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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> LIGA PORTUGUESA DE FUTEBOL PROFISSIONAL v. PORTUGAL - 4687/11 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Fourth Section)) French Text [2016] ECHR 425 (17 May 2016)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/425.html
Cite as: [2016] ECHR 425

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      QUATRIÈME SECTION

       

       

       

       

       

       

      AFFAIRE LIGA PORTUGUESA DE FUTEBOL PROFISSIONAL c. PORTUGAL

       

      (Requête no 4687/11)

       

       

       

       

       

       

       

       

       

      ARRÊT

       

       

       

      STRASBOURG

       

      17 mai 2016

       

       

      Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


      En l’affaire Liga Portuguesa de Futebol Profissional c. Portugal,

      La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

                András Sajó, président,
                Vincent A. De Gaetano,
                Nona Tsotsoria,
                Paulo Pinto de Albuquerque,
                Krzysztof Wojtyczek,
                Egidijus Kūris,
                Iulia Antoanella Motoc, juges,
      et de Marialena Tsirli, greffière de section,

      Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 mars 2016,

      Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

      PROCÉDURE

      1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 4687/11) dirigée contre la République portugaise et dont une association de droit privé portugais, la Liga Portuguesa de Futebol Profissional (« la requérante »), a saisi la Cour le 14 janvier 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

      2.  La requérante a été représentée par Me G. G. Rozeira, avocat à Porto. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme M.F. da Graça Carvalho, procureure générale adjointe.

      3.  Invoquant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, la requérante soutient que la procédure engagée contre elle devant le tribunal du travail de Lisbonne n’a pas été entendue équitablement et dans un délai raisonnable.

      4.  Le 18 novembre 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.

      EN FAIT

      I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

      5.  La requérante est la Ligue portugaise de football professionnel (Liga Portuguesa de Futebol Profissional), association de droit privé portugais ayant son siège à Porto.

      6.  Organisatrice des championnats professionnels de football au Portugal, elle a pour associés les clubs et sociétés sportives qui participent à ces championnats.

      A.  La procédure devant le tribunal du travail de Lisbonne

      7.  Le 25 mars 2002, un joueur professionnel de football, Monsieur R. (« le demandeur »), engagea à l’encontre de la requérante, devant le tribunal du travail de Lisbonne (Tribunal do Trabalho de Lisboa), une action en nullité concernant deux clauses d’une convention collective du 8 septembre 1999, notamment son article 52 § 1 (voir ci-après le « droit interne pertinent ») : le demandeur y voyait pour les joueurs professionnels une atteinte à la liberté du travail, garantie par les articles 47 et 58 de la Constitution, en cas de rupture de leurs liens contractuels avec un club.

      8.  Le 15 mai 2002, la requérante fut invitée à présenter ses observations. Le 12 juin 2002, elle déposa son mémoire en réponse, dans lequel elle soutenait :

      -  que les clauses des conventions collectives de travail relevaient de la liberté contractuelle ;

      -  qu’elles ne pouvaient, dès lors, être soumises à un contrôle de constitutionnalité.

      9.  Le 19 septembre 2005, le tribunal du travail de Lisbonne débouta le demandeur de ses prétentions, au motif :

      -  que l’article 52 § 1 de la convention collective ne méconnaissait pas le droit au travail du joueur ;

      -  que, par conséquent, cette clause n’était pas incompatible avec les articles 47 et 58 de la Constitution.

      B.  La procédure devant la Cour suprême

      10.  Le 12 octobre 2005, le demandeur se pourvut en cassation contre le jugement directement (per saltum) devant la Cour suprême de justice (Supremo Tribunal de Justiça). Il attaqua également le jugement devant la cour d’appel de Lisbonne, dans l’hypothèse où son pourvoi ne serait pas admis.

      11.  Le 14 novembre 2005, le demandeur déposa son mémoire en cassation. La requérante y répondit le 21 novembre 2005.

      12.  Par une ordonnance du 1er mars 2006, le tribunal du travail de Lisbonne jugea recevable le recours per saltum introduit par le demandeur.

      Le 3 mai 2006, le juge rapporteur chargé de l’affaire à la Cour suprême déclara à son tour le pourvoi recevable, considérant que la loi n’interdisait pas le recours per saltum dans le cadre du contentieux social.

      13.  Le 23 mai 2006, la Cour suprême invita la requérante à compléter son mémoire en défense du 21 novembre 2005 contre le pourvoi, ce qu’elle fit le 6 juin 2006.

      14.  Le 31 juillet 2006, le ministère public rendit son avis, concluant à la recevabilité partielle du pourvoi.

      Le 5 septembre 2006, les parties reçurent notification de l’avis du ministère public, dans lequel il était fait allusion à l’ordonnance du 3 mai 2006 admettant le recours.

      15.  Le 7 mars 2007, la conférence (formation semi-plénière) de la Cour suprême rendit son arrêt. Les parties en reçurent notification le 9 mars 2007.

      L’arrêt faisait allusion à l’admission du recours per saltum par l’ordonnance du 3 mai 2006.

      16.  Quant au fond, cet arrêt infirmait le jugement attaqué, en déclarant la nullité des deux clauses litigieuses de la convention collective de travail. Pour ce qui était de l’article 52 § 1, la conférence de la Cour suprême considéra notamment :

      -  que le droit au libre choix d’une profession et le droit de l’exercer étaient du ressort exclusif du législateur ;

      -  que, par conséquent, la clause en question empiétait sur la compétence du parlement.

      Lors de cette séance du 7 mars 2007 siégèrent à la conférence de la Cour suprême sept juges conseillers, dont le juge C.A.F.C. comme président.

      17.  Le 23 mars 2007, la requérante forma une réclamation en nullité devant la Cour suprême. Elle soutenait :

      -  que la notification tardive de l’ordonnance du 3 mai 2006 ne lui avait pas permis de contester l’admission du recours devant la section sociale de la Cour suprême ;

      -  que la Cour suprême avait tranché la question litigieuse de façon inattendue, sur la base d’un moyen qui n’avait pas été discuté par les parties, à savoir l’inconstitutionnalité sous l’angle de la compétence, ou inconstitutionnalité « organique » (inconstitucionalidade orgânica).

      18.  Le 29 mars 2007, le juge C.A.F.C. fut élu juge au Tribunal constitutionnel (Tribunal Constitucional) par l’Assemblée de la République.

      19.  Par une ordonnance du 15 mai 2007, la Cour suprême rejeta la réclamation de la requérante, en écartant ses deux moyens comme suit :

      -  s’agissant du premier moyen, la Cour suprême reconnut que l’ordonnance du 3 mai 2006 ne lui avait pas été dûment notifiée, mais retint que la requérante n’avait pas formé de réclamation en nullité dans un délai de dix jours contre ce défaut de notification, comme le lui permettait la loi ; en tout état de cause, elle considéra que la requérante avait acquis connaissance de l’ordonnance via l’avis du ministère public, le 5 septembre 2006 ;

      -  s’agissant du deuxième moyen, la Cour suprême considéra que sa démarche était légale en raison du rôle de maîtresse de la qualification juridique des faits qui lui était dévolu en vertu de l’article 664 du code de procédure civile (selon lequel elle n’est pas liée par les dires des parties à l’égard du droit) ; à ses yeux, donc, aucune méconnaissance du principe du contradictoire ne pouvait être déplorée.

      20.  Le 1er juin 2007, la requérante forma une réclamation devant la conférence de la section sociale de la Cour suprême.

