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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> CASE OF YY v. TURKEY - 14793/08 - Chamber Judgment [2015] ECHR 257 (10 March 2015)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/257.html
Cite as: [2015] ECHR 257

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ANCIENNE DEUXIÈME SECTION

 

 

 

 

 

 

AFFAIRE Y.Y. c. TURQUIE

 

(Requête no 14793/08)

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

 

 

STRASBOURG

 

10 mars 2015

 

 

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Y.Y. c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

          Guido Raimondi, président,
          Işıl Karakaş,
          Nebojša Vučinić,
          Helen Keller,
          Paul Lemmens,
          Egidijus Kūris,
          Robert Spano, juges,
et de
Abel Campos, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 février 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 14793/08) dirigée contre la République de Turquie et dont Y.Y. a saisi la Cour le 6 mars 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Y.Y. est une personne transsexuelle, ressortissante de cet État qui, à la date d’introduction de la requête, était civilement reconnue comme étant de sexe féminin. Cela étant, la Cour utilisera le masculin et la désignation « le requérant » à son propos, conformément au sexe revendiqué.

2.  Le requérant a été représenté par Me A. Bozlu, avocat à Mersin. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3.  Le requérant dénonce une atteinte au droit au respect de sa vie privée (article 8 de la Convention), au motif notamment qu’il n’avait pas été autorisé à recourir à une intervention chirurgicale de conversion sexuelle. Il se plaint également de l’absence de tout examen par la Cour de cassation du fond de son affaire et de l’absence de motivation des décisions de cette juridiction (article 6 de la Convention).

4.  Le 24 mars 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement. La présidente de la section faisant fonction au moment de la communication a par ailleurs décidé que l’identité du requérant ne serait pas divulguée (article 47 § 3 du règlement).

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  Le requérant est né en 1981.

6.  Le requérant est une personne transsexuelle inscrite sur le registre d’état civil comme étant de sexe féminin. Selon ses dires, il a pris conscience dès son jeune âge qu’il se sentait appartenir au sexe masculin, ce qui était en contradiction avec son sexe anatomique.

A.  Action judiciaire initiale visant au changement de sexe

7.  Le 30 septembre 2005, le requérant, se fondant sur l’article 40 du code civil, saisit le tribunal de grande instance (TGI) de Mersin en vue d’obtenir l’autorisation de recourir à une opération de changement de sexe. Dans sa requête introductive d’instance, l’avocat du requérant indiquait que son client se considérait depuis son jeune âge non comme une femme mais comme un homme, qu’il avait pour cette raison fait l’objet d’un suivi psychologique depuis l’enfance et, vers l’âge de 19-20 ans, il avait envisagé de se suicider. Il indiquait également que son identité biologique actuelle était en conflit avec le sexe auquel il estimait appartenir. Il argüait de la nécessité d’une conversion sexuelle pour lui permettre de réaliser une harmonie entre la perception intime qu’il avait de lui-même et ses caractéristiques physiques. Il précisait que nombre de médecins qu’il avait eu l’occasion de consulter depuis l’enfance avaient préconisé une conversion sexuelle. Il précisait également que son client était âgé de vingt-quatre ans, qu’il menait sa vie en tant qu’homme, qu’il était en couple depuis quatre ans avec une femme et que son entourage familial et social l’avait accepté en tant qu’homme. Il ajoutait que son client suivait un traitement depuis un an au sein du service psychiatrique de l’hôpital universitaire İnönü en vue de l’opération de conversion demandée. Enfin, il sollicitait le secret de la procédure eu égard à l’état psychologique de son client.

8.  Le 16 décembre 2005, le TGI fit droit à la demande portant sur le secret de la procédure.

9.  Le 6 février 2006, il entendit les proches du requérant. La mère de l’intéressé déclara que sa fille, enfant, jouait surtout avec des garçons, et que, adolescente, elle lui avait dit qu’elle se percevait comme étant un garçon et qu’elle souhaitait en être un. Elle indiqua avoir alors consulté des psychologues et que ceux-ci avaient estimé que sa fille serait plus heureuse si elle pouvait vivre sa vie en tant qu’homme, ce qu’elle dit être également son avis. Le frère aîné de l’intéressé déclara lui aussi que sa sœur jouait avec des garçons lorsqu’elle était enfant, qu’elle avait commencé à se comporter comme un garçon à l’adolescence, qu’elle avait eu des petites amies, qu’elle était déterminée à changer de sexe par le biais d’une intervention chirurgicale, qu’elle avait tenté plusieurs fois de se suicider, qu’elle était toujours en thérapie et que, à sa connaissance, les médecins avaient décidé de procéder à l’opération.

Au terme de cette audience, le TGI adressa une demande d’information au médecin-chef du centre hospitalier où le requérant était soigné afin de savoir si celui-ci était transsexuel, si le changement de sexe s’imposait pour la préservation de sa santé mentale et s’il était dans l’incapacité définitive de procréer.

10.  Le 23 février 2006, un comité médical du centre médical de l’université İnönü établit un rapport psychiatrique concluant que le requérant était transsexuel. Il estimait en outre qu’il convenait, d’un point de vue psychologique, qu’il menât désormais sa vie avec une identité masculine.

11.  Le 28 février 2006, un comité médical de la branche des maladies féminines et des naissances de ce même centre établit un rapport concluant qu’Y.Y. était de phénotype féminin et transsexuel.

12.  Le 7 avril 2006, le TGI constata que deux rapports médicaux en provenance de la faculté de médecine de l’université İnönü lui avaient été transmis. Il releva que dans un rapport du 23 février 2006, un diagnostic de transsexualité avait été posé et qu’il avait été conclu qu’il convenait, d’un point de vue psychologique, que l’intéressé menât désormais sa vie avec une identité masculine. Il releva également que dans un rapport du 28 février 2006, il fut conclu qu’Y.Y. était de phénotype féminin. Il estima cependant que ces rapports ne répondaient pas aux questions qu’il avait posées, à savoir si le changement de sexe s’imposait pour la préservation de la santé mentale de la partie demanderesse et si celle-ci était dans l’incapacité définitive de procréer. Aussi réitéra-t-il sa demande d’information.

13.  Le 20 avril 2006, la directrice du service des maladies féminines et des naissances rattaché aux services de chirurgie de la faculté de médecine de l’université İnönü informa par écrit le médecin-chef du centre médical que le requérant avait été examiné à la suite d’une demande de consultation en chirurgie plastique en vue d’un changement de sexe. Elle indiquait qu’il avait été établi, après examen, qu’Y.Y. était doté d’organes génitaux externes et internes féminins, et n’était pas dans l’incapacité définitive de procréer.

14.  Le 21 avril 2006, un comité médical du service psychiatrique de la faculté de médecine de l’université İnönü informa par écrit le médecin-chef du centre médical que le requérant avait été examiné le 20 avril 2006. Après cet examen, il avait été conclu qu’il était nécessaire, d’un point de vue psychique, qu’il pût désormais mener sa vie sous une identité masculine.

15.  Lors de l’audience du 5 mai 2006 devant le TGI, l’avocat du requérant contesta le rapport du 20 avril 2006 au motif que celui-ci n’avait pas été adopté par un organe collégial. Le TGI demanda en conséquence la production d’une nouvelle expertise sur la capacité de procréer du requérant. Un comité médical de la faculté de médecine de l’université de Çukurova fut chargé de sa préparation.

16.  Le 11 mai 2006, deux médecins rattachés au service des maladies féminines et des naissances de la faculté de médecine de l’université de Çukurova procédèrent à une expertise légale et conclurent, après avoir examiné le requérant, que celui-ci avait la capacité de procréer.

17.  Le 27 juin 2006, le TGI, se fondant sur les conclusions des différentes expertises, refusa d’accorder l’autorisation de changement de sexe demandée par le requérant au motif que celui-ci n’était pas, de manière définitive, dans l’incapacité de procréer et qu’il ne répondait dès lors pas à l’une des exigences de l’article 40 du code civil.

18.  Le 18 juillet 2006, le requérant se pourvut en cassation contre ce jugement. Dans son mémoire, son avocat soulignait que son client se considérait depuis l’enfance non comme une femme mais comme un homme et que sa conviction à cet égard n’était pas un simple caprice, qu’il avait suivi une longue thérapie psychologique, qu’au terme de celle-ci il avait été diagnostiqué comme étant transsexuel et qu’il convenait, d’un point de vue psychologique, qu’il vécût en tant qu’homme. Il soutenait en outre que sa capacité de procréer n’empêchait aucunement son client de se percevoir comme un homme et qu’il s’agissait là d’un état de fait lié à sa nature sur lequel il n’avait pas de prise. Il soulignait également que, en Turquie comme dans les autres pays du monde, toutes les personnes qui, comme le requérant, ne parvenaient pas à concilier leur état biologique et leur état psychologique n’étaient pas uniquement des personnes célibataires et dépourvues de la capacité de procréer. À cet égard, il ajoutait qu’il existait de nombreux exemples de personnes ayant une prédisposition au transsexualisme qui s’étaient mariées et avaient eu des enfants avant de recourir à une opération de conversion sexuelle. Il plaidait qu’il n’était pas juste de faire intervenir la capacité de procréer d’une personne transsexuelle, que celle-ci se considérât comme femme ou comme homme. Il soutenait en conséquence que les tribunaux, en refusant d’autoriser le requérant à avoir recours à la chirurgie de conversion sexuelle sur le fondement de l’article 40 du code civil – lequel n’était pas, selon lui, adapté aux réalités sociales –, avaient limité les droits et libertés de son client. Il alléguait également que le rejet de la demande du requérant fondé sur la capacité de celui-ci de procréer n’était pas conforme aux lois et il exprimait l’avis qu’il fallait retirer l’expression « définitivement incapable de procréer » inscrite dans la disposition en question.

19.  Le 17 mai 2007, la Cour de cassation, estimant que la juridiction de première instance n’avait commis aucune erreur dans son appréciation des éléments de preuve, confirma le jugement rendu.

20.  Le 18 juin 2007, l’avocat du requérant forma un recours en rectification de cette décision. Dans son mémoire, il soutenait qu’aucun des motifs présentés à l’appui du pourvoi du requérant n’avait été pris en compte et qu’aucune observation n’avait été formulée quant aux documents officiels et rapports qui avaient été versés au dossier. Il contestait également l’utilisation du rapport du 11 mai 2006 établi par le service des maladies féminines et des naissances de la faculté de médecine de l’université de Çukurova comme fondement de la décision de rejet litigieuse. Il alléguait à cet égard que le rapport en question n’était pas une expertise, qu’il avait été établi au terme d’un examen ayant consisté en un examen superficiel des organes génitaux de son client et ayant dès lors été insuffisant pour établir sa capacité de procréer. Il soutenait également que, même à supposer que les différents rapports médicaux eussent été suffisants pour établir la capacité de procréer de son client, la seule identité sexuelle que l’intéressé était en mesure d’assumer sur le plan tant physique que psychologique était une identité masculine. Il argüa que cette circonstance avait d’ailleurs été établie le 2 mars 2005 par le rapport du comité de la santé de l’université İnönü où son client suivait par ailleurs depuis longtemps une thérapie psychologique. À cet égard, il critiquait l’absence de prise en compte de cette démarche de son client. Enfin, il soutenait que le refus opposé à la demande par laquelle le requérant cherchait à obtenir l’autorisation de recourir à une intervention chirurgicale destinée à lui conférer le sexe que sa nature l’aurait poussée à avoir portait atteinte aux droits de l’intéressé.

21.  Le 18 octobre 2007, la Cour de cassation rejeta la demande de rectification formée par le requérant après avoir relevé qu’aucun des motifs d’infirmation énoncés à l’article 440 du code de procédure civile n’était en cause en l’espèce.

B.  Procédure devant les instances nationales après communication de la requête au Gouvernement

22.  Le 5 mars 2013, le requérant, se fondant sur l’article 40 du code civil, saisit à nouveau le TGI de Mersin d’une demande d’autorisation de chirurgie de changement de sexe. Dans sa requête introductive d’instance, son avocat indiquait que son client se considérait depuis son jeune âge non comme une femme mais comme un homme, qu’il avait pour cette raison fait l’objet d’un suivi psychologique depuis l’enfance et qu’il avait été établi par des rapports médicaux qu’il convenait, d’un point de vue psychologique, qu’il menât désormais sa vie avec une identité masculine. Il indiquait également que son identité biologique actuelle était en conflit avec le sexe auquel il estimait appartenir. Il argüait de la nécessité d’une conversion sexuelle pour préserver son intégrité psychologique et physique. Il mentionnait en outre que, le 27 mars 2012, Y.Y. avait subi une mastectomie des deux seins et utilisait différentes hormones aux fins d’augmenter son taux de testostérone. Il indiquait qu’il travaillait auprès de son frère en qualité de peintre-décorateur, qu’il se rendait régulièrement dans une salle de sport et qu’il avait l’apparence physique d’un homme. Il argüait que son client, maintenant âgé de 32 ans, s’était toujours considéré comme un homme, que les amis qu’il avait rencontrés après un certain âge ne le connaissaient qu’en tant qu’homme et qu’il n’utilisait pas le prénom figurant sur sa pièce d’identité. Il ajoutait que pour faire correspondre son apparence physique avec sa perception de lui-même, son client avait eu recours à toutes sortes de méthodes aux conséquences néfastes. Au quotidien, en particulier lorsqu’il devait présenter ses papiers d’identité aux institutions publiques, il serait victime d’agissements dénigrants et humiliants et se heurterait à de nombreuses difficultés en raison de la différence existant entre son apparence extérieure et l’identité mentionnée sur ses papiers. L’avocat du requérant concluait en demandant qu’il fût autorisé à entamer les formalités nécessaires à son changement d’identité au registre civil, que sa demande de changement de sexe fût acceptée, que l’autorisation de recourir à la chirurgie de changement de sexe lui fût accordée et que la procédure devant le TGI demeurât secrète.

