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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> COMORASU v. ROMANIA - 16270/12 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Fourth Section)) French Text [2016] ECHR 472 (31 May 2016)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/472.html
Cite as: [2016] ECHR 472

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    QUATRIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE COMORAŞU c. ROUMANIE

     

    (Requête no 16270/12)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    31 mai 2016

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Comoraşu c. Roumanie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

              András Sajó, président,
              Vincent A. De Gaetano,
              Boštjan M. Zupančič,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Egidijus Kūris,
              Iulia Motoc,
              Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,
    et de Marialena Tsirli, greffière de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 mai 2016,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 16270/12) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Ilie Comoraşu (« le requérant »), a saisi la Cour le 5 mars 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le requérant a été représenté par Me I. Popa, avocat à Bacău. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

    3.  Le requérant allègue avoir été transporté et interné contre son gré, contrairement à l’article 5 de la Convention, à l’hôpital psychiatrique de Bacău où il a subi des traitements contraires à l’article 3 de la Convention et qu’aucune enquête effective n’a été effectuée en l’espèce.

    4.  Le 25 octobre 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  Le requérant est né en 1971 et réside à Prăjeşti.

    6.  À l’époque des faits, il travaillait en Belgique et exerçait également la fonction de conseiller communal de Prăjeşti où il habitait avec sa famille depuis plusieurs années. Le 20 décembre 2007, le requérant rentra de Belgique en Roumanie.

    A.  Les incidents des 28-29 décembre 2007

    7.  Le 28 décembre au soir, après une visite dans la famille du requérant, sa belle-mère appela les services d’urgence pour se plaindre de ce que son beau-fils était agressif depuis son retour en Roumanie. Elle fut invitée à se présenter au poste de police de Prăjeşti où une équipe l’attendait déjà. Vers 21h-22h, les policiers se rendirent au domicile du requérant. Une heure après, une ambulance arriva également. N’arrivant pas à convaincre le requérant de les suivre, les forces de l’ordre et l’ambulance quittèrent les lieux vers 2h-3h du matin.

    8.  Le lendemain matin, 29 décembre 2007, vers 9h, un véhicule de la mairie de Prăjeşti s’arrêta devant la maison du requérant pendant que
    celui-ci était en train de déblayer la neige dans sa cour. Le maire de Prăjeşti, le policier en chef et son adjoint de la commune et d’autres personnes descendirent du véhicule et s’approchèrent du requérant. Alors qu’il sortait de sa cour, le requérant fut immobilisé par les policiers qui lui passèrent des menottes aux mains et ensuite aux chevilles et l’amenèrent au service de psychiatrie de l’hôpital départemental de Bacău (paragraphe 20 ci-dessous).

    9.  Le procès-verbal rédigé par deux des policiers responsables du transport à l’hôpital fait état de ce que le requérant avait été agressif avec les membres de sa famille et les voisins dès son retour en Roumanie et qu’il s’était montré violent pendant l’intervention de la police et lors du transport en voiture. Les policiers expliquèrent qu’ils l’avaient conduit à l’hôpital en vue de son internement et pour lui assurer un traitement adéquat.

    B.  Séjour à l’hôpital psychiatrique

    10.  Selon la fiche médicale d’observation clinique générale rédigée lors de l’admission du requérant à l’hôpital, le requérant fut admis à l’hôpital le 29 décembre 2007 à 10h30, avec le diagnostic suivant : « trouble psychotique aigu ». Il avait été amené à l’hôpital par sa famille et la police en raison d’un « épisode psychotique aigu ». L’internement avait été sollicité par l’épouse du requérant « pour traitement ». Le médecin psychiatre C.C. confirma par son paraphe ces mentions. Pendant l’enquête pénale ouverte sur plainte du requérant (voir paragraphe 17 ci-dessous), son épouse déclara que C.C. l’avait obligée à donner son accord pour l’internement.

    11.  Selon les dires du requérant, il fut interné de force le jour même sans avoir été examiné par un médecin psychiatre. Il se vit injecter des sédatifs et fut ensuite mis dans une camisole de force et placé dans l’une des salles de l’hôpital où il y avait sept autres personnes souffrant de diverses maladies psychiques. Les vitres de la pièce en question étaient cassées et il faisait froid.

    12.  L’épouse du requérant fut autorisée à lui rendre visite pendant trente minutes le lendemain de son internement. Les proches du requérant n’eurent pas la permission de lui rendre visite à l’hôpital pendant les premiers jours de son internement.

    13.  Du 29 décembre 2007 au 11 janvier 2008, le requérant se vit administrer des sédatifs. De ce fait, il raconte n’être devenu lucide que dix jours après son internement. Il se rendit alors compte que, pendant qu’il était inconscient, il avait reçu un coup à l’oreille gauche, qui saignait gravement et pour lequel il n’avait reçu aucun traitement.

    14.  Ce n’est que le 10 janvier 2008 qu’il fut examiné par des médecins de l’hôpital de Bacău qui constatèrent qu’il souffrait d’une sinusite et d’une infection de l’oreille droite (mastoïdite droite). Il fit ultérieurement l’objet d’une intervention pour traiter cette infection.

