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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ORASTIE ROMANIAN GREEK CATHOLIC ARCHPRIESTHOOD UNITED TO ROME AND ORASTIE ROMANIAN GREEK CATHOLIC PARISH UNITED TO ROME v. ROMANIA - 32729/12 (Judgment : Violation of Right to a fair trial (Civil proceedings : Fair hearing)) French Text [2017] ECHR 913 (17 October 2017)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2017/913.html
Cite as: ECLI:CE:ECHR:2017:1017JUD003272912, CE:ECHR:2017:1017JUD003272912, [2017] ECHR 913

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    QUATRIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE ÉPARCHIE GRÉCO-CATHOLIQUE DE ORĂŞTIE ET PAROISSE ROUMAINE UNIE À ROME GRÉCO-CATHOLIQUE DE ORĂŞTIE c. ROUMANIE

     

    (Requête no 32729/12)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    17 octobre 2017

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Éparchie gréco-catholique de Orăştie et Paroisse roumaine unie à Rome gréco-catholique de Orăştie c. Roumanie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :

              Faris Vehabović, président,
              Carlo Ranzoni,
              Péter Paczolay, juges,
    et de Andrea Tamietti, greffier adjoint de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 septembre 2017,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 32729/12) dirigée contre la Roumanie et dont l’éparchie gréco-catholique de Orăştie et la paroisse gréco-catholique de Orăştie (« les requérantes ») ont saisi la Cour le 21 mai 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Les requérantes ont été représentées par Me D.O. Hatneanu et par MC.T. Borsányi, avocates respectivement à Bucarest et à Timișoara. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

    3.  Le 19 juin 2013, la Requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    4.  Les deux requérantes appartiennent à l’Église roumaine unie à Rome, également dénommée Église gréco-catholique ou uniate. Elles ont leur siège à Orăştie.

    A.  Le contexte historique de l’affaire

    5.  De 1938 à 1948, l’Église gréco-catholique fit construire puis utilisa une église située à Orăştie. En 1948, à la suite de la dissolution du culte gréco-catholique par le décret-loi no 358/1948, l’église susmentionnée fut transférée, par le décret no 176/1948, dans le patrimoine de l’Église orthodoxe. Cette dernière inscrivit son droit de propriété relatif à ce lieu de culte sur le livre foncier.

    6.  Après la chute du régime totalitaire, en décembre 1989, le culte uniate fut officiellement reconnu par le décret-loi no 126/1990 relatif à certaines mesures concernant l’Église roumaine unie à Rome (« le décret-loi no 126/1990 »). Les requérantes, légalement reconstituées, entamèrent sans succès des démarches non contentieuses visant à la restitution de l’église en question.

    B.  L’action en restitution de l’église

    7.  Le 29 mars 2006, les requérantes saisirent le tribunal départemental de Hunedoara (« le tribunal départemental ») d’une action en revendication de l’église susmentionnée fondée sur les dispositions du code civil et dirigée contre la paroisse orthodoxe de Orăştie III (« la paroisse orthodoxe »).

    8.  Par un jugement du 21 février 2007, le tribunal départemental rejeta l’action au motif que, selon les mentions figurant sur le livre foncier, la partie défenderesse avait légalement inscrit son droit de propriété sur l’église en litige en respectant les dispositions légales en vigueur à l’époque du transfert du droit de propriété.

    9.  Sur un appel des requérantes, par un arrêt du 13 septembre 2007, la cour d’appel d’Alba Iulia (« la cour d’appel ») annula le jugement du 21 février 2007 et fit droit à l’action des requérantes.

    10.  Sur un recours de la paroisse orthodoxe, par un arrêt définitif du 25 novembre 2008, la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour »), cassa l’arrêt du 13 septembre 2007 et renvoya l’affaire devant la cour d’appel pour un nouvel examen afin d’approfondir certains aspects juridiques liés au transfert de propriété de l’église litigieuse ainsi que des aspects factuels concernant les transformations éventuellement opérées lors des travaux entrepris dans ce lieu de culte à la suite de sa prise de possession par la paroisse orthodoxe.