23.  Le 11 avril 2013, après anamnèse et examen du requérant, un comité composé de psychiatres du centre médical de l’université İnönü établit un rapport médical dont il ressortait que le requérant était transsexuel et que la préservation de sa santé mentale passait par son changement de sexe. Ce rapport mentionnait en outre que la question de savoir si l’intéressé était définitivement privé de la capacité de procréer devait faire l’objet d’une expertise.

24.  Le 6 mai 2013, un rapport médico-légal fut établi par un comité du service de médecine légale du centre médical de l’université İnönü. Ce rapport mentionnait que, lors de son examen le 11 avril 2013 au service de médecine légale, le requérant avait déclaré qu’il souhaitait être opéré pour changer de sexe, qu’il avait déjà, par le passé, fait des démarches en ce sens mais qu’il avait été débouté en justice, qu’il avait alors saisi la Cour européenne des droits de l’homme et que son action avait depuis été réinitiée. Le rapport mentionnait en outre que, à l’examen médical, le requérant était de phénotype masculin (ensemble des caractéristiques extérieures), qu’il avait de la barbe et de la moustache, que ses tissus mammaires avaient été retirés chirurgicalement et qu’il poursuivait un traitement consécutif à cette opération, qu’il présentait une pilosité masculine sur les bras et les jambes, qu’il suivait un traitement hormonal, qu’il avait honte de la couleur de sa pièce d’identité[1] de sorte qu’il l’avait recouverte avant de la placer dans son portefeuille et, enfin, qu’il avait déclaré qu’un changement s’imposait pour lui.

Le rapport énonçait en outre que ses examens sanguins révélaient un taux total de testostérone supérieur à 16 000 ngr/dl, taux que l’on supposait être lié au traitement hormonal qu’il prenait. Il fut estimé qu’il n’était pas dans l’incapacité définitive de procréer.

Le rapport concluait comme suit :

« 1.  Est de constitution transsexuelle,

2.  le changement de sexe est nécessaire pour sa santé mentale,

3.  n’est pas dans l’incapacité définitive de procréer (dans sa nature féminine) (...) »

25.  Le 21 mai 2013, le TGI de Mersin fit droit à la demande du requérant et autorisa l’opération chirurgicale de changement de sexe sollicitée. Dans sa motivation, le TGI estimait établi que le requérant était transsexuel, que la préservation de sa santé mentale nécessitait son changement de sexe, qu’il ressortait de l’audition des témoins de la partie requérante que, à tout point de vue, il vivait comme un homme et qu’il souffrait de sa situation, de sorte que, eu égard aux éléments de preuve et aux rapports produits, les conditions énoncées à l’article 40 § 2 du code civil étaient réalisées et qu’il fallait répondre favorablement à la demande. Le jugement stipule être prononcé à titre définitif.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

A.  Le droit interne pertinent

26.  L’article 39 du code civil turc, issu de la loi no 4721 du 22 novembre 2001, publiée au Journal officiel le 8 décembre 2001, dispose qu’une inscription au registre d’état civil ne peut être rectifiée que sur décision judiciaire.

Aux termes de l’article 40 du code civil, toute personne qui souhaite changer de sexe peut, sur requête personnelle, saisir le tribunal d’une demande d’autorisation à cette fin. Cependant, pour que l’autorisation soit accordée, le demandeur doit être âgé de dix-huit ans révolus et ne pas être marié ; en outre, il doit avoir une prédisposition transsexuelle et attester, par un rapport obtenu d’une commission officielle de la santé d’un hôpital d’enseignement et de recherche, de la nécessité du changement de sexe pour sa santé psychologique et qu’il est dans l’incapacité définitive de procréer.

Lorsqu’un rapport établi par une commission officielle de la santé certifie qu’une opération de changement de sexe a été réalisée en conformité avec l’objectif spécifié par l’autorisation judiciaire et avec les techniques médicales, le tribunal décide qu’il soit procédé à la rectification requise du registre d’état civil.

27.  L’article 4 de la loi du 24 mai 1983 sur la planification de la population, publiée au Journal officiel le 27 mai 1983, dispose :

« Stérilisation et castration

Article 4.  La stérilisation est l’intervention visant à détruire la capacité d’un homme ou d’une femme de procréer sans qu’il soit porté atteinte à la satisfaction de ses besoins sexuels.

L’opération de stérilisation est effectuée, dès lors qu’il n’y a pas de contre-indication d’ordre médical, à la demande d’une personne majeure.

(...) »

28.  Le règlement relatif à la pratique et au contrôle des services d’ablation de l’utérus et de stérilisation (83/7395), publié au Journal officiel le l8 décembre 1983, dispose :

« Troisième partie

Stérilisation

Opération de stérilisation

Article 10.  L’opération de stérilisation s’effectue à la demande d’une personne majeure à condition qu’il n’y ait pas de contre-indication d’ordre médical.

L’opération de stérilisation des femmes est pratiquée par les spécialistes des maladies féminines et des naissances ou les spécialistes en chirurgie générale.

L’opération de stérilisation des hommes est pratiquée par les urologues, les spécialistes des maladies féminines et des naissances ou les spécialistes en chirurgie générale ainsi que par les praticiens ayant obtenu un certificat d’aptitude après avoir suivi des cours au sein des centres de formation ouverts à cet effet par le ministère.

Lieux où la stérilisation des femmes est pratiquée et conditions auxquelles ces lieux doivent satisfaire

Article 11.  L’opération de stérilisation des femmes est pratiquée uniquement dans les centres de soins officiels et les hôpitaux privés (...) »

B.  Textes européens et internationaux

1.  Textes adoptés sous l’égide du Conseil de l’Europe

29.  Le 31 mars 2010, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté la Recommandation CM/Rec(2010)5 sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre.

L’annexe à la recommandation énonce notamment :

« IV.  Droit au respect de la vie privée et familiale

20.  Les conditions préalables, y compris les modifications d’ordre physique, à la reconnaissance juridique d’un changement de genre devraient être régulièrement réévaluées afin de lever celles qui seraient abusives.

21.  Les États membres devraient prendre les mesures appropriées pour garantir la reconnaissance juridique intégrale du changement de sexe d’une personne dans tous les domaines de la vie, en particulier en permettant de changer le nom et le genre de l’intéressé dans les documents officiels de manière rapide, transparente et accessible ; les États membres devraient également veiller, le cas échéant, à ce que les acteurs non étatiques reconnaissent le changement et apportent des modifications correspondantes dans des documents importants tels que les diplômes ou les certificats de travail.

(...)

VII.  Santé

35.  Les États membres devraient prendre les mesures appropriées pour que l’accès des personnes transgenres aux services appropriés de changement de sexe, y compris à des spécialistes de la santé des personnes transgenres en psychologie, en endocrinologie et en chirurgie, soit assuré sans être soumis à des exigences déraisonnables ; personne ne devrait être soumis à des procédures de changement de sexe sans son consentement.

(...) »

Quant à l’exposé des motifs, il dispose notamment :

« IV.  Droit au respect de la vie privée et familiale

(...)

20-21.  La question des conditions d’accès aux procédures de changement de sexe et la question de la reconnaissance légale de ce changement sont deux domaines problématiques pour les personnes transgenres.

(...)

Dans certains États l’accès aux services de changement de genre est subordonné à des procédures telles que la stérilisation irréversible, le traitement hormonal, des traitements chirurgicaux préliminaires et parfois également le fait de devoir démontrer son aptitude à vivre pendant une longue période comme une personne du genre souhaité (appelée « expérience vécue »). Dans ce cadre, les conditions et procédures existantes devraient être révisées afin de supprimer les conditions qui sont disproportionnées. Il y a lieu de noter, en particulier, que certaines personnes ne peuvent, pour des raisons de santé, subir tous les traitements hormonaux et/ou chirurgicaux requis. Des considérations similaires s’appliquent eu égard à la reconnaissance juridique d’un changement de genre, qui peut être conditionnée par de nombreuses procédures et conditions préalables, y compris des changements de nature physique.

(...)

VII.  Santé

35-36.  (...)

Concernant les conditions exigées par les procédures de changement de genre, le droit international des droits de l’homme prévoit que personne ne peut être soumis sans son consentement à un traitement ou à une expérience médicale. Les traitements hormonaux ou chirurgicaux en tant que conditions pour se voir reconnaître légalement un changement de genre devraient ainsi être limités à ceux strictement nécessaires, et avec le consentement de l’intéressé (...) »

30.  Le 29 avril 2010, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté la Résolution 1728 (2010) relative à la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, laquelle énonce notamment :

« (...)

4.  Les personnes transgenres se trouvent confrontées à un cycle de discrimination et de privation de leurs droits dans bon nombre d’États membres du Conseil de l’Europe en raison des attitudes discriminatoires et des obstacles qu’elles rencontrent pour obtenir un traitement de conversion sexuelle et une reconnaissance juridique de leur nouveau sexe. De ce fait, les taux de suicide sont relativement élevés parmi les personnes transgenres.

(...)

16.  Par conséquence, l’Assemblée appelle les États membres à traiter ces questions et, en particulier :

(...)

16.11.  à traiter la discrimination et les violations des droits de l’homme visant les personnes transgenres et, en particulier, à garantir dans la législation et la pratique les droits de ces personnes :

(...)

16.11.2.  à des documents officiels reflétant l’identité de genre choisie, sans obligation préalable de subir une stérilisation ou d’autres procédures médicales comme une opération de conversion sexuelle ou une thérapie hormonale ;

16.11.3.  à un traitement de conversion sexuelle et à l’égalité de traitement en matière de soins de santé ;

(...) »

31.  Le 29 juillet 2009, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a publié un document thématique intitulé « Droits de l’homme et identité de genre », aux termes duquel il invitait les États membres du Conseil de l’Europe notamment à :

« (...)

3.  Instaurer des procédures rapides et transparentes de changement de nom et de sexe sur les extraits d’acte de naissance, cartes d’identité, passeports, diplômes et autres documents officiels ;

4.  Dans les textes encadrant le processus de changement de nom et de sexe, cesser de subordonner la reconnaissance de l’identité de genre d’une personne à une obligation légale de stérilisation et de soumission à d’autres traitements médicaux ;

5.  Rendre les procédures de conversion de genre, telles que le traitement hormonal, la chirurgie et le soutien psychologique, accessibles aux personnes transgenres et en garantir le remboursement par le régime public d’assurance maladie.

(...) »

32.  En 2011 a également été publié sous l’égide du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe un rapport intitulé « La discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre en Europe », aux termes duquel le Commissaire aux droits de l’homme a formulé notamment les recommandations suivantes à l’attention des États membres du Conseil de l’Europe :

« 5.  Vie privée : reconnaissance du genre et de la famille

1.  Accorder aux personnes transgenres la reconnaissance légale du genre qu’elles ont choisi et instaurer des procédures rapides et transparentes permettant à ces personnes de faire modifier leur nom et leur sexe dans les actes de naissance, les registres d’état civil, les cartes d’identité, les passeports, les diplômes et autres documents analogues.

2.  Abolir la stérilisation et les autres traitements médicaux obligatoires susceptibles de porter gravement atteinte à l’autonomie, à la santé ou au bien-être de la personne en tant que conditions nécessaires à la reconnaissance légale du genre choisi par une personne transgenre.

(...)

6.  Accès aux soins, à l’éducation et à l’emploi

(...)

4.  Permettre aux personnes transgenres d’accéder, avec leur consentement libre et éclairé, aux procédures de conversion sexuelle, notamment aux traitements hormonaux et chirurgicaux et au soutien psychologique, et veiller à ce qu’elles soient remboursées par l’assurance-maladie. »

2.  Texte adopté par le Parlement européen

33.  Le 12 septembre 1989, le Parlement européen a adopté une résolution par laquelle les États membres étaient invités à arrêter des dispositions reconnaissant aux personnes transsexuelles le droit de changer de sexe par le recours aux traitements endocrinologiques, à la chirurgie plastique et aux traitements esthétiques, et à leur garantir notamment la reconnaissance juridique, c’est-à-dire le changement de prénom et la rectification de la mention du sexe dans l’acte de naissance et les papiers d’identité.

3.  Texte adopté sous l’égide des Nations unies

34.  Le 17 novembre 2011, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme a soumis au Conseil des droits de l’homme un rapport intitulé « Lois et pratiques discriminatoires et actes de violence dont sont victimes des personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre ». Ce rapport se lit ainsi en ses passages pertinents en l’espèce :

« G.  Reconnaissance du genre et questions connexes

71.  Dans de nombreux pays, les personnes transgenres ne peuvent obtenir la reconnaissance légale de leur genre de préférence, notamment la modification des mentions relatives au sexe et au prénom sur les documents d’identité officiels, si bien qu’elles se heurtent à nombre de difficultés pratiques, notamment lorsqu’elles postulent pour un emploi, sollicitent un logement, un crédit bancaire ou des prestations sociales ou se rendent à l’étranger.

72.  La réglementation en vigueur dans les pays qui reconnaissent le changement de genre conditionne souvent, implicitement ou explicitement, cette reconnaissance à la stérilisation. Certains États exigent également des personnes qui demandent la reconnaissance légale de leur changement de genre qu’elles ne soient pas mariées, ce qui oblige les personnes mariées à divorcer.

