de l’ANRS (paragraphes 73 et 74 ci-dessus), l’accès aux traitements est possible grâce à l’accord, renouvelé à plusieurs reprises, entre l’UNITAID, la Fondation Clinton HIV-AIDS et le Gouvernement camerounais. Quant au suivi biologique, le même rapport indique qu’il est dûment effectué et est partiellement subventionné par le Gouvernement camerounais. Dans ces conditions, la mise à exécution de l’ordre de quitter le territoire n’emportera pas violation de l’article 3.
2. Appréciation de la Cour
La Cour constate dans le rapport de l’ARNS (paragraphe 74, ci-dessus) que des médicaments ARV de seconde ligne sont disponibles au Cameroun, mais que leur accès est aléatoire et que, faute de ressources suffisantes et d’un suivi biologique régulier et fiable, la distribution de ces traitements demeure marginale et bénéficie à seulement 1,89 % des patients qui en ont besoin.
La Cour n’est, par ailleurs, pas sans ignorer, ainsi qu’en attestent, s’il en est besoin, les certificats médicaux produits devant les autorités internes et devant elle, que, comme toutes les personnes atteintes par le VIH dans sa situation, priver la requérante de ces médicaments aura pour conséquence de détériorer son état de santé et d’engager son pronostic vital à court ou moyen terme.
Il en est de même en l’espèce. D’après l’attestation médicale de juin 2010 (paragraphe 66 ci-dessus), l’état de santé de la requérante est stabilisé grâce à l’administration des médicaments précités, son taux de CD4 est remonté et elle n’a pas développé de maladie opportuniste. Elle n’est donc pas dans un « état critique » et elle est apte à voyager.
En conclusion, pour la Cour, l’éloignement de la requérante vers le Cameroun n’emporterait pas de violation de l’article 3 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION DURANT LA DETENTION
A. Sur la recevabilité
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
Elle fait valoir que le service médical de l’OE était informé au moins depuis le 23 décembre 2009 de son affection par le VIH et que les 20 et 27 janvier 2010, il fut informé des résultats des analyses menées par l’Institut des maladies tropicales d’Anvers recommandant une mise rapide sous traitement ARV sous peine d’une évolution rapide et d’une fin proche et attestant d’une baisse des CD4. Or, ce n’est que le 9 février 2010 qu’elle fut pour la première fois examinée à l’initiative du centre, par un service spécialisé, et aucune médication ne lui fut administrée en relation avec son affection par le VIH avant le 1er mars 2010 malgré la dégradation de son état de santé.
La requérante reproche aux autorités belges d’avoir été négligentes et passives malgré les informations dont elles disposaient et d’avoir retardé au maximum la mise en place d’un traitement pour gagner du temps et procéder à son éloignement prévu pour le 23 février 2010. Elle soutient que la baisse rapide et significative entre le 15 décembre 2009, la veille de son placement en centre fermé, et le 25 janvier 2010, de son taux de lymphocytes CD4 de 254 à 194 par mm3 de sang est le résultat de ce défaut de soins et que le déficit de son système immunitaire est à l’origine de la dégradation de son état de santé et des souffrances subies durant la détention.
S’agissant du suivi et du traitement, le Gouvernement soutient avoir agi avec toute la diligence requise. Dès que l’état de santé de la requérante a été connu de l’OE et durant toute la période de détention qui a débuté le 17 décembre 2009, elle a été suivie par le médecin du centre, spécialisé dans le suivi de patients atteints par le VIH. Le Gouvernement fait valoir que, dès le 4 février 2010, dans le cadre de la requête de mise en liberté, le Conseil de l’Etat s’est enquis auprès de l’avocat de la requérante du type de médication qui devait lui être administré. Il faut également avoir égard au fait que cette requête a été rejetée le 24 février 2010 au motif, précisément, que la requérante bénéficiait des soins appropriés et que cela n’avait pas été mis en doute à l’audience. En effet, entre-temps, il s’est avéré qu’elle avait interrompu son traitement pendant un an et que des examens complémentaires et spécialisés devaient être effectués pour déterminer le traitement adéquat. Or, dès que le traitement médical spécifique a été déterminé concrètement, le médecin du centre a fait le nécessaire pour qu’il soit administré.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 COMBINÉ AVEC LES ARTICLES 2 ET 3 DE LA CONVENTION
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
1. Arguments des parties
101. La requérante allègue que les autorités belges ont mené la procédure d’expulsion sans avoir évalué le risque réel qu’elle encourait au Cameroun de subir des traitements contraires à l’article 3 en raison de son état de santé. En effet, l’avis du fonctionnaire-médecin joint à la décision de l’OE du 12 janvier 2010 rejetant sa demande de séjour temporaire pour raison médicale, selon lequel les ARV étaient disponibles au Cameroun, a été rendu alors qu’aucune investigation n’avait été entreprise pour poser un diagnostic. Les autorités ignoraient donc les traitements dont elle avait besoin et le fait qu’elle avait développé une résistance à plusieurs médicaments.
