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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> FLORIN ANDREI v. ROMANIA - 33228/05 - Chamber Judgment [2014] ECHR 400 (15 April 2014) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/400.html Cite as: [2014] ECHR 400 |
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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE FLORIN ANDREI c. ROUMANIE
(Requête no 33228/05)
ARRÊT
STRASBOURG
15 avril 2014
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Florin Andrei c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall,
président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Dragoljub Popović,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 mars 2014,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 33228/05) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Florin Andrei (« le requérant »), a saisi la Cour le 7 septembre 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me A. Grigorescu, avocate à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, d’abord Mme I. Cambrea, puis Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant allègue en particulier que les conditions de sa détention dans les locaux de détention de la police de Constanţa étaient contraires à l’article 3 de la Convention et que le fait de n’avoir pas pu accéder à un prêtre pour se confesser un certain jour, au cours de sa détention, aurait enfreint l’article 9 de la Convention.
4. Le 28 mars 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1982 et réside à Constanţa.
1. La procédure pénale menée contre le requérant
6. Le 24 mai 2005, R. déposa une plainte pénale pour mauvais traitements contre quatre individus, dont le requérant. Il affirmait avoir été agressé par ces personnes puis obligé de se déshabiller et de plonger dans un lac situé à proximité de la ville de Constanţa. R. ajoutait qu’il avait été contraint de remettre à ses agresseurs 5 000 dollars américains (USD) pour qu’ils arrêtent ce traitement. Une autre personne, P., déclara avoir été soumise à un traitement similaire, par les quatre mêmes personnes.
7. À partir du 9 juin 2005, un juge du tribunal de Constanţa ordonna, pour une période de trente jours, l’enregistrement des conversations téléphoniques des quatre personnes soupçonnées d’avoir agressé R. et P.
8. Le 18 juillet 2005, le requérant fut interpellé et conduit au bureau des enquêtes sur le crime organisé.
9. Le 19 juillet 2005, vers 1 heure, il fut placé en garde à vue pour enlèvement, séquestration et chantage.
10. Le 20 juillet 2005, le tribunal départemental de Constanţa ordonna le placement du requérant en détention provisoire jusqu’au 17 août 2005. À la suite d’un pourvoi en recours formé par le requérant contre ce jugement avant dire droit, la durée de la détention provisoire fut réduite de neuf jours, pour se terminer le 8 août 2005. Le 5 août 2005, la détention provisoire du requérant fut prolongée, par le même tribunal, jusqu’au 12 août 2005.
11. Le 11 août 2005, la direction des enquêtes sur le crime organisé et le terrorisme du ministère public demanda au tribunal départemental de Constanţa la prolongation de la détention provisoire du requérant du 13 août au 23 août 2005. Par un jugement avant dire droit prononcé le même jour, le tribunal fit droit à cette demande. Le requérant forma un pourvoi en recours contre ce jugement.
12. Par un arrêt du 13 août 2005, la cour d’appel de Constanţa rejeta le pourvoi du requérant et confirma le jugement avant dire droit du 11 août 2005.
13. La détention provisoire du requérant fut successivement prolongée par le tribunal et la cour d’appel de Constanţa jusqu’au 21 octobre 2005. Par un arrêt rendu à cette dernière date, la cour d’appel de Constanţa accueillit le pourvoi en recours du requérant, mit fin à sa détention provisoire et ordonna l’application d’une mesure provisoire moins stricte, consistant dans l’interdiction de quitter la ville de Constanţa tant que durerait l’enquête ouverte à son encontre.
14. Le 11 février 2008, le tribunal départemental de Constanţa condamna le requérant à un an et dix mois de prison avec sursis. Cette condamnation fut confirmée, en appel, par un arrêt du 1er avril 2009 de la cour d’appel de Constanţa, puis, sur pourvoi en recours du requérant, par un arrêt du 24 novembre 2009 de la Haute Cour de cassation et de justice.
2. Les conditions de détention dans les locaux de la police
15. Entre-temps, le 19 juillet 2005, le requérant avait été incarcéré dans une cellule des locaux de détention de la police départementale de Constanţa. À propos de sa détention, il affirme ce qui suit.