    15.  Le requérant resta à l’hôpital psychiatrique jusqu’au 15 janvier 2008. Il fut ensuite admis jusqu’au 3 mars 2008 dans divers établissements médicaux pour soigner une sinusite et une infection de l’oreille droite (mastoïdite droite) ainsi qu’à l’Institut national du diabète, ces maladies ayant été diagnostiquées pendant son internement psychiatrique.

    16.  Du fait de son séjour à l’hôpital, le requérant n’a pu retourner en Belgique pour reprendre son travail.

    C.  Plainte pour mauvais traitement

    17.  Le 20 janvier 2009, s’appuyant sur les dispositions générales du code pénal incriminant l’abus d’autorité commis par des fonctionnaires publics, le faux et l’usage de faux en écritures publiques, le requérant déposa auprès du parquet près le tribunal de Bacău une plainte pénale contre le maire de Prăjeşti, les cinq policiers qui l’avaient amené de force à l’hôpital psychiatrique et C.C., le médecin psychiatre de l’hôpital. Il se plaignait à la fois de la manière dont il avait été interpellé et transporté à l’hôpital, des conditions de son séjour à l’hôpital, et du défaut de traitement médical adéquat, ce qui avait affecté gravement sa santé et avait prolongé jusqu’au 3 mars 2008 son séjour à l’hôpital en raison des nouvelles maladies contractées, notamment un diabète et une mastoïdite. Il faisait valoir en outre que le maire avait cherché - à l’aide des policiers et du médecin en cause - de le faire apparaître aux yeux du public comme souffrant de troubles mentaux afin de l’écarter de la vie politique en vue des élections municipales de mai et juin 2008. Il se constitua partie civile et demanda 40 000 euros (EUR) de dommages-intérêts.

    18.  Le 19 mars 2009, à la demande de la police, le requérant subit un examen psychiatrique et une évaluation psychologique à l’institut départemental de Médecine légale de Bacău. Selon les conclusions de l’examen psychiatrique, le requérant souffrait d’un trouble de la personnalité de type instable (tulburare de personalitate de tip instabil). L’évaluation psychologique montra qu’il avait une « personnalité dysharmonique avec tendances accentuées d’hyper persévérance et une accentuation des tendances spécifiques aux troubles de type paranoïaque et compulsif » (configuraţie de personalitate structurată dizarmonic, cu accentuarea tendinţelor de hiperperseverenţă ... o accentuare a tendinţelor specifice tulburărilor de personalitate de tip paranoid şi compulsiv). L’institut départemental de Médecine légale de Bacău adressa le 14 avril 2009 à la police un rapport contenant l’historique médical du requérant et les conclusions des deux évaluations.

    19.  Entre mars et juin 2009, les enquêteurs entendirent le requérant, son épouse, sa belle-mère, les policiers impliqués, un membre de la famille du requérant qui lui avait rendu régulièrement visite à l’hôpital et un villageois qui avait assisté à l’interpellation du requérant.

    20.  Ainsi, le 7 mai 2009, B.D., un des policiers impliqués dans les incidents, décrivit ainsi l’intervention du 28 décembre 2007, au soir :

    « Quand je suis arrivé sur place, [le requérant] se trouvait sur le balcon de sa maison, cria et nous adressa des mots vulgaires et grossiers. Sa mère sortit de sa maison voisine et nous expliqua que son fils criait constamment depuis des jours, ne dormait pas la nuit, regardait la télévision et écoutait de la musique très bruyante et effrayait son épouse et ses enfants. »

    Ensuite, il décrivit l’interpellation du requérant du 29 décembre 2007 :

    « Après des pourparlers [le requérant] sortit de sa cour et, à ce moment, avec les agents [P.V.] et [P.I.], nous l’avons menotté et avons essayé de le faire monter dans la voiture de la mairie de Prăjeşti pour le transporter à [l’hôpital]. Il est devenu très agressif et a commencé à donner des coups de pied à la voiture et pour cela nous lui avons mis des menottes aux pieds. Ensuite nous l’avons fait monter dans la voiture et l’avons transporté à [l’hôpital].

    Pendant le transport, il a été agressif et nous a adressé des injures. »

    21.  Deux autres policiers, G.V. et R.I. firent des déclarations similaires (respectivement les 8 et 16 avril 2009). A.I., le maire de la commune, appelé sur les lieux par les policiers à la demande expresse du requérant, décrivit dans des termes similaires l’interpellation du requérant du 29 décembre 2007.

    22.  Le 3 juin 2009, la belle-mère du requérant fit une déclaration devant la police, dont les parties pertinentes se lisent comme suite :

    « Le 28 décembre 2007 j’ai rendu visite à ma fille. À cette occasion j’ai vu que [le requérant] avait changé ; il était agité, ne dormait pas la nuit, était fatigué et stressé. Il n’était violent avec personne. J’ai suggéré à ma fille qu’il aurait besoin d’un contrôle à l’hôpital, mais je n’ai pas discuté de cela avec [le requérant].Vers 21h, depuis ma maison, j’ai appelé le 112 et j’ai expliqué que mon beau-fils était agité, qu’il était revenu récemment de l’étranger et que nous souhaitions le faire interner à l’hôpital. Mon interlocuteur m’a invité à me présenter au poste de police de Prăjeşti pour attendre l’arrivée de l’ambulance. Quand je suis arrivée au poste de police, les agents m’attendaient déjà et nous sommes allés ensemble chez [le requérant]. Une demi-heure plus tard, l’ambulance est arrivée également. Nous avons essayé ensemble de rentrer dans la maison et de discuter avec mon beau-fils, mais nous avons échoué, car il s’est enfermé dans la maison avec sa famille... Je l’ai vu sur le balcon, il demandait pourquoi nous étions là, mais nous ne sommes pas arrivés à parler avec lui, car nous étions toujours dans la rue. Le lendemain j’ai entendu dans le village que mon beau-fils aurait été interné. »

