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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> CHEEMA v. BELGIUM - 60056/08 (Judgment (Merits) : Court (Second Section)) French Text [2016] ECHR 161 (09 February 2016) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/161.html Cite as: [2016] ECHR 161 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE CHEEMA c. BELGIQUE
(Requête no 60056/08)
ARRÊT
STRASBOURG
9 février 2016
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Cheema c. Belgique,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Işıl Karakaş,
présidente,
Julia Laffranque,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Georges Ravarani, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 janvier 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 60056/08) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant pakistanais, M. Mudassar Cheema (« le requérant »), a saisi la Cour le 10 décembre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me M. Nève, avocat à Liège. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.
3. Le requérant allègue que la décision lui refusant une indemnisation pour détention préventive inopérante a violé l’article 6 § 2 de la Convention.
4. Le 18 décembre 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1968 et réside à Herstal.
A. La procédure pénale
6. Le 23 octobre 2003, W. fut trouvée grièvement blessée au pied de l’immeuble habité par le requérant. Il s’avéra au cours de l’instruction que cette personne était tombée du balcon de l’appartement du requérant.
7. Ce dernier fut arrêté le 30 octobre 2003, placé le 31 octobre 2003 sous mandat d’arrêt et inculpé de s’être abstenu de venir en aide à W. ou de lui procurer une aide alors qu’elle était exposée à un péril grave et ce sans danger sérieux pour lui-même.
8. Le requérant resta en détention préventive jusqu’à sa libération provisoire suite à une ordonnance de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Liège du 9 juillet 2004.
9. Par un jugement du 9 février 2006, le tribunal de première instance de Liège acquitta le requérant en ces termes :
« L’enquête va faire apparaître que le prévenu et [W.] se sont rencontrés le 23.10.2003 en fin de nuit, au café L., et qu’ils sont revenus ensemble au domicile du prévenu [...].
Le prévenu prétend que [W.] n’avait aucun endroit où aller, qu’elle était désespérée et qu’il a donc décidé de lui accorder l’hospitalité.
Après avoir tenté, selon lui, d’obtenir l’accord de sa compagne qui dormait déjà, enfermée à clé dans l’une des deux chambres de l’appartement, il a installé [W.] dans le divan du living, avant d’aller lui-même se coucher - après avoir bu une cannette de bière - dans la petite chambre qui lui était réservée lorsqu’il sortait la nuit.
Le prévenu explique que quelque temps plus tard, il s’est réveillé puis rendu dans le living où il n’a plus trouvé que la veste et les chaussures de [W.], et constaté que la porte-fenêtre donnant sur le balcon était largement ouverte. Puisqu’il avait verrouillé la porte d’entrée de l’appartement, il explique qu’il a cru, ne voyant personne sur le balcon, que l’intéressée avait pris la fuite par les balcons, passant chez l’un ou l’autre des voisins.
Il ajoute que [sa compagne], qui avait pris des somnifères, n’était pas encore levée, et qu’il est retourné se coucher.
Hormis l’heure à laquelle [un piéton] a trouvé [W.] au pied de l’immeuble, la chronologie exacte des faits est impossible à déterminer.
Tout d’abord, le prévenu n’apporte pas la moindre précision à ce sujet : il n’avait pas de montre ; de plus, durant la soirée et la nuit, il avait bu, à plusieurs reprises, du whisky.
De même, le médecin légiste indique dans son rapport complémentaire du 15 septembre 2005, qu’il n’est pas en mesure de déterminer l’heure de la chute, rappelant simplement que [W.] était en hypothermie lors de sa prise en charge.
De son côté, le patron du café L. [...] affirme que la jeune femme a quitté son établissement vers 05 heures 30, tandis que [la compagne du requérant] prétend avoir été réveillée, avoir regardé sa montre, et vu, par le trou de la serrure de sa chambre, de la lumière entre 05 heures et 06 heures du matin.
