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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> CONTRADA v. ITALY (No. 3) - 66655/13 - Chamber Judgment (French Text) [2015] ECHR 370 (14 April 2015)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/370.html
Cite as: [2015] ECHR 370

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    QUATRIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE CONTRADA c. ITALIE (No 3)

     

    (Requête no 66655/13)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    14 avril 2015

     

     

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Contrada c. Italie (no 3),

    La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

              Päivi Hirvelä, présidente,
              Guido Raimondi,
              George Nicolaou,
              Ledi Bianku,
              Nona Tsotsoria,
              Paul Mahoney,
              Krzysztof Wojtyczek, juges,
    et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 mars 2015,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 66655/13) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. Bruno Contrada (« le requérant »), a saisi la Cour le 4 juillet 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le requérant a été représenté par Me E. Tagle, avocat à Naples. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme E. Spatafora, ainsi que par sa coagente, Mme P. Accardo.

    3.  Le requérant allègue que l’infraction de « concours externe en association de type mafieux» pour laquelle il a été condamné est le résultat d’une évolution de jurisprudence postérieure à l’époque des faits de l’affaire. Ainsi, l’article 7 de la Convention aurait été violé en l’espèce.

    4.  Le 7 novembre 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  Le requérant est né en 1931 et réside à Palerme.

    A.  La procédure en première instance devant le tribunal de Palerme

    6.  Par un jugement du 5 avril 1996, le tribunal de Palerme condamna le requérant à une peine de dix ans de réclusion pour concours en association de type mafieux (concorso in associazione di stampo mafioso, articles 110, 416 et 416 bis du code pénal). Le tribunal retint notamment que, entre 1979 et 1988, le requérant, en qualité d’abord de fonctionnaire de police et ensuite de chef de cabinet du haut-commissaire pour la lutte contre la mafia et de directeur adjoint des services secrets civils (SISDE), avait systématiquement contribué aux activités et à la réalisation des buts criminels de l’association de type mafieux dénommée « Cosa nostra ». Selon le tribunal, le requérant avait fourni aux membres de la commission provinciale de Palerme de ladite association des informations confidentielles concernant les investigations et les opérations de police en cours dont lesdits membres, ainsi que d’autres personnes faisant partie de l’association en question, faisaient l’objet.

    7.  Le tribunal fonda son jugement sur l’examen d’un nombre important de témoignages et de documents ainsi que sur les informations fournies par plusieurs repentis, anciens membres de « Cosa nostra ». Les parties pertinentes du jugement en cause sont reportées ci-dessous :

    « Sur la question [de l’existence de l’infraction de concours éventuel en association de type mafieux, commise donc par des sujets tiers, différents des concurrents dits « nécessaires »] plusieurs approches ont existé. Celles-ci peuvent être regroupées en trois catégories :

    1) [l’approche] de ceux qui nient avec fermeté l’existence, dans notre système du concours externe en association de type mafieux, alléguant que l’extension injustifiée du domaine d’application de l’infraction d’association comporterait la violation des principes de légalité, de la prévision législative exhaustive des situations dans lesquelles la norme pénale trouve application (principio di tassatività) et [du principe] de détermination nécessaire des catégories pénales, craignant, en pratique, les risques liés à un élargissement excessif du pouvoir discrétionnaire des juges ;

    2) [l’approche] de ceux qui, même en admettant du point de vue du droit l’hypothèse d’un concours éventuel dans les infractions de type associatif, s’efforcent d’en délimiter le champ d’application en soulignant aussi la fonction subsidiaire, de qualification (qualificatrice) et de sanction propre à des agissements qui s’approchent d’autres catégories délictueuses (par exemple, la connivence et l’assistance) ;

    3) [l’approche] de ceux qui admettent l’existence, dans notre système, du concours externe en association de type mafieux, en supposant que la règle prévue par les articles 110 et suivants du code pénal (...) est applicable également aux cas d’infraction associative, mettant ainsi en avant la capacité inhérente à une telle approche interprétative de satisfaire les inéluctables exigences politiques et criminelles de défense sociale. »

    8.  Le tribunal releva ensuite :

    « Certainement, le domaine des relations entre individus appartenant au secteur de la politique, de l’administration, de l’entreprise, des professions, de la magistrature, de la finance..., avec l’organisation mafieuse, lorsqu’il ne se concrétise pas en une réelle intégration dans la structure criminelle mentionnée ci-dessus, est celui qui se prête le mieux à être ramené à la catégorie de concours externe.

    [Cette catégorie], même si elle doit être adoptée de la part du juge de manière prudente, se caractérise certainement par son efficacité vis-à-vis de la répression des formes de collusion lesquelles, autant dangereuses que sournoises et insidieuses, apparaissent d’autant plus déplorables et symptomatiques de la capacité élevée d’infiltration de la mafia dans le tissu de la société civile et partant en mesure de montrer la charge subversive puissante de cette réalité criminelle »

    B.  La procédure en appel devant la cour d’appel de Palerme

    9.  Le 1er janvier 1997, le requérant interjeta appel. Le ministère public saisit à son tour la cour d’appel d’un recours afin d’obtenir la condamnation du requérant à une peine plus lourde.

