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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> AL.K. v. GREECE - 63542/11 - Chamber Judgment (French Text) [2014] ECHR 1378 (11 December 2014)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/1378.html
Cite as: [2014] ECHR 1378

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE AL.K. c. GRÈCE

     

    (Requête no 63542/11)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

    STRASBOURG

     

    11 décembre 2014

     

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Al. K. c. Grèce,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

              Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
              Mirjana Lazarova Trajkovska,
              Julia Laffranque,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Linos-Alexandre Sicilianos,
              Erik Møse,
              Ksenija Turković, juges,
    et de Søren Nielsen, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 novembre 2014,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 63542/11) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant iranien, M. Al. K. (« le requérant »), a saisi la Cour le 7 octobre 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La présidente de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 4 du règlement de la Cour - « le règlement »).

    2.  Le requérant a été représenté par Mes I.-M. Tzeferakou et A. Theodoropoulou, avocates à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M. D. Kalogiros et Mme F. Dedousi, assesseurs auprès du Conseil juridique de l’État, et Mme M. Skorila, auditrice auprès du Conseil juridique de l’État.

    3.  Le requérant allègue une violation de l’article 3 de la Convention en raison de ses conditions de détention et de ses conditions d’existence après sa libération, ainsi qu’une violation de l’article 5 §§ 1 et 4 et de l’article 13 de la Convention.

    4.  Le 20 mars 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  Le requérant est né en 1977.

    A.  La détention du requérant et le déroulement de la procédure relative à sa demande d’asile

    6.  Le 13 novembre 2010, le requérant, qui indique avoir fui l’Iran après avoir été arrêté et détenu pour avoir participé à des manifestations contre le régime en place, arriva en Grèce. Il fut appréhendé le lendemain par les officiers de la police des frontières de Ferres. Il disposait d’un passeport en cours de validité.

    L’intéressé affirme qu’il a demandé à déposer une demande d’asile mais que sa demande n’a pas été enregistrée par les autorités.

    7.  Par une décision du 17 novembre 2010, le directeur de la direction de la police d’Alexandroupoli ordonna la détention provisoire du requérant pendant trois jours jusqu’à l’émission d’une décision d’expulsion à son encontre. Le requérant fut alors détenu au poste-frontière de Ferres.

    Il était indiqué dans la décision susmentionnée que le requérant risquait de fuir. Il y était également indiqué que l’intéressé avait été informé dans une langue qu’il comprenait - à savoir l’anglais - des motifs de sa détention et de ses droits.

    Sur ce dernier point, le requérant déclare qu’il ne comprend pas l’anglais.

    8.  Le 20 novembre 2010, le directeur de la direction de la police d’Alexandroupoli ordonna l’expulsion du requérant et son maintien en détention pour une période ne pouvant pas dépasser six mois, au motif que l’intéressé risquait de fuir.

    9.  D’après le requérant, la décision d’expulsion qui s’ensuivit ne lui a jamais été notifiée. Toujours selon lui, pendant toute la durée de sa détention, il n’a reçu aucune information sur son statut, les motifs de sa détention et la date de son expulsion et il s’est trouvé dans l’impossibilité d’exercer une quelconque voie de recours.

    10.  Également le 20 novembre 2010, le requérant déclara aux officiers de police du poste-frontière de Ferres qu’il souhaitait déposer une demande d’asile. Le commandant du poste-frontière en informa par écrit la direction de la police d’Alexandroupoli.

    11.  Le requérant affirme que le Conseil hellénique pour les réfugiés est intervenu auprès des autorités de police pour que sa demande d’asile soit enregistrée.

    Se fondant sur deux documents émanant respectivement de la direction de la police d’Alexandroupoli et de la direction de la police d’Orestiada, le Gouvernement affirme de son côté qu’aucune requête formulée par le Conseil hellénique pour les réfugiés dans le sens indiqué par le requérant n’est parvenue auxdites directions.

    12.  Le 25 novembre 2010, le requérant fut transféré à Alexandroupoli. Il y déposa par écrit sa demande d’asile. Il reçut alors une brochure informative pour les demandeurs d’asile, et un interprète lui expliqua en farsi le contenu de celle-ci.

    13.  Dans sa demande d’asile, le requérant indiquait qu’il était policier, qu’il avait refusé de maltraiter des détenus et avait été par conséquent obligé de démissionner et que, par la suite, il avait été passé à tabac par ses collègues et condamné à six mois d’emprisonnement. Il précisait que, à sa sortie de prison, les autorités lui avaient demandé de leur remettre le titre de propriété de sa maison, et ce pour lui confisquer celle-ci au cas où il tenterait de quitter l’Iran.

