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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> KAPETANIOS AND OTHERS v. GREECE - 3453/12 42941/12 9028/13 - Chamber Judgment (French Text) [2015] ECHR 453 (30 April 2015) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/453.html Cite as: [2015] ECHR 453 |
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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE KAPETANIOS ET AUTRES c. GRÈCE
(Requêtes nos 3453/12, 42941/12 et 9028/13)
ARRÊT
STRASBOURG
30 avril 2015
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Kapetanios et autres c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Elisabeth Steiner,
présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Dmitry Dedov, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de
section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 avril 2015,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine des affaires se trouvent trois requêtes (nos 3453/12, 42941/12 et 9028/13) dirigées contre la République hellénique et dont trois ressortissants de cet État, MM. Evaggelos Kapetanios, Athanasios Nikolopoulos et Nikolaos Aggloupas (« les requérants »), ont saisi la Cour les 28 décembre 2011, 2 juillet 2012 et 28 janvier 2013 respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. En ce qui concerne les requêtes nos 3453/12 et 9028/13, les requérants ont été représentés par Me V. Chirdaris, avocat au barreau d’Athènes. Quant à la requête no 42941/12, le requérant a été représenté par Mes D. et K. Farmakidis-Markou, avocats au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les déléguées de son agent, Mmes K. Paraskevopoulou, assesseure auprès du Conseil juridique de l’État, et M. Skorila, auditrice auprès du Conseil juridique de l’État.
3. Les requérants allèguent en particulier des violations des articles 6 § 2 de la Convention et 4 du Protocole no 7.
4. Le 25 mars 2013, les requêtes ont été communiquées au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Les requérants sont nés respectivement en 1952, 1946 et 1943. Ils résident à Tsaggarada Piliou, Patras et Athènes respectivement.
A. Requête no 3453/12
1. La procédure pénale
6. En 1986, des poursuites pénales furent engagées contre le requérant pour contrebande. Il fut accusé d’avoir importé en Grèce, en 1985 et 1986, douze appareils électroniques sans s’être acquitté des droits de douane prévus. De surcroît, il fut aussi accusé de l’importation sans s’acquitter des taxes douanières d’un fusil de chasse, d’un treuil et d’un appareil vidéo. Le 22 mars 1989, le requérant fut condamné par la cour d’assises d’Athènes pour contrebande. Le 13 octobre 1989, la cour d’appel d’Athènes l’acquitta partiellement des chefs d’accusation de contrebande (arrêt no 520521/1989).
7. Le 28 juin 1991, la Cour de cassation renversa l’arrêt no 520-521/1989 de la cour d’appel d’Athènes et renvoya l’affaire devant la cour d’appel d’Athènes (arrêt no 1182/1991). Le 12 novembre 1992, ladite juridiction acquitta le requérant de tous les chefs d’inculpation concernant le crime de contrebande (arrêt no 1087/1992). Cet arrêt devint irrévocable.
2. La procédure administrative
8. Entre-temps, en vertu de l’acte no 46/1987/1989 du directeur du service spécial des investigations douanières, des amendes administratives furent imposées au requérant, pour l’importation sans s’acquitter des taxes douanières d’un fusil de chasse, d’un treuil et d’un appareil vidéo (pour un montant de 2 780 000 drachmes - 8 159 euros environ) et de douze appareils électroniques (pour un montant de 1 702 780 000 drachmes - 4 990 995 euros environ) (acte no 46/1987/1989).
9. Le 3 novembre 1989, le requérant saisit le tribunal administratif d’Athènes d’un recours contre l’acte no 46/1987/1989. Le 6 novembre 1990, cette juridiction fit partiellement droit au recours. En particulier, le tribunal administratif confirma les amendes administratives déjà imposées dans la mesure où elles concernaient l’importation d’un fusil de chasse, d’un treuil et d’un appareil vidéo et annula la partie des amendes s’élevant à 1 702 780 000 drachmes relative à l’importation des douze appareils électroniques (décision no 14001/1990).
10. Les 17 et 21 janvier 1991 tant le requérant que l’État interjetèrent appel.
11. Le 30 décembre 1991, la cour administrative d’appel d’Athènes rejeta l’appel du requérant et fit droit à celui de l’État. Il considéra que le premier avait commis toutes les infractions de contrebande imputées par l’administration (arrêt no 4793/1991).
12. Le 28 décembre 1992, le requérant se pourvut en cassation.
13. Le 28 septembre 1998, le Conseil d’État fit partiellement droit au recours et renvoya l’affaire devant la cour administrative d’appel (arrêt no 3552/1998).
14. Le 27 avril 2000, la cour administrative d’appel rejeta le recours du requérant et fit droit à celui de l’État. Après avoir examiné de nouveau le fond de l’affaire, elle confirma l’imposition des amendes administratives pour l’importation, sans paiement des taxes douanières dues, d’un fusil de chasse, d’un treuil et d’un appareil vidéo ainsi que de douze appareils électroniques et réduisit le montant à payer à ce dernier titre à 1 022 633 772 drachmes (3 001 126 euros environ). La cour administrative d’appel releva que ladite somme correspondait au triple de la somme due par le requérant au titre des taxes et droits de douane non payées quant aux produits en cause.
15. Le requérant soumit devant la cour administrative d’appel l’arrêt no 1087/1992 de la cour d’appel d’Athènes qui l’avait acquitté du chef de contrebande pour l’importation des mêmes appareils électroniques. La cour administrative d’appel admit à cet égard que le jugement d’acquittement de la cour d’appel n’avait pas d’effet contraignant sur son appréciation. Elle considéra qu’en l’espèce les éléments matériel et intentionnel du délit de contrebande avaient été réunis, puisque le requérant avait eu recours à des subterfuges pour ne pas payer les taxes dues (arrêt no 2090/2000).
16. Le 20 juin 2000, le requérant se pourvut en cassation. Il soutenait entre autres que les juridictions administratives ne devraient pas conclure à la commission du délit de contrebande, puisque les juridictions pénales l’avaient précédemment acquitté exactement pour les mêmes faits.
17. Le 28 juin 2011, le Conseil d’État rejeta le recours en cassation. La haute juridiction administrative fit référence à son arrêt no 3552/1998, rendu dans le cadre de la même affaire et nota qu’il y était déjà admis que la procédure administrative afférente à la contrebande était autonome et bien distincte de la procédure pénale. En d’autres termes, la juridiction administrative n’était pas liée par l’éventuel jugement d’acquittement du tribunal pénal mais elle devait le prendre en compte. Cela était dû au fait que, selon le droit interne, uniquement les jugements condamnatoires définitifs des tribunaux pénaux revêtent l’autorité de la chose jugée à l’égard des juridictions administratives. Le Conseil d’État cita les considérants de la cour administrative d’appel et se référa au fait que, selon l’appréciation de ce dernier, l’arrêt no 1087/1992 était un jugement d’acquittement et, partant, la juridiction administrative n’était pas liée par celui-ci. Il nota aussi que la cour administrative d’appel avait admis que sa décision était le résultat d’une appréciation différente des éléments de preuve.
18. Le Conseil d’État considéra qu’aucune violation de la Constitution n’avait eu lieu du fait que la cour administrative n’était pas liée par l’arrêt no 1087/1992 du tribunal pénal, principalement parce qu’il ne résultait pas du dossier de l’affaire qu’il était irrévocable. De surcroît, le Conseil d’État répéta qu’en vertu de la législation pertinente, la juridiction administrative ne serait liée que par un arrêt condamnatoire de la juridiction pénale. En outre, la haute juridiction administrative admit que la cour administrative d’appel avait légalement procédé à une appréciation différente des éléments de preuve que celle faite par la juridiction pénale et que son arrêt comportait une motivation suffisante sur les raisons pour lesquelles le délit de contrebande avait de fait été commis (arrêt no 1999/2011). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 3 novembre 2011.
B. Requête no 42941/12
1. La procédure pénale
19. En 1998, des poursuites pénales pour contrebande furent engagées contre le requérant. En particulier, il fut accusé d’avoir vendu entre 1993 et 1995, en tant que propriétaire d’une station-service, 110 000 litres d’essence et 221 000 litres de gazole sans certificats d’achat. Le 21 juin 2000, le tribunal correctionnel de Patras l’acquitta du chef d’accusation précité (jugement no 2828/2000). Ce jugement devint irrévocable.
2. La procédure administrative
20. Entre-temps, le 29 septembre 1996, l’autorité douanière compétente avait imposé au requérant le paiement d’une somme de 37 089 905 et 74 180 000 drachmes (129 919 euros environ au total) à titre d’amendes fiscales pour délit fiscal de contrebande en raison de la vente des produits précités sans certificats d’achat (acte no 120/29.9.1996). Ces sommes représentaient le double des sommes dues à l’État à titre de taxes et droits de douanes quant à la vente des produits en cause.
21. À une date non précisée, le requérant saisit le tribunal administratif de Patras d’un recours visant à l’annulation de l’acte no 120/29.9.1996. À une date non précisée, le tribunal administratif de Patras rejeta le recours (décision no 424/1998).
22. Le 20 novembre 1998, le requérant interjeta appel. Il joignit à ses observations, datées du 14 janvier 2003, le jugement no 2828/2000 du tribunal correctionnel de Patras.
23. Le 23 octobre 2003, la cour administrative d’appel de Patras rejeta l’appel et confirma la décision no 424/1998. En particulier, la cour d’appel admit que les carburants en cause étaient des produits de contrebande achetés et vendus par le requérant (arrêt no 447/2003).
