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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> YOH-EKALE MWANJE v. BELGIUM - 10486/10 - Chamber Judgment (French Text) [2011] ECHR 2421 (20 December 2011)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2011/2421.html
Cite as: 55 EHRR 37, (2013) 56 EHRR 35, (2012) 55 EHRR 37, 56 EHRR 35, [2011] ECHR 2421

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

    AFFAIRE YOH-EKALE MWANJE c. BELGIQUE

     

    (Requête no 10486/10)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    20 décembre 2011

     

    DÉFINITIF

     

    20/03/2012

     

    Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Yoh-Ekale Mwanje c. Belgique,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              Danutė Jočienė, présidente,
              Françoise Tulkens,
              Dragoljub Popović,
              Işıl Karakaş,
              Guido Raimondi,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Helen Keller, juges,
    et de Stanley Naismith, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 novembre 2011,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 10486/10) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont une ressortissante camerounaise, Mme Khaterine Yoh-Ekale Mwanje (« la requérante »), a saisi la Cour le 22 février 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  La requérante est représentée par Me Z. Chihaoui, avocat à Bruxelles. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.

  3. .  La requérante allègue en particulier que son expulsion vers le Cameroun l’exposerait à des traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 3 de la Convention et à une mort prématurée en violation de l’article 2 et emporterait violation de son droit à la vie privée et familiale au sens de l’article 8. Elle soutient ne pas avoir bénéficié d’un recours effectif devant les juridictions belges pour faire valoir ces griefs. Enfin, elle allègue que sa détention en centre fermé était illégale et arbitraire et a enfreint l’article 5 § 1 f) de la Convention.

  4. .  Le 27 avril 2010, le président faisant fonction de la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l’affaire.
  5. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  6. .  La requérante est née en 1971 et a élu domicile chez son représentant, à Bruxelles. De nationalité camerounaise, elle quitta le Cameroun en 2002. Elle arriva, via Paris, aux Pays-Bas où elle déposa une demande d’asile qui fut rejetée. Elle quitta les Pays-Bas en 2006 et entama une relation avec un ressortissant néerlandais résidant à Baarle-Hertog en Belgique.
  7. A.  Procédures en mariage et en obtention d’un nouveau passeport

    6.  Le 7 septembre 2009, la requérante et son partenaire déposèrent une première demande de mariage auprès de l’officier d’état civil de Baarle-Hertog commune. Interrogée sur l’absence de visa sur son passeport, la requérante déclara avoir été en possession d’un tel visa à son arrivée à Paris mais que son passeport lui fut ensuite volé. Elle avait ensuite demandé et obtenu un nouveau passeport au Cameroun.

    7.  Contacté par la commune, le service des étrangers indiqua, le 11 septembre 2009, que la requérante résidait à l’adresse indiquée et qu’il n’y avait pas de dossier à son nom. Dans l’attente de plus amples vérifications, il sollicitait la suspension de la demande de mariage.

    8.  Le 15 septembre 2009, lors d’un contrôle de police, la requérante confirma sa déclaration ajoutant qu’elle ne s’était pas rendue au Cameroun pour obtenir son nouveau passeport et qu’elle avait en réalité perdu le précédent passeport. Le nouveau passeport lui fut confisqué par la police fédérale pour contrôle de véracité.

    9.  Le 21 septembre 2009, la police fédérale informa la police locale qu’il s’agissait d’un faux passeport.

    10.  Le 22 septembre 2009, la requérante fut entendue par la police locale et confirma sa précédente déclaration en précisant qu’elle avait donné les informations nécessaires à l’obtention d’un nouveau passeport à un ami afin qu’il les remette à sa sœur au Cameroun et que celle-ci fasse les démarches pour l’obtention d’un nouveau passeport.

    11.  Le 23 septembre 2009, entendue par l’assistante sociale du centre fermé où elle était détenue (paragraphe 20 ci-dessous), elle déclara avoir vécu en Belgique pendant douze ans et demi et n’avoir entamé aucune procédure en vue de sa régularisation.

    12.  Le 7 octobre 2009, les autorités belges envoyèrent un courrier à l’ambassade du Cameroun en Belgique demandant qu’un document de voyage soit délivré à la requérante en vue de son rapatriement. En réponse, l’ambassade informa les autorités belges que, pour l’établissement des documents en vue du mariage, la requérante avait présenté un passeport avec le même numéro mais avec une date et un lieu de délivrance différents et qu’il s’agissait, à leur avis, de démarches en vue d’un mariage de complaisance. Les autorités camerounaises refusèrent de lui délivrer un laissez-passer.

    13.  Le 17 novembre 2009, un nouveau passeport fut délivré à la requérante.

    14.  Le 18 décembre 2009, la requérante finalisa son dossier auprès de la commune.

    15.  Le 10 décembre 2009, les services d’immigration néerlandais informèrent la police locale belge que la requérante avait introduit une demande de permis de séjour aux Pays-Bas sous un autre nom, Catherine Oke Akum.

    16.  Le 21 décembre 2009, la requérante et son compagnon introduisirent une deuxième demande de mariage qui fut refusée le 15 février 2010 en raison d’une présomption de mariage simulé.

    17.  Le recours contre la décision de refus de mariage fut rejeté par le tribunal de première instance de Turnhout le 30 juin 2010 et en appel le 15 juin 2011.

    B. Ordre de quitter le territoire du 22 septembre 2009

    18.  Le 22 septembre 2009, au motif que la requérante ne disposait pas des documents valables pour séjourner en Belgique et était en possession d’un faux passeport (article 7 alinéas 1-1o, 2 et 3 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (« la loi sur les étrangers »)), l’Office des étrangers (« OE ») lui délivra un premier ordre de quitter le territoire.

    19.  Le 23 septembre 2009, elle fut examinée par un médecin et fut déclarée apte à voyager.

    C. Détention en centre fermé du 22 septembre au 16 octobre 2009

    20.  Le 22 septembre 2009, la requérante fut placée dans le centre fermé pour illégaux de Bruges dans l’attente que les autorités de son pays lui fournissent un document de voyage en vue de son expulsion.

    21.  Le 12 octobre 2009, invoquant l’article 3 de la Convention et la circonstance que la requérante était atteinte par le VIH, son avocat introduisit une requête de mise en liberté auprès de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Turnhout.

    22.  Le 16 octobre 2009, la requérante fut libérée au motif qu’aucun document de voyage n’avait été délivré en vue de son éloignement. Elle fut sommée de quitter le territoire avant le 21 octobre 2009.

    23.  Le 22 décembre 2009, la requête de mise en liberté fut rejetée car elle était devenue sans objet.

    D. Ordre de quitter le territoire du 17 décembre 2009

    24.  Le 17 décembre 2009, la requérante fut invitée par la police à se présenter à l’OE et un deuxième ordre de quitter le territoire avec reconduite à la frontière lui fut délivré sur fondement de l’article 7 alinéas 1-1o, 2 et 3 de la loi sur les étrangers. Il indiquait notamment que :

    « L’intéressée n’est toujours pas en possession d’un visa valable dans son passeport.

    (...)

    Vu que sa demande de mariage ne confère pas [à l’intéressée] automatiquement un droit de séjour. Elle peut retourner dans son pays pour obtenir un visa une fois la date du mariage fixée.

    L’intéressée refuse manifestement de mettre fin de sa propre initiative à la situation de séjour illégal dans laquelle elle se trouve de sorte que l’exécution forcée de la reconduite à la frontière s’impose. L’intéressée a déjà fait l’objet à deux reprises d’un ordre de quitter le territoire. En date du 15/09/2010 et en date du 16/10/2009. A ce jour elle est à nouveau appréhendée en séjour illégal.

    En application de l’article 7 alinéa 3 de la même loi l’intéressée doit demeurer en détention vu que sa reconduite à la frontière ne peut intervenir immédiatement. »

    25.  Le 21 décembre 2009, invoquant la violation des articles 3 et 8 de la Convention, l’avocat de la requérante demanda la suspension en extrême urgence de l’ordre de quitter le territoire auprès du Conseil de contentieux des étrangers (« CCE »).

    26.  Le 23 décembre 2009, le CCE rejeta la demande de suspension. Selon le CCE, la requérante n’avait pas d’intérêt à contester l’ordre de quitter le territoire du 17 décembre 2009 puisqu’elle avait fait l’objet d’un premier ordre de quitter le territoire le 22 septembre 2009 contre lequel elle n’avait pas introduit de recours. Or, tant l’argument tiré de l’impossible expulsion pour des raisons médicales que celui tiré de l’existence d’une vie familiale étaient connus à l’époque où la requérante pouvait introduire un recours.

    E. Détention en centre fermé du 17 décembre 2009 au 9 avril 2010 et indication de mesures provisoires par la Cour

    27.  Le deuxième ordre de quitter le territoire était assorti d’une décision de maintien en un lieu déterminé et la requérante fut placée le jour même, le 17 décembre 2009, au centre fermé 127 bis en vue de son expulsion.

    28.  Invoquant l’introduction d’une nouvelle demande de mariage le 21 décembre 2009 et la circulaire du 13 septembre 2005 (paragraphe 69 ci-dessous), l’avocat de la requérante introduisit, le 22 décembre 2009, une deuxième demande de mise en liberté qui fut rejetée par le président de la chambre du conseil de Turnhout le 29 décembre 2009. Furent retenues les circonstances que la requérante n’était pas en séjour régulier, que la circulaire n’avait pas de valeur contraignante et que la perspective d’un mariage ne l’autorisait pas à séjourner en Belgique.

    29.  Toujours le 22 décembre, l’avocat de la requérante s’adressa directement à l’OE pour demander la libération de sa cliente au vu de son état de santé et des soins dont elle avait besoin.

    30.  Invoquant la violation des articles 5 § 1 f) et 8 de la Convention, la requérante forma appel contre l’ordonnance du 29 décembre 2009. Le 19 janvier 2010, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel d’Anvers confirma l’ordonnance. Par un arrêt du 16 février 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé contre cet arrêt.

    31.  Entre-temps, le 29 janvier 2010, invoquant la détérioration de son état de santé et l’absence de traitement adéquat au centre, la requérante cita l’Etat belge devant le tribunal de première instance de Bruxelles en vue d’obtenir, sous peine d’astreinte, sa libération immédiate en vue d’être soignée.