Pendant sa privation de liberté, il a été contraint de partager une cellule sans éclairage ni ventilation suffisants, avec onze autres détenus, tous fumeurs, et de subir des conditions d’hygiène déplorables. Il n’a pas pu changer de vêtements pendant les quatre premiers jours de sa détention. Son accès aux toilettes, situées en dehors de sa cellule, était limité et dépendait du bon vouloir des gardiens. En général, ceux-ci lui accordaient la permission de se rendre aux toilettes non pas quand il en ressentait le besoin, mais seulement à de rares occasions décidées par eux. Le reste du temps, lui-même et ses codétenus étaient obligés de satisfaire leurs besoins naturels dans un seau d’un usage très insalubre. En outre, lorsque le seau était plein, ils étaient obligés de s’abstenir d’uriner jusqu’à ce qu’on les autorisât à sortir de la cellule pour le vider. D’avoir dû supporter ces conditions a provoqué chez lui de fortes douleurs abdominales.
16. Le 15 août 2005, l’avocate du requérant saisit le procureur d’une plainte dénonçant les mauvaises conditions de détention de son client dans les locaux de la police, y compris des entraves à son accès aux toilettes. Cette plainte fut versée au dossier de l’enquête concernant le requérant et resta, selon lui, sans suite.
17. La lettre du 13 juillet 2011 adressée à l’agent du gouvernement roumain auprès de la Cour par l’inspection générale de la police indique que le requérant a séjourné dans les locaux de détention de la police de Constanţa du 19 juillet au 25 août 2005, date de son transfert à la prison de Poarta Albă, et du 30 août au 29 septembre 2005, date à laquelle il aurait été à nouveau transféré à la prison de Poarta Albă. Durant les deux périodes, l’intéressé aurait partagé avec, au plus, neuf autres personnes la cellule no 10, d’une surface totale de 36,25 m2. Le nombre total de lits ne serait pas connu, mais chaque personne aurait disposé d’un lit.
18. Il ressort également de cette lettre que, à l’époque des faits, il n’y avait pas de sanitaires dans la cellule, mais que les personnes qui y étaient détenues pouvaient utiliser les toilettes situées à l’extérieur de la cellule en en faisant la demande aux gardiens. Elles auraient également eu accès, au même endroit, à des douches avec eau chaude.
19. Cette lettre indique encore que la cellule était éclairée naturellement par une fenêtre de 120 cm de largeur et de 70 cm de hauteur et bien aérée, et qu’à l’époque des faits les détenus étaient autorisés à fumer dans les cellules.
20. Enfin, toujours selon la même lettre, le requérant avait eu la permission de garder ses effets personnels lors de son placement en détention provisoire et il était autorisé à recevoir des visites et des colis. Les visites et la réception des colis étant programmées pour le vendredi de chaque semaine, l’intéressé avait pu, d’après l’inspection générale de la police, recevoir des vêtements de rechange de sa famille le 22 juillet 2005, premier vendredi après son placement en détention provisoire.
21. Juste avant sa remise en liberté, le 21 octobre 2005, le requérant fut traité à l’hôpital pénitentiaire de Poarta Albă pour une infection urinaire et une colique néphrétique.
3. Autres éléments factuels
22. Le 15 août 2005, à l’occasion d’une fête religieuse chrétienne, l’avocate du requérant sollicita des organes d’enquête que son client, qui lui aurait dit qu’il souhaitait pratiquer sa religion notamment en se confessant, fût autorisé à voir un prêtre. Le procureur ne donna pas suite à cette demande au motif que le requérant se trouvait ce jour-là à la disposition des enquêteurs, au siège du parquet, avec d’autres coaccusés auxquels il devait être confronté.
23. Par ailleurs, à la suite de l’arrestation du requérant et de ses coïnculpés, plusieurs journaux locaux avaient publié des articles concernant les faits ayant entraîné leur arrestation et le déroulement des audiences portant sur les mesures privatives de liberté prises à l’encontre des intéressés. Le requérant écrivit plusieurs lettres aux journaux en question en réclamant un droit de réponse, selon lui en vain. Il n’a pas indiqué à la Cour s’il avait ou non poursuivi en justice lesdits journaux.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS
A. Le droit et la pratique internes pertinents
24. Les dispositions du droit et de la pratique internes pertinents en l’espèce concernant l’exécution des peines et des mesures provisoires privatives de liberté sont partiellement décrites, entre autres, dans les arrêts Gagiu c. Roumanie (no 63258/00, §§ 41-42, 24 février 2009) et Porumb c. Roumanie (no 19832/04, §§ 39-43, 7 décembre 2010).
25. Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce au sujet du tabagisme passif dans les lieux de détention sont décrits dans l’arrêt Florea c. Roumanie (no 37186/03, §§ 29-30, 14 septembre 2010).
26. Enfin, le droit et la pratique internes relatifs à l’assistance religieuse dans les lieux de détention sont décrits dans l’arrêt Iorgoiu c. Roumanie (no 1831/02, § 49, 17 juillet 2012).
B. Les rapports et les recommandations internes et internationaux pertinents
27. Le droit et la pratique internationaux pertinents en l’espèce ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) rendues à la suite de plusieurs visites effectuées en Roumanie tout comme ses observations à caractère général sont résumés dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012).
28. Plus particulièrement, les recommandations générales du CPT au sujet de l’accès aux installations sanitaires et aux toilettes ont été exposées dans l’arrêt Bragadireanu c. Roumanie (no 22088/04, § 74, 6 décembre 2007).
29. Les constats du CPT, y compris au sujet de l’accès des détenus aux toilettes dans les locaux de détention de la police visités en Roumanie, ont été exposés dans l’arrêt Marin Vasilescu c. Roumanie (no 62353/09, § 20, 11 juin 2013).
30. Dans un rapport, publié le 11 décembre 2008 à la suite de la visite qu’il a effectuée en Roumanie du 8 au 19 juin 2006, le CPT dresse un état des lieux détaillé de la situation rencontrée dans les différents locaux de détention de la police qu’il avait visités. Les extraits pertinents en l’espèce du rapport se lisent ainsi :
« L’état des cellules était déplorable, la lumière naturelle dans les cellules était, au mieux, médiocre et la lumière artificielle variait de convenable à mauvaise. Pire encore, les détenus n’avaient accès aux toilettes que trois fois par jour et jamais pendant la nuit, ce qui les obligeait à utiliser des seaux pour satisfaire leurs besoins naturels.
Ce dernier problème a également été observé au dépôt de Bacău. En outre, dans cet établissement, les toilettes communes étaient ouvertes et la salle de douches était dans un état lamentable.
(...)
Eu égard aux constatations ci-dessus, le CPT en appelle aux autorités roumaines pour qu’elles prennent des mesures immédiates afin que :
(...)
- les détenus placés dans les dépôts de Bacău et de Craiova puissent toujours avoir accès aux toilettes lorsque nécessaire. »
31.
« Les autorités roumaines ont informé la délégation qu’un certain nombre de dépôts [locaux de détention de la police] en très mauvais état avaient été fermés depuis la visite du CPT de 2006. En septembre 2010, le pays comptait 52 dépôts totalisant une capacité de 2 237 places, calculée sur une base de 4 m² d’espace de vie par personne détenue et par cellule (et non plus 6 m3). En ce qui concerne les dépôts en service, les autorités ont indiqué que le programme de réfection débuté après la visite de 2006 avait été ralenti en raison de la situation économique difficile. (...)
Des constatations faites lors de la visite de 2010 il ressort que très peu de progrès ont été réalisés s’agissant de la mise en œuvre des recommandations formulées de longue date par le CPT en vue d’améliorer les conditions matérielles de détention dans les dépôts de la police.
Dans les quatre dépôts visités, le taux d’occupation de la quasi-totalité des cellules était trop élevé (par exemple, 4 lits dans les cellules de 9 à 10 m², 6 lits dans les cellules de 14 à 16 m², et 8 lits dans des cellules de 28 m² environ). (...)
Au dépôt de Craiova, des travaux de rénovation avaient commencé mais le budget disponible avait permis, à ce stade, de ne restaurer totalement qu’une seule cellule (et celle-ci n’était pas encore en service). Les détenus étaient en conséquence hébergés dans des cellules en mauvais état d’entretien, parfois malodorantes, et où l’accès à la lumière naturelle, l’éclairage artificiel et l’aération étaient limités. La moitié des cellules environ étaient équipées de sanitaires ; les détenus hébergés dans les autres cellules pouvaient se rendre aux toilettes communes à tout moment (de jour comme de nuit) sur demande − il s’agit là d’un développement positif depuis la visite de 2006. La salle de douches était accessible deux fois par semaine.
