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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ALIYEV v. RUSSIA - 35242/07 (Judgment : Article 3 - Prohibition of torture : Third Section Committee) French Text [2018] ECHR 319 (10 April 2018) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2018/319.html Cite as: [2018] ECHR 319, ECLI:CE:ECHR:2018:0410JUD003524207, CE:ECHR:2018:0410JUD003524207 |
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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE ALIYEV c. RUSSIE
(Requête no 35242/07)
ARRÊT
STRASBOURG
10 avril 2018
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Aliyev c. Russie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en un comité composé de :Branko Lubarda, président,
Pere Pastor Vilanova,
Georgios A. Serghides, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,
PROCÉDURE
1. À l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 35242/07) dirigée contre la Fédération de Russie et dont un ressortissant de cet État, M. Vladislav Ramizovich Aliyev (« le requérant »), a saisi la Cour le 16 juillet 2007 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, a été représenté par O. Druzhkova et K. Markin, juristes à Strasbourg. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. G. Matiouchkine, ancien représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l'homme, puis par son successeur dans ce bureau, M. M. Galperine.3. Le 6 mai 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.EN FAIT
4. Le requérant est né en 1967 et réside dans la ville d'Astrakhan.I. LES POURSUITES PÉNALES DIRIGÉES À L'ENCONTRE DU REQUÉRANT ET L'ACCÈS DE L'INTÉRESSÉ AUX SOINS MÉDICAUX PENDANT SA DÉTENTION
5. Le 27 mai 2005, le requérant, soupçonné d'extorsion de pot-de-vin, fut arrêté par la police et placé en garde à vue dans un centre de détention temporaire.6. Le 28 mai 2005, le requérant, qui se trouvait toujours dans ledit centre, se sentit mal. Il fut examiné par un médecin de l'ambulance qui avait été appelée. Celui-ci prescrivit une hospitalisation d'urgence. Escorté par deux policiers, le requérant fut transporté par la même ambulance à l'hôpital régional OKB no 1 (« l'hôpital no 1 ») où on lui diagnostiqua une angine de poitrine et une cardiopathie ischémique. Les premiers soins lui furent prodigués et un examen auprès du service de cardiologie de l'hôpital municipal MKB no 3 (« l'hôpital no 3 ») lui fut prescrit. Selon le requérant, les policiers qui l'escortaient refusèrent de l'emmener à l'hôpital no 3 le soir même et le ramenèrent au centre de détention temporaire.
7. Le 29 mai 2005, le requérant fut transféré à la maison d'arrêt no IZ-�30/1 de la région d'Astrakhan. Le même jour, il fut emmené en ambulance à l'hôpital no 3, où il resta jusqu'au lendemain, avant d'être à nouveau transféré à la maison d'arrêt.8. Le 22 juin 2005, le requérant fut élargi.9. Par un arrêt du 19 février 2007, le tribunal de l'arrondissement Troussovski de la ville d'Astrakhan reconnut le requérant coupable de plusieurs infractions et le condamna à une peine d'emprisonnement.10. Le 16 mars 2007, dans le cadre de la mise à exécution de la peine infligée par l'arrêt du 19 février 2007, le requérant fut arrêté et conduit dans un commissariat de police. Arrivé au commissariat, il se sentit mal. Il fut examiné par un médecin de l'ambulance qui avait été appelée. Celui-ci, après avoir diagnostiqué chez le requérant une angine de poitrine et une cardiopathie ischémique, prescrivit une hospitalisation d'urgence. Selon le requérant, les policiers présents au commissariat refusèrent de l'hospitaliser.