    32.  Le 16 février 2010, l’OE décida de prolonger jusqu’au 15 avril 2010 la détention sur fondement de l’article 7 alinéas 1-1o, 2 et 3 de la loi sur les étrangers. La décision de maintien en détention indiquait :

    « 1) L’intéressée était écrouée le 17/12/2009. Elle était en possession d’un PP camerounais valable. Vu qu’elle a introduit une demande de régularisation et une procédure de mariage, un rapatriement ne pouvait pas être organisé.

    2) Vu qu’on a reçu de la commune un refus de la commune de Baarle-Hertog le 15/02/2010 concernant le mariage et que la demande de régularisation est recevable mais non fondée, un rapatriement peut suivre.

    3) A ce jour il subsiste toujours une possibilité que l’intéressée soit éloignée dans un délai raisonnable. Un rapatriement est prévu le 23/02/2010. ».

    33.  Le 22 février 2010, ayant appris que le rapatriement de la requérante était planifié pour le 23 février 2010, l’avocat de la requérante saisit la Cour d’une demande d’application de l’article 39 du règlement en vue d’obtenir la suspension de l’expulsion de la requérante vers le Cameroun. Il soutenait notamment qu’elle était proche de la fin et qu’elle souhaitait éviter les souffrances dues au déficit de soins dans son pays et bénéficier, pour affronter la maladie et son évolution, du soutien moral de son conjoint.

    34.  Le jour même, la Cour indiqua au gouvernement belge qu’il était souhaitable, dans l’intérêt des parties et du bon déroulement de la procédure devant la Cour, de ne pas expulser la requérante vers le Cameroun jusqu’à nouvel ordre.

    35.  Le 23 février 2010, se référant à la décision de la Cour, l’avocat de la requérante mit l’OE en demeure de libérer la requérante.

    36.  Le 24 février 2010, le tribunal de première instance de Bruxelles rejeta la demande du 29 janvier 2010 au motif notamment que la requérante bénéficiait au centre fermé d’un traitement médical adapté et que cela n’avait pas été remis en question par son conseil à l’audience.

    37.  Parallèlement la requérante introduisit une nouvelle demande de mise en liberté qui fut rejetée le 2 mars 2010 au motif que l’OE avait agi conformément à l’article 7 de la loi sur les étrangers. Cette décision fut confirmée en appel le 16 mars 2010. Suivant le ministère public qui soulignait que la Cour avait accordé, dans le cadre de l’octroi de la mesure provisoire, la priorité à l’affaire, la cour d’appel d’Anvers considéra que :

    « La circonstance que la Cour européenne des Droits de l’Homme a décidé de suspendre l’expulsion de [la requérante] ne signifie pas que, pour cette raison, l’expulsion ne puisse avoir lieu dans le délai règlementaire tout en tenant compte de la décision finale de cette Cour. »

    La requérante fut libérée le 9 avril 2010.

     

    F. Situation médicale de la requérante et demande d’autorisation de séjour pour raisons médicales

    38.  Quand la requérante fut placée en centre fermé le 22 septembre 2009, elle informa son avocat, nouvellement désigné, qu’elle était atteinte par le VIH depuis 2003 et que l’affection était déjà à un stade avancé.

    39.  Ce dernier en informa le médecin du centre qui avait établi l’attestation la déclarant apte à voyager.

    40.  Le 9 octobre 2009, il fut attesté, dans un certificat médical délivré par un médecin de Médecins du Monde, que le pronostic vital de la requérante était engagé et que le retour de la requérante dans son pays d’origine l’exposerait à un risque pour sa vie car elle n’y aurait pas accès aux soins requis.

    41.  Le 15 décembre 2009, la requérante vint en consultation à l’Institut des maladies tropicales d’Anvers qui procéda à une série d’examens. A cette occasion, un certificat médical fut établi attestant que son taux de lymphocytes CD4 était égal à 254 par mm3 de sang et recommandant que la requérante reste en Belgique. Des rendez-vous pour examens complémentaires furent pris pour le 29 décembre 2009 et le 4 janvier 2010.

    42.  Le 18 décembre 2009, le lendemain de son placement en centre fermé, l’avocat de la requérante informa le centre que des rendez-vous étaient pris auprès de l’Institut des maladies tropicales d’Anvers et leur communiqua les informations en sa possession relatives à son état de santé.

    43.  Le 21 décembre 2009, grâce aux démarches menées par le compagnon de la requérante, elle obtint du centre public d’action sociale le bénéfice de l’aide médicale d’urgence.

    44.  Le 22 décembre 2009, le service médical du centre répondit à la demande du compagnon de la requérante que celle-ci ne serait pas libérée pour se rendre à ses rendez-vous à Anvers mais qu’il prendrait contact avec l’institut et se tiendrait informé des résultats.

    45.  Le 23 décembre 2009, la requérante introduisit une demande d’autorisation de séjour spéciale de plus de trois mois pour raisons médicales sur la base de l’article 9ter de la loi sur les étrangers.

    46.  La demande fut rejetée par l’OE le 12 janvier 2010 sur la base de l’avis du fonctionnaire-médecin rendu la veille. Selon le fonctionnaire-médecin, les traitements antirétroviraux (« ARV ») étaient disponibles au Cameroun, notamment dans les hôpitaux de district répartis sur tout le territoire ainsi que dans les hôpitaux universitaires. De plus, selon ce rapport, les traitements ARV étaient gratuits et, si la requérante devait ne pas bénéficier de la gratuité, son coût annuel, qui s’élevait à 200 euros (EUR), pouvait être pris en charge par les organisations internationales. Enfin, la requérante était apte à voyager. L’OE conclût que le retour de la requérante n’emportait pas de risque contraire à l’article 3 de la Convention.

    47.  Le 18 janvier 2010, au vu des résultats des analyses, l’Institut des maladies tropicales contacta la requérante et son médecin traitant pour qu’elle se présente au plus vite pour entamer un traitement ARV sous peine d’une évolution rapide et d’une fin proche si elle n’était pas traitée rapidement. L’avocat de la requérante en informa le service médical de l’OE le 20 janvier 2010.

    48.  Le 25 janvier 2010, le service médical du centre informa la requérante que des examens complémentaires étaient nécessaires pour déterminer la thérapie exacte dont elle avait besoin.

    49.  Dans un courrier du 27 janvier 2010, l’Institut des maladies tropicales informa le médecin du centre du résultat des analyses de sang prélevé le 25 janvier qui montrait une baisse du taux de lymphocytes CD4 à 194 par mm3 de sang.

    50.  La requérante fit état dans son journal intime de ce que courant janvier son état de santé s’était dégradé, qu’elle s’était mise à tousser et à cracher du sang et qu’elle avait reçu des antibiotiques qui l’avaient un peu calmée. Elle se plaignait de fortes douleurs en particulier aux articulations et se disait angoissée de mourir. Le médecin du centre l’envoya chez un psychologue qui lui prescrivit des anxiolytiques. Après chaque contact ou visite de sa compagne au centre, le partenaire de la requérante tint l’avocat informé par courriel de chacun de ces évènements.

    51.  Le 30 janvier 2010, un médecin extérieur au centre examina la requérante et attesta, auprès des services de l’OE, que la requérante était dans une phase « à évolution potentiellement et rapidement péjorative » et que le « traitement antirétroviral hautement actif » (HAART) s’imposait sans attendre, traitement qu’elle n’aurait pas les moyens de s’offrir au Cameroun.

    52.  Par courriers des 25 janvier et 3 février 2010, l’avocat informa également le service médical de l’OE de la situation de la requérante. Le 8 février 2010, le médecin du centre lui répondit qu’une consultation spécialisée externe était prévue et que la requérante recevait son traitement contre l’hypertension et prenait des anxiolytiques.

    53.  Le 4 février 2010, l’Institut des maladies tropicales établit un certificat médical formulé dans les mêmes termes que celui du 4 décembre 2009.

    54.  Le même jour, dans le cadre du référé devant le tribunal de première instance de Bruxelles (paragraphe 31 ci-dessus), le conseil de l’Etat belge adressa un courrier à l’avocat de la requérante lui demandant de mettre en demeure sa cliente de lui adresser une prescription médicale précisant le traitement adéquat à suivre.

    55.  Le 9 février 2010, la requérante se rendit à l’hôpital universitaire Erasme pour une consultation spécialisée, sur rendez-vous pris par le service médical du centre, afin de déterminer quel traitement était le plus approprié. Selon la requérante, le médecin se déclara choqué par l’absence de traitement, indiqua que le centre ne lui avait pas envoyé les échantillons de sang prélevés et proposa qu’en attendant le résultat des analyses, la requérante reprenne son précédent traitement. Le service médical indiqua que les traitements commenceraient le 19 février.

    56.  Le 11 février 2010, l’avocat de la requérante écrivit à nouveau au service médical de l’OE en attirant son attention sur l’urgence de la situation et lui demandant quand le traitement approprié serait administré à la requérante. Il lui fut répondu que, selon le service consulté, des examens complémentaires pour évaluer la résistance de la requérante aux médicaments étaient nécessaires en raison du fait que la requérante avait arrêté son traitement pendant un an alors qu’elle résidait aux Pays-Bas.

    57.  La requérante continua de faire état dans son journal de l’augmentation des douleurs aux articulations, de ce que sa peau avait foncé, que des plaques noires étaient apparues sur ses jambes et qu’elle souffrait de démangeaisons.

    58.  Dans un courrier du 26 février 2010, l’Institut des maladies tropicales indiqua au service médical de l’OE que la requérante avait développé une résistance aux médicaments qu’elle prenait antérieurement et avait besoin, conformément aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (« OMS »), d’un traitement de seconde ligne (médicaments Kaletra et Truvada).

    59.  Dans un courrier du même jour, le médecin du centre informa le service médical de l’OE qu’il était toujours en attente des résultats des examens de résistance faits par l’hôpital Erasme pour commencer le traitement, que l’état général de la requérante était bon, que son poids était stable et qu’elle n’avait pas développé de maladies opportunistes.

    60.  Le 1er mars 2010, le médecin de l’Institut des maladies tropicales contacta à nouveau le centre qui l’informa que le traitement commencerait dès que possible. Dans un courrier adressé à son avocat, la requérante confirma avoir reçu les médicaments recommandés par l’Institut des maladies tropicales pour la première fois le 1er mars 2010.

    61.  Le résultat des tests de résistance aux médicaments effectués par l’hôpital Erasme fut communiqué au médecin du centre le 3 mars 2010 qui confirma les résistances et l’adéquation du traitement entrepris.

