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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> YAYGIN v. TURKEY - 62581/12 - Committee Judgment (French Text) [2015] ECHR 119 (03 February 2015) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/119.html Cite as: [2015] ECHR 119 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE YAYĞIN c. TURQUIE
(Requête no 62581/12)
ARRÊT
STRASBOURG
3 février 2015
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Yayğın c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :
Nebojša Vučinić,
président,
Paul Lemmens,
Egidijus Kūris, juges,
et de Abel Campos, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 janvier 2015,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 62581/12) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant turc, M. Hikmet Yayğın (« le requérant »), a saisi la Cour le 5 juillet 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Mes İ. Akmeşe et Faruk Yayğın, avocats à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3. Le 18 mars 2013, la Requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1990 et réside à Şanlɪurfa.
5. Le 20 mai 2010, le requérant fut arrêté parce qu’il était soupçonné d’être membre du PKK, une organisation illégale.
6. Le 24 mai 2010, il a été traduit devant le juge, lequel ordonna son placement en détention provisoire.
7. Le 31 mai 2010, le procureur de la République inculpa le requérant sur le fondement de l’article 314 § 2 du code pénal. Le procès commença devant la 12e chambre de la cour d’assises d’Istanbul.
8. Le 23 février 2011, la cour d’assises tint la première audience au terme de laquelle elle ordonna le maintien en détention provisoire du requérant.
9. Au terme de l’audience du 16 mai 2012, la cour d’assises rejeta la demande d’élargissement du requérant et ordonna son maintien en détention provisoire.
10. Le 18 juin 2012, la 13e chambre de la cour d’assises d’Istanbul rejeta l’opposition formée par le requérant contre la décision de maintien en détention prise à l’issue de l’audience du 16 mai 2012. Elle statua sur dossier, conformément à l’avis écrit du procureur de la République.
11. Le requérant fut libéré le 16 avril 2013.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
12. Un exposé du droit et de la pratique internes pertinents figure dans l’arrêt Altınok c. Turquie (no 31610/08, §§ 28-32, 29 novembre 2011), et la décision Koçintar c. Turquie (no 77429/12, §§ 9-26, 1er juillet 2014).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION
13. Le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire invoquant l’article 5 § 3 la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »
14. Le Gouvernement soutient que le requérant aurait dû introduire un recours devant la Cour constitutionnelle et invite la Cour à rejeter ce grief pour non-épuisement des voies de recours internes.
15. La Cour relève que le droit de recours individuel invoqué par le Gouvernement est entré en vigueur le 23 septembre 2012. À cette date, le requérant était toujours en détention provisoire. Ainsi, pendant une période d’environ sept mois - du 23 septembre 2012 jusqu’à sa libération le 16 avril 2013 - le requérant avait la possibilité de saisir la Cour constitutionnelle d’un recours individuel.
16. La Cour rappelle que dans l’affaire Koçintar c. Turquie (décision précitée, § 44), elle a conclu qu’elle ne disposait d’aucun élément qui lui permettrait de dire que le recours individuel devant la Cour constitutionnelle n’était pas susceptible d’apporter un redressement approprié au grief du requérant tiré de l’article 5 § 3 de la Convention et qu’il n’offrait pas des perspectives raisonnables de succès.
17. À la lumière de ses considérations dans l’affaire Koçintar, précitée, la Cour estime que le requérant était tenu de saisir la Cour constitutionnelle d’un recours individuel, ce qu’il n’indique pas avoir fait. Dès lors, la Cour accueille l’exception du Gouvernement et rejette le grief tiré de l’article 5 § 3 pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION
18. Le requérant se plaint de la non-communication de l’avis du procureur dans le cadre de la procédure d’opposition ainsi que de l’absence d’audience à cette occasion. Il invoque l’article 5 § 4 de la Convention ainsi libellé :
« 4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
19. Le Gouvernement combat cette thèse. Il fait remarquer que lors de l’examen de l’opposition objet de la présente Requête, la dernière comparution du requérant devant le juge remontait seulement à trente-deux jours, durée qui est selon lui raisonnable. Il ajoute que le requérant n’a pas subi de dommage à cause de la non-communication de l’avis du procureur. Il souligne enfin que depuis la modification apportée le 11 avril 2013 à l’article 270 du code de procédure pénale, l’avis du procureur de la République est notifié au détenu ou son avocat.
A. L’absence d’audience lors de l’examen de l’opposition
20. La Cour relève que l’opposition formée par le requérant contre la décision de maintien en détention provisoire a été rejetée par la 13e chambre de la cour d’assises d’Istanbul le 18 juin 2012, à l’issue d’un examen sur dossier. Or à cette date, la dernière comparution de l’intéressé devant un juge remontait environ à un mois, à savoir à l’audience du 16 mai 2012. Aussi dans les circonstances de l’espèce, la Cour considère que la tenue d’une audience ne s’imposait pas lors de l’examen de l’opposition le 18 juin 2012. Il convient de préciser que cette circonstance n’a pas en soi porté atteinte au respect du principe de l’égalité des armes dans la mesure où aucune des parties n’a participé oralement à la procédure d’opposition en question (Altınok c. Turquie, no 31610/08, § 55, 29 novembre 2011).