      Le 12 juillet 2007, la section sociale confirma l’ordonnance du 15 mai 2007 sur tous les points. Elle confirma notamment le rejet du second moyen soulevé par la requérante, en considérant en substance :

      -  que le demandeur avait soulevé un problème général de constitutionnalité de la clause de l’article 52 § 1 de la convention collective de travail ;

      -  que l’inconstitutionnalité pouvait porter sur le fond, mais aussi sur la violation des normes de compétence et des exigences formelles ;

      -  que, compte tenu de l’allégation générale du demandeur, la constitutionnalité de la clause litigieuse pouvait être appréciée sous n’importe lequel de ces angles indifféremment.

      C.  La procédure devant le Tribunal constitutionnel

      21.  Le 27 juillet 2007, la requérante forma un recours en inconstitutionnalité devant le Tribunal constitutionnel.

      Le 5 septembre 2007, le demandeur déposa un mémoire en réponse concluant à l’irrecevabilité du recours en inconstitutionnalité.

      Par une ordonnance du 24 novembre 2008, le Tribunal constitutionnel ramena l’objet du recours en inconstitutionnalité à une seule question : déterminer si la Cour suprême pouvait trancher l’affaire au fond sur la base de motifs non soumis au débat contradictoire des parties.

      22.  Le 8 janvier 2009, la requérante déposa son mémoire sur le fond. Le demandeur déclara le 15 janvier 2009 ne pas vouloir déposer de réplique.

      23.  Par un arrêt du 13 janvier 2010, la troisième chambre du Tribunal constitutionnel considéra que la Cour suprême n’avait pas méconnu le principe du contradictoire, estimant que l’inconstitutionnalité sous l’angle de la compétence était une question susceptible d’être envisagée et anticipée par les parties.

      Le rapporteur de cet arrêt du 13 janvier 2010 était le juge C.A.F.C, en raison du fait que la proposition du rapporteur initial n’avait pas été approuvée par la formation du Tribunal constitutionnel.

      24.  Le 9 février 2010, la requérante forma une réclamation en nullité devant le Tribunal constitutionnel. Elle faisait valoir, en premier lieu :

      -  que le 7 mars 2007 le juge C.A.F.C. avait présidé la conférence de la Cour suprême ;

      -  qu’ensuite, le même juge C.A.F.C. avait été le rapporteur dans l’arrêt du Tribunal constitutionnel du 13 janvier 2010.

      Dans son mémoire, la requérante se plaignit en second lieu du montant des frais de justice fixés par le Tribunal constitutionnel, qu’elle dénonçait comme une atteinte à son droit d’accès à un tribunal.

      25.  Le 17 février 2010, le demandeur présenta son mémoire en réponse. Ce mémoire ne fut pas porté à la connaissance de la requérante.

      26.  Le 25 mai 2010, le Tribunal constitutionnel rendit son arrêt.

      Dans ses motifs, il reconnut que le juge C.A.F.C. avait signé l’arrêt du 7 mars 2007 par lequel la Cour suprême avait statué sur le fond de l’affaire, mais considéra que la question à trancher dans l’arrêt rendu par le Tribunal constitutionnel était différente, en retenant :

      -  que, dans l’arrêt au fond, la Cour suprême avait statué que la clause litigieuse de la convention collective de travail empiétait sur la compétence réservée du parlement national établie par la Constitution (inconstitutionnalité « organique ») ;

      -  que, dans l’arrêt du 13 janvier 2010, le Tribunal constitutionnel s’était seulement prononcé sur la question de savoir si l’omission d’inviter les parties à se prononcer sur la question de l’inconstitutionnalité « organique » (c’est-à-dire en termes de compétence) des clauses d’une convention collective de travail, alors que la discussion entre les parties se limitait à leur inconstitutionnalité « matérielle », n’avait pas violé le principe du contradictoire.

      Comme le juge C.A.F.C. avait ainsi à ses yeux été appelé à trancher dans les deux instances successives des questions différentes, le Tribunal constitutionnel rejeta le recours de la requérante.

      27.  Le 7 juin 2010, la requérante forma une réclamation en nullité devant le Tribunal constitutionnel, exposant :

      -  que la réponse de la partie adverse à sa demande en nullité pour non-déport du juge C.A.F.C. ne lui avait pas été communiquée par la haute juridiction ;

      -  que cette communication s’imposait, puisque le Tribunal constitutionnel avait ensuite accueilli la thèse qui y était défendue quant à la nature différente des questions examinées par la Cour suprême et par le Tribunal constitutionnel.

      La partie adverse déposa son mémoire en réponse le 9 juin 2010.

      28.  Le 14 juillet 2010, le Tribunal constitutionnel rejeta les divers chefs de réclamation de la requérante par les motifs suivants.

      S’agissant, premièrement, de l’omission de communiquer à la requérante le mémoire en réponse de la partie adverse, le Tribunal constitutionnel considéra :

      -  que la loi n’autorisait pas la requérante à répliquer au mémoire en cause ;

      -  que, partant, cette absence de notification n’avait privé la requérante d’aucun droit procédural.

      S’agissant de la deuxième question soulevée par la requérante le 9 février 2010, le Tribunal constitutionnel considéra :

      -  que la fixation des frais de justice n’était pas soumise à une motivation spécifique ;

      -  que ces frais avaient été fixés au regard de la complexité de l’affaire, qui était d’un niveau moyen.

      29.  Par un arrêt du 9 novembre 2010, le Tribunal constitutionnel rejeta une nouvelle réclamation formée par la requérante au sujet de la fixation des frais de justice dans l’arrêt du 14 juillet 2010. Il estima en effet que leur montant était raisonnable, considérant :

      -  que l’affaire présentait un niveau de complexité moyen ;

      -  qu’il n’était pas allégué par la requérante que ces montants seraient de nature à mettre en péril son existence économique.

      D.  La suite de la procédure

      30.  Le 16 novembre 2010, la requérante forma un nouveau recours en inconstitutionnalité, en demandant au Tribunal constitutionnel de transmettre le dossier à la Cour suprême afin que celle-ci déclare ledit recours recevable.

      La partie adverse déposa son mémoire en réponse le 2 décembre 2010.

      Le dossier fut transmis à la Cour suprême le 14 décembre 2010.

      31.  Le 14 décembre 2010, le Tribunal constitutionnel délivra le décompte des frais de justice, lesquels s’élevaient à 7 221,60 euros (EUR).

      32.  Le 16 décembre 2010, la Cour suprême ordonna la transmission du dossier au tribunal du travail de Lisbonne ; ce qui fut fait le 17 décembre 2010.

      33.  Le 13 janvier suivant, la Cour suprême pria le tribunal du travail de Lisbonne de lui transmettre à nouveau le dossier, du fait qu’une exception d’incompétence absolue avait été soulevée par la requérante le 7 janvier 2011.

      Le 18 janvier 2011, la partie adverse déposa ses observations sur l’exception d’incompétence absolue.

      Le 20 janvier 2011, le dossier fut transmis à la Cour suprême.

      34.  Le 24 février 2011, la Cour suprême jugea recevable le recours en inconstitutionnalité et rejeta l’exception d’incompétence soulevée par la requérante.

      Le 25 février 2011, le dossier fut transmis au Tribunal constitutionnel.

      35.  Le 14 mars 2011, en formation à juge unique, le Tribunal constitutionnel rejeta le recours en inconstitutionnalité.

      Le 31 mars 2011, la requérante forma une réclamation en nullité contre cette décision.

      Le 1er avril 2011, elle attaqua la même décision devant la conférence de la Cour suprême.

      À la suite d’une ordonnance du Tribunal constitutionnel du 5 avril 2011, le dossier fut à nouveau transmis à la section sociale de la Cour suprême.

      36.  Par un arrêt du 11 mai 2011, la formation collégiale de la Cour suprême rejeta la réclamation de la requérante, confirmant l’ordonnance attaquée.

      37.  Le 18 mai 2011, la requérante déposa un recours en inconstitutionnalité devant le Tribunal constitutionnel. Le 24 mai 2011, la partie adverse se prononça pour le rejet du recours.

