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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> MARTOCIAN v. ROMANIA - 18183/09 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Fourth Section Committee)) French Text [2016] ECHR 818 (04 October 2016) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/818.html Cite as: ECLI:CE:ECHR:2016:1004JUD001818309, CE:ECHR:2016:1004JUD001818309, [2016] ECHR 818 |
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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE MARTOCIAN c. ROUMANIE
(Requête no 18183/09)
ARRÊT
STRASBOURG
4 octobre 2016
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Martocian c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :
Krzysztof Wojtyczek,
président,
Egidijus Kūris,
Iulia Motoc, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 septembre 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 18183/09) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Vasile Martocian (« le requérant »), a saisi la Cour le 24 mars 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me L. Milos, avocate à Timişoara. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le 18 mars 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1966 et réside à Timişoara. Il était balayeur de rue, employé par une société publique assurant le service de nettoyage des espaces publics de la ville de Timişoara (« la société »).
5. Le 3 janvier 2002, le requérant fut licencié. Il contesta la décision et la cour d’appel de Timişoara fit droit à son action. Après avoir été réintégré, il démissionna au motif qu’il était victime d’harcèlement de la part de la direction de la société.
6. Par un arrêt définitif du 12 mai 2005, la cour d’appel de Timişoara condamna la société à lui verser des dommages et intérêts en raison du refus de lui restituer le livret de travail.
7. Le 1er juin 2005, le requérant demanda à être réintégré comme balayeur, mais la société lui répondit qu’aucun emploi n’était disponible.
8. Le requérant s’inscrit comme demandeur d’emploi auprès de l’Agence départementale pour l’emploi. Le 18 août 2005, l’Agence l’informa qu’on lui avait attribué un emploi de balayeur dans la même société et l’invita à se rendre au siège de cette dernière pour les formalités d’embauche.
9. Le 31 août 2005, le requérant saisit le parquet près le tribunal de première instance de Timişoara d’une plainte pénale avec constitution de partie civile contre les dirigeants de la société. Il accusait ces derniers d’abus dans l’exercice de leurs fonctions, infraction prévue par l’article 246 du code pénal, alléguant qu’ils refusaient de l’embaucher et lui témoignaient une attitude hostile motivée par son appartenance à la minorité Rom. Il exposait que ce refus privait sa famille nombreuse de toute source de revenu.
10. Le 2 février 2006, le parquet rendit un non-lieu au motif qu’il n’y avait aucun indice de culpabilité des dirigeants de la société.
11. Le 18 août 2006, le procureur en chef du parquet accueillit la contestation du requérant. Observant que le parquet n’avait administré aucune preuve, il ordonna la poursuite des investigations. Dans la lettre accompagnant la décision du procureur en chef, il était précisé que le requérant avait la possibilité de contester cette décision devant un tribunal dans un délai de vingt jours à compter de la date de sa communication.
12. Le 22 février 2006, le parquet rendit un deuxième non-lieu au motif que le requérant ne se serait pas présenté à la société pour être réembauché.
13. Le 4 juin 2006, le procureur en chef du parquet accueillit la nouvelle contestation du requérant. Il estima que le parquet n’avait pas suffisamment vérifié la version des faits présentée par le requérant qui alléguait qu’il avait été empêché d’accéder dans les locaux de la société. La lettre rappelait que la décision du procureur en chef pouvait être contestée devant un tribunal dans un délai de vingt jours à compter de sa communication.
14. Le 16 janvier 2008, le parquet rendit un troisième non-lieu estimant qu’il n’y avait aucun indice de culpabilité des dirigeants de la société. Le 11 avril 2008, le requérant contesta ce non-lieu.
15. La contestation fut rejetée le 16 mai 2008 par le procureur en chef du parquet qui considéra que les preuves administrées étayaient le non-lieu. Le 11 juillet 2008, la décision fut communiquée au requérant. Il était de nouveau précisé que le requérant avait la possibilité de contester cette décision dans un délai de vingt jours à compter de sa communication.