Les personnes détenues dans les dépôts de la police ne recevaient pas de produits pour l’hygiène corporelle. (...) »
32. Dans ses rapports concernant les visites effectuées le 30 juin 2006, le 27 avril et le 15 mai 2007 dans les locaux de détention de la police départementale respectivement de Ialomiţa, de Târgovişte et de Mehedinţi, une organisation non gouvernementale locale, l’Association pour la défense des droits de l’homme en Roumanie - le Comité Helsinki (APADOR-CH) constatait ce qui suit : les personnes détenues étaient emmenées aux toilettes situées à l’extérieur de leurs cellules selon un horaire fixé à l’avance. En dehors des créneaux préétablis, les intéressés devaient se signaler aux gardiens, qui les faisaient sortir de la cellule pour qu’ils se rendent aux toilettes. Dans certains locaux de détention, comme ceux de la police départementale de Târgovişte et de Mehedinţi, ces demandes n’étaient pas satisfaites pendant la nuit, c’est-à-dire de 22 heures à 6 heures du matin. De ce fait, les personnes détenues utilisaient des seaux d’un usage très insalubre, qu’ils gardaient toute la nuit dans les cellules.
33. Dans son rapport concernant la visite du 22 novembre 2013 des locaux de détention de la police de Constanţa, APADOR-CH constatait que les cellules se trouvaient en sous-sol (demisol), qu’elles étaient pourvues de fenêtres ne permettant qu’un éclairage et une ventilation insuffisants, et que, de ce fait, même si les murs avaient été repeints en 2012, soit une année auparavant, ils étaient déjà affectés par la moisissure (pour la description des conditions dans les locaux de détention de la police de Constanţa, voir aussi Dimakos c. Roumanie, no 10675/03, §§ 10-12, 6 juillet 2010).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
34. Le requérant dénonce les conditions de sa détention provisoire dans les locaux de la police à Constanţa, y compris le tabagisme passif. Il invoque à cet égard l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
35. Le Gouvernement excipe de l’irrecevabilité de ce grief pour non-épuisement des voies de recours internes. Il affirme que le requérant n’a pas saisi les autorités compétentes pour se plaindre des conditions de détention, ce que lui auraient permis les dispositions de l’ordonnance d’urgence du gouvernement (Ordonanţa de urgenţă a Guvernului, (« l’OUG ») no 56/2003 relative aux droits des personnes privées de liberté.
36. Le requérant estime que l’exception soulevée par le Gouvernement devrait être rejetée.
37. La Cour observe que, s’agissant des conditions matérielles de détention, le grief du requérant porte en particulier sur la surpopulation carcérale et les mauvaises conditions d’hygiène, y compris le manque d’accès aux toilettes. Elle rappelle à ce propos avoir déjà jugé, dans des affaires récentes relatives à un grief similaire et dirigées contre la Roumanie, qu’au vu de la particularité de ce grief l’action indiquée par le Gouvernement ne constituait pas un recours effectif à exercer par les requérants (Porumb, précité, §§ 61-62). Les arguments du Gouvernement ne sauraient mener en l’espèce la Cour à une conclusion différente. Elle note, par ailleurs, que le requérant a attiré par écrit l’attention des autorités compétentes sur les conditions de sa détention. Partant, il convient de rejeter cette exception.
38. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
39. Le requérant soutient que les conditions de sa détention ont franchi le seuil de gravité requis pour que l’article 3 de la Convention devienne applicable et qu’elles étaient de nature à enfreindre cette disposition de la Convention. Il considère ces conditions comme étant à l’origine de l’infection urinaire et de la colique néphrétique diagnostiquées et traitées avant sa remise en liberté.
40. Renvoyant aux informations reçues de la part de l’inspection générale de la police et soulignant la brièveté, à ses yeux, de la durée de la privation de liberté en question, le Gouvernement considère que les conditions de détention que le requérant dénonce n’ont pas atteint le seuil de gravité fixé par l’article 3 de la Convention. Il ajoute que l’intéressé n’a pas été affecté par cette détention au-delà du désagrément qu’impliquerait, par nature, toute détention.
