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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> VENTOURIS AND VENTOURI v. GREECE - 45290/11 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (First Section)) French Text [2016] ECHR 78 (14 January 2016) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/78.html Cite as: [2016] ECHR 78 |
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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE VENTOURIS ET VENTOURI c. GRÈCE
(Requête no 45290/11)
ARRÊT
STRASBOURG
14 janvier 2016
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Ventouris et Ventouri c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Mirjana Lazarova Trajkovska,
présidente,
Päivi Hirvelä,
Guido Raimondi,
Ledi Bianku,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Paul Mahoney,
Armen Harutyunyan, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 décembre 2015,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 45290/11) dirigée contre la République hellénique et dont deux ressortissants de cet État, M. Ioannis Ventouris et Mme Athina Ventouri (« les requérants »), ont saisi la Cour le 18 juillet 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants ont été représentés par Me K. Siourounis, avocat à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M. K. Georghiadis, assesseur au Conseil juridique de l’Etat, et Mme A. Magrippi, auditrice au Conseil juridique de l’Etat.
3. Les requérants allèguent une violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1, en raison du refus de l’administration de se conformer à une décision de justice.
4. Le 3 février 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Les requérants sont nés respectivement en 1940 et 1987 et résident au Pirée.
6. Les requérants sont propriétaires d’un terrain de 123,50 m² et d’un bâtiment sis sur ce terrain d’une superficie de 117 m² dans la commune de Drapetsona.
7. Cette propriété qui appartenait initialement à leurs aïeux fut expropriée en 1926. Toutefois, par une décision du 12 mars 1938, les ministres de l’Agriculture et de la Santé publique levèrent l’expropriation.
8. Le 23 janvier 1969, les ministres de l’Économie et de la Sécurité sociale bloquèrent à nouveau cette propriété en vue de son expropriation. Le 27 septembre 1974, suite à un arrêt du Conseil d’Etat saisi par les aïeux des requérants, les mêmes ministres levèrent le blocage.
9. Le 29 mai 1986, un décret présidentiel modifia le plan urbain de la commune de Drapetsona entrainant ainsi un nouveau blocage. Il précisait que la propriété litigieuse servirait à la création d’un espace vert public.
10. Par deux actes des 20 mars 1997 et 29 décembre 2000, le premier requérant reçut en tant qu’héritier de son père, E. Ventouris, et de sa mère, A. Ventouri, un pourcentage respectivement de 3/8 et de 1/8 en indivis de la propriété litigieuse. Par un legs parental du 17 novembre 2008, la deuxième requérante acquit en indivision un pourcentage de 50% de la propriété litigieuse de la part de son père, A. Ventouris.
11. Entretemps, comme l’expropriation décidée par décret du 29 mai 1986 n’avait pas eu lieu et qu’aucune indemnité n’avait été versée, A. Ventouris et le premier requérant saisirent, le 12 juin 2001, la cour administrative d’appel d’Athènes d’un recours contre le refus implicite de lever le blocage. Par son arrêt no 1056/2002 du 29 avril 2002, la cour d’appel administrative fit droit à la demande et renvoya l’affaire à l’administration afin que celle-ci prenne les mesures nécessaires à la levée du blocage.
12. Comme l’administration ne réagit pas, les requérants envoyèrent, le 10 mars 2004, à la préfecture du Pirée une lettre de protestation : ils se plaignaient du manque de diligence de celle-ci de se conformer à l’arrêt no 1056/2002 et ils l’invitaient à s’abstenir d’imposer un nouveau blocage sur leur propriété.
13. Suite à l’intervention de la préfecture du Pirée auprès de la commune de Drapetsona, cette dernière informa la préfecture qu’elle comptait réimposer une expropriation et qu’elle avait prévu une somme de 400 000 euros dans son budget au titre de l’indemnité d’expropriation.
14. Le 7 juin 2004, la préfecture du Pirée leva l’expropriation, mais en même temps elle procéda à une nouvelle modification du plan urbain de la commune de Drapetsona, imposant ainsi une nouvelle expropriation de la propriété litigieuse.
15. Le 7 décembre 2004, les requérants saisirent le Conseil d’Etat d’un recours en annulation de la décision susmentionnée de la préfecture du Pirée.