24. Le 23 mars 2004, le requérant se pourvut en cassation. Il soutenait, entre autres, que la cour administrative d’appel n’avait pas pris en compte le jugement no 2828/2000 qui l’avait acquitté du chef d’accusation de contrebande.
25. Le 16 novembre 2011, le Conseil d’État rejeta son pourvoi. La haute juridiction administrative releva que l’article 150 du Code de procédure administrative prévoyait que tout document de preuve devait être soumis devant la juridiction compétente la veille de la première audience de l’affaire. Elle nota que le requérant avait, certes, soumis à la cour administrative d’appel le jugement no 2828/2000 du tribunal correctionnel de Patras mais après l’audience de l’affaire. Le Conseil d’Etat conclut que la cour administrative d’appel n’était pas obligée de prendre en compte proprio motu le jugement no 2828/2000, puisque celui-ci avait été soumis de manière irrecevable.
26. En outre, la haute juridiction administrative admit que la cour administrative d’appel s’était fondée sur des éléments pertinents pour conclure que le requérant avait commis l’infraction de contrebande en l’espèce. Une opinion dissidente de deux juges soutint que la juridiction compétente aurait dû prendre en compte de sa propre initiative l’arrêt no 2828/2000 du tribunal correctionnel de Patras du moment que le requérant l’avait invoqué et soumis auprès de la cour administrative d’appel lors de la procédure devant elle. Les juges dissidents relevèrent que la méconnaissance tant par la cour administrative d’appel que par le Conseil d’État de l’acquittement préalable au pénal du requérant pour le même délit qui constituait l’objet du litige devant les juridictions administratives, porterait atteinte au principe ne bis in idem consacré par l’article 4 du Protocole no 7 (arrêt no 3616/2011). Il ressort du dossier que le requérant obtint le 11 janvier 2012 une copie certifiée conforme de l’arrêt no 3616/2011.
C. Requête no 9028/13
1. La procédure pénale
27. À une date non précisée, des poursuites pénales furent engagées contre le requérant pour contrebande. En particulier, il fut accusé d’avoir importé en Grèce, en novembre 1992, deux voitures de luxe (de marque « Ferrari » et « Mercedes » - modèle 600SL) sans s’acquitter des taxes et droits de douane et de circuler sans avoir obtenu l’autorisation des autorités douanières. Il fut aussi accusé que, afin de circuler avec ces voitures en Grèce, il avait eu recours à des subterfuges, comme le changement de plaques d’immatriculation.
28. Le 21 mai 1998, le requérant fut acquitté par le tribunal correctionnel d’Athènes du chef d’accusation de contrebande. En particulier, cette juridiction constata que le requérant était résident permanent en Italie et que par conséquent, il avait le droit de conduire en Grèce des voitures ayant des plaques d’immatriculation étrangères. En outre, le tribunal correctionnel considéra qu’il n’avait pas été établi que le requérant avait eu recours à des subterfuges, comme le changement de plaques d’immatriculation (jugement no 36398/1998). Ce jugement devint irrévocable.
2. La procédure administrative
29. En 2001, le service administratif compétent imposa au requérant des amendes administratives pour avoir importé et fait circuler en Grèce, en novembre 1992, sans s’être acquitté des taxes et droits de douane, les deux voitures de luxe susmentionnées. Deux amendes lui furent infligées d’un montant de 240 724 548 drachmes (706 455,019 euros environ) et 266 284,304 drachmes (781 465,308 euros environ) (acte no 33/96/1.3.2001). Les amendes représentaient le double de la somme due au titre des taxes et droits de douane pour l’importation des deux voitures.
30. Le 4 avril 2001, le requérant saisit le tribunal administratif du Pirée d’un recours contre l’acte no 33/96/1.3.2001.
31. Le 29 novembre 2002, le tribunal administratif du Pirée rejeta le recours. Il déclara que le jugement no 36398/1998 du tribunal correctionnel d’Athènes ayant acquitté le requérant du délit de contrebande n’était pas contraignant pour les juridictions administratives. Il releva aussi qu’en l’espèce les éléments matériel et intentionnel du délit de contrebande étaient réunis et, indépendamment de la question de savoir si le requérant était résident permanent en Grèce ou à l’étranger, il ressortait du dossier qu’il avait utilisé des subterfuges, entre autres le remplacement des plaques d’immatriculation, pour se soustraire au paiement des droits de douane (décision no 2814/2002).
32. Le 13 juin 2003, le requérant interjeta appel. Il soutint entre autres que le tribunal administratif aurait dû appliquer les dispositions pertinentes du nouveau Code des douanes qui prévoyaient des peines plus douces pour la contrebande que les dispositions de l’ancien Code applicable à l’époque des faits litigieux. Il reprochait également au tribunal administratif de n’avoir pas pris en compte le jugement d’acquittement no 36398/1998 et de n’avoir pas respecté le principe de proportionnalité dans l’appréciation des amendes administratives en cause.
33. Le 15 septembre 2008, la cour administrative d’appel du Pirée rejeta le recours et confirma le raisonnement du tribunal administratif. En ce qui concerne notamment le grief tiré de la proportionnalité des sommes imposées, la cour administrative d’appel nota qu’elles s’élevaient au double des montants dont le requérant était redevable à titre de droits de douane et d’impôts et que le principe de proportionnalité ne trouvait pas application dans ce cas de figure (arrêt no 1461/2008).
34. Le 20 novembre 2009, le requérant se pourvut en cassation contre l’arrêt no 1461/2008. Il soutenait entre autres que l’arrêt de la cour administrative d’appel avait enfreint les principes de la présomption d’innocence, du ne bis in idem ainsi que de la rétroactivité de la peine plus douce.
35. Le 19 février 2012, le Conseil d’État rejeta le pourvoi. Faisant référence à l’article 137 Γ. § 7 (loi no 2960/2001) du nouveau Code des douanes, il releva qu’il n’y avait aucune raison de l’appliquer en l’espèce du moment que celui-ci prévoyait le même régime juridique et la même sanction que l’ancien Code des douanes quant à l’importation de véhicules sans paiement de droits de douane et l’emploi de subterfuges. Le Conseil d’État conclut que l’acte en cause ne pouvait pas, comme le soutenait le requérant, être qualifié de contravention douanière simple sous le nouveau Code. En outre, la haute juridiction administrative admit que la procédure administrative concernant l’imposition des amendes administratives pour contrebande était autonome par rapport à la procédure pénale y relative. Selon le Conseil d’Etat, en raison de l’autonomie des deux procédures, les juridictions administratives n’étaient pas liées par les conclusions des juridictions pénales en cas d’acquittement de l’intéressé. Le Conseil d’État fit référence à la jurisprudence de la Cour sur la présomption d’innocence et, notamment, à l’arrêt Vassilios Stavropoulos c. Grèce (no 35522/04, 27 septembre 2007). Il considéra que cette jurisprudence ne pouvait pas trouver application dans le cas où le délit imputé à l’intéressé constituait en même temps une infraction tant pénale qu’administrative. Selon la haute juridiction administrative, cette situation poserait plutôt une question par rapport au principe ne bis in idem. En outre, il admit qu’en tout état de cause la juridiction administrative restait toujours compétente pour examiner l’affaire en se fondant sur d’autres éléments que ceux retenus par la juridiction pénale. Dans le cas contraire, la juridiction administrative serait dépourvue de la possibilité, qui lui était confiée par la Constitution, d’examiner cette catégorie d’affaires relevant de sa compétence. En l’occurrence, le Conseil d’État jugea que la cour administrative d’appel avait pris en compte l’arrêt no 36398/1998 sans se lier par ses conclusions et avait suffisamment motivé sa décision en ce que le requérant avait commis l’infraction de contrebande (arrêt no 3457/2012). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 16 janvier 2013.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le droit national
1. La Constitution
36. L’article 94 § 1 de la Constitution hellénique dispose que « Les litiges administratifs relèvent des tribunaux administratifs ordinaires et du Conseil d’État, comme il est stipulé par la loi ». Pour sa part, l’article 96 § 1 de la Constitution prévoit que « c’est aux tribunaux pénaux ordinaires qu’il incombe de sanctionner les délits et de prendre toutes les mesures énoncées par les lois pénales ».
2. La législation pertinente
37. Selon la loi no 2081/1939, les tribunaux pénaux étaient désignés en tant que seul ordre juridictionnel compétent pour la répression du délit de contrebande et l’examen des demandes de dédommagement de l’État. Par la suite, la loi no 1514/1950, portant modification de la loi no 1165/1918, a de nouveau introduit l’amende administrative (πολλαπλούν τέλος) pour délit de contrebande.
38. Les dispositions pertinentes de la loi no 1165/1918 (Code des douanes), telle qu’applicable à l’époque des faits prévoient ce qui suit :
Article 89
« (...)
2. Comme infractions douanières sont aussi qualifiées toutes façons, parmi celles prévues par l’article 100, d’éviter ou tenter d’éviter le paiement des taxes et droits revenant à l’État ainsi que le fait de ne pas suivre la procédure prévue par l’article 100. Les responsables sont condamnés au paiement d’une amende (πολλαπλούν τέλος) fixée selon les dispositions de la présente loi, même dans le cas où les éléments constitutifs du délit de contrebande ne sont pas réunis. »
(...)
Article 97
« (...)