Le prévenu soutient qu’il a sombré une première fois dans le sommeil, après avoir installé la jeune femme dans le salon, sans pouvoir en préciser la durée, ni dire à quelle heure exactement il s’est réveillé.
Toutefois, à suivre ses déclarations, c’était avant que [la compagne du requérant] ne se lève pour aller à sa formation et d’après lui, il faisait clair. Or, cette dernière a déclaré qu’elle s’était réveillée vers 08 heures 15 - 08 heures 30.
Ainsi, entre d’une part, 05/06 heures, et d’autre part, 08 heures 15 - 08 heures 30, [le requérant] s’est à un moment donné relevé et a constaté la disparition de [W.], sans qu’il soit possible d’en déterminer de quelque manière que ce soit l’heure, même approximativement. En d’autres termes, le prévenu a très bien pu se lever après que le corps de la malheureuse ait été découvert et emporté par les secours.
Il n’est donc pas établi que le prévenu ait eu connaissance du péril grave auquel [W.] était exposée, ni que ce péril grave existait toujours, au sens de l’article 422bis du code pénal, au moment où il s’est relevé et qu’il a constaté sa disparition.
En tout état de cause, son comportement à ce moment consistant à ne pas sortir sur le balcon et à ne pas refermer la porte ne suffit pas à l’établir, d’autant que le dossier ne révèle pas qu’il y ait eu des cris et/ou bruit de chute (seule [une voisine] parle d’un bruit terrible à 07 heures comme un immeuble qui tombait), ni comme déjà relevé ci-avant que le corps était toujours présent au bas de l’immeuble (l’ambulance est arrivée vers 07 heures 30 suivant notamment les déclarations des infirmiers urgentistes).
Dans ces conditions, la prévention [...] n’est pas établie à charge [du requérant] ; il y a lieu dès lors de le renvoyer des poursuites de ce chef. »
10. Cet acquittement fut confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Liège du 19 décembre 2006, qui constata
« que, comme l’indique le premier juge, il subsiste un doute quant à la question de savoir à quel moment le prévenu s’est relevé et a constaté la disparition de [W.] ;
que les précisions apportées par le ministère public devant la cour ne permettent pas d’affirmer avec suffisamment de certitude que les secours n’étaient pas déjà, à ce moment, occupés à prodiguer les premiers soins à la victime ».
11. Par un arrêt du 9 mai 2007, la Cour de cassation cassa l’arrêt du 19 décembre 2006 de la cour d’appel de Liège en ce qu’il avait condamné le demandeur aux frais des deux instances, et renvoya la cause ainsi limitée à la cour d’appel de Mons. Par un arrêt du 3 octobre 2007, la cour d’appel de Mons déchargea le requérant des frais en question.
B. La procédure en indemnisation pour détention préventive inopérante
12. Par une requête du 16 janvier 2007, le requérant demanda au ministre de la Justice de se voir accorder une indemnité sur base de l’article 28 de la loi du 13 mars 1973 relative à l’indemnité en cas de détention préventive inopérante.
13. Par une décision du 12 juillet 2007, le ministre de la Justice déclara la requête non fondée. Il considéra notamment ce qui suit :
« Le requérant a rencontré la victime dans un café et lui a proposé de l’héberger chez sa compagne dont on apprend qu’elle s’enferme dans sa chambre, redoutant ses accès de violence, notamment quand il boit ;
Il déclare avoir essayé d’obtenir l’accord de sa compagne pour héberger la victime ;
Bien qu’il indique que la victime, en se manifestant bruyamment dans le couloir de l’appartement, ne lui aurait pas laissé d’autre choix que de la faire dormir dans le salon, son voisin déclare par contre n’avoir entendu aucun bruit ;
Les enquêteurs relèvent qu’il a cependant et quoiqu’il en dise, consommé de l’alcool plus que de raison ;
Il a d’abord nié avoir vu la victime et ce n’est que confronté aux déclarations du patron du café dans lequel il l’avait rencontrée, qu’il admit les faits ;
À sa compagne, constatant la présence d’une veste de femme dans la chambre où le requérant dort, il déclare l’avoir trouvée au pied de l’immeuble ;
Il reconnaît aussi, après être confronté aux déclarations de sa compagne, avoir fait disparaître le blouson et les baskets de la victime ;
Il dit avoir constaté le départ de la victime et aussi que la porte-fenêtre du balcon était ouverte ;
Il déclare aux enquêteurs qu’il n’a pas refermé la porte-fenêtre par peur d’y laisser des empreintes ;
Dans les circonstances de la cause, il faut donc déclarer la requête en indemnité pour détention préventive inopérante non fondée. »
14. Contre cette décision, le requérant saisit la commission relative à l’indemnité en cas de détention préventive inopérante qui, en date du 10 juin 2008, rejeta son recours en considérant ce qui suit :
« 3. Le requérant se plaint de ce que la décision de refus du ministre de la Justice viole la présomption d’innocence dont il doit jouir.
