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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> GÜLAYDIN v. TURKEY - 37157/09 - HEJUD (French text) [2013] ECHR 138 (12 February 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/138.html
Cite as: [2013] ECHR 138

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE GÜLAYDIN c. TURQUIE

     

    (Requête no 37157/09)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

    STRASBOURG

     

    12 février 2013

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Gülaydın c. Turquie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              Guido Raimondi, président,
              Danutė Jočienė,
              Peer Lorenzen,
              András Sajó,
              Işıl Karakaş,
              Nebojša Vučinić,
              Helen Keller, juges,
    et de Stanley Naismith, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 janvier 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 37157/09) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Mehmet Hida Gülaydın (« le requérant »), a saisi la Cour le 2 juillet 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant a été représenté par Me S. Eren, avocat à Diyarbakır. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

  3. .  Le 3 juin 2010, la Requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
  4. EN FAIT


  5. .  Le requérant est né en 1969 et réside à Diyarbakır.

  6.   Lors des élections locales du 28 mars 2004, le requérant était l’un des scrutateurs à Diyarbakır au nom du Parti social-démocrate populaire (« SHP »).

  7. .  A la fermeture des bureaux de vote, les partisans du DEHAP - un autre parti politique -, auraient vu entre les mains de policiers des sacs contenant des bulletins de vote. Pensant que les bulletins de vote avaient été volés, ils protestèrent contre les policiers. Un affrontement eut alors lieu entre les protagonistes.

  8. .  Les partisans du SHP essayèrent de les raisonner mais en vain.

  9. .  Les forces de l’ordre formèrent d’abord un cordon de sécurité puis firent usage de la force au motif que les partisans du DEHAP empêchaient la circulation en scandant des slogans.

  10. .  Le requérant, qui était sur les lieux, se retrouva soudain au milieu d’un affrontement. Il essaya de changer de direction pour s’éloigner mais les policiers l’appréhendèrent devant le commissariat de Yenişehir.

  11. .  Les policiers le frappèrent. L’intéressé perdit connaissance. Il fut transporté aux urgences de l’hôpital public de Diyarbakır par des personnes témoins de l’incident.

  12. .  Le requérant fut examiné par un médecin. Le rapport médical établi à 23h40 au terme de cet examen indique ce qui suit :
  13. « Le patient est conscient et coopère,

    Œdème et sensibilité sur la face antérieure du bras gauche,

    Œdème et sensibilité sur le thorax gauche,

    Œdème au niveau du vertex,

    Ecchymose sous l’œil droit,

    Fracture costale (10ème côte gauche),

    Fracture du quatrième métacarpien de la main gauche,

    Fracture du cinquième métacarpien de la main gauche. »


  14. .  Le 21 septembre 2004, par l’intermédiaire de son avocat, le requérant déposa une plainte pour mauvais traitements contre les policiers qui l’avaient battu.

  15. .  Le 12 novembre 2004, le dossier d’instruction du requérant fut joint à celui déjà ouvert sous le numéro no 2004/6312[1] devant le parquet de Diyarbakır.

  16. .  Le 19 novembre 2004, le procureur de la République de Diyarbakır entendit le requérant.

  17. .  Le requérant réitéra sa plainte et se plaignit d’avoir été violement battu par les policiers à coups de bâtons. Il affirma ne pas connaître les policiers qui l’avaient brutalisé.

  18. .  A la demande du procureur, le 15 décembre 2004, la direction de la sûreté de Diyarbakır fit parvenir au parquet la liste des agents de police qui étaient en patrouille sur le lieu de l’incident le 28 mars 2004.

  19. .  Le 29 novembre 2005, l’institut médicolégal de Diyarbakır rendit son rapport d’expertise médicale relatif au requérant. Il est rédigé en ces termes :
  20. « Le diagnostic établi selon le rapport médical du 28 mars 2004 a été analysé. Il en ressort que le patient Mehmet Hida Gülaydın souffrait d’un œdème avec sensibilité sur la face antérieure du bras gauche, d’un œdème avec sensibilité sur la partie gauche du thorax, d’une ecchymose sous l’œil droit, d’un œdème au niveau du vertex, d’une fracture de la dixième côte gauche, d’une fracture du quatrième et du cinquième métacarpien de la main gauche ».

     

     

    Conclusion :

    1) Les blessures constatées chez le patient ne sont pas de nature à être soignées par une simple intervention médicale,

    2) Elles ne mettent pas en danger la vie du patient,

    3) Influence des fonctions vitales en raison des fractures : Moyen (Niveau 3)


  21. .  Le 19 septembre 2007, l’avocat du requérant s’informa par courrier auprès du procureur de l’évolution de l’enquête pénale. Il n’obtint aucune réponse.