      Le 28 septembre 2011, la formation collégiale du Tribunal constitutionnel rejeta la réclamation de la requérante contre la décision du juge unique du 14 mars.

      38.  Par une décision sommaire du 21 octobre 2011, le Tribunal constitutionnel rejeta le recours en inconstitutionnalité de la requérante.

      Le 8 novembre 2011, la requérante forma une réclamation contre la décision du 21 octobre 2011. Le 15 décembre 2011, la formation collégiale du Tribunal constitutionnel rejeta sa réclamation.

      II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

      39.  La Constitution de la République portugaise, dans sa partie pertinente, dispose :

      Article 277

      « 1. Les règles enfreignant les dispositions de la Constitution ou les principes y établis sont inconstitutionnelles.

      2. L’inconstitutionnalité organique ou formelle de traités internationaux régulièrement ratifiés n’interdit pas l’application de leurs règles dans l’ordre juridique portugais, pourvu que ces règles soient applicables dans l’ordre juridique de l’autre partie contractante et sauf si l’inconstitutionnalité découle de la violation d’une disposition fondamentale. »

      40.  Les dispositions pertinentes du code de procédure civile, telles qu’en vigueur au moment des faits, se lisaient comme suit :

      Article 3

      « (...)

      3. Le juge est tenu de respecter et de faire appliquer, tout au long de la procédure, le principe du contradictoire. Il lui est interdit de trancher des questions de droit ou de fait sans avoir donné aux parties, à moins que ce ne soit manifestement inutile, la possibilité de se prononcer à leur égard, y compris pour celles dont le tribunal doit connaître d’office.

      (...)

      Article 201

      « 1. L’omission d’un acte ou d’une formalité prescrite par la loi n’entraîne la nullité que si la loi le prévoit ou si une telle omission a une influence sur l’examen de l’affaire. »

      Article 205

      « (...)

      1. Quant aux autres nullités, si, au moment de leur commission, la partie est présente, personnellement ou par le biais d’un conseil, elles peuvent être soulevées jusqu’à la conclusion de l’acte de procédure. Si la partie n’est pas présente, le délai pour former une réclamation en nullité court à compter du jour où, une fois la nullité commise, la partie est intervenue à un acte de procédure quelconque ou a reçu notification d’une quelconque démarche procédurale, à condition toutefois, dans ce dernier cas, que l’on puisse présumer qu’elle a acquis connaissance de cette nullité ou qu’elle aurait pu la connaître en agissant avec la diligence requise.

      (...) »

      Article 664

      « Le juge n’est pas lié par les allégations des parties en ce qui concerne la recherche, l’interprétation et l’application des règles du droit. »

      Article 122

      « Aucun juge ne peut exercer ses fonctions (...) :

      (...)

      e) à l’égard d’un recours interjeté dans le cadre d’une procédure où il est intervenu dans l’adoption de la décision attaquée en qualité de juge d’un autre tribunal ou a d’une [quelconque] autre manière pris position sur des questions soulevées par le recours.

      (...) »

      41.  L’article 52 de la convention collective de travail signée entre la Ligue portugaise de football professionnel et le Syndicat des joueurs professionnels de football, publiée le 8 septembre 1999, se lit comme suit :

      « 1. Sans préjudice de [la question de] l’extinction du lien contractuel dans le cadre des relations de travail, la participation d’un joueur à des compétitions officielles au service d’un club tiers durant la même saison que celle où le contrat de travail sportif a été résilié à son initiative est subordonnée à la reconnaissance d’un motif légitime de résiliation ou à l’accord du club.

      (...) »

      EN DROIT

      42.  La requérante dénonce la violation de l’article 6 § 1 de la Convention sur le terrain de l’équité du procès, de l’accès au juge, et de la durée de la procédure.

      I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION PAR MANQUE D’ÉQUITÉ DE LA PROCÉDURE

      43.  La requérante se plaint d’un manque d’équité de la procédure à plusieurs égards. Elle dénonce ainsi sur le terrain de l’article 6 de la Convention :

      -  le défaut de notification de certaines pièces versées au dossier ;

      -  le fait que l’affaire ait été tranchée sur la base de motifs soulevés d’office et non discutés par les parties ;

      -  le manque d’impartialité de la formation du Tribunal constitutionnel.

      Dans ses parties pertinentes, l’article 6 § 1 de la Convention est libellé comme suit :

      « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) impartial (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

      44.  Le Gouvernement conteste les vues de la requérante.

      A.  Sur la recevabilité

      45.  La Cour constate que les présents griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Partant, il y a lieu de les déclarer recevables.

      B.  Sur le fond

      1.  Sur l’absence de notification de certains éléments du dossier

      46.  La requérante se plaint d’abord de ne pas avoir reçu notification de l’ordonnance du 3 mai 2006, d’une part, et d’un mémoire en réponse de la partie adverse, d’autre part.

      S’agissant de la non-communication de l’ordonnance du 3 mai 2006, rendue par le juge rapporteur à la Cour suprême, la requérante allègue :

      -  que dans la mesure où elle soulevait dans ses observations deux exceptions portant sur la recevabilité du pourvoi per saltum devant la Cour suprême, et où l’ordonnance jugeait au contraire le pourvoi recevable, elle avait un intérêt évident à en recevoir communication pour pouvoir alors l’attaquer devant la section sociale de la Cour suprême ;

      -  qu’on ne saurait considérer comme ayant valablement pallié cette carence l’allusion indirecte qui fut faite à ladite ordonnance dans un avis du ministère public.

      S’agissant de la non-communication du mémoire en réponse de la partie adverse à sa demande en nullité du 9 février 2010, la requérante estime que la Cour suprême l’a privée de la possibilité, qui est un droit pour tout justiciable, de répondre à tous les arguments présentés par la partie adverse en vue d’influencer la décision du tribunal saisi.

      47.  Le Gouvernement reconnaît que l’ordonnance du 3 mai 2006 du juge rapporteur à la Cour suprême n’a pas été notifiée à la requérante et que, par conséquent, celle-ci a été privée de la possibilité de l’attaquer devant la formation collégiale, ce qui constituait a priori une cause de nullité.

      Pour lui, toutefois, ce vice de procédure potentiel a été purgé par la circonstance que la requérante a le 5 septembre 2006 reçu notification d’un avis du ministère public où celui-ci mentionnait expressément l’admission le 3 mai 2006 du pourvoi per saltum devant la Cour suprême, sans former dans les dix jours une réclamation en nullité, comme le lui permettait l’article 205 § 1 du code de procédure civile.

      48.  Le Gouvernement reconnaît également que le mémoire en réponse de la partie adverse à sa demande en nullité du 9 février 2010 n’a pas été notifié à la requérante. Il estime néanmoins :

      -  que la requérante n’avait pas la possibilité légale de répondre à ce mémoire, de sorte que l’omission de cette notification ne créait aucune nullité selon l’article 201 § 1 du code de procédure civile ;

      -  qu’au demeurant, la requérante avait anticipé le contenu de ce mémoire, en répondant par avance aux arguments adverses à ce sujet dans ses observations déjà produites.

      49.  La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle la notion de procès équitable implique en principe le droit pour les parties de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge, en vue d’influencer sa décision, et de la discuter (voir Lobo Machado c. Portugal, 20 février 1996, § 31, Recueil des arrêts et décisions 1996-I ; Vermeulen c. Belgique, 20 février 1996, § 33, Recueil 1996-I ; Nideröst-Huber c. Suisse, 18 février 1997, §§ 23-24, Recueil 1997-I ; et Novo et Silva c. Portugal, no 53615/08, § 54, 25 septembre 2012).