73.  Le Comité des droits de l’homme s’est dit préoccupé par l’absence de dispositions accordant une reconnaissance juridique à l’identité des personnes transgenres. Il a engagé les États à reconnaître le droit des personnes transgenres à changer leur genre en permettant la délivrance de nouveaux actes de naissance et a pris note avec satisfaction de l’adoption de lois facilitant la reconnaissance juridique du changement de genre.

(...)

VII.  Conclusions et recommandations

(...)

84.  Le Haut-Commissaire recommande aux États membres :

(...)

h)  De faciliter la reconnaissance juridique du genre de préférence des personnes transgenres et de prendre des mesures pour permettre la délivrance de nouveaux documents d’identité faisant mention du genre de préférence et du nom choisi, sans qu’il soit porté atteinte aux autres droits de l’homme.

(...) »

C.  Droit et pratique en vigueur dans les États membres du Conseil de l’Europe

35.  La Cour a comparé la législation de trente-deux États membres du Conseil de l’Europe : l’Albanie, l’Allemagne, l’Andorre, l’Arménie, l’Autriche, l’Azerbaïdjan, la Belgique, la Bulgarie, la Croatie, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, la Géorgie, la Grèce, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, la Lettonie, Malte, le Monténégro, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Russie, la Slovaquie, la Slovénie, la Suisse et l’Ukraine. Cette étude montre que la possibilité pour les personnes transsexuelles d’entreprendre un traitement de conversion sexuelle existe dans nombre d’États membres du Conseil de l’Europe (Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Géorgie, Islande, Italie, Lettonie, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Royaume-Uni, Russie, Slovaquie, Slovénie, Suisse et Ukraine). Dans ce groupe de pays, les critères que la personne transsexuelle doit remplir pour avoir accès à un traitement de conversion sexuelle peuvent être établis par la loi, par des réglementations infralégislatives ou par des recommandations. Cependant, dans certains des pays étudiés, cette question ne fait pas l’objet de réglementations et relève plutôt de la pratique médicale (Allemagne, Belgique, Bulgarie, Espagne, France, Islande, Lettonie, Pays-Bas, Portugal, Roumanie, Royaume-Uni et Suisse).

36.  Les critères d’accession à un traitement de conversion sexuelle (par exemple, un traitement hormonal) les plus fréquemment retenus comportent des évaluations médicales et psychologiques/psychiatriques, et/ou le diagnostic de « dysphorie de genre » ou trouble de l’identité de genre (Allemagne, Autriche, Belgique, Estonie, Finlande, Lettonie, Pays-Bas, Royaume-Uni, Slovaquie et Ukraine). Certains de ces pays exigent, avant le traitement hormonal, que l’intéressé ait suivi une psychothérapie pendant une durée déterminée (en Allemagne, en Autriche, en Islande et au Royaume-Uni, par exemple). Au nombre des autres critères d’accession se trouvent notamment : un examen endocrinologique et somatique (Ukraine), une étude génétique (Estonie), la non-homosexualité et d’autres critères tels qu’un potentiel suffisant d’adaptation sociale à de nouvelles conditions de vie ou que la maturité sociale nécessaire à la prise de décision relative au changement de sexe et la capacité pour l’intéressé de mener à terme de manière adéquate l’adaptation sociale (Ukraine).

37.  En ce qui concerne l’autorité compétente pour autoriser les traitements de conversion sexuelle, dans la plupart des États concernés la décision appartient aux médecins ou équipes de médecins des hôpitaux spécialisés. Cependant, certaines réglementations exigent l’autorisation spéciale d’instances administratives ou de commissions ad hoc. En Bulgarie, en Italie, en Pologne et en Roumanie, la chirurgie de conversion sexuelle doit être autorisée par un juge.

38.  La procédure de conversion sexuelle ou de réassignation sexuelle peut comprendre un ou plusieurs types d’opérations chirurgicales[2]. Des critères spécifiques applicables uniquement aux opérations chirurgicales ont été recensés dans nombre d’États. Parmi ces critères, les plus importants sont le traitement hormonal préalable pendant une durée spécifique (Allemagne, Autriche, Belgique pour certaines opérations seulement, Espagne, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Royaume-Uni, Slovaquie, Suisse et Ukraine) et le test de vie réelle, exigeant du demandeur qu’il ait vécu en tant que personne du genre choisi pendant une période spécifiée (Allemagne, Belgique pour certaines opérations seulement, Espagne, Finlande, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suisse).

39.  L’accès à la chirurgie de conversion sexuelle peut être subordonné à d’autres critères tels qu’un nouveau diagnostic ou un avis psychiatrique (Autriche, Finlande et Roumanie), une psychothérapie pendant une durée spécifique (Allemagne et Russie), une adaptation sociale de l’intéressé (Estonie) ou l’écoulement d’un délai d’observation ou d’un temps d’attente défini (Danemark, Espagne, Estonie, Russie et Suisse).

40.  Dans certains États membres du Conseil de l’Europe, les traitements de conversion sexuelle paraissent être inexistants ou inaccessibles (par exemple, en Albanie, en Andorre, en Arménie).

41.  La reconnaissance du nouveau genre peut être obtenue selon la législation, la pratique et/ou la jurisprudence dans de nombreux États (par exemple en Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, France, Finlande, Géorgie, Irlande, Islande, Italie, Lettonie, Malte, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Russie, Slovaquie, Slovénie, Suisse et Ukraine). Les approches varient d’un État à l’autre quant aux conditions requises pour la reconnaissance juridique du genre choisi et à la procédure régissant l’accès aux traitements de conversion sexuelle. À cet égard, il semble que certaines lois confondent la reconnaissance juridique du genre choisi et la procédure régissant l’accès aux traitements de conversion sexuelle.

42.  Dans certains États, les intéressés n’ont pas l’obligation de subir une intervention chirurgicale de changement de sexe, une stérilisation ou un traitement hormonal de conversion sexuelle pour obtenir la reconnaissance juridique du changement de sexe réalisé (Autriche, Croatie, Royaume-Uni et Portugal). En Allemagne, la Cour constitutionnelle fédérale, dans un arrêt du 11 janvier 2011, a considéré qu’exiger la stérilité définitive et une intervention chirurgicale pour modifier les caractéristiques externes était contraire aux garanties constitutionnelles relatives à l’intégrité physique et au droit à l’autodétermination sexuelle. D’autres États posent comme condition à la reconnaissance légale du nouveau sexe que l’intéressé ait suivi un traitement médical aux fins de faire correspondre certaines caractéristiques physiques de la personne à celles du sexe revendiqué (Espagne, Irlande et Islande), sans pour autant exiger une intervention chirurgicale conduisant à la stérilité.

43.  Enfin, dans certains autres États, à savoir la Belgique, le Danemark, la Finlande, la France, la Géorgie, l’Italie, Malte, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie, la Suisse et l’Ukraine, la personne doit avoir subi une chirurgie de conversion sexuelle et/ou être dans l’incapacité de procréer. Si la plupart de ces pays se limitent à exiger une chirurgie de conversion sexuelle sans faire référence à la stérilisation, celle-ci est très souvent une condition de fait puisque les interventions chirurgicales les plus intrusives mènent nécessairement à la stérilité de la personne. Dans cette catégorie de pays, on peut toutefois constater des évolutions dans la pratique ou la législation récente de certains États. Par exemple, en Suisse, l’Office fédéral suisse de l’état civil, dans un avis du 1er février 2012, a demandé aux autorités cantonales de ne pas poser comme condition préalable au changement légal du sexe des interventions chirurgicales conduisant à la stérilité ou à la construction d’organes génitaux du sexe opposé. En 2013, la Suède a amendé la loi no 1972/119 sur la détermination du sexe. Parmi les modifications apportées figure la suppression de l’exigence de stérilité préalable à toute reconnaissance du nouveau genre. Aux Pays-Bas, le parlement a adopté une loi du 18 décembre 2013 portant modification du code civil, entrée en vigueur le 1er juillet 2014, aux termes de laquelle il ne serait plus exigé que la personne soit stérile ou qu’elle ait subi une réassignation sexuelle (pour autant que la demande soit justifiée du point de vue médical et psychologique).

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

44.  Le requérant se plaint d’une atteinte au droit au respect de sa vie privée. Il soutient que la contradiction existant entre sa perception de lui-même comme homme et sa constitution physiologique a été établie par des rapports médicaux. Dans son formulaire de requête, il ajoutait que, ayant demandé l’autorisation de mettre un terme à cette contradiction, il s’était heurté au refus des autorités internes, qui auraient fondé leur décision sur sa capacité de procréer.

Le requérant demandait en outre à être autorisé à subir une intervention chirurgicale de conversion sexuelle. Il critiquait à cet égard la teneur de l’article 40 du code civil et l’interprétation qui en avait été faite, lesquelles n’auraient pas répondu aux besoins que la disposition en cause est censée résoudre dans la mesure où l’exigence biologique qu’elle pose ne pourrait être satisfaite que par le biais d’une intervention chirurgicale. Or l’impossibilité d’avoir accès à une telle intervention chirurgicale prive définitivement, selon le requérant, les personnes de toute possibilité de résoudre la contradiction à laquelle elles se heurtent entre la perception de leur identité sexuelle et la réalité biologique.

Le requérant invoque l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...)

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

45.  Le Gouvernement repousse ces allégations.

A.  Sur la recevabilité

46.  Dans des observations complémentaires datées du 30 août 2013, le Gouvernement argüe que, selon son analyse de la jurisprudence bien établie de la Cour, le requérant doit pouvoir justifier de sa qualité de victime pendant toute la durée de la procédure. Il cite à l’appui de cet argument l’affaire Bourdov c. Russie (no 59498/00, § 30, CEDH 2002-III). Il indique que, dans la présente affaire, le tribunal a rendu une décision favorable au requérant qui reprochait aux autorités de ne pas lui avoir donné l’autorisation de changer de sexe. Partant, selon lui, le requérant n’a plus la qualité de victime au sens de l’article 34 de la Convention.

47.  Le requérant récuse les arguments du Gouvernement. Renvoyant aux arrêts Chevrol c. France (no 49636/99, § 43, CEDH 2003‑III), Guerrera et Fusco c. Italie (no 40601/98, §§ 51-53, 3 avril 2003) et Timofeiev c. Russie (no 58263/00, § 36, 23 octobre 2003), il soutient qu’une décision ou une mesure favorable à un requérant ne suffit pas en principe à le priver de la qualité de victime tant que les autorités internes n’ont pas reconnu, expressément ou en substance, ni réparé intégralement la violation alléguée. À cet égard, son avocat ajoute que le rejet de son action a contraint son client – et ce, selon lui, à l’instar de toutes les personnes souhaitant changer de sexe – à utiliser des hormones en dehors de tout contrôle judiciaire et médical. Il plaide que son client est une victime et les autorités internes n’ont jamais reconnu cet état de fait. Il précise enfin que c’est le requérant qui, de sa propre initiative, a intenté une nouvelle action pour obtenir gain de cause et que les autorités internes n’ont, quant à elles, mené aucune démarche active en ce sens.

48.  La Cour rappelle qu’il appartient en premier lieu aux autorités nationales de redresser une violation alléguée de la Convention. À cet égard, la question de savoir si un requérant peut se prétendre victime du manquement allégué se pose à tous les stades de la procédure au regard de la Convention (Bourdov, précité, § 30). Pour déterminer si un requérant peut se prétendre réellement victime d’une violation alléguée, il convient de tenir compte non seulement de la situation officielle au moment de l’introduction de la requête auprès de la Cour, mais aussi de l’ensemble des circonstances de l’affaire en question, notamment de tout fait nouveau antérieur à la date de l’examen de l’affaire par la Cour (Tănase c. Moldova [GC], n7/08, § 105, CEDH 2010).

49.  La Cour rappelle également que, eu égard à ces considérations, la question de savoir si un requérant a la qualité de victime doit être tranchée au moment où elle examine l’affaire, lorsque les circonstances justifient cette approche (idem, § 106). Elle rappelle en outre qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit pas en principe à le priver de la qualité de « victime » aux fins de l’article 34 de la Convention, sauf si les autorités nationales reconnaissent, explicitement ou en substance, puis réparent la violation de la Convention (voir, par exemple, Eckle c. Allemagne, 15 juillet 1982, § 66, série A no 51, Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999‑VI, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 179-180, CEDH 2006‑V, et Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 115, CEDH 2010).

50.  Ce n’est que lorsqu’il est satisfait à ces deux conditions que la nature subsidiaire du mécanisme de protection de la Convention s’oppose à un examen de la requête (Eckle, précité, §§ 69 et suivants).

51.  En ce qui concerne la réparation « adéquate » et « suffisante » pour remédier au niveau interne à la violation d’un droit garanti par la Convention, la Cour considère généralement qu’elle dépend de l’ensemble des circonstances de la cause, eu égard en particulier à la nature de la violation de la Convention qui se trouve en jeu (voir, par exemple, Gäfgen, précité, § 116).

52.  En l’espèce, la Cour observe que le requérant avait saisi les instances nationales en 2005 d’une première demande visant au changement de sexe et qu’il s’était heurté à un refus de l’autorisation de chirurgie de conversion sexuelle au terme d’une procédure judiciaire ayant pris fin en 2007 (paragraphes 7-21 ci-dessus). Après communication de la présente requête au Gouvernement, Y.Y. a suivi un traitement hormonal et subi une mastectomie des deux seins avant d’introduire une seconde demande de changement de sexe devant le TGI de Mersin, en mars 2013 (paragraphe 22 ci-dessus). Le 21 mai 2013, au terme d’une nouvelle procédure judiciaire durant laquelle il a fait l’objet de nouveaux examens médicaux, le requérant a obtenu gain de cause (paragraphe 25 ci-dessus).

