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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> KAR v. TURKEY - 25257/05 (Judgment : Struck out of the list (Continued examination not justified) Non-pecuniary damage - award ( Non-...) French Text [2017] ECHR 1030 (21 November 2017) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2017/1030.html Cite as: [2017] ECHR 1030, ECLI:CE:ECHR:2017:1121JUD002525705, CE:ECHR:2017:1121JUD002525705 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE KAR c. TURQUIE
(Requête no 25257/05)
ARRÊT
(satisfaction équitable - radiation)
STRASBOURG
21 novembre 2017
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Kar c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Robert Spano, président,
Julia Laffranque,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 31 octobre 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 25257/05) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Hasan Kar (« le requérant »), a saisi la Cour le 9 juillet 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Par un arrêt du 29 mars 2011 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé qu’il y avait eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (Kar c. Turquie, no 25257/05, § 22, 29 mars 2011).
3. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, le requérant réclamait diverses sommes en indemnisation des préjudices qu’il estimait avoir subis.
4. La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et le requérant à lui soumettre par écrit, dans un délai de trois mois à compter du jour où l’arrêt deviendrait définitif, leurs observations sur la question, et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (idem, § 26, et point 3 du dispositif).
5. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations.
6. Aucun accord permettant d’aboutir à un règlement amiable n’a été trouvé.
EN DROIT
7. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
I. LES OBSERVATIONS DES PARTIES
A. Dommage matériel
8. Le requérant réclame 80 000 EUR euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’il estime avoir subi. Il explique qu’il est difficile d’évaluer la valeur réelle du terrain objet de sa requête devant la Cour, au motif que les biens immobiliers situés dans la même région sont le plus souvent transmis par voie de succession et donc rarement mis en vente. Il indique qu’il a cependant trouvé quelques exemples de vente portant sur de tels biens, et que, d’après ces exemples, le prix au mètre carré d’un terrain situé dans la région est environ de 10 EUR. Par conséquent, il estime que la valeur de son terrain, d’une superficie de 8 004 m², s’élève à environ 80 000 EUR.
9. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la demande d’indemnisation du requérant pour préjudice matériel, qu’il considère comme spéculative et dénuée de fondement.
Il indique que, selon un rapport établi le 30 mars 2015 par la direction des biens de la sous-préfecture de Maçka, le prix au mètre carré du terrain litigieux est de 15,05 livres turques (TRY), et la valeur totale de ce terrain, qui mesurerait précisément 8 004,45 m², de 120 479,99 TRY (soit environ 42 570 EUR à la date de l’établissement de ce rapport).
B. Dommage moral
10. Le requérant demande 15 000 EUR pour dommage moral. Il estime qu’il a subi un préjudice en raison notamment d’un sentiment de peine provoqué par la privation de son bien, qu’il dit avoir acquis de bonne foi et utilisé paisiblement pendant plus de cinquante ans. Il déclare avoir embelli le terrain et avoir planté des arbres fruitiers autour de celui-ci.
11. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter cette demande.
C. Frais et dépens
12. Le requérant demande 5 000 EUR en remboursement des frais et dépens qu’il dit avoir engagés devant la Cour. Sans donner plus de détails, il explique que ce montant correspond à des frais d’expertise et de poste, des taxes et des honoraires d’avocat.
13. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la demande du requérant pour frais et dépens.
II. LE DROIT ET LA JURISPRUDENCE INTERNES PERTINENTS, ET LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EN LA MATIÈRE
14. Pour ce qui est du droit et de la pratique internes pertinents en l’espèce, et de sa jurisprudence en matière de satisfaction équitable dans des affaires relatives à des biens situés dans le domaine forestier, la Cour renvoie à son arrêt Gümrükçüler et autres c. Turquie (satisfaction équitable) (no 9580/03, §§ 17-19, 7 février 2017).
III. LES DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT INTERNE
15. Les développements récents en droit interne figurent également dans l’arrêt Gümrükçüler et autres (satisfaction équitable) (précité, §§ 20-25).