Elle soutient ne pas avoir bénéficié d’un recours effectif devant le CCE, alors qu’elle avait fait valoir des griefs défendables tirés des articles 2 et 3 de la Convention, le CCE ne les a pas examinés dans son arrêt du 23 décembre 2009 et s’est contenté de rejeter sa demande de suspension en extrême urgence de l’ordre de quitter le territoire du 17 décembre 2009 sans tenir compte de la situation en fait.
2. Appréciation de la Cour
La Cour observe que ce grief a été formulé sous l’angle de l’article 3 de la Convention. Toutefois, étant maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (voir, parmi d’autres, Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil 1998-I, p. 223), elle considère qu’il pose en substance la question de savoir si la requérante a bénéficié d’un recours effectif devant les autorités belges pour faire valoir son grief tiré du risque d’être exposée à des traitements inhumains et dégradants en cas d’éloignement vers le Cameroun et doit donc être examiné sous l’angle de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention.
La Cour constate que l’avis du fonctionnaire médecin sur lequel se fonde la décision de l’OE du 12 janvier 2010 refusant la régularisation de la requérante pour raisons médicales énumère une série d’informations et de considérations générales sur la disponibilité des ARV au Cameroun et contient une description des infrastructures médicales qui les dispensent. Au moment de prendre cette décision, les informations dont disposait le service médical de l’OE se limitaient au fait que la requérante était atteinte par le VIH, qu’elle avait pris et arrêté une trithérapie et que son taux de CD4 s’élevait à 254 par mm3 de sang en décembre 2009. Aucun examen médical n’ayant encore été mené à son terme en vue de faire le point sur l’évolution de l’affection de la requérante, le fonctionnaire médecin ignorait le type de traitement dont elle avait besoin. Ce n’est, en effet, que le 9 février 2010 que des examens ont été menés à l’initiative des autorités belges en vue de déterminer le traitement adéquat et le 26 février 2010 que l’OE a été informé par l’Institut des maladies tropicales de ce que la requérante avait développé des résistances et du traitement adéquat. Saisi d’un recours en annulation contre la décision de l’OE, le CCE a ensuite considéré, dans son arrêt du 19 avril 2010, que l’OE avait correctement motivé sa décision compte tenu des informations disponibles au moment de rendre sa décision.
La Cour en conclut que la requérante n’a pas bénéficié d’un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention et qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3.
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 f) DE LA CONVENTION
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(...)
f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »
A. Sur la recevabilité
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
Elle soutient deuxièmement que son maintien en détention après le 4 février 2010 n’était pas non plus compatible avec le droit interne. Elle aurait, en effet, dû être libérée par une application combinée de la loi sur les étrangers et de la loi relative à la détention préventive qui veut qu’en cas de dépassement par la Cour de cassation du délai de quinze jours pour se prononcer sur le pourvoi formé contre le maintien en détention, l’intéressé soit libéré. Or, en l’espèce, la Cour de cassation s’est prononcée le 16 février 2010, soit près d’un mois après que la chambre des mises en accusation ait rendu son arrêt.
