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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> VOROZHBA v. RUSSIA - 57960/11 - Chamber Judgment (French Text) [2014] ECHR 1089 (16 October 2014) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/1089.html Cite as: [2014] ECHR 1089 |
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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE VOROZHBA c. RUSSIE
(Requête no 57960/11)
ARRÊT
STRASBOURG
16 octobre 2014
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Vorozhba c. Russie,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Isabelle Berro-Lefèvre,
présidente,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Dmitry Dedov, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 septembre 2014,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 57960/11) dirigée contre la Fédération de Russie et dont une ressortissante de cet État, Mme Tatyana Viktorovna Vorozhba (« la requérante »), a saisi la Cour le 6 septembre 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante a été représentée par Me D.V. Popkov, avocat à Vladivostok. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par M. G. Matiouchkine, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.
3. La requérante allègue, en particulier, que les autorités nationales ont manqué à leur obligation de faciliter l’exécution du jugement rendu en sa faveur fixant la résidence de sa fille à son domicile.
4. Le 13 décembre 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. La requérante est née en 1979 et réside à Vladivostok, région de Primorié.
6. En 2000, la requérante contracta un mariage avec D.V. Le 9 juin 2004, de cette union naquit une fille V. Trois mois plus tard, la requérante quitta son mari et partit avec sa fille à Vladivostok.
7. Le 19 juin 2006, D.V., qui aurait fait usage de la force à l’encontre de la requérante, prit V. et l’emmena à son domicile à Kraskino, situé dans le district Khassanskiy de la région de Primorié.
8. Le 24 octobre 2006, le mariage entre la requérante et D.V. fut dissous.
A. Le jugement ordonnant la remise de l’enfant
9. La requérante intenta une action civile par laquelle elle réclamait la fixation de la résidence de V. à son domicile. D.V. introduisit une action reconventionnelle visant à obtenir la fixation de la résidence de l’enfant chez lui.
10. Le 15 septembre 2009, le tribunal du district Khassanskiy de la région de Primorié (« le tribunal ») accueillit la demande de la requérante, fixant la résidence de V. au domicile de la requérante, et il rejeta l’action de D.V.
11. Le 28 octobre 2009, la cour régionale de Primorié confirma, en cassation, le jugement du 15 septembre 2009.
B. Les tentatives d’exécution du jugement
1. Le refus de D.V. de se conformer au jugement
12. D.V. refusa d’exécuter le jugement de son plein gré. La requérante s’adressa au département régional de Primorié du service fédéral des huissiers de justice (« le service des huissiers ») pour en obtenir l’exécution.
13. Le 19 novembre 2009, l’huissier de justice P. ordonna l’ouverture de la procédure d’exécution du jugement et impartit à D.V. un délai de cinq jours pour remettre l’enfant.
14. À une date non précisée, D.V. demanda au tribunal de surseoir à l’exécution du jugement au motif qu’il avait formé un recours par la voie du contrôle en révision. Le 8 décembre 2009, le tribunal rejeta cette demande car l’introduction dudit recours n’était pas de nature à permettre un sursis à l’exécution.
15. Par des lettres des 9 et 14 décembre 2009 adressées à l’huissier P., D.V. expliqua son refus de se conformer au jugement à la fois en raison de son souhait de contester celui-ci devant les instances judiciaires supérieures et en raison de conditions météorologiques défavorables - à savoir la neige, la pluie et le verglas - qui, selon lui, « étaient de nature à mettre en danger la vie et la santé de l’enfant en cas d’accident de la route ».
16. Le 14 décembre 2009, l’huissier infligea à D.V. une amende pour inexécution du jugement et lui impartit comme nouveau délai le 17 décembre 2009.
17. Le 18 décembre 2009, D.V. demanda un sursis à l’exécution du jugement pour cause de maladie de l’enfant. L’huissier fit droit à cette demande, fixant le nouveau délai au 24 décembre 2009.
18. Le 25 décembre 2009, D.V. et l’enfant quittèrent la Russie pour la Chine. Le 29 décembre 2009, ayant constaté l’absence de D.V. à son domicile, l’huissier, se fondant sur l’article 65 de la loi fédérale relative aux procédures d’exécution (paragraphes 47 et 51 ci-dessous), lança un avis de recherche de D.V. et de l’enfant. Cette recherche fut transmise au bureau de police du district Khassanskiy.
19. Le 8 janvier 2010, le bureau de police ouvrit une procédure de recherche de D.V.
20. Le 3 février 2010, la requérante informa l’autorité compétente de son opposition à la sortie de sa fille du territoire russe (paragraphe 53 ci-dessous).
21. Auparavant, le 11 janvier 2010, la procédure d’exécution avait été suspendue, conformément à l’article 40 de la loi fédérale relative aux procédures d’exécution (paragraphe 51 ci-dessous).
22. Le même jour, le bureau de police avait informé l’huissier que la recherche de D.V. était restée infructueuse, son lieu de résidence étant introuvable. Il lui précisa les démarches accomplies pour retrouver D.V., à savoir qu’il avait adressé une demande de renseignement auprès du bureau régional d’adresses (краевое адресное бюро), du commissariat militaire et du département régional des douanes. Trois mois plus tard, le 6 avril 2010, le bureau de police envoya à l’huissier une lettre au contenu identique.
23. Entre-temps, D.V. avait intenté une action civile contre la requérante tendant à l’obtention de la déchéance de son autorité parentale. Il avait demandé, en même temps, à titre de mesure conservatoire, la fixation de la résidence de l’enfant chez lui. Par une décision du 15 janvier 2010, le tribunal du district Leninski de Vladivostok avait rejeté cette dernière demande. Le même tribunal, par une décision du 13 avril 2010, rejeta l’action de D.V.
24. Dans l’intervalle, le 26 mars 2010, D.V. et l’enfant étaient rentrés en Russie.
25. Par des lettres des 6 avril et 21 juin 2010, le chef du bureau de police indiqua que les recherches de D.V. et de l’enfant n’avaient donné aucun résultat.