La présomption d’innocence n’exclut pas toute prise en compte du comportement d’un prévenu ayant fait l’objet d’un acquittement, dans le cadre de la procédure d’indemnisation pour détention préventive inopérante.
Contrairement à ce que soutient le requérant, la règle de la présomption d’innocence n’exclut pas l’appréciation de son « propre comportement » au sens de l’article 28, §1er, a), à l’aune du dossier répressif.
En l’espèce, la décision ministérielle refusant l’indemnisation apprécie le comportement du requérant dans le cadre de la procédure d’indemnisation pour détention préventive inopérante, mais ne comporte pas une déclaration de culpabilité, ni une motivation, un raisonnement ou un langage donnant à penser que le requérant est considéré comme coupable.
4. La notion précitée de « propre comportement » ne renvoie pas aux seules hypothèses où une personne se serait dénoncée pour protéger un tiers ou aurait avoué la matérialité des faits en étayant ses aveux par des détails variés, nombreux et précis. Elle doit s’entendre de toute cause de la mise en détention ou de son maintien, qui a trait au requérant et qui ressort du dossier répressif.
5. Il ressort du dossier répressif que la victime a été retrouvée gisante au pied de l’immeuble du requérant, après avoir rencontré ce dernier dans un café tard dans la nuit et après avoir été hébergée par lui dans l’appartement qu’il occupait avec sa compagne.
Le requérant a reconnu que le jour de la découverte du corps de [W.] il a dit à la police qu’il « ne l’avai(t) jamais vue même dans le quartier » (auditions du [30 octobre] 2003 et du 2 décembre 2003).
Ce n’est qu’à la suite de l’insistance des policiers, que le requérant a relaté les circonstances particulières dans lesquelles il a rencontré et hébergé [W.] (audition du [30 octobre] 2003).
Le requérant a admis qu’ « (il) aurai(t) dû contacter (les) services (de police) pour (les) prévenir de ce que cette fille togolaise avait dormi chez (lui) », mais qu’il ne l’a pas fait de « peur d’avoir des problèmes avec cette histoire » (audition du [30 octobre] 2003).
Le requérant a tenu des propos contradictoires quant à la question de savoir si, après ladite visite de la police, il avait parlé, avec sa compagne, de [W.] (audition du 2 décembre 2003) ainsi que quant au fait de savoir s’il est allé ou non sur le balcon (audition du [30 octobre] 2003, interrogatoire par le juge d’instruction du 31 octobre 2003 et audition du 2 décembre 2003).
Le requérant a reconnu qu’il n’a pas parlé à sa compagne « du passage d’une femme noire [W.] dans (leur) appartement durant (la) nuit » des faits (audition du [30 octobre] 2003) et ce, alors même que sa compagne lui a signalé « qu’une femme noire avait été retrouvée morte sur la pelouse de (leur building) et que la police s’était présentée à l’appartement » (audition du [30 octobre] 2003), de « peur d’avoir des problèmes avec la police » (audition du 2 décembre 2003).