  22. .  Le 23 juillet 2008, l’avocat du requérant réitéra sa demande d’information sur la suite réservée à sa plainte. Le procureur lui répondit que l’instruction était pendante.

  23. .  Entre temps, une enquête disciplinaire fut ouverte à l’encontre de 22 policiers. A l’issue de cette enquête, il fut conclu qu’aucune responsabilité des policiers mis en cause ne pouvait être engagée faute de preuve tangible.

  24. .  Le 16 mars 2012, le procureur rendit une ordonnance de non-lieu pour cause de prescription.
  25. Le 25 juin 2012, la cour d’assises de Siverek, statuant sur opposition du requérant, confirma l’ordonnance de non-lieu attaquée.

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION


  26. .  Invoquant les articles 3 et 13 de la Convention, le requérant se plaint d’avoir subi de mauvais traitements de la part des policiers. Il se plaint également de n’avoir pas pu bénéficier d’un recours effectif en droit interne.

  27. .  Le Gouvernement s’oppose à ces thèses.

  28. .  La Cour estime opportun d’examiner ces griefs uniquement sous l’angle de l’article 3 de la Convention (Fazıl Ahmet Tamer et autres c. Turquie, no 19028/02, § 91, 24 juillet 2007, Mecail Özel c. Turquie, no 16816/03, § 21, 14 avril 2009, et Nisbet Özdemir c. Turquie, no 23143/04, § 19, 19 janvier 2010).
  29. A.  Sur la recevabilité


  30. .  La Cour constate que la Requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
  31. B.  Sur le fond

    1.  Sur les allégations de mauvais traitements


  32. .  Le requérant réitère ses allégations et se plaint de mauvais traitements infligés par des policiers. Il dénonce une ineffectivité de l’enquête ouverte contre les policiers mis en cause.

  33.   Le Gouvernement soutient qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 3 de la Convention.

  34.   La Cour rappelle que, lorsqu’un individu se trouve privé de sa liberté ou, plus généralement, se trouve confronté à des agents des forces de l’ordre, l’utilisation à son égard de la force physique alors qu’elle n’est pas rendue nécessaire par son comportement porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du droit garanti par l’article 3 (voir, parmi d’autres, R.L. et M.-J.D. c. France, no 44568/98, § 61, 19 mai 2004, Gülizar Tuncer c. Turquie, no 23708/05, § 29, 21 septembre 2010, Umar Karatepe c. Turquie, no 20502/05, § 57, 12 octobre 2010, et Timtik c. Turquie, no 12503/06, § 47, 9 novembre 2010).

  35.   En l’espèce, la Cour note qu’il n’est pas contesté que les blessures constatées lors de l’examen médical du requérant sont survenues dans le cadre des événements du 28 mars 2004. Sur la base du rapport médical présenté par le requérant, établi juste après l’incident litigieux et non contesté par le Gouvernement, la Cour considère que les traitements dont l’intéressé a été victime tombent donc sous le coup de l’article 3 de la Convention.

  36.   Dès lors, il appartient à la Cour de rechercher si la force utilisée était, en l’espèce, proportionnée. A cet égard, la Cour attache une importance particulière aux blessures qui ont été occasionnées et aux circonstances dans lesquelles elles l’ont été (R.L. et M.-J.D., précité, § 68, Rehbock c. Slovénie, no 29462/95, § 72, CEDH 2000-XII, et Klaas c. Allemagne, 22 septembre 1993, §§ 26-30, série A no 269).

  37. .  Sur ce point, la Cour observe au regard des éléments du dossier qu’il n’est pas établi que le requérant ait eu un comportement quelconque qui justifiât un recours à la force contre lui (Kop c. Turquie, no 12728/05, § 33, 20 octobre 2009). A supposer même que le requérant était présent lors du rassemblement, la dispersion de celui-ci ne saurait suffire en soi à expliquer la gravité des coups qui lui ont été portés par les policiers (Güler c. Turquie, no 49391/99, § 46, 10 janvier 2006).

  38. .  Eu égard au rapport médical présenté par le requérant et confirmé par l’institut médicolégal de Diyarbakır (voir paragraphe 17 ci-dessus), la Cour estime qu’en l’espèce, la thèse du Gouvernement ne se fonde pas sur des arguments convaincants. Autrement dit, le Gouvernement ne démontre pas que le recours à la force n’a pas été excessif. Par conséquent, la force employée a été excessive et injustifiée au vu des circonstances.