    Ultérieurement, lors de l’entretien qui eut lieu le 10 février 2011 dans le cadre de l’examen de sa demande d’asile, le requérant déclara en revanche qu’il avait été condamné pour non-respect de son contrat avec la police iranienne, qu’il n’avait jamais été passé à tabac et qu’il avait été mis en liberté après avoir déposé en garantie le titre de propriété de la maison de son beau-frère. Il ajouta qu’il avait été arrêté en 2010 pour s’être approprié des terres appartenant à l’État, qu’il avait été détenu dans de bonnes conditions à la prison de Kaziro, qu’il s’était évadé lors de son transfert au tribunal et qu’il était venu en Grèce pour trouver du travail.

    14.  Entre-temps, le 21 décembre 2010, se prévalant de son indigence, le requérant, assisté par le Conseil hellénique pour les réfugiés, avait demandé à bénéficier d’un hébergement. La direction de l’aide et de la solidarité sociale du ministère de la Santé lui avait répondu qu’il n’était pas possible de satisfaire immédiatement à sa demande, en raison du grand nombre de demandeurs d’asile, mais qu’il était prévu de l’inscrire sur une liste prioritaire ad hoc.

    15.  Également dans l’intervalle, le 17 janvier 2011, le requérant avait formulé des objections contre sa détention devant le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli. Il dénonçait l’impossibilité de faire examiner sa demande d’asile dans le délai légal de trois mois à compter de sa mise en détention, alléguant une violation de l’article 5 de la Convention et de l’article 13 du décret présidentiel no 114/2010. Il se plaignait aussi de ses conditions de détention. Plus particulièrement, il soutenait que son séjour au poste-frontière de Ferres se déroulait dans des conditions dégradantes et inappropriées pour les êtres humains et contraires à l’article 3 de la Convention, et ce en raison, à ses dires, de la surpopulation, du manque de produits d’hygiène et de vêtements propres, de l’absence de chauffage, de la saleté, du manque d’espace pour dormir, marcher ou faire de l’exercice, ainsi que de la communication limitée avec le monde extérieur et de l’impossibilité d’avoir accès à un médecin ou à un soutien psychologique. Le requérant ajoutait que ces conditions portaient atteinte à sa personnalité et sa dignité, engendraient en sa personne des sentiments d’infériorité, de peur, d’impuissance, de détresse et de stress intense et mettaient en danger son intégrité physique et psychologique.

    16.  Le 21 janvier 2011, le président du tribunal administratif avait alors rejeté les objections formulées devant lui. Dans sa décision, il relevait l’illégalité de l’entrée du requérant sur le territoire, l’existence d’un risque de fuite étant donné que l’intéressé ne disposait pas d’une adresse connue en Grèce où il pourrait résider de manière stable, la nécessité d’assurer l’examen rapide et efficace de sa demande d’asile, de même que l’impossibilité de prendre des mesures moins contraignantes que la détention. Quant aux allégations du requérant relatives aux conditions de détention, le président du tribunal administratif soulignait que celles-ci ne pouvaient pas, par la force des choses, être comparées aux conditions de vie d’une personne libre. Il indiquait que l’administration devait, en fonction de ses possibilités et dans un délai raisonnable, mettre à disposition des détenus des lieux de détention appropriés, et il considérait que le caractère légal d’une détention pouvait faire défaut seulement si l’administration refusait clairement de faire bénéficier un détenu d’un lieu de détention aéré, éclairé par la lumière naturelle, disposant de l’eau courante et lui offrant la possibilité de communiquer avec le monde extérieur et de faire de l’exercice physique. Le président du tribunal administratif estimait que tel n’était pas le cas en l’espèce car le requérant aurait pu être transféré au poste-frontière d’Evros, où les normes relatives aux conditions de détention étaient selon lui respectées, précisant de plus que l’administration ne s’était d’ailleurs pas opposée à un tel transfert.

    17.  Toujours dans l’intervalle, à une date non précisée, le requérant avait été transféré au poste-frontière de Soufli.

    18.  Le 10 février 2011, l’officier de police en charge du dossier du requérant proposa le rejet de sa demande d’asile. Par une décision du 5 mars 2011, la direction de la police d’Orestiada rejeta ladite demande. Cette décision fut notifiée au requérant le 19 avril 2011. Ce dernier forma appel le 20 avril 2011 devant la commission des recours de deuxième degré.

    À la date du dépôt des observations du requérant en réponse à celles du Gouvernement devant la Cour, cette procédure était encore pendante avec des dizaines de milliers d’autres affaires.

    19.  En mai 2011, le requérant fit une grève de la faim pour protester contre les conditions et la durée de sa détention.