16. Le 29 juillet 2008, le requérant contesta cette décision devant le tribunal de première instance de Timişoara.
17. Par un jugement du 15 septembre 2008, le tribunal rejeta le recours du requérant comme étant tardif. Observant que le procureur en chef n’avait pas répondu au requérant dans le délai légal de vingt jours qui lui était imparti, le tribunal estima que le requérant aurait dû saisir les juridictions internes à l’issue de ce délai. Le tribunal conclut qu’en introduisant son action le 29 juillet 2008, le requérant avait dépassé le délai légal pour s’adresser aux juridictions internes. Il jugea que l’omission du procureur en chef de répondre dans le délai légal et la communication tardive de sa décision n’avaient pas d’incidence sur le calcul du délai.
18. Le requérant forma un pourvoi. Il affirma que son recours n’était pas tardif dès lors qu’il l’avait introduit avant l’expiration du délai de vingt jours calculé à partir de la date de la communication de la décision du procureur en chef (le 11 juillet 2008 – paragraphe 15 ci-dessus). Il ajouta qu’il était expressément précisé dans la lettre accompagnant cette décision qu’il disposait d’un délai de vingt jours pour s’adresser au tribunal. Il estima que la méconnaissance par le procureur en chef du délai de réponse ne pouvait entrainer aucune conséquence négative pour lui et conclut que l’interprétation de la loi par les juridictions internes l’avait privé de son droit d’accès à un tribunal.
19. Par un arrêt définitif du 28 novembre 2008, le tribunal départemental de Timişoara rejeta le pourvoi.
20. En raison de l’agravation de plusieurs maladies neorologiques dont il souffre, le requérant est, depuis le mois d’octobre 2012, en incapacité totale et permanente de travail.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
21. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale (CPP) concernant les recours disponibles pour contester une décision du parquet, telles qu’en vigueur à l’époque des faits, se lisaient comme suit :
Article 275 § 1 – Droit de déposer une plainte
« Toute personne peut se plaindre d’une mesure ou d’un acte qui, dans le cadre des poursuites pénales, a porté atteinte à ses intérêts légitimes. »
Article 277 – Délai de traitement de la plainte
« Le procureur traite la plainte dans un délai de vingt jours à compter de la date de sa réception et communique immédiatement sa décision au plaignant. »
Article 278 – Plainte contre un acte du procureur
« Une plainte contre une mesure ou un acte d’instruction pénale accomplis par le procureur (...) donne lieu à une décision du procureur en chef du parquet. »
22. La loi no 281 du 26 juin 2003 (publiée au Journal officiel le 1er juillet 2003) a introduit dans le CPP le nouvel article 2781, qui était ainsi libellé :
Article 2781 –
Plainte auprès du tribunal contre une décision de non-lieu
rendue par le procureur
« 1. Après rejet d’une plainte déposée en vertu des articles 275 et 278 du code de procédure pénale contre une décision de non-lieu rendue par le procureur, la personne lésée ou toute autre personne dont les intérêts légitimes sont lésés peut, dans un délai de vingt jours à compter de la date de la communication de la décision, déposer une plainte auprès du tribunal compétent pour trancher l’affaire en première instance.
2. Si le procureur en chef du parquet (...) n’a pas répondu à la plainte dans le délai de vingt jours mentionné à l’article 277, le délai de vingt jours prévu au premier paragraphe pour saisir les juridictions court à compter de l’expiration du délai dont le procureur avait disposé pour répondre à la plainte. »
23. S’agissant de l’interprétation et de l’application de l’article 2781 du CPP, la pratique judiciaire a connu deux points de vue.