IV. LA DEMANDE DU GOUVERNEMENT
16. Par une lettre du 22 avril 2016, le Gouvernement a demandé à la Cour de déclarer la présente requête irrecevable sur le fondement de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention eu égard aux modifications apportées en droit interne - notamment par le décret ministériel du 25 janvier 2016 - aux compétences de la commission d’indemnisation instituée par la loi no 6384 relative au règlement, par l’octroi d’une indemnité, de certaines requêtes introduites devant la Cour. Il s’est exprimé comme suit à ce sujet :
« La Cour, dans son arrêt pilote Ümmihan Kaplan c. Turquie, avait constaté qu’il existait en Turquie un problème tant structurel que systémique en ce qui concerne l’exigence relative au délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (Ümmihan Kaplan c. Turquie, §§ 48 et 49, 20 mars 2012).
Consécutivement à l’arrêt pilote, une Commission d’Indemnisation a été instaurée avec pour objectif de résoudre certaines requêtes introduites devant la Cour européenne des droits de l’homme par l’octroi d’[une] indemnité (loi no 6384). Cette loi a créé une nouvelle voie de recours pour les allégations de durée excessive de la procédure. La Cour, dans sa décision du 26 mars 2013 concernant la requête no 4860/09 de Müdür Turgut et autres c. Turquie et sa décision du 4 juin 2013 concernant la requête no 56125/10 de Demiroğlu et autres c. Turquie, a conclu à l’irrecevabilité de la requête pour non-épuisement des voies de recours internes au motif que la nouvelle voie de recours était une voie de recours effective et accessible et offrait aux requérants des perspectives raisonnables de redressement de leurs griefs concernant la durée excessive de la procédure au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
La Cour a également noté que la loi no 6384 était applicable à toutes les requêtes pendantes devant elle, soumises avant le 23 septembre 2012 et non encore communiquées au Gouvernement. De même, dans ses décisions telles que Müge Sargın (20236/06), Mahmut Bacak et 44 autres requêtes (18904/09), la Cour a indiqué que la loi no 6384 était applicable [aux] requêtes communiquées au Gouvernement ainsi qu’aux requêtes déclarées irrecevables en raison de l’existence de la Commission en tant que nouveau recours interne.
Comme la Cour a conclu que la Commission constituait un recours accessible en Turquie, le Gouvernement a entamé un processus d’élargissement de la compétence de la Commission d’indemnisation en vertu de la loi no 6384. La compétence de la Commission a été élargie par un décret ministériel du 10 février 2014 (J.O. du 16 mars 2014). Ensuite, elle a été élargie par le décret ministériel du 25 janvier 2016 no 206/8509 (J.O. du 9 mars 2016). Dorénavant, la Commission d’indemnisation est compétente, entre autre[s], pour conna[î]tre des affaires concernant les zones forestières. En effet, selon l’article 4 a), la Commission d’Indemnisation est compétente pour conna[î]tre des requêtes introduites en alléguant une violation du droit de propriété en raison de l’annulation du titre de propriété en application de l’article 2/B de la loi no 6831 du 31 août 1956 ou de la constatation lors des travaux du cadastre que le bien en question se trouvait dans le domaine forestier.
Par conséquent, les requérants ont à leur disposition une nouvelle voie de recours interne. Ils peuvent dorénavant s’adresser à la Commission d’indemnisation pour demander réparation. »
V. LA DÉCISION DE LA COUR
A. Dommage matériel
17. En ce qui concerne la demande du Gouvernement de déclarer la requête irrecevable sur le fondement de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention, la Cour note d’emblée que la requête a déjà été déclarée recevable dans son arrêt au principal du 29 mars 2011 (point 1 du dispositif).