    10.  Le requérant fit valoir le principe de la « prévision législative exhaustive des situations dans lesquelles la norme pénale trouve application » (principio di tassatività della norma penale) en tant que corollaire du principe plus général de la non-rétroactivité de la norme pénale. Il estima notamment qu’à l’époque des faits qui lui étaient reprochés, la catégorie de concours externe en association de type mafieux en tant qu’infraction n’était pas prévisible car elle était le résultat d’une évolution jurisprudentielle ultérieure.

    11.  Par un arrêt du 4 mai 2001, la cour d’appel de Palerme acquitta le requérant pour absence de faits délictueux (perché il fatto non sussiste).

    12.  Tout en soulignant plusieurs anomalies dans le comportement du requérant dans son rôle de dirigeant de la police (susceptibles de faire l’objet d’une procédure disciplinaire), la cour d’appel estima que les preuves prises en considération n’étaient pas déterminantes, utilisa d’autres témoignages de repentis recueillis entre-temps et releva que le tribunal avait sous-estimé le fait que les témoignages de certains repentis, arrêtés dans le passé par le requérant même, pouvait être la conséquence d’un projet de vengeance à l’encontre de ce dernier.

    C.  La première procédure devant la Cour de cassation

    13.  Le procureur général de la République se pourvut en cassation.

    14.  Par un arrêt du 12 décembre 2002, la Cour de cassation annula l’arrêt de la cour d’appel de Palerme et renvoya l’affaire devant une autre section de celle-ci. Elle estima notamment que l’arrêt en question n’avait pas été dûment motivé. À titre d’exemple, la cour d’appel avait omis d’expliquer la raison pour laquelle certains témoignages recueillis n’étaient pas susceptibles d’avoir valeur de preuve et n’avait pas étayé la thèse de la vengeance de la part de certains repentis vis-à-vis du requérant.

    15.   En ce qui concerne l’infraction de concours externe en association de type mafieux, la Cour de cassation releva ce qui suit :

    « (...) Le concours externe dans l’infraction d’association criminelle de type mafieux doit être distingué de l’infraction de connivence (favoreggiamento personale) car, dans le premier cas, l’individu, quoiqu’il ne soit pas inséré de manière stable dans la structure organisationnelle de l’association, opère de manière systématique avec les associés, afin de détourner les enquêtes policières visant à réprimer l’activité criminelle de l’association ou à poursuivre les personnes qui participent à une telle activité fournissant ainsi une contribution spécifique et concrète aux fins de la conservation et du renforcement de l’association même ; par contre, dans l’infraction de connivence, l’individu aide de manière ponctuelle un associé, auteur de l’infraction rentrant ou pas dans l’activité prévue par le lien associatif, à éluder les investigations de la police ou à se soustraire aux recherches de cette dernière ».

    D.  La nouvelle procédure devant la cour d’appel de Palerme

    16.  Par un arrêt du 25 février 2006, une nouvelle section de la cour d’appel de Palerme confirma le contenu du jugement du tribunal de Palerme du 5 avril 1996 sur la base, d’une part, de nombreux autres témoignages et documents recueillis au cours de l’enquête et, d’autre part, de la prétendue évaluation erronée de la valeur probatoire de certains témoignages opérée par la section de la cour d’appel ayant adopté son arrêt du 4 mai 2001.

    17.  En ce qui concerne l’existence de l’infraction de concours externe en association de type mafieux (configurabilità del concorso esterno in associazione di stampo mafioso), la cour d’appel estima que le jugement du tribunal de première instance ayant condamné le requérant avait appliqué à juste titre les principes développés par la jurisprudence en la matière.

    18.  Il fit valoir en particulier qu’au moment de l’introduction du recours en appel, le 1er janvier 1997, la Cour de cassation s’était prononcée à deux reprises en formation plénière dans le sens de l’existence de l’infraction de concours externe en association de type mafieux (notamment dans les arrêts Demitry, no 16 du 5 octobre 1994 et Mannino, no 30 de 1995), et que cette position fut confirmée dans deux arrêts intervenus successivement en la matière (à savoir, Carnevale, no 22327 du 30 octobre 2002 et Mannino, no 33748 du 17 juillet 2005). La cour d’appel faisait également valoir que l’arrêt de la Cour de cassation d’annulation avec renvoi se référait également à une telle infraction en notant la différence entre cette dernière et la connivence. La cour d’appel releva en outre que :