    11.  Lors d’une audience du 8 octobre 2009, la cour d’appel ordonna la réalisation d’une expertise afin d’évaluer les travaux d’amélioration réalisés dans l’église par la paroisse orthodoxe. Informée par les experts désignés de l’absence d’experts compétents pour effectuer l’expertise de peintures murales religieuses dans un lieu de culte, la cour d’appel fit, sans succès, des démarches auprès de plusieurs institutions afin de s’informer de la possibilité de faire réaliser une telle expertise.

    12.  Lors d’une audience du 18 mars 2010, constatant l’impossibilité d’obtenir une expertise judiciaire spécialisée, la cour d’appel renonça à ordonner une expertise de ce type et invita les parties à verser des pièces au dossier et à réaliser ensemble une expertise extrajudiciaire. Au cours du déplacement sur le terrain en vue de la réalisation de celle-ci, les requérantes présentèrent un rapport d’expertise déjà rédigé auquel la paroisse orthodoxe s’opposa. Pour finir, chacune des parties versa au dossier un rapport d’expertise technique extrajudiciaire.

    13.  Par un arrêt du 6 mai 2010, après avoir examiné les pièces du dossier, la cour d’appel compara les titres inscrits sur le livre foncier à l’égard des deux parties et jugea que celui des requérantes devait prévaloir sur celui de la paroisse orthodoxe.

    14.  Cette dernière forma un recours (recurs) devant la Haute Cour, en alléguant notamment que, en matière de restitution de lieux de culte, il devait être fait application d’une « loi spéciale » et non pas des dispositions du code civil. Elle ajouta qu’elle était valablement inscrite dans le livre foncier comme étant la propriétaire de l’église en litige.

    15.  Les requérantes s’opposèrent à ces arguments et soutinrent que, en vertu des dispositions du décret-loi no 126/1990, le code civil était applicable. D’après les pièces du dossier devant la Cour, elles n’invoquèrent pas à ce stade de la procédure une méconnaissance de leur droit à la liberté de religion ni une atteinte discriminatoire dans l’exercice de leurs droits.

    16.  Par un arrêt définitif du 24 novembre 2011, la Haute Cour accueillit le recours (recurs) de la paroisse orthodoxe, cassa l’arrêt du 6 mai 2010 (paragraphe 13 ci-dessus) et confirma le bien-fondé du jugement du 21 février 2007 (paragraphe 8 ci-dessus). Pour se prononcer ainsi, la Haute Cour jugea que, lorsqu’elles étaient appelées à statuer sur une demande en restitution d’un lieu de culte, les juridictions internes ne pouvaient pas procéder à une simple comparaison des titres en application du code civil, mais devaient appliquer les dispositions de l’article 3 du décret-loi no 126/1990 selon lequel il convenait de tenir compte de la volonté de la communauté détentrice du lieu de culte. La Haute Cour analysa ensuite la structure de la communauté religieuse à Orăştie et nota que 90,71% de la population pratiquait le rite orthodoxe et 1,02 % le rite gréco-catholique.

    17.  Elle rechercha enfin si, au moment de l’introduction de l’action, les requérantes avaient un droit de propriété sur l’église litigieuse. À cet égard, elle nota que ce lieu de culte, bien qu’ayant appartenu à l’Église gréco-catholique, était passé dans le patrimoine de l’Église orthodoxe en vertu des dispositions légales en vigueur en 1948 et que l’abrogation de ces dernières dispositions n’entraînait pas l’annulation du titre de propriété de l’Église orthodoxe.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    18.  Le droit et la pratique internes pertinents sont présentés dans l’arrêt Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres c. Roumanie ([GC], no 76943/11, §§ 35 à 57, CEDH 2016 (extraits)).

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION QUANT AU RESPECT DU PRINCIPE DE LA SÉCURITÉ JURIDIQUE ET QUANT À LA DURÉE DE LA PROCÉDURE

    19.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention combiné avec l’article 14, les requérantes reprochent aux juridictions internes d’avoir tranché leur litige en appliquant, non pas les dispositions du code civil, mais le critère énoncé à l’article 3 du décret-loi no 126/1990 alors que, selon elles, lesdites juridictions ont fait application du code civil dans des affaires similaires. Elles dénoncent également la durée de la procédure.