26. Par des lettres des 21 juin, 7, 13, 21 juillet, 4 août 2010 et 2 février 2011, l’huissier de justice demanda au bureau de police des informations à jour sur les recherches de D.V. et de l’enfant. Dans sa lettre du 21 juillet 2010, il demandait de plus à ce que le point soit fait chaque mois aux premier, dixième et vingtième jours.
27. Par une lettre du 4 août 2010, le chef du bureau de police informa le service des huissiers que la veille, le 3 août 2010, D.V. avait fait des démarches pour faire immatriculer sa voiture et qu’il avait été interrogé par la police à cette occasion.
28. Par une lettre du 4 février 2011, le chef du bureau de police informa le service des huissiers qu’il avait été établi que D.V. et l’enfant étaient rentrés en Russie le 27[1] mars 2010 par le point de contrôle de Kraskino. Il indiqua également que, étant donné que leur lieu de résidence en Russie était inconnu, ils n’avaient pas été retrouvés par la suite.
29. Le 11 avril 2011, D.V. fut arrêté par la police routière à Vladivostok pour un contrôle de routine. Après avoir été conduit au poste de police no 6 à Vladivostok, D.V. expliqua qu’il n’avait pas l’intention de se conformer au jugement car, selon lui, cela causerait un dommage moral à sa fille. Après avoir signé une obligation de se présenter à la police à la première convocation et avoir donné comme adresse celle à laquelle il n’avait jamais été trouvé auparavant, il quitta le poste de police et ne fut plus retrouvé par la suite. Par une lettre du 18 avril 2011, le chef du bureau de police en informa le service des huissiers.
30. Le 5 mai 2011, l’huissier G. se présenta au domicile déclaré de D.V. et n’y trouva personne. Dans le document dressé sur place, elle nota que, selon les voisins, aucun enfant ne résidait dans cet appartement.
31. Par une décision du 20 juin 2011, G. ordonna la restriction du droit de D.V. de quitter le territoire russe pour une période de six mois - soit jusqu’au 20 décembre 2011 -, une première décision datée du 24 décembre 2010 ayant déjà été prise en ce sens et ayant ordonné pareille restriction jusqu’au 24 juin 2011. L’huissier fondait ses décisions sur l’article 15 § 5 de la loi relative aux modalités d’entrée et de sortie du territoire de la Fédération de Russie et sur l’article 67 de la loi relative aux procédures d’exécution (paragraphe 52 ci-dessous).
2. Les plaintes pénales de la requérante dirigées contre D.V.
a) La première plainte
32. Le 25 décembre 2009, la requérante déposa une plainte auprès du bureau de police contre D.V., demandant l’ouverture de poursuites pénales en raison d’une inexécution du jugement qu’elle estimait être « obstinée », sur le fondement de l’article 315 du code pénal (paragraphe 56 ci-dessous).
33. Par une décision du 7 avril 2010, l’enquêtrice Tch. du service des huissiers du district Khassanskiy refusa l’ouverture d’une enquête pénale. Elle indiquait que D.V. ne s’était pas conformé au jugement et que l’huissier P. avait lancé un avis de recherche de V. Elle établit en outre que D.V. et V. étaient rentrés en Russie par le point du contrôle situé à Kraskino, région de Primorié. Se fondant sur l’information du bureau de police en charge de la recherche, l’enquêtrice établit que ces personnes n’avaient pas été retrouvées. C’est la raison pour laquelle, l’enquêtrice conclut à l’impossibilité d’interroger D.V. L’enquêtrice observa que, puisque les faits dénoncés par la requérante s’étaient avérés vrais, cette dernière ne devait donc pas être poursuivie pour fausse dénonciation. Sur la base de ce raisonnement, l’enquêtrice conclut que D.V. ne devait pas être poursuivi pour délit prévu par l’article 315 du code pénal au motif qu’il n’y avait pas d’éléments constitutifs d’une infraction.
b) La deuxième plainte
34. À une date non précisée, la requérante déposa une plainte auprès du bureau de police du district Khassanskiy contre D.V., demandant l’ouverture de poursuites pénales à son encontre pour avoir refusé de présenter l’enfant à son domicile et pour l’avoir emmenée en Chine.
35. Par une décision du 22 novembre 2010, l’enquêtrice S. du bureau de police du district Khassanskiy refusa de poursuivre D.V. pour le délit prévu par l’article 330 du code pénal (paragraphe 58 ci-dessous), au motif qu’il n’y avait pas de preuves de l’intention de celui-ci de causer un préjudice important à la requérante. Cette décision fut par la suite annulée par un procureur qui ordonna un complément d’enquête.
36. Le 5 février 2011, l’enquêtrice L. du même bureau de police rendit une décision relative au refus d’ouvrir l’enquête pénale, dont le contenu était similaire à celui de la décision du 22 novembre 2010.
c) La troisième plainte
37. Le 29 septembre 2010, la requérante avait déposé une plainte pénale contre D.V. en raison d’une non-présentation de l’enfant et d’un déplacement selon elle illégal de cette dernière en Chine.
Le 12 mars 2013, le policier (участковый) V. de la ville de Kraskino, après avoir entendu la requérante et D.V., refusa l’ouverture d’une enquête pénale pour le délit prévu par l’article 330 du code pénal. Dans sa décision, le policier se fondait sur les éléments suivants : D.V. aurait tenté plusieurs fois de se conformer au jugement et, à cet effet, se serait présenté avec l’enfant au domicile de la requérante ; il aurait été dans l’impossibilité de remettre l’enfant à celle-ci au motif qu’elle ne se serait pas trouvée à son domicile ; convoqué par le service des huissiers, il s’était présenté auprès dudit service mais aurait refusé d’y laisser l’enfant car, selon lui, sa fille « n’était pas un objet » ; il avait bien quitté la Russie pour la Chine et, ce faisant, n’aurait pas eu l’intention de se cacher car il n’aurait pas été informé des procédures de recherche menées ; et, dès qu’il avait appris l’existence de ces dernières, il avait, à ses dires, immédiatement remis sa fille à son ex-épouse. Le policier observait que l’inexécution du jugement était dû au fait que la requérante ne s’était pas manifestée pour permettre l’exécution dudit jugement. Il concluait qu’il n’y avait pas de preuves de l’intention de D.V. de causer un préjudice à la requérante.
