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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ARION v. ROMANIA - 50443/14 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Fourth Section Committee)) French Text [2016] ECHR 970 (08 November 2016)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/970.html
Cite as: ECLI:CE:ECHR:2016:1108JUD005044314, [2016] ECHR 970, CE:ECHR:2016:1108JUD005044314

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    QUATRIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE ARION c. ROUMANIE

     

    (Requête no 50443/14)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

    STRASBOURG

     

    8 novembre 2016

     

     

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

     


     


    En l’affaire Arion c. Roumanie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :

              Paulo Pinto de Albuquerque, président,
              Iulia Motoc,
              Marko Bošnjak, juges,
    et de Andrea Tamietti, greffier adjoint de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 octobre 2016,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 50443/14) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Costin Arion (« le requérant »), a saisi la Cour le 5 juillet 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le requérant a été représenté par Me G.D. Alexandru, avocat à Ploieşti. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

    3.  Le 18 décembre 2014, le grief concernant les mauvais traitements prétendument subis par le requérant de la part des forces de l’ordre a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

    EN FAIT

    LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    4.  Le requérant est né en 1984 et réside à Ploieşti.

    A.  La plainte pénale du requérant

    5.  Le 14 novembre 2012, le requérant déposa une plainte pénale du chef de comportement abusif (article 250 du code pénal) auprès du parquet près la cour d’appel de Ploieşti. Il se constitua également partie civile.

    Il indiqua que, dans la nuit du 10 au 11 novembre 2012, vers 1 h 30 du matin, alors qu’il se trouvait en face du bâtiment dans lequel il habitait, il avait été interpellé par une patrouille de police constituée de deux agents de police et de deux gendarmes qui l’avaient sommé de présenter ses papiers d’identité. Il déclara qu’il avait demandé des informations supplémentaires sur les raisons de son interpellation et avait finalement refusé de présenter un quelconque document, mais qu’il avait en revanche précisé aux agents de la patrouille qu’il pouvait les renseigner oralement quant à son identité et ses coordonnées. Selon lui, puisqu’il refusait de présenter ses papiers d’identité, deux des membres de la patrouille l’immobilisèrent et le poussèrent, d’un coup porté à la poitrine, à l’intérieur d’une voiture de police. Il indiqua qu’il avait été emmené au siège du commissariat de police no 2 de Ploieşti et que, à son arrivée au commissariat, alors qu’il était toujours immobilisé, il avait été poussé dans une pièce où on lui avait crié « couché, sur le ventre ». Il ajouta qu’on l’avait fait trébucher et qu’il s’était retrouvé par terre. L’agent de police V.P. aurait alors commencé à lui donner des coups de pied. On lui aurait demandé de se lever et d’aller se laver, ce qu’il aurait refusé, arguant qu’il allait déposer une plainte pour violences. Le requérant expliqua qu’il avait à nouveau été immobilisé et conduit dans la salle d’eau, où il avait reçu un coup de poing dans la partie droite du corps et avait été forcé de se laver le visage. N’étant plus capable de marcher, il aurait ensuite été soutenu par les bras pour être installé dans une pièce. Il déclara qu’il avait accepté d’écrire une déclaration sous la dictée d’un policier car il avait été menacé d’autres violences. Selon lui, les forces de l’ordre avaient exigé qu’il attende que le policier en question ait fini d’écrire un document avant de lui notifier un procès-verbal de contravention dressé par l’agent de police M.S., contravention le sanctionnant pour avoir uriné sur la voie publique. Le requérant indiqua qu’il avait été contraint de signer ledit procès-verbal et qu’il avait ensuite été informé qu’il devait attendre le retour de deux policiers partis acheter des bretzels qui devaient le raccompagner à son domicile.

    6.  Dans sa plainte, le requérant demandait l’audition des agents de police impliqués dans l’incident, des confrontations, la soumission au test du polygraphe des personnes impliquées ainsi que la perquisition de la voiture qui l’avait emmené au siège du commissariat de police et de la pièce dans laquelle il avait été installé afin de recueillir des preuves biologiques.

