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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> AIT ABBOU v. FRANCE - 44921/13 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Fifth Section)) French Text [2017] ECHR 127 (02 February 2017) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2017/127.html Cite as: CE:ECHR:2017:0202JUD004492113, ECLI:CE:ECHR:2017:0202JUD004492113, [2017] ECHR 127 |
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CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE AIT ABBOU c. FRANCE
(Requête no 44921/13)
ARRÊT
STRASBOURG
2 février 2017
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Ait Abbou c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Erik Møse, président,
Angelika Nußberger,
André Potocki,
Faris Vehabović,
Yonko Grozev,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 janvier 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 44921/13) dirigée contre la République française et dont un ressortissant marocain, M. Abdelmajid Ait Abbou (« le requérant »), a saisi la Cour le 12 juillet 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me T. Bidnic, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, Directeur des Affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant allègue ne pas avoir eu accès à un tribunal et ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable.
4. Le 23 septembre 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1982 et réside à Villepinte.
6. Le 2 octobre 2007, les gendarmes de la brigade de recherches de Saint-Germain-en-Laye, qui enquêtaient sur des faits de vol et de recel de vol, découvrirent, de manière incidente dans un box appartenant à E.C., 324,71 kg de cannabis et un véhicule portant une fausse plaque d’immatriculation.
7. Une enquête de flagrance fut immédiatement ouverte par le parquet de Versailles.
8. Le 5 octobre suivant, le parquet de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Paris se saisit de l’affaire.
9. Le 6 octobre 2007, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris ouvrit une information pour infraction à la législation sur les stupéfiants.
10. Le requérant fut mis en cause début 2009 en raison de l’identification de son A.D.N. présent sur une paire de gants découverte sur le toit du véhicule placé dans le box.
11. Le 15 juin 2009, le juge d’instruction délivra un mandat d’arrêt international contre le requérant et une autre personne, D.K.
12. Les enquêteurs cherchèrent à localiser le requérant. Ils constatèrent qu’il était totalement inconnu des services fiscaux et qu’il avait donné comme adresse celle de ses parents pour deux comptes bancaires dont il avait disposé, ainsi que pour sa carte de résident, son permis de conduire et pour l’immatriculation d’un véhicule.
Les enquêteurs se rendirent deux fois à cette adresse. Le 7 août 2009 l’appartement était vide et le 5 mars 2010, seul un frère du requérant était présent. Celui-ci déclara que le requérant avait quitté ce domicile depuis deux ans.
Un procès-verbal versé au dossier relate l’audition du père et d’un autre frère du requérant, qui eut lieu le 29 mars 2010. Le père indiqua que le 5 mars 2010, lors de la visite domiciliaire, il était parti à la mosquée. L’officier de police judiciaire procédant à l’audition leur dit que le requérant faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international qu’il leur montra, ce qu’ils déclarèrent tous deux ignorer. Ils précisèrent ne pas savoir où se trouvait le requérant et ne pas avoir de moyen de le joindre. Toutefois, le père dit que, s’il recevait des nouvelles de son fils, il en tiendrait informées les autorités de police et il ajouta : « (...) je peux lui faire transmettre votre numéro de téléphone ». Pour sa part, le frère du requérant fit la réponse suivante : « Oui, si je le vois, je lui dirai d’aller voir mon père. »
13. Le 12 août 2010, le juge d’instruction rendit une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel et de non-lieu partiel à l’encontre du requérant, qui n’avait pas été localisé, de K.C., détenu, et de E.C., placé sous contrôle judiciaire. E.C. bénéficia d’un non-lieu, K.C. et le requérant furent renvoyés en jugement pour importation, trafic, acquisition et détention de stupéfiants non autorisés, ainsi que participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un délit puni de dix ans de détention.
14. L’audience eut lieu devant le tribunal de grande instance de Paris le 21 septembre 2010. Le requérant ne comparaissant pas, le tribunal constata que la citation ne lui avait pas été délivrée en personne et qu’il n’était pas établi qu’il en ait eu connaissance. Il statua donc par défaut à son encontre.
15. Dans son jugement du 24 septembre 2010, le tribunal estima que l’implication du requérant dans les faits qui lui étaient reprochés reposait sur la découverte de son ADN sur une paire de gants retrouvée dans le box où était entreposée la résine de cannabis. Il releva que celui-ci était déjà, à l’époque des faits, impliqué dans deux autres procédures en rapport avec des trafics de stupéfiants et qu’il n’avait pas été possible de l’entendre dans le cadre de ce dossier, compte tenu de sa situation de fuite.