    20.  La Cour estime que, comme dans l’affaire Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres c. Roumanie ([GC], no 76943/11, §§ 168 et 169, CEDH 2016 (extraits)), les allégations des requérantes concernant l’imprévisibilité du droit applicable à leur affaire doivent être examinées exclusivement sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé dans ses parties pertinentes en l’espèce :

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) et dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »

    A.  Sur la recevabilité

    1.  Durée de la procédure

    21.  Le Gouvernement soutient que la durée de la procédure n’a pas été déraisonnable compte tenu des particularités de l’affaire.

    22.  Les requérantes allèguent que la durée de la procédure a été excessive et que cela est imputable aux autorités judiciaires.

    23.  La Cour renvoie aux principes bien établis en matière de durée d’une procédure civile (Sürmeli c. Allemagne [GC], no 75529/01, § 128, CEDH 2006-VII, et Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres [GC], précité, § 143).

    24.  En l’espèce, elle note que la période à considérer a débuté le 29 mars 2006 (paragraphe 7 ci-dessus), lorsque les requérantes ont saisi le tribunal départemental, et s’est terminée le 24 novembre 2011, date à laquelle la Haute Cour a rendu son arrêt définitif (paragraphe 16 ci-dessus). La procédure a donc duré cinq ans et huit mois environ pour trois degrés de juridiction et a donné lieu à cinq décisions.

    25.  La Cour observe que la durée de la procédure a été prolongée du 8 octobre 2009 au 6 mai 2010 afin d’obtenir des expertises par des spécialistes au sujet des améliorations apportées au lieu de culte en litige (paragraphes 11, 12 et 13 ci-dessus). Elle relève que le retard dans la procédure n’était donc pas dû à des décisions erronées en raison de difficultés à établir la loi applicable ou la procédure à suivre (voir, a contrario, Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres [GC], précité, §§ 148 et 150). Dès lors, elle estime que, en l’espèce, ce retard n’est pas imputable aux autorités internes et que la durée de la procédure a été raisonnable compte tenu des particularités du bien en litige et de la complexité de l’affaire.

    26.  La Cour en conclut que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

    2.  Méconnaissance alléguée du principe de la sécurité juridique

    27.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

    B.  Sur le fond

    28.  Les requérantes indiquent que la Haute Cour a appliqué, dans la présente cause, le critère prévu par l’article 3 § 1 du décret-loi no 126/1990 alors qu’elle aurait appliqué les dispositions du code civil dans des affaires similaires.

    29.  Le Gouvernement soutient que l’on ne peut déduire de la situation de fait de la présente cause une divergence profonde et persistante de la jurisprudence nationale.

    30.  La Cour renvoie d’emblée à son arrêt Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie ([GC], no 13279/05, §§ 49-58 et 61, 20 octobre 2011), dans lequel ont été posés les principes applicables aux affaires portant sur des divergences de jurisprudence, principes récemment résumés dans l’arrêt Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres ([GC], précité, § 116). Elle rappelle que, dans cette dernière affaire, elle a constaté que, de 2007 à 2012, il y avait eu, au niveau interne, y compris au sein de la Haute Cour, « une divergence de jurisprudence profonde et persistante » quant au droit matériel applicable aux actions en restitution des lieux de culte fondées sur le droit commun (Ibid., §§ 112 et 126-128) et que le mécanisme le plus approprié d’uniformisation de la jurisprudence n’avait pas été mis en œuvre promptement par les autorités compétentes pour mettre fin à la divergence en cause (Ibid., § 132).

    31.  Eu égard à l’époque à laquelle les juridictions nationales ont statué dans l’affaire des requérantes et, plus particulièrement, au fait que la dernière décision de la procédure interne a été rendue par la Haute Cour, la Cour considère que la même conclusion s’impose en l’espèce. Elle estime que, comme dans l’affaire Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres, précitée, l’incertitude jurisprudentielle dans le cadre de laquelle a été examinée l’action formée par les requérantes, à laquelle s’ajoute l’absence d’utilisation prompte du mécanisme prévu par le droit interne pour assurer la cohérence des pratiques au sein même de la plus haute juridiction du pays, a porté atteinte au principe de la sécurité juridique et que, en cela, elle a eu pour effet de priver les intéressées d’un procès équitable.