    20.  Le requérant fut mis en liberté le 16 mai 2011, soit deux jours après l’expiration du délai de six mois prévu par la loi no 3386/2005. Il reçut un récépissé de demandeur d’asile mentionnant comme lieu de résidence « Omonoia », à savoir la place Omonoia située au centre-ville d’Athènes, où plusieurs demandeurs d’asile étaient installés. Les autorités lui demandèrent de se présenter dans un délai de dix jours à la direction des étrangers de l’Attique afin de se faire enregistrer et de déclarer une adresse et un numéro de téléphone.

    21.  À partir de sa libération, le requérant vécut comme un sans-abri, s’installant dans différents places et parcs publics. Il lui arriva également de dormir dans des bâtiments désaffectés ou des hôtels délabrés. Il n’avait accès ni à de la nourriture, ni à de l’eau potable, ni à des toilettes, ni à des produits d’hygiène personnelle.

    Par ailleurs, afin de faire renouveler à temps son récépissé, le requérant se rendit à la direction des étrangers de l’Attique. Ne pouvant y accéder en raison d’une forte affluence, il fut obligé d’y retourner à plusieurs reprises. De plus, les autorités le pressèrent de déclarer une adresse alors qu’il lui était impossible de louer un hébergement sans disposer d’un numéro d’identification fiscale. Le 5 décembre 2011, les autorités renouvelèrent son récépissé, l’intéressé ayant déclaré comme adresse celle d’un ami qui l’hébergeait provisoirement.

    En outre, le requérant se rendit au Conseil hellénique pour les réfugiés pour demander une assistance humanitaire. Un travailleur social informa le ministère de la Santé que le requérant était sans abri et vivait dans des conditions très précaires, mais les autorités n’entreprirent aucune démarche.

    22.  Le requérant soutient que la police lui avait renouvelé son récépissé pour une période de trois mois et non de six mois, alors qu’il lui aurait fallu un récépissé portant mention de cette dernière durée de validité pour pouvoir obtenir un numéro d’identification fiscal et un permis de travail ou pour pouvoir trouver un emploi.

    B.  Les conditions de détention du requérant

    23.  Le requérant fut détenu pendant six mois, d’abord dans les locaux du poste-frontière de Ferres, puis dans ceux du poste-frontière de Soufli.

    1.  La version du requérant

    24.  Le requérant décrit comme suit les conditions de sa détention dans les locaux susmentionnés.

    Pendant toute la durée de sa détention, le requérant ne put ni sortir desdits locaux, ni marcher, ni faire de l’exercice. Il était détenu dans des dortoirs ou dans des cellules disciplinaires destinées à des détenus de droit commun. La détention prolongée provoqua en lui des sentiments de peur, d’infériorité, de détresse et de stress qui l’amenèrent à se coudre la bouche, comme forme ultime de protestation, et à tenter de se suicider.

    25.  Les locaux du poste-frontière de Soufli accueillaient entre cent et deux cents détenus dans un espace ayant une capacité de vingt-cinq personnes. Les détenus dormaient au milieu des eaux sales des toilettes ou même assis. La même situation régnait à la police des frontières de Ferres où plus de cent personnes étaient détenues. Le requérant dormait à même le sol dans un espace ayant une odeur insoutenable.

    26.  L’accès au téléphone était très limité et la fourniture d’une carte téléphonique dépendait du bon vouloir des gardiens.

    27.  Le requérant ne reçut aucun produit d’hygiène corporelle. Les couvertures étaient très sales et la nourriture d’une qualité nutritionnelle très basse. Les détenus devaient acheter eux-mêmes de l’eau potable.

    28.  Les cellules ne disposaient ni de chaises, ni de tables, ni d’armoires. Il n’y avait pas de chauffage en hiver malgré la rudesse des mois de cette saison dans la région d’Evros.

    29.  Sur les lieux de détention en question, il n’y avait ni interprète ni assistance juridique, de sorte que les détenus n’étaient pas informés de leurs droits et de la procédure d’asile.

    2.  La version du Gouvernement

    30.  Le Gouvernement décrit comme suit les conditions de détention du requérant dans les locaux susmentionnés.

    En fonction du nombre de détenus et de la saison, toutes les mesures nécessaires étaient prises afin d’assurer la promenade des détenus à toute heure de la journée. Le nettoyage des espaces de détention était effectué quotidiennement par une société privée. Chaque dortoir disposait d’un système de chauffage qui fonctionnait en permanence pendant l’hiver.

    31.  L’alimentation des détenus était prise en charge par la préfecture d’Evros, laquelle avait confié à une société privée le soin de fournir trois repas quotidiens aux détenus.

    32.  En ce qui concerne les soins médicaux, deux unités médicales mobiles étaient actives dans le secteur. De plus, les personnels scientifiques de la région d’Evros étaient présents quotidiennement dans les lieux de détention. De même, la présence d’organisations non gouvernementales, comme par exemple l’association « Médecins sans frontières » pouvait être autorisée, comme cela fut le cas entre novembre 2010 et février 2011. Des ambulances étaient mises aussi à disposition pour le transfert des détenus vers les hôpitaux d’Alexandroupoli et de Didymotikho en cas de nécessité.