Le tribunal déclara le requérant coupable des faits reprochés, à l’exception de l’importation de stupéfiants insuffisamment caractérisée à son encontre. Il le condamna à cinq ans de prison et délivra un mandat d’arrêt à son encontre le 28 septembre suivant.
16. Le mandat d’arrêt fut exécuté le 14 février 2011 par l’interpellation du requérant. Il donna l’adresse de ses parents comme adresse personnelle et fit, le même jour, opposition au jugement du 23 septembre 2010.
17. Le 17 février 2011, le débat contradictoire eut lieu devant le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris. Le requérant et son avocat furent entendus. Le requérant déclara qu’il ne savait pas qu’il était recherché, que s’il avait eu connaissance de cette procédure, il se serait présenté à l’audience, qu’il ne connaissait pas les personnes impliquées dans ce dossier, qu’il ne se serait pas caché et qu’il aurait été relaxé car il était innocent.
18. À l’issue de ce débat, le juge ordonna le placement du requérant en détention provisoire. Il nota que celui-ci avait déjà été condamné à plusieurs reprises et estima qu’un placement sous contrôle judiciaire ne pouvait mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement et garantir le maintien du requérant à la disposition de la justice.
19. L’audience devant le tribunal de grande instance de Paris eut lieu le 5 juillet 2011.
Dans ses conclusions, l’avocat du requérant demanda l’annulation de la procédure et de l’intégralité des actes ayant découlé de la perquisition. Il exposa que le requérant avait régulièrement fait opposition au jugement et qu’il avait le droit d’invoquer des nullités du dossier de l’instruction car il n’avait pu être entendu dans le cadre de l’information. Il souligna que le requérant n’avait pas été formellement mis en examen et n’avait jamais reçu notification de l’avis de fin d’information prévu par l’article 175 du code de procédure pénale. Il ajouta que la jurisprudence selon laquelle il se déduit de l’article 134 du code de procédure pénale qu’une personne en fuite et vainement recherchée au cours de l’information n’a pas la qualité de partie au sens de l’article 175 du même code n’était pas applicable en l’espèce. En effet, le requérant n’était pas en fuite puisqu’il ne savait pas qu’il était recherché.
20. Dans son jugement du 8 juillet 2011, le tribunal rappela qu’il est de jurisprudence constante « qu’il se déduit de l’article 134 du code de procédure pénale qu’une personne en fuite et vainement recherchée au cours de l’information n’a pas la qualité de partie au sens de l’article 175 dudit code (...). Il s’ensuit que si elle est arrêtée après que le juge d’instruction l’ait renvoyée devant le tribunal correctionnel, elle ne peut se prévaloir des dispositions du troisième alinéa de l’article 385 dudit code pour exciper devant cette juridiction d’une quelconque nullité d’actes de l’information, l’ordonnance de renvoi ayant comme le prévoit l’article 179 du même code, purgé, s’il en existait, les vices de la procédure (Cour de cassation - chambre criminelle du 3 avril 2007). »
Le tribunal nota encore que les enquêteurs avaient immédiatement cherché à localiser le requérant. Ils avaient interrogé les services fiscaux, le fichier national des comptes bancaires et le fichier national des permis de conduire. Toutes les recherches avaient montré que le requérant n’avait donné qu’une adresse, au moins jusqu’en 2005, celle de ses parents. Un premier transport sur les lieux, le 7 août 2009 n’avait pas permis de le retrouver, personne n’étant présent dans l’appartement. Le 5 mars 2010, lors d’une perquisition au domicile, seul un frère du requérant était présent. Il déclara que le requérant n’était pas là et qu’il avait quitté le domicile deux ans auparavant. Interrogé, le père indiqua qu’il n’avait pas de nouvelles de son fils depuis deux ans, qu’il ne connaissait pas sa vie privée et qu’il avait de la famille au Maroc. Un autre de ses frères répondit de manière similaire.
21. À l’audience, le requérant déclara ne pas avoir su qu’il était recherché. Il indiqua vivre chez son amie, à Saint Ouen, mais ne voulut pas donner son nom et son adresse. Il avait travaillé de 2007 à 2009 de manière non déclarée. Il ajouta ne pas être fâché avec sa famille et passer régulièrement la voir.