    « (...) Le concours externe en association de type mafieux est propre aux situations dans lesquelles une personne, privée de l’affectio societatis et non insérée dans la structure organisationnelle de l’association, fournit une contribution concrète, spécifique, consciente et volontaire, qu’elle soit occasionnelle ou continue, pourvu que cette contribution ait pour conséquence effective la conservation et le renforcement de l’association et que l’auteur soit conscient, dans la forme du dol général direct, de son rôle pour la réalisation, même si partielle, du projet criminel. »

    E.  La deuxième procédure devant la Cour de cassation

    19.  Le requérant se pourvut en cassation.

    20.  Il réitéra le principe de la non-rétroactivité et de la prévisibilité de la loi pénale estimant que cette question n’avait pas fait l’objet d’un examen de la part des juridictions internes et demanda que les faits de l’espèce soient plutôt qualifiés de connivence (favoreggiamento personale).

    21.  Il contesta, entre autres, l’utilisation des déclarations d’un repenti et demanda le dépôt au dossier de nouvelles preuves.

    22.  Par un arrêt déposé le 8 janvier 2008, la Cour de cassation débouta le requérant, confirmant la légitimité du dépôt au dossier des déclarations contestées par le requérant et rejetant sa demande visant à obtenir l’utilisation de preuves complémentaires.

    23.  Quant à la partie du pourvoi portant sur le principe de la non-rétroactivité et de la prévisibilité de la loi pénale, la Cour de cassation considéra que celle-ci était manifestement mal fondée car elle comportait un examen sur le fond et non pas une analyse des prétendues violations de la loi (esame di legittimità).

    F.  La procédure en révision devant la cour d’appel de Caltanissetta

    24.  Par un arrêt du 24 septembre 2011, la cour d’appel de Caltanissetta déclara irrecevable la demande du requérant d’obtenir la révision de son procès.

    25.  Le 25 juin 2012, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    A.  Les articles pertinents du code pénal italien

    Article 110 : Peine applicable aux personnes participant à une infraction

    « Lorsque plusieurs personnes participent à une même infraction, chacune d’entre elles est soumise à la peine prévue pour l’infraction en cause (...) »

    Article 416 : Association criminelle

    « Lorsque des personnes, en nombre égal ou supérieur à trois, s’associent dans l’objectif de commettre des délits, ceux qui promeuvent, constituent ou organisent l’association sont punis de ces faits par une peine de réclusion de trois à sept ans.

    Pour le seul fait de participer à l’association, la peine est celle de la réclusion de un à cinq ans.

    Les chefs sont soumis à la même peine établie par les promoteurs. (...) »

    Article 416 bis : Association de malfaiteurs de type mafieux

    « Quiconque fait partie d’une association de type mafieux, composée de trois personnes ou plus, est passible de la réclusion criminelle. (...)

    L’association est de type mafieux lorsque ceux qui en font partie se servent de la force d’intimidation du lien associatif et de la condition d’assujettissement et de complicité tacite en résultant, afin de commettre des délits, de se procurer directement ou indirectement la gestion ou autrement le contrôle d’activités économiques, de concessions, d’autorisations, adjudications ou services publics ou pour réaliser des bénéfices ou des profits injustes pour les membres ou pour d’autres personnes, ou encore afin d’empêcher ou entraver le libre exercice du droit de vote ou de procurer des voix aux membres ou à d’autres personnes lors de consultations électorales.

    (...) »

    B.  L’évolution de la jurisprudence interne concernant la prévision de l’infraction de concours externe en association de type mafieux

    26.  Dans leurs observations, les parties ont envoyé une liste exhaustive des affaires traitées par la Cour de cassation en matière de concours externe en association de type mafieux.

    27.  Il ressort de celle-ci que le premier arrêt dans lequel cette infraction est mentionnée est l’arrêt Cillari, no 8092 du 14 juillet 1987. Dans celui-ci la Cour de cassation réfuta explicitement l’existence d’une telle infraction. Dans l’arrêt Agostani, no 8864 du 27 juin 1989, la Cour parvint aux mêmes conclusions. Plus tard, dans les arrêts Abbate et Clementi, nos 2342 et 2348 du 27 juin 1994, la Cour démentit également l’existence en droit interne de l’infraction de concours externe en association de type mafieux.

    28.  Entre-temps, dans l’arrêt Altivalle, no 3492 du 13 juin 1987, la Cour de cassation reconnut l’existence du concours éventuel en association de type mafieux dans la limite des infractions dites « d’accord », c’est-à-dire, les infractions de type associatif dans lesquelles les volontés de l’ensemble des individus impliqués dans les faits ont pour but la réalisation d’un objectif commun. L’arrêt Barbella, no 9242 du 4 février 1988, fit également référence à l’infraction en cause, en mettant l’accent sur la nature épisodique des agissements de l’auteur des faits. Les arrêts Altomonte, no 4805 du 23 novembre 1992, Turiano, no 2902 du 18 juin 1993 et Di Corrado, du 31 août 1993, confirmèrent en substance cette approche.