53.  Certes, comme le souligne le Gouvernement, les instances nationales ont, après la communication de la requête, adopté une décision favorable au requérant en lui accordant l’autorisation de changement de sexe sollicitée. Cela étant, la Cour ne saurait ignorer que la situation litigieuse à l’origine de la présente requête, à savoir l’impossibilité pour le requérant d’accéder à la chirurgie de conversion sexuelle en raison du refus des instances judiciaires, a perduré pendant plus de cinq ans et sept mois. Or il ne fait aucun doute pour la Cour que le requérant a directement subi les effets de ce refus dans sa vie privée durant cette période (paragraphes 22 et 24 ci-dessus). À la lecture de la motivation du TGI ayant statué en faveur du requérant, la Cour observe par ailleurs que celle-ci ne contient aucune reconnaissance expresse d’une violation de droits protégés par la Convention. L’autorisation accordée au requérant ne saurait non plus être interprétée comme une reconnaissance, en substance, d’une violation de son droit au respect de la vie privée.

54.  Il convient dès lors de rejeter l’exception du Gouvernement tirée de la perte de la qualité de victime du requérant.

55.  Constatant par ailleurs que le grief du requérant n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B.  Sur le fond

1.  Principes généraux

56.  La Cour rappelle avoir déjà souligné à de multiples reprises que la notion de « vie privée » est une notion large, non susceptible d’une définition exhaustive. Cette notion recouvre l’intégrité physique et morale de la personne (X et Y c. Pays-Bas, 26 mars 1985, § 22, série A no 91), mais elle englobe parfois des aspects de l’identité physique et sociale d’un individu (Mikulić c. Croatie, no 53176/99, § 53, CEDH 2002‑I). Des éléments tels que, par exemple, l’identité sexuelle, le nom, l’orientation sexuelle et la vie sexuelle relèvent de la sphère personnelle protégée par l’article 8 de la Convention (Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981, § 41, série A no 45, B. c. France, 25 mars 1992, § 63, série A no 232-C, Burghartz c. Suisse, 22 février 1994, § 24, série A no 280‑B, Laskey, Jaggard et Brown c. Royaume-Uni, 19 février 1997, § 71, Recueil des arrêts et décisions 1997‑I, et Smith et Grady c. Royaume-Uni, nos 33985/96 et 33986/96, 71, CEDH 1999‑VI).

57.  Cette disposition protège également le droit au développement personnel et le droit d’établir et d’entretenir des rapports avec d’autres êtres humains et le monde extérieur (Schlumpf c. Suisse, no 29002/06, § 77, 8 janvier 2009). À cet égard, la Cour considère que la notion d’autonomie personnelle reflète un principe important qui sous-tend l’interprétation des garanties de l’article 8 (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 61, CEDH 2002‑III).

58.  La Cour rappelle en outre avoir affirmé à maintes reprises dans sa jurisprudence que, la dignité et la liberté de l’homme étant l’essence même de la Convention, le droit à l’épanouissement personnel et à l’intégrité physique et morale des transsexuels est garanti (Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, § 90, CEDH 2002‑VI, Van Kück c. Allemagne, no 35968/97, § 69, CEDH 2003‑VII, et Schlumpf, précité, § 101). De même a-t-elle reconnu qu’il peut y avoir une atteinte grave à la vie privée lorsque le droit interne est incompatible avec un aspect important de l’identité personnelle (Christine Goodwin, précité, § 77).

59.  La Cour rappelle par ailleurs que la frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’État au titre de l’article 8 ne se prête pas à une définition précise, mais que les principes applicables dans le cas des premières sont comparables à ceux valables pour les secondes. Pour déterminer si une obligation – positive ou négative – existe, il faut prendre en compte le juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu ; dans les deux hypothèses, l’État jouit d’une certaine marge d’appréciation (voir, par exemple, B. c. France, précité, § 44 et Hämäläinen c. Finlande [GC], no 37359/09, § 67, CEDH 2014).

60.  En ce qui concerne la mise en balance des intérêts concurrents, la Cour a souligné l’importance particulière que revêtent les questions touchant à l’un des aspects les plus intimes de la vie privée, soit la définition sexuelle d’une personne (Schlumpf, précité, § 104). À cet égard, la Cour a déjà examiné, à la lumière des conditions de vie actuelles, plusieurs affaires se rapportant aux problèmes rencontrés par les transsexuels et elle a approuvé l’amélioration constante des mesures prises par les États au titre de l’article 8 de la Convention pour protéger ces personnes et reconnaître leur situation (L. c. Lituanie, no 27527/03, § 56, CEDH 2007-IV).

2.  Application de ces principes en l’espèce

a.  Observations liminaires

61.  À titre liminaire, la Cour souligne que dans les affaires susmentionnées elle avait été saisie de griefs présentés par des personnes transsexuelles opérées ou qui avaient subi certaines interventions chirurgicales en vue d’une conversion sexuelle, alors que, dans la présente affaire, à la date d’introduction de la requête, le requérant, transsexuel non opéré, s’était vu refuser l’autorisation judiciaire de recourir à une opération de changement de sexe, au motif qu’il n’était pas définitivement dans l’incapacité de procréer.

62.  La présente affaire a ainsi pour objet un aspect des problèmes que peuvent rencontrer les personnes transsexuelles différent de ceux que la Cour a eu l’occasion d’examiner jusqu’à présent. Elle pose en effet la question des exigences préalables au processus de conversion sexuelle pouvant être imposées aux transsexuels, et la conformité de celles-ci à l’article 8 de la Convention. Les critères et principes développés dans la jurisprudence susmentionnée, qui avaient été formulés dans un contexte sensiblement différent du cas d’espèce, ne peuvent dès lors être transposés tels quels à la présente affaire. Ils peuvent cependant guider la Cour dans son appréciation des circonstances de l’espèce.

b.  Sur l’angle d’analyse de la question en litige

i.  Arguments des parties

63.  Le requérant soutient avoir été victime d’une ingérence dans l’exercice du droit au respect de sa vie privée.

64.  Le Gouvernement conteste quant à lui cette allégation et argüe que le refus d’autoriser une intervention chirurgicale de conversion sexuelle au motif que des conditions exigées par la loi ne sont pas remplies ne peut passer pour une ingérence dans le droit au respect de la vie privée au sens de l’article 8 de la Convection. En outre, selon le Gouvernement, la question de savoir si le respect effectif de la vie privée du transsexuel créé pour l’État une obligation positive en la matière doit se résoudre par la prise en compte du « juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu ». À cet égard, il observe que, dans les arrêts Rees c. Royaume-Uni (17 octobre 1986, série A no 106) et Cossey c. Royaume-Uni (27 septembre 1990, série A no 184), la Cour a tenu compte, entre autres, du fait que « l’existence d’un juste équilibre ne pouvait astreindre l’État défendeur à remanier de fond en comble son système existant » pour conclure à l’absence d’une obligation de ce type à la charge de l’État défendeur.

ii.  Appréciation de la Cour

65.  La Cour observe que le requérant se plaint, à titre principal, du refus que lui opposèrent initialement les instances judiciaires nationales lorsqu’il demanda à accéder à la chirurgie de conversion sexuelle. À cet égard, il réitère que le principe de l’autonomie personnelle peut s’entendre au sens du droit d’opérer des choix concernant son propre corps (Pretty, précité, § 66, et K.A. et A.D. c. Belgique, nos 42758/98 et 45558/99, § 83, 17 février 2005). Si l’article 8 de la Convention ne saurait être interprété comme garantissant un droit inconditionnel à une chirurgie de conversion sexuelle, la Cour rappelle cependant avoir déjà constaté qu’il est largement reconnu au niveau international que le transsexualisme est un état médical justifiant un traitement destiné à aider les personnes concernées (Christine Goodwin, précité, § 81). Les services de santé de la plupart des États contractants reconnaissent cet état médical et garantissent ou autorisent des traitements, y compris des interventions chirurgicales de conversion sexuelle irréversibles (paragraphes 35-43 ci-dessus).

66.  La Cour estime que le refus qui a été initialement opposé au requérant a eu indéniablement des répercussions sur son droit à l’identité sexuelle et à l’épanouissement personnel, aspect fondamental de son droit au respect de sa vie privée. Ce refus a ainsi constitué une ingérence dans le droit de l’intéressé au respect de sa vie privée, au sens de l’article 8 § 1 de la Convention.

c.  Sur la justification de l’ingérence en cause

67.  Pour déterminer si l’ingérence ainsi constatée emporte violation de l’article 8, la Cour doit rechercher si elle était justifiée au regard du paragraphe 2 de cet article, autrement dit si elle était « prévue par la loi » et « nécessaire, dans une société démocratique » pour atteindre l’un ou l’autre des « buts légitimes » énumérés dans ce texte.

i.  Sur la base légale de l’ingérence

68.  D’après la jurisprudence constante de la Cour, l’expression « prévue par la loi » requiert que la mesure incriminée ait une base en droit interne mais vise également la qualité de la loi en question, exigeant que celle-ci soit accessible à la personne concernée et prévisible quant à ses conséquences (voir, parmi beaucoup d’autres, Amann c. Suisse [GC], no 27798/95, § 50, CEDH 2000‑II, Slivenko c. Lettonie [GC], no 48321/99, § 100, CEDH 2003‑X, et Fernández Martínez c. Espagne [GC], no 56030/07, § 117, CEDH 2014 (extraits)).

69.  En l’espèce, la Cour note tout d’abord que la question de l’existence d’une base légale ne prête pas à controverse entre les parties. Le requérant expose ainsi que l’ingérence dont il fit l’objet était fondée sur l’article 40 du code civil. Le Gouvernement affirme quant à lui que les exigences de l’article 40 du code civil sont claires et qu’en l’espèce le TGI de Mersin ne s’est pas livré à une interprétation jurisprudentielle quant aux conditions requises par la loi. Se fondant sur les conclusions des différentes expertises réalisées, le TGI de Mersin a ainsi, selon le Gouvernement, rejeté la demande du requérant au motif que toutes les conditions exigées par la loi pour la conversion sexuelle n’étaient pas réunies du fait que le requérant n’était pas dans l’incapacité de procréer.

70.  À cet égard, la Cour constate que la décision du TGI du 27 juin 2006, refusant au requérant l’autorisation de changement de sexe qu’il sollicitait, reposait sur l’article 40 du code civil. À la lecture de cette disposition, la Cour observe que le droit turc reconnaît aux personnes transsexuelles satisfaisant aux exigences de la loi non seulement le droit de changer de sexe mais aussi celui d’obtenir la reconnaissance juridique de leur nouveau sexe par la modification de leur état civil (paragraphe 26 ci‑dessus). L’article 40 du code civil conditionne cependant cette possibilité à, entre autres, l’incapacité définitive de procréer, condition sur le fondement de laquelle la demande du requérant a été initialement refusée.

71.  Dès lors, la Cour estime que l’ingérence litigieuse avait une base légale en droit interne. Eu égard à la conclusion à laquelle elle parvient quant à la nécessité de cette ingérence (paragraphes 121-122 ci-après), elle n’estime cependant pas nécessaire de se prononcer sur la prévisibilité de cette disposition quant à ses conséquences.

ii.  Sur le but légitime de l’ingérence

α)  Arguments des parties

72.  Le requérant soutient qu’aucun motif d’intérêt public ne s’opposait à sa demande d’intervention chirurgicale ou médicale aux fins d’un changement de sexe. À cet égard, il soutient que les arguments généraux présentés par le Gouvernement (tels que la prévention de la banalisation de ce type d’interventions, l’irréversibilité de celles-ci, les dérives de la prostitution, paragraphes 74-75 ci-après) pour justifier l’intérêt d’ordre public ayant présidé à l’ingérence en cause ne peuvent être considérés comme conséquents d’un point de vue scientifique, social et juridique.

73.  Selon le Gouvernement, il ressort de la jurisprudence de la Cour que les États ont le droit de contrôler les activités préjudiciables à la vie et à la sécurité d’autrui (Pretty, précité, et Laskey, Jaggard et Brown, précité). Il déduit de l’arrêt Pretty que plus grave est le dommage encouru et plus grand est le poids des considérations de santé et de sécurités publiques face au principe concurrent de l’autonomie personnelle.

74.  À cet égard, le Gouvernement argüe que le domaine de l’intervention chirurgicale de conversion sexuelle relève non seulement de la protection de l’intérêt général visant à éviter la banalisation des interventions chirurgicales de conversion sexuelle et les opérations inutiles, mais aussi de la protection des intérêts de l’individu qui souhaite pouvoir recourir à une opération irréversible et présentant un risque pour son intégrité physique et morale. Selon le Gouvernement, après l’intervention chirurgicale le transsexuel a certes perdu certaines caractéristiques de son sexe d’origine, mais il n’a pas acquis pour autant tous ceux du nouveau sexe. De plus, l’intéressé deviendrait définitivement dans l’incapacité de procréer. Toujours selon le Gouvernement, il faut également tenir compte des possibles regrets éprouvés par la suite par les personnes ayant eu recours à la chirurgie de conversion sexuelle, aux effets irréversibles.

75.  Quant au risque de banalisation des interventions chirurgicales de conversion sexuelle, le Gouvernement expose qu’une telle banalisation serait dangereuse eu égard tant à leur caractère irréversible qu’à un possible détournement des possibilités médicales à cet égard par certains milieux (le milieu de la prostitution, par exemple).