    62.  Par suite de la médiatisation de l’affaire de la requérante à l’initiative de la Ligue des droits de l’homme, le médecin du centre rendit un rapport le 11 mars 2011 récapitulant le suivi médical dont avait bénéficié la requérante et indiquant que le traitement prescrit par l’Institut des maladies tropicales avait été administré à la requérante à partir du 1er mars 2010.

    63.  Le 6 avril 2010, la requérante retourna en consultation à l’hôpital Erasme. Selon la requérante, le médecin indiqua à nouveau ne pas avoir reçu du centre les échantillons de sang afin de poursuivre les examens.

    64.  Le CCE rejeta le recours en annulation de la décision du 12 janvier 2010 refusant la régularisation de son séjour pour raisons médicales dans un arrêt du 19 avril 2010. Il considéra que l’OE avait correctement motivé sa décision en constatant que le traitement gratuit des patients atteints du sida était une réalité au Cameroun, que la requérante s’était contentée de se référer à des rapports généraux relatifs à l’accessibilité des traitements ARV au Cameroun et n’avait pas démontré in concreto qu’elle n’aurait pas accès à ces traitements.

    65.  Le 14 mai 2010, un recours en cassation administrative fut introduit par la requérante devant le Conseil d’Etat qui fut rejeté dans un arrêt du 27 mai 2010.

    66.  Le 23 juin 2010, l’unité de traitement des immunodéficiences de l’hôpital Erasme établit un certificat indiquant que la requérante était :

    « actuellement parfaitement contrôlée par son traitement médical qui permet de maintenir une charge virale indétectable et un taux de CD4 à 237/mm3. La prise chronique de ce traitement ainsi qu’un suivi médico-psycho-social n’est malheureusement pas disponible dans son pays. Cette patiente est actuellement en cours de procréation assistée, soulignant le fait que le traitement antiviral est nécessaire mais également un suivi biologique mensuel pour éviter la transmission de la mère à l’enfant ».

    II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

    A. En matière de séjour


  8. .  Les textes pertinents sont formulés comme suit :
  9. 1. La loi du 15 décembre 1980 sur les étrangers

    Article 7

    « Sans préjudice des dispositions plus favorables contenues dans un traité international, le Ministre ou son délégué peut donner l’ordre de quitter le territoire avant une date déterminée, à l’étranger qui n’est ni autorisé ni admis à séjourner plus de trois mois ou à s’établir dans le Royaume:

     

    1o s’il demeure dans le Royaume sans être porteur des documents requis par l’article 2;

    2o s’il demeure dans le Royaume au-delà du délai fixé conformément à l’article 6, ou ne peut apporter la preuve que ce délai n’est pas dépassé;

    3o si, par son comportement, il est considéré comme pouvant compromettre l’ordre public ou la sécurité nationale; (...)

     

    Dans les mêmes cas, si le Ministre ou son délégué l’estime nécessaire, il peut faire ramener sans délai l’étranger à la frontière.

    L’étranger peut être détenu à cette fin pendant le temps strictement nécessaire à l’exécution de la mesure sans que la durée de la détention puisse dépasser deux mois.

    Le Ministre ou son délégué peut toutefois prolonger cette détention par période de deux mois, lorsque les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’étranger ont été entreprises dans les sept jours ouvrables de la mise en détention de l’étranger, qu’elles sont poursuivies avec toute la diligence requise et qu’il subsiste toujours une possibilité d’éloigner effectivement l’étranger dans un délai raisonnable.

    Après une prolongation, la décision visée à l’alinéa précédent ne peut plus être prise que par le Ministre.

    Après cinq mois de détention, l’étranger doit être remis en liberté.

    Dans le cas où la sauvegarde de l’ordre public ou la sécurité nationale l’exige, la détention de l’étranger peut être prolongée chaque fois d’un mois, après l’expiration du délai visé à l’alinéa précédent, sans toutefois que la durée totale de la détention puisse de ce fait dépasser huit mois. »

    Article 9ter

    § 1er. L’étranger qui séjourne en Belgique qui démontre son identité conformément au § 2 et qui souffre d’une maladie telle qu’elle entraîne un risque réel pour sa vie ou son intégrité physique ou un risque réel de traitement inhumain ou dégradant lorsqu’il n’existe aucun traitement adéquat dans son pays d’origine ou dans le pays où il séjourne, peut demander l’autorisation de séjourner dans le Royaume auprès du ministre ou son délégué. La demande doit être introduite par pli recommandé auprès du ministre ou son délégué et contient l’adresse de la résidence effective de l’étranger en Belgique. L’étranger transmet avec la demande tous les renseignements utiles concernant sa maladie et les possibilités et l’accessibilité de traitement adéquat dans son pays d’origine ou dans le pays où il séjourne.

    Il transmet un certificat médical type prévu par le Roi, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres. Ce certificat médical indique la maladie, son degré de gravité et le traitement estimé nécessaire. L’appréciation du risque visé à l’alinéa 1er, des possibilités de traitement, leur accessibilité dans son pays d’origine ou dans le pays où il séjourne et de la maladie, son degré de gravité et le traitement estimé nécessaire indiqués dans le certificat médical, est effectuée par un fonctionnaire médecin ou un médecin désigné par le ministre ou son délégué qui rend un avis à ce sujet. Ce médecin peut, s’il l’estime nécessaire, examiner l’étranger et demander l’avis complémentaire d’experts. (...) »

    68.  Les décisions prises par l’OE en matière de séjour peuvent être contestées en introduisant un recours en annulation devant le Conseil du contentieux des étrangers (« CCE »), juridiction administrative mise en place par la loi du 15 septembre 2006 réformant le Conseil d’Etat et créant un Conseil du contentieux des étrangers. La procédure devant le CCE est décrite dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC] (no 30696/09, §§ 136-142, 21 janvier 2011).

    Article 75

    « Sous réserve de l’article 79, l’étranger qui entre ou séjourne illégalement dans le Royaume est puni d’un emprisonnement de huit jours à trois mois et d’une amende de vingt-six EUR à deux cents EUR ou d’une de ces peines seulement.

    Est puni des mêmes peines l’étranger à qui il a été enjoint de quitter des lieux déterminés, d’en demeurer éloigné ou de résider en un lieu déterminé et qui se soustrait à cette obligation sans motif valable.

    En cas de récidive dans le délai de trois ans d’une des infractions prévues aux alinéas 1 et 2, ces peines sont portées à un emprisonnement d’un mois à un an et à une amende de cent EUR à mille EUR ou à une de ces peines seulement. »

    2. Circulaire du 13 septembre 2005


  10. .  Cette circulaire est relative à l’échange d’information entre les officiers de l’état civil, en collaboration avec l’OE, à l’occasion d’une déclaration de mariage concernant un étranger et prévoit que :
  11. « Lorsqu’un étranger auquel a été notifié ou est notifié un ordre de quitter le territoire désire se marier dans le Royaume avec un Belge ou un étranger admis ou autorisé à séjourner plus de trois mois dans le Royaume ou à s’y établir, l’Office des étrangers ne procédera pas à l’exécution forcée de l’ordre de quitter le territoire jusqu’au lendemain du jour de la célébration du mariage, jusqu’au jour de la décision de refus de célébration du mariage par l’officier de l’état civil ou jusqu’à l’expiration du délai, fixé dans l’article 165, § 3, du Code civil, dans lequel le mariage doit être célébré, lorsque les conditions suivantes sont réunies :

    - l’étranger dispose d’une preuve d’identité valable, au sens de l’article 64, § 1er, 2o du Code civil;

    - l’officier de l’état civil confirme que la déclaration de mariage de cet étranger a été inscrite dans le registre des déclarations.

    L’exécution de l’ordre de quitter le territoire ne sera toutefois pas suspendue lorsque l’ordre de quitter le territoire est délivré sur la base de l’article 7, alinéa 1er, 3o à 11o de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. »

     

    B. En matière de détention

    1. La loi du 15 décembre 1980 sur les étrangers


  12. .  Les dispositions pertinentes de la loi sur les étrangers sont formulées comme suit :
  13. Article 71

    L’étranger qui fait l’objet d’une mesure privative de liberté prise en application des articles 7, 8bis, §4, 25, 27, 29, alinéa 2, 51/5, §1er , alinéa 2, et §3, alinéa 4, 52/4, alinéa 4, 54, 57/32, § 2, alinéa 2 et 74/6 peut introduire un recours contre cette mesure en déposant une requête auprès de la Chambre du Conseil du tribunal correctionnel du lieu de sa résidence dans le Royaume ou du lieu où il a été trouvé.

    L’étranger maintenu dans un lieu déterminé situé aux frontières, en application de l’article 74/5, peut introduire un recours contre cette mesure, en déposant une requête auprès de la Chambre du Conseil du tribunal correctionnel du lieu où il est maintenu.

    Sans préjudice de l’application des articles 74/5, § 3, alinéa 5 et 74/6, § 2, alinéa 5, l’intéressé peut réintroduire le recours visé aux alinéas précédents de mois en mois.

    Toutefois, lorsque, conformément à l’article 74, le Ministre a saisi la Chambre du conseil, l’étranger ne peut introduire le recours visé aux alinéas précédents contre la décision de prolongation du délai de la détention ou du maintien qu’à partir du trentième jour qui suit la prolongation.

    Article 72

    La Chambre du Conseil statue dans les cinq jours ouvrables du dépôt de la requête après avoir entendu l’intéressé ou son conseil le Ministre, son délégué ou son conseil en ses moyens et le Ministère public en son avis.

    Elle vérifie si les mesures privatives de liberté et d’éloignement du territoire sont conformes à la loi sans pouvoir se prononcer sur leur opportunité.

    Les ordonnances de la Chambre du Conseil sont susceptibles d’appel de la part de l’étranger, du Ministère public et du Ministre ou son délégué.

    Il est procédé conformément aux dispositions légales relatives à la détention préventive, sauf celles relatives au mandat d’arrêt, au juge d’instruction, à l’interdiction de communiquer, à l’ordonnance de prise de corps, à la mise en liberté provisoire ou sous caution et au droit de prendre communication du dossier administratif.

    Le conseil de l’étranger peut consulter le dossier au greffe du tribunal compétent pendant les deux jours ouvrables qui précèdent l’audience.

    Le greffier en donnera avis au conseil par lettre recommandée.