24. Selon le premier, en cas d’absence de réponse du procureur en chef du parquet, le non-respect du délai de vingt jours pour introduire un recours devant les juridictions n’entrainait pas le rejet du recours pour tardivité et, par conséquent, les juges étaient tenus d’examiner son bien-fondé. Ce point de vue a été adopté par les cours d’appel de Constanta et d’Oradea qui, dans des arrêts définitifs rendus les 13 mars et 17 avril 2008 respectivement, ont considéré, se fondant sur les dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention, que l’absence de réponse du procureur en chef dans le délai prévu par la loi n’entrainait pas la déchéance du droit de saisir un tribunal.
25. D’autres cours et tribunaux ont adopté un point de vue contraire et considéraient qu’à défaut de recours dans le délai de vingt jours prévu par le second paragraphe de l’article 2781 du CPP précité, l’intéressé était forclos de contester une ordonnance du parquet. Ce point de vue se retrouve dans la motivation de l’arrêt définitif du 19 septembre 2005 de la Haute Cour de cassation et de Justice.
26. Constatant une interpretation divergente de l’article 2781 du CPP, la Commission pour l’harmonisation de la pratique judiciaire, composée des réprésentants des plus hautes autorités judiciaires du pays, adopta, le 4 juin 2008, le premier point de vue et décida qu’en l’absence de réponse du procureur en chef, l’interprétation correcte de l’article 2781 du CPP était celle qui autorisait l’intéressé à saisir les juridictions internes d’un recours contre une mesure du parquet même après l’expiration du délai de vingt jours.
27. Le 6 avril 2009, les Sections réunies de la Haute Cour de cassation et de Justice, examinant un pourvoi dans l’intérêt de la loi introduit par le procureur général pour harmoniser la jurisprudence divergente, se rallièrent au second point de vue et jugèrent qu’à l’expiration du délai de vingt jours, l’intéressé était déchu du droit de saisir les juridictions d’un recours contre une mesure du parquet.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
28. Le requérant se plaint du rejet pour tardivité de son recours contre le non-lieu du parquet. Il allègue que ce rejet l’a privé de son droit d’accès à un tribunal, tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »
A. Sur la recevabilité
29. A titre liminaire, la Cour observe que le Gouvernement ne conteste pas l’applicabilité en l’espèce de l’article 6 § 1 de la Convention. Elle rappelle qu’une plainte avec constitution de partie civile entre dans le champ d’application de l’article 6 § 1 de la Convention, sauf dans les hypothèses où elle s’analyse en une « vengeance privée » ou une actio popularis et sauf dans les cas où elle emporte renonciation non équivoque de la victime à l’exercice du droit d’intenter une action civile dans le cadre de la procédure pénale (voir, mutatis mutandis, Perez c. France [GC], no 47287/99, §§ 70 et 71, CEDH 2004-I).
30. En l’espèce, la Cour constate que le requérant a porté plainte pénale avec constitution de partie civile pour abus dans l’exercice des fonctions, au motif que les dirigeants de la société auraient refusé de se conformer à une décision de l’Agence départementale pour l’emploi qui lui avait attribué un emploi de balayeur (paragraphe 9 ci-dessus). Le requérant ayant principalement demandé la réparation du préjudice subi du fait de l’infraction alléguée, la Cour ne saurait considérer qu’il s’agissait en l’espèce d’une « vengeance privée » ou que le requérant ait renoncé à son action civile dans le cadre de la procédure pénale. L’article 6 § 1 trouve donc à s’appliquer sous son volet civil à la procédure pénale en cause.
31. Par ailleurs, la Cour constate que le présent grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève également qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
32. Le requérant expose qu’à l’époque des faits et avant l’arrêt du 6 avril 2009 des Sections réunies de la Haute Cour (paragraphe 27 ci-dessus), l’interprétation par les juridictions internes des dispositions pertinentes du CPP n’était pas unitaire. Il en conclut que l’application de la législation interne concernant les délais pour contester les décisions du parquet n’était pas prévisible.