    7.  Le requérant produisit un certificat médicolégal daté du 12 novembre 2012 attestant que, à cette date, il présentait une plaie contuse punctiforme sur la partie dorsale du nez et une tuméfaction de la pyramide nasale avec déviation. Ce certificat fut complété, signalant que, du 13 au 19 novembre 2012, le requérant avait séjourné à l’hôpital départemental de Prahova et que cet hôpital avait établi le diagnostic suivant : « fracture de la pyramide nasale avec déviation ; hémorragie postérieure du nez ; traumatisme cranio-facial ; agression ». En outre, le requérant y avait subi une intervention chirurgicale pour redresser sa pyramide nasale et que, le 20 novembre 2012, l’examen effectué lors de sa sortie de l’hôpital avait révélé une contusion lombaire bilatérale et une ecchymose dans la région lombaire gauche.

    Le certificat médicolégal concluait que les lésions pouvaient dater du 11 novembre 2012 et qu’elles avaient pu être causées par des coups portés avec des objets durs. Selon le certificat, les lésions nécessitaient de quatorze à seize jours de soins.

    8.  Le requérant versa également au dossier le procès-verbal du 11 novembre 2012, par lequel il s’était vu infliger une amende contraventionnelle à hauteur de 300 lei roumains (RON) pour avoir uriné sur la voie publique et pour avoir refusé de présenter sa carte d’identité ou de décliner oralement son identité. Selon le procès-verbal, ces délits avaient été commis à 1 h 40 du matin.

    9.  Les 22 novembre 2012 et 24 février 2013, le requérant réitéra sa plainte auprès de la police judiciaire. En plus de sa plainte initiale, le requérant ajoutait qu’il ne s’était pas opposé aux agents de la patrouille au moment de son interpellation et que, alors qu’il se trouvait dans la voiture de police, il avait reçu un coup de poing sur le nez de la part de l’agent de police V.P. Il indiquait en outre que, lorsqu’on lui avait donné des coups de pied au commissariat de police, il s’était protégé la tête et le visage avec les mains.

    10.  Après s’être vu attribuer le dossier, le parquet près le tribunal de première instance de Ploieşti ouvrit une instruction préliminaire à l’égard des quatre agents impliqués dans l’incident du 11 novembre 2012.

    11.  Le 17 juillet 2013, le requérant fut entendu par le procureur.

    12.  En juillet et août 2013, les agents de police et les gendarmes impliqués dans les événements furent à leur tour entendus par le parquet. Ils nièrent avoir agressé ou insulté le requérant ou avoir proféré des menaces à son encontre. Ils déclarèrent que le requérant était en état d’ébriété, qu’il avait proféré des injures à leur égard et qu’il avait refusé de décliner son identité. Seul l’agent de police M.S. indiqua que le requérant s’était borné à décliner oralement son état civil.

    13.  Le gendarme G.P. déclara que le requérant présentait une lésion au niveau du nez et du sang séché sur le visage. Interrogé sur l’origine de sa blessure et du sang, le requérant aurait refusé d’y répondre.

    14.  L’agent de police V.P. et le deuxième gendarme déclarèrent que le requérant avait affirmé que sa lésion était due à une chute à la sortie d’un bar où il avait consommé de l’alcool.

    15.  Entendu le 7 août 2013, O.M.C., un témoin proposé par le requérant, déclara que, dans la nuit du 10 au 11 novembre 2012, ils avaient regardé ensemble un match de boxe à la télévision et que le requérant avait consommé deux ou trois bières. Il indiqua que, vers une heure du matin, il avait accompagné le requérant jusqu’à l’arrière du bâtiment dans lequel celui-ci habitait. Il ajouta que le requérant ne portait pas de traces de violence ni de sang et que personne ne se trouvait dans la rue à cette
    heure-là. Il déclara qu’il n’avait pas non plus aperçu d’agents de police ou de gendarmes.