    23.  À une date non précisée, l’épouse du requérant déclara qu’en sa présence, le requérant avait été interpellé de force par la police, qu’on lui avait passé des menottes aux mains et aux pieds et qu’on l’avait fait monter dans la voiture. Elle n’avait pas été informée qu’il allait être transporté à l’hôpital psychiatrique. Elle suivit la voiture de police dans la voiture d’un villageois qui avait proposé de l’aider. Arrivée à l’hôpital, elle ne fut pas autorisée à voir son mari et fut obligée par C.C. à signer la feuille d’internement du requérant.

    24.  Le 12 juin 2009, le cousin du requérant déclara à la police qu’il avait rendu régulièrement visite au requérant pendant son internement à l’hôpital et que celui-ci se plaignait de la façon dont il avait été interné. Il ajouta ce qui suit sur le traitement médical dispensé à l’hôpital :

    « De ce que j’ai vu, je ne trouve pas normale la façon dont il a été traité à l’hôpital. C’est avec beaucoup d’efforts et insistance [de la part de la famille] que Dr. [C.] a accepté d’effectuer des analyses médicales approfondies ... car l’état de santé [du requérant] se détériorait constamment ; on a refusé son transfert et quand finalement ce transfert a été approuvé, on a constaté que [le requérant] souffrait de maladies assez graves qui ont engendré des traitements de longue durée dans des hôpitaux de Bucarest. »

    25.  Le 9 mars 2009, la police recueillit aussi la déclaration d’un villageois qui était présent lors de l’interpellation du requérant. Il expliqua que six policiers avaient dû le retenir car il était très agité, mais qu’il n’avait pas été frappé par les agents pendant l’incident.

    26.  Le 9 octobre 2009, le parquet rendit une décision de non-lieu. Le procureur retint que, dès son retour de l’étranger, le 20 décembre 2008, le requérant avait commencé à être violent envers les membres de sa famille et envers les voisins. Sa belle-mère fut amenée à appeler la police, le 28 décembre au soir, puis à se rendre au poste de police pour décrire le comportement agressif du requérant. L’équipe de police fut accueillie par le requérant qui leurs adressa des injures, devint violent et s’enferma dans la maison avec son épouse et leurs enfants. Il lança des denrées alimentaires en direction des policiers qui essayaient de le calmer. Le procureur retint aussi que le lendemain matin, vers 9h, cinq policiers étaient revenus car le requérant avait agressé sa mère. Le requérant, qui était rentré dans sa cour, refusait de parler avec les policiers, exigeant la présence d’un conseiller local et ensuite du maire, qui se rendirent sur place. Discutant avec véhémence avec le maire, le requérant sortit de sa cour et les policiers saisirent l’occasion pour le menotter, le faire rentrer dans la voiture de la mairie (car la police locale ne disposait pas d’un véhicule) et l’amener à l’hôpital psychiatrique.

    Cette décision du procureur fut confirmée, le 19 novembre 2009, par un procureur du parquet hiérarchiquement supérieur et, sur plainte du requérant, par un jugement du tribunal de première instance de Bacău du 27 avril 2010.

    27.  Par un arrêt définitif du 25 novembre 2010, la cour d’appel de Bacău fit droit au recours du requérant, annula toutes les décisions rendues antérieurement et renvoya l’affaire au parquet près le tribunal de première instance de Bacău afin d’ouvrir des poursuites pénales contre les personnes mises en cause par le requérant dans sa plainte pénale. Elle nota que les autorités compétentes n’avaient pas effectué d’enquête pénale effective susceptible d’élucider les circonstances de l’incident dénoncé par le requérant. Elle nota en particulier qu’un sérieux doute subsistait en l’espèce quant à la nécessité d’employer un nombre aussi élevé de membres des forces de l’ordre pour immobiliser le requérant et l’amener contre son gré dans un hôpital psychiatrique. Elle nota par ailleurs qu’aucune expertise de l’état de santé mentale du requérant n’avait été effectuée par l’Institut de médecine légale d’Iaşi, autorité assermentée en la matière, et cela, malgré l’existence de rapports d’évaluation contradictoires sur l’état de santé mentale du requérant (elle se referait à un rapport de 2007 selon lequel le requérant présentait des troubles psychiques et à un rapport de 2009 selon le requérant était apte à porter une arme).

    28.  Le 11 mai 2011, se fondant sur les preuves recueillies lors de l’enquête pénale, le parquet rendit une nouvelle décision de non-lieu qui reproduisait à la lettre le raisonnement de la décision du procureur du 9 octobre 2009 (paragraphe 26 ci-dessus). Ensuite le procureur nota que, selon une expertise médicale datant du 22 mars 2011, effectuée à la suite de l’arrêt rendu par la cour d’appel, le requérant souffrait de « trouble affectif bipolaire - épisode aigu hypomaniaque avec éléments délirants interprétatifs ». Son état psychique nécessitait une surveillance et un traitement spécialisé sans internement.