β)  Appréciation de la Cour

76.  La Cour rappelle que l’énumération des motifs pouvant justifier une ingérence dans le droit au respect de la vie privée qui figure dans le second paragraphe de l’article 8 est exhaustive et que la définition de ces motifs est restrictive (S.A.S. c. France [GC], no 43835/11, § 113, CEDH 2014 (extraits)). Pour être compatible avec la Convention, une ingérence dans le droit au respect de la vie privée d’un requérant doit donc être inspirée par un but susceptible d’être rattaché à l’un de ceux que cette disposition énumère. À cet égard, la pratique de la Cour est d’être plutôt succincte lorsqu’elle vérifie l’existence d’un but légitime, au sens des seconds paragraphes des articles 8 à 11 de la Convention (ibidem).

77.  Toutefois, en l’espèce, le requérant contestant la pertinence des objectifs invoqués par le Gouvernement (paragraphe 72 ci-dessus), la Cour estime qu’il convient de se prononcer de manière plus circonstanciée. À cet égard, elle observe que le Gouvernement soutient que l’encadrement des interventions chirurgicales de conversions sexuelles relève du domaine de la protection de l’intérêt général et vise plusieurs objectifs : éviter la banalisation de ces interventions et éviter que le recours à de telles interventions puisse être détourné par certains milieux, tel celui de la prostitution. Le Gouvernement se réfère en outre à la protection des intérêts de l’individu concerné eu égard aux risques que représentent ces interventions pour son intégrité physique et morale.

78.  Les arguments du Gouvernement quant au risque de banalisation des interventions chirurgicales de conversion sexuelle de même que l’argument afférent à un possible détournement de ce type d’interventions par certains milieux ne sauraient, eu égard à leur formulation, emporter la conviction de la Cour quant à pouvoir relever de la catégorie des buts légitimes énoncés au second paragraphe de l’article 8.

79.  La Cour constate cependant que le Gouvernement se réfère également à l’irréversibilité des interventions chirurgicales de conversion sexuelle et aux risques que représente ce type d’intervention pour la santé. À cet égard, elle n’a pas de raisons de douter qu’en adoptant la législation litigieuse, le Gouvernement défendeur tendait à un but légitime au sens du second paragraphe de l’article 8 et elle admet que ce type d’interventions puisse être soumis à une régulation et à un contrôle de l’État pour des motifs relevant de la protection de la santé.

80.  Cela admis, la Cour observe, à la lecture des observations du Gouvernement, que celui-ci ne se prononce pas spécifiquement quant à l’exigence d’infertilité/stérilité mentionnée dans la loi et sur le fondement de laquelle la demande du requérant fut tout d’abord rejetée. Pour autant, eu égard à ses conclusions quant à la nécessité de l’ingérence en cause (paragraphes 121-122 ci-après), la Cour n’estime pas utile de se prononcer de manière plus approfondie sur ce point.

iii.  Sur la nécessité de l’ingérence

α)  Arguments du requérant

81.  Le requérant indique que très peu de personnes saisissent les tribunaux en vertu de l’article 40 du code civil pour demander à pouvoir vivre en harmonie physique et psychologique, et que, en revanche, seraient nombreuses les personnes se faisant opérer illégalement ou à l’étranger parce qu’elles ne rempliraient pas les conditions énoncées dans la loi.

82.  Toujours du point de vue de l’intéressé, les traitements tendant à supprimer la capacité de procréer (stérilisation ou traitement hormonal) sont perçues comme banales dans le cas d’hommes ou de femmes qui ne souhaitent pas avoir d’enfant. Il conteste qu’une telle possibilité ne soit pas reconnue aux personnes transsexuelles et en conséquence, à lui-même.

83.  Le requérant défend en outre la thèse selon laquelle l’article 40 du code civil ne devrait pas être interprété comme étant de nature à faire obstacle aux traitements hormonaux et aux procédures médicales de stérilisation des personnes demandant à changer de sexe. Bien qu’existant en Turquie, ce type de traitements ne lui aurait toutefois pas été accessible. Il argüe que, puisque les hommes et les femmes ne souhaitant pas avoir d’enfants ont accès à ce type de traitements ordinaires et irréversibles, il aurait également fallu que lui-même, transsexuel, y ait accès. Il soutient qu’il ne devrait pas avoir à vivre avec une contradiction entre son physique, tel qu’il est, et le sexe auquel il se sent appartenir. Il estime que, à la lumière des données scientifiques et sociales (figurant dans les rapports médicaux versés au dossier), le droit devrait lui offrir une solution.

84.  Se référant à la position adoptée par la Cour dans l’affaire Tavlı c. Turquie (no 11449/02, §§ 35-37, 9 novembre 2006), il considère que la loi actuelle devrait être interprétée à l’aune de la réalité scientifique, biologique et sociale.

85.  D’après le requérant, un nombre important de transsexuels ne sont pas dépourvus de manière définitive de la capacité de procréer. Face à cette situation, l’article 40 du code civil ne répond selon lui à « aucun besoin », car il ne contiendrait aucune disposition reposant sur des nécessités concrètes. Par exemple, il ne comporterait aucune mention d’« une période d’essai » ou d’« un traitement hormonal » ou de tout autre traitement. L’article 40 se référerait uniquement à une « opération » de changement de sexe et à aucune autre procédure médicale. Selon l’intéressé, il existe ainsi un véritable vide juridique en la matière. Les informations en matière de procédure médicale publiées par la caisse de sécurité sociale ne contiendraient pas non plus de dispositions sur la question.

86.  Le requérant cite par ailleurs un article rédigé par deux universitaires spécialistes de droit civil portant sur une décision rendue par les juridictions civiles[3] ayant rejeté une demande d’autorisation de changement de sexe au motif que la personne qui avait formulé cette demande était dotée d’organes reproducteurs. Les auteurs auraient relevé que la question de la conformité à la Constitution d’un tel refus n’avait pas été examinée et que les juridictions n’avaient pas plus recherché comment la situation aurait dû être examinée au regard de la Convention européenne des droits de l’homme.

87.  En conclusion, le requérant estime que la procédure de changement de sexe pour les transsexuels non dépourvus de la capacité de procréer ‑ soit, selon lui, la majorité des transsexuels – est inapplicable faute pour l’article 40 du code civil d’indiquer les méthodes de traitement à suivre et d’autres dispositions législatives en la matière. Selon le requérant, cette situation contraint les personnes transsexuelles à sortir du cadre légal et à avoir recours à des traitements médicamenteux ou des interventions chirurgicales échappant au contrôle systématique du juge et du médecin.

β)  Arguments du Gouvernement

88.  Se référant aux affaires Christine Goodwin et Van Kück (précitées) ainsi que Grant c. Royaume-Uni (no 32570/03, CEDH 2006‑VII), le Gouvernement souligne que la Cour a déjà examiné, à la lumière des conditions de vie actuelles, plusieurs affaires se rapportant aux problèmes rencontrés par les transsexuels et qu’elle a salué l’amélioration constante des mesures prises par les États au titre de l’article 8 de la Convention pour protéger ces personnes et reconnaître leur situation. Suivant l’analyse du Gouvernement, tout en leur accordant une certaine marge d’appréciation en la matière, la Cour a jugé que, en vertu des obligations positives que l’article 8 faisait peser sur eux, les États étaient tenus de garantir la reconnaissance de la nouvelle identité sexuelle des transsexuels opérés, notamment par la modification de leur état civil, avec les conséquences en découlant (il mentionne les arrêts Christine Goodwin, précité, §§ 71-93, et Grant, précité, §§ 39-44).

89.  Le Gouvernement soutient que le système juridique turc remplit cette exigence : une personne transsexuelle opérée bénéficierait ainsi de la rectification de son état civil au registre et, après ce changement, elle mènerait sa vie en conformité avec sa nouvelle identité officielle.

90.  Cependant, d’après le Gouvernement, dans les affaires susmentionnées, la Cour était saisie de griefs présentés par des personnes transsexuelles ayant subi des interventions chirurgicales de conversion sexuelle alors que la présente affaire porterait sur le refus des juridictions internes d’autoriser le requérant à recourir à une intervention chirurgicale de conversion sexuelle. À cet égard, il précise que, depuis 1988, le droit turc prévoit la possibilité de changer de sexe et la pleine reconnaissance juridique de la nouvelle identité sexuelle des personnes transsexuelles ayant été opérées.

91.  Quant aux conditions requises pour le changement de sexe, le Gouvernement renvoie à l’article 40 du code civil. Selon lui, la législation interne et ses modalités de mise en œuvre n’impliquent pas que le demandeur doive se soumettre à des procédures médicales préalables de stérilisation ou de thérapie hormonale pour accéder à la chirurgie de conversion sexuelle. En l’espèce, la demande du requérant aurait été examinée par le TGI de Mersin dans le cadre des exigences prévues par la loi.

92.  Tout en admettant que la notion d’autonomie personnelle reflète un principe important qui sous-tend l’interprétation des garanties de l’article 8, le Gouvernement soutient que la Cour n’a encore jamais énoncé que cet article comportait un droit à l’autodétermination en tant que tel (il s’appuie sur les arrêts Schlumpf, Van Kück et Pretty, précités). D’après le Gouvernement, on ne peut pas déduire de l’article 8 de la Convention et de la jurisprudence de la Cour en la matière l’existence d’un droit inconditionnel au changement de sexe par le recours à une intervention chirurgicale, car un tel droit emporterait, selon lui, négation de la protection que la Convention vise à offrir.

93.  Selon le Gouvernement, au vu de la gravité et de l’irréversibilité d’une opération de conversion sexuelle, de l’incertitude subsistant quant à la nécessité d’une telle intervention pour le traitement des troubles de l’identité sexuelle, du risque de banalisation de telles interventions chirurgicales et des dangers liés à une telle banalisation, l’État doit se voir reconnaître une ample marge d’appréciation pour réglementer les changements de sexe et déterminer les exigences à remplir avant toute intervention chirurgicale de conversion sexuelle.

94.  Il indique que le TGI de Mersin, pour déterminer si toutes les exigences prévues par la loi pour le changement de sexe étaient ou non respectées, s’est appuyé sur l’une des conditions à remplir pour l’obtention de l’autorisation de changer de sexe, à savoir l’incapacité définitive de procréer, ainsi que sur les connaissances et constats des spécialistes.

95.  Par ailleurs, eu égard à l’incertitude qui subsisterait quant à la nature profonde du transsexualisme et aux situations extrêmement complexes qui en résulteraient, le Gouvernement estime que la disposition légale incriminée en l’espèce prévoit des mesures juridiques appropriées en ce domaine. D’après son analyse, la Cour elle-même a noté que toute incertitude n’avait pas disparu quant à la nature profonde du transsexualisme et que l’on s’interrogeait parfois sur la licéité d’une intervention chirurgicale en pareil cas (il invoque l’arrêt B. c. France, précité).

96.  Le Gouvernement se dit convaincu que personne ne peut soutenir que pareille intervention chirurgicale est indispensable au traitement des troubles de l’identité sexuelle. Il poursuit en plaidant que la certitude du diagnostic de transsexualisme joue un rôle de la plus grande importance et qu’un tel diagnostic devrait être posé très soigneusement pour éviter toute confusion avec d’autres troubles psychiques analogues. Il soutient que l’opération de conversion sexuelle devrait être rendue non pas nécessaire uniquement par des impératifs psychologiques mais également par des impératifs médicaux.

97.  Par ailleurs, les situations juridiques résultant du transsexualisme se révéleraient très complexes. Elles auraient trait en particulier à des questions de nature anatomique, biologique, psychologique et morale liées au transsexualisme et à sa définition ; au consentement et aux autres conditions à remplir avant toute opération ; aux conditions dans lesquelles un changement d’identité sexuelle peut être autorisé ; à des aspects internationaux ; aux effets juridiques, rétroactifs ou non, de pareils changements ; à la possibilité de choisir un autre prénom ; à la confidentialité des documents et des renseignements relatant le changement ; à des incidences d’ordre familial. Sur ces divers points, le consensus entre les États membres du Conseil de l’Europe ne serait pas encore assez large pour que la Cour énonce des conclusions déterminantes restreignant la marge d’appréciation concédée aux États et, partant, il s’agirait toujours d’un domaine dans lequel les États contractants, en raison de la faible convergence de leurs vues en la matière, jouissent d’une grande marge d’appréciation.

98.  Compte tenu des très graves risques que comportent à ses yeux les interventions chirurgicales de conversion sexuelle, le Gouvernement soutient que les conditions requises par le droit interne ne sauraient être critiquées, ni d’un point de vue juridique ni d’un point de vue médical. Il craint que l’attitude inverse puisse mener à des opérations pratiquées en l’absence de toute vérification préalable de leur nécessité médicale ou en l’absence de garanties médicales de succès.

99.  Au vu de l’ensemble des éléments qui précèdent, le Gouvernement soutient que le refus des juridictions internes d’autoriser le requérant à subir une intervention chirurgicale de conversion sexuelle ne peut être qualifié d’atteinte au droit au respect de la vie privée de l’intéressé, au sens de l’article 8 de la Convention, et que les autorités nationales n’ont pas outrepassé la marge d’appréciation qui doit leur être reconnue dans une affaire comme la présente espèce. Il n’y a donc pas eu, selon lui, violation de l’article 8.

γ)  Appréciation de la Cour

100.  Selon la jurisprudence constante de la Cour une ingérence est considérée comme « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre un but légitime si elle répond à un « besoin social impérieux » et si elle est proportionnée au but légitime poursuivi. À cet égard, il faut que les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants » (voir, entre autres, Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, § 88, CEDH 2012, et Animal Defenders International c. Royaume-Uni [GC], no 48876/08, § 105, CEDH 2013 (extraits)).