    2. La loi du 20 juillet 1990 sur la détention préventive


  14. .  Les dispositions pertinentes de la loi sur la détention préventive sont formulées comme suit :
  15. Article 31

    « § 3. Le dossier est transmis au greffe de la Cour de cassation dans les vingt-quatre heures à compter du pourvoi. (...)

    La Cour de cassation statue dans un délai de quinze jours à compter de la date du pourvoi, l’inculpé restant en détention. L’inculpé est mis en liberté si l’arrêt n’est pas rendu dans ce délai ».

    III.  LE TRAITEMENT MÉDICAL DE L’AFFECTION PAR LE VIH ET LE SIDA AU CAMEROUN

    72.  Le Cameroun connaît une pandémie généralisée en augmentation exponentielle avec de fortes disparités régionales. La séroprévalence dans la tranche d’âge de 15 à 49 ans était évaluée à 5,1 % en 2010, soit environ 560 000 Camerounais. Les provinces du Nord-Ouest (8,7 %) et de l’Est (8,6 %) sont les plus touchées par opposition à celles du Nord et de l’extrême Nord (2 %) (L’impact du Sida et du VIH au Cameroun à l’horizon 2020, publication du Comité National de Lutte contre le sida en collaboration avec le Programme Commun des Nations Unies sur le VIH-Sida, ONUSIDA, septembre 2010).

    73.  En ce qui concerne l’accès aux ARV, la prise en charge a été décentralisée au sein des hôpitaux de district et le Cameroun dispose à ce jour de plus de 150 cliniques réparties dans tout le pays qui fournissent des ARV. De plus, en mai 2007, le programme national pour l’accès aux ARV a introduit une nouvelle politique en garantissant l’accès gratuit des ARV prescrits en première ligne à tous les patients éligibles au traitement. Cette politique a contribué à augmenter significativement leur diffusion et, en 2009, la couverture était estimée à 41 % des personnes vivant avec le VIH ayant besoin de traitement et dont le taux de lymphocytes CD4 était inférieur à 200 mm3 de sang et à 53 % des personnes vivant avec le VIH ayant besoin de traitement dont le taux de CD4 était inférieur à 350 (Epidemiological Factsheet Cameroon, Unaids - OMS, 2009).

    74.  S’agissant des médicaments ARV prescrits en seconde ligne aux personnes qui ont développé des résistances aux ARV de première ligne, leur accessibilité fait l’objet de l’action coordonnée d’UNITAID, de la Clinton Foundation HIV-AIDS Initiative et du Gouvernement camerounais, liés par un accord de coopération signé en mai 2007 et déjà renouvelé à deux reprises. L’objectif principal de l’accord consiste à fournir gratuitement aux patients, en cas de résistances virales aux traitements de première ligne, cinq formulations simples d’ARV et trois combinaisons à doses fixes doubles, toutes inscrites dans la liste des médicaments de seconde ligne recommandés par l’OMS. Toutefois, depuis l’entrée en vigueur de l’accord, moins de 2 % des patients sous ARV ont accédé à un traitement de seconde ligne. Une des études les plus complètes à ce jour sur la situation du sida au Cameroun - le rapport de l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS) publié en février 2010 et intitulé Accès décentralisé au traitement du VIH/sida : évaluation de l’expérience camerounaise - explique ce qui suit :

    « (...) avec le temps, la multiplication des situations d’échecs thérapeutiques et les résistances virales observées chez un certain nombre de patients ont rendu nécessaire le recours aux traitements de seconde ligne. Ces médicaments étant couverts par des brevets, le Cameroun a dû faire face à des difficultés inédites. L’accord entre la Clinton Foundation HIV-AIDS Initiative et le gouvernement camerounais est la solution qui s’est imposée pour surmonter l’obstacle. L’absence d’un système intégré centralisant l’information relative au profil des patients et renseignant sur l’évolution de la pandémie, de même que l’accès insuffisant aux outils de suivi biologique, rendent toutefois ardue la quantification précise des besoins en antirétroviraux de seconde ligne. Au Cameroun, les critères retenus pour déterminer si un patient est en situation d’échec thérapeutique, sont calqués sur les recommandations de l’OMS (...), à savoir : échec clinique, immunologique et virologique. Cependant les tests de détermination de la charge virale et du taux de CD4 étant financièrement inabordables pour le programme national et pour les patients camerounais, (...). Est particulièrement encouragée la combinaison thermostable de lopinavir/ritonavir, associée à l’abacavir et au ténofovir. Toutes ces molécules sont protégées par des brevets et ne sont donc disponibles qu’à des prix élevés. L’initiative de l’UNITAID a donc été décisive pour rendre ces médicaments accessibles aux patients qui en ont besoin. (...) Cela posé, il faut constater que deux années après l’entrée en vigueur de l’accord, la distribution des médicaments de seconde ligne demeure marginale (seulement 1,89 % des patients en bénéficient). Cela peut être partiellement lié au fait que leur distribution est limitée aux centres de traitement agréés, contrairement aux médicaments de première ligne qui sont distribués dans tout le pays, via les unités de prise en charge décentralisées. (...). Les manques de formations et de compétences du personnel de santé aux niveaux les plus décentralisés constituent une véritable barrière à la diffusion de ces nouveaux traitements et expliquent leur concentration dans quelques grandes villes. »

    75.  Ce même rapport fournit des informations précises sur le suivi biologique des malades. Ce suivi est réalisé au moyen d’une série de tests immunologiques, hématologiques et biochimiques effectués à des moments bien précis. Il débute par l’identification du statut immunitaire du patient, effectué théoriquement à l’occasion d’un bilan d’orientation. À cela s’ajoutent un bilan pré-thérapeutique et un contrôle thérapeutique bisannuel. Le prix total de ces tests oscille entre 10,67 et 32 EUR. Le coût du suivi biologique est partiellement subventionné par le gouvernement camerounais (à hauteur de 27,44 EUR), grâce à l’aide financière du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria. Le solde est à la charge du patient. Quant aux tests de charge virale, ils ne sont pas subventionnés et s’élèvent à plusieurs centaines d’euros.

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 2 ET 3 DE LA CONVENTION DU FAIT DE L’EXPULSION AU CAMEROUN


  16. .  La requérante allègue qu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que, si on l’expulse vers le Cameroun, elle y courra un risque réel d’être soumise à des traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 3 de la Convention et à une mort prématurée en violation de l’article 2. Ces dispositions sont ainsi libellées :
  17. Article 2

    « 1.  Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

    (...) »

    Article 3

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité


  18. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  19. B. Sur le fond

    1.  Arguments des parties


  20. .  La requérante allègue que sa situation présente des circonstances exceptionnelles et que des considérations humanitaires impérieuses plaident pour qu’on ne la renvoie pas au Cameroun vu son état de santé.
  21. Elle soutient, s’appuyant sur plusieurs rapports internationaux, que la thérapie qui lui a été prescrite n’est pas disponible au Cameroun, et que les ARV de deuxième ligne, à supposer qu’ils soient disponibles au Cameroun, ne sont pas ou peu subventionnés et sont donc difficilement accessibles. De plus, les médicaments dont elle pourrait avoir besoin en troisième ligne ne sont à ce jour pas disponibles au Cameroun. A cela s’ajoutent les insuffisances du suivi biologique et notamment du bilan thérapeutique et des mesures de charges virales. La requérante fait valoir qu’en tout état de cause, son espérance de vie ne serait pas supérieure à douze mois.

    La requérante allègue enfin que le caractère inhumain de sa situation au Cameroun sera aggravée par les discriminations auxquelles elle devra faire face et par le fait d’être séparée de son futur époux.


  22. .  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. Il soutient que les autorités belges ont agi en pleine conformité avec la jurisprudence de la Cour telle qu’elle a été appliquée dans les arrêts D. c. Royaume-Uni (2 mai 1997, Recueil 1997-III) et N. c. Royaume-Uni [GC] (no 26565/05, 27 mai 2008). Il en résulte que l’article 3 n’oblige pas les Etats à pallier les différences socio-économiques et les disparités quant au niveau des soins et qu’il n’incombe pas aux autorités belges de fournir à la requérante des soins de santé gratuits et illimités.
  23. Selon le Gouvernement, la requérante ne se trouve pas dans les circonstances très exceptionnelles reconnues par la Cour pour empêcher son expulsion. Il ne s’agit pas d’une personne proche de la mort, sans réseau de soutien et sans perspective de traitement. Au contraire, comme en atteste le rapport de l’ANRS (paragraphes 73 et 74 ci-dessus), l’accès aux traitements est possible grâce à l’accord, renouvelé à plusieurs reprises, entre l’UNITAID, la Fondation Clinton HIV-AIDS et le Gouvernement camerounais. Quant au suivi biologique, le même rapport indique qu’il est dûment effectué et est partiellement subventionné par le Gouvernement camerounais. Dans ces conditions, la mise à exécution de l’ordre de quitter le territoire n’emportera pas violation de l’article 3.

    2.  Appréciation de la Cour


  24. .  La Cour observe que le grief tiré de l’article 3 de la requérante se fonde sur son état de santé et sur l’absence de traitement médical apte à soigner sa maladie dans son pays d’origine. Il s’agit d’un grief similaire à celui que la Cour a examiné en 2008 en Grande Chambre dans l’affaire N. précitée. Ont été rappelés à cette occasion la jurisprudence, ainsi que les principes qui s’en dégagent, relative à l’article 3 et à l’expulsion en général (§§ 29-31) et à l’expulsion des personnes gravement malades en particulier (§§ 32-45).

  25. .  En l’espèce, la requérante a été diagnostiquée séropositive en 2003 alors qu’elle résidait aux Pays-Bas. Il ressort des éléments produits devant les autorités internes qu’elle a bénéficié d’un traitement ARV aux Pays-Bas, traitement qu’elle a ensuite arrêté. A ce jour, elle a développé des résistances aux médicaments qui lui avaient été prescrits en première ligne et elle a besoin d’une association de deux médicaments ARV dits de seconde ligne avec lesquels elle est traitée depuis mars 2010.
  26. La Cour constate dans le rapport de l’ARNS (paragraphe 74, ci-dessus) que des médicaments ARV de seconde ligne sont disponibles au Cameroun, mais que leur accès est aléatoire et que, faute de ressources suffisantes et d’un suivi biologique régulier et fiable, la distribution de ces traitements demeure marginale et bénéficie à seulement 1,89 % des patients qui en ont besoin.