3. Une amende (πολλαπλούν τέλος) oscillant entre le double et le décuple des douanes, taxes et droits afférents à l’objet de la contravention en cause est imposée, à titre individuel et commune, à toute personne impliquée à l’infraction douanière décrite par l’article 89 § 2 et selon son degré de participation respectif à celle-ci. Cette amende est imposée indépendamment de la responsabilité pénale des contrevenants. »
(...)
Article 102
« 1. Le délit de contrebande, au sens de l’article 100, est puni a) d’emprisonnement de six mois au minimum. Néanmoins, lorsque l’objet de la contrebande n’est pas important ou est destiné à un usage personnel par l’auteur de l’infraction, le seuil minimum de la peine est réduit de moitié.
(...) »
Article 103
« Une poursuite pénale n’est pas engagée lorsque les douanes, taxes ou droits de l’État afférents à l’objet de la contrebande ne dépassent pas 5 000 000 drachmes [15 000 euros environ] (...) »
39. L’article 137 Γ. § 7 de la loi no 2960/2001 prévoit ce qui suit :
« Les dispositions (...) sur la contrebande des articles 142 et s. du présent Code s’appliquent dans les cas de déclaration de données fausses ou de l’emploi de subterfuges particuliers ayant comme conséquence le non-paiement ou le paiement partiel des taxes ou des droits de douane dus. »
40. L’article 5 du Code de procédure administrative (loi no 2717/1999) dispose :
« 1. Les tribunaux [administratifs] sont liés par les décisions des autres juridictions administratives dans la mesure où celles-ci sont revêtues de l’autorité de la chose jugée, au sens des dispositions pertinentes.
2. Les tribunaux [administratifs] sont aussi liés par les décisions des juridictions civiles qui, selon le droit pertinent, sont applicables à tous, ainsi que par les décisions condamnatoires et définitives des juridictions pénales en ce qui concerne la culpabilité de l’auteur de l’infraction. »
41. Les dispositions pertinentes du Code de procédure pénale prévoient ce qui suit :
Article 473
« 1. Lorsqu’une loi ne prévoit pas un délai spécifique, le délai d’exercice des voies de recours internes est de dix jours à compter du prononcé du jugement. Si la personne concernée n’est pas présente au prononcé du jugement, le délai susmentionné est également de dix jours, sauf si elle réside à l’étranger ou si son domicile n’est pas connu ; dans ce cas, le délai est de trente jours et court à compter de la notification du jugement (...).
2. Le pourvoi en cassation contre une décision portant condamnation peut être formé par la personne condamnée (...) dans un délai de vingt jours qui débute selon le paragraphe 1 (...).
3. Le délai de pourvoi en cassation court à partir de la transcription de la décision définitive, mise au net, au registre spécial tenu au greffe de la juridiction pénale. La décision doit être mise au net dans un délai de quinze jours, sans quoi le président de la juridiction pénale encourt des sanctions disciplinaires. »
Article 486 § 1
« S’agissant des délits, un appel contre un arrêt d’acquittement (...) peut être introduit : a) par l’accusé, s’il a été acquitté pour avoir mis des efforts pour la réparation du préjudice causé (...) ; b) si celui qui a porté plainte a été condamné à verser une indemnité pécuniaire et au paiement des dépens c) par le procureur près le tribunal correctionnel contre les jugements des tribunaux de police ou des tribunaux correctionnels (...) ainsi que le procureur près la cour d’appel contre les jugements des tribunaux correctionnels soumis à sa compétence ;
(...) »
Article 506
« Un pourvoi en cassation contre un arrêt d’acquittement peut être introduit a) par l’accusé, s’il a été acquitté (...) ; b) par le procureur près le tribunal correctionnel (...) ; c) si l’acquittement est dû à une application ou une interprétation erronée d’une disposition pénale ou à un abus de pouvoir (...) et d) si celui qui a porté plainte a été condamné à verser une indemnité pécuniaire et au paiement des dépens (article 71). »
Article 546
« (...)
2. Est irrévocable la décision non susceptible de recours ou celle contre laquelle aucun recours n’a été exercé dans le délai prévu ou celle contre laquelle un recours exercé a été rejeté. »
42. La loi no 4055/2012, intitulée « procès équitable et durée raisonnable », est entrée en vigueur le 2 avril 2012. Les articles 53 à 58 de la loi précitée introduisent un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable causé par la prolongation injustifiée d’une procédure administrative. L’article 55 § 1 dispose:
« Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...). »
B. La jurisprudence pertinente du Conseil d’État
43. Dans son arrêt no 2067/2001, le Conseil d’État a entre autres admis que les dispositions pertinentes du Code des douanes et du Code de procédure administrative, interprétées corrélativement, signifient que la procédure d’imposition d’une amende administrative (πολλαπλό τέλος) pour cause d’infraction douanière de contrebande est autonome par rapport à la procédure pénale respective. Lorsque le tribunal administratif se prononce sur l’imposition d’une amende administrative (πολλαπλό τέλος) pour cause de contrebande, il n’est pas lié par une décision du tribunal pénal qui aurait éventuellement déjà été rendue, à moins qu’il s’agisse d’un jugement condamnatoire. Le tribunal administratif n’est tenu que de prendre en considération le jugement de la juridiction pénale.
44. La haute juridiction administrative a aussi considéré que le principe ne bis in idem n’apparaît pas être atteint lorsque l’intéressé sait d’emblée qu’en raison du système juridictionnel établi une part de sa responsabilité légale sera examinée par un ordre de juridiction et le reste par un autre, comme c’est le cas en Grèce depuis plusieurs décennies. De plus, la lettre de l’article 4 du Protocole no 7 faisant référence à une condamnation et poursuite « pénales » ainsi qu’à une « procédure pénale » des États, la Grèce n’aurait pas pu envisager qu’en raison de la jurisprudence constamment évolutive de la Cour, elle s’engageait à respecter des obligations internationales contraires à ses traditions juridiques bien ancrées et à la Constitution elle-même. En tout état de cause, à supposer même que la jurisprudence Sergueï Zolotoukhine de la Cour était applicable en l’espèce, elle devrait trouver application dans les affaires nées après sa publication et non pas avant. Ceci serait justifié pour donner aux États la possibilité d’adapter leur législation et éventuellement leur Constitution à l’évolution de la jurisprudence de la Cour. En outre, les auteurs potentiels de contrebande ne pourraient pas fuir les sanctions d’une législation qu’ils connaissaient depuis longtemps à travers l’invocation de la jurisprudence de la Cour. En tout état de cause, l’article 4 du Protocole no 7, tel qu’il est interprété par la Cour, ne pourrait pas trouver application en l’espèce, puisque il serait contraire aux articles 94 § 1 et 96 § 1 de la Constitution. En particulier, l’article 4 du Protocole no 7 priverait le tribunal administratif ou pénal de son obligation, aux termes de la Constitution, de trancher l’affaire administrative ou pénale ; dans le cas de la juridiction administrative, tel serait le cas si elle se trouvait dans l’obligation d’annuler l’amende administrative (πολλαπλό τέλος) du fait d’un jugement d’acquittement ou de condamnation du tribunal pénal, et, il en serait de même pour la juridiction pénale.
45. Selon l’opinion dissidente d’une conseillère d’État, c’est la dualité administrative et pénale de la procédure en cause qui la fait entrer dans le champ d’application de l’article 4 du Protocole no 7. Étant donné que la Convention jouit d’un statut supra législatif en droit interne grec, lorsque la première procédure s’achève par une décision de condamnation ou d’acquittement, l’autre doit cesser. En outre, selon la même opinion dissidente, le fait que les tribunaux d’un certain ordre juridictionnel sont liés par les décisions d’un autre ordre de juridiction n’est pas incompatible avec les articles 94 § 1 et 96 § 1 de la Constitution. Au contraire, il est conforme à l’article 20 § 1 de la Constitution, disposition qui prévoit le droit à la protection judiciaire.
46. Dans son arrêt no 4662/2012 (plénière), le Conseil d’État a, entre autres, jugé qu’en vertu du principe de l’autonomie de la procédure disciplinaire à l’égard du procès pénal, les organes disciplinaires ne sont pas obligés de relaxer la personne poursuivie pour une faute disciplinaire uniquement du fait qu’elle avait déjà été acquittée par le tribunal pénal. L’organe disciplinaire n’est lié que par l’appréciation du tribunal pénal sur l’existence des faits qui constituent l’élément matériel de la faute disciplinaire en cause. Pour le reste, la décision du tribunal pénal est prise en compte par l’organe disciplinaire qui peut arriver à une conclusion différente que celle retenue par le premier, en se fondant sur les conditions distinctes prévues par le droit disciplinaire pour constater l’existence de la responsabilité disciplinaire.
III. LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE
47. Dans son arrêt Hans Åkerberg Fransson (Affaire C-617/10), du 26 février 2013, la Cour de Justice de l’Union Européenne (Grande chambre) considéra ce qui suit :
« (...)
32. Par ces questions, auxquelles il convient de répondre de manière conjointe, le Haparanda tingsrätt demande, en substance, à la Cour s’il convient d’interpréter le principe ne bis in idem énoncé à l’article 50 de la Charte en ce sens qu’il s’oppose à ce que des poursuites pénales pour fraude fiscale soient diligentées contre un prévenu, dès lors que ce dernier a déjà fait l’objet d’une sanction fiscale pour les mêmes faits de fausse déclaration.
