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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> FARMAKIDOU v. GREECE - 34333/10 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (First Section Committee)) French Text [2016] ECHR 436 (19 May 2016)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/436.html
Cite as: [2016] ECHR 436

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      PREMIÈRE SECTION

       

       

       

       

       

       

      AFFAIRE FARMAKIDOU c. GRÈCE

       

      (Requête no 34333/10)

       

       

       

       

       

       

       

       

       

       

       

       

      ARRÊT

       

       

       

       

       

      STRASBOURG

       

      19 mai 2016

       

       

      Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


      En l’affaire Farmakidou c. Grèce,

      La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un Comité composé de :

                Ledi Bianku, président,
                Linos-Alexandre Sicilianos,
                Armen Harutyunyan, juges,
      et de Abel Campos, greffier de section,

      Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 avril 2016,

      Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

      PROCÉDURE

      1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 34333/10) dirigée contre la République hellénique et dont une ressortissante canadienne et grecque, Mme Anna Maria Farmakidou (« la requérante »), a saisi la Cour le 28 mai 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

      2.  La requérante a été représentée par Mes M. Naki Apostolou, V. Chirdaris, avocats au barreau d’Athènes et Me E. Kamitsi, avocate au barreau de Patras. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les déléguées de son agent, Mmes K. Nasopoulou et A. Dimitrakopoulou, asseusseures auprès du Conseil juridique de l’État.

      3.  Le 12 novembre 2014, le grief concernant la durée de deux procédures litigieuses a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du Règlement de la Cour.

      EN FAIT

      A.  Les circonstances de l’espèce

      4.  La requérante est née en 1954 et réside à P. Penteli.

      5.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

      6.  Le 30 mars 1976, « Ioniki et Laiki Banque de Grèce société anonyme » (ci-après « la banque ») émit une garantie bancaire (εγγυητική επιστολή) au bénéfice du devancier de la requérante, G.F.

      1.  Première procédure

      7.  Le 10 mars 1983, la banque obtint du tribunal de première instance (arrêt no 7195/1983) un ordre de paiement contre G.F. pour le remboursement d’une somme de 29 004 174 drachmes (85 118, 63 euros) au total.

      8.  Le 8 juin 1983, G.F. forma une opposition contre ledit ordre de paiement devant le tribunal de première instance.

      9.  L’audience initiale fut fixée au 1er février 1984, date à laquelle elle a été annulée.

      10.  Le 12 avril 1985, la banque demanda la fixation d’une date d’audience.

      11.  Une nouvelle audience fut fixée au 8 septembre 1985, date à laquelle elle a été reportée de nouveau.

      12.  L’audience fut fixée au 21 octobre 1987, après demande de la banque en date du 29 juillet 1987.

      13.  Le 2 novembre 1987, le tribunal de première instance rejeta l’opposition, car le requérant fut considéré comme ne s’étant pas présenté à l’audience, au motif que, bien qu’il y fut représenté par un avocat, il n’ait pas déposé de mémoire (προτάσεις) (jugement no 9187/1987).

      14.  Le 4 mars 1990, G.F. forma une opposition contre le jugement par défaut (ανακοπή ερημοδικίας).

      15.  À l’audience du 25 avril 1990, G. F ne comparut pas devant le tribunal.

      16.  Le 8 juin 1990, par une décision avant dire droit le tribunal de première instance ordonna la répétition de l’audience et la production de certains documents par la banque (décision no 3285/1990).

      17.  Le 17 juillet 1992, après la demande de fixation d’une date d’audience par la banque le 21 octobre 1991, le tribunal de première instance fit droit à l’opposition contre le jugement par défaut et renvoya l’affaire devant le Tribunal de grande instance, lequel était compétent en l’espèce (décision no 4588/1992).

      18.  Le 31 mars 1993, G.F. demanda la fixation d’une nouvelle date d’audience.

      19.  L’audience fut fixée, après un ajournement, au 19 janvier 1994.

      20.  Le 29 mars 1994, le Tribunal de grande instance rejeta l’opposition (jugement no 4320/1994).

      21.  Le 29 juillet 1997, G.F. décéda.

      22.  Le 20 septembre 2004, la requérante, s’étant substituée entretemps à son devancier, se pourvut en cassation contre le jugement no 4320/1994.

      23.  L’audience devant la Cour de cassation eut lieu au 22 février 2006.

      24.  Le 9 mai 2006, la Cour de cassation annula le jugement attaqué et renvoya l’affaire devant le tribunal de grande instance (arrêt no 901/2006).