    La Cour n’est, par ailleurs, pas sans ignorer, ainsi qu’en attestent, s’il en est besoin, les certificats médicaux produits devant les autorités internes et devant elle, que, comme toutes les personnes atteintes par le VIH dans sa situation, priver la requérante de ces médicaments aura pour conséquence de détériorer son état de santé et d’engager son pronostic vital à court ou moyen terme.


  27. .  Toutefois, la Cour a jugé que de telles circonstances n’étaient pas suffisantes pour emporter violation de l’article 3 de la Convention. Dans l’affaire N. précitée, la Grande Chambre a en effet estimé que « le fait qu’en cas d’expulsion de l’Etat contractant la requérante connaîtrait une dégradation importante de sa situation, et notamment une réduction significative de son espérance de vie, n’est pas en soi suffisant pour emporter violation de l’article 3 » et que « l’article 3 ne fait pas obligation à l’Etat contractant de pallier [les] disparités en fournissant des soins de santé gratuits et illimités à tous les étrangers dépourvus du droit de demeurer sur son territoire. Conclure le contraire ferait peser une charge trop lourde pour les Etats contractants » (§ 42).

  28. .  Selon la Cour, il faut donc que des considérations humanitaires encore plus impérieuses caractérisent l’affaire. Ces considérations tiennent principalement à l’état de santé des intéressés avant l’exécution de la décision d’éloignement. Dans l’arrêt D. précité, la Cour a tenu compte du fait que le taux de CD4 du requérant était inférieur à 10, que son système immunitaire avait subi des dommages graves et irréparables et que le pronostic à son sujet était très mauvais (§§ 13 et 15) pour conclure que le requérant était à un stade critique de sa maladie et que son éloignement vers un pays qui n’était pas équipé pour lui prodiguer les traitements nécessaires était contraire à l’article 3 (§§ 51-54). En revanche, dans l’affaire N. précitée, la Cour a constaté que grâce au traitement médical dont la requérante bénéficiait au Royaume-Uni, son état de santé était stable, qu’elle n’était pas dans un état critique et qu’elle était apte à voyager (§§ 47 et 50).
  29. Il en est de même en l’espèce. D’après l’attestation médicale de juin 2010 (paragraphe 66 ci-dessus), l’état de santé de la requérante est stabilisé grâce à l’administration des médicaments précités, son taux de CD4 est remonté et elle n’a pas développé de maladie opportuniste. Elle n’est donc pas dans un « état critique » et elle est apte à voyager.


  30. .  La Cour avait également pris en compte dans l’affaire D. précitée la circonstance que le requérant n’avait dans son pays d’origine aucun parent désireux ou en mesure de s’occuper de lui ou de lui fournir ne fût-ce qu’un toit ou un minimum de nourriture ou de soutien social (§ 52). En l’espèce, la Cour constate que la présence d’un éventuel réseau social ou familial au Cameroun qui pourrait prendre la requérante en charge à son retour n’a pas été investiguée par les autorités belges. Cet aspect, relevant de la pure spéculation, ne saurait donc pas entrer en ligne de compte.

  31. .  Eu égard à ce qui précède, la Cour ne dispose en l’espèce d’aucun motif déterminant pour s’écarter de l’approche suivie dans l’affaire N. précitée et ne peut considérer que la présente espèce soit marquée par des considérations humanitaires impérieuses comme celles qui caractérisaient l’affaire D. précitée.
  32. En conclusion, pour la Cour, l’éloignement de la requérante vers le Cameroun n’emporterait pas de violation de l’article 3 de la Convention.


  33. .  Vu cette conclusion et les circonstances de l’affaire, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief de la requérante sous l’angle de l’article 2.
  34. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION DURANT LA DETENTION


  35. .  La requérante allègue qu’elle a été victime durant sa détention de traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 3 de la Convention précité.
  36. A.  Sur la recevabilité


  37. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  38. B. Sur le fond

    1.  Arguments des parties


  39. .  La requérante soutient qu’elle a été soumise à une souffrance et à une détresse qui ont excédé le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention en raison du fait que les autorités belges l’ont maintenue en détention tout en ne lui prodiguant pas les soins nécessaires alors même que le service médical de l’OE était dûment informé de la gravité, du caractère évolutif de son état de santé et de l’urgence d’un traitement.
  40. Elle fait valoir que le service médical de l’OE était informé au moins depuis le 23 décembre 2009 de son affection par le VIH et que les 20 et 27 janvier 2010, il fut informé des résultats des analyses menées par l’Institut des maladies tropicales d’Anvers recommandant une mise rapide sous traitement ARV sous peine d’une évolution rapide et d’une fin proche et attestant d’une baisse des CD4. Or, ce n’est que le 9 février 2010 qu’elle fut pour la première fois examinée à l’initiative du centre, par un service spécialisé, et aucune médication ne lui fut administrée en relation avec son affection par le VIH avant le 1er mars 2010 malgré la dégradation de son état de santé.

    La requérante reproche aux autorités belges d’avoir été négligentes et passives malgré les informations dont elles disposaient et d’avoir retardé au maximum la mise en place d’un traitement pour gagner du temps et procéder à son éloignement prévu pour le 23 février 2010. Elle soutient que la baisse rapide et significative entre le 15 décembre 2009, la veille de son placement en centre fermé, et le 25 janvier 2010, de son taux de lymphocytes CD4 de 254 à 194 par mm3 de sang est le résultat de ce défaut de soins et que le déficit de son système immunitaire est à l’origine de la dégradation de son état de santé et des souffrances subies durant la détention.


  41. .  Selon le Gouvernement, il faut tenir compte de ce que la requérante a évoqué son état de santé pour la première fois le 13 octobre 2009 dans le cadre de la requête de mise en liberté et qu’elle a attendu le 22 décembre 2009 pour faire des démarches en vue de la régularisation de son séjour en Belgique avec l’introduction d’une demande d’autorisation de séjour pour raisons médicales.
  42. S’agissant du suivi et du traitement, le Gouvernement soutient avoir agi avec toute la diligence requise. Dès que l’état de santé de la requérante a été connu de l’OE et durant toute la période de détention qui a débuté le 17 décembre 2009, elle a été suivie par le médecin du centre, spécialisé dans le suivi de patients atteints par le VIH. Le Gouvernement fait valoir que, dès le 4 février 2010, dans le cadre de la requête de mise en liberté, le Conseil de l’Etat s’est enquis auprès de l’avocat de la requérante du type de médication qui devait lui être administré. Il faut également avoir égard au fait que cette requête a été rejetée le 24 février 2010 au motif, précisément, que la requérante bénéficiait des soins appropriés et que cela n’avait pas été mis en doute à l’audience. En effet, entre-temps, il s’est avéré qu’elle avait interrompu son traitement pendant un an et que des examens complémentaires et spécialisés devaient être effectués pour déterminer le traitement adéquat. Or, dès que le traitement médical spécifique a été déterminé concrètement, le médecin du centre a fait le nécessaire pour qu’il soit administré.

     


  43. Appréciation de la Cour
  44.  


  45. .  La Cour a rappelé sa jurisprudence relative à l’article 3 et à la privation de liberté des personnes gravement malades ainsi que les principes qui s’en dégagent dans l’arrêt Aleksanian c. Russie (no 46468/06, §§ 133-140, 22 décembre 2008). Elle a notamment souligné que trois éléments au moins devaient être pris en considération dans ce domaine : les pathologies dont est atteint l’intéressé, le caractère approprié de l’assistance et des soins médicaux fournis en détention et l’opportunité de maintenir la détention compte tenu de l’état de santé de l’intéressé (idem, § 137).

  46. .  En l’espèce, s’agissant du premier aspect, la Cour note que la requérante, vivant avec le VIH, est atteinte d’une maladie grave et incurable. Il n’est pas contesté que son état de santé s’est dégradé et que son affection au VIH a progressé durant la période de détention litigieuse comme le montrent la baisse, attestée médicalement, de son taux de CD4 et l’immunodépression qui a suivi (paragraphes 47 et 49 ci-dessus). De plus, bien qu’aucun médecin n’en ait attesté directement, il apparaît fort probable que les souffrances dont s’est plaint la requérante durant sa détention résultaient de ce déficit immunitaire.

  47. .  La Cour rappelle toutefois que la seule détérioration de l’état de santé, même si elle soulève prima facie des interrogations quant à l’adéquation du traitement dispensé durant la détention, ne suffit pas pour conclure à un manquement de l’Etat à remplir ses obligations positives sous l’angle de l’article 3 de la Convention s’il peut être établi par ailleurs que les autorités internes compétentes ont eu recours à toutes les mesures médicales raisonnables en vue d’empêcher la progression de la maladie.

  48. .  A cet égard, la Cour note que les autorités belges ont été informées que la requérante était atteinte par le VIH dans le cadre de la première période de détention en centre fermé subie par la requérante, au plus tôt fin septembre 2009, selon les dires de la requérante (paragraphe 39, ci-dessus), et au plus tard dans le cadre de la première requête de mise en liberté introduite le 12 octobre 2009 (paragraphe 21, ci-dessus). Le certificat médical versé au dossier et délivré le 9 octobre 2009 par Médecins du Monde faisait état d’un pronostic vital engagé. Celui-ci fut confirmé par l’Institut des maladies tropicales d’Anvers le 15 décembre 2009 et ensuite, le 18 janvier 2010, à la lumière des examens effectués, ainsi que le 30 janvier 2010 par un médecin extérieur au centre (paragraphes 41, 47 et 51, ci-dessus). Le service médical de l’OE en fut chaque fois dûment informé par le conseil de la requérante (paragraphes 42, 47 et 52, ci-dessus).

  49. .  Le Gouvernement fait valoir qu’au moment où la requérante a été placée pour la deuxième fois en centre fermé le 17 décembre 2009, elle ne suivait aucun traitement ARV et qu’elle avait abandonné depuis un an environ le traitement qu’elle prenait auparavant. Rappelant le caractère absolu de l’interdiction de la torture et les peines et traitements inhumains ou dégradants quels que soient les agissements de la personne concernée (voir, parmi beaucoup d’autres, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 90, CEDH 2000-XI), la Cour estime ne pas devoir prendre cette circonstance en considération du fait que la requérante avait, préalablement à la période de détention litigieuse, prit les dispositions nécessaires à son suivi médical auprès de l’Institut des maladies tropicales d’Anvers et que des rendez-vous avaient été fixés afin d’effectuer des examens complémentaires pour faire le point sur l’évolution de l’affection et déterminer de quel traitement elle avait besoin (paragraphe 41, ci-dessus).