33. S’agissant de l’application du principe ne bis in idem énoncé à l’article 50 de la Charte à des poursuites pénales pour fraude fiscale telles que celles qui sont l’objet du litige au principal, elle suppose que les mesures qui ont déjà été adoptées à l’encontre du prévenu au moyen d’une décision devenue définitive revêtent un caractère pénal.
34. À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que l’article 50 de la Charte ne s’oppose pas à ce qu’un État membre impose, pour les mêmes faits de non-respect d’obligations déclaratives dans le domaine de la TVA, une combinaison de sanctions fiscales et pénales. En effet, afin de garantir la perception de l’intégralité des recettes provenant de la TVA et, ce faisant, la protection des intérêts financiers de l’Union, les États membres disposent d’une liberté de choix des sanctions applicables (voir, en ce sens, arrêts du 21 septembre 1989, Commission/Grèce, 68/88, Rec. p. 2965, point 24; du 7 décembre 2000, de Andrade, C-213/99, Rec. p. I-11083, point 19, et du 16 octobre 2003, Hannl-Hofstetter, C-91/02, Rec. p. I-12077, point 17). Celles-ci peuvent donc prendre la forme de sanctions administratives, de sanctions pénales ou d’une combinaison des deux. Ce n’est que lorsque la sanction fiscale revêt un caractère pénal, au sens de l’article 50 de la Charte, et est devenue définitive que ladite disposition s’oppose à ce que des poursuites pénales pour les mêmes faits soient diligentées contre une même personne.
35. Ensuite, il y a lieu de rappeler que, aux fins de l’appréciation de la nature pénale de sanctions fiscales, trois critères sont pertinents. Le premier est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le deuxième la nature même de l’infraction et le troisième la nature ainsi que le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé (arrêt du 5 juin 2012, Bonda, C-489/10, point 37).
36. Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier, à la lumière de ces critères, s’il y a lieu de procéder à un examen du cumul de sanctions fiscales et pénales prévu par la législation nationale par rapport aux standards nationaux au sens du point 29 du présent arrêt, ce qui pourrait l’amener, le cas échéant, à considérer ce cumul comme contraire auxdits standards, à condition que les sanctions restantes soient effectives, proportionnées et dissuasives (voir en ce sens, notamment, arrêts Commission/Grèce, précité, point 24; du 10 juillet 1990, Hansen, C-326/88, Rec. p. I-2911, point 17; du 30 septembre 2003, Inspire Art, C-167/01, Rec. p. I-10155, point 62; du 15 janvier 2004, Penycoed, C-230/01, Rec. p. I-937, point 36, ainsi que du 3 mai 2005, Berlusconi e.a., C-387/02, C-391/02 et C-403/02, Rec. p. I-3565, point 65).
37. Il découle des considérations qui précèdent qu’il convient de répondre aux deuxième, troisième et quatrième questions que le principe ne bis in idem énoncé à l’article 50 de la Charte ne s’oppose pas à ce qu’un État membre impose, pour les mêmes faits de non-respect d’obligations déclaratives dans le domaine de la TVA, successivement une sanction fiscale et une sanction pénale dans la mesure où la première sanction ne revêt pas un caractère pénal, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.
(...)
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:
1) Le principe ne bis in idem énoncé à l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne s’oppose pas à ce qu’un État membre impose, pour les mêmes faits de non-respect d’obligations déclaratives dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée, successivement une sanction fiscale et une sanction pénale dans la mesure où la première sanction ne revêt pas un caractère pénal, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.
2) Le droit de l’Union ne régit pas les rapports entre la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et les ordres juridiques des États membres et ne détermine pas non plus les conséquences à tirer par un juge national en cas de conflit entre les droits garantis par cette convention et une règle de droit national.
(...) »
EN DROIT
I. JONCTION DES REQUÊTES
48. Compte tenu de la similitude des présentes requêtes quant aux faits et aux questions de fond qu’elles posent, la Cour décide de les joindre et de les examiner conjointement dans un seul arrêt.
II. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 6 § 2 DE LA CONVENTION AINSI QUE 4 DU PROTOCOLE No 7
49. Dans les trois requêtes, les requérants se plaignent qu’en n’ayant pas de fait pris en compte leurs acquittements par les juridictions pénales, les juridictions administratives ont enfreint le principe ne bis in idem ainsi que celui de la présomption d’innocence. Ils invoquent les articles 4 du Protocole no 7 ainsi que 6 § 2 de la Convention, dispositions qui se lisent comme suit :
Article 4 du Protocole no 7
« 1. Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État.
2. Les dispositions du paragraphe précédent n’empêchent pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l’État concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu.
3. Aucune dérogation n’est autorisée au présent article au titre de l’article 15 de la Convention. »
Article 6 § 2
« (...)
2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
(...) »
A. Sur la violation alléguée de l’article 4 du Protocole no 7
1. Sur la recevabilité
a) Les thèses des parties
50. Le Gouvernement se réfère à la jurisprudence de la Cour quant aux critères à prendre en considération pour conclure sur la question de savoir si une procédure devant les juridictions internes porte sur une « accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 de la Convention. Elle relève l’autonomie de la procédure administrative par rapport au procès pénal sur l’infraction de la contrebande et affirme que le but de la première n’est pas la répression pénale de cette infraction. En revanche, l’imposition d’une amende administrative vise, selon le droit grec, à garantir l’encaissement par l’État des sommes dues à titre de douanes et à avoir un effet dissuasif sur la commission de la contrebande.
51. Les requérants affirment que l’article 4 du Protocole no 7 était applicable en l’espèce du fait que les procédures devant les juridictions administratives étaient de nature pénale.
b) L’appréciation de la Cour
52. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle il faut, afin de déterminer l’existence d’une « accusation en matière pénale », avoir égard à trois critères : la qualification juridique de la mesure litigieuse en droit national, la nature même de celle-ci, et la nature et le degré de sévérité de la « sanction » (Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 82, série A no 22). Ces critères sont par ailleurs alternatifs et non cumulatifs : pour déterminer l’existence d’une « accusation en matière pénale », il suffit que l’infraction en cause soit, par nature, « pénale » au regard de la Convention, ou ait exposé l’intéressé à une sanction qui, par sa nature et son degré de gravité, ressortit en général à la « matière pénale ». Cela n’empêche pas l’adoption d’une approche cumulative si l’analyse séparée de chaque critère ne permet pas d’aboutir à une conclusion claire quant à l’existence d’une « accusation en matière pénale » (Jussila c. Finlande [GC], no 73053/01, §§ 30 et 31, CEDH 2006-XIII, et Zaicevs c. Lettonie, no 65022/01, § 31, CEDH 2007-IX (extraits)).
53. En outre, la Cour note que dans l’affaire Mamidakis c. Grèce (no 35533/04, arrêt du 11 janvier 2007) qui portait sur l’imposition au requérant d’une amende administrative pour infraction au Code des douanes lors d’une vente de produits pétroliers, elle a admis comme établie l’existence d’une « accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 de la Convention. En particulier, la Cour a considéré ce qui suit :
« (...) l’amende infligée au requérant était prévue par le Code des douanes et n’était pas qualifiée, en droit interne, de sanction pénale. Toutefois, eu égard à la nature grave de l’infraction de contrebande, au caractère dissuasif et répressif de la sanction infligée, ainsi qu’au montant très élevé de l’amende, la Cour considère que les enjeux pour le requérant étaient en l’espèce suffisamment importants pour justifier que le volet pénal de l’article 6 soit applicable en l’espèce. » (Mamidakis, précité, § 21)
54. La Cour constate que, à l’instar des présentes affaires, l’arrêt Mamidakis avait trait à l’application des dispositions du Code des douanes prévoyant l’imposition d’amendes pouvant aller du double au décuple des taxes frappant l’objet de l’infraction administrative (voir Mamidakis, précité, § 7). La Cour ne décèle donc aucune raison pour s’éloigner de ses conclusions précitées dans l’arrêt Mamidakis, à savoir que les sanctions administratives en cause ressortaient de la matière pénale.
55. La Cour estime utile sur ce point de noter que les amendes en cause n’ont pas été imposées au maximum ; elles oscillaient entre le double et le triple des taxes et droits de douane dues. En même temps, elles s’élevaient à cent trente mille euros environ dans le cas du deuxième requérant et à plusieurs centaines de milliers d’euros dans le cas des autres requérants. Partant, les amendes étaient, par leur montant, d’une sévérité indéniable, entraînant pour les personnes physiques concernées des conséquences patrimoniales très importantes. Au demeurant, la Cour rappelle que la coloration pénale d’une instance est subordonnée au degré de gravité de la sanction dont est a priori passible la personne concernée (Engel et autres, précité, § 82), et non à la gravité de la sanction finalement infligée (Dubus S.A. c. France, no 5242/04, § 37, 11 juin 2009). En l’occurrence, l’article 97 de la loi no 1165/1918 prévoyait que l’amende imposée pouvait atteindre le décuple de la somme faisant l’objet de la taxe fiscal ou douanière due. Si tel avait été le cas en l’espèce, il est évident que les répercussions sur la situation patrimoniale des requérants auraient été encore plus graves.
56. À la lumière de ce qui précède et compte tenu du montant élevé des amendes infligées et de celles que les requérants encouraient, la Cour estime que les sanctions en cause relèvent, par leur sévérité et leur caractère dissuasif, de la matière pénale (voir, Grande Stevens et autres c. Italie, nos 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10, § 99, 4 mars 2014, et, a contrario, Inocêncio c. Portugal (déc.), no 43862/98, CEDH 2001-I). Il convient donc de rejeter l’exception du Gouvernement sur ce point.