Le requérant a déclaré avoir « caché » dans sa chambre les baskets et la veste de [W.] (audition du [30 octobre] 2003).
Le requérant ne sait pas dire pourquoi il s’est levé pour savoir si [W.] était toujours présente, alors qu’il avait fermé la porte d’entrée de son appartement (audition du [30 octobre] 2003).
Le requérant a déclaré ne pas avoir regardé par-dessus le balcon car il a « eu peur que (...) on (le) voi(e) sur le balcon » de l’appartement dans lequel il habite (auditions du [30 octobre] 2003 et du 2 décembre 2003).
Le requérant n’a pas fermé la porte du balcon de l’appartement dans lequel il habite, de « peur de laisser (ses) empreintes dessus et que la police les découvre » (audition du [30 octobre] 2003 ; voy. également audition du 2 décembre 2003) et qu’on l’accuse « d’avoir jeté la fille ou de l’avoir fait tomber » (interrogatoire par le juge d’instruction du 31 octobre 2003).
6. Il ressort de ces éléments que par son propre comportement, le requérant a, tout en étant innocent, provoqué sa détention et son maintien jusqu’au 9 juillet 2004. »
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
15. À l’époque des faits, l’article 28 de la loi du 13 mars 1973 relative à l’indemnité en cas de détention préventive inopérante disposait en ses passages pertinents ce qui suit :
« § 1er. Peut prétendre à une indemnité toute personne qui aura été détenue préventivement pendant plus de huit jours sans que cette détention ou son maintien ait été provoqué par son propre comportement :
a) si elle a été mise hors cause directement ou indirectement par une décision judiciaire coulée en force de chose jugée;
[...].
§ 2. Le montant de cette indemnité est fixé en équité et en tenant compte de toutes les circonstances d’intérêt public et privé.
§ 3. A défaut pour l’intéressé de pouvoir intenter une action en indemnisation devant les juridictions ordinaires, l’indemnité doit être demandée par requête écrite adressée au Ministre de la Justice, qui statue dans les six mois.
L’indemnité sera allouée par le Ministre de la Justice à charge du Trésor, si les conditions prévues au § 1er sont remplies.
Si l’indemnité est refusée, si le montant en est jugé insuffisant ou si le Ministre de la Justice n’a pas statué dans les six mois de la requête, l’intéressé pourra s’adresser à la Commission instituée conformément au § 4.
[...]
§ 4. Il est institué une commission qui statue sur les recours contre les décisions prises par le Ministre de la Justice ou sur les demandes introduites lorsque, dans les conditions déterminées par le § 3, le Ministre n’a pas statué.
[...]
§ 5. Les recours et les demandes sont formés par requête en double signée par la partie ou son avocat et déposée au greffe de la Cour de cassation dans les soixante jours de la notification de la décision du Ministre ou de l’expiration du délai dans lequel il aurait dû statuer.
Le Roi règle la procédure devant la commission siégeant à huis clos.
Elle statue sur l’avis donné à l’audience par le procureur général près la Cour de cassation, après avoir entendu les parties en leurs moyens.
Ses décisions sont prononcées en séance publique. Elles ne sont susceptibles d’aucun recours.
[...]. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 2 DE LA CONVENTION
16. Le requérant allègue que la décision de la commission relative à l’indemnité en cas de détention préventive inopérante (« la commission ») viole son droit à la présomption d’innocence tel que prévu par l’article 6 § 2 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
17. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
18. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il y a donc lieu de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
19. Le requérant explique que par sa manière d’agir, par les motifs de sa décision et par le langage utilisé dans son raisonnement, la commission a violé sa présomption d’innocence. En effet, la commission a tout d’abord considéré que la décision du ministre de la Justice ne violait pas sa présomption d’innocence et a ensuite complété cette décision ministérielle par des éléments, non corroborés par l’arrêt d’acquittement, tirés du dossier répressif et des décisions des juridictions d’instruction liés à la prévention de non-assistance à personne en danger pour laquelle il avait été acquitté. La commission a de ce fait procédé à une nouvelle analyse des faits. Le requérant relève encore que la quasi-totalité des éléments retenus à son encontre reposent sur des déclarations qu’il a effectuées sans l’assistance d’un avocat. Il affirme finalement que le simple constat d’innocence par la commission est sans conséquence sur les autres développements effectués par celle-ci en violation de la présomption d’innocence.