      50.  Ce principe vaut pour les observations et pièces présentées par les parties, mais aussi pour celles présentées par un magistrat indépendant (tel le commissaire du gouvernement - aujourd’hui le « rapporteur public » - : Kress c. France [GC], no 39594/98, CEDH 2001-VI), par une administration tierce (Krčmář et autres c. République tchèque, no 35376/97, 3 mars 2000) ou encore par la juridiction auteur du jugement attaqué (Nideröst-Huber, précité).

      51.  La Cour rappelle que c’est aux seules parties au litige qu’il appartient d’apprécier si un document appelle des commentaires, peu important l’effet réel des observations sur la décision du tribunal (Walston c. Norvège, no 37372/97, § 58, 3 juin 2003 ; et Ziegler c. Suisse, no 33499/96, § 38, 21 février 2012). Il y va notamment de la confiance des justiciables dans le fonctionnement de la justice : celle-ci se nourrit, entre autres, de l’assurance d’avoir pu s’exprimer sur toute pièce au dossier (Nideröst-Huber, précité, §§ 27 et 29 ; H.A.L. c. Finlande, no 38267/97, §§ 44-47, 7 juillet 2004 ; et Ferreira Alves c. Portugal (no 3), no 25053/05, § 41, 21 juin 2007).

      52.  La Cour rappelle, toutefois, que le droit à une procédure contradictoire ne revêt pas un caractère absolu et son étendue peut varier en fonction notamment des spécificités de la procédure en cause. Dans quelques affaires aux circonstances très particulières, la Cour a estimé, par exemple, que la non-communication d’une pièce de la procédure et l’impossibilité pour le requérant de la discuter n’avaient pas porté atteinte à l’équité de la procédure, dans la mesure où l’exercice de cette faculté n’aurait eu aucune incidence sur l’issue du litige et où la solution juridique retenue ne prêtait guère à discussion (Stepinska c. France, no 1814/02, § 18, 15 juin 2004 ; Salé c. France, no 39765/04, § 19, 21 mars 2006 ; Verdú Verdú c. Espagne, no 43432/02, § 28, 15 février 2007 ; et Čepek c. République tchèque, no 9815/10, § 46, 5 septembre 2013).

      53.  En l’espèce, la Cour observe que la requérante n’a pu avoir connaissance de l’ordonnance du 3 mai 2006 que le 5 septembre 2006, ce qui l’a mise dans l’impossibilité de l’attaquer devant la formation collégiale de la Cour suprême. Or, la question de la recevabilité du recours per saltum devant la section sociale de la Cour suprême pouvait effectivement prêter à controverse. La Cour accepte néanmoins l’argument du Gouvernement selon lequel cette carence a été purgée par le fait que la requérante, ayant eu connaissance de l’ordonnance du 3 mai 2006 par le biais de l’avis du ministère public du 5 septembre 2006, n’a pas réagi à ladite ordonnance dans le délai imparti de dix jours à compter de la date à laquelle elle en a été effectivement informée.

      54.  S’agissant de l’absence de notification à la requérante du mémoire en réponse de la partie adverse sur sa demande en nullité du 9 février 2010, la Cour note avec le Gouvernement que la requérante n’avait pas la faculté procédurale d’y répondre. Elle relève d’ailleurs que l’intéressée n’a, quant à elle, pas pu démontrer qu’elle aurait pu apporter, en réplique audit mémoire, des éléments nouveaux et pertinents pour l’examen de la cause. Elle observe en effet et en tout état de cause que la requérante avait anticipé le contenu dudit mémoire, ses écrits versés au dossier incluant par avance les éléments potentiellement utiles à cet égard. Par conséquent, le défaut de communication de cette pièce produite par la partie adverse n’a eu aucune incidence sur l’issue de la procédure.

      55.  Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention sous l’angle de l’absence de notification du dépôt au dossier des deux pièces susmentionnées.

      2.  Sur l’absence de communication aux parties des moyens soulevés d’office

      56.  La requérante reproche à la Cour suprême d’avoir fondé son arrêt du 7 mars 2007 sur un motif soulevé d’office sans lui en avoir au préalable donné communication, et de l’avoir ainsi privée de la possibilité de formuler ses observations sur la question.

      57.  Le Gouvernement conteste cette thèse. Compte tenu de l’étendue des motifs d’inconstitutionnalité soulevés par la partie adverse, il estime que le fait que la Cour suprême ait retenu l’inconstitutionnalité au titre de la compétence, et non de la violation au fond d’une disposition de la Constitution, n’a pas pris la requérante au dépourvu.

      58.  La Cour rappelle que le juge doit lui-même respecter le principe du contradictoire, notamment lorsqu’il tranche un litige sur la base d’un motif ou d’une exception soulevés d’office (voir, mutatis mutandis, Skondrianos c. Grèce, nos 63000/00, 74291/01 et 74292/01, §§ 29-30, 18 décembre 2003 ; Clinique des Acacias et autres c. France, nos 65399/01, 65406/01, 65405/01 et 65407/01, § 38, 13 octobre 2005 ; Prikyan et Angelova c. Bulgarie, no 44624/98, § 42, 16 février 2006 ; Amirov c. Arménie (déc.), no 25512/06, 18 janvier 2011 ; et Čepek, précité, § 45).

      59.  À ce sujet, la Cour rappelle que l’élément déterminant est la question de savoir si la requérante a été « prise au dépourvu » par le fait que le tribunal a fondé sa décision sur un motif relevé d’office (Villnow c. Belgique (déc.), no 16938/05, 29 janvier 2008 ; et Clinique des Acacias et autres, précité, § 43). Une diligence particulière s’impose au tribunal lorsque le litige prend une tournure inattendue, d’autant plus s’il s’agit d’une question laissée à sa discrétion. Le principe du contradictoire commande que les tribunaux ne fondent pas leurs décisions sur des éléments de fait ou de droit qui n’ont pas été discutés durant la procédure et qui donnent au litige une tournure que même une partie diligente n’aurait pas été en mesure d’anticiper (Čepek, précité, § 48).

      60.  En l’espèce, la Cour suprême a fait usage de son droit incontesté de soulever d’office un motif de pur droit, comme le lui permettait l’article 664 du code de procédure civile, pour retenir une inconstitutionnalité de nature organique (c’est-à-dire, tenant à la compétence). Le seul problème réside dans la non-communication de cette intention à la requérante.

      61.  La Cour constate que, lorsque la possibilité d’une substitution de motifs a été envisagée par la Cour suprême, la requérante n’en a pas été dûment informée. Elle n’a donc pas pu déposer un mémoire complémentaire pour y répondre (voir, a contrario, Andret et autres c. France (déc.), no 1956/02, 25 mai 2004).

      Pour le Gouvernement, la circonstance que le moyen retenu n’ait pas été soumis à la contradiction peut se justifier par l’idée que celui-ci faisait déjà partie du débat, au vu de l’ampleur de la question d’inconstitutionnalité soulevée.

      La Cour observe que la question d’une inconstitutionnalité en raison de la compétence (inconstitutionnalité « organique ») n’avait jamais été discutée au cours de la procédure avant l’arrêt du 7 mars 2007. Elle considère par conséquent que même si un avocat averti pouvait envisager la possibilité pour la Cour suprême d’appréhender l’affaire sous cet angle, il pouvait légitimement s’attendre à être, en pareil cas, explicitement invité à prendre position sur ce point, conformément à l’article 3 § 3 du code de procédure civile ; et cela d’autant plus lorsque, comme en l’espèce, l’enjeu de l’affaire n’était pas négligeable et la question pouvait prêter à controverse (Clinique des Acacias et autres, précité, § 41).

      62.  En l’occurrence, force est de conclure que l’absence de notification à la requérante de la substitution de motifs envisagée par la Cour suprême l’a « prise au dépourvu » (Clinique des Acacias et autres, précité, § 43). Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention sur ce point.