    29.  Ce n’est que dans l’arrêt Demitry, prononcé par les Sections Unies de la Cour de cassation le 5 octobre 1994, que celle-ci fournit pour la première fois une élaboration de la matière en objet, faisant état des arrêts ayant réfuté et de ceux ayant reconnu l’infraction litigieuse et admettant de manière explicite l’existence de l’infraction de concours externe en association de type mafieux dans l’ordre juridique interne.

    30.  Cette même approche fut ensuite confirmée dans d’autres arrêts, tels que Mannino, no 30 du 27 septembre 1995, Carnevale, no 22327 du 30 octobre 2002 et Mannino, no 33748 du 17 juillet 2005, prononcés également par les Sections Unies de la Cour de cassation.

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 7 DE LA CONVENTION

    31.  Invoquant l’article 7 de la Convention, le requérant estime que l’infraction de concours externe en association de type mafieux est le résultat d’une évolution de jurisprudence postérieure à l’époque des faits pour lesquels il a été condamné.

    32.  Ainsi, compte tenu des divergences de jurisprudence sur l’existence de ladite infraction, le requérant n’aurait pas pu prévoir avec précision la qualification juridique des faits qui lui étaient reprochés et, par conséquent, la peine sanctionnant ses agissements.

    33.  L’article 7 de la Convention est ainsi libellé :

    « 1.  Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise.

    2.  Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »

    34.  Le Gouvernement soulève d’emblée que les observations du requérant auraient été reçues par le greffe de la Cour le 5 mai 2014, à savoir au-delà du 18 avril 2014, délai fixé par la Cour pour l’envoi des observations. Celles-ci ne devraient partant pas être versées au dossier.

    35.  La Cour constate que les observations du requérant ont été envoyées par téléfax le 17 avril 2014 et ont été reçues le même jour. Cet argument du Gouvernement doit donc être refusé.

    A.  Sur la recevabilité

    36.  Le Gouvernement soulève trois objections quant à la recevabilité de la requête. Il fait valoir d’abord que celle-ci aurait été introduite au-delà du délai des six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention. Ce délai courait en l’espèce à partir du 8 janvier 2008, date du dépôt de l’arrêt de la Cour de cassation. Le Gouvernement soutient que le formulaire de requête est daté du 4 juillet 2008, mais que toutefois, le courrier y relatif a été reçu par la Cour le 9 juillet 2008. En l’absence de preuve de l’envoi de la part du requérant, la requête devrait être rejetée car tardive.

    37.  Le requérant conteste les affirmations du Gouvernement et indique que sa requête a été envoyée à la Cour le 4 juillet 2008.

    38.  La Cour observe que la présente requête a été envoyée au greffe le 4 juillet 2008, ainsi qu’il ressort du cachet postal de l’enveloppe versée au dossier. Telle est donc la date d’introduction de la requête au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. Partant, cette objection du Gouvernement ne saurait être retenue.

    39.  Le Gouvernement excipe ensuite que le requérant aurait omis de soulever devant les autorités nationales le même grief qu’il soulève devant la Cour. Il fait valoir notamment que « si devant les instances internes, le requérant s’est plaint de la qualification de l’infraction qui lui était reprochée ; devant la Cour il dénonce la violation du principe de non-rétroactivité de la norme pénale ». Ainsi, les juges nationaux n’auraient pas eu la possibilité de statuer sur la doléance du requérant telle que formulée devant la Cour. Le principe de subsidiarité aurait ainsi été méconnu et la requête devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes.

    40.  Le requérant conteste cette thèse et fait valoir avoir soulevé la doléance portée devant la Cour dans tous les degrés de juridiction.

    41.  La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. Tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l’occasion que cette disposition a pour finalité de ménager en principe aux États contractants, à savoir éviter ou redresser les violations alléguées contre eux. Cette règle se fonde sur l’hypothèse que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée. Les dispositions de l’article 35 § 1 ne prescrivent toutefois l’épuisement que des seuls recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’État défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, parmi beaucoup d’autres, McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 107, 10 septembre 2010, Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, § 15, CEDH 2002-VIII, Leandro Da Silva c. Luxembourg, no 30273/07, §§ 40 et 42, 11 février 2010 et Vučković et autres c. Serbie [GC], no 17153/11, §§ 71-72, 25 mars 2014).

    42.  Dans le cas d’espèce, la Cour relève que, dans son recours en appel contre le jugement de première instance du tribunal de Palerme du 5 avril 1996, le requérant a invoqué le principe de la prévision législative exhaustive des situations dans lesquelles la norme pénale trouve application (principio di tassatività della norma penale) en tant que corollaire du principe plus général de la non-rétroactivité de la norme pénale. Le requérant estima notamment qu’à l’époque des faits de l’affaire, l’application de la loi pénale concernant le concours en association de type mafieux n’était pas prévisible car elle était le résultat d’une évolution jurisprudentielle ultérieure.