    16.  Par une décision du 8 août 2013, le parquet près le tribunal de première instance de Ploieşti prononça un non-lieu. Renvoyant aux déclarations des agents de police et des gendarmes, il conclut que ceux-ci n’avaient pas agressé le requérant et que les lésions de celui-ci auraient pu être provoquées avant l’arrivée de la patrouille de police. Le parquet nota, entre autres, que les agents de l’État avaient nié avoir insulté ou menacé le requérant. Il considéra que les agissements des agents de l’État étaient conformes aux dispositions de l’article 26 de la loi no 218/2002 sur l’organisation et le fonctionnement de la police roumaine, qui confiait aux patrouilles de police le rôle de défense et de maintien de l’ordre public. En outre, il ajouta que l’article 31 a) et b) de la même loi autorisait les agents à emmener le requérant au siège de la police aux fins de son identification et de l’application des mesures légales et que, en conclusion, la conduite au poste de police du requérant s’était avérée nécessaire.

    17.  Le 19 septembre 2013, le procureur en chef du parquet confirma cette décision. Il estima que le requérant avait en effet pu être agressé par quelqu’un d’autre ou être tombé avant l’arrivée de la patrouille de police. En outre, il souligna que le médecin légiste, qui n’avait pas à sa disposition tous les éléments de l’instruction, avait conclu que les lésions du requérant avaient été provoquées par des coups portés avec des objets durs uniquement sur la base des propos de ce dernier. Enfin, il conclut que si le requérant avait eu un comportement irréprochable, il n’aurait pas été interpellé par les forces de l’ordre. En effet, selon lui, les agents de l’État avaient à juste raison appréhendé le requérant qui urinait sur la voie publique.

    18.  Le requérant contesta le non-lieu devant le tribunal de première instance. Il argua que, s’il avait effectivement été agressé par une tierce personne, comme l’avançait le procureur, les agents de l’État auraient dû, eu égard à son état, appeler les urgences afin qu’il fût soigné. Il ajouta que, aux yeux du procureur, une chute aurait pu être susceptible de causer les lésions identifiées par le certificat médicolégal du 12 novembre 2012 (paragraphe 7 ci-dessus). En outre, il soutint qu’il s’était retrouvé seul face à plusieurs agents de l’État et dénonça l’emploi d’une force excessive par les forces de l’ordre en l’espèce. Il argua enfin que le non-lieu prononcé par le parquet constituait un vote de confiance en faveur des agents de l’État qui seraient ainsi encouragés à employer la force indifféremment des circonstances ou du comportement de la personne soumise à leur contrôle. Le requérant réitéra sa demande visant à soumettre les agents au test du polygraphe.

    19.  Par une décision du 6 janvier 2014, le tribunal de première instance de Ploieşti confirma le non-lieu prononcé par le parquet.

    B.  Les autres procédures concernant le requérant

    20.  Le requérant forma une contestation contre le procès-verbal du 11 novembre 2012 (paragraphe 8 ci-dessus). D’après le Gouvernement, le requérant avait ensuite renoncé à poursuivre cette action en justice.

    21.  Une enquête du chef d’outrage fut engagée à l’encontre du requérant. Dans un procès-verbal séparé concernant son interpellation qui avait été dressé le 12 novembre 2012, il était mentionné que le requérant était en état d’ébriété, qu’il avait proféré des injures à l’encontre des agents de l’État et qu’il avait refusé de décliner son identité. Le procès-verbal indiquait également que le requérant présentait des traces de sang sur le visage causées par des égratignures au niveau du nez.

    La Cour n’a pas été informée de l’issue de cette procédure.

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

    22.  Le requérant se plaint d’avoir été soumis à des mauvais traitements lors de son interpellation du 11 novembre 2012 par les forces de l’ordre. Il invoque les articles 3 et 5 de la Convention.