      3.  Sur le défaut allégué d’impartialité de la formation du Tribunal constitutionnel

      63.  La requérante se plaint du fait que le juge C.A.F.C. ait siégé dans la formation du Tribunal constitutionnel qui a confirmé l’arrêt de la Cour suprême du 12 juillet 2007. Elle entend souligner :

      -  que l’arrêt ainsi confirmé n’était lui-même que la confirmation de l’arrêt de la Cour suprême du 7 mars 2007, signé par le juge C.A.F.C. ;

      -  que le rôle du juge C.A.F.C. au sein du Tribunal constitutionnel a été primordial, puisqu’il a départagé les voix de la formation de jugement, dont il était par ailleurs le rapporteur.

      64.  Le Gouvernement conteste ces vues. Rappelant que le juge C.A.F.C. n’est pas intervenu dans le cadre de l’arrêt de la Cour suprême du 12 juillet 2007, il explique qu’en outre, les questions examinées par le juge C.A.F.C. dans chacune de ses interventions étaient parfaitement distinctes, en ce que :

      -  à la Cour suprême, l’arrêt du 7 mars 2007 s’était prononcé sur le fond de l’affaire ;

      -  au Tribunal constitutionnel, le recours en inconstitutionnalité concernait seulement l’éventuelle violation du principe du contradictoire en raison du fait que la Cour suprême avait retenu une inconstitutionnalité tenant à la compétence et non une inconstitutionnalité « matérielle ».

      65.  La Cour rappelle que l’impartialité au sens de l’article 6 § 1 de la Convention s’apprécie selon une double démarche : la première consiste à essayer de déterminer la conviction personnelle de tel ou tel juge en telle occasion ; la seconde à s’assurer qu’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (Gautrin et autres c. France, 20 mai 1998, § 58, Recueil 1998-III).

      66.  Quant à la première démarche, l’impartialité personnelle d’un magistrat se présume jusqu’à preuve du contraire (voir, par exemple, Padovani c. Italie, 26 février 1993, § 26, série A no 257-B).

      67.  Quant à la seconde démarche, elle conduit à se demander, lorsqu’une juridiction collégiale est en cause, si certains faits vérifiables autorisent à mettre en question l’impartialité de celle-ci, indépendamment de l’attitude personnelle de tel ou tel de ses membres. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance. Il en résulte que, pour se prononcer sur l’existence, dans une espèce donnée, d’une raison légitime de craindre d’une juridiction un défaut d’impartialité, le point de vue de l’intéressé entre en ligne de compte, sans jouer un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions de celui-ci peuvent passer pour objectivement justifiées (Gautrin et autres, précité).

      68.  La question qui se pose est donc celle de savoir si, compte tenu de la nature et de l’étendue du contrôle juridictionnel antérieurement dévolu à la Cour suprême dans le cadre du recours formé contre l’arrêt au fond, la composition de la formation de jugement du Tribunal constitutionnel a pu légitimement donner à craindre de la part de celui-ci un parti pris quant à la décision à rendre ensuite lors du recours en inconstitutionnalité.

      69.  Pour se prononcer sur l’existence d’une raison légitime de douter de l’impartialité d’une juridiction, le point essentiel est de savoir si les questions que les juges ont eu à traiter à l’occasion du second examen de l’affaire étaient analogues à celles sur lesquelles ils avaient eu à statuer lors du premier (voir, mutatis mutandis, Saraiva de Carvalho c. Portugal, 22 avril 1994, § 38, série A no 286-B ; et Morel c. France, no 34130/96, § 47, CEDH 2000-VI). Pour qu’un préjugé ait pu se créer, il faut d’une part une identité des faits dont le juge mis en cause a eu successivement à connaître et, d’autre part, que celui-ci ait eu à répondre à la même question ou, du moins, que l’écart entre les questions qu’il a eu à trancher soit infime (Hauschildt c. Danemark, 24 mai 1989, § 52, série A no 154).

      70.  La Cour a déjà conclu à la violation du droit à un tribunal impartial dans un certain nombre d’affaires en prenant en considération à la fois la proportion élevée de magistrats concernés et les fonctions de président ou de rapporteur exercées par ces derniers au sein de la formation collégiale (Castillo Algar c. Espagne, 28 octobre 1998, §§ 41 à 53, Recueil 1998-VIII ; Perote Pellon c. Espagne, no 45238/99, § 50 in fine, 25 juillet 2002 ; Olujić c. Croatie, no 22330/05, § 67, 5 février 2009 ; et Cardona Serrat c. Espagne, no 38715/06, § 37, 26 octobre 2010).

      71.  En l’espèce, la Cour note qu’un des cinq membres de la formation de jugement du Tribunal constitutionnel, le juge C.A.F.C., avait déjà eu à statuer sur l’affaire de la requérante au sein de la section sociale de la Cour suprême. Comme l’a reconnu le Gouvernement, elle note également que ledit juge est, au Tribunal constitutionnel, intervenu en qualité de « deuxième rapporteur », remplaçant le rapporteur initial, compte tenu du fait que la proposition de celui-ci n’avait pas été approuvée par la troisième chambre du Tribunal constitutionnel (paragraphe 23 ci-dessus).

      72.  Quant aux questions que les juges ont eu à traiter, la Cour relève que les questions posées aux juges devant l’une et l’autre des juridictions en cause se présentaient comme suit :

      -  la section sociale de la Cour suprême, d’abord, avait eu à se prononcer sur la validité de certaines clauses d’une convention collective signée par la requérante, et avait notamment retenu à cet égard la violation des règles constitutionnelles établissant la compétence réservée du parlement national (empiétement sur la « réserve de loi ») ;

      -  le Tribunal constitutionnel, ensuite, était appelé à déterminer si l’absence d’audition de la requérante sur ce dernier point avait méconnu le principe du contradictoire.

      73.  La Cour rappelle que la compatibilité avec l’exigence d’impartialité énoncée à l’article 6 § 1 de la participation d’un même juge aux différents stades du jugement d’une affaire civile doit s’apprécier au cas par cas, en fonction des circonstances propres à chaque affaire.

      Dans le cas d’espèce, en dépit du nombre réduit de juges concernés (un sur cinq), considérant d’une part le fait que le juge en cause était le rapporteur au Tribunal constitutionnel et d’autre part l’étroite relation entre les questions traitées devant les deux juridictions, la Cour estime que les doutes émis par la requérante à l’égard de l’impartialité de la formation du Tribunal constitutionnel sont objectivement justifiés.

      74.  Dès lors, la Cour estime qu’en l’espèce il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du défaut d’impartialité de la formation de jugement du Tribunal constitutionnel.

      II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION SOUS L’ANGLE DE L’ACCÈS À UN TRIBUNAL

      75.  La requérante considère que l’imposition de frais de justice excessifs par le Tribunal constitutionnel doit être regardée comme une violation de son droit d’accès à un tribunal. Elle expose :

      -  que les décisions sur les frais n’étaient pas suffisamment motivées ;

      -  que les montants fixés étaient disproportionnés ;

      -  que le but poursuivi, à savoir celui de dissuader les justiciables d’ester devant le Tribunal constitutionnel, était illégitime.

      76.  Le Gouvernement conteste ces dires. Il rappelle que les frais de justice sont versés par la partie dont les prétentions ont été rejetées, et que leur montant est fixé en prenant en compte la complexité de l’affaire, son enjeu et la conduite du justiciable. À ses yeux, le montant des frais de justice devant le Tribunal constitutionnel reflète simplement le comportement procédurier de la requérante et il n’est pas disproportionné ni d’une quelconque autre manière excessif.