    32.  Partant, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison de la méconnaissance du principe de la sécurité juridique.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION QUANT AU DROIT D’ACCÈS À UN TRIBUNAL, PRIS SEUL ET COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION

    33.  Les requérantes se plaignent d’une atteinte discriminatoire à leur droit d’accès à un tribunal, fondée, selon elles, sur leur appartenance à un culte minoritaire dans le pays. Elles invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, pris seul et combiné avec l’article 14 de la Convention, qui se lit ainsi :

    « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

    A.  Arguments des parties

    34.  Le Gouvernement soutient qu’il n’y a pas eu d’atteinte discriminatoire au droit d’accès à un tribunal à l’égard des requérantes.

    35.  Les requérantes allèguent que, en l’espèce, leur droit d’accès à un tribunal a été rendu illusoire en raison de l’application du critère énoncé par le décret-loi no 126/1990, à savoir la prise en compte de la volonté des fidèles de la communauté détentrice du bien. Se référant aux mêmes faits, elles allèguent également avoir subi une discrimination dans la jouissance de leur droit d’accès à un tribunal en raison de leur appartenance au culte gréco-catholique.

    B.  Appréciation de la Cour

    36.  La Cour fait référence aux principes généraux applicables en matière d’accès à un tribunal et de traitement discriminatoire tels qu’ils ont été récemment rappelés dans l’arrêt Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres ([GC], précité, §§ 84-90 et 162-164). Dans cette affaire, elle a estimé que le critère de la volonté des fidèles ne pouvait être considéré comme une quelconque limitation de la compétence des tribunaux pour trancher les actions en restitution concernant des lieux de culte, mais comme un tempérament à un droit matériel n’empêchant pas l’examen au fond du litige par un tribunal (Ibid., §§ 99 et 101). Elle a également considéré dans cet arrêt que, en l’absence d’une telle limitation, il n’était pas établi que le critère de la volonté des fidèles eût créé une différence de traitement entre les paroisses gréco-catholiques et les paroisses orthodoxes dans l’exercice du droit d’accès à un tribunal (Ibid., §§ 172-174).

    37.  En l’espèce, la Cour ne voit aucune raison de parvenir à une conclusion différente ; en effet, le critère prévu par l’article 3 du décret-loi no 126/1990 n’est pas un obstacle procédural entravant l’accès des requérantes à la justice, mais une disposition matérielle dont les intéressées contestent l’applicabilité et les effets (voir, mutatis mutandis, Paroisse gréco-catholique Glod c. Roumanie [Comité], no 53528/07, § 23, 4 juillet 2017). Dans la présente affaire, la Haute Cour, après avoir établi le droit applicable, a examiné tant la structure actuelle de la communauté religieuse de la ville que l’évolution des inscriptions sur le livre foncier des droits de propriété des parties au litige (paragraphes 16 et 17 ci-dessus). En outre, aux fins de l’application de l’article 14 de la Convention, la Cour ne décèle pas de différence de traitement entre les requérantes et la partie défenderesse quant à la possibilité de saisir le juge et d’obtenir une décision judiciaire relative à l’action en restitution du lieu de culte (Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres [GC], précité, § 173).

    38.  La Cour en conclut que ces griefs sont manifestement mal fondés et qu’ils doivent être rejetés, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

    III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION, PRIS SEUL ET COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION

    39.  Les requérantes allèguent que la manière dont les juridictions nationales ont tranché le litige en cause et leur refus d’ordonner la restitution de l’église ont porté atteinte à leur droit à la liberté de religion, en violation de l’article 9 de la Convention pris isolément et combiné avec l’article 14.

    40.  L’article 9 de la Convention se lit ainsi :

    « 1.  Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

    2.  La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

    A.  Arguments des parties

    41.  Le Gouvernement soutient que le rejet de l’action en restitution n’a aucunement interféré avec le droit des requérantes de pratiquer leur religion et que, en tout état de cause, l’État a rempli ses obligations de neutralité et d’impartialité à l’égard des différents cultes religieux.