      25.  Le 28 juin 2006, la requérante demanda la fixation d’une nouvelle date d’audience.

      26.  Le 6 septembre 2006, elle déposa son mémoire ampliatif (πρόσθετοι λόγοι).

      27.  L’audience fut fixée au 9 mai 2007 et elle fut reportée à cette date au 14 mai 2008.

      28.  Par sa décision no 6535/2008 du 10 octobre 2008, le tribunal de grande instance sursit à statuer jusqu’à ce que la Cour de cassation se prononce sur un pourvoi de la banque dans le cadre d’une seconde procédure concernant la même affaire (voir § 49 ci-dessous).

      29.  Le 4 février 2010, la requérante demanda la fixation d’une nouvelle date d’audience.

      30.  Le 20 avril 2011, le tribunal de grande instance fit droit à l’opposition de la requérante et annula l’ordre de paiement no 7195/1983 (jugement no 1824/2011).

      31.  Le 19 septembre 2011, la banque ALPHA, qui avait succédé entre-temps à la Banque « Ioniki et Laiki Banque de Grèce société anonyme », interjeta appel.

      32.  Le 22 novembre 2012, la Cour d’appel rejeta le recours comme infondé (arrêt no 5956/2012).

      2.  Seconde procédure

      33.  Le 29 mars 1990, la banque obtint du Tribunal de première instance (arrêt no 3221/1990), un ordre de paiement contre G.F., pour le remboursement d’une somme de 58 112 358 drachmes (170 542, 24 euros) au total.

      34.  Le 20 janvier 1992, G.F. forma une opposition devant le tribunal de grande instance contre ledit ordre.

      35.  Le 21 février 1992, G.F. déposa son mémoire ampliatif (πρόσθετοι λόγοι).

      36.  Le 2 septembre 1992, par une décision avant dire droit, ledit tribunal ordonna au G.F. la production à l’audience de tout élément de preuve susceptible d’étayer ses allégations (décision no 2982/1992).

      37.  Le 1er novembre 1993, G. P demanda la fixation d’une date pour l’audition des témoins.

      38.  Il ressort du dossier que l’audition des témoins n’ait pas eu lieu dans le délai imparti à cet effet.

      39.  Le 29 juillet 1997, G.F. décéda.

      40.  Le 24 février 2003, la requérante, qui s’était substituée entretemps à son devancier, demanda la fixation d’une nouvelle date d’audience, ainsi que d’un nouveau délai pour l’administration des preuves.

      41.  Le 19 mai 2004, par une décision avant dire droit le tribunal de grande instance fit droit à la demande de la requérante (décision n3089/2004).

      42.  Le 5 octobre 2004, la requérante demanda la fixation d’une nouvelle date d’audience.

      43.  L’audience fut fixée au 15 décembre 2004, date à laquelle elle fut reportée au 20 avril 2005.

      44.  Le 1er août 2005, le tribunal de grande instance annula partiellement l’ordre de paiement no 3221/1990 (jugement no 4892/2005).

      45.  Le 5 septembre 2005, la requérante interjeta appel contre ledit arrêt.

      46.  Le 14 mars 2006, la banque ALPHA, qui avait succédé entre-temps à la Banque « Ioniki et Laiki Banque de Grèce société anonyme », interjeta également appel contre ledit arrêt.

      47.  Le 30 juin 2006, la requérante déposa son mémoire ampliatif.

      48.  Le 31 janvier 2007, la Cour d’appel, statuant sur les deux recours, fit droit au recours de la requérante et annula le jugement attaqué. Statuant sur le fond, elle annula l’ordre de paiement (arrêt no 545/2007).

      49.  Le 22 avril 2007, la banque se pourvut en cassation.

      50.  Le 21 septembre 2009, eut lieu l’audience de la Cour de cassation, après deux ajournements d’office.

      51.  Le 25 novembre 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi (arrêt n2206/2009). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 15 décembre 2009.

      B.  Le droit interne pertinent

      La loi no 4239/2014

      52.  La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. La loi précitée introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable pour le préjudice moral causé par la prolongation injustifiée d’une procédure devant les juridictions civiles. L’article 3 § 1 dispose :

      « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) »

      EN DROIT

      I.  LA DÉCLARATION UNILATÉRALE DU GOUVERNEMENT DÉFENDEUR ET LA DEMANDE DE RAYER LA REQUÊTE DU RÔLE EN APPLICATION DE L’ARTICLE 37 DE LA CONVENTION

      53.  Le 14 septembre 2015, le Gouvernement a présenté une déclaration unilatérale et invité la Cour à rayer la requête du rôle en application de l’article 37 de la Convention.

      54.  La requérante a indiqué qu’elle n’était pas satisfaite des termes de la déclaration unilatérale, mettant en cause le montant du dédommagement proposé par le Gouvernement.