      77.  La Cour relève que le présent grief est lié à ceux examinés plus haut et considère qu’il doit donc être déclaré recevable.

      78.  L’article 6 § 1 garantit à chacun le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. Il consacre de la sorte le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir le tribunal en matière civile, ne constitue qu’un aspect. Toutefois, le « droit à un tribunal » n’est pas absolu. Il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État. Si les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation en la matière, il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention (voir Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, série A no 18, §§ 34 in fine et 35-36 ; Z. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 29392/95, §§ 91-93, CEDH 2001-V ; et Stankov c. Bulgarie, no 68490/01, § 50, 12 juillet 2007).

      79.  La Cour rappelle que l’obligation pouvant être faite aux justiciables devant les juridictions civiles de payer des frais afférents aux demandes dont elles ont à connaître ne saurait passer pour une restriction au droit d’accès à un tribunal incompatible en soi avec l’article 6 § 1 de la Convention. Toutefois, le montant des frais, apprécié à la lumière des circonstances particulières d’une affaire donnée, est un facteur à prendre en compte pour déterminer si l’intéressé a bénéficié de son droit d’accès (Tolstoy-Miloslavsky c. Royaume-Uni, 13 juillet 1995, §§ 61 et suiv., série A no 316-B ; Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, 19 décembre 1997, § 33, Recueil 1997-VIII ; et Kreuz c. Pologne, no 28249/95, § 60, CEDH 2001-VI).

      80.  Par ailleurs, la Cour rappelle que si l’article 6 § 1 oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, l’étendue de ce devoir peut varier selon la nature de la décision et doit s’analyser à la lumière des circonstances de chaque espèce (Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, § 29, série A no 303-A).

      81.  En l’espèce, la Cour constate que les juridictions internes ont débouté la requérante de ses prétentions. Contrairement à d’autres affaires portées devant la Cour dans lesquelles était en cause le caractère excessif de certains frais de procédure - et où, faute de pouvoir acquitter les frais en question, les requérants n’avaient pas eu « accès » à un tribunal ou à telle ou telle voie de recours (voir, parmi beaucoup d’autres, Weissman et autres c. Roumanie, no 63945/00, § 42, CEDH 2006-VII (extraits) ; et Teltronic-CATV c. Pologne, no 48140/99, 10 janvier 2006) -, le paiement des frais exigibles ne constituait pas une condition préalable à l’examen du recours exercé par l’intéressée dans la présente affaire. La requérante a eu « accès » à toutes les phases de la procédure, et les juridictions saisies ont statué sur le fond de ses demandes par des décisions obligatoires. Le montant des frais de justice devant le Tribunal constitutionnel a été déterminé à l’issue de la procédure et le paiement n’en a été exigé qu’après que les décisions rendues dans cette affaire eurent acquis force de chose jugée (Stankov, précité, § 53).

      En outre, rien ne démontre en l’espèce une situation de vulnérabilité financière particulière de la requérante.

      S’agissant des normes régissant les frais de justice, la Cour relève enfin que le but de décourager les actions frivoles peut s’inscrire dans la préoccupation d’une bonne administration de la justice.

      82.  Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention sous l’angle du défaut d’accès à un tribunal.

      III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION EN RAISON DE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE

      83.  La requérante allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

      « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

      84.  La Cour constate que le présent grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Partant, il y a lieu de le déclarer recevable.

      A.  Sur la période à prendre en considération

      85.  La requérante compte la durée de la procédure à partir du 25 mars 2002, date à laquelle fut introduite l’action en nullité à son encontre.

      86.  Le Gouvernement ne présente pas d’observations sur ce point.

      87.  La Cour rappelle que le « délai raisonnable » prévu par l’article 6 § 1 de la Convention a d’ordinaire pour point de départ en matière civile la saisine du tribunal (Deumeland c. Allemagne, 29 mai 1986, § 77, série A no 100).

      88.  S’agissant toutefois d’une requérante qui était en position de défendeur sur le fond du litige - en l’occurrence, l’action en nullité -, le point de départ de la période à prendre en considération est la date de son invitation à présenter ses observations sur ladite action, soit le 15 mai 2002 (Alves Ferreira c. Portugal, no 30358/08, § 33, 27 mai 2010). Ayant pris fin le 15 décembre 2011, la procédure a donc duré neuf ans et sept mois pour trois degrés de juridiction.

      B.  Sur le caractère raisonnable de la durée de la procédure

      89.  Le Gouvernement reconnaît qu’à première vue la durée de la procédure peut paraître excessive, eu égard notamment aux dates respectives du jugement de première instance et du premier arrêt du Tribunal constitutionnel. Mais il entend faire observer que la requérante a grandement contribué à son allongement. Il souligne ainsi :

      -  que la requérante a élevé plusieurs réclamations en nullité et autres demandes en vue d’éviter le passage en force de chose jugée de l’arrêt prononcé le 7 mars 2007 par la Cour suprême ;

      -  qu’elle a amené par une conduite identique le Tribunal constitutionnel à rendre six arrêts et trois décisions dans le cadre de la procédure.

      90.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

      91.  La Cour rappelle que seules des lenteurs imputables à l’État peuvent amener à conclure à l’inobservation du « délai raisonnable » (voir H. c. France, 24 octobre 1989, § 55, série A no 162 ; Proszak c. Pologne, 16 décembre 1997, § 40, Recueil 1997-VIII ; et Humen c. Pologne [GC], no 26614/95, § 66, 15 octobre 1999).

      92.  En l’espèce, la Cour estime que l’affaire présentait une complexité particulière, compte tenu également des recours et des demandes en nullité présentés. Elle constate à ce sujet, avec le Gouvernement, que le Tribunal constitutionnel a notamment rendu six arrêts dans le cadre de la procédure.

      93.  S’agissant du comportement de la requérante, la Cour estime tout d’abord qu’on ne saurait reprocher à celle-ci d’avoir fait usage des divers recours et autres possibilités procédurales que lui ouvrait le droit interne. Cependant, son comportement constitue un élément objectif, non imputable à l’État défendeur, qui entre en ligne de compte pour déterminer s’il y a eu ou non dépassement du délai raisonnable de l’article 6 § 1 (Wiesinger c. Autriche, 30 octobre 1991, § 57, série A no. 213 ; Erkner et Hofauer c. Autriche, 23 avril 1987, § 68, série A no 117; et Castro Ferreira Leite c. Portugal, no 19881/06, § 43, 1er décembre 2009).

      94.  La Cour relève que sur l’ensemble des trois degrés de juridiction la requérante a formé pas moins de :

      -  trois recours en inconstitutionnalité ;

      -  trois demandes en nullité  contre les décisions et arrêts rendus ;

      -  quatre réclamations en révision contre ces décisions ;

      -  trois réclamations diverses portant notamment sur les frais de justice et la compétence des juridictions.

      En l’espèce, force est de conclure que le comportement de la requérante a effectivement provoqué un certain allongement de la procédure litigieuse (Castro Ferreira Leite, précité, § 43).

      95.  S’agissant de l’efficience des juridictions, la Cour relève des périodes de lenteur imputables aux autorités nationales. Ainsi la durée de l’instance a été de :

      -  3 ans et 6 mois pour le jugement du tribunal du travail de Lisbonne ;

      -  1 an et 4 mois pour l’ordonnance du Tribunal constitutionnel du 24 novembre 2008 et ensuite 1 an et deux mois pour le premier arrêt du Tribunal constitutionnel.

      La Cour rappelle à cet égard que l’article 6 § 1 de la Convention oblige les États contractants à organiser leur système judiciaire de telle sorte que les cours et tribunaux puissent remplir chacune de ses exigences, y compris l’obligation de trancher les causes dans des délais raisonnables (voir, parmi beaucoup d’autres, Duclos c. France, 17 décembre 1996, § 55 in fine, Recueil 1996-VI ; et Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 74, CEDH 1999-II). En l’espèce, la procédure fait apparaître des retards excessifs, qui sont imputables aux autorités nationales.