    29.  Selon les dires du requérant, la décision du procureur ne lui fut jamais communiquée. Il en obtint copie en juin 2013, lorsque le greffe de la Cour lui fit parvenir les observations du Gouvernement et leurs annexes. Le requérant s’était présenté à maintes reprises au bureau du procureur afin d’obtenir une copie du rapport de l’expertise médicale du 22 mars 2011 ainsi que des informations sur l’avancement de l’enquête. Le rapport d’expertise parvint également au requérant avec les observations du Gouvernement.

    30.  En juin 2012, le requérant fut élu conseiller municipal de la commune de Prăjeşti.

    II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    31.  La loi no 487 du 11 juillet 2002 sur la santé mentale et la protection des personnes ayant des troubles psychiques (« la loi no 487/2002 »), dans sa version en vigueur à l’époque des faits, régissait l’internement non volontaire d’une personne. Elle prévoyait que l’internement non volontaire pouvait se faire à la demande de la famille ou de la police, entre autres en indiquant les circonstances ayant conduit à cette demande et les antécédents médicaux connus (article 47). La décision relative à l’internement non volontaire était susceptible d’un recours judiciaire « auprès du tribunal compétent selon la loi », formé par le malade ou par son représentant (article 54).

    32.  La loi no 487/2002 a été amplement modifiée par la loi no 129/2012 puis republiée au Journal Officiel no 487 du 17 juillet 2012 (voir B. c. Roumanie (no 2), no 1285/03, §§ 51-52, 19 février 2013 et Atudorei c. Roumanie, no 50131/08, §§ 82-84, 16 septembre 2014). Cette nouvelle version n’était pas en vigueur à l’époque des faits de l’espèce.

    33.  Une présentation exhaustive de la législation en vigueur et de la pratique interne pertinente relative à la protection des personnes atteintes de troubles psychiques figure dans les arrêts C.B. c. Roumanie (no 21207/03, § 37, 20 avril 2010), Parascineti c. Roumanie (no 32060/05, §§ 25 et 29, 13 mars 2012), Cristian Teodorescu c. Roumanie (no 22883/05, §§ 30-40, 19 juin 2012) et Atudorei (précité, §§ 73-87).

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

    34.  Le requérant se plaint d’avoir subi des mauvais traitements lors de son interpellation par des policiers devant son domicile et pendant son internement non volontaire au service psychiatrique de l’hôpital départemental de Bacău. Il estime qu’il n’a pas bénéficié d’une enquête effective à la suite de sa plainte pénale contre les personnes responsables. Ces griefs ont été communiqués au Gouvernement défendeur sous l’angle de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité

    35.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

    B.  Sur le fond

    1.  Observations des parties

    a)  Le requérant

    36.  Le requérant réitère que la décision du procureur du 11 mai 2011 ne lui a jamais été communiquée, malgré ses demandes répétées auprès du parquet. Il n’est entré en possession de cette décision que le 25 juin 2013, date à laquelle il a reçu de la part de la Cour les observations du Gouvernement. En outre, il a déposé sa requête devant la Cour après des démarches répétées et infructueuses auprès du procureur afin d’obtenir copie du rapport médico-légal et de la décision rendue dans son dossier.

    37.  Le requérant n’a pas avancé d’autres observations sur le volet matériel, dont il se plaint dans sa requête initiale.

    b)  Le Gouvernement

    38.  Le Gouvernement observe tout d’abord que le requérant a été interné à la demande de sa belle-mère qui avait appelé le service des urgences le 28 décembre 2007. L’immobilisation du requérant lors de l’interpellation a été rendue nécessaire par son état d’agitation et la menace qu’il représentait pour sa famille et pour les policiers.

    Quant à la blessure à l’oreille, le Gouvernement rappelle que le requérant souffrait d’une infection pour laquelle, selon la fiche médicale d’observation, il a reçu le traitement adéquat. Le Gouvernement observe que le requérant n’a pas porté plainte contre le médecin traitant.

    39.  Le Gouvernement admet ensuite que la décision du procureur du 11 mai 2011 n’a pas été communiquée au requérant. Il observe toutefois que ce dernier a attendu plus d’un an pour porter ses griefs devant les autorités nationales. En outre, après le renvoi du dossier par l’arrêt du 25 novembre 2010 de la cour d’appel de Bacău, il n’a pas fait d’efforts pour se renseigner auprès du procureur sur les développements de l’enquête.

    2)  Appréciation de la Cour

    a)  Principe généraux

    40.  La Cour rappelle tout d’abord que, pour tomber sous le coup de l’article 3, les mauvais traitements doivent atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des circonstances propres à l’affaire, telles que la durée du traitement ou ses effets physiques ou psychologiques et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime. Lorsqu’un individu se trouve privé de sa liberté, l’utilisation à son égard de la force physique alors qu’elle n’est pas rendue nécessaire par son comportement porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du droit garanti par l’article 3 (notamment Bouyid c. Belgique [GC], no 23380/09, §§ 86-90, CEDH 2015, mais aussi R.L. et M.-J.D. c. France, no 44568/98, § 61, 19 mai 2004). En particulier, elle a établi ce qui suit (Bouyid, précité, §§ 88 et 101) :

    « 88. [...] lorsqu’un individu est privé de sa liberté ou, plus généralement, se trouve confronté à des agents des forces de l’ordre, l’utilisation à son égard de la force physique alors qu’elle n’est pas rendue strictement nécessaire par son comportement porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du droit garanti par l’article 3.