11. Toujours le 16 mars 2007, le requérant fut incarcéré dans la maison d'arrêt no IZ-30/2 de la région d'Astrakhan. Il ressort des pièces du dossier dont dispose la Cour que le requérant fut à plusieurs reprises examiné au sein du service médical de cet établissement.12. Le 24 juin 2007, le requérant fut transféré dans un autre établissement pénitentiaire.II. LES CONDITIONS DE DÉTENTION DU REQUÉRANT ENTRE LE 16 MARS ET LE 24 JUIN 2007
13. Entre le 16 mars et le 24 juin 2007, le requérant fut détenu dans la cellule no 46 de la maison d'arrêt no IZ-30/2. Les parties ont présenté des versions différentes quant aux conditions de détention de l'intéressé pendant la période considérée.14. Le requérant soutient que la cellule mesurait approximativement 3 x 5 mètres et que les détenus y avaient parfois été jusqu'à onze pour seulement quatre lits. Il indique que les occupants de la cellule devaient dormir à tour de rôle et que les toilettes, qui se trouvaient à moins de 1,5 mètre de la table et des lits, étaient dépourvues de portes.15. Le Gouvernement déclare que la cellule no 46 mesurait 16,3 m², qu'elle comptait quatre lits et que le nombre de détenus n'y a jamais été supérieur au nombre de lits. En outre, il indique que ladite cellule disposait d'un lavabo, que les toilettes se trouvaient à côté de l'entrée de la cellule, qu'elles étaient séparées du reste de celle-ci par une cloison en briques d'au moins 1,2 mètre de hauteur munie de portes, et que la distance entre les toilettes et la table était de 1,5 mètre et celle entre les toilettes et les lits de 2,6 mètres. Enfin, selon le Gouvernement, tous les détenus bénéficiaient d'au moins une heure d'exercice par jour dans des cours aménagées en plein air.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
16. Le requérant se plaint de ne pas avoir eu accès à des soins médicaux lors de sa détention en raison des refus allégués des officiers de police de le conduire à l'hôpital, malgré les recommandations médicales, le soir du 28 mai 2005 ainsi que le 16 mars 2007. Il dénonce en outre les conditions de sa détention à la maison d'arrêt no IZ-30/2 du 16 mars au 24 juillet 2007 en raison tant de la surpopulation que de l'absence de soins médicaux adéquats. Le requérant invoque l'article 3 de la Convention, ainsi libellé :« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur les soins médicaux
1. Thèses des parties
17. Le Gouvernement estime que le requérant, qui n'a pas saisi la justice d'une action civile en dédommagement quant au préjudice allégué, n'a pas épuisé les voies de recours internes disponibles. À titre subsidiaire, il indique que le requérant a bénéficié de soins médicaux adéquats pendant toutes les périodes de détention évoquées par ce dernier. Il soumet à cet égard des extraits de la fiche médicale du requérant établie par les établissements dans lesquels il a séjourné.18. Le requérant maintient son grief.2. Appréciation de la Cour
19. La Cour note que les parties divergent sur la question de savoir si le requérant a épuisé les voies de recours disponibles. Cependant, elle estime qu'il n'est pas nécessaire de se pencher sur cette question puisqu'elle considère que le grief est manifestement mal fondé pour les raisons exposées ci-dessous.20. La Cour rappelle que l'article 3 de la Convention impose à l'État de s'assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d'exécution de la mesure ne soumettent pas l'intéressé à une détresse ou à une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l'emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l'administration des soins médicaux requis (Muršić c. Croatie [GC], no 7334/13, § 99, CEDH 2016).21. En l'espèce, s'agissant tant de l'épisode du 28 mai 2005 que celui du 16 mars 2007, la Cour note que le requérant a été examiné par des médecins urgentistes aussitôt qu'il s'était plaint de son mauvais état de santé (paragraphes 6 et 10 ci-dessus). En ce qui concerne le premier épisode, le requérant a ensuite été pris en charge par l'hôpital no 1. Quant au second épisode, les éléments du dossier dont dispose la Cour ne démontrent pas, contrairement aux allégations du requérant, que celui-ci n'a pas bénéficié d'une assistance médicale adéquate au moment de son placement dans la maison d'arrêt no IZ-�30/2, le 16 mars 2007, où pendant son séjour dans cet établissement après cette date. Il ne ressort pas non plus dudit dossier que le requérant a subi un dommage quant à sa santé du fait d'avoir été transféré à l'hôpital no 3 le 29 mai 2005, soit un jour après qu'une telle recommandation avait été formulée par les médecins de l'hôpital no 1. Il en est de même en ce qui concerne le refus allégué des policiers d'hospitaliser l'intéressé dans un hôpital civil le 16 mars 2007. Bien que le délai excessif d'accès aux soins médicaux puisse constituer un traitement inhumain et dégradant sans que ce délai ait été à l'origine d'une aggravation de l'état de santé de la personne concernée (voir, à titre d'exemple, Andrey Gorbounov c. Russie, no 43174/10, § 68, 5 février 2013), la Cour considère que tel n'est pas le cas en l'espèce, les délais litigieux n'ayant pas dépassé un jour dans les deux cas (comparer également avec Pylnev c. Russie (déc.), no 3038/03, 9 février 2010).22. Il s'ensuit que cette partie du grief est manifestement mal fondée et qu'elle doit être rejetée, en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.B. Sur les conditions de la détention dans la maison d'arrêt no IZ-�30/2 du 16 mars au 24 juillet 2007
1. Thèses des parties
23. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes sous forme d'un recours au civil en dédommagement du préjudice moral. À titre subsidiaire, se référant à sa version des faits (paragraphe 15 ci-�dessus), il soutient que les conditions de détention litigieuses n'étaient pas constitutives de mauvais traitements.24. Le requérant maintient son grief.2. Appréciation de la Cour
(a) Sur la recevabilité