33. Il rappelle que le droit interne prévoit l’obligation, pour le procureur en chef, de communiquer à l’intéressé sa décision. Par conséquent, le requérant estime que le rejet de son recours en raison de la méconnaissance par le procureur en chef de ses obligations était disproportionné et contraire à la lettre et à l’esprit de l’article 2781du CPP, qui consacre un droit d’accès à un tribunal pour contester les décisions du parquet.
34. Le Gouvernement réfute les arguments du requérant. Il avance que l’interprétation de l’article 2781 du CPP donnée par les juridictions internes était conforme à la pratique nationale, dont en particulier celle de la Haute Cour, alors que la position exprimée par la Commission pour l’harmonisation de la pratique judiciaire (paragraphe 26 ci-dessus) n’était pas contraignante. Il ajoute que cette interprétation a été confirmée par les sections réunies de la Haute Cour dans l’arrêt rendu le 6 avril 2009 (paragraphe 27 ci-dessus).
35. Le Gouvernement soutient également que la cause du requérant a été entendue équitablement et de manière contradictoire, l’intéressé, assisté par un avocat, ayant eu la possibilité de participer aux audiences et d’exposer ses arguments. Or, il aurait omis de présenter devant les juridictions internes des exemples pertinents de jurisprudence à l’appui de sa thèse.
2. Appréciation de la Cour
36. La Cour rappelle que la réglementation relative aux formalités et aux délais à respecter pour former un recours vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Les intéressés doivent pouvoir s’attendre à ce que ces règles soient appliquées. Toutefois, les règles en question, ou l’application qui en est faite, ne devraient pas empêcher le justiciable d’utiliser une voie de recours disponible (Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne, 28 octobre 1998, §§ 44-45, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VIII ; Tricard c. France, no 40472/98, § 29, 10 juillet 2001 ; Aepi S.A. c. Grèce, no 48679/99, § 23, 11 avril 2002 ; Popa c. Roumanie (déc.), no 43768/06, § 16, 9 décembre 2014).
37. La Cour note qu’en l’espèce, la plainte avec constitution de partie civile du requérant a été rejetée, les tribunaux internes considérant que le délai prévu par l’article 2781 du CPP pour contester le non-lieu était dépassé.
38. La Cour rappelle qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne. Le rôle de la Cour se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, 19 décembre 1997, § 31, Recueil 1997‑VIII ; Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, 19 février 1998, § 33, Recueil 1998‑I ; et Aepi S.A. c. Grèce, no 48679/99, § 23, 11 avril 2002).
39. La Cour constate que le droit interne prévoit une obligation à la charge du parquet de communiquer à l’intéressé ses décisions (voir l’article 277 du CPP - paragraphe 21 ci-dessus). A cet égard, elle note qu’au cours de la procédure, le requérant a été informé à trois reprises par le procureur en chef du rejet de ses plaintes et de la possibilité de contester les décisions du parquet dans un délai de vingt jours après leur communication (paragraphes 11, 13 et 15 ci-dessus).
40. À la lumière des conclusions du tribunal de première instance de Timişoara et du tribunal départemental de Timis, force est de constater que l’information fournie au requérant s’est avéré erronée. Cependant, la Cour ne saurait ignorer qu’à l’époque des faits, le délai de contestation indiqué par le parquet était appliqué par une partie des cours et des tribunaux internes, l’unification de la jurisprudence concernant la computation de ce délai n’ayant eu lieu qu’à partir du 6 avril 2009 (paragraphe 27 ci-dessus), soit, après l’arrêt définitif du tribunal départemental du 28 novembre 2008 (paragraphe 19 ci-dessus).
41. Au vu des informations fournies de manière officielle par le parquet au requérant et de la pratique interne divergente, la Cour estime qu’il ne saurait être reproché au requérant de s’être fié à ces informations et d’avoir introduit son recours devant le tribunal de Timisoara le 29 juillet 2008 (paragraphe 16 ci-dessus), soit avant l’expiration du délai de 20 jours après la communication de la décision du parquet.