20. Le Gouvernement, qui soumet à la Cour plusieurs décisions de la commission pour démontrer que toute demande d’indemnité n’est pas rejetée, affirme que l’acquittement du requérant au pénal ne lui confère pas automatiquement un droit à obtenir une indemnité pour la détention préventive subie. Il explique que le requérant ne figurait pas comme prévenu devant la commission, mais comme demandeur au civil souhaitant obtenir une indemnité pour une détention préventive inopérante. La commission a ainsi pu considérer à juste titre, « sur un autre plan, à un second degré en quelque sorte et en périphérie des faits initialement reprochés », et sans apprécier ou formuler de commentaire sur la culpabilité du requérant, que le comportement de celui-ci avait créé une « réalité virtuelle », une « apparence de nature à fonder les juges et les juridictions d’instruction dans leur décision de le mettre à l’époque sous mandat d’arrêt et, ensuite, de l’y maintenir ». Pour arriver à la conclusion que le requérant avait, par son propre comportement, provoqué sa détention et le maintien de celle-ci, et était de ce fait lui-même à l’origine du dommage dont il réclame réparation, la commission n’a pas apprécié la culpabilité du requérant. Elle a au contraire expressément affirmé son innocence. La motivation de la commission ne mettait dès lors pas en cause l’acquittement du requérant, et donc sa présomption d’innocence. Le Gouvernement souligne encore que la décision de la commission se basait sur une motivation autonome, complète et distincte de celle du ministre de la Justice, et, au vu du recours introduit devant la commission contre la décision ministérielle, les critiques à l’encontre de cette dernière ne sont pas pertinentes dans le cadre de l’analyse de la décision de la commission. Le Gouvernement conclut donc à l’absence de violation de l’article 6 § 2 de la Convention.
2. Appréciation de la Cour
21. La Cour rappelle à titre liminaire que la Convention doit s’interpréter de façon à garantir des droits concrets et effectifs, et non théoriques et illusoires. Cela vaut aussi pour le droit consacré par l’article 6 § 2 (Allenet de Ribemont c. France, 10 février 1995, § 35, série A nº 308). Ainsi, le champ d’application de l’article 6 § 2 ne se limite pas aux procédures pénales qui sont pendantes, mais s’étend aux décisions de justice prises après l’arrêt des poursuites ou après un acquittement, notamment dans des procédures qui concernent une demande d’indemnisation formée par un ancien accusé (Allen c. Royaume-Uni [GC], no 25424/09, § 98, 12 juillet 2013, et les arrêts y cités).
22. Ainsi, une décision refusant à l’« accusé », après l’arrêt des poursuites, une réparation pour détention provisoire peut soulever un problème sous l’angle de l’article 6 § 2, si des motifs indissociables du dispositif équivalent en substance à un constat de culpabilité sans établissement légal préalable de celle-ci (voir, mutatis mutandis, Puig Panella c. Espagne, no 1483/02, § 51, 25 avril 2006, Kabili c. Grèce, no 28606/05, § 23, 31 juillet 2008, et Mosinian c. Grèce, no 8045/10, § 22, 31 octobre 2013).