  50. .  Or, la Cour constate que, non seulement, du fait de son placement en détention, la requérante ne put se rendre à ces rendez-vous mais que ce n’est que le 9 février 2010 qu’elle fut examinée, pour la première fois sur initiative de l’OE, par les services de l’hôpital Erasme, lesquels se déclarèrent choqués par le manque de diligence des autorités belges (paragraphe 55, ci-dessus). De l’avis de la Cour, ces circonstances, qui ont eu pour conséquence de retarder la détermination du traitement approprié, sont entièrement imputables aux autorités belges.

  51. .  Enfin, bien que les parties soient en désaccord quant au moment à partir duquel la requérante a effectivement reçu le traitement dont elle avait besoin, la Cour tient pour établi, sur la base du rapport rédigé par le médecin du centre fermé le 11 mars 2010, que le traitement ARV prescrit le 26 février 2010 par l’Institut des maladies tropicales a été administré à la requérante le 1er mars 2010 (paragraphe 62, ci-dessus).

  52. .  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que les autorités n’ont manifestement pas agi avec la diligence requise en ne prenant pas, avant le 1er mars 2010, toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour protéger la santé de la requérante et empêcher la dégradation de son état de santé. De l’avis de la Cour, cette situation a porté atteinte à la dignité de la requérante et, combinée avec l’état de détresse résultant de la perspective d’un éloignement, a constitué pour elle une épreuve particulièrement difficile allant au-delà du niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et à l’affection dont elle était atteinte et s’analyse en traitements inhumains et dégradants.

  53. .  Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.
  54. III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 COMBINÉ AVEC LES ARTICLES 2 ET 3 DE LA CONVENTION


  55. .  La requérante se plaint de ne pas avoir bénéficié d’un recours effectif devant les instances belges pour faire valoir ses griefs tirés des articles 2 et 3 de la Convention. Elle invoque l’article 13 de la Convention qui est formulé comme suit :
  56. « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

    1. Arguments des parties

    101.  La requérante allègue que les autorités belges ont mené la procédure d’expulsion sans avoir évalué le risque réel qu’elle encourait au Cameroun de subir des traitements contraires à l’article 3 en raison de son état de santé. En effet, l’avis du fonctionnaire-médecin joint à la décision de l’OE du 12 janvier 2010 rejetant sa demande de séjour temporaire pour raison médicale, selon lequel les ARV étaient disponibles au Cameroun, a été rendu alors qu’aucune investigation n’avait été entreprise pour poser un diagnostic. Les autorités ignoraient donc les traitements dont elle avait besoin et le fait qu’elle avait développé une résistance à plusieurs médicaments.

    Elle soutient ne pas avoir bénéficié d’un recours effectif devant le CCE, alors qu’elle avait fait valoir des griefs défendables tirés des articles 2 et 3 de la Convention, le CCE ne les a pas examinés dans son arrêt du 23 décembre 2009 et s’est contenté de rejeter sa demande de suspension en extrême urgence de l’ordre de quitter le territoire du 17 décembre 2009 sans tenir compte de la situation en fait.


  57. .  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. Il soutient qu’en choisissant la procédure de suspension en extrême urgence, la requérante a elle-même réduit à un strict minimum les droits de la défense et l’instruction de la cause et que, contrairement à ce qu’allègue la requérante, le CCE a néanmoins motivé sa décision en reprenant tous les griefs invoqués par la requérante tout en concluant que celle-ci était à l’origine du préjudice allégué en n’ayant pas préalablement tenté de régulariser sa situation. Le Gouvernement rappelle que la Cour a elle-même estimé dans l’affaire Quraishi c. Belgique (requête no 6130/08, décision du 12 mai 2009) que la procédure en extrême urgence devant le CCE avait un caractère effectif.
  58. 2. Appréciation de la Cour


  59. .  La Cour rappelle qu’elle a jugé que l’état de la requérante n’était pas critique au sens donné dans l’arrêt N. précité et que son éloignement vers le Cameroun n’emporterait pas violation de l’article 3 de la Convention (paragraphe 85 ci-dessus). Ce constat de non-violation ne signifie pourtant pas que les griefs tirés des articles 2 et 3 échappent à l’empire de l’article 13 (voir, mutatis mutandis Nuri Kurt c. Turquie, no 37038/97, §§ 116-117, 29 novembre 2005). La Cour ne les a pas déclarés irrecevables et les a examinés au fond. En tout état de cause, eu égard à l’enjeu humanitaire de ce type d’affaires qui soulèvent des questions de vie ou de mort, la Cour ne saurait considérer que la présence de considérations exceptionnelles empêchant un éloignement au sens donné par la Cour dans l’arrêt D. précité puisse être exclue ab initio. Au contraire, la Cour estime qu’en soutenant que son éloignement vers le Cameroun porterait atteinte aux articles 2 et 3 de la Convention, la requérante avait prima facie un grief défendable à faire valoir et que l’article 13 s’applique.

  60. .  La requérante reproche à l’OE d’avoir mené à bien la procédure en vue de son éloignement sans savoir de quelle thérapie elle avait besoin et, donc, sans avoir évalué les possibilités réelles d’un traitement au Cameroun et le risque d’y subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention.
  61. La Cour observe que ce grief a été formulé sous l’angle de l’article 3 de la Convention. Toutefois, étant maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (voir, parmi d’autres, Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil 1998-I, p. 223), elle considère qu’il pose en substance la question de savoir si la requérante a bénéficié d’un recours effectif devant les autorités belges pour faire valoir son grief tiré du risque d’être exposée à des traitements inhumains et dégradants en cas d’éloignement vers le Cameroun et doit donc être examiné sous l’angle de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention.


  62. .  La Cour rappelle que compte tenu de l’importance qu’elle attache à l’article 3 et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements, l’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 exige un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l’article 3 et implique, sous réserve d’une certaine marge d’appréciation des Etats, que l’organe compétent puisse examiner le contenu du grief et offrir un redressement approprié (Jabari c. Turquie, no 40035/98, §§ 48 et 50, CEDH 2000-VIII, M.S.S. précité, §§ 293 et 387, M. et autres c. Bulgarie, no 41416/08, § 127, 26 juillet 2011).

  63. .  La Cour constate qu’en l’espèce l’évaluation du risque encouru sous l’angle de l’article 3 de la Convention en raison de l’état de santé de la requérante a été envisagée dans le seul cadre de la procédure de demande d’autorisation de séjour pour raisons médicales prévue par l’article 9ter de la loi sur les étrangers. Il s’agit d’une procédure spécifique confiée à l’OE dans laquelle un fonctionnaire médecin est consulté afin de déterminer si l’état de santé des demandeurs est tel qu’il entraîne un risque sous l’angle de l’article 3 de la Convention si aucun traitement adéquat n’existe dans leur pays d’origine.
  64. La Cour constate que l’avis du fonctionnaire médecin sur lequel se fonde la décision de l’OE du 12 janvier 2010 refusant la régularisation de la requérante pour raisons médicales énumère une série d’informations et de considérations générales sur la disponibilité des ARV au Cameroun et contient une description des infrastructures médicales qui les dispensent. Au moment de prendre cette décision, les informations dont disposait le service médical de l’OE se limitaient au fait que la requérante était atteinte par le VIH, qu’elle avait pris et arrêté une trithérapie et que son taux de CD4 s’élevait à 254 par mm3 de sang en décembre 2009. Aucun examen médical n’ayant encore été mené à son terme en vue de faire le point sur l’évolution de l’affection de la requérante, le fonctionnaire médecin ignorait le type de traitement dont elle avait besoin. Ce n’est, en effet, que le 9 février 2010 que des examens ont été menés à l’initiative des autorités belges en vue de déterminer le traitement adéquat et le 26 février 2010 que l’OE a été informé par l’Institut des maladies tropicales de ce que la requérante avait développé des résistances et du traitement adéquat. Saisi d’un recours en annulation contre la décision de l’OE, le CCE a ensuite considéré, dans son arrêt du 19 avril 2010, que l’OE avait correctement motivé sa décision compte tenu des informations disponibles au moment de rendre sa décision.


  65. .  Dans ces conditions, la Cour est forcée de constater que les autorités belges ont tout simplement fait l’économie d’un examen attentif et rigoureux de la situation individuelle de la requérante pour conclure à l’absence de risque sous l’angle de l’article 3 en cas de renvoi au Cameroun et poursuivre la procédure d’éloignement décidée le 17 décembre 2009.
  66. La Cour en conclut que la requérante n’a pas bénéficié d’un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention et qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3.


  67. .  Vu cette conclusion, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de se pencher sur la recevabilité et le bien-fondé de l’autre volet du grief tiré de l’absence de recours effectif contre l’ordre de quitter le territoire du 17 décembre 2009 ni d’examiner les griefs de la requérante sous l’angle de l’article 13 combiné avec l’article 2.
  68. IV.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 f) DE LA CONVENTION


  69. .  La requérante se plaint que sa détention ne respectait pas les voies légales, était arbitraire et disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi et invoque une violation de l’article 5 § 1 f) de la Convention qui est formulé comme suit :
  70. « 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

    (...)

    f)  s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »

    A.  Sur la recevabilité


  71. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  72. B. Sur le fond

    1. Arguments des parties


  73. .  La requérante soutient premièrement que sa détention en centre fermé ordonnée le 17 décembre 2009 était illégale. La loi sur les étrangers prévoit en effet que la détention ne peut être ordonnée qu’en vue de l’expulsion ; or, par application de la circulaire du 13 septembre 2005, une telle finalité ne pouvait être poursuivie en l’espèce puisque la décision relative à la déclaration de mariage n’avait pas encore été prise. La requérante allègue en outre que, contrairement aux exigences de la loi en matière de motivation formelle des actes administratifs, la décision du 17 décembre 2009 de l’expulser et de la placer en détention n’était pas adéquatement motivée en fait en ce qu’elle ne tenait pas compte de l’avis des médecins de ne pas la renvoyer au Cameroun.
  74. Elle soutient deuxièmement que son maintien en détention après le 4 février 2010 n’était pas non plus compatible avec le droit interne. Elle aurait, en effet, dû être libérée par une application combinée de la loi sur les étrangers et de la loi relative à la détention préventive qui veut qu’en cas de dépassement par la Cour de cassation du délai de quinze jours pour se prononcer sur le pourvoi formé contre le maintien en détention, l’intéressé soit libéré. Or, en l’espèce, la Cour de cassation s’est prononcée le 16 février 2010, soit près d’un mois après que la chambre des mises en accusation ait rendu son arrêt.