22. Le tribunal releva également que, lors de son interpellation en 2011, le requérant avait donné l’adresse de ses parents.
Il conclut qu’il ressortait de l’ensemble de ces éléments que le requérant avait toujours habité chez ses parents, qu’il disait avoir continué à les voir et que ces derniers, comme ses frères, savaient qu’il était recherché.
Dès lors, il estima que le requérant ne pouvait pas ignorer qu’il était recherché et qu’il s’était donc volontairement enfui afin de se soustraire à la justice. Dans ces conditions, il n’était pas recevable à soulever des nullités de la procédure d’instruction.
23. Sur le fond, le tribunal releva qu’il ressortait des éléments de la procédure que, si le requérant avait mis sa main dans le gant retrouvé sur le toit du véhicule en y laissant son ADN, aucune circonstance de temps et de lieu ne pouvait être précisée concernant ces agissements. En effet, il n’existait pas d’élément justifiant qu’il se soit rendu dans le box pour manipuler la drogue. En conséquence, il le relaxa des faits de transport, de détention et d’acquisition de produits stupéfiants.
Concernant les faits de participation à une association de malfaiteurs, le tribunal considéra qu’aucun élément d’enquête ne démontrait que le requérant avait connaissance de participer à un trafic de stupéfiants en vendant le véhicule, même si à l’audience, il avait pu affirmer qu’il aurait pu vendre le véhicule en sachant que ce dernier allait servir à transporter des produits stupéfiants. En conséquence, le tribunal le relaxa également de ce chef de prévention.
24. Le requérant et le ministère public firent appel de cette décision, le requérant limitant l’objet de ce recours au rejet de ses conclusions de nullité.
25. In limine litis, le conseil du requérant déposa des conclusions aux fins de l’annulation de la procédure en faisant valoir que, contrairement à ce qu’avait jugé le tribunal, le requérant était recevable à soulever la nullité de l’intégralité de la procédure dans la mesure où il n’avait jamais été en fuite, puisqu’à aucun moment il n’avait été informé des recherches le concernant ou de la fin de l’information conformément à l’article 175 du code de procédure pénale.
Il invoqua l’article 6 de la Convention et demanda à la cour d’appel de déclarer ses conclusions aux fins d’annulation recevables.
26. À titre principal, le requérant sollicita l’annulation de l’intégralité de la procédure en raison du fait que la résine de cannabis et les gants supportant son ADN avaient été découverts de manière incidente dans le cadre de l’exécution d’une commission rogatoire concernant l’instruction d’une affaire de vol et de recel. Or, aucune copie de la procédure initiale n’avait pu être jointe au dossier de sa propre affaire.
Il soutint dès lors qu’il avait été privé de la possibilité de contester la régularité d’une procédure susceptible de porter atteinte à ses intérêts et que devait être prononcée l’annulation de l’intégralité des actes accomplis dans le cadre de cette commission rogatoire, ainsi que de tous les actes le concernant jusqu’à l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel et le titre de détention.
27. À titre subsidiaire, le requérant demanda l’annulation du scellé de la paire de gants et de tous les actes et pièces dont il constituait le support nécessaire, notamment les rapports d’expertise, le réquisitoire définitif et l’ordonnance de renvoi le concernant.
Il souligna que la perquisition qui avait mené à la découverte de ces gants avait été effectuée en violation des dispositions du code de procédure pénale puisque ni le propriétaire ni le locataire n’étaient présents sur les lieux, les gendarmes étant entrés seuls dans le box.
28. Après avoir retracé les faits et la procédure, la cour d’appel se prononça sur les conclusions du requérant.
29. Elle rappela qu’il était de jurisprudence constante qu’il se déduisait de l’article 134 du code de procédure pénale qu’une personne en fuite et vainement recherchée au cours de l’information n’avait pas la qualité de partie au sens de l’article 175 dudit code. Dès lors, si la personne concernée était arrêtée après avoir été renvoyée par le juge d’instruction devant le tribunal correctionnel, elle ne pouvait se prévaloir des dispositions de l’article 385 § 3 pour exciper devant cette juridiction d’une quelconque nullité d’actes de l’information, l’ordonnance de renvoi ayant, conformément à l’article 179 du même code, purgé, s’il en existait, les vices de la procédure.