3. Les tentatives de la requérante pour faire exécuter le jugement par le recours à d’autres autorités publiques
38. Le 25 février 2010, saisi par la requérante d’une demande en ce sens, le département régional du service fédéral des migrations ordonna une restriction du droit de V. de sortir du territoire russe « avant que la question relative à la sortie [du territoire] ne soit tranchée par la justice ». Il fonda sa décision sur l’article 21 de la loi fédérale relative aux modalités de sortie et d’entrée (paragraphes 52 et 53 ci-dessous).
39. Auparavant, la requérante avait pris contact avec différentes autorités publiques, leur demandant, en vain, de l’aide pour rechercher sa fille et permettre son retour.
Par une lettre du 5 février 2010, le service de tutelle et de curatelle du district Khassanskiy (Территориальный отдел опеки и попечительства) avait informé l’intéressée de l’impossibilité de lui porter assistance pour le retour de l’enfant au motif que le lieu de son séjour n’était pas connu. Il lui avait proposé de s’adresser aux forces de l’ordre.
Par une lettre du 12 février 2010, le département régional de l’éducation et de la science (Департамент образования и науки) avait invité la requérante à adresser sa demande au service des huissiers.
Par une lettre du 24 février 2010, le médiateur de la région de Primorié (Уполномоченный по правам человека) avait recommandé à la requérante de s’adresser au bureau de police du district Khassanskiy pour les recherches de l’enfant.
40. Par ailleurs, la commission régionale des affaires des mineurs (Комиссия по делам несовершеннолетних и защите их прав), par une lettre du 15 mars 2010, informa la requérante qu’elle n’avait pas compétence pour lui porter assistance en vue du retour de l’enfant et lui conseilla de s’adresser au service des huissiers.
41. Par une lettre du 20 avril 2010, le département frontalier de la région de Primorié du service fédéral de sécurité indiqua à l’intéressée que l’article 15 § 5 de la loi fédérale relative aux modalités de sortie et d’entrée (paragraphes 52 et 53 ci-dessous) ne prévoyait pas de mesure d’arrestation, que c’était la raison pour laquelle D.V. n’avait pas été arrêté à son entrée sur le territoire russe le 26 mars 2010 et que, qui plus est, l’article 27 de la Constitution fédérale garantissait à chaque ressortissant russe le droit d’entrer dans son pays.
42. Par une lettre du 27 septembre 2010, l’adjoint du procureur du district Khassanksiy informa la requérante que le service fédéral des migrations avait rejeté en juillet 2010 la demande de délivrance d’un nouveau passeport faite par D.V. De même, il lui indiqua que les mesures prises par le bureau de police en vue de rechercher D.V. avaient été insuffisantes, et il précisa que c’était pour cette raison qu’il avait organisé une réunion de coordination entre plusieurs autorités impliquées dans les recherches, à savoir le service des douanes, le service fédéral des migrations et la police routière.
43. Entre-temps, le 9 juillet 2010, la requérante s’était adressée au service des huissiers, lui demandant de prendre des mesures de coercition contre D.V. et proposant au service de lever le sursis à l’exécution du jugement si ledit sursis constituait une entrave à la prise de pareilles mesures. Par une lettre du 4 août 2010, le service des huissiers avait répondu à la requérante qu’aucune mesure d’exécution, telle que le mandat d’amener la personne visée par la décision de justice ou sa verbalisation, n’était autorisée tant que la procédure d’exécution était suspendue, et il avait indiqué que la levée de la suspension de la procédure n’était pas opportune tant que la recherche de D.V. n’était pas terminée.
44. Par ailleurs, par une lettre du 16 juillet 2010, le ministère russe des Affaires étrangères avait indiqué à la requérante qu’il n’était compétent pour délivrer les passeports qu’aux seuls diplomates et que par conséquent il ne délivrerait pas de passeports à D.V. et V., et il avait estimé que les mesures prises par la requérante pour retrouver sa fille étaient correctes et suffisantes.
4. La remise de l’enfant à la requérante
45. Le 5 octobre 2011, ayant effectué une recherche sur Internet, la requérante découvrit que sa fille était inscrite comme élève à l’école no 1 de la ville d’Artem, dans la région de Primorié. Le lendemain, elle en informa le service des huissiers et lui demanda d’organiser une remise de l’enfant.
46. Le 27 octobre 2011, l’huissier G. se présenta à l’école en question avec la requérante et il procéda à la remise de l’enfant à celle-ci.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Les mesures visant à l’exécution des jugements
47. La loi fédérale no 229-FZ du 2 octobre 2007 relative aux procédures d’exécution dispose que l’huissier de justice doit, dans un délai de trois jours à partir de la réception du titre exécutoire, ordonner ou refuser l’ouverture de la procédure d’exécution (article 30 § 8 de la loi relative aux procédures d’exécution).
48. Le délai imparti pour l’exécution volontaire est de cinq jours à partir de la réception de la décision relative à l’ouverture de la procédure d’exécution par la personne visée par le jugement, à l’exception des cas prévus par la loi (article 30 § 12 de la loi précitée). La copie de la décision de l’huissier doit être envoyée à la personne visée par le jugement, au demandeur et au tribunal ayant rendu le jugement au plus tard le jour suivant la date de l’émission de ladite décision (article 30 § 17 de la loi précitée).
49. Les pouvoirs de l’huissier de justice tendant à l’exécution des jugements comprennent, notamment, le droit d’effectuer la recherche de la personne visée par le jugement ou de l’enfant concerné, par ses propres moyens ou avec le concours des services des affaires intérieures, et le droit d’ordonner des restrictions temporaires à la sortie de la personne recherchée du territoire russe (article 64 § 1 alinéas 10 et 15 de la loi précitée).