16. Par un arrêt no 1295/2008 du 16 avril 2008, le Conseil d’Etat annula la décision attaquée et le blocage de la propriété qui en découlait au motif que le plan urbain modificatif qui devait être annexé à cette décision n’avait pas été publié dans le Journal Officiel.
17. Suite à l’arrêt précité du Conseil d’Etat, la Direction de l’Urbanisme du Pirée demanda, le 18 mai 2009, à la commune de Drapetsona de lever l’expropriation, mais cette dernière décida, par un acte no 106/2009, de procéder à une nouvelle expropriation afin de créer un espace vert. La commune inscrivit une somme de 100 000 EUR dans son budget au titre de l’indemnité d’expropriation.
18. Le 20 décembre 2012, le Conseil compétent en matière de questions et litiges urbanistiques (SYPOTHA) invita la commune à initier la procédure de publication de la proposition de modification du plan urbain.
19. Par un document du 8 mars 2013, la Région de l’Attique fixa à la commune de Drapetsona un délai a) pour la publication légale précitée, b) pour prévoir dans son budget 2013 une somme pour l’indemnité d’expropriation de la propriété des requérants, et c) de tenir informée la Région d’Attique de l’évolution des démarches mentionnées sous a) et b) afin que la procédure d’expropriation décidée par l’acte no 106/2009 soit poursuivie. Le même document indiquait en détail à la municipalité la procédure à suivre pour mettre en œuvre les recommandations de la Région de l’Attique. Toutefois, la commune de Drapetsona n’envoya pas les informations demandées dans le délai imparti.
20. Le 21 mai 2013, les requérants demandèrent à la Région de l’Attique de mettre le dossier à jour afin que la procédure d’approbation du plan urbain soit complétée.
21. Le 27 novembre 2014, la Région de l’Attique émit un avis à l’attention du SYPOTHA en faveur de la levée de l’expropriation. Elle proposait aussi en même temps la modification du plan urbain comme suit : 1) déclassifier la propriété litigieuse d’espace vert et la reclassifier comme constructible en prévoyant une zone piétonnière dans le pourtour ; 2) fixer l’usage de la propriété comme bar-cafétéria-restaurant avec des limites à la construction ; 3) rejeter partiellement la demande des requérants ; 4) transmettre le dossier à la commune aux fins de la publication.
22. Le SYPOTHA inscrivit l’examen de l’avis susmentionné à l’ordre du jour de sa réunion du 17 février 2015, mais ce point fut reporté en raison du défaut de quorum.
23. Lors de sa réunion du 17 mars 2015, le SYPOTHA conclut qu’il fallait procéder à la levée de l’expropriation. Toutefois, il proposa que l’usage de la propriété soit limité au fonctionnement d’un bar-cafétéria-restaurant, que le coefficient de construction soit réduit de 2,60% (applicable dans le quartier) à 1% et que la hauteur de toute construction soit limitée à un seul étage. Le SYPOTHA communiqua sa décision à la commune de Drapetsona afin qu’elle modifie le plan urbain.
24. Le 4 mai 2015, la commune informa la « commission de la qualité de la vie » de la procédure qui devait être suivie à cet égard. Le 12 mai 2015, elle informa aussi le SYPOTHA que la procédure de modification du plan urbain était en cours.
25. Le 17 juin 2015, la commission de la qualité de la vie se prononça en faveur de l’expropriation de la propriété des requérants. Le 3 juillet 2015, le conseil municipal décida de réimposer l’expropriation dans le but de créer un espace vert et de prévoir une somme de 200 000 euros au titre de l’indemnité d’expropriation.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
26. Pour le droit et la pratique internes pertinents et notamment les dispositions pertinentes de la loi d’accompagnement du code civil se référer à l’arrêt Fix c. Grèce (no 1001/09, §§ 28-31, 12 juillet 2011).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
27. Les requérants se plaignent de l’impossibilité dans laquelle ils se sont trouvés de disposer de leur propriété, au moins depuis le troisième blocage intervenu en 1986, et compte tenu du fait que d’autres blocages avaient eu lieu depuis 1926. Ils allèguent une violation de l’article 1 du Protocole no 1, aux termes duquel :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens en vertu de l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
28. En premier lieu, le Gouvernement soutient que les griefs des requérants se rapportant aux faits de l’espèce qui se sont déroulés avant le 20 novembre 1985, date de la prise d’effet de la reconnaissance du droit de recours individuel par la Grèce, échappent à la compétence ratione temporis de la Cour.