La cour d’appel nota ensuite que le requérant avait été identifié début 2009 et que les enquêteurs avaient immédiatement cherché à le localiser, la seule adresse qu’il avait donnée étant celle de ses parents, où il n’avait pas été trouvé. Elle ajouta que lors de la perquisition du 5 mars 2010, un frère du requérant avait déclaré que celui-ci avait quitté le domicile depuis deux ans. Elle releva enfin que le père du requérant avait indiqué ne pas avoir de nouvelles de son fils depuis deux ans, mais « qu’il lui ferait savoir qu’il était recherché s’il le voyait » et qu’un autre frère avait répondu de manière similaire.
Lors de son interpellation le 14 février 2011, le requérant avait également donné l’adresse de ses parents comme son adresse personnelle.
La cour considéra qu’il résultait de ces éléments que le requérant ne pouvait ignorer qu’il était recherché et qu’il s’était mis volontairement en fuite afin de se soustraire à la justice.
Elle estima dès lors, qu’étant en fuite, le requérant n’était pas recevable à soulever les nullités de la procédure d’instruction et confirma le jugement sur ce point.
30. Sur le fond, la cour d’appel considéra que les faits étaient établis à l’encontre du requérant, dont l’ADN avait été retrouvé à l’intérieur de la paire de gants déposée sur le toit de la voiture entreposée dans un box où avaient été saisis 324,71 kg de cannabis. Elle estima que les déclarations du requérant selon lesquelles il avait acheté des gants avant de livrer le véhicule qu’il avait volé, après l’avoir conduit pendant un mois, étaient dénuées de toute crédibilité comme celles d’un témoin qu’il avait cité et qui avait déclaré avoir assisté à la transaction portant sur le véhicule et connaître de vue le requérant. La cour d’appel nota que, dans ses précédentes déclarations, il avait toujours affirmé jusque devant le tribunal le 21 septembre 2010 qu’il ne connaissait pas le requérant et n’avait jamais parlé de l’origine du véhicule ni de la transaction à laquelle il avait assisté.
Elle estima que la présence des gants portant à l’intérieur l’ADN du requérant et déposés sur le toit du véhicule, stationné dans un box où plus de 300 kg de résine de cannabis avaient été saisis, démontrait suffisamment que le requérant s’était servi de gants, qu’il n’était pas étranger à la découverte de la drogue dans le box où se trouvait également le véhicule volé et qu’il avait participé au trafic.
Elle infirma le jugement de première instance et déclara le requérant coupable de transport, détention, acquisition de stupéfiants et de participation à une association de malfaiteurs. Elle le condamna à cinq ans d’emprisonnement, ordonna son placement en détention et la confiscation des scellés.
31. Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt.
Il invoqua notamment l’article 6 de la Convention en dénonçant une entrave disproportionnée aux droits de la défense en raison du refus qui lui avait été opposé de soulever des nullités de l’instruction.
32. Dans des observations complémentaires, l’avocat du requérant invoqua expressément l’arrêt Abdelali (Abdelali c. France, no 43353/07, 11 octobre 2012) en soulignant que la solution adoptée par la Cour était parfaitement transposable au cas d’espèce.
33. Dans son avis rendu le 19 décembre 2012, l’avocat général se prononça en faveur d’un contrôle de la notion de fuite et de l’expression du caractère volontaire de la soustraction à la procédure.
Il estima que les constatations des juridictions du fond paraissaient insuffisantes pour caractériser le fait que le requérant était informé de la procédure et des recherches conduites à son encontre, l’idée qu’il aurait pu être informé par sa famille étant une hypothèse et non une certitude. Il se prononça donc en faveur d’une cassation sur ce moyen.
34. Dans son arrêt du 16 janvier 2013, la Cour de cassation considéra qu’en statuant comme elle l’avait fait, la cour d’appel avait justifié sa décision, dès lors que, d’une part, en application de l’article 385 alinéa 1er du code de procédure pénale, la juridiction correctionnelle, saisie par une ordonnance de renvoi, n’a pas qualité pour constater les nullités de la procédure antérieure et que, d’autre part, le requérant qui n’ignorait pas qu’il était recherché, s’était mis volontairement en fuite afin de se soustraire à la justice et ne pouvait donc bénéficier des autres dispositions de cet article. Elle ajouta que le requérant avait été mis en mesure de discuter, devant la juridiction de jugement, la valeur probante de l’ensemble des éléments réunis contre lui.