50. L’huissier de justice peut ordonner le sursis de la procédure d’exécution entièrement ou partiellement en cas de recherche de la personne visée par le jugement ou de l’enfant (article 40 § 2 alinéa 2 de la loi précitée). Aucune mesure d’exécution n’est possible tant que le sursis à l’exécution n’est pas levé. La procédure d’exécution est reprise à la demande du bénéficiaire du jugement ou à l’initiative de l’huissier de justice après la disparition des circonstances ayant donné lieu à son sursis (article 45 §§ 6 et 7 de la loi précitée).
51. Dans les affaires relatives à un retrait d’enfant, en l’absence d’informations relatives au lieu de résidence de la personne visée par le jugement ou de l’enfant, l’huissier de justice a le droit d’ordonner la recherche de ces derniers. Il incombe à un service des affaires intérieures d’effectuer cette recherche (article 65 §§ 1 et 3 de la loi précitée, dans sa rédaction en vigueur au moment des faits).
52. En cas d’inexécution du jugement par la personne visée par celui-ci, sans motif valable, dans le délai imparti par l’huissier, ce dernier a le droit d’ordonner une restriction temporaire de quitter le territoire de la Fédération de Russie (article 67 de la loi précitée).
La loi fédérale no 114-FZ du 15 août 1996 relative aux modalités de sortie du territoire de la Fédération de Russie et d’entrée sur le territoire de la Fédération de Russie (« la loi fédérale relative aux modalités de sortie et d’entrée ») prévoit que ce droit peut être restreint tant que la personne en question se soustrait à l’exécution du jugement (article 15 § 5).
53. L’un des parents peut s’opposer à ce que son enfant mineur quitte le territoire de la Fédération de Russie. Pour ce faire, il doit exprimer son désaccord par une déclaration écrite au service fédéral des migrations (article 21 de la loi relative aux modalités de sortie et d’entrée, et arrêté gouvernemental no 273 du 12 mai 2003 relatif au dépôt de la déclaration d’opposition à la sortie du territoire russe des personnes mineures ressortissantes de la Fédération de Russie).
B. Les sanctions pour le défaut d’exécution d’un jugement
54. L’article 5.35 du code des infractions administratives du 30 décembre 2001 prévoit une responsabilité administrative pour violation par les parents des droits de leurs enfants mineurs. Cette violation peut notamment prendre la forme d’un empêchement fait à un enfant mineur de communiquer avec ses parents ou d’une inexécution par l’un des parents d’un jugement relatif à la résidence de l’enfant. Cette infraction est passible d’une amende administrative pouvant aller jusqu’à 3 000 roubles russes (RUB).
55. Selon l’article 17.15 du même code, le défaut d’exécution d’un titre exécutoire portant sur une obligation extrapatrimoniale est passible d’une peine d’amende allant de 1 000 à 2 500 RUB et de 2 000 à 2 500 RUB en cas de récidive.
56. Selon l’article 315 du code pénal, l’inexécution persistante d’une décision judiciaire passée en force de chose jugée par un fonctionnaire public ou par un employé d’une société privée ou d’une autre organisation ainsi que toute autre entrave à l’exécution de ladite décision sont passibles d’une amende allant jusqu’à 200 000 RUB ou d’une amende d’un montant correspondant au salaire ou à d’autres revenus de la personne condamnée sur une période de dix-huit mois, d’une interdiction d’occuper certains postes ou d’exercer certaines activités pour une durée maximale de cinq ans, de travaux obligatoires pour une durée de cent quatre-vingts à deux cent quarante heures, ou bien d’une peine d’emprisonnement de deux ans.
57. Selon l’article 330 du code pénal, tout acte arbitraire (самоуправство), c’est-à-dire la commission d’un acte contraire aux modalités établies par la loi ou les textes réglementaires et dont la légalité est contestée par une organisation ou une personne, ayant causé un préjudice important est passible d’une amende allant jusqu’à 80 000 RUB, de travaux d’intérêt public pour une période allant jusqu’à quatre cents heures, ou d’une peine d’emprisonnement maximal de six mois.
C. Les pouvoirs de la police dans la procédure d’exécution d’un jugement
58. La police est compétente pour la recherche des personnes dans les cas prévus par la loi, ainsi que pour fournir assistance aux huissiers de justice dans l’exercice de leurs fonctions (article 10 de la loi de la Fédération de Russie no 1026-I du 18 avril 1991 relative à la police, ci-après « la loi de 1991 », et article 12 de la loi fédérale no 3-FZ du 7 février 2011 relative à la police, ci-après « la loi de 2011 »). À cette fin, les autorités policières ont le droit : de prendre les mesures appropriées pour trouver les personnes recherchées ; de procéder à des contrôles de pièces d’identité s’il existe des motifs raisonnables de soupçonner que des personnes sont recherchées ; et d’amener ces personnes dans des locaux de police, d’autorités municipales ou d’autres autorités afin d’examiner la question relative à leur éventuelle mise en détention (article 11 de la loi de 1991, et article 13 § 1, alinéas 2, 10 et 13 de la loi de 2011). Dans le cas d’arrestation et de conduite à un bureau de police, un procès-verbal doit être dressé (article 14 § 14 de la loi de 2011).