    101. [...] toute conduite des forces de l’ordre à l’encontre d’une personne qui porte atteinte à la dignité humaine constitue une violation de l’article 3 de la Convention. Il en va en particulier ainsi de l’utilisation par elles de la force physique à l’égard d’un individu alors que cela n’est pas rendu strictement nécessaire par son comportement, quel que soit l’impact que cela a eu par ailleurs sur l’intéressé. »

    41.  Qui plus est, si l’article 3 ne prohibe pas le recours à la force par les agents de police lors d’une interpellation, ce recours à la force doit être proportionné et absolument nécessaire au vu des circonstances de l’espèce (notamment Gutsanovi c. Bulgarie, no 34529/10, § 126, CEDH 2013 (extraits) et, mutatis mutandis, Rehbock c. Slovénie, no 29462/95, §§ 72 et 76, CEDH 2000-XII).

    42.  La Cour rappelle s’être exprimé ainsi, sur le port des menottes (Raninen c. Finlande, 16 décembre 1997, § 56, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII) :

    « 56. ... le port des menottes ne pose normalement pas de problème au regard de l’article 3 de la Convention lorsqu’il est lié à une arrestation ou une détention légales et n’entraîne pas l’usage de la force, ni d’exposition publique, au-delà de ce qui est raisonnablement considéré comme nécessaire dans les circonstances de l’espèce. À cet égard, il importe par exemple de savoir s’il y a lieu de penser que l’intéressé opposera une résistance à l’arrestation, ou tentera de fuir, de provoquer blessure ou dommage, ou de supprimer des preuves. »

    43.  Ensuite, la Cour réitère qu’il faut, dans le cas des malades mentaux, tenir compte de leur particulière vulnérabilité et de leur incapacité, dans certains cas, à se plaindre de manière cohérente ou à se plaindre tout court des effets d’un traitement donné sur leur personne, pour apprécier si le traitement concerné était incompatible avec les exigences de l’article 3 (Renolde c. France, no 5608/05, §§ 84 et 109, CEDH 2008 (extraits) ; Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, § 111, CEDH 2001-III ; Bureš c. République tchèque, no 37679/08, § 85, 18 octobre 2012).

    44.  La Cour rappelle par ailleurs que lorsqu’un individu soutient de manière défendable avoir subi, de la part notamment de la police ou d’autres services comparables de l’État, un traitement contraire à l’article 3, ces allégations doivent faire l’objet d’une enquête officielle et effective qui répond aux critères ci-dessous énoncés plus récemment dans l’arrêt Bouyid, précité (§§ 114-123, et notamment les paragraphes ci-dessus reproduits, références à la jurisprudence omises) :

    « 119. Quelles que soient les modalités de l’enquête, les autorités doivent agir d’office. De plus, pour être effective, l’enquête doit permettre d’identifier et de sanctionner les responsables. Elle doit également être suffisamment vaste pour permettre aux autorités qui en sont chargées de prendre en considération non seulement les actes des agents de l’État qui ont eu directement et illégalement recours à la force, mais aussi l’ensemble des circonstances les ayant entourés.

    120. Bien qu’il s’agisse d’une obligation non pas de résultat mais de moyens, toute carence de l’enquête affaiblissant sa capacité à établir les circonstances de l’affaire ou l’identité des responsables risque de faire conclure qu’elle ne répond pas à la norme d’effectivité requise.

    122. La victime doit être en mesure de participer effectivement à l’enquête (...)

    123. Enfin, l’enquête doit être approfondie, ce qui signifie que les autorités doivent toujours s’efforcer sérieusement de découvrir ce qui s’est passé et qu’elles ne doivent pas s’appuyer sur des conclusions hâtives ou mal fondées pour clore l’enquête. »

    45.  La Cour rappelle enfin avoir exigé que les requérants qui entendent se plaindre devant elle d’un manque d’effectivité de l’enquête ne tardent pas indûment à saisir les autorités internes compétentes et la Cour de leur grief. Au fil du temps, la mémoire des témoins décline, ceux-ci risquent de décéder ou d’être introuvables, certains éléments de preuve se détériorent ou disparaissent et les chances de mener une enquête effective s’amenuisent progressivement, de sorte que l’examen et le prononcé d’un arrêt par la Cour risquent de se trouver privés de sens et d’effectivité. Par conséquent, les requérants doivent faire preuve de diligence et d’initiative et introduire leurs griefs sans délai excessif (mutatis mutandis Baklanov c. Ukraine, no 44425/08, § 74, 24 octobre 2013).

    b)  Application de ces principes aux faits de la présente affaire

    i)  Sur le volet matériel de l’article 3 de la Convention

    46.  La Cour rappelle que le requérant a été interpellé devant sa maison par cinq policiers qui lui ont passé des menottes aux mains et aux pieds et l’ont amené de force au service de psychiatrie de l’hôpital. La nuit précédente la police et le service d’ambulance avaient tenté en vain de calmer le requérant, dont la belle-mère les avait alerté sur le fait qu’il était agité et montrait un comportement agressif envers sa famille (paragraphe 26 ci-dessus). Dans ce contexte, compte tenu de l’imprévisibilité du comportement du requérant, la Cour n’estime pas déraisonnable que cinq policiers soient intervenus pour l’interpeller.