      55.  La Cour estime que, dans certaines circonstances, il peut être indiqué de rayer une requête du rôle en vertu de l’article 37 § 1 c) de la Convention sur la base d’une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur même si le requérant souhaite que l’examen de l’affaire se poursuive. Ce seront toutefois les circonstances particulières de la cause qui permettront de déterminer si la déclaration unilatérale offre une base suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de l’homme garantis par la Convention n’exige pas qu’elle poursuive l’examen de l’affaire (voir Tahsin Acar c. Turquie [GC], no 26307/95, § 75, CEDH 2004-III ; Melnic c. République de Moldova, no 6923/03, § 22, 14 novembre 2006).

      56.  La Cour rappelle en outre qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC] (satisfaction équitable), no 25701/94, § 72, 28 novembre 2002). La Cour a décidé que la même approche devait être suivie lorsqu’un Gouvernement cherche à obtenir la radiation du rôle d’une requête par le biais d’une déclaration unilatérale (Decev c. République de Moldova (no 2), no 7365/05, § 18, 24 février 2009).

      57.  La Cour a examiné les termes de la déclaration unilatérale du Gouvernement. À la lumière des circonstances particulières de l’affaire et en particulier du fait que le montant du dédommagement offert est considérablement inférieur aux sommes octroyées dans des affaires similaires, elle est d’avis que la déclaration n’offre pas une base suffisante pour considérer qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de l’affaire.

      58.  En conclusion, elle rejette la demande du Gouvernement tendant à la radiation de la requête no 77155/12 du rôle en vertu de l’article 37 § 1 c) de la Convention et va en conséquence poursuivre l’examen de la recevabilité et du fond de l’affaire.

      II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

      59.  La requérante allègue que la durée des procédures a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

      « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

      A.  Arguments des parties

      60.  Le Gouvernement procède à une analyse chronologique des procédures et excipe de la complexité et de leur connexité pour justifier leur durée. Il estime que des périodes d’inactivités considérables doivent être attribuées au devancier de la requérante, qui, après avoir saisi les juridictions internes, n’a pas fait preuve de la diligence requise. Il observe que les audiences devant les juridictions internes ont été fixées dans des délais raisonnables et qu’aucune période d’inactivité considérable ne saurait être attribuée aux autorités. Le Gouvernement considère que les seuls délais qui pourraient être attribués aux autorités sont ceux intervenus après la participation active de la requérante, en tant qu’héritière, dans les procédures litigieuses. 

      61. La requérante conteste la thèse du Gouvernement et estime que la durée des procédures litigieuses a été excessive.

      B.  Appréciation de la Cour

      1.  Première procédure

      a)  Sur la recevabilité

      62.  La Cour constate que ce grief tiré n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève également que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

      b)  Sur le fond

      i)  Période à prendre en considération

      63.  La période à considérer a débuté le 8 juin 1983, avec la saisine du tribunal de première instance par le devancier de la requérante et s’est terminée le 22 novembre 2012, date à laquelle la cour d’appel d’Athènes a rendu son arrêt no 5956/2012. Elle a donc duré vingt-neuf ans et cinq mois pour trois instances.

      ii)  Durée raisonnable de la procédure

      64.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement de la requérante et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Glykantzi c. Grèce, n40150/09, § 47, 30 octobre 2012).

      65.  La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Glykantzi c. Grèce, § 50, précité).

      66.  La Cour rappelle que la procédure devant les juridictions civiles est régie par le principe de l’initiative des parties. Par ailleurs, seules les lenteurs imputables aux autorités judiciaires compétentes peuvent amener à constater un dépassement du délai raisonnable contraire à la Convention. Cependant, même dans les systèmes juridiques consacrant le principe de la conduite du procès par les parties, l’attitude des intéressés ne dispense pas les juges d’assurer la célérité voulue par l’article 6 § 1 (Litoselitis c. Grèce, no 62771/00, § 30, 5 février 2004).

      67.  En l’espèce, la Cour note d’emblée que le comportement du devancier de la requérante a été à l’origine de retards considérables dans le déroulement de la procédure. Plus particulièrement, elle note que la procédure devant le tribunal de première instance, commencée le 8 juin 1983 avec l’introduction de l’opposition par G.F et terminée le 17 juillet 1992 avec la publication de la décision no 4588/1992, a duré plus de neuf ans. Compte tenu du fait que la date de l’audience devant ledit tribunal a été fixée à trois reprises suite aux demandes y relatives de la banque et que G. F ne s’est pas présenté devant ladite juridiction à deux reprises, la Cour estime que les retards y relatifs ne sauraient être attribués aux autorités judiciaires. D’ailleurs, la Cour relève qu’à chaque fois qu’une des parties demandait la fixation d’une nouvelle audience, le tribunal de première instance la fixait dans des délais raisonnables. En outre, le tribunal de grande instance s’est prononcé sur renvoi dans un délai d’un an à partir de la date de la demande de G. F tendant à la fixation d’une nouvelle date d’audience. De l’avis de la Cour un tel délai n’est pas déraisonnable.