59. La détention des personnes recherchées par la police est autorisée pour la période nécessaire à leur transfert aux organismes compétents ou à leurs représentants (article 14 § 2 alinéa 4 de la loi de 2011). Toutefois, la police ne peut prolonger la détention de ces personnes, sans une décision de justice, au-delà de quarante-huit heures (article 14 § 1 de la loi de 2011). Les instructions du ministère de l’Intérieur aux policiers de garde dans les locaux de police no 248 du 1er avril 2009 (Наставление о порядке исполнения обязанностей и реализации прав милиции в дежурной части органа внутренних дел Российской Федерации после доставления граждан - ci-après « l’instruction de 2009 ») et no 389 du 30 avril 2012 (Наставление о порядке исполнения обязанностей и реализации прав полиции в дежурной части территориального органа МВД России после доставления граждан - ci-après « l’instruction de 2012 ») précisent les mesures à prendre par les policiers. En cas d’arrestation d’une personne recherchée dans le cadre d’une procédure d’exécution d’un jugement, l’instruction de 2009 n’explicitant pas la procédure à suivre par les policiers, l’instruction de 2012 prévoit que ces derniers sont tenus d’en informer l’autorité ayant lancé la recherche et de relâcher la personne (§§ 23 et 23.1).
D. Les pouvoirs des autorités chargées du contrôle frontalier
60. Le service fédéral des frontières, qui fait partie du service fédéral de sécurité, est chargé de défendre les frontières de l’État, et, notamment, d’assurer le contrôle des personnes traversant les frontières (article 11.1 de la loi fédérale no 40-FZ du 3 avril 1995 relative au service fédéral de sécurité).
61. Dans les cas prévus par la loi, les gardes-frontières refusent à des citoyens russes le passage aux frontières et, le cas échéant, remettent ces derniers aux services des affaires intérieures (§ 4.7 de l’instruction no 57/42 du service fédéral des frontières et du ministère de l’Intérieur du 31 janvier 1995 relative à la coopération des troupes frontalières de la Fédération de Russie avec les services du ministère de l’Intérieur dans le domaine de la protection des frontières de l’État.)
62. Si les points de passage aux frontières de l’État ne sont pas pourvus de locaux de détention temporaire, les gardes-frontières utilisent les locaux des services du ministère de l’Intérieur, avec l’accord des chefs de ces services (§ 4.11 de l’instruction précitée).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
63. La requérante allègue que les autorités nationales ont omis d’exécuter le jugement fixant la résidence de sa fille à son domicile. Elle invoque à cet égard l’article 8 de la Convention qui est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A. Sur la recevabilité
64. Le Gouvernement soutient que la requérante a abusé de son droit de recours individuel et il invite la Cour à rejeter son grief en application de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Se référant à l’article 47 § 6 du règlement de la Cour, il estime que la requérante n’a pas informé la Cour de faits importants survenus après l’introduction de la requête, notamment de l’exécution du jugement qui a eu lieu le 27 octobre 2011.
65. La requérante combat cette thèse. Elle indique que, après avoir envoyé sa requête à la Cour le 30 août 2011, elle n’avait aucune information relative tant à sa réception qu’à son traitement par la Cour. Elle ajoute avoir obtenu pour la première fois des informations sur son dossier lorsqu’elle a reçu une lettre du 20 décembre 2012 l’informant que sa requête avait été portée à la connaissance du gouvernement défendeur. Elle précise s’être conformée aux instructions données dans cette lettre - à savoir n’envoyer aucun document ou autre pièce avant d’y avoir été invitée par la Cour. Elle estime donc avoir fourni des informations exactes dans les délais impartis.
66. La Cour rappelle qu’une requête est abusive si elle se fonde délibérément sur des faits controuvés en vue de tromper la Cour (Varbanov c. Bulgarie, no 31365/96, § 36, CEDH 2000-X). Elle rappelle également que ce type d’abus peut également être commis par inaction, lorsque le requérant omet dès le début de l’informer d’un élément essentiel pour l’examen de l’affaire (Al-Nashif c. Bulgarie, no 50963/99, § 89, 20 juin 2002, et Keretchachvili c. Géorgie (déc.), no 5667/02, CEDH 2006-V). Elle rappelle ensuite que, de même, si de nouveaux développements importants surviennent au cours de la procédure devant elle et si le requérant - en dépit de l’obligation expresse lui incombant en vertu du règlement - ne l’en informe pas et l’empêche ainsi de se prononcer sur l’affaire en pleine connaissance de cause, sa requête peut être rejetée comme étant abusive (Hadrabová et autres c. République tchèque (déc.), nos 42165/02 et 466/03, 25 septembre 2007, et Predescu c. Roumanie, no 21447/03, §§ 25-27, 2 décembre 2008). En outre, elle souligne que l’intention de l’intéressé de l’induire en erreur doit toujours être établie avec suffisamment de certitude (voir, mutatis mutandis, Melnik c. Ukraine, no 72286/01, §§ 58-60, 28 mars 2006, et Nold c. Allemagne, no 27250/02, § 87, 29 juin 2006).
67. En l’occurrence, la Cour relève que, aux dires de la requérante, celle-ci n’a pas reçu la première lettre l’invitant à informer la Cour de tout élément nouveau important. En revanche, elle note que, dès la réception de la lettre du 20 décembre 2012, la requérante a porté à sa connaissance tous les éléments d’information nécessaires, y compris celui relatif à l’exécution du jugement. Vu le contexte de l’affaire, la Cour estime que l’omission de la requérante n’avait pas pour objectif de l’induire en erreur et elle ne saurait dès lors reprocher à l’intéressée le caractère intentionnel de son omission (voir, a contrario, Vasilevskiy c. Lettonie (déc.), no 73485/01, § 25, 10 janvier 2012 : dans cette affaire, le requérant, informé par la Cour, était pleinement conscient de l’instance en cours et de l’importance de l’information demandée).
68. La Cour rejette donc l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
69. Le Gouvernement soutient tout d’abord que le jugement du 15 septembre 2009 s’est limité à fixer la résidence de l’enfant au domicile de sa mère et qu’il n’a pas enjoint de la retirer de force à son père, et que la requérante n’a jamais sollicité ni le changement des modalités d’exécution ni la rectification du jugement.