    42.  Les requérantes allèguent que le rejet de leur action visant à la restitution d’un lieu de culte a constitué une ingérence dans le respect de leur droit de manifester leur religion et de la pratiquer dans une église. Elles ajoutent que cette ingérence était illégale en raison de l’absence de prévisibilité dans l’interprétation de l’article 3 du décret-loi no 126/1990 par les juridictions internes.

    B.  Appréciation de la Cour

    43.  La Cour rappelle avoir déjà examiné des griefs similaires dans l’affaire Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres c. Roumanie, (no 76943/11, §§ 131 à 140, 19 mai 2015) et les avoir déclarés irrecevables pour défaut manifeste de fondement, en statuant que, dans le contexte de la législation interne, le refus des juridictions internes de reconnaître un droit de propriété en faveur des requérants sur l’église en litige n’a pas constitué une ingérence injustifiée ou discriminatoire dans l’exercice de leur droit à la liberté de religion (Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres, précitée, §§ 139 et 140).

    44.  En l’espèce, à supposer même que les requérantes aient valablement donné l’occasion à la Haute Cour de remédier aux violations de la Convention alléguées sous l’angle de l’article 9 de la Convention, pris seul et combiné avec l’article 14 (paragraphe 17 ci-dessus), la Cour répète que l’on ne saurait tirer de la Convention un droit pour une communauté religieuse de se voir garantir un lieu de culte par les autorités publiques (Griechische Kirchengemeinde München und Bayern e.V. c. Allemagne (déc.), no 52336/99, 18 septembre 2007). En l’espèce, le refus des juridictions internes de reconnaître le droit de propriété des intéressées sur une église n’a pas fait obstacle au fonctionnement des requérantes et n’a pas restreint leur droit de construire un lieu de culte dans les conditions prévues par la loi.

    45.  En outre, dans l’affaire Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres (précitée, § 138), la Cour a noté que l’article 4 du décret-loi no 126/1990 énonce que, dans les communes où le nombre de lieux de culte est insuffisant par rapport au nombre de fidèles, l’État apportera son soutien à la construction de nouvelles églises. Cette disposition légale donne la possibilité aux paroisses qui ne bénéficient pas d’un lieu de culte d’obtenir l’aide de l’État pour la construction d’un tel édifice. Le texte de loi n’impose aucun autre critère susceptible de bloquer l’accès des intéressées à ces aides financières. Or, il ne ressort pas du dossier que les requérantes se sont prévalues de cette disposition légale.

    46.  Enfin, la Cour estime que la décision litigieuse ne revêtait pas un caractère discriminatoire. En effet, les juridictions internes n’ont pas fondé leur décision sur des éléments relatifs à l’appartenance religieuse mais sur des éléments factuels concrets (paragraphes 16 et 17 ci-dessus ; voir également Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres, précité, § 139).

    47.  Eu égard à tous les éléments qui précèdent, la Cour conclut que ces griefs sont manifestement mal fondés et qu’ils doivent être rejetés, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

    IV.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION, PRIS SEUL ET COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION

    48.  Les requérantes estiment que le refus des juridictions internes d’ordonner la restitution de l’église a porté atteinte à leur droit au respect de leurs biens et qu’il s’agit d’un traitement discriminatoire fondé sur l’appartenance à une religion. Elles invoquent l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, pris seul et combiné avec l’article 14 de la Convention.

    49.  L’article 1 du Protocole no 1 à la Convention est ainsi libellé :

    « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

    Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

    A.  Arguments des parties

    50.  Le Gouvernement excipe de l’irrecevabilité ratione materiae de ce grief en indiquant que les juridictions internes n’ont pas reconnu, par une décision définitive, le droit de propriété des requérantes sur l’église en litige. Il estime par ailleurs que les requérantes n’ont pas démontré avoir fait en l’espèce l’objet d’un traitement discriminatoire.

    51.  Les requérantes allèguent avoir eu au moins une « espérance légitime » d’obtenir la restitution de l’église, au motif que la loi interne prévoit la possibilité d’engager des actions devant les juridictions nationales qui auraient dû, d’après elles, être tranchées selon les dispositions du code civil. Elles soutiennent également que le rejet de leur action visait à protéger la majorité orthodoxe du pays et qu’il constituait une discrimination fondée sur leur appartenance à un culte minoritaire.