    47.  À ce propos, il faut rappeler qu’eu égard à la difficulté de la mission de la police dans les sociétés contemporaines et à l’imprévisibilité du comportement humain, il y a lieu d’interpréter l’étendue de la responsabilité pesant sur les autorités internes de manière à ne pas imposer à celles-ci un fardeau insupportable (voir, mutatis mutandis, Günaydın c. Turquie, no 27526/95, § 31, 13 octobre 2005).

    48.  En outre, pour rechercher si la force utilisée était, en l’espèce, proportionnée, la Cour attache une importance particulière à l’existence de blessures occasionnées par l’intervention et, le cas échéant, aux circonstances dans lesquelles elles ont été subies (Timtik c. Turquie, no 12503/06, § 49, 9 novembre 2010, et Rehbock, précité, § 72). Or, aucune violence physique ou psychique ne semble avoir été infligée au requérant lors de son interpellation (voir, a contrario, respectivement Rehbock, § 68 et Gutsanovi, §§ 134-135, arrêts précités).

    49.  Des lors, la Cour estime qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation du volet matériel de l’article 3 de la Convention en raison des modalités de l’interpellation du requérant par les forces de l’ordre.

    ii)  Sur le volet procédural de l’article 3 de la Convention

    50.  Le gouvernement reproche au requérant de ne pas avoir été diligent dans ses agissements auprès des autorités internes. Se penchant sur la qualité de l’enquête menée en l’espèce, la Cour note tout d’abord que les incidents en question ont eu lieu le 29 décembre 2007, que le requérant est sorti de l’hôpital le 3 mars 2008, qu’il a saisi la police le 20 janvier 2009, que la dernière décision définitive lui a été communiquée le 25 novembre 2010, que le dernier acte procédural dont il a été informé a eu lieu le 22 mars 2011 et qu’il a saisi la Cour le 5 mars 2012. En outre, les parties sont d’accord sur le fait que la plainte pénale avec constitution de partie civile constituait un recours effectif en l’espèce (mutatis mutandis, Stoica c. Roumanie, no 42722/02, §§ 105-109, 4 mars 2008).

    51.  La Cour estime que le fait pour le requérant d’avoir attendu environ dix mois avant de saisir les autorités internes compétentes de sa plainte n’est pas déraisonnable, compte tenu du fait que le droit interne lui accordait un délai encore plus long pour déposer sa plainte. Ainsi, selon les normes de droit interne en vigueur à l’époque, le délai le plus court de prescription de la responsabilité pénale était d’au moins trois ans. Qui plus est, en l’espèce ce retard de dix mois n’a pas porté préjudice à l’enquête : les souvenirs des témoins n’ont pas été affectés, leurs déclarations étant détaillées et exhaustives. En outre, tous les documents médicaux pertinents ont été préservés et mis à la disposition des enquêteurs (paragraphe 45 ci-dessus).

    52.  Toujours s’agissant du comportement du requérant pendant l’enquête, la Cour note le désaccord entre les parties sur le fait de savoir si celui-ci a fait preuve de diligence pour se renseigner sur le déroulement de la procédure pénale. La Cour rappelle toutefois qu’il était normal, à l’époque des faits, que les enquêteurs n’aient pas de contacts avec les parties avant la fin de la procédure car ils menaient de leur propre initiative tout acte d’investigation qu’ils considéraient pertinent sans pour autant en informer les victimes (Mocanu et autres, précité, § 321; Georgescu c. Roumanie (déc.), no 4867/03, § 25, 22 octobre 2013; Bucureşteanu c. Roumanie, no 20558/04, § 42, 16 avril 2013; et, mutatis mutandis, Poede c. Roumanie, no 40549/11, §§ 56-57, 15 septembre 2015). La Cour rappelle aussi que les autorités ont manqué à leur obligation de communiquer au requérant la décision prise par le procureur le 11 mai 2011, lui ôtant ainsi toute possibilité de la contester en temps utile devant un tribunal.

    53.  La Cour constate ensuite qu’une fois saisies, les autorités internes ont agi avec une célérité et une diligence raisonnables : dans une période d’environ huit mois elles ont pu faire examiner l’état de santé du requérant et recueillir les témoignages pertinents. Les recours introduits par le requérant ont eux aussi été examinés de manière approfondie et avec rapidité.

    54.  Toutefois, des déficiences majeures ont été signalées dans le déroulement de l’enquête par la cour d’appel qui, le 25 novembre 2010, a renvoyé le dossier au procureur en lui prescrivant d’ouvrir des poursuites pénales contre les responsables. La cour d’appel a estimé que l’enquête n’avait pas été effective et que toutes les circonstances de l’incident n’avaient pas été élucidées. Malgré ces indications précises de la part de la cour d’appel, la nouvelle décision du procureur ne fait que reproduire le raisonnement de la décision critiquée. Mis à part une nouvelle expertise psychiatrique, aucun acte procédural ne semble avoir eu lieu après le renvoi du dossier chez le procureur. Qui plus est, faute d’avoir été communiquée au requérant, cette nouvelle décision de non-lieu n’a pu être soumise par lui au contrôle juridictionnel. Par ailleurs, le requérant n’a pas été en mesure de participer activement à l’enquête.