101.  S’il appartient aux autorités nationales d’apprécier les premières si toutes ces conditions se trouvent remplies, c’est à la Cour qu’il revient de trancher en dernier lieu la question de la nécessité de l’ingérence au regard des exigences de la Convention. Il faut reconnaître à cet égard une certaine marge d’appréciation aux autorités nationales compétentes. L’étendue de cette marge est variable et dépend d’un certain nombre de facteurs, dont la nature du droit en cause garanti par la Convention et son importance pour la personne concernée, ainsi que la nature de l’ingérence et la finalité de celle‑ci. Cette marge est d’autant plus restreinte que le droit en cause est important pour garantir à l’individu la jouissance effective des droits fondamentaux ou d’ordre « intime » qui lui sont reconnus. Dès lors, lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu, la marge d’appréciation laissée à l’État est plus restreinte. En revanche, elle est plus large lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protéger (S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], nos 30562/04 et 30566/04, §§ 101-102, CEDH 2008, et Fernández Martínez, précité, § 125).

102.  En l’espèce, la Cour observe que la procédure qui s’est déroulée devant les juridictions nationales mettait directement en jeu la liberté pour le requérant de définir son appartenance sexuelle, liberté qui s’analyse comme l’un des éléments les plus essentiels du droit à l’autodétermination (Van Kück, précité, § 73). À cet égard, elle rappelle s’être déclarée à maintes reprises consciente de la gravité des problèmes que rencontraient les transsexuels et avoir souligné l’importance d’examiner de manière permanente la nécessité de mesures juridiques appropriées (Christine Goodwin, précité, § 74).

103.  Elle réitère en ce sens qu’il est d’une importance cruciale que la Convention soit interprétée et appliquée d’une manière qui en rendent les garanties non pas théoriques ou illusoires, mais concrètes et effectives. Si la Cour devait faillir à maintenir une approche dynamique et évolutive, pareille attitude risquerait de faire obstacle à toute réforme ou amélioration (voir, parmi d’autres, Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, § 68, CEDH 2002‑IV).

104.  Dans le contexte de la présente affaire, la Cour estime donc opportun de tenir compte de l’évolution du droit international et européen, de même que du droit et de la pratique en vigueur dans les différents États membres du Conseil de l’Europe, afin d’apprécier les circonstances de l’espèce, « à la lumière des conditions de vies actuelles » (pour une démarche similaire, voir, entre autres, Tyrer c. Royaume-Uni, 25 avril 1978, § 31, série A no 26).

105.  À cet égard, la Cour observe que la possibilité pour les transsexuels d’entreprendre un traitement de conversion sexuelle existe dans de nombreux États européens, tout comme la reconnaissance juridique de leur nouvelle identité sexuelle. La Cour relève en outre que la réglementation ou la pratique en vigueur dans nombre de pays qui reconnaissent le changement de sexe conditionne, implicitement ou explicitement, la reconnaissance légale du nouveau sexe de préférence à une intervention chirurgicale de conversion sexuelle et/ou à l’incapacité de procréer (paragraphe 43 ci‑dessus).

106.  Dans l’arrêt Christine Goodwin (précité, § 85), la Cour a estimé que, conformément au principe de subsidiarité, il appartenait avant tout aux États contractants de décider des mesures nécessaires pour assurer la reconnaissance des droits garantis par la Convention à toute personne relevant de leur juridiction et que, pour résoudre dans leurs ordres juridiques internes les problèmes concrets posés par la reconnaissance juridique de la condition sexuelle des transsexuels opérés, les États contractants devaient jouir d’une ample marge d’appréciation.

107.  Elle estime qu’il en va indéniablement de même lorsque sont en cause les exigences légales régissant l’accès à des moyens médicaux ou chirurgicaux pour les personnes transsexuelles désireuses de se soumettre à des modifications corporelles liées à une réassignation de sexe.

108.  Cela dit, la Cour rappelle avoir déjà considéré qu’il convenait d’attacher moins d’importance à l’absence d’éléments indiquant un consensus européen relativement à la manière de résoudre les problèmes juridiques et pratiques qu’à l’existence d’éléments clairs et incontestés montrant une tendance internationale continue non seulement vers une acceptation sociale accrue des transsexuels mais aussi vers la reconnaissance juridique de la nouvelle identité sexuelle des transsexuels opérés (Christine Goodwin, précité, § 85).

109.  Elle réitère en ce sens que la faculté pour les transsexuels de jouir pleinement, à l’instar de leurs concitoyens, du droit au développement personnel et à l’intégrité physique et morale ne saurait être considérée comme une question controversée exigeant du temps pour que l’on parvienne à appréhender plus clairement les problèmes en jeu (Christine Goodwin, précité, § 90).

110.  À cet égard, elle souligne que, dans son annexe à la Recommandation CM/Rec(2010)5 sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a affirmé que les conditions préalables, y compris les modifications d’ordre physique, à la reconnaissance juridique d’un changement de genre devaient être régulièrement réévaluées afin de lever celles qui seraient abusives (paragraphe 29 ci-dessus). Par ailleurs, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dans sa Résolution 1728 (2010) relative à la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et l’identité de genre, a appelé les États membres à traiter la discrimination et les violations des droits de l’homme visant les personnes transgenres et, en particulier, à garantir dans la législation et la pratique les droits de ces personnes à des documents officiels reflétant l’identité de genre choisie, sans obligation préalable de subir une stérilisation ou d’autres procédures médicales comme une opération de conversion sexuelle ou une thérapie hormonale (paragraphe 30 ci-dessus).

111.  La Cour observe également que certains États membres ont récemment modifié leurs législations ou leurs pratiques en matière d’accès aux traitements de conversion sexuelle et de reconnaissance légale de celle‑ci en abolissant l’exigence d’infertilité/stérilité (paragraphe 43 ci‑dessus).

112.  À cet égard, la Cour estime utile de relever la spécificité du droit turc en la matière. En effet, dans la majeure partie des États qui imposent comme condition préalable à une reconnaissance juridique du nouveau genre choisi un traitement hormonal ou une chirurgie de conversion sexuelle, la stérilité/l’infertilité est appréciée après le processus médical ou chirurgical de conversion sexuelle (paragraphes 42-43 ci-dessus). Or, si le droit turc subordonne le changement d’état civil à une transformation physique obtenue à la suite d’une opération de changement de sexe « réalisée en conformité avec l’objectif spécifié par l’autorisation judiciaire et avec les techniques médicales », l’incapacité de procréer est une exigence qui s’est révélée devoir être satisfaite aux termes de la décision litigieuse du TGI de Mersin, en amont du processus de changement de sexe, conditionnant ainsi l’accès du requérant à la chirurgie de conversion.

113.  Au vu des pièces du dossier, et notamment des témoignages des proches du requérant devant les instances nationales (paragraphe 9 ci‑dessus), la Cour observe que celui-ci mène depuis de nombreuses années sa vie sociale en tant qu’homme. L’intéressé apparaît également avoir fait l’objet d’un suivi psychologique dès l’adolescence, avoir été diagnostiqué comme étant transsexuel par un comité d’experts en psychologie, lesquels ont par ailleurs conclu à la nécessité pour lui de poursuivre sa vie avec une identité masculine (paragraphes 7, 10 et 14 ci-dessus). En septembre 2005, au moment où il a sollicité pour la première fois l’autorisation judiciaire de recourir à une opération de changement de sexe, le requérant s’inscrivait donc déjà, depuis plusieurs années, dans un parcours de conversion sexuelle : il était suivie sur le plan psychologique et avait adopté depuis longtemps un comportement social masculin.

114.  En dépit de ces faits, les juridictions internes lui refusèrent tout d’abord l’autorisation requise pour le changement physique auquel il aspire. À cet égard, la Cour réitère qu’il peut y avoir une atteinte grave au droit au respect de la vie privée lorsque le droit interne est incompatible avec un aspect important de l’identité personnelle (Christine Goodwin, précité, § 77).

115.  Elle rappelle également avoir déjà affirmé que l’on ne saurait croire qu’il y ait quoi que ce soit d’irréfléchi dans la décision d’une personne de subir une opération de conversion sexuelle, compte tenu des interventions nombreuses et pénibles qu’entraîne une telle démarche et du degré de détermination et de conviction requis pour changer son rôle sexuel dans la société (Christine Goodwin, précité, § 81, et Schlumpf, précité, § 110).

116.  En l’espèce, elle constate que les juridictions internes ont justifié leur refus initial de faire droit à la demande de l’intéressé par la seule circonstance qu’il n’était pas dans l’incapacité de procréer. Or, la Cour ne s’explique pas pourquoi l’incapacité de procréer d’une personne souhaitant se soumettre à une opération de changement de sexe devrait être établie avant même que ne soit engagé le processus physique de changement de sexe.

117.  La Cour observe à cet égard, au vu des informations fournies par les parties, que le droit interne prévoit des procédures médicales de stérilisation volontaire (paragraphes 23-24 ci-dessus). Dans ses observations du 25 octobre 2010, le requérant soutenait quant à lui ne pas avoir accès, sauf à sortir du cadre légal existant, à ce type de traitements (paragraphes 83 et 87 ci-dessus). Il ajoutait qu’aucune disposition législative ne prévoyait la marche à suivre ou le type de traitements auxquels il pourrait se soumettre et qu’il existait dès lors un vide juridique en la matière (paragraphes 85-87 ci‑dessus). Dans des observations complémentaires du 23 octobre 2013, son avocat argüait que son client, après avoir introduit la présente requête devant la Cour, avait fait usage d’hormones en dehors de tout contrôle judiciaire et médical (paragraphe 47 ci-dessus).

118.  Tout en défendant la conformité à la loi du refus que les juridictions internes ont opposé à la demande du requérant à raison de sa capacité de procréer, le Gouvernement soutient que ni la législation contestée ni ses modalités de mise en œuvre ne requéraient que le requérant se soumette à des procédures médicales préalables de stérilisation ou de thérapie hormonale (paragraphe 91 ci-dessus). Or la Cour ne voit pas comment, sauf à se soumettre à une opération de stérilisation, le requérant aurait pu satisfaire à l’exigence d’infertilité définitive dès lors que, sur un plan biologique, il dispose de la capacité de procréer.

119.  Quoi qu’il en soit, la Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer sur la question de l’accessibilité éventuelle du requérant à des traitements médicaux qui lui auraient permis de satisfaire à cette exigence. En effet, en tout état de cause, elle considère que le respect dû à l’intégrité physique de l’intéressé s’opposerait à ce qu’il doive se soumettre à ce type de traitements.

120.  Au demeurant, dans les circonstances de l’espèce et eu égard à la formulation du grief du requérant, il suffit à la Cour de constater que l’intéressé a contesté, aussi bien devant les juridictions internes que devant la Cour, la mention dans la loi de l’incapacité définitive de procréer comme exigence préalable à une autorisation de changement de sexe.

121.  La Cour estime en effet que cette exigence n’apparaît aucunement nécessaire au regard des arguments avancés par le Gouvernement pour justifier l’encadrement des opérations de changement de sexe (paragraphes 74 et 75). En conséquence, à supposer même que le rejet de la demande initiale du requérant tendant à accéder à la chirurgie de changement de sexe reposait sur un motif pertinent, la Cour estime  qu’il ne saurait être considéré comme fondé sur un motif suffisant. L’ingérence  qui en résultât dans le droit du requérant au respect de sa vie privée ne saurait donc passer pour avoir été « nécessaire » dans une société démocratique.

Le changement d’attitude du TGI de Mersin qui, en mai 2013, a accordé au requérant l’autorisation de recourir à la chirurgie de changement de sexe en faisant abstraction des conclusions médicales selon lesquelles l’intéressé n’était pas dans l’incapacité définitive de procréer (paragraphes 24 et 25 ci‑dessus), vient assurément conforter ce constat.

122.  Ainsi, la Cour estime qu’en déniant au requérant, pendant de nombreuses années, la possibilité d’accéder à une telle opération, l’État a méconnu le droit de l’intéressé au respect de sa vie privée. Elle conclut en conséquence à la violation de l’article 8 de la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

123.  Le requérant se plaint de l’absence de tout examen par la Cour de cassation du fond de son affaire et de l’absence de motivation des décisions de cette juridiction. Il invoque à cet égard l’article 6 de la Convention ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

124.  Le Gouvernement repousse ces allégations. Il déduit de la jurisprudence de la Cour que c’est d’abord aux autorités nationales, et spécialement aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter le droit interne et que la Cour n’a pas à substituer sa propre interprétation du droit à la leur en l’absence d’arbitraire (il invoque, mutatis mutandis, Ravnsborg c. Suède, 23 mars 1994, § 33, série A no 283‑B, Bulut c. Autriche, 22 février 1996, § 29, Recueil 1996‑II, et Tejedor García c. Espagne, 16 décembre 1997, § 31, Recueil 1997‑VIII). Il indique en outre que la Convention ne réglemente pas le régime de la preuve en tant que tel et que la Cour ne peut donc exclure par principe et in abstracto l’admissibilité d’une preuve recueillie sans respecter les prescriptions du droit national. Il ajoute qu’il revient aux juridictions internes d’apprécier les éléments obtenus par elles et la pertinence de ceux dont une partie souhaite la production, et que la Cour a pour seule tâche de rechercher si la procédure, considérée dans son ensemble, a revêtu le caractère équitable voulu par l’article 6 § 1 de la Convention (Mantovanelli c. France, 18 mars 1997, § 34, Recueil 1997‑II, et Elsholz c. Allemagne [GC], no 25735/94, § 66, CEDH 2000‑VIII).