Elle rejeta donc le pourvoi.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
35. Les articles pertinents du code de procédure pénale sont cités dans l’arrêt Abdelali c. France, précité, §17.
36. La Cour de cassation, dans un arrêt du 8 avril 2014 (no14-80.254), s’est prononcée sur le pourvoi d’un demandeur qui avait pris la fuite après l’interpellation d’autres personnes mises en cause comme lui dans un trafic de cannabis. Il avait fait l’objet d’un mandat d’arrêt et avait été renvoyé, ainsi que cinq autres personnes, devant le tribunal correctionnel. Ce dernier, statuant par défaut, l’avait condamné à une peine d’emprisonnement assortie de la délivrance d’un nouveau mandat d’arrêt. Le demandeur ayant formé opposition à cette décision, le tribunal estima que les faits déférés sous la qualification d’infractions à la législation sur les stupéfiants étaient de nature à entraîner une peine criminelle pour avoir été commis en bande organisée. Il renvoya le ministère public à se pourvoir et décerna un mandat de dépôt criminel à l’encontre du prévenu qui fit appel de ce jugement et se pourvut ensuite en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel.
Dans son arrêt, la Cour de cassation releva que, pour déclarer irrecevables les exceptions de nullité soulevées par le prévenu visant l’ordonnance de soit communiqué et le réquisitoire définitif, la cour d’appel avait rappelé les multiples investigations entreprises pour tenter de retrouver l’adresse de l’intéressé qui avait pris la fuite à la suite de l’interpellation des premiers mis en cause et qui avait déclaré une fausse identité lors de la notification du mandat d’arrêt décerné contre lui.
Elle estima que la juridiction correctionnelle, saisie par une ordonnance de renvoi, n’a pas qualité pour constater les nullités de la procédure antérieure et que le prévenu, dont il est établi qu’il avait connaissance de ce qu’il était recherché, et qui a pris la fuite afin de se soustraire à l’action de la justice ne peut donc bénéficier des dispositions de l’article 175 du code de procédure pénale, mais sera en mesure de discuter contradictoirement, devant la juridiction de jugement, la valeur probante de l’ensemble des éléments réunis contre lui.
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
37. Le requérant allègue qu’il n’a pas bénéficié d’un procès équitable tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
38. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
39. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle la déclare donc recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
40. Le requérant se réfère à l’arrêt Abdelali (précité) qu’il reproche à la Cour de cassation d’avoir délibérément ignoré, alors que son avocat l’avait expressément invoqué devant elle dans un mémoire complémentaire. Il ajoute que le Gouvernement en fait une lecture tronquée. Selon le requérant, si l’état de fuite du prévenu opposant au cours de l’instruction paraît pouvoir justifier la privation de son droit de contester la régularité de la procédure lors du procès sur opposition, il appartient à l’autorité judiciaire d’apporter la preuve de cette fuite.
Il ajoute qu’en l’espèce, le Gouvernement, qui ne s’appuie que sur des déductions partielles et discutables fondées sur certaines déclarations de son père, de son frère et de lui-même, n’apporte pas la preuve de sa fuite.
Le requérant estime que le Gouvernement, comme la Cour de cassation avant lui, refuse de se conformer aux critères qui se dégagent de l’arrêt Abdelali (précité).
Il en conclut qu’il n’a pas eu accès à un tribunal et n’a pas bénéficié d’un procès équitable.
41. Le Gouvernement rappelle que le législateur enferme dans des délais stricts le droit de contester la régularité de la procédure d’instruction. Il rappelle les textes en vigueur et se réfère à l’arrêt de principe que la Cour de cassation a rendu le 3 avril 2007 dans l’affaire Abdelali (précitée, § 15). Il expose que le raisonnement de la Cour de cassation repose, d’une part, sur
une interprétation stricte de l’article 134 alinéa 3 du code de procédure pénale, qui se réfère à l’article 176 du même code et, d’autre part, sur la volonté de ne pas faire bénéficier une personne suspectée en fuite d’un avantage injustifié.
Il se réfère encore à la jurisprudence de la Cour en matière de procès équitable et de détenus en fuite et notamment à l’arrêt Sejdovic c. Italie ([GC], no 56581/00, §§ 82, 86 à 88 et 99, CEDH 2006-II).