    55.  Ces éléments suffissent pour permettre à la Cour de conclure que l’enquête effectuée en l’espèce n’a pas été « effective » (mutatis mutandis, Baklanov, § 89). Dès lors, il y a eu violation du volet procédural de l’article 3 de la Convention.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

    56.  Invoquant les articles 5 § 1, 6 et 8 de la Convention, le requérant se plaint d’avoir été interpellé illégalement à son domicile, conduit de force dans un hôpital psychiatrique, interné contre son gré et s’être vu administrer un traitement médical auquel il n’avait pas consenti.

    57.  Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, § 54, 17 septembre 2009; et M.S. c. Croatie (no 2), no 75450/12, § 114, 19 février 2015), la Cour estime que les griefs du requérant rentrent dans le seul champ d’application de l’article 5 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

    « 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

    e)  s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ; (...) »

    A.  Sur la recevabilité

    58.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

    B.  Sur le fond

    1.  Observations des parties

    59.  Le requérant réaffirme que son internement n’a pas été volontaire et fait remarquer que les autorités n’ont pas suivi la procédure prévue par la loi pour l’internement non volontaire. Qui plus est, la simple signature apposée par son épouse sur la fiche d’observation clinique ne tient pas lieu de demande d’internement selon les exigences de la loi no 487/2002. D’ailleurs, il allègue que cette signature a été apposée après son internement.

    60.  S’appuyant sur la fiche en cause, le Gouvernement fait valoir que le requérant a été amené à l’hôpital à la demande de son épouse et qu’il a été examiné par un psychiatre lors de son admission à l’hôpital. Il explique que l’internement du requérant a été considéré comme un internement volontaire.

    2.  Appréciation de la Cour

    a)  Sur la question de savoir si le requérant a subi une privation de liberté

    61.  La Cour note tout d’abord que les parties ne s’accordent pas sur la nature volontaire ou non de l’internement psychiatrique du requérant. Dès lors, elle doit établir, s’appuyant sur les éléments du dossier, si le requérant a subi une « privation de liberté » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention.

    i)  Principes généraux

    62.  Dans l’arrêt Cristian Teodorescu précitée (§§ 54-55) la Cour a rappelé les critères selon lesquels elle établit si un individu a été privé de sa liberté (références à la jurisprudence omises) :

    « 54.  La Cour rappelle que, pour déterminer si un individu se trouve « privé de sa liberté » au sens de l’article 5, il faut partir de sa situation concrète et prendre en compte un ensemble de critères comme le genre, la durée, les effets et les modalités d’exécution de la mesure considérée. Sans doute faut-il fréquemment, pour se prononcer sur l’existence d’une atteinte aux droits protégés par la Convention, s’attacher à cerner la réalité par-delà les apparences et le vocabulaire employé. La qualification ou l’absence de qualification donnée par un État à une situation de fait ne saurait avoir une incidence décisive sur la conclusion de la Cour quant à l’existence d’une privation de liberté.

    55.  Dans le domaine du placement des personnes atteintes de troubles mentaux, la notion de « privation de liberté » comporte à la fois un aspect objectif, à savoir l’internement d’une personne dans un espace restreint pendant un laps de temps non négligeable, et un aspect subjectif, qui implique que la personne en cause n’a pas valablement consenti à son internement. »

    ii)  Application de ces principes aux faits de l’affaire

    63.  S’agissant de l’aspect objectif du test ci-dessus décrit, la Cour note que le requérant a été interné à l’hôpital psychiatrique du 29 décembre 2007 au 15 janvier 2008 sans aucune possibilité de sortir de sa propre initiative et sans contact avec sa famille pendant les premiers jours (mutatis mutandis, Atudorei, précité, § 130).

    64.  S’agissant de l’aspect subjectif, bien que le Gouvernement plaide que l’internement du requérant a été volontaire, il est à noter qu’à aucun moment il n’a donné son accord pour cette mesure. Ainsi, la façon dont il a été interpellé et transporté à l’hôpital fait ressortir qu’il s’est opposé à son internement. Les témoignages recueillis (notamment ceux de son épouse et de son cousin, paragraphes 23 et 24 ci-dessus respectivement) sèment aussi le doute sur la volonté du requérant de rester à l’hôpital. Ensuite, même à supposer que l’épouse du requérant ait consenti à l’internement, sa volonté ne remplace pas celle du requérant et, selon la loi applicable, l’internement approuvé par la famille est toujours considéré comme étant non volontaire (paragraphe 31 ci-dessus).

    65.  La Cour rappelle enfin que, même à supposer que la demande d’internement ait été formée par l’épouse du requérant et donc par une personne privée, sa mise à exécution a été faite par les autorités étatiques (notamment la police) dans un hôpital public. La responsabilité de l’État est ainsi engagée en tout état de cause (Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 134, CEDH 2014 ; et Atudorei, précité, § 139).