57. Par ailleurs, la Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
2. Sur le fond
a) Les thèses des parties
58. Le Gouvernement allègue principalement que la question relative à l’existence d’une seconde infraction, ayant comme origine des faits qui sont en substance les mêmes que le premier jugement d’acquittement ou de condamnation, ne saurait être dissociée de l’objectif poursuivi par l’ordre interne quant à la répression de la contrebande. De l’avis du Gouvernement, l’existence d’une procédure administrative qui se déroule en parallèle à la procédure pénale ne contredit pas l’article 4 du Protocole no 7, du moment qu’elle permet d’examiner la responsabilité administrative de l’auteur de l’infraction.
59. Le Gouvernement ajoute qu’il revient aux États de choisir les moyens les plus efficaces pour la répression de la contrebande au sein de leurs ordres internes. Selon lui, en ce qui concerne le droit grec, la procédure pénale vise à l’examen de la responsabilité pénale de l’auteur présumé de la contrebande, tandis que la procédure administrative n’assure que le paiement des impôts, taxes ou douanes dus. Le Gouvernement fait une longue référence à l’arrêt no 2067/2011 du Conseil d’État ayant, entre autres, admis que l’application du principe ne bis in idem, selon l’article 4 du Protocole no 7, contredirait l’autonomie de la procédure administrative par rapport au procès pénal, ce qui est prévu par les articles 94 § 1 et 96 § 1 de la Constitution. Ledit arrêt a aussi considéré que l’État grec n’aurait pas pu envisager qu’en raison de la jurisprudence évolutive de la Cour sur l’article 4 du Protocole no 7, elle s’engageait à respecter des obligations internationales contraires à ses traditions juridiques bien ancrées et à la Constitution elle-même.
60. En outre, le Gouvernement affirme que, selon l’article 4 du Protocole no 7, tant que l’autorité de la chose jugée n’est pas attachée au premier jugement pénal, l’engagement d’une nouvelle procédure pénale contre la même personne pour la même conduite n’est pas interdit. En ce qui concerne les cas d’espèce, le Gouvernement allègue qu’il ne ressort pas du dossier que le premier requérant ait confirmé lors de la procédure conclue par l’arrêt no 2090/2000 de la cour administrative d’appel que le jugement d’acquittement no 1087/1992 de la cour d’appel d’Athènes était devenu irrévocable. Par ailleurs, quant au deuxième requérant, le Gouvernement affirme que celui-ci n’a pas établi devant les juridictions administratives que le jugement d’acquittement no 2828/2000 du tribunal correctionnel de Patras était irrévocable. De plus, comme le Conseil d’État l’a admis, ledit jugement n’avait pas été valablement soumis devant la cour administrative d’appel.
61. Les requérants rétorquent que le principe ne bis in idem a clairement été enfreint en l’espèce du fait qu’ils ont été « condamnés » par les juridictions administratives pour les infractions prévues par le Code des douanes, malgré leur acquittement préalable par les juridictions pénales se rapportant à des faits et qualification identiques.
b) L’appréciation de la Cour
i. Principes généraux
62. La Cour rappelle que l’article 4 du Protocole no 7 doit être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde « infraction » pour autant que celle-ci a pour origine des faits qui sont en substance les mêmes (Sergueï Zolotoukhine c. Russie [GC], no 14939/03, § 82, CEDH 2009).
63. La garantie consacrée à l’article 4 du Protocole no 7 entre en jeu lorsque de nouvelles poursuites sont engagées et que la décision antérieure d’acquittement ou de condamnation est déjà passée en force de chose jugée. À ce stade, les éléments du dossier comprendront forcément la décision par laquelle la première « procédure pénale » s’est terminée et la liste des accusations portées contre le requérant dans la nouvelle procédure. Normalement, ces pièces renfermeront un exposé des faits concernant l’infraction pour laquelle le requérant a déjà été jugé et un autre se rapportant à la seconde infraction dont il est accusé. Ces exposés constituent un utile point de départ pour l’examen par la Cour de la question de savoir si les faits des deux procédures sont identiques ou sont en substance les mêmes. Peu importe quelles parties de ces nouvelles accusations sont finalement retenues ou écartées dans la procédure ultérieure, puisque l’article 4 du Protocole no 7 énonce une garantie contre de nouvelles poursuites ou le risque de nouvelles poursuites, et non l’interdiction d’une seconde condamnation ou d’un second acquittement (Sergueï Zolotoukhine, précité, § 83).
64. La Cour doit donc faire porter son examen sur les faits décrits dans ces exposés, qui constituent un ensemble de circonstances factuelles concrètes impliquant le même contrevenant et indissociablement liées entre elles dans le temps et l’espace, l’existence de ces circonstances devant être démontrée pour qu’une condamnation puisse être prononcée ou que des poursuites pénales puissent être engagées (Sergueï Zolotoukhine, précité, § 84).
ii. Application en l’espèce des principes susmentionnés
65. Faisant application de ces principes en l’espèce, la Cour note, en premier lieu, qu’elle vient de conclure qu’il y avait bien lieu de considérer que les procédures devant les juridictions administratives portaient sur une « accusation en matière pénale » contre les requérants (paragraphe 55 ci-dessus). En deuxième lieu, la Cour observe que les requérants ont été acquittés au pénal par des jugements de la cour d’appel et du tribunal correctionnel. En particulier, le premier requérant a été acquitté, le 12 novembre 1992, par le jugement no 1087/1992 de la cour d’appel d’Athènes ; le deuxième requérant a été acquitté, le 21 juin 2000, en vertu du jugement no 2828/2000 du tribunal correctionnel de Patras ; quant au troisième requérant, il a été acquitté, le 21 mai 1998, par le jugement no 36398/1998 du tribunal correctionnel d’Athènes. Étant donné que, comme il ressort du dossier, aucun recours n’a été exercé contre les jugements précités, ceux-ci sont devenus définitifs conformément à l’article 473 du Code de procédure pénale en 1992, 2000 et 1998 respectivement et passés donc en force de chose jugée.
66. La Cour prend sur ce point note de l’argument du Gouvernement, à savoir que dans certaines des procédures en cause, les requérants n’auraient pas valablement invoqué devant les juridictions administratives compétentes soit les jugements d’acquittement des juridictions pénales soit le fait que ces derniers étaient entre-temps devenus irrévocables. De l’avis du Gouvernement, les juridictions administratives ne seraient pas ainsi obligées de prendre en compte les jugements d’acquittement des juridictions pénales. Or il ressort clairement du dossier que dans toutes ces affaires les requérants ont invoqué et soumis les jugements d’acquittement, auxquels s’était déjà attachée l’autorité de la chose jugée, tant devant la juridiction de fond qu’en dernière instance devant le Conseil d’État. De l’avis de la Cour, à partir de ce moment, c’est-à-dire de l’invocation auprès des juridictions administratives de la première procédure pénale, il revenait à la juridiction administrative saisie de se pencher de sa propre initiative sur l’effet que les jugements d’acquittement en cause pourraient avoir dans le cadre de la procédure administrative pendante. Dans le cas contraire, le fait de ne pas prendre en compte l’élément de la première « procédure pénale » équivaudrait à tolérer délibérément une situation au sein de l’ordre juridique interne qui pourrait méconnaître le principe ne bis in idem.
67. Au vu de ce qui précède, la Cour considère qu’à partir du moment où les jugements d’acquittement dans les premières procédures pénales ont obtenu l’autorité de la chose jugée, respectivement en 1992, 2000 et 1998, les requérants devaient être considérés comme ayant été « déjà acquittés par un jugement définitif » au sens de l’article 4 du Protocole no 7. En dépit de cela, les nouvelles « procédures pénales », qui avaient été ouvertes à leur encontre n’ont pas été arrêtées après que les juridictions saisies en aient eu connaissance. En effet, elles ont continué et abouti, plusieurs années après la clôture des procédures pénales, au prononcé des arrêts par le Conseil d’État, respectivement en 2011 et 2012, en dernière instance.
68. Il reste à déterminer si ces nouvelles poursuites avaient pour origine des faits qui étaient en substance les mêmes que ceux ayant fait l’objet de l’acquittement définitif. À cet égard, la Cour note que, comme il ressort des éléments du dossier, en ce qui concerne la requête no 3453/12, l’objet des deux « procédures pénales » a été l’importation par le requérant, en 1985 et 1986, de douze appareils électroniques ainsi que d’un fusil de chasse, d’un treuil et d’un appareil vidéo sans paiement des droits de douane prévus. Dans la requête no 42941/12, l’objet des deux procédures en cause était la vente par le deuxième requérant, entre 1993 et 1995, de 110 000 litres d’essence et de 221 000 litres de gazole sans certificats d’achat. Enfin, concernant la requête no 9028/13, l’objet des « deux procédures pénales » était l’importation en Grèce par le troisième requérant, en novembre 1992, de deux voitures de luxe sans paiement des taxes et droits de douane et leur mise en circulation sans obtention préalable de l’autorisation des autorités douanières. Par conséquent, les faits reprochés aux requérants devant les tribunaux pénaux et les juridictions administratives se référaient exactement aux mêmes conduites ayant eu lieu pendant la même période de temps.