Il ajoute que le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu et que les États peuvent y apporter certaines limites, dans la mesure où celles-ci ne restreignent pas l’accès à un point tel que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même (Eliazer c. Pays-Bas, no 38055/97, CEDH 2001-X).
42. Le Gouvernement souligne encore que dans son arrêt Abdelali, la Cour n’a pas remis en cause, au sens de l’article 6, la procédure de purge de nullité telle que réglée par le code de procédure pénale et appliquée par la Cour de cassation.
Il réitère les arguments exposés dans l’affaire Abdelali (précitée, §§ 26 à 29) et ajoute que la solution retenue par la jurisprudence française poursuit un but légitime et est proportionnée au but poursuivi.
En effet, selon lui, si l’irrecevabilité d’office d’un pourvoi en cassation est véritablement une limitation portant atteinte à la substance même du droit d’accès au juge car disproportionnée, il n’en va pas de même pour l’irrecevabilité d’office d’une exception de procédure, laquelle apparaît conforme à la Convention.
43. Il estime que l’impossibilité de soulever une irrégularité de la procédure antérieure ne constitue pas une atteinte substantielle au droit à un accès au juge puisque le prévenu conserve la possibilité de faire apprécier, par un tribunal indépendant et impartial, le bien fondé des accusations portées contre lui et de discuter devant ce tribunal la valeur probante de pièces dont il ne peut plus soulever la nullité. En outre, il conserve le cas échéant le droit de contester le principe de sa culpabilité ou de la condamnation prononcée devant lui par l’exercice des voies de recours.
44. Ainsi, l’impossibilité pour un prévenu de soulever une exception de procédure apparaît proportionnée, dès lors que ce dernier était en fuite pendant l’instruction et ne méconnaît donc pas les dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention.
45. Pour ce qui est de la notion de fuite, le Gouvernement rappelle que la Cour exige qu’elle soit, au sens de sa jurisprudence, suffisamment caractérisée, c’est-à-dire qu’il soit établi que le prévenu savait qu’une procédure pénale était dirigée contre lui, qu’il connaissait la nature et la cause de l’accusation et qu’il n’avait pas l’intention de prendre part au procès ou entendait se soustraire aux poursuites.
Elle procède dès lors à une appréciation in concreto des faits de l’espèce.
46. Le Gouvernement souligne qu’en l’espèce, les juridictions internes ne se sont pas fondées sur la seule absence du requérant de son lieu de résidence habituel pour juger qu’il s’était volontairement soustrait à la procédure d’information judiciaire le concernant.
47. Il estime que, compte tenu des diligences effectuées par les services de police et de justice (voir §§ 12 et 16 ci-dessus), le requérant, qui était en contact régulier avec les membres de sa famille, ne pouvait ignorer les poursuites à son encontre.
Il ajoute que le requérant avait la volonté de se dissimuler, en étant soutenu par sa famille, puisqu’il a toujours donné l’adresse de ses parents et a indiqué devant le tribunal correctionnel le 5 juillet 2011 qu’il passait régulièrement voir sa famille avec qui il n’était pas fâché.
48. Le Gouvernement en conclut que les juridictions internes qui sont intervenues dans la procédure n’ont pas méconnu la jurisprudence de la Cour en jugeant que le requérant était en fuite, dans la mesure où il n’ignorait pas qu’il était recherché et qu’il s’était volontairement soustrait à la justice.
Il ajoute que le requérant ne saurait valablement se prévaloir du fait que l’ordonnance de clôture ne lui a pas été signifiée pour soutenir qu’il n’avait pas connaissance des accusations portées à son encontre, dès lors que c’est son propre comportement qui a fait échec à une telle signification.
Selon lui, le requérant ne saurait non plus soutenir que seules des déclarations écrites ou orales de sa part auraient été de nature à établir sa volonté de se soustraire à la justice. Il estime que les éléments du dossier démontrent sans équivoque que le requérant avait connaissance des poursuites diligentées à son encontre et qu’il voulait s’y soustraire.
49. Le Gouvernement fait enfin observer que le requérant n’a subi aucune atteinte à son droit d’accès au juge concernant le fond de l’affaire, tant en fait qu’en droit. Il a fait opposition au jugement rendu par défaut et a pu exercer les droits de la défense.
Il estime dès lors que le grief soulevé par le requérant est manifestement mal fondé.