70. En second lieu, se référant à l’arrêt Keegan c. Irlande (26 mai 1994, série A no 290), le Gouvernement considère que l’obligation positive de l’État découlant de l’article 8 de la Convention consiste pour celui-ci à prendre des mesures propres à permettre de réunir un parent à son enfant. Il estime que les autorités nationales compétentes - à savoir, en l’occurrence, les huissiers de justice - ont pris toutes les mesures nécessaires et opportunes, et ce, selon lui, dans les limites des pouvoirs qui leur étaient conférés par la loi. À cet égard, il mentionne l’avis de procureurs qui auraient été saisis de plaintes déposées par la requérante contre les huissiers et qui auraient indiqué que la procédure d’exécution du jugement n’était entachée d’aucun défaut.
71. Le Gouvernement constate avec satisfaction que le jugement a reçu exécution. S’agissant du délai pour parvenir à celle-ci - lequel a été de deux ans -, il l’explique par l’opposition de D.V. qui avait emmené l’enfant en dehors du territoire russe. Il expose que celui-ci n’a pas été arrêté à son retour en Russie au motif que la loi fédérale relative aux modalités de sortie et d’entrée ne prévoyait pas la possibilité de prendre des mesures contraignantes - telle l’arrestation - à son encontre.
72. Le Gouvernement considère enfin que les procédures d’exécution du jugement et de recherche de D.V. étaient efficaces. Ainsi, il indique que, dans le cadre de la procédure de recherche, la police régionale avait accompli les démarches suivantes : demande d’informations auprès du bureau régional d’adresses, du commissariat militaire, du département régional des douanes, des écoles maternelles locales ; publication d’avis de recherche dans le journal local Khassanskie vesti ; communication de l’avis de recherche à la police routière ; et interrogation des voisins et parents.
Sur la base de ce raisonnement, le Gouvernement estime que ce grief est manifestement mal fondé.
73. La requérante combat cette thèse. En premier lieu, elle considère que le dispositif du jugement était suffisamment clair et que ce dernier a finalement été exécuté sans autres éclaircissements.
74. En second lieu, elle exprime son désaccord avec le Gouvernement car, à son avis, les autorités n’ont pas pris toutes les mesures nécessaires pour exécuter le jugement. Elle estime à cet égard que D.V. a profité d’une inertie des huissiers pour s’échapper de la Russie avec l’enfant. Elle indique que la procédure d’exécution du jugement a alors été mise en suspens jusqu’au moment où elle a retrouvé sa fille.
75. En troisième lieu, elle se plaint d’un manque de coordination entre les huissiers de justice, d’une part, et la police et les autorités frontalières, d’autre part. À ce titre, elle indique que ni la police, qui avait arrêté D.V., ni les autorités frontalières, qui avaient constaté le retour de celui-ci en Russie, n’ont pris des mesures pour avertir immédiatement le département de police chargé de la recherche ou le service des huissiers. Elle soutient que ces autorités ont laissé D.V. partir, ce qui aurait prolongé la procédure d’exécution du jugement de plusieurs mois.
76. Enfin, elle estime que, si elle n’avait pas elle-même entrepris des démarches pour rechercher sa fille, le jugement n’aurait toujours pas reçu exécution.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
77. La Cour rappelle que, si l’article 8 de la Convention tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il engendre de surcroît des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie familiale en tant que notion autonome au regard de la Convention. S’agissant de l’obligation pour l’État de prendre des mesures positives, elle rappelle que l’article 8 de la Convention implique le droit d’un parent à des mesures propres à le réunir à son enfant ainsi que l’obligation pour les autorités nationales de les prendre (voir, par exemple, Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, § 94, CEDH 2000-I, et Maumousseau et Washington c. France, no 39388/05, § 83, 6 décembre 2007) et que l’obligation de l’État est une obligation de moyens et non de résultat (Pascal c. Roumanie, no 805/09, § 69, 17 avril 2012).
78. La Cour souligne toutefois que cette obligation n’est pas absolue, car il arrive que la réunion d’un parent avec son enfant ne puisse avoir lieu immédiatement et requière des préparatifs. La nature et l’étendue de ceux-ci dépendent des circonstances de chaque espèce, mais la compréhension et la coopération de l’ensemble des personnes concernées constituent toujours un facteur important. Si les autorités nationales doivent s’évertuer à faciliter pareille collaboration, une obligation pour elles de recourir à la coercition en la matière ne saurait être que limitée : il leur faut tenir compte des intérêts et des droits et libertés de ces mêmes personnes, et notamment des intérêts supérieurs de l’enfant et des droits que lui reconnaît l’article 8 de la Convention (Ignaccolo-Zenide, précité, § 94, et Khanamirova c. Russie, no 21353/10, § 49, 14 juin 2011).
79. Cela dit, la Cour considère que, face au refus avéré et persistant d’un parent de remettre l’enfant à l’autre parent, les autorités sont tenues de prendre des mesures coercitives effectives et réalistes de nature à inciter le parent défaillant à exécuter le jugement (Hansen c. Turquie, no 36141/97, § 105, 23 septembre 2003, Zelenevy c. Russie, no 59913/11, § 76, 3 octobre 2013, et Prizzia c. Hongrie, no 20255/12, § 46, 11 juin 2013).
80. En outre, la Cour rappelle que chaque État contractant est tenu de se doter d’un arsenal juridique adéquat et suffisant pour assurer le respect des obligations positives qui lui incombent en vertu de l’article 8 de la Convention et que, dans le cadre de sa mission, il lui appartient de rechercher si, dans l’application et l’interprétation des dispositions légales applicables, les autorités internes ont respecté les garanties de l’article 8 de la Convention, en tenant notamment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant (R.M.S. c. Espagne, no 28775/12, § 72, 18 juin 2013).