    33.  Les détenus recevaient régulièrement des produits d’hygiène personnelle distribués soit par les autorités des postes-frontières, soit par « Médecins sans frontières ». Ils pouvaient aussi communiquer avec le monde extérieur en utilisant des téléphones à cartes fournies en nombre suffisant.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    34.  Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont exposés dans les arrêts de los Santos et de la Cruz c. Grèce (nos 2134/12 et 2161/12, §§ 21-25, 26 juin 2014), C.D. et autres c. Grèce (nos 33441/10, 33468/10 et 33476/10, §§ 27-33, 19 décembre 2013) et Barjamaj c. Grèce (no 36657/11, §§ 17-23, 2 mai 2013).

    III.  LES CONSTATS DES ORGANISATIONS ET INSTITUTIONS NATIONALES ET INTERNATIONALES

    A.  Le rapport du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), en date du 10 janvier 2012, relatif à sa visite du 19 au 27 janvier 2011

    35.  Les constats ressortant du rapport du CPT établi le 10 janvier 2012 sont exposés dans l’arrêt B.M. c. Grèce (no 53608/11, §§ 43-45, 19 décembre 2013).

    B.  Les constats du représentant en Grèce du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés

    36.  Par une lettre adressée au Conseil hellénique pour les réfugiés, le représentant en Grèce du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés faisait part de ses constats concernant une visite effectuée au poste-frontière de Soufli du 29 septembre au 1er octobre 2010.

    37.  Le représentant constatait que l’espace de détention était composé de deux dortoirs, non séparés, disposant de lits en ciment et de matelas juxtaposés. À côté, dans des couloirs étroits, il y avait des sommiers en bois, couverts de cartons, et des couvertures qui servaient de lits pour les détenus en surnombre. L’espace était bondé en raison du grand nombre de détenus, et le passage d’un dortoir à l’autre était impossible. L’atmosphère des dortoirs était étouffante car ces derniers étaient insuffisamment ventilés. Les fenêtres étaient en hauteur et n’assuraient ni une aération ni un éclairage suffisants. Les matelas et les couvertures étaient sales. Les deux toilettes et les deux douches se trouvaient dans l’espace de détention, et elles étaient sales et pleines de détritus. La plupart des détenus étaient couchés car il n’y avait pas d’espace pour circuler. Aucune brochure d’information concernant le statut légal et les droits des détenus n’était disponible.

    38.  Les femmes détenues avaient exprimé leur désarroi et leur désespoir face à leurs conditions de détention qui, selon elles, étaient insupportables : matelas et couvertures sales, espace commun de détention avec les hommes, toilettes communes sales, impossibilité d’être propre, manque de produits d’hygiène (savon, shampoing, papier-toilette, serviettes hygiéniques, brosses à dents et dentifrices), impossibilité de laver les vêtements et les sous-vêtements et impossibilité de faire de l’exercice physique.

    39.  Plusieurs détenus se plaignaient de maladies dermatologiques et gastriques. Ils se plaignaient aussi du suivi médical, le médecin n’effectuant pas de visite dans le dortoir pour examiner les détenus et distribuant simplement des analgésiques à travers les barreaux de la porte.

    Les détenus qui avaient besoin d’un autre type de soins médicaux devaient en assumer les frais.

    Par ailleurs, les détenus devaient payer des frais pour les photos d’identité prises par les autorités aux fins d’apposition sur différents documents.

    40.  La lettre du représentant en Grèce du Haut Commissariat des Nations unies concluait que la situation qui régnait au poste-frontière de Soufli portait atteinte à la dignité humaine et qu’elle mettait en péril non seulement les droits fondamentaux des détenus mais leur vie même.

    C.  Les constats des institutions nationales et des organisations non-gouvernementales en ce qui concerne le fonctionnement du bureau d’asile de la direction des étrangers de l’Attique

    41.  Le requérant a soumis à la Cour la copie d’un document transmis le 22 mars 2013 par le médiateur de la République à la direction des étrangers de l’Attique. Ce document soulevait les problèmes existant dans la procédure de renouvellement des récépissés de demandes d’asile.