69. Au demeurant, la Cour note que le Gouvernement ne conteste pas le fait que tant les procédures pénales qu’administratives en cause portaient sur les mêmes circonstances de fait. En effet, il se concentre sur deux éléments plus généraux, soulevés notamment par l’arrêt no 2067/2011 du Conseil d’État, auquel le Gouvernement fait longuement référence dans ses observations : en premier lieu, le fait que l’État grec n’aurait pas pu anticiper l’évolution de la jurisprudence sur l’article 4 du Protocole no 7 quant à la notion de « procédure pénale », ce qui mettrait de fait en cause la dualité traditionnelle du système juridictionnel en ce qui concerne les infractions prévues par le Code des douanes. En second lieu, la manière dont la Cour conçoit le principe ne bis in idem contredirait l’autonomie, selon le droit national, de la juridiction administrative par rapport à l’ordre juridictionnel pénal, et a fortiori la compétence du juge administratif de procéder à une appréciation différente de la même conduite litigieuse ayant précédemment fait l’objet d’un procès pénal.
70. La Cour rappelle tout d’abord que, à la différence des traités internationaux de type classique, la Convention déborde le cadre de la simple réciprocité entre États contractants. En sus d’un réseau d’engagements synallagmatiques bilatéraux, elle crée des obligations objectives qui, aux termes de son préambule, bénéficient d’une « garantie collective » (voir, Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 239, série A no 25, et Mamatkoulov et Askarov c. Turquie [GC], nos 46827/99 et 46951/99, § 100, CEDH 2005-I). De surcroît, toute interprétation des droits et libertés énumérés doit se concilier avec « l’esprit général [de la Convention], destinée à sauvegarder et promouvoir les idéaux et valeurs d’une société démocratique » (Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 87, série A no 161, et, mutatis mutandis, Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, § 34, série A no 28). En outre, la Cour relève que les « critères Engel », pertinents pour déterminer l’existence d’une « accusation en matière pénale », ont été introduits dans la jurisprudence en 1976 (voir paragraphe 51 ci-dessus). Étant donné que la Grèce a reconnu le 20 novembre 1985 le droit de recours individuel, elle était déjà avertie tant du caractère singulier de « l’esprit général » de la Convention en tant que traité de garantie collective des droits de l’homme, créé pour protéger l’individu (voir Mamatkoulov et Askarov, et Klass et autres, loc. cit.) que de la manière autonome dont la Cour conçoit la notion d’ « accusation en matière pénale ». En dernier lieu, la Cour note que bien que le Gouvernement évoque la dualité du système juridictionnel en ce qui concerne l’infraction de contrebande comme une tradition bien ancrée dans l’ordre juridique interne, la loi no 2081/1939 avait introduit jusqu’en 1950 une procédure pénale unique à l’égard de ladite infraction (voir paragraphe 37 ci-dessus).
71. Quant à l’argument du Gouvernement tiré de l’autonomie de l’ordre juridictionnel administratif par rapport aux juridictions pénales, la Cour estime utile de rappeler que le droit interne ne suit pas dans tous les cas le principe d’une stricte autonomie des domaines administratif et pénal, mais prévoit en l’occurrence des exceptions audit principe. En effet, l’article 5 § 2 du Code de procédure administrative dispose que les tribunaux administratifs sont liés par les décisions condamnatoires et définitives des juridictions pénales en ce qui concerne la culpabilité de l’auteur de l’infraction (voir paragraphe 39 ci-dessus).
72. En outre, la Cour note que l’article 4 du Protocole no 7 n’interdit pas en principe l’imposition d’une peine privative de liberté et d’une amende pour les mêmes faits litigieux, à condition que le principe ne bis in idem soit respecté. Ainsi, dans le cas de la répression de la contrebande, ce principe ne serait pas atteint si les deux sanctions, privative de liberté et pécuniaire, étaient imposées dans le cadre d’une procédure judiciaire unique. Par ailleurs, le fait que, dans les requêtes nos 3453/12 et 42941/12, la procédure pénale n’était pas encore achevée lors de l’engagement de la procédure administrative, n’est pas en soi problématique à l’égard du principe ne bis in idem. Le respect de ce principe aurait été assuré si le juge pénal avait suspendu le procès après le déclenchement de la procédure administrative et, ensuite, cesser la poursuite pénale après la confirmation définitive de l’amende en cause par le Conseil d’État (voir Glantz c. Finlande, no 37394/11, §§ 59-60, 20 mai 2014 ; Häkkä c. Finlande, no 758/11, §§ 48-49, 20 mai 2014, et Nykänen c. Finlande, no 11828/11, § 49-50, 20 mai 2014). De même, dans la requête no 9028/13, suite à l’acquittement définitif du requérant, les amendes administratives en cause n’auraient pas dû lui être infligées.
73. En dernier lieu, la Cour relève que dans son arrêt Hans Åkerberg Fransson, précité et mentionné par le Gouvernement dans ses observations, la Cour de justice de l’Union Européenne a précisé qu’en vertu du principe ne bis in idem, un État ne peut imposer une double sanction (fiscale et pénale) pour les mêmes faits qu’à la condition que la première sanction ne revête pas un caractère pénal. La Cour note sur ce point que lors de l’appréciation de la nature pénale d’une sanction fiscale, la CJUE se fonde sur les trois critères employés par la Cour dans l’arrêt Engel et autres (voir paragraphes 47 et 52 ci-dessus). Par conséquent, la Cour relève une convergence des deux juridictions sur l’appréciation du caractère pénal d’une procédure fiscale et a fortiori, sur les modalités d’application du principe ne bis in idem en matières fiscale et pénale (voir, en ce sens, Grande Stevens et autres, précité, § 229).
iii. Conclusion
74. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que les procédures administratives en cause concernaient une seconde « infraction » ayant pour origine des faits identiques à ceux ayant fait l’objet des premiers acquittements devenus irrévocables.
75. Ce constat suffit pour conclure à la violation de l’article 4 du Protocole no 7.
B. Sur la violation alléguée de l’article 6 § 2
1. Sur la recevabilité
a) Les thèses des parties
76. En ce qui concerne l’applicabilité de l’article 6 § 2, le Gouvernement réitère son argument à savoir que la procédure devant les juridictions administratives ne concernait pas une accusation en matière pénale, au sens de l’article 6 de la Convention.
77. Les requérants rétorquent qu’ils étaient « accusés d’une infraction » devant les juridictions administratives et, partant, le principe de la présomption d’innocence entre automatiquement en jeu en l’espèce.
b) L’appréciation de la Cour
78. Comme l’indique expressément son libellé même, l’article 6 § 2 s’applique lorsqu’une personne est « accusée d’une infraction ». La Cour renvoie à son analyse ci-dessus sur les critères employés pour déterminer si la procédure litigieuse portait sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale, au sens de la jurisprudence de la Cour (voir paragraphe 51 ci-dessus).
79. En l’occurrence, la Cour a déjà considéré, dans le cadre de l’examen du grief tiré de l’article 4 du Protocole no 7, que les procédures administratives consécutives à la clôture des procédures pénales en cause ont donné lieu à de nouvelles accusations en matière pénale. Il s’ensuit que l’article 6 § 2 trouve à s’appliquer dans les procédures administratives en cause. Par ailleurs, la Cour constate que le présent grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
2. Sur le fond
a) Les thèses des parties
80. Le Gouvernement allègue notamment que l’article 6 § 2 n’interdit pas la sanction de la même conduite sur la base de deux procédures judiciaires, une pénale et une administrative. En se référant notamment à la jurisprudence de la Cour relative au chevauchement d’une procédure pénale et d’une procédure disciplinaire dans le cadre de l’article 6 § 2 (Vanjak c. Croatie, no 29889/04, 14 janvier 2010 ; Hrdalo c. Croatie, no 23272/07, 27 septembre 2011), il soutient que l’élément prépondérant dans ces cas c’est le choix des termes employés par les autorités compétentes qui pourraient enfreindre le principe de la présomption d’innocence.
81. Les requérants soutiennent que les arrêts des juridictions administratives ayant confirmé les amendes administratives imposées en raison des infractions du Code des douanes en cause ont directement enfreint le principe de la présomption d’innocence découlant des décisions des juridictions pénales nos 1087/1992, 2828/2000 et 36398/1998.
b) L’appréciation de la Cour
i. Principes généraux
82. L’article 6 § 2 protège le droit de toute personne à être « présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ». Considérée comme une garantie procédurale dans le cadre du procès pénal lui-même, la présomption d’innocence impose des conditions concernant notamment la charge de la preuve (Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne, 6 décembre 1988, § 77, série A no 146, et Telfner c. Autriche, no 33501/96, § 15, 20 mars 2001) ; les présomptions de fait et de droit (Salabiaku c. France, 7 octobre 1988, § 28, série A no 141-A, et Radio France et autres c. France, no 53984/00, § 24, CEDH 2004-II) ; le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination (Saunders c. Royaume-Uni, 17 décembre 1996, § 68, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, et Heaney et McGuinness c. Irlande, no 34720/97, § 40, CEDH 2000-XII) ; la publicité pouvant être donnée à l’affaire avant la tenue du procès (Akay c. Turquie (déc.), no 34501/97, 19 février 2002, et G.C.P. c. Roumanie, no 20899/03, § 46, 20 décembre 2011) ; la formulation par le juge du fond ou toute autre autorité publique de déclarations prématurées quant à la culpabilité d’un prévenu (Allenet de Ribemont c. France, 10 février 1995, § § 35-36, série A no 308, et Nešťák c. Slovaquie, no 65559/01, § 88, 27 février 2007).