41. Enfin, le Gouvernement affirme que, à la suite de travaux de rénovation qui auraient été réalisés après la fin de la période de détention provisoire du requérant, toutes les cellules des locaux de détention de la police départementale de Constanţa sont désormais équipées de toilettes.
2. Appréciation de la Cour
42. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention impose à l’État de s’assurer que toute personne détenue le soit dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, qui ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être de la personne détenue sont assurés de manière adéquate (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 92-94, CEDH 2000-XI). Lorsqu’on évalue les conditions de détention, il y a lieu de prendre en compte leurs effets cumulatifs (Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 46, CEDH 2001-II).
43. L’État est donc tenu, nonobstant les problèmes logistiques et financiers, d’organiser son système pénitentiaire de façon à assurer aux détenus le respect de leur dignité humaine (Choukhovoï c. Russie, no 63955/00, § 31, 27 mars 2008, et Benediktov c. Russie, no 106/02, § 37, 10 mai 2007). Cela peut impliquer l’obligation, à la charge de l’État, de prendre des mesures afin de protéger un détenu contre les effets nocifs du tabagisme passif lorsque, au vu des examens médicaux et des recommandations des médecins traitants, son état de santé l’exige (Elefteriadis c. Roumanie, no 38427/05, § 48, 25 janvier 2011, et Pavalache c. Roumanie, no 38746/03, § 88, 18 octobre 2011).
44. En l’espèce, s’agissant en particulier de l’espace personnel accordé au requérant, la Cour observe que d’après les informations fournies par le Gouvernement, le requérant partageait sa cellule avec neuf autres personnes. Ce faisant, il disposait d’un espace individuel inférieur à quatre mètres carrés, soit une superficie en deçà de la norme recommandée par le CPT pour les cellules collectives (Marin Vasilescu, précité, § 33).
45. La Cour note également que les autres allégations du requérant relatives aux conditions d’hygiène, notamment en ce qui concerne un manque d’accès au toilettes, sont plus que plausibles et reflètent des réalités décrites tant par le CPT dans son rapport établi à la suite de sa visite de 2006 dans plusieurs locaux de détention de la police roumains que par l’organisation non gouvernementale APADOR-CH dans son rapport établi à la suite de sa visite du 22 novembre 2013 dans les locaux de détention de la police départementale de Constanţa où le requérant a séjourné.
46. La Cour estime que les conditions de détention en cause n’ont pas manqué de soumettre le requérant à une épreuve d’une intensité qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (Retunscaia c. Roumanie, no 25251/04, § 77, 8 janvier 2013, Pop Blaga c. Roumanie, no 37379/02, § 46, 27 novembre 2012, Tadevosyan c. Arménie, no 41698/04, § 55, 2 décembre 2008, et Kaja c. Grèce, no 32927/03, § 49, 27 juillet 2006).
47. En outre, elle constate que certains aspects de ces conditions étaient de nature humiliante pour le requérant. Il s’agit, en particulier, du fait que l’accès de l’intéressé aux toilettes se trouvant à l’extérieur de sa cellule était possible seulement lorsque les gardiens le permettaient et non chaque fois qu’il en éprouvait lui-même le besoin. Aussi lui arrivait-il de faire ses besoins dans un seau, en présence des autres détenus (Kehayov c. Bulgarie, no 41035/98, §§ 70-71, 18 janvier 2005). Qui plus est, aux dires du requérant, ce seau était de plus d’une contenance insuffisante, étant donné le nombre de personnes qui s’en servaient, situation qui pouvait être à l’origine de problèmes de santé liés à l’obligation de se retenir d’uriner. En outre, l’absence de distribution de produits élémentaires d’hygiène, dénoncée par les rapports du CPT, ne pouvait qu’augmenter les risques sanitaires auxquels le requérant a été exposé durant sa détention provisoire.
48. Au vu de ce qui précède, il y a eu en l’espèce violation de l’article 3 de la Convention.
49. Compte tenu de ce constat, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer davantage sur la partie du grief relative à l’exposition au tabagisme passif (Flamînzeanu c. Roumanie, no 56664/08, § 99, 12 avril 2011).