Enfin, la requérante soutient que sa détention était arbitraire, d’une durée excessive et disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi. Cela résulte, selon elle, des éléments suivants : l’ordre de quitter le territoire était dépourvu de base légale et aurait dû être suspendu en application de la circulaire précitée ; la détention a été ordonnée alors même que l’OE était informé de la gravité de son état de santé et du pronostic vital mitigé et aucune mesure ne fut prise avant le 1er mars 2010 pour la soigner ; du fait de la détention, elle a été séparée de son conjoint qui est son unique raison pour combattre la maladie ; engagée depuis plusieurs années dans cette relation stable et dans la perspective de leur mariage, la requérante dispose d’une adresse connue des services de police et de l’OE ; la détention a été ordonnée et maintenue en dépit du fait qu’il était établi que la requérante n’aurait pas accès au Cameroun aux médicaments et soins médicaux requis par son état.
2. Appréciation de la Cour
a) Les principes applicables
119. Enfin, la durée de cette mesure ne doit pas excéder le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi (ibidem). Ainsi, s’agissant du deuxième volet de l’article 5 § 1 f), si la procédure d’expulsion n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de cette disposition (Chahal précité, § 113, A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 164, 19 février 2009).
120. La Cour a également indiqué que la mise en œuvre d’une mesure provisoire est, en elle-même, sans incidence sur la conformité à l’article 5 § 1 (Gebremedhin [Gaberamadhien] précité, § 74). Le fait que l’application d’une telle mesure empêche provisoirement la poursuite de la procédure d’expulsion au sens du deuxième volet de l’article 5 § 1 f) ne rend pas irrégulière une détention, à condition que les autorités envisagent toujours l’expulsion et que le prolongement de la détention ne soit pas déraisonnable (S.P. c. Belgique, déc., no 12572/08, 14 juin 2011).
b) L’application des principes en l’espèce
Saisie dans le cadre de la procédure de mise en liberté, la cour d’appel d’Anvers a confirmé que le maintien en détention était conforme à la loi et a considéré que le respect de la mesure provisoire indiquée par la Cour n’empêchait pas que l’expulsion puisse avoir lieu dans le délai légal tout en tenant compte de la décision définitive que prendrait la Cour. Si la Cour partage cet avis en ce que l’indication de la mesure provisoire n’a pas d’incidence en tant que telle sur la légalité de la détention, elle estime que celle-ci ne saurait toutefois pas reposer sur la perspective de voir la Cour se prononcer endéans le délai prévu par la législation belge.
125. Dans ces conditions, la Cour n’aperçoit pas le lien entre la détention de la requérante et le but poursuivi par le Gouvernement de l’éloigner du territoire.
Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 f) de la Convention.
V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
126. La requérante soutient que, vu son état de santé, en la privant pendant près de quatre mois du soutien psychologique de son conjoint et de soins, les autorités belges ont porté atteinte à son intégrité physique et morale. Elle allègue que sa détention n’était pas proportionnée à l’objectif poursuivi et n’était pas nécessaire dans une société démocratique car les autorités belges disposaient d’une alternative qui aurait permis d’éviter de lui imposer une mesure aussi lourde de conséquences pour sa santé physique et mentale, à savoir l’autorisation de séjour temporaire pour raisons médicales.
127. La Cour considère que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et n’a relevé aucune autre motif d’irrecevabilité. Elle doit donc être déclarée recevable.
128. Sur le fond, au vu de son analyse et de sa conclusion sous l’angle de l’article 5 § 1 f), la Cour considère qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 8 de la Convention. Il n’y a donc pas lieu d’examiner ce grief.
VI. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
VII. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR
VIII. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
135. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage moral
B. Frais et dépens
C. Intérêts moratoires
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 2, 3, 5 § 1 f), 8 et 13 combiné avec l’article 3 et irrecevable pour le surplus ;
2. Décide de continuer à indiquer au Gouvernement, en application de l’article 39 de son règlement, qu’il est souhaitable, dans l’intérêt du bon déroulement de la procédure, de ne pas expulser la requérante jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard ;
3. Dit que la mise à exécution de la décision de renvoyer la requérante au Cameroun n’emporterait pas violation de l’article 3 de la Convention ;
4. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner les griefs de la requérante sous l’angle de l’article 2 de la Convention ;
5. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention du fait de ses conditions de détention ;
6. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention ;
7. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner les griefs de la requérante sous l’angle de l’article 13 combiné avec l’article 2 de la Convention ;
8. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 f) de la Convention ;
9. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 8 de la Convention ;
10. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i) 14 000 EUR (quatorze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii) 6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
11. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 décembre 2011, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley
Naismith Danutė
Jočienė
Greffier Présidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion concordante commune aux juges Tulkens, Jočienė, Popović, Karakaş, Raimondi et Pinto de Albuquerque.