83. Compte tenu toutefois de la nécessité de veiller à ce que le droit garanti par l’article 6 § 2 soit concret et effectif, la présomption d’innocence revêt aussi un autre aspect. Son but général, dans le cadre de ce second volet, est d’empêcher que des individus qui ont bénéficié d’un acquittement ou d’un abandon des poursuites soient traités par des agents ou autorités publics comme s’ils étaient en fait coupables de l’infraction qui leur avait été imputée (Allen c. Royaume-Uni [GC], no 25424/09, § 94, CEDH 2013). Cela est dû au fait que la présomption d’innocence, en tant que droit procédural, participe principalement au respect des droits de la défense et favorise en même temps le respect de l’honneur et de la dignité de la personne poursuivie (Konstas c. Grèce, no 53466/07, § 32, 24 mai 2011). Dans de telles situations, la présomption d’innocence a déjà permis - par l’application lors du procès des diverses exigences inhérentes à la garantie procédurale qu’elle offre - d’empêcher que soit prononcée une condamnation pénale injuste. Sans protection destinée à faire respecter dans toute procédure ultérieure un acquittement ou une décision d’abandon des poursuites, les garanties d’un procès équitable énoncées à l’article 6 § 2 risqueraient de devenir théoriques et illusoires. Ce qui est également en jeu une fois la procédure pénale achevée, c’est la réputation de l’intéressé et la manière dont celui-ci est perçu par le public. Dans une certaine mesure, la protection offerte par l’article 6 § 2 à cet égard peut recouvrir celle qu’apporte l’article 8 (voir, par exemple, Zollmann c. Royaume-Uni (déc.), no 62902/00, CEDH 2003-XII, et Taliadorou et Stylianou c. Chypre, nos 39627/05 et 39631/05, §§ 27 et 56-59, 16 octobre 2008).
84. A cet égard, la Cour rappelle qu’il n’existe pas une manière unique de déterminer les circonstances dans lesquelles il y a violation de l’article 6 § 2 dans le contexte d’une procédure postérieure à la clôture d’une procédure pénale. Comme le montre la jurisprudence de la Cour, les choses dépendent largement de la nature et du contexte de la procédure dans le cadre de laquelle la décision litigieuse a été adoptée. Dans tous les cas, et indépendamment de l’approche adoptée, les termes employés par l’autorité qui statue revêtent une importance cruciale lorsqu’il s’agit d’apprécier la compatibilité avec l’article 6 § 2 de la décision et du raisonnement suivi (Allen, précité, § 125).
85. La Cour a déjà considéré qu’après l’abandon de poursuites pénales la présomption d’innocence exige de tenir compte, dans toute procédure ultérieure, de quelque nature qu’elle soit, du fait que l’intéressé n’a pas été condamné (Vanjak, précité, § 41). Elle a également indiqué que le dispositif d’un jugement d’acquittement doit être respecté par toute autorité qui se prononce, de manière directe ou incidente, sur la responsabilité pénale de l’intéressé (Vassilios Stavropoulos c. Grèce, no 35522/04, § 39, 27 septembre 2007). En somme, la présomption d’innocence signifie que si une accusation en matière pénale a été portée et que les poursuites ont abouti à un acquittement, la personne ayant fait l’objet de ces poursuites est considérée comme innocente au regard de la loi et doit être traitée comme telle. Dans cette mesure, dès lors, la présomption d’innocence subsiste après la clôture de la procédure pénale, ce qui permet de faire respecter l’innocence de l’intéressé relativement à toute accusation dont le bien-fondé n’a pas été prouvé (Allen, précité, § 103).
ii. Application en l’espèce des principes susmentionnés
86. La Cour note d’emblée qu’en ce qui concerne la nature des procédures administratives et le contexte dans lequel les décisions des juridictions administratives ont été adoptées, ceux-ci se rapportaient à la matière pénale (voir paragraphe 74 ci-dessus). En d’autres termes, à travers les procédures consécutives à l’acquittement des requérants par les tribunaux pénaux, les juridictions administratives ont examiné, au sens de la Convention, le « bien-fondé » des accusations en matière pénale ; dans les deux séries de procédures, pénales et administratives, les sanctions prévues présentaient un caractère punitif. De surcroît, comme il ressort du dossier, les faits imputés aux requérants étaient identiques et les éléments constitutifs des infractions en cause étaient les mêmes.
87. La présente affaire se distingue ainsi clairement des affaires déjà examinées par la Cour où l’autorité administrative investie d’un pouvoir disciplinaire avait sanctionné des faits reprochés à un agent public suite à son acquittement au pénal (voir Moullet c. France (déc.), no 27521/04, 13 septembre 2007). Dans ces cas, la procédure disciplinaire présentait une certaine autonomie par rapport à la procédure pénale notamment dans les conditions de sa mise en œuvre et son objectif non répressif (voir, en ce sens, Vagenas c. Grèce (déc.), no 53372/07, 23 août 2011). En raison de cette autonomie, l’imposition d’une sanction administrative à l’agent concerné n’avait pas été considérée comme méconnaissant elle-même le principe de la présomption d’innocence, dans la mesure où la décision de la juridiction administrative ne renfermait pas une déclaration imputant une responsabilité pénale au requérant (voir Vanjak, précité, §§ 69-72; Hrdalo, précité, §§ 54-55).
88. En l’occurrence, les juridictions administratives de fond ont considéré, après avoir procédé à une appréciation des éléments des dossiers différente que celle appliquée par les juridictions pénales, que les requérants avaient commis les mêmes infractions de contrebande pour lesquelles ils avaient précédemment été acquittés par les juridictions pénales. Ces considérations ont par la suite été confirmées, en dernière instance, par le Conseil d’État. Étant donné l’identité de la nature des deux séries de procédures en cause, des faits litigieux et des éléments constitutifs des infractions concernées, la Cour considère que la conclusion précitée des juridictions administratives a méconnu le principe de la présomption d’innocence des requérants déjà établi par les jugements d’acquittement des tribunaux pénaux. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 ET 13 DE LA CONVENTION ΕΝ CE QUI CONCERNE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE
89. Dans la requête no 3453/12, le requérant se plaint que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention. Il affirme également qu’à l’époque des faits il n’existait en Grèce aucun recours effectif pour se plaindre de la durée excessive de la procédure. Il invoque les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, dispositions dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
A. Sur la recevabilité
90. La Cour constate que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.
B. Sur le fond
1. En ce qui concerne la durée de la procédure
a) Période à prendre en considération
91. La période à considérer a débuté le 3 novembre 1989, avec la saisine du tribunal administratif d’Athènes et s’est terminée le 3 novembre 2011, date à laquelle l’arrêt no 1999/2011 du Conseil d’État a été mis au net et certifié conforme. Elle a donc duré vingt-deux ans pour trois instances.
b) Caractère raisonnable de la procédure
92. Le Gouvernement se réfère à la complexité de la procédure devant le Conseil d’État. En outre, il affirme que le requérant était responsable pour un ajournement devant la haute juridiction administrative.
93. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Vassilios Athanasiou et autres c. Grèce, no 50973/08, 21 décembre 2010).
94. La Cour a traité à maintes reprises des affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Vassilios Athanasiou et autres, précité).
95. À supposer même que le requérant soit responsable d’un ajournement d’audience devant le Conseil d’État et que la procédure devant cette juridiction ait présenté une certaine complexité, la Cour constate que la procédure s’est étalée dans sa totalité sur vingt-deux ans pour trois instances. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour considère qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse a été excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
96. Partant, en ce qui concerne la requête no 3453/12, il y a eu violation de l’article 6 § 1 quant à la durée de la procédure.
2. En ce qui concerne l’existence d’un recours effectif quant à la durée de la procédure
97. La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000-XI).
98. Par ailleurs, la Cour a déjà eu l’occasion de constater que l’ordre juridique hellénique n’offrait pas aux intéressés un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention leur permettant de se plaindre de la durée d’une procédure (voir, parmi beaucoup d’autres, Vassilios Athanasiou et autres, précité, §§ 33-35).
99. La Cour note que le 12 mars 2012 a été publiée la loi no 4055/2012 portant sur l’équité et la durée raisonnable de la procédure judiciaire, qui est entrée en vigueur le 2 avril 2012. En vertu des articles 53 suiv. de la loi précitée, un nouveau recours a été établi permettant aux intéressés de se plaindre de la durée de chaque instance d’une procédure administrative dans un délai de six mois à partir de la date de publication de la décision y relative (voir paragraphe 41 ci-dessus). Par sa décision Techniki Olympiaki A.E. c. Grèce, la Cour a jugé que ce recours est effectif au sens de l’article 13 de la Convention (Techniki Olympiaki A.E. c. Grèce (déc.), no 40547/10, 1er octobre 2013, § 58). Cependant, la Cour observe que cette loi n’a pas d’effet rétroactif. Par conséquent, elle ne prévoit pas un tel recours pour les affaires déjà terminées six mois avant son entrée en vigueur.
100. En l’espèce, l’arrêt no 1999/2011 du Conseil d’État a été publié le 28 juin 2011, à savoir plus de six mois avant l’entrée en vigueur de la loi no 4055/2012. Partant, le requérant ne pouvait pas exercer ledit recours. Au vu des considérations qui précèdent, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention en raison, à l’époque des faits, de l’absence en droit interne d’un recours qui aurait permis au requérant dans la requête no 3453/12, d’obtenir la sanction de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
101. Dans les requêtes nos 42941/12 et 9028/13, les requérants allèguent que les amendes administratives infligées pour délit de contrebande étaient exorbitantes, ne respectaient pas le principe de proportionnalité et portaient ainsi atteinte au droit à la protection des biens. Ils invoquent l’article 1 du Protocole no 1, disposition ainsi libellée :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
Sur la recevabilité
102. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il allègue que, dans les requêtes précitées, les requérants n’ont pas invoqué devant les juridictions administratives l’atteinte au droit à la protection de leur propriété en raison de l’imposition des amendes administratives en cause.