    La Cour considère qu’il y a lieu d’examiner ces griefs sous l’angle du volet matériel du seul article 3 de la Convention, lequel est ainsi libellé :

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité

    23.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

    B.  Sur le fond

    1.  Arguments des parties

    24.  Le requérant affirme qu’il a été victime de mauvais traitements de la part d’un agent de police lors de son interpellation, le 11 novembre 2012. Pour étayer son allégation, il se réfère :

    -  à la déclaration du témoin qu’il avait proposé, O.M.C., selon laquelle il ne portait pas de traces de violences ni de sang au moment où ils s’étaient quittés, peu de temps avant l’apparition des forces de l’ordre (paragraphe 15 ci-dessus) ;

    -  aux déclarations contradictoires des policiers et des gendarmes quant aux renseignements portant sur son identité (paragraphe 12 ci-dessus) et aux explications sur les traces de sang sur son visage (paragraphes 13 et 14
    ci-dessus) qu’il leur aurait fournis ;

    -  au certificat médicolégal qui faisait état de lésions ayant pu être causées par des coups portés avec des objets durs (paragraphe 7 ci-dessus).

    25.  Le Gouvernement affirme que le requérant n’a pas subi de mauvais traitements aux mains des forces de l’ordre et renvoie à cet effet aux conclusions des autorités judiciaires internes. Il soutient également que l’existence d’un lien de causalité entre les lésions constatées sur le requérant et les prétendus agissements des agents n’a aucunement été établi. Il argue en outre que, d’après les déclarations recueillies en l’espèce, le requérant avait quitté la maison de son ami, le témoin O.M.C., vers une heure du matin, et qu’il avait été interpellé par la police vers 1 h 30 ou 1 h 40 du matin. Or, selon le Gouvernement, compte tenu de l’état d’ébriété de l’intéressé, il était très plausible que la blessure au nez et le sang séché sur le visage de celui-ci, que tous les agents avaient constatés dans leurs déclarations, aient été le résultat d’un accident antérieur à l’interpellation. En outre, le Gouvernement soutient que le certificat médicolégal produit par le requérant ne décrivait pas de lésions au niveau des mains, des bras, du dos, du ventre ni des jambes alors que l’intéressé alléguait avoir reçu des coups de pied et s’être protégé contre ces coups avec les mains (paragraphe 9 ci-dessus). Enfin, le Gouvernement déclare que le requérant a renoncé à sa contestation formée contre le procès-verbal de contravention (paragraphe 20 ci-dessus), ce qui signifie, selon lui, qu’il a accepté la version des faits présentée dans ce document.

    2.  Appréciation de la Cour

    26.  La Cour rappelle qu’un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause et, notamment, de la durée du traitement, de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 67, CEDH 2006-IX).

    En l’espèce, la Cour relève à titre liminaire qu’il n’est pas contesté que les blessures du requérant revêtaient une gravité suffisante pour entrer dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention. En effet, le certificat médicolégal produit par le requérant attestait que celui-ci souffrait d’un traumatisme cranio-facial et d’une contusion ayant généré une ecchymose lombaire (paragraphe 7 ci-dessus).

    27.  La Cour observe ensuite que, en ce qui concerne l’usage de la force au cours d’une interpellation, elle doit rechercher si la force utilisée était strictement nécessaire et proportionnée et si l’État doit être tenu pour responsable des blessures infligées (Rashid c. Bulgarie, no 47905/99, § 45, 18 janvier 2007). Pour répondre à cette question, elle doit prendre en compte les blessures occasionnées et les circonstances dans lesquelles elles l’ont été (R.L. et M.-J.D. c. France, no 44568/98, § 68, 19 mai 2004). De plus, il incombe normalement au Gouvernement d’apporter des preuves pertinentes démontrant que le recours à la force était à la fois proportionné et absolument nécessaire (Rehbock c. Slovénie, no 29462/95, §§ 72 à 76, CEDH 2000-XII, et Altay c. Turquie, no 22279/93, § 54, 22 mai 2001).

    28.  La Cour souligne également que, en cas d’allégations sur le terrain de l’article 3 de la Convention, elle doit se livrer à un examen particulièrement approfondi (Vladimir Romanov c. Russie, no 41461/02, § 59, 24 juillet 2008). Lorsqu’il y a eu une procédure interne, il n’entre toutefois pas dans les attributions de la Cour de substituer sa propre vision des choses à celle des cours et tribunaux internes, auxquels il appartient en principe de peser les données recueillies par eux (Jasar c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, no 69908/01, § 49, 15 février 2007). Même si les constatations des tribunaux internes ne lient pas la Cour, il lui faut néanmoins des éléments convaincants pour pouvoir s’écarter des constatations auxquelles ils sont parvenus (Matko c. Slovénie, no 43393/98, § 100, 2 novembre 2006).