    42.  Le médiateur indiquait que, malgré les efforts de ladite direction, la situation avait été améliorée, mais pas au point de faciliter l’accès sans obstacle des intéressés au bureau d’asile tant pour le dépôt des demandes d’asile que pour le renouvellement des récépissés de demandeurs d’asile et l’obtention d’informations. Outre les difficultés d’accès, le médiateur constatait des retards dans la procédure de renouvellement des récépissés en raison de dysfonctionnements structurels, tels des problèmes d’archivage et des difficultés à retrouver les dossiers. Il précisait que ces problèmes persistaient même lorsque les intéressés étaient assistés par des avocats ou par des organisations non gouvernementales. Le médiateur affirmait que la direction susmentionnée n’avait toujours pas pu donner d’explications convaincantes quant aux problèmes d’accessibilité au bureau d’asile. De plus, il relevait que lors d’une visite sur les lieux, effectuée le 6 octobre 2012 par une délégation de ses services, il avait été constaté qu’aucune procédure claire permettant l’accès et l’accueil des étrangers n’avait été établie.

    43.  Par ailleurs, dans un document envoyé le 22 novembre 2011 à la Commission nationale des droits de l’homme, l’organisation non gouvernementale « Aitima » soulignait ce qui suit :

    « La procédure de renouvellement [du récépissé de demande d’asile] est simple mais, souvent, les demandeurs d’asile se trouvent dans l’impossibilité de la suivre en raison de facteurs propres à l’organisation de la direction des étrangers de l’Attique. Plus particulièrement, le motif principal pour lequel les demandeurs d’asile ne peuvent pas renouveler leurs récépissés consiste en l’impossibilité de retrouver les dossiers dans les archives de la direction. [Bien souvent], même si notre organisation intervient pour accélérer les recherches afin de retrouver un dossier (...), le renouvellement n’est pas effectué. Il existe un cas caractéristique de tentative de renouvellement entreprise par notre organisation pour aider un étranger qui, depuis le 14 avril, essayait de [faire] renouveler son récépissé. [Cet] étranger a saisi notre organisation en septembre. À la suite de trois interventions de notre part, le dossier a été retrouvé cinq mois plus tard. Toutefois, lorsque l’étranger [en question], informé par nos soins que son dossier avait été retrouvé, s’est rendu de nouveau à la direction des étrangers de l’Attique et a demandé le renouvellement [de son récépissé], celui-ci n’a pas [été effectué]. Le dossier n’a [plus] été retrouvé jusqu’à aujourd’hui. »

    EN DROIT

    I.  SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

    44.  Le requérant se plaint de ses conditions de détention dans les postes- frontières de Soufli et de Ferres ainsi que de la situation de dénuement total dans laquelle il s’est trouvé depuis sa mise en liberté. Il allègue une violation de l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité

    45.  Le Gouvernement invite la Cour à rejeter le grief tiré des conditions de détention pour non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient que le requérant a omis d’introduire une action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, combiné d’une part avec l’article 3 de la Convention - directement applicable dans l’ordre juridique interne - et d’autre part avec les dispositions applicables aux étrangers qui font l’objet d’une décision administrative d’expulsion. Au titre de ces dernières dispositions, il cite notamment les articles 66 § 4, 66 § 5 d), 90 § 3 b), 91 § 1 et 92 §§ 6 et 7 du décret présidentiel no 141/1991 relatif aux compétences des organes du ministère de l’Ordre public, ainsi que les articles 2 et 3 du décret présidentiel no 254/2004 portant code de déontologie des fonctionnaires de police.

    46.  Le requérant soutient qu’il a fait tout ce qui pouvait être raisonnablement exigé de lui, et notamment qu’il a présenté des objections contre sa détention en raison, selon lui, de son illégalité et qu’il s’est plaint de ses conditions de détention devant le président du tribunal administratif.

    47.  La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle elle n’est pas convaincue qu’un recours indemnitaire sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil pour cause de conditions de détention inhumaines et dégradantes dans les centres de rétention pour étrangers aurait une chance raisonnable de succès et offrirait au moment des faits un redressement approprié (A.F. c. Grèce, no 53709/11, §§ 59 et 61, 13 juin 2013). Elle rappelle aussi avoir déjà conclu que, nonobstant le fait qu’un requérant n’a pas fait usage de la voie suggérée par le gouvernement défendeur, en l’état actuel de la jurisprudence nationale, le grief de l’intéressé ne saurait être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes (de los Santos et de la Cruz c. Grèce, précité, § 37). Elle rejette donc l’exception du Gouvernement sur ce point.

    48.  Constatant que les deux griefs tirés de l’article 3 de la Convention ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

    B.  Sur le fond

    1.  En ce qui concerne les conditions de détention du requérant

    49.  Le Gouvernement considère que le requérant présente des griefs et des arguments à caractère général et qu’il ne décrit pas des faits concrets le concernant. Se référant à sa version des conditions de détention (paragraphes 30-33 ci-dessus), il soutient que le requérant n’a pas subi une pression physique ou psychologique d’une gravité telle que l’on pourrait la qualifier de traitement dégradant.