103. Les requérants rétorquent que les amendes en cause constituaient une restriction disproportionnée de leur droit à la protection des biens. Le troisième requérant relève en particulier qu’à travers son grief fondé sur le principe ne bis in idem, il s’est plaint de l’imposition d’une double peine sévère pour les mêmes faits.
104. La Cour rappelle que le fondement de la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention consiste en ce que, avant de saisir un tribunal international, le requérant doit avoir donné à l’État responsable la faculté de remédier aux violations alléguées par des moyens internes, en utilisant les ressources judiciaires offertes par la législation nationale, pourvu qu’elles se révèlent efficaces et suffisantes (voir, entre autres, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999-I). En effet, l’article 35 § 1 de la Convention ne prescrit l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, parmi beaucoup d’autres, Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil 1998-I, et Fix c. Grèce, no 1001/09, § 51, 12 juillet 2011). Cependant, le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison valable pour justifier la non-utilisation de recours internes (Brusco c. Italie (déc.), no 69789/01, CEDH 2001-IX, et Pellegriti c. Italie (déc.), no 77363/01, 26 mai 2005).
105. En l’occurrence, la Cour note qu’en ce qui concerne la requête no 42941/12, il ressort du dossier que le requérant n’a à aucun stade de la procédure devant les juridictions administratives invoqué le droit à la protection de ses biens et le caractère éventuellement exorbitant des amendes imposées. Quant à la requête no 9028/13, il ressort de l’arrêt no 1461/2008 de la cour administrative d’appel du Pirée que le requérant a mis spécifiquement en cause devant elle l’importance de la somme imposée à titre d’amende. Pour sa part, ladite juridiction a rejeté ce grief en constatant que l’amende imposée ne contredisait pas le principe de proportionnalité, puisqu’il ne représentait que le double des taxes et douanes impayées. Or, le requérant n’a pas contesté cette conclusion de la cour administrative d’appel dans son pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. Ce faisant, il n’a pas donné à la haute juridiction administrative l’occasion de remédier à la situation dont il se plaint à travers le présent grief (voir Association Les Témoins de Jéhovah c. France (déc.), no 8916/05, 21 septembre 2010).
106. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que les requérants, dans les requêtes nos 42941/12 et 9028/13, n’ont pas donné à l’État responsable la faculté de remédier aux violations alléguées du droit à la protection des biens, en utilisant les ressources judiciaires offertes par le droit interne. Par conséquent, ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
V. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
107. Invoquant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, les requérants se plaignent de l’iniquité de la procédure, notamment du fait que les juridictions administratives n’ont pas respecté les principes de la présomption d’innocence et du ne bis in idem. En outre, dans la requête no 9028/13, le requérant invoque l’article 7 de la Convention. Il affirme que les juridictions administratives auraient dû appliquer en l’espèce rétroactivement le nouveau Code des douanes (loi no 2960/2001) qui était entré en vigueur après la commission de l’acte incriminé. Il relève que dans ce cas l’acte en cause aurait été qualifié de contravention douanière simple, ce qui aurait entraîné l’imposition d’une amende moins élevée.
Sur la recevabilité
108. S’agissant des griefs tirés des articles 6 § 1 et 13 de la Convention, la Cour note que les requérants réitèrent de fait leurs allégations déjà examinées par la Cour dans le cadre des articles 6 § 2 de la Convention et 4 du Protocole no 7. Dans la mesure où à travers ces griefs, ils mettent en cause l’équité de la procédure devant les juridictions administratives, la Cour ne décèle aucun indice d’arbitraire dans le déroulement de ces procédures qui a respecté le droit d’accès à un tribunal. De plus, les arrêts litigieux étaient suffisamment motivés. Partant, cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
109. En outre, s’agissant du grief tiré de l’article 7 de la Convention, la Cour note que le Conseil d’État s’est penché sur la question de l’application rétroactive du nouveau Code des douanes. Il a relevé que l’affaire en cause soulevait la question spécifique de l’emploi par le requérant de subterfuges pour se soustraire au paiement des droits de douane dus lors de l’importation des véhicules litigieux. Sur cette base, il a considéré que selon l’article 137 Γ. § 7 du nouveau Code des douanes, l’acte en cause aurait aussi été qualifié de contrebande et que, par conséquent, les deux Codes appliquaient « le même régime juridique », y compris la sanction prévue. Dans ces conditions, le Conseil d’État a conclu qu’il n’y avait aucune raison d’appliquer le nouveau Code des douanes. La Cour estime que cette conclusion du Conseil d’État était raisonnable et à suffisance motivée et qu’aucune violation de l’article 7 ne résulte des circonstances de l’espèce. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
VI. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
110. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
111. Le premier requérant réclame 19 165 820 euros (EUR), le deuxième 586 259, 29 EUR et le troisième 164 167, 23 EUR au titre du préjudice matériel qu’ils auraient subi en raison des violations de la Convention alléguées. Ils se réfèrent notamment au manque à gagner et au préjudice économique que leurs entreprises ont subi en raison de la situation litigieuse. En outre, ils demandent 300 000, 50 000 et 300 000 EUR respectivement, à titre de dommage moral.
112. Le Gouvernement soutient que ces sommes sont excessives et non justifiées par les circonstances de la cause. Il affirme qu’il n’existe pas de lien de causalité entre les sommes réclamées et les violations de la Convention alléguées. De l’avis du Gouvernement, le constat de violation de la Convention constituerait lui-même une satisfaction équitable en l’espèce au sens de l’article 41 de la Convention.
113. A l’instar du Gouvernement, la Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre les sommes demandées à titre de dommage matériel et les violations de la Convention conclues. En revanche, elle estime que les requérants doivent percevoir une indemnité pour le dommage moral subi, eu égard à la souffrance ressentie en raison des violations de la Convention constatées dans la présente affaire. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au premier requérant 14 000 EUR et 5 000 EUR à chacun des deuxième et troisième requérants au titre du dommage moral subi, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.
B. Frais et dépens
114. Le premier requérant demande 2 460 EUR, facture à l’appui, pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Le deuxième requérant demande au total 6 680 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et la Cour. Il soumet la copie d’un accord entre lui et ses représentants, aux termes duquel il paiera ses avocats à l’issue de la procédure. Il demande que toute indemnité qui lui serait accordée à ce titre soit versée directement sur le compte bancaire de Me D. Farmakidis-Markou. Le troisième requérant demande 1 000 EUR, facture à l’appui, pour les frais et dépens engagés devant la Cour.
115. Le Gouvernement soutient qu’en ce qui concerne le deuxième requérant, la demande au titre des frais et dépens est excessive et doit être rejetée.
116. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Creangă c. Roumanie [GC], no 29226/03, § 130, 23 février 2012). Compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour considère qu’il y a lieu d’accorder au premier et troisième requérants les sommes sollicitées, à savoir 2 460 EUR au premier requérant et 1 000 au troisième requérant, plus tout montant pouvant être dû par eux à titre d’impôt.
117. En outre, quant au deuxième requérant, la Cour juge établi qu’il a réellement exposé des frais, quant à la procédure devant les juridictions internes et devant elle, dès lors qu’en sa qualité de client il a contracté l’obligation juridique de payer ses représentants en justice sur une base convenue (voir, mutatis mutandis, Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas, no 38224/03, § 110, 31 mars 2009, et Vallianatos et autres c. Grèce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 103, CEDH 2013 (extraits)). La Cour considère qu’il y a lieu de lui accorder la somme de 2 500 EUR, plus tout montant pouvant être dû par lui à titre d’impôt, à verser directement sur le compte bancaire de son représentant (voir, en ce sens, Carabulea c. Roumanie, no 45661/99, § 180, 13 juillet 2010).
C. Intérêts moratoires
118. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Décide de joindre les requêtes ;
2. Déclare la requête no 3453/12 recevable quant aux griefs tirés des articles 6 § 1 et 13 de la Convention en ce qui concerne la durée de la procédure et l’absence de recours effectif à cet égard, ainsi qu’aux griefs tirés des articles 6 § 2 de la Convention et 4 du Protocole no 7, et irrecevable pour le surplus ;
3. Déclare les requêtes nos 52941/12 et 9028/13, recevables quant aux griefs tirés des articles 6 § 2 de la Convention et 4 du Protocole no 7, et irrecevables pour le surplus ;
4. Dit, en ce qui concerne la requête no 3453/12, qu’il y a eu violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention ;
5. Dit en ce qui concerne toutes les requêtes qu’il y a eu violation des articles 6 § 2 de la Convention et 4 du Protocole no 7 ;
6. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i) 14 000 EUR (quatorze mille euros) au premier requérant et 5 000 EUR (cinq mille euros) à chacun des deuxième et troisième requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii) 2 460 EUR (deux mille quatre cent soixante euros) au premier requérant, 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros) au deuxième requérant et 1 000 EUR (mille euros) au troisième requérant, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par eux, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 avril 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Elisabeth Steiner
Greffier Présidente