      96.  Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée excessive de la procédure.

      IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

      97.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

      « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

      A.  Dommage

      98.  La requérante réclame les sommes suivantes :

      -  40 000 EUR au titre du préjudice matériel qu’elle aurait subi en raison de la violation de son droit à un procès équitable ;

      -  15 000 EUR pour préjudice moral.

      99.  Le Gouvernement conteste ces prétentions, ne voyant aucun lien de causalité entre les préjudices allégués et les violations constatées.

      100.  La Cour note qu’en l’espèce, la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable au titre du préjudice matériel réside dans le fait que la requérante n’a pas bénéficié des garanties d’un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

      Or, la Cour estime qu’on ne saurait spéculer sur le résultat auquel la procédure devant la Cour suprême et le Tribunal constitutionnel aurait abouti si les infractions à la Convention n’avaient pas eu lieu. Il n’y a donc pas lieu d’accorder à la requérante une indemnité au titre du préjudice matériel.

      Quant au préjudice moral, la Cour estime que la requérante a sans nul doute subi des désagréments du fait du défaut d’équité et de la durée de la procédure. Elle rappelle à cet égard que la possibilité de subir un préjudice moral méritant réparation ne concerne pas exclusivement les personnes physiques (Parti de la liberté et de la démocratie (ÖZDEP) c. Turquie [GC], no 23885/94, § 57, CEDH 1999-VIII ; et Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], no 35382/97, § 35, CEDH 2000-IV). Statuant en équité, elle considère qu’il convient d’allouer à la requérante 3 750 EUR à ce titre.

      B.  Frais et dépens

      101.  La requérante demande également 8 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 5 500 EUR pour ceux engagés devant la Cour.

      102.  Le Gouvernement s’oppose à ces prétentions.

      103.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 4 000 EUR tous frais confondus et l’accorde à la requérante.

      C.  Intérêts moratoires

      104.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

      PAR CES MOTIFS, LA COUR

      1.  Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

       

      2.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne l’absence de communication de certains éléments du dossier à la requérante ;

       

      3.  Dit, par cinq voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du fait que l’affaire a été tranchée sur la base de motifs non soumis à la discussion des parties ;

       

      4.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du défaut d’impartialité de la formation de jugement du Tribunal constitutionnel ;

       

      5.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention sous l’angle du défaut d’accès à un tribunal ;

       

      6.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée excessive de la procédure ;

       

      7.  Dit, à l’unanimité,

      a)  que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

      i)  3 750 EUR (trois mille sept cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

      ii)  4 000 EUR (quatre mille euros), plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

      b)  qu’à compter de l’expiration de ce délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

       

      8.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

      Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 mai 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

        Marialena Tsirli                                                                        András Sajó
             Greffière                                                                                Président

      Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées des juges Wojtyczek et Motoc.

      A.S.
      M.T.


      OPINION EN PARTIE DISSIDENTE
      DU JUGE WOJTYCZEK

      1.  Pour la majorité, dans la présente affaire, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et les libertés fondamentales en raison du fait que l’affaire a été tranchée sur la base de motifs non soumis à la discussion des parties. Je ne suis pas d’accord avec ce point du dispositif.

      2.  La présente affaire soulève un problème crucial concernant le modèle de procédure civile dans les États parties à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il s’agit de l’étendue de l’obligation du juge civil de soumettre au débat contradictoire des questions de droit.

      La procédure civile dans de nombreux systèmes juridiques est fondée sur deux principes fondamentaux : da mihi facti, dabo tibi ius et curia novit iura (voir mon opinion dissidente dans l’affaire Alexe c. Roumanie, no 66522/09, 3 mai 2016). Le but immédiat de la procédure civile est d’établir les faits pertinents de manière à permettre au juge d’appliquer la règle de droit générale au cas d’espèce et d’en tirer les conséquences individuelles. Le juge doit prendre sa décision sur le fondement des preuves discutées par les deux parties.

      En principe la procédure civile n’a pas pour but d’établir le contenu des règles de droit applicables. Toutefois, les parties peuvent toujours développer une argumentation en vue de défendre une interprétation du droit favorable à leurs intérêts.

      Il faut aussi souligner ici les obligations des avocats représentant les parties. Ceux-ci sont tenus notamment de conseiller les parties sur les questions de droit, de présenter les preuves permettant d’établir les éléments factuels pertinents et, le cas échéant, de développer des arguments portant sur le ou les points de droit en cause.

      En même temps, il faut noter que les faits pertinents sont établis en fonction des règles de droit applicables. Les controverses sur des questions de droit peuvent donc avoir des conséquences directes pour l’identification des éléments factuels pertinents à établir. La détermination du droit applicable peut avoir des incidences sur les preuves que doivent apporter les parties pour établir les faits pertinents.

      Les parties à la procédure civile élaborent leur stratégie en fonction du droit applicable pour établir les éléments factuels pertinents sur lesquels sont fondées leurs prétentions. Le juge ne doit donc pas prendre les parties au dépourvu en appliquant une règle de droit qui n’a pas été invoquée par les parties si, au regard de cette règle, doivent être établis des éléments factuels différents de ceux pris en compte par les parties.

      3.  La majorité cite un certain nombre d’arrêts de la Cour qu’elle estime pertinents pour la présente affaire. Il faut dire d’emblée qu’un certain nombre d’entre eux se rapportent à la procédure pénale, qui est très différente de la procédure civile. Les principes de justice procédurale établis par la Cour pour les besoins de la procédure pénale ne sont pas transposables directement à la procédure civile. Il convient donc de se référer uniquement aux arrêts concernant cette dernière.

      Parmi les arrêts concernant la question du débat contradictoire dans le procès civil, il faut citer ici en premier lieu les arrêts Clinique des Acacias et autres c. France (nos 65399/01, 65406/01, 65405/01 et 65407/01, 13 octobre 2005), et Čepek c. République tchèque (no 9815/10, 5 septembre 2013). Malheureusement la motivation de ces arrêts, comme celle d’autres arrêts concernant le principe contradictoire de la procédure civile, n’est pas suffisamment claire et précise, ce qui peut susciter des malentendus et induire en erreur aussi bien les autorités nationales que les citoyens.

      Selon la jurisprudence de la Cour, [l’]élément déterminant est donc la question de savoir si une partie a été « prise au dépourvu » par le fait que le tribunal a fondé sa décision sur un motif invoqué d’office (Clinique des Acacias c. France, précité, § 43). À mon avis, la question de savoir si les parties ont été prises au dépourvu doit s’apprécier dans le contexte de la dynamique de la procédure civile : il s’agit de déterminer si elles ont été prises au dépourvu dans le cadre de leur stratégie processuelle. En d’autres mots, le juge, de par son attitude, surprend les parties en invoquant une règle de droit au regard de laquelle il était nécessaire d’établir comme faits pertinents des éléments factuels auxquels les parties n’avaient pas pensé auparavant.

      Cette approche a été confirmée par l’arrêt Čepek c. République tchèque (précité, § 48). Dans cette dernière affaire, les parties ont été prises au dépourvu par l’application de la règle permettant de façon exceptionnelle de répartir les frais de procédure civile entre les deux parties en limitant les obligations de la partie perdante. De ce fait, le requérant a été privé de la possibilité d’établir certains faits pertinents et de se prononcer sur des faits justifiant une répartition des frais entre les deux parties.

