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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ACAN AND OTHERS v. TURKEY - 15234/05 - Committee Judgment (French text) [2014] ECHR 482 (13 May 2014)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/482.html
Cite as: [2014] ECHR 482

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE AÇAN ET AUTRES C. TURQUIE

     

    (Requête no 15234/05)

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    13 mai 2014

     

     

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Açan et autres c. Turquie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

    Nebojša Vučinić, président,
    Paul Lemmens,
    Robert Spano, juges,
    et de Abel Campos, greffier adjoint de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 avril 2014,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 15234/05) dirigée contre la République de Turquie et dont cinq ressortissants de cet État, M. Hasan Selim Açan, Mme Oya Açan, M. Kenan Güngör, M. Refik Ünal et Mme Hatice Nilgün Güngör (« les requérants »), ont saisi la Cour le 8 avril 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Les requérants sont représentés par Me K. Bayraktar, avocat à Ankara. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.

    3.  Le 1er septembre 2009, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    4.  Les requérants sont nés respectivement en 1954, 1955, 1951, 1967 et 1961.

    5.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

    A.  La procédure pénale principale

    6.  Les 10, 11 et 13 juin 1994, les requérants, soupçonnés d’appartenir à une organisation illégale, furent placés en garde à vue.

    7.  Le 22 juin 1994, ils furent placés en détention provisoire.

    8.  Par un acte d’accusation du 28 octobre 1994, le procureur de la République près la cour de sûreté d’État d’Istanbul inculpa les requérants de commandement d’une organisation illégale.

    9.  Les requérants Oya Açan, Hatice Nilgün Güngör et Refik Ünal furent remis en liberté respectivement le 20 novembre 1995, le 27 juin 1998 et le 25 octobre 1999.

    10.  Le 3 décembre 1999, les dossiers des requérants Oya Açan et Kenan Güngör furent disjoints du dossier principal et joints à un autre dossier instruit devant la cour de sûreté de l’État (voir paragraphes 16 et suivants ci-dessous).

    11.  Le requérant Hasan Selim Açan fut remis en liberté le 4 avril 2001.

    12.  À la suite de la suppression des cours de sûreté de l’État, la procédure continua devant la cour d’assises spéciale d’Istanbul.

    13.  Le 17 mai 2006, la cour d’assises spéciale condamna le requérant Hasan Selim Açan à dix-huit ans et neuf mois d’emprisonnement. Elle décida de mettre fin à la procédure pénale diligentée contre les requérants Refik Ünal et Hatice Nilgün Güngör en raison de la prescription.

    14.  Le 23 novembre 2006, la Cour de cassation confirma ce jugement.

    B.  La procédure pénale diligentée contre les requérants Oya Açan et Kenan Güngör

    15.  Le 16 mai 1998, la requérante Oya Açan fut placée en garde à vue pour la deuxième fois. Le 28 mai 1998, elle fut placée en détention provisoire.

    16.  Le 8 juin 1998, une nouvelle procédure pénale fut diligentée à l’encontre des requérants Oya Açan et Kenan Güngör pour appartenance à une organisation illégale et tentative de renversement de l’ordre constitutionnel. Les dossiers de ces deux requérants dans l’affaire déjà pendante devant la cour de sûreté de l’État d’Istanbul furent joints à cette nouvelle procédure (voir paragraphe 10 ci-dessus).

    17.  Le 29 juin 2001, la requérante Oya Açan fut remise en liberté.

    18.  Le 26 avril 2002, la cour de sûreté de l’Etat condamna Oya Açan à douze ans et six mois d’emprisonnement et Kenan Güngör à une peine d’emprisonnement à perpétuité.

    19.  Le 12 mai 2003, la Cour de cassation infirma ce jugement.

    20.  La procédure reprit devant la juridiction de première instance.

    21.  À l’audience du 30 octobre 2003, le dossier d’Oya Açan, qui restait introuvable, fut séparé et inscrit au rôle sous un nouveau numéro. Son avocat informa la Cour que le dossier de cette requérante était toujours en suspens parce que cette dernière vivait désormais en France et ne rentrait plus en Turquie.

    22.  À la suite de la suppression des cours de sûreté de l’État, la procédure pénale continua devant la cour d’assises d’Istanbul.

    23.  Le 25 janvier 2005, le requérant Kenan Güngör fut remis en liberté.

    24.  Le 22 mai 2009, il fut condamné à une peine de prison à perpétuité.

    25.  Le 11 mars 2011, la Cour de cassation confirma ce jugement.

    26.  Par une lettre du 28 août 2013, les requérants informèrent la Cour qu’ils avaient introduit un recours concernant la durée de la procédure pénale diligentée à leur encontre devant la commission d’indemnisation créée par la loi no 6384.