18. Ensuite, la Cour rappelle avoir indiqué à maintes reprises que, en règle générale, l’exigence d’épuiser les voies de recours internes ne s’appliquait pas aux demandes de satisfaction équitable présentées devant elle en vertu de l’article 41 de la Convention. En effet, si, après avoir épuisé, sans succès, les voies de recours internes préalablement à la saisine de la Cour, les requérants étaient tenus d’épuiser d’autres voies de droit afin d’obtenir de celle-ci une satisfaction équitable, la procédure prévue par la Convention se révélerait peu compatible avec une protection effective des droits de l’homme et conduirait à une situation inconciliable avec le but et l’objet de la Convention (voir, pour un exemple récent, S.L. et J.L. c. Croatie (satisfaction équitable), no 13712/11, § 17, 6 octobre 2016, et les affaires qui y sont citées). La Cour rejette donc la demande du Gouvernement.
19. Cela étant, la Cour rappelle également avoir décidé, dans l’arrêt Gümrükçüler et autres ((satisfaction équitable), précité), portant sur une question juridique identique à celle posée en l’espèce, la radiation d’une requête sur le fondement de l’article 37 § 1 c) de la Convention dans la mesure où il était établi que la possibilité concrète d’indemniser les requérants existait au niveau national. Dans cet arrêt, elle a en effet relevé que les organes compétents, « qui sont sur place et ont accès aux biens, registres et archives, ainsi qu’à tous les autres moyens pratiques, sont certainement mieux placés pour statuer sur des questions complexes de propriété et d’évaluation et pour fixer une indemnisation (...) ». (Gümrükçüler et autres (satisfaction équitable), précité, §§ 28-43).
20. L’examen de la présente affaire ne révèle aucune circonstance particulière pouvant conduire à une conclusion différente. Aussi, dans ces conditions, et compte tenu de la nature subsidiaire du mécanisme de contrôle institué par la Convention, la Cour estime-t-elle qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête (article 37 § 1 c) de la Convention).
21. La Cour est en outre d’avis que, en l’espèce, il n’existe pas de circonstances spéciales touchant au respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles qui exigeraient la poursuite de l’examen de la requête (article 37 § 1 in fine de la Convention).
22. La Cour précise que, pour parvenir à cette conclusion, elle a tenu compte de la compétence que lui reconnaît l’article 37 § 2 de la Convention pour décider la réinscription d’une requête au rôle lorsqu’elle estime que les circonstances le justifient (Gümrükçüler et autres (satisfaction équitable), précité, § 42).
23. En conséquence, il y a lieu de rayer du rôle la partie de l’affaire relative à l’article 41 de la Convention concernant la demande d’indemnisation du dommage matériel découlant selon le requérant de la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
B. Dommage moral
24. En ce qui concerne la demande d’indemnisation du dommage moral résultant selon le requérant de la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, la Cour considère que l’intéressé a subi un préjudice du fait notamment du sentiment d’impuissance et de frustration provoqué par la privation de son bien immobilier, qu’il avait acquis de bonne foi et qu’il avait utilisé pendant plusieurs années en croyant être dans une situation de sécurité juridique. Dans ces circonstances, eu égard à l’ensemble des éléments dont elle dispose, et statuant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour alloue au requérant 5 000 EUR au titre du dommage moral (voir, entre autres, Sarısoy c. Turquie, no 19641/05, § 22, 13 septembre 2011, Ali Kılıç et autres c. Turquie, no 13178/05, § 35, 13 septembre 2011, Tongün c. Turquie, no 8622/05, § 38, 27 septembre 2011, Adem Yılmaz Doğan et autres c. Turquie (satisfaction équitable), no 25700/05, § 14, 18 octobre 2011, et Gümrükçüler et autres (satisfaction équitable), précité, § 44).
C. Frais et dépens
25. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).
Compte tenu de l’absence de documents pertinents et des critères dégagés par sa jurisprudence, elle rejette la demande présentée à ce titre.
D. Intérêts moratoires
26. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Rejette la demande du Gouvernement de déclarer la requête irrecevable ;
2. Décide de rayer du rôle la partie de l’affaire relative à l’article 41 de la Convention concernant la demande d’indemnisation pour dommage matériel découlant selon le requérant de la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros), à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 novembre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Stanley Naismith Robert
Spano
Greffier Président