81. Enfin, la Cour rappelle que le caractère adéquat d’une mesure se juge à la rapidité de sa mise en œuvre : les procédures relatives à l’attribution de l’autorité parentale, y compris l’exécution de la décision rendue à leur issue, appellent un traitement urgent car le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables sur les relations entre l’enfant et le parent qui ne vit pas avec lui (Ignaccolo-Zenide, précité, § 102, Y.U. c. Russie, no 41354/10, § 94, 13 novembre 2012, et Maumousseau et Washington, précité, § 83).
b) Application des principes précités à la présente espèce
82. La Cour note tout d’abord qu’il n’est pas contesté en l’espèce que le lien entre la requérante et sa fille V. relève de la vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention. Elle constate que le jugement du 15 septembre 2009 fixant la résidence de V. au domicile de la requérante a reçu exécution le 27 octobre 2011. Elle observe ainsi que la durée de l’exécution du jugement a été de deux ans à compter du 28 octobre 2009, date de l’arrêt de cassation ayant confirmé le jugement du 15 septembre 2009.
La Cour doit donc déterminer si les autorités nationales ont pris les mesures nécessaires et adéquates que l’on pouvait attendre d’elles pour faciliter l’exécution de ce jugement.
83. Afin de répondre à cette question, la Cour procédera à l’analyse de la procédure d’exécution pour deux périodes différentes : celle comprise entre le 19 novembre 2009, date de l’ouverture de la procédure d’exécution, et le 25 décembre 2009, date du départ de D.V. avec l’enfant de la Russie (i) ; et celle comprise entre le 25 décembre 2009 et le 27 octobre 2011, date de la remise de l’enfant à la requérante (ii).
i. Première période
84. En ce qui concerne cette période, il n’est pas contesté entre les parties que le service des huissiers a agi conformément aux dispositions pertinentes de la loi relative aux procédures d’exécution. À ce titre, la Cour relève que le service en question a ordonné l’ouverture de la procédure d’exécution du jugement (paragraphe 13 ci-dessus), porté à maintes reprises à la connaissance de D.V. l’obligation pour lui de se conformer à la décision dans les délais impartis (paragraphes 13, 16 et 17 ci-dessus) et sanctionné l’intéressé d’une amende (paragraphe 16 ci-dessus). Elle note que les mesures susmentionnées ont été prises dans un délai relativement court, à savoir trente-cinq jours.
De même, la Cour observe qu’après le départ de D.V., le service des huissiers a immédiatement lancé un avis de recherche (paragraphe 18 ci-dessus). Elle considère que ce service ne saurait être critiqué pour ne pas avoir pris des mesures préventives propres à empêcher le déplacement de l’intéressé avec l’enfant à l’étranger, ce déplacement apparaissait imprévisible tant pour la requérante que pour les autorités. Elle note en effet que la requérante n’a déposé sa déclaration d’opposition à la sortie de l’enfant du territoire russe et les autorités n’ont ordonné la restriction du droit de D.V. de quitter le territoire russe (paragraphes 20 et 31 ci-dessus), qu’après le départ en question. La Cour ne saurait donc reprocher au service des huissiers une quelconque inertie dans l’exécution du jugement pendant cette période.
ii. Deuxième période
85. Concernant la deuxième période, les parties sont en désaccord sur l’efficacité de la procédure de recherche de D.V.
86. La Cour prend note de l’argument avancé par le Gouvernement selon lequel la police a entrepris un certain nombre de démarches propres à permettre de retrouver D.V. (paragraphe 70 ci-dessus). Cela étant, elle relève le caractère stéréotypé des lettres adressées par la police au service des huissiers au cours de l’enquête, lesquelles ne permettaient de refléter ni l’évolution de cette enquête ni les démarches effectuées dans le cadre de celle-ci, à supposer que ces démarches aient réellement eu lieu. Elle note en effet que la police s’est contentée à maintes reprises de constater que le lieu de résidence de D.V. était introuvable (paragraphes 22 et 26 ci-dessus).
87. Or, la Cour constate que si D.V. ne résidait pas à son lieu de domicile déclaré il ne vivait pas pour autant dans la clandestinité. Outre le faits qu’il était passé par un point de contrôle russe lors de son retour en Russie (paragraphe 24 ci-dessus), il apparaissait dans des lieux publics - notamment au bureau de police auprès duquel il s’était rendu pour faire immatriculer sa voiture (paragraphe 27 ci-dessus) - et s’était fait arrêter lors d’un contrôle par la police routière (paragraphe 29 ci-dessus). La Cour en conclut que, à son retour en Russie le 26 mars 2010, la localisation de l’intéressé était à la portée des autorités nationales.
88. À cet égard, la Cour note que, selon la requérante, la police a commis une négligence en laissant partir D.V., ce qui aurait permis à ce dernier de se soustraire à l’exécution du jugement pour quelques mois. Elle observe que le Gouvernement ne fait pas de commentaires sur ce point et qu’il soutient en revanche que la loi en vigueur ne donnait pas aux autorités frontalières le pouvoir d’arrêter la personne visée par une décision de justice à la sortie du territoire russe.
89. La Cour constate que la législation nationale confère certains pouvoirs aux autorités compétentes pour la recherche des personnes visées par une décision de justice dans le cadre d’une procédure d’exécution (paragraphes 58-62 ci-dessus). Elle note en particulier que le service fédéral des frontières a le droit de remettre les personnes recherchées pour inexécution d’un jugement à la police (paragraphe 61 ci-dessus) et que, à leur tour, les policiers ont le droit d’amener ces personnes dans les locaux de police, d’examiner la question relative à leur éventuelle mise en détention (paragraphe 58 ci-dessus), d’avertir les huissiers (paragraphe 59 ci-dessus in fine) et même de priver ces personnes de liberté le temps nécessaire pour leur transfert auprès du service des huissiers (ibidem).
90. Si la Cour ne saurait indiquer aux autorités nationales la nécessité d’appliquer des mesures contraignantes, telles l’arrestation ou la détention, dans un cas concret - cette matière relevant exclusivement de la compétence de ces autorités -, elle peut néanmoins examiner si les mesures prises dans une espèce ont été suffisantes et adéquates vis-à-vis du but poursuivi.