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

    27.  Les requérants allèguent que la durée de la détention provisoire subie par eux a enfreint l’article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé :

    « Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

    28.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

    A.  Sur la recevabilité

    29.  La Cour constate que les requérants Oya Açan, Hatice Nilgün Güngör, Refik Ünal et Hasan Selim Açan furent remis en liberté respectivement les 29 juin 2001, 27 juin 1998, 25 octobre 1999 et 4 avril 2001. Leur détention provisoire a donc pris fin plus de six mois avant l’introduction de la présente requête. Il s’ensuit que ce grief est tardif et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention concernant ces requérants.

    30.  Pour ce qui est du requérant Kenan Güngör, la Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable à l’égard de ce requérant.

    B.  Sur le fond

    31.  La Cour note que la détention provisoire du requérant Kenan Güngör a débuté le 22 juin 1994 et s’est interrompue par l’arrêt de la cour de sûreté de l’État du 26 avril 2002. Elle a repris par la décision d’infirmation de la Cour de cassation du 12 mai 2003 et s’est terminée le 25 janvier 2005 par sa remise en liberté. La détention provisoire du requérant a donc duré environ neuf ans et six mois.

    32.  La Cour rappelle qu’elle a déjà examiné des affaires portant sur des faits et griefs similaires et a conclu à maintes reprises à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Solmaz c. Turquie, no 27561/02, §§ 41-44, 16 janvier 2007, Dereci c. Turquie, no 77845/01, §§ 34-41, 24 mai 2005, Taciroğlu c. Turquie, no 25324/02, §§ 18-24, 2 février 2006, et Tunce et autres c. Turquie, nos 2422/06, 3712/08, 3714/08, 3715/08, 3717/08, 3718/08, 3719/08, 3724/08, 3725/08, 3728/08, 3730/08, 3731/08, 3733/08, 3734/08, 3735/08, 3737/08, 3739/08, 3740/08, 3745/08, et 3746/08, § 18, 13 octobre 2009. Le Gouvernement n’ayant fourni aucun fait ni argument qui permettrait de se départir en l’espèce de ces conclusions, la Cour conclut à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention dans le chef du requérant Kenan Güngör.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

    33.  Les requérants se plaignent de ce que leur cause n’a pas été entendue dans un délai raisonnable. Il invoque l’article 6 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente :

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

    34.  A la lumière de la décision Müdür Turgut et autres c. Turquie (no 4860/09, §§ 19-26, 26 mars 2013), le Gouvernement invite la Cour à déclarer ce grief irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes.

    35.  Les requérants informent la Cour qu’ils ont introduit un recours concernant la durée de la procédure pénale diligentée à leur encontre devant la commission d’indemnisation.

    36.  La Cour observe qu’elle a déjà examiné et déclaré irrecevables des griefs similaires pour non-épuisement des voies de recours internes. Pour ce faire, elle a estimé que le recours en indemnisation récemment instauré par loi no 6384 constituait une voie de recours accessible et susceptible d’offrir aux requérants des perspectives raisonnables de redressement pour leurs griefs tirés de la durée de la procédure, aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention, quand bien même ce recours aurait été instauré après l’introduction de ces requêtes (Müdür Turgut et autres, précitée, §§ 19-26 et 56). La Cour ne distingue en l’espèce aucune circonstance justifiant qu’elle adopte une approche différente.

    37.  Il s’ensuit que le grief des requérants tiré du « délai raisonnable » doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

    III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    38.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    39.  Le requérant Kenan Güngör réclame 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et 20 000 EUR pour le préjudice moral qu’il aurait subi.

    40.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

    41.  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 9 600 EUR au titre du préjudice moral.

    B.  Frais et dépens

    42.  Le requérant Kenan Güngör demande également 2 185 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Il ne fournit aucun document à ce titre.

    43.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

    44.  Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 500 EUR pour les frais et dépens, et l’accorde au requérant.

    C.  Intérêts moratoires

    45.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.   Déclare la requête recevable quant au grief du requérant Kenan Güngör tiré de la durée de sa détention provisoire et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention à l’égard du requérant Kenan Güngör ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant Kenan Güngör dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie nationale au taux applicable à la date du règlement :

    i)  9 600 EUR (neuf mille six cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  500 EUR (cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 mai 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Abel Campos Nebojša Vučinić
    Greffier adjoint
    Président


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