125.  Pour le Gouvernement, il ressort en outre de la jurisprudence bien établie de la Cour que l’obligation des tribunaux de motiver leurs décisions ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, CEDH 1999‑I). Le Gouvernement souligne que, en l’espèce, la demande du requérant a été examinée par le tribunal de grande instance de Mersin dans le cadre des exigences prévues par la loi et que ce tribunal, se fondant sur les conclusions des différentes expertises, a rejeté la demande en cause au motif que toutes les conditions requises par la loi pour la conversion sexuelle n’étaient pas réunies.

126.  Le Gouvernement ajoute que la Cour de cassation a examiné le dossier de l’affaire et qu’elle a confirmé le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Mersin au motif que ce dernier n’avait commis aucune erreur dans son appréciation des dispositions légales et des éléments de preuve.

127.  La Cour rappelle qu’il ne découle pas de l’article 6 § 1 que les motifs exposés par une juridiction doivent traiter en particulier de tous les points que l’une des parties peut estimer fondamentaux pour son argumentation. Une partie n’a pas un droit absolu d’exiger du tribunal qu’il expose les motifs pour lesquels il a rejeté chacun de ses arguments (voir, parmi d’autres, İbrahim Aksoy c. Turquie (déc.), nos 28635/95, 30171/96 et 34535/97, 7 décembre 1999). Au demeurant, en l’espèce, la Cour constate que la Cour de cassation a motivé des décisions. Statuant sur le pourvoi dont elle avait été saisie, elle précisa que la juridiction de première instance n’avait commis aucune erreur dans son appréciation des preuves. Elle s’est ainsi appropriée les motifs de cette juridiction. Statuant sur la demande de rectification, elle exposa que les conditions pouvant ouvrir la voie à un arrêt rectificatif n’étaient pas réunies. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

128.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

129.  Se référant à l’arrêt B. c. France (précité), le requérant réclame 10 000 euros (EUR) pour préjudice moral. Il affirme, à l’appui de cette demande, être confronté à une souffrance quotidienne dans l’accomplissement de tous les actes nécessitant la présentation d’un document d’identité car celle-ci générerait des réactions embarrassantes pour lui. Dans une lettre rédigée le 16 février 2011 en réponse aux observations du Gouvernement qui contestait ce montant, le requérant a soutenu que la somme réclamée était raisonnable tout en soulignant que son souhait premier était d’obtenir, par voie judiciaire, qu’il fût mis fin à la contradiction dont il souffrait. Partant, il s’en remettait à la sagesse de la Cour pour ce qui concernait l’évaluation du montant de son dommage.

130.  Le Gouvernement conteste cette prétention.

131.  La Cour observe que par décision judiciaire du 21 mai 2013, le requérant a obtenu l’autorisation pour une chirurgie de changement de sexe. Cela étant, statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 7 500 EUR pour dommage moral.

B.  Frais et dépens

132.  Le requérant ne présente aucune demande de remboursement de frais et dépens.

C.  Intérêts moratoires

133.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 8 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

 

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

 

3.  Dit,

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 7 500 EUR (sept mille cinq cents euros), à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

 

4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 mars 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Abel Campos                                                                    Guido Raimondi
  Greffier adjoint                                                                        Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

–  opinion concordante des juges Keller et Spano ;

–  opinion concordante des juges Lemmens et Kūris.

G.R.A.
A.C.


OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES KELLER ET SPANO

1.  Nous avons voté en faveur d’une violation de l’article 8 de la Convention. Néanmoins, nous ne sommes pas tout à fait convaincus par le raisonnement de la majorité. Nos réserves concernent le fait que la Cour a laissé sans réponse la question de savoir si l’ingérence tendait à l’un des buts légitimes énoncés à l’article 8 § 2 de la Convention. D’un point de vue méthodologique, il nous parait difficile d’aborder la question de la proportionnalité sans avoir préalablement défini le but légitime (A). À notre avis, la Cour aurait dû examiner de manière approfondie si le Gouvernement avait démontré (implicitement) l’existence d’un intérêt légitime permettant de justifier l’exigence d’infertilité définitive comme condition préalable, selon la décision litigieuse des juridictions internes, à l’accès à un traitement pour changer de sexe (B). Enfin, nous nous permettons de faire quelques observations de nature générale sur les développements récents en matière de transsexualisme et sur l’exigence de l’incapacité de procréer dans ce contexte. Ces considérations nous semblent importantes pour les futurs cas similaires (C).

2.  En l’espèce, le requérant, transsexuel, se considère depuis des années comme un homme. Son entourage familial et social a accepté sa nouvelle identité. En mai 2013, le tribunal de grande instance (« le TGI ») de Mersin fit droit à sa demande et autorisa l’opération chirurgicale de changement de sexe sollicitée (voir paragraphe 25 de l’arrêt).

A.  La détermination (in)suffisante du but légitime

3.  Selon le droit turc, toute personne qui souhaite changer de sexe peut saisir les juridictions internes d’une demande d’autorisation à cette fin. Elle doit alors apporter, entre autres, la preuve de son incapacité définitive de procréer (paragraphe 26 de l’arrêt) – une exigence que connaissent aussi d’autres pays membres du Conseil de l’Europe (voir paragraphes 35-43 de l’arrêt).

4.  En l’espèce, il n’est pas contesté que l’ingérence reposait sur une base légale suffisante (paragraphes 68-71 de l’arrêt). Dès lors, la Cour se penche sur la question du but légitime. Ce faisant, elle observe à juste titre que le Gouvernement ne se prononce pas sur l’exigence d’infertilité/stérilité définitive prévue par la loi en question (paragraphe 80 de l’arrêt). Or, c’est justement parce que le requérant ne satisfaisait pas à cette exigence que les autorités nationales lui ont, pendant des années, dénié une opération de changement de sexe. À notre avis, la Cour aurait pu s’arrêter là et rendre un arrêt plus court en se limitant à constater que le Gouvernement avait failli à invoquer valablement un but légitime. À notre regret, la majorité a préféré ne pas aborder cette question de manière plus approfondie. Au lieu de cela, elle a procédé à l’examen de la proportionnalité de l’ingérence (paragraphe 80 de l’arrêt).

5.  Nous sommes bien conscients que la Cour a déjà suivi cette approche dans d’autres affaires. Soit elle a laissé sans réponse la question de savoir si la loi satisfaisait à toutes les exigences de clarté et de prévisibilité (voir, par exemple, S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], nos 30562/04 et 30566/04, § 99, CEDH 2008 ; Kurić et autres c. Slovénie [GC], no 26828/06, §§ 348‑350, CEDH 2012 (extraits) ; I.S. c. Allemagne, no 31021/08, §§ 72‑75, 5 juin 2014), soit elle a exprimé, comme dans la présente affaire, des doutes quant au but légitime invoqué par le gouvernement (A, B et C c. Irlande [GC], no 25579/05, §§ 227-228, CEDH 2010).

6.  Cette approche nous paraît légitime pour les affaires soulevant essentiellement des questions sous l’angle de la proportionnalité. Or, dans la présente affaire, elle pose plusieurs problèmes. Se pose notamment la question générale de savoir comment peser les intérêts que représentent, d’une part, le but légitime recherché par l’État et, d’autre part, les droits de l’individu, si le premier est méconnu.

B.  La proportionnalité en l’espèce

7.  L’examen de la proportionnalité nécessite par définition une pesée des intérêts. Du côté du requérant, ce sont évidemment son droit de définir son identité sexuelle et son droit à l’intégrité physique et psychique qui sont en jeu – des éléments qui se trouvent sans aucun doute au cœur de la vie privée de chacun et donc de l’article 8 de la Convention. Du côté de l’État, la majorité accepte – comme justification à la réglementation et au contrôle des opérations de changement de sexe – les arguments tirés de l’irréversibilité des interventions chirurgicales de conversion sexuelle et du risque que représente ce type d’interventions pour la santé (paragraphe 79 de l’arrêt).

8.  Il nous semble toutefois difficile de justifier l’exigence d’infertilité définitive comme condition préalable au changement de sexe par les conséquences graves qu’entraîne le changement de sexe chirurgical alors même que parvenir à la stérilité définitive implique normalement que l’intéressé doive subir des traitements eux aussi susceptibles d’avoir de graves conséquences pour la santé. À juste titre, la Cour n’a pas choisi cette solution.

9.  Cependant, le raisonnement de la majorité pose d’autres problèmes évidents. Premièrement, les arguments évoqués par la majorité aux paragraphes 102-111 et 116-119 de l’arrêt portent clairement sur la question de savoir si la condition préalable d’infertilité définitive pour l’accès à un traitement de changement de sexe est, en soi, conforme à l’article 8 de la Convention. Deuxièmement, la Cour semble se servir d’un langage normalement utilisé sur le terrain non pas de l’examen de la proportionnalité mais de la question de savoir si l’ingérence tendait ou non à un but légitime. On le voit clairement au § 121, dans lequel

« La Cour estime (...) que cette exigence n’apparaît aucunement nécessaire au regard des arguments avancés par le Gouvernement pour justifier l’encadrement des opérations de changement de sexe (...). En conséquence, à supposer même que le rejet de la demande initiale du requérant tendant à accéder à la chirurgie de changement de sexe reposait sur un motif pertinent, la Cour estime qu’il ne saurait être considéré comme fondé sur un motif suffisant. »

10.  Enfin, la majorité constate une violation au motif que l’ingérence était disproportionnée parce que le requérant s’était vu dénier, pendant des années, la possibilité d’une opération de changement de sexe. Elle relève également que, en 2013, le TGI a fait droit à la demande du requérant indépendamment des conclusions médicales quant à sa capacité de procréer.

11.  Il y a donc deux interprétations possibles au raisonnement de la majorité : selon une interprétation étroite, la Cour, dans les circonstances spécifiques du cas d’espèce, juge disproportionnée l’ingérence en question (à savoir le refus d’autorisation de l’opération de changement de sexe). Selon une interprétation plus large, cependant, la Cour se prononce également de manière implicite sur l’exigence d’infertilité définitive comme condition préalable à l’accès à un traitement de changement de sexe. Ce deuxième aspect nous semble problématique car le Gouvernement ne s’est pas prononcé sur la nécessité d’une telle condition. À notre avis, la Cour aurait dû s’exprimer plus clairement sur ce point.

C.  La stérilité définitive comme condition préalable

12.  Nous nous permettons de rappeler quelques points importants en plus de ce qui est abordé de manière plus ou moins explicite dans l’arrêt.

13.  Il faut d’abord rappeler que la stérilisation forcée, qui a été pratiquée dans presque tous les pays et toutes les sociétés,[4] reste un sujet difficile encore aujourd’hui. La notion a sans doute une connotation négative et la Cour n’a pas été épargnée par de tristes affaires à ce sujet, notamment concernant des femmes d’origine rom (voir, entre autres, K.H. et autres c. Slovaquie, no 32881/04, 28 avril 2009 ; V.C. c. Slovaquie, no 18968/07, 8 novembre 2011 ; N.B. c Slovaquie, no 29518/10, 12 juin 2012 ; I.G. et autres c Slovaquie, no 15966/04, 13 novembre 2012 ; R.K. c. République Tchèque, no 7883/08, 27 novembre 2012 (règlement amiable)).

14.  Dans le contexte de ces affaires, la Cour a toujours souligné l’importance du consentement préalable à toute stérilisation, une exigence qui découle d’ailleurs des conventions internationales et des principes généraux de la dignité et de la liberté humaines. Pour être valable, le consentement de la personne concernée nécessite que cette dernière ait connaissance de son état de santé, de la cause de la stérilisation ainsi que des alternatives possibles. De plus, elle doit disposer d’un délai raisonnable pour prendre sa décision finale (voir par exemple V.C. c. Slovaquie, §§ 107‑115). La stérilisation définitive est donc un sujet d’une sensibilité particulière.

15.  Dans la partie « textes européens et internationaux »  (paragraphes 29-34 de l’arrêt) la Cour fait référence à un certain nombre d’organes qui ont tous critiqué la stérilisation définitive comme condition préalable à un changement de sexe. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, par exemple, a souligné dans la Recommandation CM/Rec(2010)5, points 20‑21 (paragraphe 29 de l’arrêt) que la subordination du changement de sexe à certaines conditions (notamment la stérilisation irréversible) devrait être réévaluée par les États membres, « afin de lever celles qui seraient abusives ». De manière similaire, dans sa Résolution 1728 (2010), point 16.11.2 (paragraphe 30 de l’arrêt), l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a jugé contestable la stérilisation ou toute autre procédure médicale comme condition préalable au changement des documents officiels. Enfin, dans son document thématique du 29 juillet 2009 (paragraphe 31 de l’arrêt), le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a invité les États membres à rendre possible des procédures de conversion de genre. De manière plus explicite, il a même recommandé d’ « [a]bolir la stérilisation et les autres traitements médicaux obligatoires susceptibles de porter gravement atteinte à l’autonomie, à la santé ou au bien-être de la personne en tant que conditions nécessaires à la reconnaissance légale du genre choisi par une personne transgenre » (rapport de 2011, points 2 et 4 ; paragraphe 32 de l’arrêt).