29. En deuxième lieu, le Gouvernement invite la Cour à rejeter partiellement ce grief, pour incompatibilité ratione personae avec les dispositions de l’article 1 du Protocole no 1, car les requérants ne sont devenus que tardivement propriétaires du bien litigieux : le premier requérant ne disposait pas d’un titre légal lui permettant d’user de sa propriété avant les 20 mars 1997 et 29 décembre 2000 (paragraphe 10 ci-dessus) ; la deuxième requérante ne s’est substituée aux droits d’A. Ventouris que le 17 novembre 2008 (paragraphe 10 ci-dessus), de sorte que, jusqu’à cette date, seul ce dernier, en tant que propriétaire, avait l’usage du bien litigieux.
30. En troisième lieu, le Gouvernement affirme que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes. D’une part, dans leur recours en annulation du 7 décembre 2004, ni A. Ventouris, ni le premier requérant, n’ont invoqué l’article 1 du Protocole no 1 ou des dispositions à effet équivalent. Leurs griefs étaient fondés exclusivement sur le droit interne. D’autre part, les requérants n’ont pas introduit une action en dommages-intérêts contre l’Etat sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil.
31. Les requérants réfutent les exceptions du Gouvernement. Plus particulièrement, en ce qui concerne l’allégation de non-épuisement des voies de recours internes faute d’avoir introduit une action sur le fondement de l’article 105 précité, les requérants soutiennent que cette action ne permet que l’octroi d’une indemnité et non le rétablissement de l’usage de leur propriété bloquée pendant trente ans, voire quatre-vingt-dix ans si on tient compte de la période 1926-1985.
32. La Cour note que onze ans séparent la levée du blocage de propriété en 1974 et le nouveau blocage en 1986, ce qui exclut toute « situation continue » au sens de la jurisprudence de la Cour. Par contre, depuis 1986, le blocage de la propriété des requérants a été ininterrompu et ceux-ci se sont trouvés dans l’impossibilité d’utiliser ou d’exploiter leur bien, ayant donc à supporter une charge substantielle. Toutefois, ceux-ci auraient dû saisir les tribunaux administratifs d’une action en réparation fondée sur les articles 105 et 106 de la loi d’accompagnement du code civil. En effet, la jurisprudence interne accepte explicitement que, si l’administration bloque un terrain au-delà du délai raisonnable, le propriétaire affecté peut demander une indemnité pour le dommage subi. Lors de l’examen de cette demande, les tribunaux saisis procèdent au contrôle de la légalité de l’acte administratif visé. Les requérants ne sauraient donc reprocher aux autorités nationales de les avoir privés de l’usage et d’exploitation de leur propriété pendant une longue période, parce qu’eux-mêmes ne leur ont pas donné l’occasion de redresser la situation dont ils se plaignent actuellement devant la Cour (voir parmi beaucoup d’autres, Roussakis et autres c. Grèce (déc.), no 15945/02, 8 janvier 2004 ; Amalia S.A. et Koulouvatos S.A. c. Grèce (déc.), no 20363/02, 28 octobre 2004 ; Galatalis c. Grèce (déc.), no 36251/03, 12 mai 2005, Panagiotis Gikas et Georgios Gikas c. Grèce, no 26914/07, §§ 46-48, 2 avril 2009). Les recours devant les juridictions administratives qu’ils ont entrepris en l’espèce ne pouvaient avoir pour effet que l’annulation du rejet implicite par l’administration de lever la charge pesant sur leur propriété et ne pouvaient réparer le préjudice que son blocage durant de longues années a pu leur causer.