91. En l’occurrence, la Cour constate l’incongruité de la situation : en effet, bien que D.V. ait été plusieurs fois en contact avec les autorités et ait exprimé un refus avéré et manifeste de se conformer au jugement, les autorités ont tout de même persisté à ne pas clôturer la procédure de recherche. De surcroît, la Cour nourrit des doutes quant à l’efficacité de cette recherche étant donné que la nouvelle adresse de l’intéressé est demeurée inconnue du service des huissiers pour la suite de la procédure (Bordeianu c. Moldova, no 49868/08, § 76, 11 janvier 2011).
92. Or, la procédure de recherche constituait un obstacle de jure à la poursuite de l’exécution du jugement (paragraphe 51 ci-dessus) et, notamment, à l’application de mesures coercitives, la Cour estime que la situation a été, d’une certaine manière, favorable à l’intéressé. Cette situation a été mise en évidence par la requérante (paragraphe 43 ci-dessus), laquelle avait demandé la levée du sursis à l’exécution du jugement aux fins d’application à D.V. de mesures coercitives. La Cour doute dès lors qu’il y ait eu un quelconque intérêt à poursuivre la procédure de recherche de D.V. puisque les contacts répétés de ce dernier avec les autorités n’avaient entraîné aucune conséquence ni pour lui ni pour la requérante.
93. De plus, s’agissant de l’évocation par le Gouvernement du comportement dilatoire de D.V., la Cour estime que les autorités compétentes pour l’exécution du jugement n’ont pas fait preuve de la diligence adéquate pour amener l’intéressé, qui se montrait récalcitrant, à exécuter son obligation, si besoin était par des mesures de coercition suffisamment systématiques, voire plus sévères, pour le faire changer d’attitude (paragraphe 79 ci-dessus). De l’avis de la Cour, le défaut d’exécution est imputable surtout à l’absence de réaction des autorités à la résistance exprimée par l’intéressé.
94. En outre, prenant note de la lettre du 27 septembre 2010 adressée à la requérante par l’adjoint du procureur du district Khassanksiy, qui admettait l’insuffisance des mesures prises pour la recherche de D.V. (paragraphe 42 ci-dessus), la Cour est d’avis que cette lettre conforte plus la version de la requérante que celle du Gouvernement (paragraphe 70 in fine ci-dessus).
95. La Cour observe de surcroît que cette situation continue n’est en aucune façon imputable à la requérante, laquelle a régulièrement entrepris des démarches auprès de différentes autorités afin d’obtenir le retour de sa fille (paragraphes 32-45 ci-dessus). La Cour est frappée par le caractère peu cohérent des réponses données par les autorités face aux demandes instantes de la requérante (comparer les paragraphes 33, 35 et 37 ci-dessus).
96. Enfin, la Cour ne souscrit pas à l’argument du Gouvernement selon lequel le jugement du 15 septembre 2009 (paragraphe 10 ci-dessus) ne renfermait aucune obligation pour le père de remettre l’enfant à la requérante et que, par conséquent, il était inexécutable. À aucun moment de la procédure d’exécution, le service des huissiers n’a évoqué le manque de clarté du jugement. Ce dernier était suffisamment clair, aux yeux du service des huissiers, aussi bien pour engager la procédure d’exécution (paragraphe 13 ci-dessus) que pour procéder finalement à son exécution sans précisions supplémentaires (paragraphe 47 ci-dessus).
97. La Cour conclut que, nonobstant la marge d’appréciation dont dispose l’État défendeur en la matière, les autorités nationales n’ont pas pris en l’espèce toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles pour faciliter l’exécution du jugement prononcé par le tribunal du district Khassanskiy le 15 septembre 2009 en faveur de la requérante. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 ET DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
98. La requérante se plaint de la durée, excessivement longue selon elle, de la procédure d’exécution du jugement du 15 septembre 2009, ainsi que de l’absence au niveau national de recours effectifs propres à permettre l’exécution dudit jugement dans un délai raisonnable. Elle invoque les articles 6 § 1 et 13 de la Convention qui se lisent comme suit.
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
99. Le Gouvernement conteste cette thèse.
100. La Cour relève que ce grief est lié à celui examiné ci-dessus et doit donc aussi être déclaré recevable.
101. Eu égard au constat relatif à l’article 8 de la Convention (paragraphe 97 ci-dessus), la Cour estime qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle des articles 6 § 1 et 13 de la Convention, combinés avec l’article 8 de la Convention. Dès lors, il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu, en l’espèce, violation de ces dispositions (Prizzia, précité, § 55).
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
102. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
103. La requérante réclame 20 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’elle dit avoir subi.
104. Se référant aux arrêts Benthem c. Pays-Bas (23 octobre 1985, série A no 97) et Kalachnikov c. Russie ((déc.), no 47095/99, CEDH 2001-XI (extraits)), le Gouvernement estime qu’il n’y a pas en l’espèce de lien de causalité entre la violation de la Convention constatée et le dommage allégué.
105. Au vu des circonstances de la présente espèce, et eu égard au constat de violation de l’article 8 de la Convention auquel elle est parvenue et selon lequel les autorités russes n’ont pas déployé des efforts adéquats et suffisants pour exécuter le jugement ordonnant la remise de son enfant à la requérante, la Cour considère que l’intéressée a subi un préjudice moral qui ne saurait être réparé par le seul constat de violation. Elle estime toutefois que la somme réclamée est excessive. Eu égard à l’ensemble des éléments dont elle dispose, la Cour alloue à la requérante 10 000 EUR pour dommage moral.
B. Frais et dépens
106. La requérante demande également 1 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.
107. Le Gouvernement n’a pas fait de commentaire sur cette demande.
108. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, et compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR pour la procédure devant elle et l’accorde à la requérante.
C. Intérêts moratoires
109. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;
3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner les griefs tirés de l’article 6 § 1 et de l’article 13 de la Convention ;
4. Dit
a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en roubles russes au taux applicable à la date du règlement :
i. 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,
ii. 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 octobre 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Isabelle Berro-Lefèvre
Greffier Présidente