    43.  A la suite de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Palerme le 25 février 2006, cette même doléance fut réitérée dans le pourvoi introduit par le requérant en cassation. Ce dernier fit notamment valoir que la question en cause n’avait pas fait l’objet d’un examen de la part des juridictions internes.

    44.  Dans ces circonstances, l’objection de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le défendeur doit être rejetée.

    45.  Troisièmement, le Gouvernement estime que, en l’espèce, si la Cour devait se pencher sur la question de l’existence de l’infraction de concours externe en association de type mafieux, elle endosserait le rôle d’un juge de « quatrième instance », cette question ayant déjà été résolue par les Sections Unies de la Cour de cassation. Ainsi, cette requête devrait être déclarée manifestement mal fondée au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

    46.  De l’avis du Gouvernement, l’examen de la Cour devrait uniquement concerner le fait de savoir si, au moment où les faits reprochés au requérant ont été commis, l’interprétation jurisprudentielle dominante en cette matière était accessible et prévisible pour celui-ci.

    47.  La Cour relève d’emblée que le grief en examen ne porte pas sur une éventuelle violation du droit à un procès équitable (voir Contrada c. Italie (no 2), no 7509/08, § 70, 11 février 2014 et, a contrario, parmi beaucoup d’autres, Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 162, CEDH 2010) et que c’est en règle général dans ce contexte que le rôle de la Cour en tant que « quatrième instance » peut être évalué.

    48.  En tout état de cause, la Cour estime que les considérations du Gouvernement sont liées au fond de l’affaire et seront donc examinées ci-dessous.

    49.  La Cour constate que cette requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

    B.  Sur le fond

    1.  La position des parties

    50.  Le Gouvernement observe d’emblée que la notion de concours externe est apparue pour la première fois dans plusieurs arrêts à partir de la fin des années soixante du siècle dernier, d’abord en matière de conspiration politique à travers la constitution d’une association (voir l’arrêt de la Cour de cassation Muther, du 27 novembre 1968) et, ensuite, en matière de terrorisme (voir, entre autres, les arrêts de la Cour de cassation Cucco du 1er juin 1977, Zuffada du 18 mars 1978 et Arancio du 25 octobre 1983). La jurisprudence portant sur la notion de concours externe était donc bien établie même dans une période précédant les faits contestés au requérant.

    51.  La même notion a ensuite été appliquée dans des affaires ayant trait à l’infraction d’association de type mafieux, à commencer par les arrêts Altivalle, no 3492 du 13 juin 1987, Barbella, no 9242 du 4 février 1988 et Altomonte, no 4805 du 23 novembre 1992.

    52.  Le Gouvernement admet que, entre la fin des années quatre-vingt et le début des années quatre-vingt-dix du siècle dernier, la jurisprudence a parfois réfuté l’existence de l’infraction de concours matériel externe en association de type mafieux (Cillari, no 8092 du 14 juillet 1987, et Agostani, no 8864 du 27 juin 1989). Ces décisions excluaient l’existence d’une situation intermédiaire entre la participation à l’association de type mafieux et l’extranéité à celle-ci, qualifiant les faits des espèces de participation au sens de l’article 416 du code pénal. Le conflit de jurisprudence a toutefois été résolu définitivement par la Cour de cassation en formation plénière dans l’arrêt Demitry, no 16 du 5 octobre 1994, lequel a défini les limites de l’applicabilité de l’infraction litigieuse fournissant ainsi une interprétation clarificatrice de la matière.

    53.  Le Gouvernement soutient donc que les décisions réfutant l’existence de l’infraction de concours externe en association de type mafieux n’ont été que minoritaires et la jurisprudence a reconnu cette infraction dès le début (à savoir de 1968 à 1989).

    54.  Ainsi, à l’époque où le requérant a commis les faits qui lui ont été reproché (1978-1988) la jurisprudence interne en la matière n’était aucunement contradictoire.

    55.  Cette jurisprudence doit être partant considérée comme étant linéaire, aucun changement drastique ne pouvant être décelé dans l’approche des différentes décisions adoptées par la Cour de cassation. La jurisprudence a en effet suivi un parcours progressif de consolidation d’une approche positive eu égard à l’existence de l’infraction caractérisée, certes, par une analyse dialectique d’arguments opposés, ayant finalement dépassé les positions minoritaires.

    56.  Enfin, le Gouvernement fait valoir que, compte tenu des compétences professionnelles du requérant, de sa personnalité et de son parcours, on ne saurait affirmer que la loi et la jurisprudence en la matière n’étaient pas prévisibles pour celui-ci.