    B.  Appréciation de la Cour

    1.  Sur la violation alléguée de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention

    52.  La Cour renvoie à sa jurisprudence constante concernant l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (voir, par exemple, Gratzinger et Gratzingerova c. République tchèque (déc.) [GC], no 39794/98, § 69, CEDH 2002-VII, et Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, § 35, CEDH 2004-IX).

    53.  En l’espèce, les requérantes ont perdu en 1948 la possession et la propriété du terrain et de l’église y afférente qu’elles revendiquent, soit avant la ratification de la Convention par la Roumanie, le 20 juin 1994. Malgré la réhabilitation du culte gréco-catholique en 1990, aucune disposition légale n’ordonne la restitution automatique des lieux de culte ayant appartenu à cette Église et toujours détenus par l’Église orthodoxe (voir, a contrario, Archidiocèse catholique d’Alba Iulia c. Roumanie, no 33003/03, §§ 82-88, 25 septembre 2012). Le décret-loi no 126/1990 a simplement introduit une procédure spécifique par laquelle il est possible de demander la restitution d’un tel bien. La Cour relève que l’espoir de restitution était dès le départ une créance conditionnelle, dans la mesure où le décret-loi no 126/1990 énonce le critère selon lequel la situation juridique des lieux de culte doit être tranchée (Paroisse gréco-catholique Glod, précité, § 29).

    54.  En l’occurrence, les requérantes ont cherché à obtenir la restitution du lieu de culte par voie judiciaire. La question de la situation juridique de l’église revendiquée a été tranchée par une juridiction bénéficiant, dans le cadre de la procédure judiciaire en cause, de la plénitude de juridiction. En faisant une application combinée de la condition prévue par le décret-loi no 126/1990 et du droit commun, la Haute Cour a jugé en définitive que les requérantes ne pouvaient pas obtenir la restitution du lieu de culte litigieux (paragraphes 16 et 17 ci-dessus). Dès lors, la Cour estime que la créance des requérantes ne peut pas être considérée comme suffisamment établie pour s’analyser en une « valeur patrimoniale » appelant la protection de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (voir, mutatis mutandis, Paroisse gréco-catholique Glod, précité, § 30).

    55.  La Cour rappelle en outre que la persistance de divergences dans l’interprétation par les juridictions nationales du droit interne ne donne pas lieu à une « espérance légitime » (Albu et autres c. Roumanie, no 34796/09, § 47, 10 mai 2012, et Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres, précité, § 154).

    56.  La Cour en conclut que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et qu’il doit donc être rejeté, en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

    2.  Sur la violation alléguée de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention

    57.  Tout en renvoyant à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir, par exemple, Stec et autres c. Royaume-Uni (déc.) [GC], nos 65731/01 et 65900/01, §§ 39 et 54, CEDH 2005-X, et Carson et autres c. Royaume-Uni [GC], no 42184/05, § 64, CEDH 2010), la Cour rappelle avoir déjà examiné un grief similaire dans l’arrêt Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres (précité, §§ 156 à 158). Dans cette dernière affaire, après avoir constaté que l’article 14 de la Convention était applicable, elle a jugé qu’il n’y avait pas eu de différence de traitement discriminatoire entre les requérants et la paroisse orthodoxe dans la procédure. Pour ce faire, la Cour a considéré que la législation mise en cause visait à protéger, pour ceux qui avaient été forcés sous le régime totalitaire de quitter la religion gréco-catholique, la liberté de manifester leur volonté quant à la religion à suivre tout en gardant la possibilité d’utiliser le lieu de culte qu’ils avaient construit. Elle avait également accordé de l’importance au fait que les intéressés avaient eu accès à un tribunal qui avait examiné leur affaire en fait et en droit (Ibid., § 158).

    58.  En l’espèce, la Cour estime qu’elle ne dispose pas d’éléments lui permettant d’arriver à une conclusion différente. Après un examen approfondi de la situation factuelle, elle considère que les juridictions internes ont rendu des arrêts motivés, dont le raisonnement s’inscrivait dans la ligne constante de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle (voir, pour la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres [GC], précité, §§ 55 à 57).