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
B. La non-communication de l’avis du procureur de la République
21. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
22. Quant à l’impossibilité pour le requérant ou son avocat d’obtenir notification de l’avis du procureur de la République, la Cour relève que, lors de l’examen de l’opposition formée par le requérant contre la décision du 16 mai 2012, la cour d’assises a invité le procureur de la République à présenter son avis écrit en vertu de l’article 270 du code de procédure pénale. Le procureur a déposé devant cette juridiction ses conclusions écrites tendant au rejet de la demande d’élargissement, lesquelles conclusions n’ont pas été communiquées au requérant ou à son avocat. Ces derniers n’ont donc pas eu la possibilité de répondre à cet avis. La cour d’assises a statué dans le sens de l’avis du procureur et a rejeté l’opposition formée par le requérant (paragraphe 10 ci-dessus).
23. Dès lors, considérant que le requérant ou son avocat n’ont pas eu la possibilité d’avoir notification de l’avis du procureur de la République ni d’y répondre, la Cour estime que le recours prévu en droit interne n’avait pas satisfait aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention, faute de n’avoir pas respecté l’égalité des armes entre les parties.
24. La Cour prend note de la modification apportée à l’article 270 du code de procédure pénale. Toutefois, cette modification n’a pas d’incidence sur l’examen du présent grief, lequel se rapporte à une période antérieure à la modification en question.
25. Elle rejette donc l’exception du Gouvernement et conclut à la violation de l’article 5 § 4 sur ce point.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 5 DE LA CONVENTION
26. Le requérant se plaint de n’avoir disposé d’aucun recours effectif pour obtenir réparation. Il allègue la violation de l’article 5 § 5 de la Convention, ainsi libellé :
« 5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »
27. Le gouvernement fait remarquer que ce grief est manifestement mal fondé et doit être déclaré irrecevable.
28. La Cour rappelle que le droit à réparation énoncé au paragraphe 5 de l’article 5 de la Convention suppose qu’une violation de l’un des autres paragraphes de cette disposition ait été établie par une autorité nationale ou par les institutions de la Convention (N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 49, CEDH 2002-X). En l’espèce, la Cour ayant conclu à la violation du paragraphe 4 de l’article 5, reste à déterminer si le requérant disposait de la possibilité de demander réparation pour le préjudice subi.
29. La Cour relève que l’article 141 de la loi sur la procédure pénale prévoit la possibilité pour une personne ayant fait l’objet d’une mesure judiciaire de demander une indemnisation dans certains cas limitativement énoncés. Or la Cour observe, à la lecture de cette disposition telle qu’elle était en vigueur à l’époque des faits, qu’aucun des cas de figure énumérés ne prévoit la possibilité de demander la réparation d’un préjudice subi en raison de l’absence d’un recours effectif au sens de l’article 5 § 4 de la Convention. À cet égard, le Gouvernement est resté en défaut de produire une quelconque décision de justice relative à l’octroi d’une indemnité sur le fondement de cette disposition à un justiciable se trouvant dans la situation du requérant (voir, entre autres, Ergezen c. Turquie, no 73359/10, § 57, 8 avril 2014).
30. Partant, la Cour estime que la voie de l’indemnisation indiquée par le Gouvernement ne saurait constituer un recours effectif au sens de l’article 5 § 5 de la Convention. En conséquence, elle rejette l’exception du Gouvernement sur ce point et conclut à la violation de l’article 5 § 5 de la Convention.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
31. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
32. Le requérant réclame 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi. Il n’a pas réclamé de dommage matériel.
33. Le Gouvernement ne se prononce pas.
34. La Cour estime que le dommage moral est suffisamment réparé par le constat de violation de la Convention auquel elle est parvenue (voir, en ce sens, Ceviz c. Turquie, no 8140/08, § 64, 17 juillet 2012).
B. Frais et dépens
35. Le requérant demande également 5 472 livres turques (TRY - environ 2 000 EUR) pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et la Cour.
36. Le Gouvernement ne s’est pas prononcé sur ces prétentions.
37. Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 500 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.
C. Intérêts moratoires
38. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la Requête recevable quant aux griefs tirés de l’absence de la traduction du requérant devant le juge et de l’absence d’un recours effectif susceptible de lui permettre de demander réparation, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention ;
4. Dit que le présent arrêt constitue par lui-même une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral ;
5. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 500 EUR pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, somme à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 février 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Abel Campos Nebojša Vučinić
Greffier adjoint Président