33. Pareille conclusion vaut également pour le grief visant la période qui a suivi l’arrêt du Conseil d’Etat du 16 avril 2008. Il est évident qu’en tardant à lever l’expropriation litigieuse, l’administration prive actuellement les intéressés de la jouissance de leur bien. Or, pour redresser le dommage subi du fait de cette inertie de l’administration, les requérants avaient la possibilité de demander réparation, en se fondant toujours sur les articles 105 et 106 de la loi d’accompagnement du code civil.
34. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
35. Les requérants se plaignent du refus de l’administration de se conformer aux arrêts no 1056/2002 de la cour administrative d’appel et no 1295/2008 du Conseil d’Etat. Ils allèguent une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur la recevabilité
36. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter ce grief pour incompatibilité ratione personae avec les dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention. Il souligne que la deuxième requérante ne s’est substituée que le 17 novembre 2008 aux droits d’A. Ventouris de sorte qu’elle ne peut pas se plaindre de ne pas avoir bénéficié d’une protection judiciaire effective avant cette date. Quant au premier requérant, il ne démontre pas qu’il aurait pu user réellement de sa propriété, en tant que détenteur ou possesseur, avant les dates auxquelles il a accepté la succession (20 mars 1997 et 29 décembre 2000).
37. Les requérants soutiennent que la thèse du Gouvernement non seulement est privée de base légale, mais, si elle était adoptée, offrirait aux autorités la possibilité de violer indéfiniment la Convention et priverait la victime de tout recours à la Cour. En particulier, en cas de décès répétés de propriétaires successifs, la propriété pourrait changer plusieurs fois de main, mais en raison du fait que chaque propriétaire successif aurait nouvellement acquis la propriété et n’aurait pas eu le temps de se substituer pleinement aux droits de son prédécesseur, les autorités - sans être gênées - pourraient continuer à violer la Convention.
38. La Cour rappelle que par « victime », l’article 34 de la Convention désigne la personne directement concernée par l’acte ou omission litigieux, l’existence d’un manquement aux exigences de la Convention se concevant même en l’absence de préjudice (Ressegatti c. Suisse, no 17671/02, § 19, 13 juillet 2006).
39. Dans le cadre du présent grief, les requérants se plaignent du refus de l’administration de se conformer aux arrêts de 2002 et 2008 relatifs au blocage du bien dont ils sont actuellement propriétaires. Ils sont donc directement concernés par l’omission litigieuse.
40. Les requérants peuvent donc se prétendre victimes de la violation alléguée.
41. La Cour constate par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.
B. Sur le fond
42. Le Gouvernement soutient que compte tenu des actions entreprises par l’administration pour se conformer aux décisions judiciaires dont il s’agit et qui sont encore en cours, les requérants ne sauraient se plaindre valablement d’un refus de l’administration de se conformer à ces décisions.
43. Les requérants soulignent que leur propriété est bloquée depuis de longues années sans qu’ils aient été indemnisés et sans qu’ils aient la possibilité d’en user ou de l’exploiter commercialement. Son statut légal demeure identique à celui qu’elle avait en 2002 lorsque la cour administrative d’appel a rendu son arrêt. Depuis cette date, l’administration ne leur a versé aucune indemnité d’expropriation et n’a pas levé les charges qui pèsent sur la propriété litigieuse.
44. La Cour rappelle que le droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention serait illusoire, si l’ordre juridique interne d’un Etat contractant permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d’une partie. L’exécution d’un jugement, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l’article 6. La Cour a déjà reconnu que la protection effective du justiciable et le rétablissement de la légalité impliquent l’obligation pour l’administration de se plier à un jugement ou arrêt prononcé par la plus haute juridiction administrative de l’Etat en la matière (voir, notamment, Hornsby c. Grèce, arrêt du 19 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, pp. 510-511, § 40 et suiv. ; Karahalios c. Grèce, no 62503/00, § 29, 11 décembre 2003). De surcroît, la Cour souligne l’importance particulière que revêt l’exécution des arrêts de justice dans le contexte du contentieux administratif (voir Iera Moni Profitou Iliou Thiras c. Grèce, no 32259/02, § 34, 22 décembre 2005).