  39.   Cet usage de la force a eu pour conséquence des lésions qui ont incontestablement causé au requérant une souffrance d’une nature telle qu’elle s’analyse en un traitement inhumain dont l’Etat porte la responsabilité.

  40. .  Il s’ensuit qu’il y a eu violation du volet matériel de l’article 3 de la Convention.
  41. 2.  Sur le caractère effectif des investigations menées


  42. .  La Cour rappelle que, lorsqu’un individu affirme de manière défendable avoir subi, aux mains de la police ou d’autres services comparables de l’Etat, de graves sévices illicites et contraires à l’article 3, cette disposition, combinée avec le devoir général imposé à l’Etat par l’article 1 de la Convention de « reconnaître à toute personne relevant de [sa] juridiction, les droits et libertés définis (...) [dans la] Convention », requiert, par implication, qu’il y ait une enquête officielle effective (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, §§ 102-103, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII, Martinez Sala et autres c. Espagne, no 58438/00, § 156, 2 novembre 2004, et Ay c. Turquie, no 30951/96, § 59-60, 22 mars 2005). Cette enquête doit pouvoir mener à l’identification et à la punition des responsables. S’il n’en allait pas ainsi, nonobstant son importance fondamentale, l’interdiction légale générale de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants serait inefficace en pratique, et il serait possible dans certains cas à des agents de l’Etat de fouler aux pieds, en jouissant d’une quasi-impunité, les droits des individus soumis à leur contrôle (Khachiev et Akaïeva c. Russie, nos 57942/00 et 57945/00, § 177, 24 février 2005, et Menecheva c. Russie, no 59261/00, § 67, CEDH 2006-III).

  43.   La Cour relève d’emblée qu’en l’espèce, à la suite de la plainte déposée par le requérant, une instruction a été ouverte et qu’elle s’est éteinte par la prescription (paragraphe 21 ci-dessus).

  44. .  Or la Cour rappelle avoir déjà jugé, dans des circonstances similaires à celles de l’espèce, que les autorités nationales devaient prendre toutes les mesures positives nécessaires pour agir avec une promptitude suffisante et une diligence raisonnable, de sorte que les auteurs de traitements contraires à l’article 3 ne jouissent pas d’une quasi-impunité (Ciğerhun Öner c. Turquie (no 2), no 2858/07, § 99, 23 novembre 2010, Batı et autres c. Turquie, nos 33097/96 et 57834/00, § 146, CEDH 2004-IV (extraits) et, mutatis mutandis, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, §§ 78-79, CEDH 1999-V).

  45. .  La Cour réaffirme que, dans des circonstances comme celles de l’espèce, la prompte ouverture d’une enquête et la conduite diligente de celle-ci sont capitales pour maintenir la confiance du public et son adhésion à l’Etat de droit et pour prévenir toute apparence de tolérance d’actes illégaux ou de collusion dans leur perpétration (Nurgül Doğan c. Turquie, n72194/01, § 61, 8 juillet 2008, et Batı et autres, précité, § 136).

  46. .  En l’espèce, la Cour considère que l’absence de la promptitude et de la diligence nécessaires dans la conduite de l’enquête a eu pour conséquence d’accorder une quasi-impunité aux auteurs présumés d’actes de violence contre le requérant, rendant ainsi la plainte pénale de l’intéressé ineffective.

  47.   Elle estime également que, loin d’être rigoureux, le système pénal tel qu’il a été appliqué en l’espèce ne pouvait engendrer aucune force dissuasive propre à assurer la prévention efficace d’actes illégaux tels que ceux dénoncés par le requérant (Okkalı c. Turquie, no 52067/99, § 78, CEDH 2006-XII (extraits).

  48.   Partant, il y a eu violation du volet procédural de l’article 3 de la Convention.
  49. II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    A.  Dommage

    42.  Le requérant réclame 50 000 euros (EUR) pour le préjudice matériel et 50 000 EUR pour le préjudice moral qu’il aurait subis.

    43.  Le Gouvernement ne se prononce pas.


  50. .  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 15 000 EUR au titre du préjudice moral.
  51. B.  Frais et dépens


  52. .  Le requérant demande également 2 050 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour. A titre de justificatif, il fournit un décompte horaire.

  53. .  Le Gouvernement ne se prononce pas.

  54. .  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 500 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.
  55. C.  Intérêts moratoires


  56. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  57. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation des volets matériel et procédural de l’article 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :

    i.  15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

    ii.  500 EUR (cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 février 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Stanley Naismith                                                                 Guido Raimondi
            Greffier                                                                               Président



    [1].  Le dossier d’instruction n° 2004/6312 avait été ouvert à la suite de plaintes de journalistes pour mauvais traitements de la part de policiers.


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