    50.  Le requérant se réfère à sa version des conditions de sa détention (paragraphes 24-29 ci-dessus), et il soutient qu’il a été détenu pendant six mois dans des cellules surpeuplées et sans avoir la possibilité de sortir dans une cour pour se promener ou faire de l’exercice physique.

    51.  En ce qui concerne les principes généraux régissant l’application de l’article 3 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 90-94, CEDH 2000-XI ; Peers c. Grèce, no 28524/95, §§ 67-68, CEDH 2001-III ; Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 95, CEDH 2002-VI ; Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 97, 24 janvier 2008 ; Tabesh c. Grèce, no 8256/07, §§ 34-37, 26 novembre 2009; Rahimi c. Grèce, no 8687/08, §§ 59-62, 5 avril 2011 ; R.U. c. Grèce, no 2237/08, §§ 54-56, 7 juin 2011 ; A.F. c. Grèce, précité, §§ 68-70, et de los Santos et de la Cruz c. Grèce, précité, § 43).

    52.  En l’occurrence, la Cour souligne qu’elle a déjà conclu à la violation de l’article 3 de la Convention, à plusieurs reprises, dans des affaires relatives aux conditions de détention d’étrangers dans des postes-frontières grecs, et notamment dans ceux de Ferres et Soufli (S.D. c. Grèce, no 53541/07, 11 juin 2009, M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, 21 janvier 2011, R.U. c. Grèce, A.F. c. Grèce et B.M. c. Grèce, précités).

    53.  La Cour relève en l’espèce que, sur une période totale de six mois environ, le requérant a été détenu en grande partie aux postes-frontières de Ferres et de Soufli. La Cour a par ailleurs pris note des constats concernant ces postes-frontières effectués par diverses organisations et institutions nationales et internationales - à savoir le CPT dans son rapport du 10 janvier 2012, le représentant du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés à la suite de sa visite effectuée du 29 septembre au 1er octobre 2010, ainsi que la Commission nationale pour les droits de l’homme et le médiateur de la République à la suite de leur visite effectuée du 18 au 20 mars 2011 -, ces constats étant mentionnés dans les arrêts A.F. c. Grèce et B.M. c. Grèce précités (paragraphes 33-37 et 43-55 respectivement). Il ressort du dossier que rien n’avait changé, lors du séjour du requérant dans ces postes-frontières, par rapport à la situation relevée dans les arrêts précités.

    54.  Dans ces circonstances, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument permettant de contredire ces constats et pouvant mener dans la présente espèce à une conclusion différente de celle à laquelle elle est parvenue dans les affaires précitées.

    55.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que la détention du requérant s’analyse en un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention et qu’il y a donc eu en l’espèce violation de cette disposition.

    2.  En ce qui concerne les conditions d’existence du requérant après sa mise en liberté

    56.  Le Gouvernement consacre de longs développements dans ses observations sur les mesures prises par l’État pour améliorer les conditions de fonctionnement de différents services qui s’occupent de l’accueil des demandeurs d’asile. Il fournit des statistiques détaillées sur le grand nombre de demandeurs d’asile qui ont bénéficié de différents programmes d’assistance, lesquels ont été mis en place par les autorités soit directement soit avec l’aide d’organisations non gouvernementales. En ce qui concerne le requérant, il indique que celui-ci a bénéficié de ces mesures notamment en étant pris en charge par le Conseil hellénique pour les réfugiés. Quant aux conditions d’existence de l’intéressé, le Gouvernement confirme qu’il a été provisoirement impossible de lui trouver un hébergement, en raison à ses dires du grand nombre de migrants irréguliers arrivés en même temps que lui, mais il précise que les autorités compétentes s’étaient engagées à lui trouver un logement dès que possible.

    57.  Le requérant soutient non seulement que les autorités ne lui ont pas assuré des conditions d’accueil dignes de ce nom, mais, au contraire, qu’elles l’ont empêché d’améliorer ses conditions d’existence en retardant le renouvellement de son récépissé de demandeur d’asile et en refusant de lui accorder un permis de travail ou un numéro d’identification fiscal. Il affirme, en outre, que les nouveaux service d’asile et centre d’accueil pour demandeurs d’asile, opérationnels selon lui seulement depuis juin 2013, n’ont pas permis d’améliorer la situation : au total, la capacité d’accueil des différents centres d’accueil ne dépasserait pas mille places, y compris celles destinées aux mineurs, et les nouveaux demandeurs d’asile continueraient à être placés en détention.