    Enfin, la requérante soutient que sa détention était arbitraire, d’une durée excessive et disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi. Cela résulte, selon elle, des éléments suivants : l’ordre de quitter le territoire était dépourvu de base légale et aurait dû être suspendu en application de la circulaire précitée ; la détention a été ordonnée alors même que l’OE était informé de la gravité de son état de santé et du pronostic vital mitigé et aucune mesure ne fut prise avant le 1er mars 2010 pour la soigner ; du fait de la détention, elle a été séparée de son conjoint qui est son unique raison pour combattre la maladie ; engagée depuis plusieurs années dans cette relation stable et dans la perspective de leur mariage, la requérante dispose d’une adresse connue des services de police et de l’OE ; la détention a été ordonnée et maintenue en dépit du fait qu’il était établi que la requérante n’aurait pas accès au Cameroun aux médicaments et soins médicaux requis par son état.


  75. .  Le Gouvernement soutient que la détention et le maintien de la requérante ont été décidés conformément à l’article 7 de la loi sur les étrangers en raison du séjour illégal de la requérante en Belgique et n’ont pas excedé le délai prévu par cette disposition. Il souligne que l’illégalité du séjour de la requérante, qu’elle n’a jamais contesté, est un fait punissable et constitue une atteinte à la sécurité de l’Etat ainsi que le prévoit la loi sur les étrangers. Le refus répété de la requérante de donner suite aux différents ordres de quitter le territoire rendait, donc, légitime son maintien en détention. De plus, la requérante a pu faire valoir ses arguments devant les juridictions belges qui les ont réfutés confirmant la légalité de sa détention et considérant notamment que la circulaire invoquée par la requérante n’avait pas force contraignante et que la perspective d’un mariage ne l’autorisait pas à séjourner en Belgique.
  76. 2. Appréciation de la Cour

    a)  Les principes applicables


  77. .  La Cour rappelle que l’article 5 consacre un droit fondamental, la protection de toute personne contre les atteintes arbitraires de l’Etat à sa liberté. Toute privation de liberté doit relever de l’une des exceptions prévues aux alinéas a) à f) de l’article 5 § 1. Ces exceptions sont énumérées de manière exhaustive et seule une interprétation étroite cadre avec le but de cette disposition (Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 43, 29 janvier 2008, Jusic c. Suisse, no 4691/06, § 67, 2 décembre 2010).

  78. .  Parmi ces exceptions figure l’alinéa f) qui permet aux Etats de restreindre la liberté des étrangers dans le cadre du contrôle de l’immigration (Saadi précité, § 64). Si les Etats jouissent, en effet, du « droit indéniable de contrôler souverainement l’entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire » (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 41, Recueil 1996-III) et ont, corollairement, la faculté de placer en détention des candidats à l’immigration ayant sollicité - par le biais d’une demande d’asile ou non -, ce droit doit s’exercer en conformité avec les dispositions de la Convention (Amuur précité, § 41) et la Cour doit avoir égard à la situation particulière de ces personnes lorsqu’elle est amenée à contrôler les modalités d’exécution de la mesure de détention à l’aune des dispositions conventionnelles (Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 100, 24 janvier 2008).

  79. .  La privation de liberté doit, en outre, être « régulière ». En cette matière, la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure. S’il incombe au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne, il en va autrement dans les matières où la Convention renvoie directement à ce droit, comme ici: en ces matières, la méconnaissance du droit interne entraîne celle de la Convention, de sorte que la Cour peut et doit exercer un certain contrôle pour rechercher si le droit interne - dispositions légales ou jurisprudence - a été respecté (voir, parmi d’autres, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 46, série A no 33, Jusic précité, § 68).

  80. .  L’article 5 § 1 exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but consistant à protéger l’individu contre l’arbitraire (Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 74, CEDH 2007-II, Saadi précité, § 67).

  81. .  Pour ne pas être taxée d’arbitraire, une mesure privative de liberté prise sur le fondement de l’article 5 § 1 f) doit se faire de bonne foi et être étroitement liée au motif de détention invoqué par le Gouvernement (Saadi précité, § 74). En ce qui concerne le but visé par le deuxième volet de l’article 5 § 1 f), la Cour considère que, tant qu’un individu fait l’objet d’une « procédure d’expulsion en cours » contre lui, cette disposition n’exige pas que sa détention fût en outre considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir, comme le prévoit l’article 5 § 1 c) (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 112, Recueil 1996-V).

  82. .  En outre, le lieu et les conditions de détention doivent être appropriés (Saadi précité, § 74, Gebremedhin [Gaberamadhien] précité, § 74). Un lien doit exister entre le motif invoqué pour la privation autorisée et le lieu et le régime de détention (Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, § 46, Recueil 1998-V, Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga précité, § 53). La Cour ne perd pas de vue à cet égard que les mesures de détention s’appliquent à des ressortissants étrangers qui, le cas échéant, n’ont pas commis d’autres infractions que celles liées au séjour (Riad et Idiab précité, § 77).
  83. 119.  Enfin, la durée de cette mesure ne doit pas excéder le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi (ibidem). Ainsi, s’agissant du deuxième volet de l’article 5 § 1 f), si la procédure d’expulsion n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de cette disposition (Chahal précité, § 113, A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 164, 19 février 2009).

    120.  La Cour a également indiqué que la mise en œuvre d’une mesure provisoire est, en elle-même, sans incidence sur la conformité à l’article 5 § 1 (Gebremedhin [Gaberamadhien] précité, § 74). Le fait que l’application d’une telle mesure empêche provisoirement la poursuite de la procédure d’expulsion au sens du deuxième volet de l’article 5 § 1 f) ne rend pas irrégulière une détention, à condition que les autorités envisagent toujours l’expulsion et que le prolongement de la détention ne soit pas déraisonnable (S.P. c. Belgique, déc., no 12572/08, 14 juin 2011).

     

    b)  L’application des principes en l’espèce


  84. .  En l’espèce, la requérante avait fait l’objet d’une première mesure d’expulsion le 22 septembre 2009 motivée par le caractère illégal de son séjour. Elle avait ensuite été une nouvelle fois sommée de quitter le territoire le 16 octobre 2009. La requérante ne pouvait donc pas ignorer qu’elle était en séjour illégal et qu’elle encourait une arrestation en vue d’un éloignement. La demande de suspension de l’ordre de quitter le territoire du 17 décembre 2009, pris pour les mêmes motifs d’illégalité du séjour, fut rejetée par le CCE le 23 décembre 2009. La Cour estime que l’on se trouve dans un cas relevant du deuxième volet de l’article 5 § 1 f) qui autorise l’arrestation ou la détention régulières d’une personne contre laquelle une procédure d’expulsion est en cours, étant donné qu’une telle procédure était en cours lors du placement de la requérante en détention le 17 décembre 2009.

  85. .  La Cour observe que tant la privation de liberté du 17 décembre 2009 que la décision de prolonger la détention de la requérante du 16 février 2010 ont été décidées en application de l’article 7 de la loi sur les étrangers. En vertu de cette disposition, l’étranger qui n’est pas autorisé à séjourner en Belgique peut être placé en détention le temps strictement nécessaire à l’exécution de la mesure d’éloignement sans que la durée de la détention puisse dépasser deux mois. Une prolongation peut être décidée à condition que les démarches en vue de l’éloignement aient été entreprises, soient poursuivies avec diligence et qu’il subsiste une possibilité d’éloigner effectivement l’étranger dans un délai raisonnable.

  86. .  En l’espèce, la décision de prolongation de la détention fixait une date de rapatriement au 23 février 2010 mais ce rapatriement fut empêché par l’indication de la mesure provisoire par la Cour le 22 février 2010.
  87. Saisie dans le cadre de la procédure de mise en liberté, la cour d’appel d’Anvers a confirmé que le maintien en détention était conforme à la loi et a considéré que le respect de la mesure provisoire indiquée par la Cour n’empêchait pas que l’expulsion puisse avoir lieu dans le délai légal tout en tenant compte de la décision définitive que prendrait la Cour. Si la Cour partage cet avis en ce que l’indication de la mesure provisoire n’a pas d’incidence en tant que telle sur la légalité de la détention, elle estime que celle-ci ne saurait toutefois pas reposer sur la perspective de voir la Cour se prononcer endéans le délai prévu par la législation belge.


  88. .  Tout en reconnaissant que le délai légal de détention n’a pas été dépassé, la Cour observe que les autorités connaissaient l’identité exacte de la requérante, qu’elle résidait à une adresse fixe connue des autorités, qu’elle s’était toujours présentée aux convocations de l’OE et qu’elle avait entamé plusieurs démarches - déclaration de mariage et demande d’autorisation de séjour temporaire pour raisons médicales - en vue de régulariser sa situation. Elle rappelle aussi que la requérante était atteinte par le VIH, que son état de santé s’était dégradé durant sa détention et que, si elle avait été libérée, elle aurait été dépendante de l’aide médicale d’urgence qu’elle avait obtenue en décembre 2009. Malgré cette situation, les autorités n’ont pas envisagé une mesure moins sévère, telle que l’autorisation de séjour temporaire, pour sauvegarder l’intérêt public de la détention et éviter de maintenir en détention la requérante pendant sept semaines supplémentaires.
  89. 125.  Dans ces conditions, la Cour n’aperçoit pas le lien entre la détention de la requérante et le but poursuivi par le Gouvernement de l’éloigner du territoire.

    Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 f) de la Convention.

    V.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

    126.  La requérante soutient que, vu son état de santé, en la privant pendant près de quatre mois du soutien psychologique de son conjoint et de soins, les autorités belges ont porté atteinte à son intégrité physique et morale. Elle allègue que sa détention n’était pas proportionnée à l’objectif poursuivi et n’était pas nécessaire dans une société démocratique car les autorités belges disposaient d’une alternative qui aurait permis d’éviter de lui imposer une mesure aussi lourde de conséquences pour sa santé physique et mentale, à savoir l’autorisation de séjour temporaire pour raisons médicales.