    29.  Pour apprécier les éléments qui lui permettent de dire s’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention, la Cour se rallie au principe de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable », mais ajoute qu’une telle preuve peut résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (Jalloh, précité, § 67, et Ramirez Sanchez c. France [GC], no 59450/00, § 117, CEDH 2006-IX).

    30.  En l’espèce, la Cour note que, si les circonstances exactes dans lesquelles le requérant a été blessé font l’objet de vives controverses entre les parties, le Gouvernement ne conteste pas que le requérant a subi des lésions le 11 novembre 2012, jour de son interpellation. La Cour tiendra donc pour établi que les lésions constatées sont apparues sur le corps de l’intéressé à cette date-là. Il reste qu’il a pu être agressé soit peu avant l’arrivée de la police, soit après son interpellation, ou bien à la fois avant l’arrivée de la police et lors de sa conduite au commissariat de police (voir, mutatis mutandis, Iambor c. Roumanie (no 1), no 64536/01, § 164, 24 juin 2008).

    31.  La Cour en vient maintenant à la controverse entre les parties quant à l’origine des blessures constatées sur le requérant. Ce dernier affirme qu’il a été agressé tout de suite après son interpellation, dans la voiture de police puis dans les locaux du commissariat. Le Gouvernement se prévaut de la conclusion de l’enquête interne selon laquelle aucun des agents de l’État n’avait commis le moindre acte d’agression envers le requérant le 11 novembre 2012.

    32.  En premier lieu, la Cour note à cet égard qu’à l’origine des faits de la cause se trouve l’interpellation du requérant par les agents des forces de l’ordre et les actes de ces derniers en vue de l’emmener au commissariat de police pour contrôler son identité et lui infliger une sanction contraventionnelle. Elle remarque que le requérant allègue que les agents ont fait usage de la force lors de leur intervention, ce qui l’aurait empêché de les accompagner de son plein gré au commissariat de police.

    33.  En deuxième lieu, la Cour souligne avoir déjà reconnu la gravité des blessures constatées sur le requérant, à savoir un traumatisme cranio-facial et une contusion ayant généré une ecchymose lombaire (paragraphe 7
    ci-dessus). Or il ne ressort pas des décisions internes que l’intéressé avait opposé une quelconque résistance physique aux agents de l’État. Ces décisions font uniquement état d’injures proférées par le requérant à l’encontre des forces de l’ordre. Il apparaît d’ailleurs que le requérant s’est vu infliger une amende contraventionnelle uniquement pour comportement indécent sur la voie publique et pour avoir refusé de fournir des renseignements sur son identité. De plus, en l’absence d’informations sur l’issue de la procédure pour outrage engagée à l’encontre du requérant (paragraphe 21 ci-dessus), il ne saurait être établi que, lors de l’incident, le requérant a eu un comportement particulièrement violent ou a fait preuve d’agressivité physique, ni qu’il a constitué une menace pour les agents qui l’interpellaient.
    Dans ce contexte, il convient de souligner que l’état d’ivresse avancée d’un particulier ou son vocabulaire abusif à l’égard de policiers ne saurait justifier un recours à la force supérieur à celui que l’interpellation de l’intéressé exige (Roşioru c. Roumanie, no 37554/06, § 64, 10 janvier 2012). De plus, la Cour prend note du fait que les policiers et gendarmes impliqués dans l’incident étaient supérieurs en nombre au requérant. En effet, l’intéressé était seul face à quatre personnes.