    58.  La Cour rappelle qu’elle s’est déjà penchée sur les conditions d’existence en Grèce des demandeurs d’asile, livrés à eux-mêmes et vivant de longs mois dans une situation de dénuement extrême, dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce (précité). Dans cet arrêt (ibidem, § 263), la Cour s’est prononcée ainsi :

    « (...) compte tenu des obligations reposant sur les autorités grecques en vertu de la directive européenne Accueil (...), la Cour est d’avis qu’elles n’ont pas dûment tenu compte de la vulnérabilité du requérant comme demandeur d’asile et doivent être tenues pour responsables, en raison de leur passivité, des conditions dans lesquelles il s’est trouvé pendant des mois, vivant dans la rue, sans ressources, sans accès à des sanitaires, ne disposant d’aucun moyen de subvenir à ses besoins essentiels. La Cour estime que le requérant a été victime d’un traitement humiliant témoignant d’un manque de respect pour sa dignité et que cette situation a, sans aucun doute, suscité chez lui des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à conduire au désespoir. Elle considère que de telles conditions d’existence, combinées avec l’incertitude prolongée dans laquelle il est resté et l’absence totale de perspective de voir sa situation s’améliorer, ont atteint le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention. »

    59.  La Cour estime que ces considérations (voir aussi l’arrêt Tarakhel c. Suisse [GC], no 29217/12, §§ 96-98, 4 novembre 2014) sont également pertinentes dans les circonstances de la présente espèce. Elle note ainsi que, après avoir été mis en liberté le 16 mai 2011, le requérant s’est rendu à Athènes où il a vécu soit comme un sans-abri, soit en squattant divers bâtiments désaffectés. Elle observe aussi que l’intéressé a obtenu un renouvellement conditionnel de son récépissé pour trois mois supplémentaires, mais qu’il s’est heurté à des difficultés pour faire renouveler par la suite ce document (paragraphe 21 ci-dessus). À cet égard, la Cour prend acte des critiques émises par le médiateur de la République s’agissant de l’accueil des demandeurs d’asile dans les locaux de la direction des étrangers de l’Attique (paragraphes 43-44 ci-dessus).

    60.  Par ailleurs, la Cour a des doutes quant à l’utilité, en pratique, de la possession d’une carte rose valide. Elle note que le titulaire d’une telle carte peut, en théorie, prétendre à un hébergement en structure d’accueil ou avoir accès au marché du travail. Or, elle relève, d’une part, qu’il existe en Grèce peu de places dans les centres d’accueil pour faire face à l’hébergement de dizaines de milliers de demandeurs d’asile et, d’autre part, que l’accès au marché du travail comporte des obstacles administratifs mais aussi pratiques dus à l’absence de tout réseau de soutien et au contexte général de crise économique (M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§ 258 et 261).

    61.  Dans ces conditions, la Cour estime en l’occurrence que seul un examen diligent de la demande d’asile du requérant aurait pu mettre un terme à la situation dans laquelle il s’est trouvé - et se trouve encore probablement - depuis le 16 mai 2011. Or, elle observe que le recours de l’intéressé introduit le 20 avril 2011 devant la commission des recours de deuxième degré était pendant encore au moins jusqu’au 9 septembre 2013, date du dépôt des observations de l’intéressé devant elle.

    62.  Il s’ensuit que le requérant s’est retrouvé, par le fait des autorités, dans une situation dégradante contraire à l’article 3 de la Convention. Dès lors, il y a eu également violation de cette disposition au regard de ce grief.

    II.  SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 5 §§ 1 ET 4 DE LA CONVENTION

    63.  Invoquant l’article 5 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de l’illégalité de sa détention, soutenant que celle-ci était contraire aux dispositions de l’article 13 du décret no 114/2010. Il dénonce également sa détention aux motifs qu’elle a été décidée alors que les autorités auraient refusé d’enregistrer sa demande d’asile, qu’elle a été maintenue alors que l’expulsion n’était pas immédiatement exécutoire et qu’elle a été exécutée dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention.

    64.  En outre, le requérant se plaint de ne pas avoir eu accès, dès le début de sa détention, aux voies de recours offertes par le droit grec. Il dénonce aussi l’ineffectivité du recours que représente la possibilité de formuler des objections contre la détention, en raison - à ses dires - de l’absence d’examen des conditions de détention par le tribunal administratif et de l’absence d’un recours devant un deuxième degré de juridiction en cas de rejet desdites objections. Il allègue une violation de l’article 5 § 4 de la Convention à cet égard.

    65.  La Cour rappelle que le délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention vise à assurer la sécurité juridique en garantissant que les affaires qui soulèvent des questions au regard de la Convention puissent être examinées dans un délai raisonnable et que les décisions passées ne soient pas indéfiniment susceptibles d’être remises en cause. Cette règle marque la limite temporelle du contrôle effectué par les organes de la Convention et indique aux particuliers comme aux autorités la période au-delà de laquelle ce contrôle ne peut plus s’exercer. En règle générale, le délai de six mois commence à courir à la date de la décision définitive intervenue dans le cadre du processus d’épuisement des voies de recours internes (Varnava et autres c. Turquie [GC], nos 16064/90, 16065/90, 16066/90, 16068/90, 16069/90, 16070/90, 16071/90, 16072/90 et 16073/90, §§ 156-157, CEDH 2009).