      68.  Après le décès de G. F, la requérante n’a repris l’instance que le 20 septembre 2004, à savoir plus de sept ans après le décès de son devancier et plus de dix ans après le jugement du tribunal de grande instance, le 29 mars 1994. La Cour estime que ce délai de dix ans ne saurait être attribué aux autorités. Ainsi, la procédure restante s’est étalée du 20 septembre 2004, date à laquelle la requérante s’est pourvue en cassation au 22 novembre 2012, date à laquelle de l’arrêt de la cour d’appel no 5956/2012 a été publié, à savoir à une durée de huit ans et quatre mois pour trois instances. La Cour note que la requérante n’a pas manqué de diligence dans la conduite de la procédure en l’espèce. En outre, le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant justifier la durée de cette partie de la procédure qui demeure excessive.

      69.  Il s’ensuit que, même si de périodes d’inactivité considérables peuvent être attribuées au devancier de la requérante en ce qui concerne la partie de la procédure, à laquelle il était partie, et qu’un délai de plus de dix ans durant lequel l’affaire est restée pendante ne saurait être attribué aux autorités, la Cour note que la période restante demeure excessive. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse, qui s’est terminée plus de six mois avant la date de l’entrée en vigueur de la loi no 4239/2014 est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

      70.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

      2.  Seconde procédure

      a)  Sur la recevabilité

      71.  La Cour constate que ce grief tiré n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève également que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

      b)  Sur le fond

      i)  Période à prendre en considération

      72.  La période à considérer a commencé le 20 janvier 1992, avec l’opposition introduite par le devancier de la requérante devant le tribunal de grande instance et s’est terminée le 15 décembre 2009, date à laquelle l’arrêt no 2206/2009 de la Cour de cassation a été mis au net et certifié conforme. Elle a donc duré dix-sept ans et onze mois pour trois instances.

      ii)  Durée raisonnable de la procédure

      73.  En l’espèce, s’agissant de la procédure devant le tribunal de grande instance, engagée par le devancier de la requérante le 20 janvier 1992, la Cour observe que la décision avant dire droit n2982/1992 a été publiée dans huit mois après la saisine de ladite juridiction, à savoir dans un délai particulièrement bref. En outre, la Cour note que depuis la demande de G. F. pour l’audition des témoins, le 1er novembre 1993 et jusqu’à la reprise de l’instance par la requérante, le 24 février 2003, à savoir pour une durée de neuf ans et plus de trois mois, la conduite de l’instance a été abandonnée par G. F. et après son décès par la requérante. Pourtant, même en déduisant de la durée globale de la procédure en cause, les retards qu’a connus l’affaire devant le tribunal de grande instance et cette période d’inactivité attribuée à la requérante et son devancier, la durée restante de sept ans environ, à savoir du 24 février 2003 au 15 décembre 2009, pour trois instances demeure excessive. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

      74.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 de la Convention.

      III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

      75.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

      « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

      A.  Dommage

      76.  La requérante réclame 8 488 862,40 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et 100 833, 39 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’elle aurait subi. Elle demande que toute indemnité qui lui serait accordé soit versée directement sur le compte bancaire de sa représentante, Me Naki Apostolou.

      77.  Le Gouvernement conteste ces prétentions et considère qu’en tout état de cause un constant de violation constituerait en soi une satisfaction équitable. À titre subsidiaire, le Gouvernement estime que la somme à allouer à ce titre ne saurait dépasser 4 000 EUR.

      78.  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle estime qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 6 000 EUR au titre du préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû par elle à titre d’impôt à verser directement sur le compte bancaire de Me Naki Apostolou.

      B.  Frais et dépens

      79.  La requérante demande 92 123, 88 EUR pour les frais et dépens engagés les juridictions internes. Elle demande également 20 664 EUR pour ceux engagés devant la Cour, sans produire de facture y relative.

      80.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

      81.  La Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante, l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54 CEDH 2000 - XI).

      82.  En l’espèce, elle n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et les frais et dépens sollicités devant les juridictions internes et rejette cette demande. En ce qui concerne la demande relative aux frais et dépens engagés devant la Cour, compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence précitée, elle rejette cette demande.

      C.  Intérêts moratoires

      83.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

      PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

      1.  Déclare la requête recevable ;

       

      2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

       

      3.  Dit

      a)  que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, la somme de 6 000 EUR (six mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt, à verser directement sur le compte bancaire de sa représentante, Me Naki Apostolou ;

      b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

       

      4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

      Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 mai 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

          Abel Campos                                                                        Ledi Bianku
              Greffier                                                                              
      Président


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