D.J.
S.H.N.
OPINION PARTIELLEMENT CONCORDANTE
COMMUNE AUX JUGES TULKENS, JOČIENĖ, POPOVIĆ, KARAKAŞ,
RAIMONDI ET PINTO DE ALBUQUERQUE
1. Nous souhaitons préciser notre position en ce qui concerne le constat de non-violation de l’article 3 de la Convention du fait de l’expulsion de la requérante vers le Cameroun.
2. Atteinte par le VIH, la requérante fait valoir que des considérations humanitaires impérieuses justifient qu’elle ne soit pas renvoyée au Cameroun, vu son état de santé. Outre que la thérapie qui lui a été prescrite ne semble pas disponible au Cameroun, les médicaments nécessaires dans l’immédiat ne seraient pas ou plus subventionnés et donc, dans les faits, inaccessibles. A cela s’ajoutent les insuffisances du suivi biologique et notamment du bilan thérapeutique et des mesures de charges virales. La requérante fait valoir qu’en tout état de cause, son espérance de vie ne serait pas supérieure à douze mois, ce qui n’est pas contesté.
3. La Cour admet, ainsi qu’en attestent, s’il en est besoin, les certificats médicaux produits devant les autorités internes et devant elle, que, comme toutes les personnes atteintes par le VIH dans sa situation, « priver la requérante de ces médicaments aura pour conséquence de détériorer son état de santé et d’engager son pronostic vital à court ou moyen terme » (paragraphe 81 de l’arrêt).
4. Elle observe toutefois que le grief de la requérante tiré de l’article 3, fondé sur son état de santé et sur l’absence de traitement médical apte à soigner sa maladie dans son pays d’origine, est un grief similaire à celui que la Cour a examiné dans l’arrêt N. c. Royaume-Uni du 27 mai 2008 (paragraphe 80 de l’arrêt). Dans cette affaire, la Grande Chambre a dégagé des principes concernant l’expulsion des personnes gravement malades et elle a fixé le seuil de gravité de l’article 3 : « [L]e fait qu’en cas d’expulsion de l’Etat contractant la requérante connaîtrait une dégradation importante de sa situation, et notamment une réduction significative de son espérance de vie, n’est pas en soi suffisant pour emporter violation de l’article 3 » (§ 42). En d’autres termes, il faut donc des considérations humanitaires encore plus impérieuses et que la personne soit à un stade ultime de la maladie, proche de la mort, pour que l’éloignement puisse, comme dans l’arrêt D. c. Royaume-Uni du 2 mai 1997 qui sert de référence, emporter violation de l’article 3 de la Convention.
5. Comme il n’est pas établi que tel est le cas en l’espèce, nous nous estimons tenus, afin de préserver la sécurité juridique, de suivre l’approche de la Grande Chambre dans l’affaire N. c. Royaume-Uni.
6. Nous pensons cependant qu’un seuil de gravité aussi extrême - être quasi-mourant - est difficilement compatible avec la lettre et l’esprit de l’article 3, un droit absolu qui fait partie des droits les plus fondamentaux de la Convention et qui concerne l’intégrité et la dignité de la personne[1]. A cet égard, la différence entre une personne qui est sur son lit de mort ou dont on sait qu’elle est condamnée à bref délai nous paraît infime en termes d’humanité. Nous espérons que la Cour puisse un jour revoir sa jurisprudence sur ce point.
[1]. Fr. Julien-Laferrière, « L’éloignement des étrangers malades : faut-il préférer les réalités budgétaires aux préoccupations humanitaires ? », Rev. trim. dr. h., n° 77, 2009, pp. 261 et s.