    66.  En l’espèce, la Cour note que le requérant a fait usage de la voie de recours que constitue la formulation d’objections, en application du paragraphe 3 de l’article 76 de la loi no 3386/2005. Elle note aussi que le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli, le 21 janvier 2011, a rejeté les objections du requérant par lesquelles celui-ci contestait la légalité de sa détention. Or, elle constate que le requérant ne l’a saisie que le 7 octobre 2011, soit plus de six mois après la décision susmentionnée.

    67.  Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour non-respect du délai de six mois, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

    III.  SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION COMBINE AVEC L’ARTICLE 3

    68.  Invoquant l’article 13 de la Convention, le requérant dénonce aussi l’absence d’un recours effectif pour se plaindre de ses conditions de détention.

    69.  La Cour constate que le grief du requérant tiré de l’article 13 porte pour l’essentiel sur l’effectivité du contrôle exercé par le président du tribunal administratif à travers les objections formulées au titre de l’article 76 de la loi no 3386/2005. Or, dans les circonstances de l’espèce, la Cour a considéré, dans le cadre de l’examen de la violation alléguée de l’article 5 de la Convention, que le requérant avait saisi la Cour plus de six mois après les décisions du président du tribunal administratif dont il se plaint. Par conséquent, le grief susmentionné doit aussi être rejeté pour non-respect de ce délai.

    IV.  SUR L’APPLICATION DES ARTICLES 46 ET 41 DE LA CONVENTION

    A.  Article 46 de la Convention

    70.  En parvenant à la conclusion de violation de l’article 3 relative aux conditions de détention du requérant, la Cour s’est fondée sur les circonstances particulières du grief de celui-ci à cet égard. Toutefois, elle se doit de souligner, de manière générale, que le problème qui sous-tend la violation de l’article 3 en l’espèce va au-delà des intérêts personnels du requérant dont il s’agit (voir, mutatis mutandis, Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, §§ 184 etc., 10 janvier 2012). En effet, la Cour a déjà eu à plusieurs reprises l’occasion de se prononcer sur les conditions régnant dans les postes-frontières de Soufli et de Ferres et elle a conclu dans un certain nombre d’arrêts que celles-ci enfreignaient l’interdiction de mauvais traitements posée par l’article 3 de la Convention (voir notamment les arrêts S.D. c. Grèce, précité ; R.U. c. Grèce, précité, Ahmade c. Grèce, no 50520/09, 25 septembre 2012 ; A.F. c. Grèce, précité, B.M. c. Grèce, précité ; F.H. c. Grèce, no 78456/11, 31 juillet 2014). Les constats de la Cour sur la situation individuelle des requérants dans les affaires précitées ont, de par leur nature, une portée plus large et ont été faits à lumière des préoccupations générales exprimées par le CPT, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, le médiateur de la République et la Commission nationale des droits de l’homme en Grèce. De plus, un grand nombre d’affaires contre la Grèce, qui soulèvent des griefs similaires, est actuellement pendant devant la Cour. Rien ne laisse à penser que le flux continu de ce type d’affaires cesserait dans un avenir immédiat.

    71.  Ainsi la Cour considère que la présente affaire appelle l’adoption de mesures générales dans le but d’assurer que les conditions de détention dans les centres de rétention de la région d’Evros changent afin de mettre fin aux traitements inhumains et dégradants, incompatibles avec l’article 3, des personnes qu’y sont détenues. Il n’appartient pas à la Cour d’indiquer les mesures que l’État défendeur doit prendre à cet effet. Dans le présent arrêt, ainsi que dans les arrêts susmentionnés, la Cour a déjà relevé les sources particulières de préoccupations qui vont à l’encontre des obligations assumées par la Grèce en vertu de la Convention. Il est entendu en outre que l’État défendeur reste libre, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens de s’acquitter de son obligation juridique au regard de l’article 46 de la Convention pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour (Ananyev et autres, précité, §194).

    B.  Article 41 de la Convention

    72.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    73.  Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi.

    74.  Le Gouvernement estime que la somme demandée est excessive.

    75.  La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 6 500 EUR au titre du préjudice moral.

    B.  Frais et dépens

    76.  Le requérant, qui a bénéficié de l’aide juridictionnelle devant la Cour, ne demande aucune somme au titre des frais et dépens.

    C.  Intérêts moratoires

    77.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 3 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions de détention du requérant ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions d’existence du requérant après sa mise en liberté ;

     

    4.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 6 500 EUR (six mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 décembre 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

       Søren Nielsen                                                               Isabelle Berro-Lefèvre
            Greffier                                                                              Présidente

     


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