    57.  Le requérant souligne d’abord que, tel que le Gouvernement l’admet dans ses observations, le concours externe en association de type mafieux est une création de la jurisprudence amorcée dans des décisions datant de la fin des années quatre-vingt, c’est-à-dire, après les faits pour lesquels le requérant a été condamné, et s’étant consolidée avec l’arrêt de la Cour de cassation Demitry. Le requérant souligne aussi que les arrêts auxquels le Gouvernement fait référence datant de la fin des années soixante du siècle dernier ne concernent que le concours dans des associations terroristes et ne sont donc pas pertinentes en l’espèce.

    58.  Selon le requérant, le Gouvernement omet d’expliquer la raison pour laquelle, si la jurisprudence en matière de concours externe en association de type mafieux était aussi linéaire, quatre arrêts des Sections Unies de la Cour de cassation ont été nécessaires afin de clarifier l’existence d’une telle infraction. Le requérant fait valoir que le fait que la jurisprudence en la matière est restée controversée jusqu’aux années quatre-vingt-dix ressort aussi du jugement du tribunal de Palerme du 5 avril 1996.

    59.  L’évolution jurisprudentielle en cette matière, postérieure aux faits reprochés au requérant, démontre qu’à l’époque où ceux-ci se seraient produits, le requérant ne pouvait raisonnablement prévoir les conséquences, en termes de sanction, de ses prétendues actions, l’existence de l’infraction de concours externe en association de type mafieux étant à l’époque des faits, objet d’interprétations jurisprudentielles divergentes.

    2.  L’appréciation de la Cour

    a)  Les principes se dégageant de la jurisprudence de la Cour

    60.  La Cour rappelle que les principes généraux en matière du principe nulla poena sine lege, se dégageant de l’article 7 de la Convention, sont résumés dans l’arrêt Del Rio Prada c. Espagne [GC] (n42750/09, §§ 77-80, CEDH 2013), dont les parties pertinentes sont rappelées ci-dessous. Ces principes sont repris également dans l’arrêt Rohlena c. République tchèque [GC] (no 59552/08, § 50, 27 janvier 2015) :

    «  77. La garantie que consacre l’article 7, élément essentiel de la prééminence du droit, occupe une place primordiale dans le système de protection de la Convention, comme l’atteste le fait que l’article 15 n’y autorise aucune dérogation même en temps de guerre ou autre danger public menaçant la vie de la nation. Ainsi qu’il découle de son objet et de son but, on doit l’interpréter et l’appliquer de manière à assurer une protection effective contre les poursuites, les condamnations et les sanctions arbitraires (S.W. c. Royaume-Uni et C.R. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, respectivement § 34, série A no 335-B, et § 32, série A no 335-C, et [Kafkaris c. Chypre [GC], no 21906/04, § 137, CEDH 2008].

    78. L’article 7 de la Convention ne se borne pas à prohiber l’application rétroactive du droit pénal au désavantage de l’accusé (voir, en ce qui concerne l’application rétroactive d’une peine, Welch c. Royaume-Uni, 9 février 1995, § 36, série A no 307-A, Jamil c. France, 8 juin 1995, § 35, série A no 317-B, Ecer et Zeyrek c. Turquie, nos 29295/95 et 29363/95, § 36, CEDH 2001-II, et Mihai Toma c. Roumanie, no 1051/06, §§ 26-31, 24 janvier 2012). Il consacre aussi, de manière plus générale, le principe de la légalité des délits et des peines -« nullum crimen, nulla poena sine lege » - (Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, § 52, série A no 260-A). S’il interdit en particulier d’étendre le champ d’application des infractions existantes à des faits qui, antérieurement, ne constituaient pas des infractions, il commande en outre de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l’accusé, par exemple par analogie (Coëme et autres c. Belgique, nos 32492/96, 32547/96, 32548/96, 33209/96 et 33210/96, § 145, CEDH 2000-VII ; pour un exemple d’application par analogie d’une peine, voir l’arrêt Başkaya et Okçuoğlu c. Turquie [GC], nos 23536/94 et 24408/94, §§ 42-43, CEDH 1999-IV).

    79. Il s’ensuit que la loi doit définir clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente, au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux et le cas échéant après avoir recouru à des conseils éclairés, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale et quelle peine il encourt de ce chef (Cantoni c. France, 15 novembre 1996, § 29, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, et Kafkaris, précité, § 140).

    80. La tâche qui incombe à la Cour est donc, notamment, de s’assurer que, au moment où un accusé a commis l’acte qui a donné lieu aux poursuites et à la condamnation, il existait une disposition légale rendant l’acte punissable et que la peine imposée n’a pas excédé les limites fixées par cette disposition (Coëme et autres, précité, § 145, et Achour c. France [GC], no 67335/01, § 43, CEDH 2006-IV). »

    61.  La Cour rappelle également qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes dans l’appréciation et la qualification juridique des faits, pourvu que celles-ci reposent sur une analyse raisonnable des éléments du dossier (voir, mutatis mutandis, Florin Ionescu c. Roumanie, no 24916/05, § 59, 24 mai 2011). Plus généralement, la Cour rappelle que c’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et aux tribunaux, qu’il appartient d’interpréter la législation interne. Son rôle se limite donc à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], n26083/94, § 54, CEDH 1999-I, Korbely c. Hongrie, [GC], no 9174/02, §§ 72-73, CEDH 2008, et Kononov c. Lettonie [GC], no 36376/04, § 197, CEDH 2010).

