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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> GAMZE ULUDAG v. TURKEY - 21292/07 - Chamber Judgment (French text) [2013] ECHR 1263 (10 December 2013) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/1263.html Cite as: [2013] ECHR 1263 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE GAMZE ULUDAĞ c. TURQUIE
(Requête no 21292/07)
ARRÊT
STRASBOURG
10 décembre 2013
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Gamze Uludağ c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Guido Raimondi,
président,
Işıl Karakaş,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Egidijus Kūris, juges,
et de Stanley Naismith, greffier
de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 novembre 2013,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 21292/07) dirigée contre la République de Turquie et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Gamze Uludağ (« la requérante »), a saisi la Cour le 10 mai 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante a été représentée par Me E. Sutaş, avocat à İzmir. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3. Le 14 novembre 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. La requérante est née en 1975 et réside à İzmir.
5. Le 9 novembre 2006, elle fut arrêtée au terme de la perquisition de son domicile. Elle était soupçonnée, sur la base de rapports de surveillance policière et d’écoutes téléphoniques, d’avoir participé à un trafic de stupéfiants et d’avoir réceptionné un colis suspect. Lors de la perquisition, sept grammes de cannabis furent saisis.
6. Le même jour, pour éviter de mettre en péril l’opération de surveillance policière, la requérante fut déférée au parquet pour possession et usage de stupéfiants et libérée au terme de son audition.
7. Le 26 janvier 2007, elle fut arrêtée au terme d’une nouvelle perquisition de son domicile, dans le cadre de la même enquête. Aucun produit stupéfiant ne fut retrouvé à cette occasion.
8. Le 27 janvier 2007, le juge près le tribunal d’instance pénal d’İzmir (« le juge »), se fondant sur l’article 153 § 2 du code de procédure pénale (CPP), décida de limiter pour les suspects et leurs avocats l’accès aux procès-verbaux de surveillance technique et aux actes d’enquête.
9. Toujours le 27 janvier 2007, la requérante fut interrogée par la police, en présence de son avocate. Lors de cet interrogatoire, la police donna lecture des comptes rendus d’écoutes téléphoniques concernant l’intéressée et interrogea celle-ci sur le contenu des conversations. La requérante donna des explications concernant certaines conversations, indiqua ne pas se souvenir de certaines autres et contesta être l’interlocutrice d’une autre encore. Le contenu de ces conversations fut transcrit dans le procès-verbal d’interrogatoire.
10. Le 28 janvier 2007, la requérante fut traduite devant le juge qui ordonna son placement en détention provisoire compte tenu de la nature et de la qualification de l’infraction reprochée, de l’état des preuves et du risque de fuite et d’altération des preuves.
11. Le 30 janvier 2007, l’avocate de la requérante forma opposition contre cette décision. Elle soutint qu’il n’existait pas de soupçons sérieux quant à la commission de l’infraction reprochée à sa cliente et ajouta que l’élément constitutif de l’infraction, à savoir l’obtention d’un gain matériel, faisait défaut. Elle expliqua que la requérante avait rejeté la demande des autres suspects et qu’elle avait ainsi refusé de servir d’intermédiaire lors de transactions, et s’appuya à cet égard sur les comptes rendus des écoutes téléphoniques. Selon l’avocate, seul le délit d’usage de stupéfiants était constitué et sa cliente ne présentait aucun risque de fuite ou d’altération des preuves.
12. Le 1er février 2007, la 6e cour d’assises d’İzmir, statuant sur dossier, rejeta l’opposition et ordonna le maintien en détention de la requérante compte tenu de la nature et de la qualification de l’infraction reprochée et de l’état des preuves.
13. Le 6 février 2007, l’avocate contesta le placement en détention de la requérante également devant le tribunal correctionnel. Le 9 février 2007, ce tribunal estima que, l’opposition ayant été examinée par la cour d’assises, il n’y avait pas lieu de prendre une nouvelle décision à cet égard.
14. Les 26 février, 26 mars et 20 avril 2007, le juge ordonna, dans le cadre d’examens d’office, le maintien en détention provisoire de la requérante compte tenu de la nature de l’infraction reprochée et de l’état des preuves. Il précisa que les éléments de preuve n’avaient pas encore été recueillis dans leur totalité.
15. Le 27 avril 2007, le procureur de la République inculpa la requérante et quatre autres personnes pour trafic de stupéfiants et dix autres personnes pour usage de stupéfiants.