16.  Ajoutons à cela qu’en 2013, dans ses Observations finales concernant l’Ukraine, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a adopté, pour la première fois, une recommandation portant spécifiquement sur la reconnaissance légale de sexe.[5] Il a recommandé au gouvernement ukrainien d’abroger toute exigence disproportionnée, comme par exemple les opérations correctives obligatoires.[6]

17.  De manière similaire, le Rapporteur spécial sur la torture a considéré en 2013 que la stérilisation coercitive ou forcée est contraire au respect de l’intégrité physique de la personne et a souligné la nécessité de sauvegarder le consentement éclairé des minorités sexuelles.[7]

18.  Le rapport publié en 2014 par l’Organisation Mondiale de la Santé sur la stérilisation forcée ou coercitive confirme également qu’au plan international un certain nombre d’institutions de protection des droits de l’homme ont déjà recommandé l’abolition de la stérilisation comme condition préalable à un traitement médical pour les transsexuels.[8]

19.  Au regard des documents cités ci-dessus, on peut observer une tendance internationale contre la stérilisation comme condition préalable, tant pour le changement de sexe dans les registres officiels que pour les opérations de changement de sexe.

20.  À notre avis, la pratique de plusieurs juridictions nationales fait ressortir aussi la problématique de la stérilisation définitive comme condition préalable à un changement de sexe. Bien que cette jurisprudence nationale concerne plutôt la question des conditions au changement de sexe dans les registres officiels d’état civil (et non pas l’autorisation d’une opération de changement de sexe), on peut observer une tendance générale consistant à considérer une stérilisation définitive comme contraire aux constitutions nationales.

21.  La Cour constitutionnelle autrichienne, par exemple, a constaté dans sa décision du 3 décembre 2009[9] que l’opération de changement de sexe ne pourrait pas être vue comme une condition préalable à un changement de sexe dans le registre officiel d’état civil.

22.  De la même manière, dans une décision du 11 janvier 2011[10], la Cour constitutionnelle allemande a considéré, qu’exiger la stérilité définitive et une intervention chirurgicale pour modifier les caractéristiques externes était contraire aux garanties constitutionnelles relatives à l’intégrité physique et au droit à l’autodétermination sexuelle. Elle a estimé que l’exigence d’incapacité de procréer résultant d’une opération n’était pas compatible avec l’article 2 § 2 de la Constitution allemande.[11] Cette exigence mettrait les personnes concernée dans une situation de contrainte, car elles devraient opter entre une ingérence corporelle et la non-reconnaissance de leur changement de sexe.[12]

23.  De plus, la cour d’appel administrative de Stockholm a constaté dans une décision de 19 décembre 2012[13] que la condition de stérilisation telle que prévue par la loi no 1972/119 sur la détermination du sexe n’était pas conforme à la Constitution suédoise et aux articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme.[14] Dans son raisonnement, elle a souligné qu’une stérilisation ne pouvait être considérée comme volontaire s’il n’existait pas d’autre possibilité de faire inscrire le changement du sexe dans le registre d’état civil. En conséquence, le parlement suédois a modifié cette loi en 2013.

24.  En outre, l’Office fédéral suisse de l’état civil a publié un avis le 1er février 2012 au regard des développements européens en matière de droits des transsexuels. Il a considéré qu’« une constatation juridique d’un changement de sexe est possible même si l’irréversibilité du changement de sexe et l’inaptitude à procréer – nécessaires à une telle constatation – ont été atteintes sans intervention chirurgicale (stérilisation ; construction des organes génitaux), mais par exemple par hormonothérapie ».[15]

25.  Enfin, il est intéressant de noter qu’aux États-Unis, les gouvernements au niveau fédéral ainsi qu’au niveau des états n’exigent plus explicitement la stérilisation pour faire inscrire un changement de sexe sur l’acte de naissance ou le permis de conduire.[16]

26.  Au vu de ce qui précède, un constat s’impose : dans le cas où la stérilisation serait la seule possibilité de garantir l’autorisation d’une opération de changement de sexe, on peut parler de stérilisation forcée de facto.[17] Dans le cadre de l’examen de la proportionnalité, il est absolument nécessaire de tenir compte du fait que l’exigence de stérilité est une ingérence ayant des conséquences graves et irréversibles. Bien que des mesures beaucoup moins lourdes soient concevables, la majorité n’a pas cherché à en souligner l’existence.

27.  En outre, s’agissant de la marge d’appréciation, nous rappelons que le droit à l’identité sexuelle et à l’épanouissement personnel sont des aspects fondamentaux du droit au respect de la vie privée (voir § 7 ci-dessus). La majorité admet elle-même que « la liberté de définir son appartenance sexuelle, [est une] liberté qui s’analyse comme l’un des éléments les plus essentiels du droit à l’autodétermination » (paragraphe 102 de l’arrêt). Il nous semble donc évident que la marge d’appréciation dans un cas comme celui-ci devrait être réduite à un minium.

D.  Conclusion

28.  Bien que nous soyons d’accord avec le constat de violation de l’article 8, nous estimons que la Cour aurait dû aborder la question de savoir si, en l’espèce, l’ingérence tendait à un but légitime permettant de justifier une stérilité définitive et, le cas échéant, examiner d’une manière plus approfondie la question de savoir si l’exigence de stérilité définitive en tant que telle est compatible avec l’article 8 de la Convention.

 


 

OPINION CONCORDANTE DU JUGE LEMMENS, À LAQUELLE SE RALLIE LE JUGE KŪRIS

1.  Je suis entièrement d’accord avec mes collègues pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention. L’arrêt souligne, une fois de plus, l’importance du droit à l’identité sexuelle comme élément du droit au respect de la vie privée pour une personne transsexuelle.

Je voudrais toutefois indiquer comment j’interprète la portée de l’arrêt.

2.  Le requérant se plaint de l’application dans son cas de l’article 40 du code civil turc.

Cette disposition contient deux alinéas (voir le paragraphe 26 de l’arrêt). L’alinéa premier concerne le changement de sexe, et le subordonne à un certain nombre de conditions, parmi lesquelles celle d’être dans l’incapacité définitive de procréer. Le second alinéa concerne la rectification du registre d’état civil après un changement de sexe, c’est-à-dire la reconnaissance juridique du nouveau sexe. Le processus conduisant à la reconnaissance du nouveau sexe comporte donc deux phases, et à chaque phase l’intervention du tribunal est nécessaire : d’abord pour autoriser le changement de sexe (alinéa premier), ensuite pour reconnaître les effets juridiques du changement de sexe effectivement effectué (alinéa second).

3.  L’arrêt ne concerne que la première phase. Il examine la compatibilité avec la Convention de l’incapacité définitive de procréer entendue comme condition préalable à une opération de changement de sexe. Il juge que cette condition ne saurait être considérée comme « nécessaire » pour atteindre les buts invoqués par le Gouvernement dans ce contexte.

Je voudrais attirer l’attention sur le fait que la Cour déclare qu’elle « ne voit pas comment, sauf à se soumettre à une opération de stérilisation, le requérant aurait pu satisfaire à l’exigence d’infertilité définitive dès lors que, sur un plan biologique, il dispose de la capacité de procréer » (paragraphe 118). Pour le requérant, il était impossible de remplir cette condition. Je fais remarquer que d’autres personnes pourraient y satisfaire. En effet, des personnes de sexe féminin désireuses de subir une conversion sexuelle peuvent obtenir l’autorisation de se soumettre à une telle opération si elles ne sont plus fertiles, ou si elles ne l’ont jamais été. C’est apparemment pour cette catégorie de femmes que le législateur admet le changement de sexe. En revanche, une femme fertile ne peut pas, en vue d’une conversion sexuelle, abandonner les caractéristiques physiques d’une femme, y compris la faculté de procréer.

3.  L’arrêt ne se prononce pas sur la compatibilité avec la Convention de l’incapacité définitive de procréer entendue comme condition préalable à la reconnaissance juridique du changement de sexe, notamment pour les personnes ayant subi une opération de conversion sexuelle.

Bien entendu, il y a des arguments pour considérer que de ce point de vue aussi, la condition précitée pose problème. Je me réfère à l’opinion concordante de mes collègues Keller et Spano.

Toutefois, j’estime que la Cour a eu raison de ne pas se prononcer sur la condition litigieuse dans ce contexte plus général. Non seulement parce qu’elle n’était pas saisie de cette question, mais aussi parce que le dossier ne contient pas suffisamment d’éléments pour lui permettre de statuer en connaissance de cause. Les motifs invoqués par le Gouvernement pour justifier que la conversion sexuelle soit subordonnée à l’incapacité définitive de procréer (voir en particulier les buts légitimes mentionnés aux paragraphes 74-75 et 77 de l’arrêt) ne sont pas nécessairement ceux qu’un état pourrait invoquer pour justifier cette même exigence comme condition de la reconnaissance juridique du changement de sexe.

Même s’il y a une nette tendance parmi les États à reconnaître juridiquement le nouveau sexe d’une personne transsexuelle sans exiger au préalable l’incapacité définitive de procréer, je suis frappé par le fait que bon nombre d’entre eux ont encore dans leur législation une telle exigence (voir paragraphe 43 de l’arrêt). Je serais curieux de savoir quels motifs ces derniers pourraient invoquer pour justifier leur système. Ces motifs sont peut-être suffisants, peut-être pas, je l’ignore.

C’est notamment pour cette raison que j’estime que le présent arrêt ne saurait être interprété comme excluant définitivement l’exigence de l’incapacité définitive de procréer du contexte de la conversion sexuelle. Il faudra attendre une autre occasion pour que la Cour puisse approfondir la question.



[1].  En Turquie, les cartes d’identité des femmes sont de couleur rose et celles des hommes, de couleur bleu.

[2].  Mastectomie, mammoplastie, hystérectomie et ovariectomie, orchiectomie, pénéctomie, vaginoplastie, phalloplastie, ainsi que d’autres chirurgies non génitales (féminisation faciale, chirurgie de la voix, réduction de la pomme d’Adam, par exemple).

[3].  Jugement du tribunal de grande instance d’İzmir du 17 décembre 2003 (E. 2002/979 et K. 2003/102) et arrêt de la Cour de cassation du 18 juin 2003 (E. 2003/7323 et K. 2003/906).

[4].  S’agissant notamment de femmes d’origine rom ou handicapé(e)s, voir Organisation mondiale de la Santé, Eliminating forced, coercive and otherwise involuntary sterilization: an interagency statement, OHCHR, UN Women, UNAIDS, UNDP, UNFPA, UNICEF and WHO, 2014, p. 4-7; Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Les droits de l’homme des Roms et des Gens du voyage en Europe, 2012 ; Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Recommandation relative à certains aspects de la loi et de la pratique concernant la stérilisation des femmes en République slovaque, 2003 ; Manfred Nowak, Rapport d’activité du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 2008, A/63/175, § 60, et les références citées.

[5].  Comité des droits de l’homme, Observations finales concernant le septième rapport périodique de l’Ukraine, adoptées le 23 juillet 2013, CCPR/C/UKR/CO/7, § 10 : «  Le Comité est (…) préoccupé par les informations indiquant qu’en vertu de l’ordonnance n° 60 (3 février 2011) du Ministère de la santé relative à ‘l’amélioration des soins médicaux dispensés aux personnes pour lesquelles il faut procéder à un changement de sexe (réassignation)’, les personnes transgenres doivent accepter d’être placées dans un établissement psychiatrique pour une période pouvant aller jusqu’à quarante-cinq jours et subir une intervention de chirurgie correctrice selon les modalités fixées par la commission compétente pour que leur genre soit reconnu. »

[6].  « L’État partie devrait en outre modifier l’ordonnance n° 60 et d’autres lois et règlements en vue: 1) de remplacer le placement obligatoire des personnes pour qui il faut procéder à un changement (réassignation) de sexe dans un établissement psychiatrique pour une période pouvant aller jusqu’à quarante-jours jours par une autre mesure moins intrusive; 2) de faire en sorte que tout traitement médical soit dispensé dans l’intérêt de la personne concernée et avec son consentement, soit limité aux actes médicaux strictement nécessaires et soit conforme aux souhaits de cette personne et adapté à ses besoins médicaux particuliers et à sa situation; 3) de supprimer toute condition abusive ou disproportionnée liée à la reconnaissance juridique d’un changement de sexe » (ibid.).

[7].  Juan E. Méndez, Rapport du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 2013, A/HRC/22/53, §§ 38, 78, 79 ; voir aussi Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, « Droits de l’homme et identité de genre », document thématique (2009), p. 19 et suiv.

[8].  Organisation mondiale de la Santé, Eliminating forced, coercive and otherwise involuntary sterilization: an interagency statement, OHCHR, UN Women, UNAIDS, UNDP, UNFPA, UNICEF and WHO, 2014.

[9].  Cour constitutionnelle autrichienne, B 1973/08-13, 3 décembre 2009, § 3, p. 8-9.

[10].  Cour constitutionnelle allemande, 1 BvR 3295/07, 11 janvier 2011.

[11].  Cour constitutionnelle allemande, 1 BvR 3295/07, 11 janvier 2011, § 68.

[12].  Cour constitutionnelle allemande, 1 BvR 3295/07, 11 janvier 2011, § 69.

[13].  Kammarrätten i Stockholm, Avdelning 03 (cour d’appel administrative de Stockholm, département 03), n° 1968-12, 12 décembre 2012.

[14].  De plus, la cour administrative d’appel a constaté que la loi, parce ce qu’elle ne visait que les transsexuels, était discriminatoire.

[15].  Avis de droit de l’Office fédéral de l’état civil du 1er février 2012 relatif au transsexualisme, 1er février 2012, p. 8.

[16].  Voir les références cités de L. Nixon, The Right to (Trans)Parent, 20 Wm. & Mary J. of Women & L. 73 (2013), p. 89.

[17].  Voir aussi Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Divorce et stérilisation forcés: une réalité pour de nombreuses personnes transgenres, Carnet de droits de l’homme, 31 août 2010 : « Ces exigences vont clairement à l’encontre des principes des droits de l’homme et de la dignité humaine, comme cela a été aussi souligné par des décisions de justice en Autriche et Allemagne. »


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