2. Appréciation de la Cour
50. La Cour a fréquemment rappelé que les garanties de l’article 6 pouvaient s’appliquer à l’ensemble de la procédure, y compris aux phases de l’information préliminaire et de l’instruction judiciaire et qu’il faut se demander si les droits de la défense ont été respectés et si le requérant a eu l’opportunité de remettre en question l’authenticité de l’élément de preuve et de s’opposer à son utilisation (voir, notamment, l’arrêt Abdelali, précité, §§ 35 à 38 et les références citées).
51. En l’espèce, la Cour relève que c’est de manière incidente, alors qu’ils enquêtaient sur des faits de vol et recel, que les gendarmes découvrirent, dans un box, 324,71 kg de cannabis et un véhicule sur le toit duquel se trouvait une paire de gants portant l’ADN du requérant.
C’est à la suite de cette découverte qu’un mandat d’arrêt international fut délivré à l’encontre du requérant et que celui-ci fut renvoyé devant le tribunal correctionnel pour importation, trafic, acquisition et détention de stupéfiants non autorisés, ainsi que participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un délit puni de dix ans de détention.
52. Il ressort de ce qui précède que l’élément de preuve à l’encontre du requérant, à savoir la paire de gants, fut recueilli, de manière incidente, lors d’une perquisition menée par les gendarmes dans le cadre de l’exécution d’une commission rogatoire concernant l’instruction d’une affaire de vol et de recel. En outre, aucune copie de la procédure initiale n’a pu être jointe au dossier de sa propre affaire (voir § 26 ci-dessus).
Or, c’est précisément pour ces motifs que le requérant demanda l’annulation de l’intégralité de la procédure en soutenant qu’il avait été privé de la possibilité de contester la régularité d’une procédure susceptible de porter atteinte à ses intérêts.
53. Par jugement contradictoire du 8 juillet 2011, le tribunal correctionnel relaxa le requérant, estimant qu’il n’y avait pas d’élément prouvant qu’il était allé dans le box pour y manipuler la drogue ni qu’il avait été conscient de participer à un trafic de stupéfiants.
54. Le requérant réitéra ses arguments devant la cour d’appel.
55. La Cour relève qu’après avoir rejeté la demande de nullité du requérant, la cour d’appel estima que la présence des gants portant à l’intérieur son ADN démontrait suffisamment qu’il s’était servi de gants, qu’il n’était pas étranger à la découverte de la drogue dans le box où se trouvait également le véhicule volé et qu’il avait participé au trafic.
Elle déclara le requérant coupable de transport, détention, acquisition de stupéfiants et de participation à une association de malfaiteurs. Elle le condamna à cinq ans d’emprisonnement, ordonna son placement en détention et la confiscation des scellés.
56. La Cour note que, dans des observations complémentaires devant la Cour de cassation, l’avocat du requérant a invoqué l’arrêt Abdelali (voir § 32 ci-dessus) et que l’avocat général a rendu un avis invitant la Cour de cassation à procéder à un contrôle de la notion de fuite et de l’expression du caractère volontaire de la soustraction à la procédure. Il se prononça en faveur d’une cassation sur ce moyen.
57. Dans son arrêt du 16 janvier 2013, la Cour de cassation considéra que la cour d’appel avait justifié sa décision. Pour cela, elle retint, d’une part, qu’en application de l’article 385 alinéa 1er du code de procédure pénale, la juridiction correctionnelle, saisie par une ordonnance de renvoi, n’a pas qualité pour constater les nullités de la procédure antérieure et, d’autre part, que le prévenu, qui n’ignorait pas qu’il était recherché, s’était mis volontairement en fuite afin de se soustraire à la justice, ce qui ne lui permettait pas de bénéficier des dispositions de l’article 385 alinéa 1er du code de procédure pénale. La Cour de cassation retint également que le requérant avait été mis en mesure de discuter, devant la juridiction de jugement, la valeur probatoire de l’ensemble des éléments réunis contre lui.
Elle rejeta donc le pourvoi.
58. La question se pose dès lors de savoir si, malgré l’incapacité dans laquelle il s’est trouvé de contester la validité des preuves, le requérant a bénéficié d’un procès équitable et des droits de la défense.