    62.  Toutefois, la Cour doit jouir d’un pouvoir de contrôle plus large lorsque le droit protégé par une disposition de la Convention, en l’occurrence l’article 7, requiert l’existence d’une base légale pour l’infliction d’une condamnation et d’une peine. L’article 7 § 1 exige de la Cour qu’elle recherche si la condamnation du requérant reposait à l’époque sur une base légale. En particulier, elle doit s’assurer que le résultat auquel ont abouti les juridictions internes compétentes était en conformité avec l’article 7 de la Convention. L’article 7 deviendrait sans objet si l’on accordait un pouvoir de contrôle moins large à la Cour (voir Kononov, précité, § 198).

    63.  En somme, la Cour doit rechercher si la condamnation du requérant reposait sur une base suffisamment claire (voir Kononov, précité, § 199 ; Rohlena, précité, § 51-53).

    b)  Application des principes précités en l’espèce

    64.  La Cour estime que la question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si, à l’époque des faits reprochés au requérant, la loi applicable définissait clairement l’infraction de concours externe en association de type mafieux. Il y a lieu d’examiner donc si, à partir du libellé des dispositions pertinentes et à l’aide de l’interprétation de la loi fournie par les tribunaux internes, le requérant pouvait connaître les conséquences de ses actes sur le plan pénal.

    65.  La Cour note d’emblée que, dans le cas d’espèce, le requérant a été condamné à une peine de dix ans de réclusion pour concours en association de type mafieux par un jugement du tribunal de Palerme du 5 avril 1996 relativement à des faits accomplis entre 1979 et 1988. Dans la partie en droit du jugement, ce concours était qualifié d’« éventuel » ou « externe ». La condamnation du requérant, d’abord annulée par un arrêt de la cour d’appel de Palerme, fut ensuite confirmée par une autre section de celle-ci et, de façon définitive, par un arrêt de la Cour de cassation.

    66.  La Cour remarque qu’il n’est pas contesté entre les parties que le concours externe en association de type mafieux constitue une infraction d’origine jurisprudentielle. Or, tel que le tribunal de Palerme l’a rappelé à juste titre dans son arrêt du 5 avril 1996 (voir le paragraphe 7 ci-dessus), l’existence de telle l’infraction a fait l’objet d’approches jurisprudentielles divergentes.

    67.  L’analyse de la jurisprudence citée par les parties (voir les paragraphes 26-30 ci-dessus) montre que la Cour de cassation a fait pour la première fois mention de l’infraction de concours externe en association de type mafieux dans son arrêt Cillari, no 8092 du 14 juillet 1987. En l’espèce, la Cour de cassation réfuta l’existence d’une telle infraction et réitéra cette position dans d’autres arrêts qui suivirent, notamment Agostani, no 8864 du 27 juin 1989 et Abbate et Clementi, nos 2342 et 2348 du 27 juin 1994.

    68.  Entre-temps, dans d’autres affaires, la Cour de cassation reconnut l’existence de l’infraction de concours éventuel en association de type mafieux (voir l’arrêt Altivalle, no 3492, du 13 juin 1987 et, ensuite, Altomonte, no 4805 du 23 novembre 1992, Turiano, no 2902 du 18 juin 1993 et Di Corrado, du 31 août 1993).

    69.  Ce n’est toutefois que dans l’arrêt Demitry, prononcé par la Cour de cassation en formation plénière le 5 octobre 1994, que celle-ci fournit pour la première fois une élaboration de la matière litigieuse, faisant état des orientations niant et de celles reconnaissant l’existence de l’infraction litigieuse et, dans l’esprit de mettre fin aux conflits de jurisprudence en la matière, admit finalement de manière explicite l’existence de l’infraction de concours externe en association de type mafieux dans l’ordre juridique interne.

    70.  Dans ce contexte, l’argument du Gouvernement selon lequel, à l’époque de la commission des faits (1979-1988), la jurisprudence interne en la matière n’était aucunement contradictoire ne saurait être accueilli.