42. Certes, la Cour a déjà jugé qu’une association qui avait été tardivement informée du rejet par le parquet de son recours pouvait saisir le tribunal sans attendre la réponse du parquet (Mouvement pour l’intégration spirituelle dans l’absolu c. Roumanie (déc.), no 18916/10, §§ 51-54, 2 septembre 2014).
43. Cependant, la Cour estime qu’elle doit tenir dûment compte du contexte, sans faire preuve de formalisme excessif et en prenant en compte la situation personnelle des personnes concernées. Dans la présente affaire, le requérant, à la différence de l’association susmentionnée, est dépourvu de toute ressource. Sans pouvoir bénéficier de l’aide judicaire au stade initial de la procédure, il a porté plainte, sans l’assistance d’un avocat, contre le refus de réembauche qu’il considérait abusif et discriminatoire (paragraphe 9 ci-dessus). Dès lors, pour contester utilement devant un tribunal la décision du parquet, il eût fallu que les autorités compétentes l’informent correctement et en temps utile de l’existence d’un recours. Or, la Cour rappelle qu’il a été la victime des informations erronées transmises par le parquet à plusieurs reprises. Au vu des circonstances particulières de l’espèce, la Cour estime que l’erreur qui a conduit le requérant au rejet de son recours ne lui était pas imputable.
44. La représentation par un avocat devant le tribunal départemental et sa présence aux débats ne sauraient changer cette conclusion dès lors que le requérant n’aurait pas pu anticiper l’exception tirée de la prescription du droit de saisir les juridictions internes et y remédier avant l’écoulement du délai de prescription.
45. Au vu de ces éléments, la Cour considère que l’interprétation donnée en l’espèce de l’article 2781 du CPP a empêché le requérant de tenter d’obtenir l’annulation du non-lieu et ainsi de défendre efficacement ses droits qui auraient été méconnus par les dirigeants de la société. Elle a donc porté atteinte à la substance même du droit d’accès du requérant à un tribunal.
46. Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
47. Invoquant l’article 1 du Protocole no 12, le requérant se plaint d’une discrimination fondée sur son origine Rom.
48. La Cour souligne que la présente requête concerne la computation du délai de prescription du droit de saisir les juridictions internes et que l’origine du requérant n’a nullement été évoquée devant ces juridictions.
49. Par conséquent, compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par l’article 1 du Protocole no 12. Elle conclut donc que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
50. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
51. Le requérant réclame, au titre du préjudice matériel qu’il aurait subi, 64 676 lei roumains (RON), à savoir environ 14 400 euros (EUR), représentant le montant des salaires non-perçus. Il réclame également 100 000 EUR au titre du dommage moral pour les souffrances causées par le rejet de son recours.
52. Le Gouvernement conteste ces prétentions. Il estime qu’il n’y a pas de lien de causalité entre le dommage matériel allégué et la prétendue violation de la Convention. Il argue également qu’un éventuel dommage moral serait suffisamment compensé par un constat de violation. A titre subsidiaire, le Gouvernement considère que les prétentions du requérant sont excessives.
53. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 3 600 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
54. Pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour, le requérant demande 1 650 EUR et 3 000 RON, à savoir environ 670 EUR. Il fournit des copies des factures pour des frais de traduction.
55. Le Gouvernement estime excessive la demande. Il fait en outre remarquer que le requérant n’a pas produit des justificatifs pour l’ensemble des frais réclamés.
56. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.
57. En l’espèce, la Cour note que le requérant a bénéficié de l’assistance judiciaire pour la procédure devant la Cour. Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 100 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.
C. Intérêts moratoires
58. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie nationale de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :
i) 3 600 EUR (trois mille six cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii) 100 EUR (cent euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 octobre 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Andrea Tamietti Krzysztof
Wojtyczek
Greffier adjoint Président