45. En l’espèce, la Cour note que le 29 avril 2002, la cour administrative d’appel a annulé l’omission de l’administration de lever l’expropriation de la propriété litigieuse imposée par le décret du 29 mai 1986 (paragraphe 11 ci-dessus). Si le 7 juin 2004 la préfecture du Pirée a levé l’expropriation, la commune de Drapetsona en a imposé une nouvelle que le Conseil d’Etat a annulée le 16 avril 2008 pour défaut de formalités en matière de publication (paragraphes 14 et 16 ci-dessus). En 2009, la commune de Drapetsona a imposé une nouvelle expropriation dans le but de créer un espace vert, sans cependant se conformer aux formalités requises (paragraphe 17 ci-dessus). Ce n’est que les 20 décembre 2012 et 8 mars 2013 que le SYPOTHA et la Région de l’Attique ont demandé à la commune de s’y conformer mais cette dernière n’a pas respecté le délai qui lui était imparti (paragraphes 18-19 ci-dessus). Le 27 novembre 2014, puis le 17 mars 2015, la Région de l’Attique et le SYPOTHA respectivement recommandèrent la levée de l’expropriation, mais pour en imposer une nouvelle (paragraphes 21 et 23 ci-dessus). Le 3 juillet 2015, le conseil municipal décida de réimposer l’expropriation dans le but de créer un espace vert (paragraphe 25 ci-dessus).
46. En bref, la Cour constate que depuis l’arrêt de la cour administrative d’appel en 2002, ou même depuis l’arrêt du Conseil d’Etat en 2008, et en dépit du contenu de ces arrêts, la situation de la propriété des requérants n’a pas évolué : elle reste toujours bloquée en vue d’une expropriation qui ne se réalise pas et les requérants n’ont reçu aucune indemnité d’expropriation. Les motifs de cette expropriation ont été modifiés à plusieurs reprises, comme les sommes prévues par l’administration pour la future indemnité d’expropriation.
47. Par conséquent, compte tenu de la durée du blocage de la propriété des requérants, la Cour estime que l’administration a manqué à son obligation de mettre en œuvre, avec diligence, des mesures propres à se conformer aux décisions internes rendues en 2002 et 2008.
48. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
49. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
50. Au titre du préjudice matériel, les requérants réclament la somme de 5 000 euros (EUR) par mois à compter de l’écoulement d’un délai de six mois après l’arrêt de la cour administrative d’appel du 16 avril 2002. Au titre du préjudice moral, ils demandent conjointement 120 000 EUR.
51. Le Gouvernement considère que les requérants n’ont pas droit à un dommage matériel ni pour la violation alléguée de l’article 6 § 1 ni pour celle de l’article 1 du Protocole no 1. Quant au dommage moral, il affirme que la somme réclamée est excessive et non-fondée et que le constat de violation constituerait une satisfaction suffisante.
52. La Cour rappelle que le constat de violation de la Convention auquel elle est parvenue résulte exclusivement du retard pris par l’administration pour se conformer à un arrêt du Conseil d’Etat, la sommant de prendre les mesures nécessaires pour lever la charge pesant sur le terrain des requérants. Dans ces conditions, elle n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué par les requérants ; il y a donc lieu de rejeter cet aspect de leurs prétentions (Moschopoulos-Veïnoglou et autres c. Grèce, no 32636/05, § 45, 18 octobre 2007). En revanche, la Cour estime que les requérants ont subi un tort moral certain que ne compense pas suffisamment le constat de violation de la Convention. Statuant en équité, elle leur accorde conjointement 7 800 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.
B. Frais et dépens
53. Les requérants demandent également la somme de 492 EUR chacun pour les frais et dépens engagés devant la Cour.
54. Le Gouvernement estime qu’aucune somme ne devait être accordée aux requérants car l’affaire n’était pas complexe et la procédure était écrite et il n’y a pas eu audience devant la Cour.
55. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 984 EUR au titre des frais et dépens pour la procédure devant la Cour et l’accorde conjointement aux requérants.
C. Intérêts moratoires
56. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser conjointement aux requérants, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i) 7 800 EUR (sept mille huit cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii) 984 EUR (neuf cent quatre-vingt-quatre euros), plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 janvier 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
André Wampach Mirjana
Lazarova Trajkovska
Greffier adjoint Présidente