    71.  En outre, la Cour considère que la référence du Gouvernement à la jurisprudence en matière de concours externe, qui s’est développée à partir de la fin des années soixante du siècle dernier, c’est-à-dire, avant les faits reprochés au requérant (voir le paragraphe 50 ci-dessus), n’enlève rien à ce constat. Les affaires mentionnées par le gouvernement défendeur portent certes sur le développement jurisprudentiel de la notion de « concours externe ». Néanmoins, les cas d’espèce mis en avant ne concernent pas l’infraction de concours externe en association de type mafieux, faisant l’objet de la présente requête, mais des infractions différentes, à savoir la conspiration politique par la constitution d’une association et les actes de terrorisme. On ne saurait donc déduire du développement jurisprudentiel invoqué l’existence en droit interne de l’infraction de concours externe dans le cadre de l’association de type mafieux, qui diffère en sa substance même des cas d’espèce mentionnés par le Gouvernement, et qui, tel que rappelé ci-dessus (paragraphes 29 et 30 ci-dessus), a fait l’objet d’un développement jurisprudentiel distinct et ultérieur par rapport à celles-ci.

    72.  La Cour relève aussi que, dans son arrêt du 25 février 2006, la cour d’appel de Palerme, s’exprimant sur l’applicabilité de la loi pénale en matière de concours externe en association de type mafieux, s’appuya sur les arrêts Demitry, no 16 du 5 octobre 1994, Mannino no 30 du 27 septembre 1995, Carnevale, no 22327 du 30 octobre 2002 et Mannino, no 33748 du 17 juillet 2005 (voir les paragraphe 18 ci-dessus), tous postérieurs aux faits reprochés au requérant.

    73.  La Cour note de surcroît que la doléance du requérant tenant à la violation du principe de la non-rétroactivité et de la prévisibilité de la loi pénale, soulevée devant tous les degrés de juridiction (voir les paragraphes 10 et 20 ci-dessus), n’a pas fait l’objet d’un examen approfondi des juridictions internes, celles-ci s’étant limitées à analyser en détail l’existence même de l’infraction de concours externe en association de type mafieux dans l’ordre juridique interne sans toutefois répondre à la question de savoir si une telle infraction pouvait être connue par le requérant à l’époque des faits qui lui étaient reprochés (voir les paragraphes 15, 17 et 18 ci-dessus).

    74.  Dans ces circonstances, la Cour constate que l’infraction litigieuse a été le résultat d’une évolution jurisprudentielle amorcée vers la fin des années quatre-vingt du siècle dernier et qui s’est consolidée en 1994 dans l’arrêt Demitry.

    75.  Ainsi, à l’époque où les faits reprochés au requérant ont été commis (1979-1988), l’infraction en cause n’était pas suffisamment claire et prévisible pour celui-ci. Le requérant ne pouvait donc pas connaître en l’espèce la peine qu’il encourait du chef de la responsabilité pénale découlant des actes qu’il avait accomplis (Del Rio Prada [GC], précité, §§ 79 et 111-118, a contrario, Ashlarba c. Géorgie, n45554/08, §§ 35-41, 15 juillet 2014, a contrario, Rohlena, § 50, précité et, mutatis mutandis, Alimuçaj c. Albanie, no 20134/05, §§ 154-162, 7 février 2012).

    76.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 7 de la Convention.

    II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    77.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    78.  En ce qui concerne le dommage matériel, le requérant réclame « la reconstitution de sa carrière ainsi que la restitution de l’ensemble des montants qu’il n’a pas reçu en raison de sa condamnation ». Il demande également « la restitution de l’ensemble des montants qu’il a été condamné à payer ».

    79.  Le requérant demande en outre entre 30 000 et 50 000 euros (EUR) » au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

    80.  Le Gouvernement s’oppose à ces prétentions et fait valoir qu’elles n’ont pas été prouvées.

    81.  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 10 000 EUR au titre du préjudice moral.

    B.  Frais et dépens

    82.  Le requérant demande également 48 253,18 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 29 335,61 EUR pour ceux engagés devant la Cour.

    83.  Le Gouvernement s’oppose à ces prétentions et fait valoir que les frais engagés devant les juridictions internes ne devraient pas être octroyés, en raison de ce qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 de la Convention en l’espèce. Pour ce qui est des frais et dépens prétendument engagés par le requérant devant la Cour, le Gouvernement considère que ceux-ci sont excessifs et que le requérant a omis de les prouver.

    84.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, la Cour note que les documents présentés par le requérant à l’appui de la demande de remboursement des frais et dépens engagés devant les juridictions internes ne sont pas suffisamment détaillés. La Cour rejette donc la demande formulée par le requérant à ce titre.

    85.  Quant frais et dépens engagés dans la procédure devant elle, la Cour estime raisonnable la somme de 2 500 EUR et l’accorde au requérant.

    C.  Intérêts moratoires

    86.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 7 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes:

    i)  10 000 EUR (dix-mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  2 500 EUR (deux-mille-cinq-cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour les frais et dépens encourus devant la Cour ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 avril 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Françoise Elens-Passos                                                            Päivi Hirvelä
           Greffière                                                                             Présidente

     


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