    127.  La Cour considère que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et n’a relevé aucune autre motif d’irrecevabilité. Elle doit donc être déclarée recevable.

    128.  Sur le fond, au vu de son analyse et de sa conclusion sous l’angle de l’article 5 § 1 f), la Cour considère qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 8 de la Convention. Il n’y a donc pas lieu d’examiner ce grief.

    VI.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES


  90. .  La requérante se plaint de ne pas avoir bénéficié d’un recours effectif pour faire valoir devant les juridictions nationales que son expulsion portait atteinte à sa vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention. Elle invoque l’article 13 de la Convention précité.

  91. .  Le Gouvernement conteste cette thèse. Il soutient que la requérante a pu invoquer ce grief devant une juridiction et que, malgré la portée limitée de la saisine dans le cadre de la procédure de suspension en extrême urgence, le CCE a répondu, dans son arrêt du 23 décembre 2009, de manière précise et circonstanciée au grief tiré de l’atteinte à la vie familiale en soulignant notamment que les conséquences n’étaient pas irréversibles pour la vie familiale de la requérante.

  92. .  La Cour constate que tel est bien le cas et que la requérante a donc bénéficié d’un « recours effectif » lui ayant permis de contester la mesure d’éloignement devant une juridiction administrative.

  93. .  Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et doit être rejetée conformément à l’article 35 § 4.
  94. VII.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR


  95. .  La Cour rappelle que, conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, le présent arrêt deviendra définitif : a) lorsque les parties déclareront qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ; ou b) trois mois après la date de l’arrêt, si le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre n’a pas été demandé ; ou c) lorsque le collège de la Grande Chambre rejettera la demande de renvoi formulée en application de l’article 43.

  96. .  Elle considère que les mesures qu’elle a indiquées au Gouvernement en application de l’article 39 de son règlement (paragraphe 34 ci-dessus) doivent demeurer en vigueur jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que le collège de la Grande Chambre accepte la demande de renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre qui aurait été formulée par l’une des parties ou les deux en vertu de l’article 43 de la Convention.
  97. VIII.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    135.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage moral


  98. .  La requérante réclame 45 200 EUR au titre du préjudice moral qu’elle a subi à la suite du retard mis à lui administrer les soins nécessités par son état, de la durée particulièrement longue de sa détention ainsi qu’en raison du sentiment d’angoisse provoqué par la décision de refus de séjour et la décision de l’expulser. Cette somme est calculée par jour de détention du 17 décembre 2009 au 9 avril 2010 et est ventilée selon la violation alléguée : 17 050 EUR au titre de l’article 3, 17 050 EUR au titre de l’article 2, 5 550 EUR au titre de l’article 5 et 5 550 EUR au titre de l’article 8.

  99. .  Le Gouvernement demande à la Cour de rejeter cette demande en l’absence de preuve du dommage subi et du lien de causalité avec de prétendues fautes de l’Etat belge et de considérer, si la Cour devait estimer qu’une violation était imputable à l’Etat belge, que le constat de violation constitue en soi la satisfaction au sens de l’article 41 de la Convention.

  100. .  La Cour rappelle qu’elle est en mesure d’octroyer des sommes au titre de la satisfaction équitable prévue par l’article 41 lorsque la perte ou les dommages réclamés ont été causés par la violation constatée, l’Etat n’étant par contre pas censé verser des sommes pour les dommages qui ne lui sont pas imputables (Saadi précité, § 186, M.S.S. précité, § 409).

  101. .  La Cour considère que la requérante a souffert d’un préjudice moral du fait de ses conditions de détention et du caractère « irrégulier » de sa détention. Ce préjudice moral ne se trouve pas suffisamment compensé par les constats de violation de l’article 3 et de l’article 5 § 1 f) de la Convention. Statuant en équité, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 14 000 EUR pour préjudice moral.
  102. B.  Frais et dépens


  103. .  La requérante demande également 10 040 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 13 425 EUR pour ceux engagés devant la Cour. Selon l’« état des frais et honoraires » déposé par l’avocat, les frais sont calculés sur un tarif horaire convenu de 75 EUR. Ces frais ont en partie été pris en charge par le partenaire de la requérante.

  104. .  Le Gouvernement soutient que la requérante avait droit à l’aide juridique gratuite et son avocat était tenu de l’en informer. Il déduit de ce que l’assistance juridique gratuite a été octroyée à la requérante pour les frais de citation devant le tribunal de première instance de Bruxelles que l’avocat a été désigné par le bureau d’assistance judiciaire («BAJ») et qu’il a été ou sera indemnisé par l’Etat belge pour les prestations effectuées. Si, par contre, la requérante a dû exposer des frais pour sa défense car elle ignorait qu’elle avait droit à l’intervention gratuite d’un avocat, elle peut en obtenir remboursement directement auprès de l’avocat ou devant les juridictions belges.

  105. .  L’avocat réplique qu’il a été choisi par la requérante en pleine connaissance de cause et est intervenu sur la base d’honoraires fixés librement. On ne peut soutenir, à son avis, que les étrangers détenus en centre fermé n’auraient pas le libre choix de leur avocat et sont tenus de s’adresser à un avocat désigné par le BAJ.

  106. .  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. De surcroît, les frais de justice ne peuvent être recouvrés que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (mutatis mutandis, Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas,  no 38224/03, § 109, 31 mars 2009). A ce sujet, la Cour rappelle que la requérante a seulement partiellement obtenu gain de cause devant elle.

  107. .  Se livrant à sa propre appréciation sur la base des informations disponibles, la Cour juge raisonnable d’allouer à la requérante la somme de 6 000 EUR tous frais confondus.
  108. C.  Intérêts moratoires


  109. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  110. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 2, 3, 5 § 1 f), 8 et 13 combiné avec l’article 3 et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Décide de continuer à indiquer au Gouvernement, en application de l’article 39 de son règlement, qu’il est souhaitable, dans l’intérêt du bon déroulement de la procédure, de ne pas expulser la requérante jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard ;

     

    3.  Dit que la mise à exécution de la décision de renvoyer la requérante au Cameroun n’emporterait pas violation de l’article 3 de la Convention ;

     

    4.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner les griefs de la requérante sous l’angle de l’article 2 de la Convention ;

     

    5.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention du fait de ses conditions de détention ;

     

    6.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention ;

     

    7.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner les griefs de la requérante sous l’angle de l’article 13 combiné avec l’article 2 de la Convention ;

     

    8.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 f) de la Convention ;

     

    9.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 8 de la Convention ;

     

    10.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

    i)  14 000 EUR (quatorze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    11.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 décembre 2011, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Stanley Naismith                                                                   Danutė Jočienė
            Greffier                                                                              Présidente

    Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion concordante commune aux juges Tulkens, Jočienė, Popović, Karakaş, Raimondi et Pinto de Albuquerque.

    D.J.
    S.H.N.


    OPINION PARTIELLEMENT CONCORDANTE
    COMMUNE AUX JUGES TULKENS, JOČIENĖ, POPOVIĆ, KARAKAŞ, RAIMONDI ET PINTO DE ALBUQUERQUE

    1.  Nous souhaitons préciser notre position en ce qui concerne le constat de non-violation de l’article 3 de la Convention du fait de l’expulsion de la requérante vers le Cameroun.

     

    2.  Atteinte par le VIH, la requérante fait valoir que des considérations humanitaires impérieuses justifient qu’elle ne soit pas renvoyée au Cameroun, vu son état de santé. Outre que la thérapie qui lui a été prescrite ne semble pas disponible au Cameroun, les médicaments nécessaires dans l’immédiat ne seraient pas ou plus subventionnés et donc, dans les faits, inaccessibles. A cela s’ajoutent les insuffisances du suivi biologique et notamment du bilan thérapeutique et des mesures de charges virales. La requérante fait valoir qu’en tout état de cause, son espérance de vie ne serait pas supérieure à douze mois, ce qui n’est pas contesté.

     

    3.  La Cour admet, ainsi qu’en attestent, s’il en est besoin, les certificats médicaux produits devant les autorités internes et devant elle, que, comme toutes les personnes atteintes par le VIH dans sa situation, « priver la requérante de ces médicaments aura pour conséquence de détériorer son état de santé et d’engager son pronostic vital à court ou moyen terme » (paragraphe 81 de l’arrêt).

     

    4.  Elle observe toutefois que le grief de la requérante tiré de l’article 3, fondé sur son état de santé et sur l’absence de traitement médical apte à soigner sa maladie dans son pays d’origine, est un grief similaire à celui que la Cour a examiné dans l’arrêt N. c. Royaume-Uni du 27 mai 2008 (paragraphe 80 de l’arrêt). Dans cette affaire, la Grande Chambre a dégagé des principes concernant l’expulsion des personnes gravement malades et elle a fixé le seuil de gravité de l’article 3 : « [L]e fait qu’en cas d’expulsion de l’Etat contractant la requérante connaîtrait une dégradation importante de sa situation, et notamment une réduction significative de son espérance de vie, n’est pas en soi suffisant pour emporter violation de l’article 3 » (§ 42). En d’autres termes, il faut donc des considérations humanitaires encore plus impérieuses et que la personne soit à un stade ultime de la maladie, proche de la mort, pour que l’éloignement puisse, comme dans l’arrêt D. c. Royaume-Uni du 2 mai 1997 qui sert de référence, emporter violation de l’article 3 de la Convention.

     

    5.  Comme il n’est pas établi que tel est le cas en l’espèce, nous nous estimons tenus, afin de préserver la sécurité juridique, de suivre l’approche de la Grande Chambre dans l’affaire N. c. Royaume-Uni.

    6.  Nous pensons cependant qu’un seuil de gravité aussi extrême - être quasi-mourant - est difficilement compatible avec la lettre et l’esprit de l’article 3, un droit absolu qui fait partie des droits les plus fondamentaux de la Convention et qui concerne l’intégrité et la dignité de la personne[1]. A cet égard, la différence entre une personne qui est sur son lit de mort ou dont on sait qu’elle est condamnée à bref délai nous paraît infime en termes d’humanité. Nous espérons que la Cour puisse un jour revoir sa jurisprudence sur ce point.



    [1].  Fr. Julien-Laferrière, « L’éloignement des étrangers malades : faut-il préférer les réalités budgétaires aux préoccupations humanitaires ? », Rev. trim. dr. h., n° 77, 2009, pp. 261 et s.


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