25. Eu égard à ses conclusions dans l'arrêt Ananyev et autres c. Russie (nos 42525/07 et 60800/08, §§ 100-�119, 10 janvier 2012), la Cour estime que le Gouvernement n'a pas démontré l'existence d'un recours interne que le requérant aurait été tenu d'épuiser avant de soumettre sa requête à la Cour. Elle rejette donc l'argument du Gouvernement.26. Constatant par ailleurs que le grief ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité, elle le déclare recevable.(b) Sur le fond
27. La Cour observe que les parties sont en désaccord sur plusieurs aspects des conditions de détention du requérant, dont plus particulièrement la question du surpeuplement de la cellule no 46.28. Elle rappelle que la procédure prévue par la Convention, telle celle suivie en l'espèce, ne se prête pas toujours à une application stricte du principe affirmanti incumbit probatio (« la preuve incombe à celui qui affirme ») car, dans certains cas, le gouvernement défendeur est le seul à avoir accès aux informations susceptibles de confirmer ou d'infirmer les allégations du requérant. Le fait que, sans donner de justification satisfaisante, un gouvernement s'abstient de fournir pareilles informations peut permettre de tirer des conclusions quant au bien-fondé des allégations en question (voir, parmi d'autres, Fedotov c. Russie, no 5140/02, §§ 60 et 61, 25 octobre 2005, et Kokoshkina c. Russie, no 2052/08, § 60, 28 mai 2009).29. La Cour rappelle en outre que, lorsqu'il y a contestation sur les conditions de détention, point n'est besoin pour elle d'établir la véracité de chaque élément litigieux : elle peut conclure à la violation de l'article 3 de la Convention sur la base de toute allégation grave non réfutée par le Gouvernement (Grigorievskikh c. Russie, no 22/03, § 55, 9 avril 2009). Dans ce type d'affaires, la charge de la preuve pèse sur les autorités et il incombe au Gouvernement de fournir une explication satisfaisante et convaincante pour contrer les allégations du requérant.30. En l'espèce, eu égard aux éléments versés par les parties, la Cour estime que le Gouvernement ne s'est pas acquitté de la charge de la preuve lui incombant et n'a pas réfuté, à l'aide notamment d'originaux des registres des détenus, les allégations du requérant selon lesquelles celui-ci a été détenu dans une cellule surpeuplée.31. La Cour rappelle avoir déjà conclu dans de nombreuses affaires à la violation de l'article 3 de la Convention en raison principalement du manque d'espace individuel suffisant (voir, par exemple, Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 46, CEDH 2001 II, Mayzit c. Russie, no 63378/00, § 39 et suivants, 20 janvier 2005, Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99, § 36, 7 avril 2005, Ananyev et autres, précité, §§ 160-�166, Kolunov c. Russie, no 26436/05, §§ 30-38, 9 octobre 2012, et Zentsov et autres c. Russie, no 35297/05, §§ 38-45, 23 octobre 2012).32. Eu égard à sa large jurisprudence en la matière et compte tenu de ses conclusions quant au bien-fondé des allégations du requérant, la Cour conclut que la détention du requérant à la maison d'arrêt no IZ-30/2 du 16 mars au 24 juillet 2007 a constitué un traitement inhumain et dégradant contraire à l'article 3 de la Convention.33. Partant, il y a eu violation de l'article 3 de la Convention.II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
34. Sur le terrain de l'article 3 de la Convention, le requérant se plaint des conditions de sa détention du 27 mai au 22 juin 2005 ainsi que d'une négligence de la part de médecins de l'hôpital municipal no 3 lors de son hospitalisation du 29 mai 2005. Sous l'angle de l'article 5 de la Convention, il estime que sa détention pendant la période du 27 mai au 22 juin 2005 était illégale et dénonce l'impossibilité d'obtenir une compensation à cet égard auprès des juridictions internes. Invoquant l'article 6 de la Convention, il se plaint d'une violation de son droit à être jugé par un tribunal indépendant et impartial ainsi que de l'iniquité de la procédure pénale dirigée à son encontre. Sur le terrain de la même disposition, il dénonce enfin des irrégularités dans une procédure de contrôle judiciaire portant sur un refus d'ouvrir une enquête pénale à la suite d'une plainte qu'il avait introduite auprès du service de procureur.35. Compte tenu de l'ensemble des éléments dont elle dispose, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention. Elle conclut donc que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et qu'elle doit être rejetée, en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
36. Aux termes de l'article 41 de la Convention,« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
37. Le requérant réclame 105 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel, correspondant au dommage à sa santé qu'il estime avoir subi en raison du manque allégué de soins médicaux lors de sa détention, et 55 000 EUR au titre du préjudice moral qu'il estime avoir subi.38. Le Gouvernement considère que le montant réclamé par le requérant pour dommage matériel n'a aucun lien avec l'objet de la présente affaire. Pour ce qui est du dommage moral, il est d'avis que la somme sollicitée est excessive par rapport à la jurisprudence de la Cour.39. La Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu'il y a lieu d'octroyer au requérant 2 500 EUR au titre du préjudice moral.B. Frais et dépens
40. Le requérant n'a formulé aucune demande à ce titre. La Cour estime donc qu'il n'y a pas lieu de se prononcer sur ce point.C. Intérêts moratoires
41. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions de détention du requérant du 16 mars au 24 juillet 2007 dans la maison d'arrêt no IZ-30/2 et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention ;
3. Dit
a) que l'État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, à convertir dans la monnaie de l'État défendeur, au taux applicable à la date du règlement, pour dommage moral ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 avril 2018, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Fatoş AracıBranko Lubarda
Greffière adjointePrésident