    34.  En troisième lieu, la Cour rappelle que lorsque les forces de l’ordre conduisent une personne dans des locaux de police, elles doivent consigner immédiatement ou dans les plus brefs délais et de manière aussi précise que possible tout signe visible de traumatisme récemment subi par cette personne. Il s’agit en effet de parer au risque de dissimulation des mauvais traitements susceptibles d’être infligés par les agents de l’État après le placement en garde à vue (Răzvan Laurenţiu Constantinescu c. Roumanie, no 59254/13, § 59, 15 mars 2016). En l’espèce, certains agents ont déclaré avoir observé des traces de sang sur le visage du requérant et que celui-ci leur avait dit qu’elles étaient consécutives à une chute (paragraphe 14
    ci-dessus). En outre, dans le procès-verbal d’interpellation du 12 novembre 2012, les policiers ont mentionné que les traces de sang sur le visage du requérant étaient dues à des égratignures au niveau du nez (paragraphe 21 ci-dessus). À supposer même que les blessures du requérant au visage étaient dues à autre chose que les agissements des agents de l’État qui l’avaient interpellé, ces blessures étaient si sérieuses que, une fois que les forces de l’ordre les avaient remarquées, celles-ci auraient normalement dû agir avec promptitude et diligence pour faire venir un professionnel de santé ou emmener le requérant à l’hôpital (Iambor, précité § 179, Cobzaru c. Roumanie, no 48254/99, § 67, 26 juillet 2007, et Răzvan Laurenţiu Constantinescu, précité, § 61). Or rien de tel n’a été fait en l’espèce.

    35.  La Cour rappelle que l’impossibilité d’établir les circonstances exactes dans lesquelles une personne a été blessée, alors qu’elle se trouvait sous le contrôle d’agents de l’État, ne l’empêche pas de parvenir à un constat de violation matérielle de l’article 3 de la Convention, à défaut pour le gouvernement défendeur d’avoir établi le déroulement des faits de manière satisfaisante et convaincante, éléments de preuve à l’appui (Rupa c. Roumanie (no 1), no 58478/00, § 100, 16 décembre 2008). En l’espèce, eu égard à tout ce qui précède, elle estime que le Gouvernement n’a pas fourni d’arguments convaincants ou crédibles pouvant servir à expliquer ou à justifier le degré de force utilisé par les policiers lors de l’interpellation du requérant. La force employée a été excessive et injustifiée au vu des circonstances.

    La Cour en déduit que les autorités roumaines n’ont pas, en l’espèce, fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour assurer au requérant le niveau de protection requis contre les mauvais traitements.

    36.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention sous son volet matériel.

    II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    37.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    38.  Le requérant réclame la réparation du préjudice moral qu’il dit avoir subi en raison des mauvais traitements infligés par les agents de l’État et tout au long de l’enquête pénale menée en l’espèce. Il demande à ce titre 5 000 euros (EUR).

    39.  Le Gouvernement estime que le seul constat de violation pourrait représenter une satisfaction équitable et, à titre subsidiaire, il soutient que le montant du dommage moral éventuellement accordé devrait refléter le sérieux de la violation constatée par la Cour.

    40.  La Cour juge que la violation de l’article 3 de la Convention sous son volet matériel a causé un préjudice moral à l’intéressé en le plaçant dans une situation de détresse et de frustration. Statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 5 000 EUR au titre du préjudice moral.

    B.  Frais et dépens

    41.  Le requérant demande également 2 400 RON, soit environ 550 EUR, pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes, dont 2 000 RON pour les honoraires d’avocat, 100 RON pour les frais de justice et 300 RON pour l’amende contraventionnelle infligée le jour de l’incident. Il réclame en outre 1 036,40 RON, soit environ 230 EUR, pour les frais et dépens engagés devant la Cour, dont 900 RON d’honoraires d’avocat et 136, 40 RON de frais postaux.

    42.  Le Gouvernement souligne que le reçu délivré par la poste roumaine produit par le requérant à l’appui de sa demande est illisible. Il s’oppose en outre au versement de la somme de 300 RON correspondant à l’amende contraventionnelle infligée au requérant, qui, à ses yeux, ne fait pas partie des frais engendrés pour la prévention ou la réparation d’une violation alléguée de la Convention.

    43.  Compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 710 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.

    C.  Intérêts moratoires

    44.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention, sous son volet matériel ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

    i)  5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  710 EUR (sept cent dix euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 novembre 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

         Andrea Tamietti                                                     Paulo Pinto de Albuquerque
    Greffier adjoint                                                                    
    Président

     


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