    66.  Pour ces raisons, la Cour estime que le requérant s’est trouvé privé de sa liberté selon les critères établis au regard de l’article 5 de la Convention.

    b)  Sur la compatibilité de la privation de liberté du requérant avec les exigences de l’article 5 § 1 de la Convention

    i)  Principes généraux

    67.  Dans l’arrêt Cristian Teodorescu précité (§§ 59-62) la Cour a rappelé les critères selon lesquels elle examine la compatibilité de la privation de liberté avec les exigences de l’article 5 de la Convention. Elle en fait référence (voir aussi Atudorei, précité, §§ 141-144).

    68.  Elle rappelle en outre que, d’après l’un des principes généraux consacrés par la jurisprudence, une détention est « arbitraire » lorsque, même si elle est parfaitement conforme à la législation nationale, il y a eu un élément de mauvaise foi ou de tromperie de la part des autorités, ou lorsque les autorités internes ne se sont pas employées à appliquer correctement la législation pertinente (M.S., précité, § 142).

    ii)  Application de ces principes en l’espèce

    69.  Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour rappelle avoir constaté que l’internement du requérant n’était pas volontaire. Les règles pertinentes de la loi sur la santé mentale doivent donc s’appliquer.

    70.  La Cour rappelle, à cet égard, que dans l’arrêt Cristian Teodorescu, elle a relevé plusieurs lacunes de cette loi. Elle a jugé que la loi ne contenait à l’époque des faits aucune exigence quant à la forme que devait revêtir la notification d’une décision d’internement d’office prise en vertu de l’article 49 de la loi à la personne concernée ou à son représentant. De même, elle a constaté que la loi n’impartissait aucun délai à la commission de contrôle pour informer l’intéressé et son représentant de la décision qu’elle avait prise. La Cour a, de ce fait, jugé que de telles lacunes faisaient courir à celui à l’égard de qui une décision d’internement forcée était prise un risque réel d’être empêché de se prévaloir des voies de recours prévues par la loi no 487/2002, tel un recours fondé sur l’article 54 de la loi. Elle en a aussi conclu qu’il n’était pas surprenant, vu la manière dont cette loi est libellée, qu’aucun recours fondé sur cette disposition n’ait encore été introduit devant les tribunaux nationaux (Cristian Teodorescu, précité, § 65 ; et B., précité, §§ 91-92).

    71.  Or, les mêmes lacunes ont porté préjudice au requérant dans la présente espèce. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que la privation de liberté du requérant n’a pas eu lieu selon les voies légales.

    72.  Qui plus est, rien n’indique en l’espèce que cette privation de liberté était indispensable au regard des circonstances de l’espèce et que d’autres mesures, moins sévères, n’auraient pu être suffisantes pour sauvegarder son intérêt ou l’intérêt public. À savoir, ainsi qu’il ressort des pièces du dossier (paragraphes 8 et 20 ci-dessus), lorsque les policiers sont arrivés devant la maison du requérant, le 29 décembre 2007, celui-ci était en train de déblayer la neige dans sa cour ; il n’était en conflit ni ne se disputait avec personne et a communiqué avec les autorités. Il s’ensuit que le menottage du requérant n’a clairement pas été provoqué par son comportement ; au contraire, il apparait que son agressivité a été causée par le fait de se faire menotter et transporter de force à l’hôpital. Ces faits donnent à penser que le requérant ne représentait pas à ce moment un danger manifeste pour soi ou pour ses proches.

    73.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour constate que la privation de liberté du requérant n’était pas justifiée au regard de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 et se fondait sur une législation qui posait elle-même problème au regard de la Convention. Le Gouvernement n’a par ailleurs indiqué aucun des autres motifs énumérés aux alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 qui, en l’espèce, auraient pu autoriser la privation de liberté litigieuse.

    Il y a donc eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

    III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    74.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    75.  Le requérant réclame les sommes suivantes au titre du préjudice matériel :

    - 150 EUR pour le prix du billet d’avion qu’il n’a pu utiliser pour retourner en Belgique du fait de son séjour à l’hôpital ;

    - 10 000 EUR au titre du manque à gagner du fait qu’il n’a pu retourner au travail pendant son séjour à l’hôpital ;

    - 6 000 EUR en remboursement des frais médicaux engendrés par son hospitalisation du 28 décembre 2007 au 28 février 2008.

    Il a versé au dossier notamment copie d’un billet d’avion datant du 31 octobre 2007 et une attestation bancaire prouvant qu’il a liquidé un compte de 2 000 EUR.

    76.  Il réclame également 10 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

    77.  Le Gouvernement fait valoir que les demandes formulées au titre du préjudice matériel ne sont pas étayées. Il estime ensuite que la somme demandée au titre du préjudice moral est excessive.

    78.  Compte tenu des éléments en sa possession, et statuant en équité, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant la somme de 10 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour préjudice matériel. En outre, elle considère qu’il y a lieu de lui octroyer 10 000 EUR au titre du préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

    B.  Frais et dépens

    79.  Le requérant n’a demandé aucune somme à ce titre.

    C.  Intérêts moratoires

    80.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les allégations de mauvais traitements lors de l’interpellation du requérant ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne l’enquête effectuée par les autorités internes à la suite des plaintes pénales pour mauvais traitements portée par le requérant ;

     

    4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

     

    5.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

    i)  10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;

    ii)  10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 31 mai 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

    Marialena Tsirli                                                                        András Sajó
           Greffière                                                                              Président

     


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