    59.  La Cour conclut dès lors que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

    V.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    60.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    61.  Les requérantes réclament 331 296 euros (EUR) au titre du préjudice matériel, somme représentant selon elles la valeur de l’église et du terrain y afférent. Elles réclament également 50 000 EUR pour préjudice moral.

    62.  Le Gouvernement soutient que la somme sollicitée pour préjudice matériel est excessive. Pour ce qui est du préjudice moral, il invite la Cour à considérer, le cas échéant, qu’un constat de violation constitue en soi une réparation suffisante. À titre subsidiaire, il prie la Cour d’allouer une somme calculée conformément à sa jurisprudence en la matière.

    63.  La Cour relève que l’octroi d’une somme au titre de la satisfaction équitable vise, en l’espèce, à réparer la méconnaissance du principe de la sécurité juridique.

    64.  En ce qui concerne le dommage matériel allégué, la Cour ne saurait spéculer sur le résultat auquel l’action en revendication des requérantes aurait abouti si la violation de la Convention ne s’était pas produite. Il n’y a donc pas lieu de leur accorder une indemnité à ce titre (Hayati Çelebi et autres c. Turquie, no 582/05, § 71, 9 février 2016, et Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres [GC], précité, § 181).

    65.  S’agissant du préjudice moral, la Cour estime que la violation constatée a dû causer, dans le chef des intéressées, des désagréments que le simple constat de violation ne saurait réparer. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle alloue conjointement aux requérantes 3 600 EUR pour dommage moral.

    B.  Frais et dépens

    66.  Les requérantes demandent 1 223 EUR correspondant aux honoraires de Me Hatneanu et 2 030,5 EUR correspondant aux honoraires de Me Borsányi, à verser directement aux avocates. Elles ont produit au dossier le récapitulatif des heures de travail effectuées par leurs avocates et les contrats d’assistance judiciaire. Elles demandent également 300 EUR en remboursement des frais de secrétariat et de correspondance pour la procédure devant la Cour exposés par l’Association pour la défense des droits de l’homme en Roumanie - le Comité Helsinki (« APADOR-CH ») - et précisent qu’elles ont signé avec cette dernière un contrat en vertu duquel celle-ci supporterait les frais de secrétariat afférents à la présente Requête.

    67.  Le Gouvernement rétorque que les questions soulevées par la présente affaire font l’objet d’une jurisprudence bien établie et que, dans ce contexte, le nombre d’heures d’assistance judiciaire indiqué par les avocates des requérantes est déraisonnable.

    68.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, par exemple, Nilsen et Johnsen c. Norvège [GC], no 23118/93, § 62, CEDH 1999-VIII). En l’espèce, la Cour note que les requérantes indiquent leurs prétentions en détail et avec précision. Compte tenu de la nature de l’affaire, des documents dont elle dispose et des critères susmentionnés, elle estime raisonnable d’octroyer 1 223 EUR pour les honoraires de Me Hatneanu et 2 030 EUR pour les honoraires de Me Borsányi. Ces sommes sont à verser directement sur les comptes bancaires respectifs des représentantes des requérants (voir, mutatis mutandis, Oleksandr Volkov c. Ukraine, no 21722/11, § 219, CEDH 2013, et Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, § 288, CEDH 2016).

    69.  En ce qui concerne la somme de 300 EUR correspondant aux frais de secrétariat et de correspondance exposés par l’association APADOR-CH, la Cour constate que celle-ci n’a jamais représenté les requérantes dans la procédure menée à Strasbourg. Dès lors, elle rejette cette demande (Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres [GC], précité, § 189).

    C.  Intérêts moratoires

    70.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la méconnaissance du principe de la sécurité juridique, et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

    i.  3 600 EUR (trois mille six cents euros) aux requérantes conjointement, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii.  1 223 EUR (mille deux cent vingt-trois euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt par les requérantes, pour frais et dépens, à verser sur le compte bancaire de Me Hatneanu ;

    iii.  2 030 EUR (deux mille trente euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt par les requérantes, pour frais et dépens, à verser sur le compte bancaire de Me Borsányi ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 octobre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

    Andrea Tamietti                                                                  Faris Vehabović
      Greffier adjoint                                                                       
    Président


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