II. SUR LA RECEVABILITÉ DU GRIEF TIRÉ DE L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION
50. Le requérant se plaint également de ne pas avoir pu se confesser lors de la fête religieuse du 15 août 2005 et de n’avoir ainsi pas pu pratiquer le culte chrétien orthodoxe. Il invoque à cet égard l’article 9 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
51. Le Gouvernement excipe de l’irrecevabilité de ce grief pour non-épuisement des voies de recours internes. Il affirme que le requérant n’a pas saisi un tribunal à ce sujet, ce que lui auraient permis les dispositions de l’OUG no 56/2003 relative aux droits des personnes privées de liberté.
52. À titre subsidiaire, le Gouvernement indique que le procureur n’a pas donné suite à la demande du requérant au motif que celui-ci se trouvait ce jour-là à la disposition des enquêteurs, au siège du parquet, avec d’autres coaccusés auxquels il devait être confronté. Il estime que le procureur avait dès lors une raison objective de rejeter la demande de l’intéressé. Il précise en outre que le procureur n’était pas compétent pour trancher la demande du requérant, cette compétence étant, d’après lui, celle des autorités du lieu de détention, que le requérant aurait omis de saisir. Il ajoute que l’intéressé n’a pas réitéré sa demande tout au long de sa détention provisoire.
53. Le requérant estime que l’exception soulevée par le Gouvernement devrait être rejetée.
54. La Cour note que le requérant n’a pas démontré avoir saisi les autorités responsables du lieu de détention de sa demande d’accès à un prêtre ni pour le 15 août, ni pour un autre jour tout au long de sa détention.
55. Au demeurant, la Cour a déjà constaté que l’assistance religieuse dans les lieux de détention, pour les chrétiens orthodoxes, était à l’époque des faits bien encadrée (Iorgoiu, précité, § 100). Eu égard aux circonstances de l’espèce, la Cour estime que le fait que le requérant n’avait pas pu se confesser un jour précis n’est pas de nature à porter atteinte aux droits garantis par l’article 9 de la Convention
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
III. SUR LES AUTRES GRIEFS
56. Invoquant l’article 5 § 1 de la Convention, le requérant soutient qu’il a été détenu illégalement du 12 au 13 août 2005.
57. Il se plaint également, sous l’angle de l’article 6 § 2 de la Convention, de la méconnaissance à son égard du principe de la présomption d’innocence en raison de la publication, par plusieurs journaux locaux, d’articles concernant les faits ayant entraîné son arrestation.
58. En outre, sous l’angle de l’article 6 § 3 d) de la Convention, il se plaint du prétendu refus des tribunaux d’entendre les témoins à décharge.
59. De surcroît, invoquant en substance l’article 8 de la Convention, il se plaint de l’enregistrement de ses conversations téléphoniques.
60. Invoquant enfin l’article 14 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 12 à la Convention, il déplore que les poursuites pénales le concernant aient été effectuées par la direction des enquêtes sur le crime organisé et le terrorisme et non par le parquet ordinaire.
61. La Cour note que, compte tenu de l’ensemble des éléments dont elle dispose et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, elle ne relève quant à l’ensemble de ces griefs aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par les articles de la Convention.
Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et qu’ils doivent être rejetés, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
62. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
63. Le requérant réclame 20 000 euros (EUR) pour préjudice moral. Il demande en outre la réparation du préjudice matériel qu’il dit avoir subi et réclame 4 618,47 EUR représentant, selon lui, la perte de revenus qui aurait résulté de son arrestation, somme à laquelle il ajoute 650 EUR pour frais de scolarisation.
64. Le Gouvernement estime, d’une part, que le requérant a surestimé son préjudice moral et, d’autre part, qu’il n’y a pas de lien de causalité entre la violation alléguée et le dommage matériel exposé.
65. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 3 000 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
66. Le requérant demande également 1 400 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour, dont 700 EUR de frais d’avocat.
67. Le Gouvernement expose que les frais d’avocat n’ont pas été étayés et que les autres frais présentés n’ont pas de lien avec l’objet de la requête.
68. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu de l’absence de documents justificatifs pour les frais d’avocat et de sa jurisprudence, la Cour rejette la demande.
C. Intérêts moratoires
69. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 avril 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Marialena Tsirli Josep Casadevall
Greffière adjointe Président