En effet, la Cour observe qu’en l’espèce l’instruction a constitué une phase cruciale de la procédure litigeuse, en particulier dans la mesure où tous les actes tendant à rassembler les éléments de preuve ont été accomplis par les autorités à ce stade (Abdelali, précité, § 46 ; Adamkiewicz c. Pologne, no 54729/00, § 87, 2 mars 2010 et mutatis mutandis Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 73, CEDH 2010).
59. Le Gouvernement réitère son argument selon lequel il convient d’éviter les manœuvres dilatoires en réglementant la possibilité d’invoquer la nullité des actes d’instruction.
60. La Cour souligne qu’elle a déjà répondu sur ce point dans son arrêt Abdelali (précité, § 48) en constatant que le requérant n’avait pas bénéficié des dispositions de l’article 385 alinéa 3 du code de procédure pénale car il était considéré comme ayant été en fuite lors de la clôture de l’instruction.
61. Dans le même arrêt Abdelali, la Cour a rappelé sa jurisprudence sur la notion de « fuite » et a conclu que le requérant, qui n’avait jamais été informé des poursuites engagées contre lui et de la clôture de l’instruction, ne pouvait pas être considéré comme ayant été « en fuite » en essayant de se dérober à la justice.
62. La Cour note avec intérêt que la jurisprudence de la Cour de cassation a connu une évolution, celle-ci ayant dans un arrêt vérifié les éléments démontrant une fuite réelle du prévenu (voir § 36 ci-dessus).
63. Dans la présente affaire, la Cour constate que, bien que les circonstances soient proches de celles qu’elle a examinées dans l’arrêt Abdelali, elles ne sont toutefois pas similaires.
En effet, dans son jugement du 8 juillet 2011, le tribunal releva que, lors d’une perquisition réalisée le 5 mars 2010, le requérant ne se trouvait pas à l’adresse qu’il avait fournie et que son frère, qui était dans l’appartement, avait déclaré qu’il avait quitté les lieux depuis deux ans et qu’il n’avait pas de nouvelles de lui. Le tribunal nota également que le père du requérant avait déclaré qu’il n’avait pas de nouvelles de son fils depuis deux ans, qu’il ne connaissait pas sa vie privée et qu’il avait de la famille au Maroc. À l’audience devant le tribunal, le requérant indiqua qu’il vivait chez son amie, mais ne voulut pas fournir son nom et son adresse. Il précisa en outre qu’il n’était pas fâché avec sa famille et passait régulièrement la voir. Le tribunal nota également que, lors de son interpellation, le requérant avait donné l’adresse de ses parents (§§ 20-22 ci-dessus).
Il en conclut que le requérant avait toujours vécu chez ses parents et qu’il ne pouvait pas ignorer qu’il était recherché et s’était volontairement enfui afin de se soustraire à la justice.
64. La cour d’appel, devant laquelle le requérant souleva les mêmes arguments, fit les mêmes constatations que le tribunal et ajouta que le père du requérant avait dit ne pas avoir de nouvelles de son fils depuis deux ans, mais « qu’il lui ferait savoir qu’il était recherché s’il le voyait ». La Cour observe en outre qu’entendu comme témoin le 29 mars 2010, le père du requérant, parlant de son fils, a dit à l’officier de police judiciaire qui procédait à son audition : « (...) je peux lui faire transmettre votre numéro de téléphone ». Enfin, entendu le même jour, un frère du requérant a fait la déclaration suivante : « Oui, si je le vois, je lui dirai d’aller voir mon père. »
65. La Cour estime que ces différents éléments, et notamment l’affirmation du requérant selon laquelle il passait régulièrement voir sa famille, rapprochée des déclarations de son père et de son frère, faites plusieurs mois avant que le juge d’instruction rende l’ordonnance de renvoi du requérant devant le tribunal correctionnel, permettent de conclure que celui-ci savait qu’il était recherché.
Elle accepte donc cette conclusion, tout en observant que la Cour de cassation a estimé que le prévenu « n’ignorait pas qu’il était recherché » et « s’est mis volontairement en fuite », sans préciser les éléments qu’elle retenait comme constitutifs d’une fuite.
66. Ainsi, compte tenu de ce qui précède, l’impossibilité pour le requérant de soulever les nullités de la procédure d’instruction n’a pas été de nature, dans les circonstances de l’espèce, à porter atteinte à son droit à un procès équitable.
67. Dès lors, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 février 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Milan Blaško Erik
Møse
Greffier adjoint Président