16. Le 30 avril 2007, la 6e cour d’assises accepta l’acte d’accusation.
17. Le 3 mai 2007, elle releva que l’affaire relevait de la compétence des cours d’assises spéciales et se déclara incompétente. Elle ordonna également le maintien de la requérante en détention provisoire compte tenu de la nature de l’infraction reprochée, de l’état des preuves et du laps de temps passé en détention.
18. Le 17 juillet 2007, l’avocat de la requérante présenta une demande d’élargissement à la 8e cour d’assises, juridiction désignée pour connaître de l’affaire. Il indiqua que sa cliente n’avait pas comparu devant un juge depuis son placement en détention provisoire et soutint que le dossier ne contenait aucun élément de preuve quant à l’infraction reprochée à sa cliente. Il conclut que, toutes les preuves ayant été selon lui réunies, il n’y avait aucun risque d’altération des preuves.
19. Le 20 juillet 2007, la 8e cour d’assises, statuant sur dossier, rejeta la demande d’élargissement et ordonna le maintien en détention de la requérante au vu de la nature de l’infraction en question, de l’état des preuves et de la persistance des motifs de détention.
20. Le 31 juillet 2007, la requérante adressa elle-même une demande d’élargissement à la 8e cour d’assises, assurant qu’elle ne présentait aucun risque de fuite ou d’altération des preuves.
21. Le 8 août 2007, la cour d’assises, statuant toujours sur dossier, rejeta la demande d’élargissement compte tenu de la nature de l’infraction, de l’état des preuves et du contenu du dossier. Elle releva qu’il n’y avait pas eu d’évolution dans les preuves après la décision de maintien en détention et que les motifs de détention énoncés à l’article 100 du CPP persistaient.
22. Les 20 août et 19 septembre 2007, la 8e cour d’assises, statuant sur dossier dans le cadre d’examens d’office, ordonna le maintien en détention de la requérante compte de tenu de l’infraction reprochée, de l’état des preuves et du contenu du dossier.
23. Le 3 octobre 2007, elle tint sa première audience, au cours de laquelle elle entendit les accusés en leur défense. Au terme de cette audience, elle ordonna la remise en liberté provisoire de l’intéressée compte tenu de la probabilité d’une modification de la qualification de l’infraction reprochée.
24. Le 20 mai 2008, la cour d’assises estima, à la lumière des éléments de preuve figurant dans le dossier, que les faits reprochés à la requérante relevaient non pas du trafic mais de l’usage de stupéfiants. En conséquence, elle prononça une mesure de liberté surveillée à l’égard de l’intéressée.
25. Faute de pourvoi, cette décision devint définitive.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
26. Selon l’article 188 du code pénal, le trafic de stupéfiants est puni de cinq à quinze ans d’emprisonnement.
Selon l’article 191 de ce même code, l’usage de stupéfiants est puni d’une peine d’un à deux ans d’emprisonnement. L’alinéa 2 de cet article prévoit que, dans le cadre d’une procédure pénale diligentée pour usage de stupéfiants, le tribunal peut, avant de rendre son jugement, décider la mise en place d’un traitement médical ou la prise d’une mesure de liberté surveillée. Cette décision produit les mêmes conséquences qu’un sursis au jugement.
27. La détention provisoire est régie par les articles 100 et suivants du code de procédure pénale. D’après cet article, une personne peut être placée en détention provisoire lorsqu’il existe des faits nourrissant à son égard de forts soupçons qu’elle a commis une infraction et que la détention provisoire est justifiée par l’un des motifs énumérés dans cette disposition : risque de fuite et/ou risque d’altération des preuves ou risque de pressions sur des témoins.
28. L’article 153 du code de procédure pénale régit le pouvoir de l’avocat d’examiner le dossier d’enquête. Les parties pertinentes en l’espèce de cette disposition se lisent comme suit :
« Au stade de l’enquête, l’avocat a le droit de prendre connaissance du contenu du dossier et d’obtenir sans frais une copie des documents qu’il souhaite examiner.
Si l’examen du contenu du dossier par l’avocat ou l’obtention par celui-ci d’une copie risque de compromettre l’objectif de l’enquête, ce pouvoir [de l’avocat] peut être limité par décision du juge d’instance pénal, sur demande du procureur de la République.