      4.  Dans la présente affaire l’une des parties a contesté la constitutionalité de certaines clauses d’une convention collective de travail, en alléguant qu’elles enfreignaient la liberté du travail garantie par les articles 47 et 58 de la Constitution. Le tribunal du travail de Lisbonne a considéré que l’article 52 § 1 de la convention collective ne méconnaissait pas le droit au travail du joueur et que cette clause n’était pas incompatible avec les articles 47 et 58 de la Constitution. La Cour suprême, dans son arrêt du 7 mars 2007, a considéré que le droit au libre choix d’une profession et le droit de l’exercer étaient du ressort exclusif du législateur et que la clause en question empiétait sur la compétence du parlement. Pour établir si l’article 52 § 1 de la convention collective empiétait sur la compétence du parlement, la Cour suprême a dû examiner le contenu de cette disposition.

      Je constate que la question de la constitutionnalité de l’article 52 § 1 de la convention collective était bien l’objet du débat entre les parties. Aux termes de l’article 18 § 2 de la Constitution de la République du Portugal,

      « [l]a loi ne peut limiter les droits, libertés et garanties fondamentales, hormis dans les cas expressément prévus par la Constitution et pour la défense d’autres droits ou d’autres intérêts protégés par la Constitution. »

      Un texte qui limite les droits constitutionnels doit respecter en particulier la répartition des compétences entre le pouvoir règlementaire et le pouvoir législatif, le contenu essentiel des préceptes constitutionnel et le principe de proportionnalité. Pour décider si une disposition infra-législative enfreint ou non une liberté constitutionnelle il faut donc toujours en premier lieu vérifier si cette disposition est compatible avec la réserve de la loi (la compétence exclusive du législateur). La question du respect de la compétence du législateur constitue non seulement l’un des aspects essentiels de la constitutionnalité des textes qui touchent aux droits constitutionnels mais aussi celui dont l’examen a toujours lieu en premier. Un examen de la proportionnalité n’est nécessaire que dans les cas où la limitation examinée a un fondement législatif. Si une juridiction procède au contrôle de proportionnalité d’un texte normatif, ce contrôle se fonde en principe sur la présupposition implicite du respect de la compétence du législateur.

      Dans ces conditions, il est difficile d’admettre que l’examen de la question du respect de la réserve de la loi ait pu surprendre les parties, qui de surcroît étaient représentées par des professionnels. Ce contrôle s’imposait comme une évidence. Par ailleurs, on voit mal comment la décision de contrôler cet aspect de la constitutionnalité de la clause contestée ait pu affecter la stratégie processuelle de la requérante. De toute façon, elle n’a eu aucune influence sur les éléments factuels à établir.

      5.  Dans la présente affaire, il faut noter une disposition importante du droit national. Selon l’article 3 § 3 du code de procédure civile portugais,

      « [l]e juge est tenu de respecter et de faire appliquer, tout au long de la procédure, le principe du contradictoire. Il lui est interdit de trancher des questions de droit ou de fait sans avoir donné aux parties, à moins que ce ne soit manifestement inutile, la possibilité de se prononcer à leur égard, y compris pour celles dont le tribunal doit connaître d’office. »

      Il est possible que cette disposition du droit portugais, telle qu’interprétée par les juridictions nationales, ait été violée en espèce. Toutefois, cette obligation va bien au-delà des exigences de l’article 6 de la Convention. Dans beaucoup de systèmes juridiques, une telle obligation n’est pas prévue par le droit procédural.

      6.  L’approche adoptée par la majorité et consistant à reconnaître un champ d’application très large au principe du contradictoire aboutit à obliger le juge à consulter les parties sur tous les points de droit qui risquent de prêter à controverse dans son projet d’arrêt. Elle bouleverse, sans raison impérieuse, les traditions juridiques de beaucoup de Hautes Parties Contractantes, sans apporter une valeur ajoutée suffisante pour la protection des droits de l’homme.


       

      OPINION EN PARTIE DISSIDENTE
      DE LA JUGE MOTOC

      1.  Je suis en désaccord avec la Cour en ce qui concerne la violation de l’article 6 § 1, eu égard au non-respect du principe du contradictoire en l’espèce. À mon avis, cette affaire soulève une question majeure devant la Cour, à savoir celle des limites de l’approche que la doctrine appelle l’« activisme juridique » de la Cour, ainsi que la question de la marge d’appréciation et du dialogue avec les juges nationaux. Est-ce que ce type de raisonnement de la Cour, qui réduit la marge d’appréciation à un niveau proche de zéro, contribue à rendre notre Cour plus effective ? Est-ce que, avec ce type d’approche, l’expression « activisme juridique » ne risque pas de s’effacer comme le nom de l’homme sur le sable dans la métaphore utilisée par Michel Foucault dans « Les mots et les choses » pour décrire la fin de l’humanisme ?

      2.  La Cour estime que le principe du contradictoire n’a pas été respecté dans cette affaire : pour procéder de cette manière, elle infirme deux des décisions des plus hautes instances portugaises, celle de la Cour suprême et celle du Tribunal constitutionnel du Portugal. Ce dernier avait dit : « [U]n procès équitable requiert l’effectivité du droit à la défense au moyen de l’application des garanties d’une procédure contradictoire et de l’égalité des armes mais n’impose pas nécessairement un droit de participation active au procès à des conditions telles que toute solution à adopter par le juge doive être discutée au préalable avec les parties sous tous les angles juridiques possibles et devienne toujours une solution prévisible (...) de sorte qu’il ne saurait être question de considérer la violation nette du principe de prohibition de la décision inattendue (decisão surpresa) que lorsque se pose une nouvelle question de droit ou entre en jeu un cadre juridique distinct sur lequel les parties ne pourraient raisonnablement tabler » (arrêt du 13/1/2010). La Cour suprême qui se trouve contredite par cette décision avait constaté : « la violation des préceptes constitutionnels peut résulter tant d’une inconstitutionnalité matérielle que d’une inconstitutionnalité pour raison de compétence (...) ou d’une inconstitutionnalité formelle. En l’espèce, le demandeur n’a invoqué aucun de ces vices en particulier et ainsi nous considérons que la question soulevée par lui était susceptible d’englober ces trois aspects d’inconstitutionnalité ». Par conséquent, la Cour contredit aussi les deux cours portugaises sur la question sur laquelle la plainte initiale portait. En conformité avec son fameux adage, elle relève que les juridictions internes sont parvenues à une conclusion claire sur cette question après un examen attentif de l’ensemble des moyens soulevés devant elles. Elle rappelle, conformément à sa jurisprudence constante, qu’il n’entre pas dans ses attributions de substituer sa propre appréciation des faits à celle des juridictions internes (Elsholz c. Allemagne [GC], no 25735/94, § 66, CEDH 2000-VIII).

      3.  De plus, larrêt comporte une contradiction. Dune part, il naccepte pas la motivation du juge Carlos Alberto Fernandes Cadilha qui plaide que les deux choses sont différentes, mais la Cour le contredit quand elle les trouve similaires.

      4.  Les raisons qui motivent les États à ratifier les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme demeurent inexpliquées dans la science politique. De nombreuses explications provisoires pour les modèles d’engagement observés ont été proposés, concernant par exemple le caractère du régime politique de l’État (voir, par exemple, les travaux d’Andrew Moravcsik (The Origins of Human Rights Regimes: Democratic Delegation in Postwar Europe, 2000), ou les caractéristiques d’un traité et la façon dont ils divergent de la pratique d’un pays (Oona A. Hathaway, Why Do Countries Commit to Human Rights Treaties, 2007), et les objectifs de la politique étrangère d’un pays (Ryan Goodman, Human Rights Treaties, Invalid Reservations, and State Consent, 2000), d’où les dilemmes sur l’efficacité d’un traité.

      Il est certain que ce type d’arrêt ne contribue pas à l’efficacité de notre Convention ni à l’« activisme juridique » de la Cour.


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