23. La Cour rappelle aussi que l’article 6 § 2 ne garantit pas à l’accusé un droit à réparation pour une détention provisoire régulière ou un droit au remboursement de ses frais lorsque les poursuites sont par la suite abandonnées ou aboutissent à un acquittement (voir, parmi de nombreux précédents, Englert c. Allemagne, 25 août 1987, § 36, série A no 123, Sekanina c. Autriche, 25 août 1993, § 25, série A no 266-A, Capeau c. Belgique, no 42914/98, § 23, CEDH 2005-I, Yassar Hussain c. Royaume-Uni, no 8866/04, § 20, CEDH 2006-III, Tendam c. Espagne, no 25720/05, § 36, 13 juillet 2010, et Allen, précité, § 82). Le simple refus d’indemnisation ne se heurte donc pas en soi à la présomption d’innocence (voir, mutatis mutandis, Minelli c. Suisse, 25 mars 1983, §§ 34-35, série A no 62, Nölkenbockhoff c. Allemagne, 25 août 1987, § 36, série A no 123, et Capeau, précité, § 23).
24. En l’espèce, la Cour est appelée à examiner si, par sa manière d’agir, par les motifs de sa décision ou par les termes employés, la commission a fait peser un doute sur la présomption d’innocence reconnue au requérant, dont la culpabilité n’avait pas préalablement été légalement établie (Capeau, précité, § 24, et Mosinian, précité, § 23).
25. La Cour relève que le requérant a fait l’objet d’un acquittement coulé en force de chose jugée.
26. Selon le requérant, la commission a violé son droit à la présomption d’innocence en ce qu’elle a fait sienne la décision du ministre de la Justice qui aurait elle-même violé son droit à la présomption d’innocence.
27. La Cour rejoint toutefois le Gouvernement pour constater que si la commission a conclu que la décision du ministre de la Justice ne violait pas la présomption d’innocence, elle ne s’est pas référée à la motivation de cette dernière mais a développé sa propre motivation sur base des éléments qu’elle a soulevés et n’a pas fait sienne la décision du ministre de la Justice.
28. La Cour constate en premier lieu que la commission a expressément affirmé que le requérant avait provoqué sa détention et son maintien par son propre comportement « tout en étant innocent ».
29. Elle observe ensuite que la commission a retenu à l’encontre du requérant d’avoir nié, le jour de la découverte de W., d’avoir fait la connaissance de cette dernière, et de n’avoir relaté les circonstances de leur rencontre « qu’à la suite de l’insistance des policiers » lors de l’audition du 30 octobre 2003. Elle lui reprochait aussi de ne pas avoir contacté les services de police pour les informer que W. avait passé la nuit chez lui de « peur d’avoir des problèmes avec cette histoire ». La commission le critiqua encore pour avoir tenu, les 30 octobre 2003, 31 octobre 2003 et 2 décembre 2003, soit après son arrestation respectivement sa mise en détention provisoire, des « propos contradictoires » quant à la question de savoir s’il avait parlé avec sa compagne de W. et s’il était allé sur le balcon. La commission faisait aussi grief au requérant de ne pas avoir parlé, de « peur d’avoir des problèmes avec la police », du passage de W. à sa compagne après qu’elle lui avait signalé que la police s’était présentée à l’appartement. Elle lui reprochait également d’avoir déclaré avoir « caché » les baskets et la veste de W. et d’avoir été incapable de dire pourquoi il s’était levé pour savoir si W. était toujours présente alors qu’il avait fermé à clé la porte d’entrée de son appartement. La commission a également motivé sa décision par la circonstance que, suite à sa privation de liberté, le requérant avait déclaré ne pas avoir regardé par-dessus le balcon de l’appartement qu’il habitait par peur d’être vu et qu’il n’avait pas fermé la porte de ce balcon de peur de laisser ses empreintes et que la police les découvrît.
30. Aux yeux de la Cour, contrairement à ce que soutient le requérant, ces motifs retenus par la commission ne concernent que la naissance d’indices à l’égard du requérant du fait de son propre comportement, justifiant la décision des autorités de le placer en détention provisoire et de l’y maintenir, et ne reflètent à eux seuls aucun constat de culpabilité à l’encontre du requérant (Lorenzetti c. Italie, no 32075/09, § 47, 10 avril 2012).
31. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;
2. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention ;
Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 février 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Stanley
Naismith Işıl Karakaş
Greffier Présidente