La disposition de l’alinéa 2 ne s’applique pas en ce qui concerne le procès-verbal de déposition de la personne arrêtée ou du suspect et les rapports d’expertise ainsi que les procès-verbaux relatifs aux autres actes judiciaires pour lesquels les personnes indiquées ont le droit d’être présentes.
A partir de la date d’acceptation de l’acte d’accusation par le tribunal, l’avocat a le droit de prendre connaissance du contenu du dossier et des preuves placées sous protection ; il a le droit d’obtenir sans frais copie de tous les procès-verbaux et documents. (...) »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION
29. La requérante dénonce la durée de sa détention provisoire et reproche au parquet de n’avoir pas finalisé rapidement la phase d’enquête. Elle se plaint d’une violation de l’article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »
30. Le Gouvernement combat cette thèse.
31. La Cour note d’abord que la période à considérer a débuté le 26 janvier 2007 avec l’arrestation de la requérante pour s’achever le 3 octobre 2007 avec la remise en liberté de l’intéressée (paragraphes 7 et 23 ci-dessus). La détention provisoire en question a donc duré environ neuf mois.
32. La Cour rappelle ensuite qu’il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans un cas donné, la durée de la détention provisoire d’un accusé ne dépasse pas la limite du raisonnable. A cette fin, il leur faut examiner toutes les circonstances de nature à révéler ou écarter l’existence d’une véritable exigence d’intérêt public justifiant, eu égard à la présomption d’innocence, une exception à la règle du respect de la liberté individuelle et en rendre compte dans leurs décisions rejetant les demandes d’élargissement. C’est essentiellement sur la base des motifs figurant dans lesdites décisions, ainsi que des faits non controversés indiqués par l’intéressé dans ses recours, que la Cour doit déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 5 § 3 de la Convention (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 154, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII). La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention. Cependant, au bout d’un certain temps, elle ne suffit plus. La Cour doit dans ce cas établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ceux-ci se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle cherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 153, CEDH 2000-IV).
33. En l’espèce, la Cour note que la question du maintien en détention provisoire de la requérante a été régulièrement examinée par les autorités judiciaires nationales. Pour ordonner le maintien en détention provisoire de l’intéressée, celles-ci se sont fondées sur la nature et la qualification de l’infraction reprochée, l’état des preuves et la persistance des motifs de détention - risque de fuite et risque d’altération des preuves.
34. La Cour admet que des raisons plausibles de soupçonner la requérante d’avoir commis l’infraction reprochée ont persisté tout au long de la détention de celle-ci. En effet, les soupçons quant à son implication dans un trafic de stupéfiants étaient fondés sur des preuves concrètes et concluantes ; les écoutes téléphoniques laissaient entendre que la requérante avait servi d’intermédiaire dans le cadre d’un trafic de stupéfiants. S’il est vrai qu’au terme de son procès l’intéressée a été reconnue coupable d’usage de stupéfiants et non de trafic de stupéfiants, la Cour rappelle que les faits donnant naissance à des soupçons ne doivent pas être du même niveau que ceux qui sont nécessaires pour justifier une condamnation (Murray c. Royaume-Uni, 28 octobre 1994, § 55, série A no 300-A).
35. Quant aux autres motifs de détention, la Cour relève que les autorités judiciaires se sont fondées sur la nature de l’infraction en question. Elle note que le code pénal punit de cinq à quinze ans d’emprisonnement l’infraction - trafic de stupéfiants - qui était reprochée à la requérante. Sur ce point, elle rappelle que la lourdeur de la peine encourue est un élément à retenir lors de l’appréciation du risque de fuite. S’il est vrai que la gravité des charges ne peut en soi être de nature à justifier de longues périodes de détention provisoire (Ilijkov c. Bulgarie, no 33977/96, §§ 80-81, 26 juillet 2001), la Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, compte tenu de la nature de l’infraction initialement reprochée à l’intéressée et au vu du laps de temps passé en détention, les autorités judiciaires pouvaient légitimement estimer établie la persistance d’un risque de fuite.
36. La Cour relève également que, à l’issue de la première audience sur le fond de l’affaire, la cour d’assises a ordonné la remise en liberté de la requérante en raison de la probabilité d’une requalification juridique des faits.
37. Dès lors, la Cour estime que les motifs exposés par les autorités judiciaires pour maintenir la requérante en détention peuvent être considérés comme « pertinents » et « suffisants ». En outre, elle n’aperçoit pas de raisons particulières de critiquer la conduite de l’affaire par les autorités compétentes.
38. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que la durée de la détention subie par la requérante ne peut être considérée comme étant excessive. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION
39. La requérante soutient que l’impossibilité qui lui aurait été faite d’accéder au dossier d’enquête l’a privée de l’exercice effectif de son droit de la défense pendant sa détention. Elle dénonce à cet égard une atteinte à son droit à un procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention.
Invoquant l’article 5 de la Convention, elle se plaint également de n’avoir pas comparu devant un juge pendant toute la durée de sa détention.
40. La Cour estime opportun d’examiner ces griefs sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
A. Restriction d’accès au dossier d’enquête
41. La Cour relève que, le 27 janvier 2007, le juge a décidé de limiter, sur le fondement l’article 153 § 2 du code de procédure pénale, l’accès de la requérante et de son avocat au dossier d’enquête pour ne pas compromettre la bonne marche de l’enquête.
42. La Cour note que les décisions de placement et de maintien en détention provisoire de la requérante reposaient essentiellement sur des écoutes téléphoniques. L’accès aux comptes rendus de ces écoutes revêtait donc une importance essentielle dans la contestation de la légalité de la détention de l’intéressée. A cet égard, la Cour observe que, lors de son audition par la police, la requérante, assistée par son avocate, a été interrogée sur les écoutes téléphoniques. Le contenu de ses conversations a été transcrit dans le procès-verbal d’interrogatoire. De même, lorsque la requérante et son avocat ont présenté une demande d’élargissement et formé opposition, ils se sont référés expressément au contenu des comptes rendus des écoutes téléphoniques. Il apparaît ainsi que les documents ayant servi de base au placement et au maintien en détention provisoire de la requérante étaient accessibles pour celle-ci et son avocat. Tant la requérante que son avocat avaient une connaissance suffisante du contenu des documents en question et ils ont eu ainsi la possibilité de contester de manière satisfaisante les motifs invoqués pour justifier la détention provisoire (voir, en ce sens, Ceviz c. Turquie, no 8140/08, §§ 41-44, 17 juillet 2012).
43. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
B. Absence de comparution devant un juge
44. La Cour note que la requérante a été placée en détention provisoire le 27 janvier 2007 et remise en liberté le 3 octobre 2007 à l’issue de la première audience. Pendant toute la durée de sa détention, l’intéressée n’a pas comparu devant les juges appelés à se prononcer sur sa détention ; tant ses demandes d’élargissement que son opposition ont été examinées sans qu’elle eût comparu (paragraphes 12, 19 et 21ci-dessus). La Cour rappelle que le droit d’être entendu par le juge saisi d’un recours contre la détention doit pouvoir être exercé à des intervalles raisonnables (Knebl c. République tchèque, no 20157/05, § 85, 28 octobre 2010). Elle estime que, lorsque la liberté personnelle est en cause, un laps de temps sans comparution qui dure, comme la période dénoncée en l’espèce, près de neuf mois ne peut être qualifié de « raisonnable » (voir, en ce sens, Erişen et autres c. Turquie, no 7067/06, § 53, 3 avril 2012).
45. Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 5 § 4 de la Convention.
III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
46. Bien qu’un grief tiré de l’article 5 § 5 de la Convention ait été initialement communiqué au Gouvernement, il ressort de l’examen du dossier que ce grief n’a pas été valablement soulevé par la requérante.
47. En effet, la requérante le mentionne dans le formulaire de requête pour se plaindre en substance de la durée de la détention provisoire et non pas pour réclamer la réparation prévue à l’article 5 § 5.
48. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
49. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
50. La requérante réclame 20 000 euros (EUR) pour préjudices matériel et moral.
51. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
52. La Cour, n’apercevant pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué, rejette cette demande.
En revanche, statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 1 000 EUR pour dommage moral.
B. Frais et dépens
53. La requérante demande également 3 000 EUR pour frais et dépens, sans fournir aucun justificatif.
54. Le Gouvernement conteste ce montant.
55. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.
Compte tenu de l’absence de documents pertinents et des critères dégagés par sa jurisprudence, la Cour rejette la demande présentée à ce titre.
C. Intérêts moratoires
56. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré d’une absence de comparution devant un juge et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 décembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley Naismith Guido
Raimondi
Greffier Président