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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> BAGNIEWSKI v. POLAND - 28475/14 (Judgment : No Article 8 - Right to respect for private and family life : First Section) French Text [2018] ECHR 445 (31 May 2018) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2018/445.html Cite as: ECLI:CE:ECHR:2018:0531JUD002847514, [2018] ECHR 445, CE:ECHR:2018:0531JUD002847514 |
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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE BAGNIEWSKI c. POLOGNE
(Requête no 28475/14)
ARRÊT
STRASBOURG
31 mai 2018
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Bagniewski c. Pologne,
La Cour européenne des droits de l'homme (première section), siégeant en une chambre composée de :Linos-Alexandre Sicilianos, président,
Aleš Pejchal,
Krzysztof Wojtyczek,
Ksenija Turković,
Pauliine Koskelo,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,
PROCÉDURE
1. À l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 28475/14) dirigée contre la République de Pologne et dont un ressortissant de cet État, M. Jacek Bagniewski (« le requérant »), a saisi la Cour le 2 avril 2014 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).2. Le requérant a été représenté par Me K. Frasz, avocat à Bydgoszcz. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme J. Chrzanowska, du ministère des Affaires étrangères.3. Le requérant alléguait une violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale en raison du rejet de l'action en désaveu de paternité engagée en son nom et pour son compte par un procureur. Il se plaignait en outre d'une atteinte à son droit à un tribunal, en l'occurrence la Cour suprême, en raison des conditions légales requises pour se pourvoir en cassation.4. Le 24 mai 2016, la requête a été communiquée au Gouvernement.EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1965 et réside à Bydgoszcz.6. Le 16 septembre 1995, le requérant épousa sa compagne.7. Le 18 février 1997, celle-ci donna naissance à un enfant de sexe masculin. En tant qu'époux de la mère de l'enfant, le requérant était présumé être le père de ce dernier. Il fut donc inscrit comme tel au registre de l'état civil.8. Il ressort du dossier que, pendant la période de vie commune du couple, le requérant n'a eu aucun doute quant à la fidélité de sa femme.9. En 2004, l'épouse du requérant engagea une procédure de divorce devant le tribunal régional de Bydgoszcz (« le tribunal régional »).10. Par un jugement du 14 juillet 2005, le tribunal régional prononça la dissolution du mariage aux torts exclusifs de l'épouse du requérant. Il confia la garde de l'enfant à la mère et limita l'autorité parentale du requérant à la participation aux décisions sur les sujets importants concernant l'enfant. Après le divorce, le requérant versa une pension alimentaire, ordonnée par le tribunal, pour subvenir aux besoins du mineur. Il eut des contacts réguliers avec ce dernier pendant les week-ends, et l'enfant passa des vacances avec lui au Royaume-Uni.11. Par la suite, le requérant commença à nourrir des doutes sur sa paternité vis-à-vis de l'enfant. Il ressort des faits tels qu'établis par les juridictions internes qu'au cours de l'année 2010, le requérant suggéra à l'enfant, à plusieurs reprises, dans des messages électroniques envoyés à l'occasion de vacances ou d'anniversaires, qu'il n'était pas son père. L'enfant annonça alors au requérant que dans ces conditions il ne souhaitait plus maintenir de contact avec lui.12. Au cours de la même année, le requérant commanda un test ADN (identification par empreintes génétiques) extrajudiciaire, en fournissant, selon la déclaration faite par lui à cette occasion, ses propres échantillons biologiques et ceux de l'enfant. L'origine de ces échantillons n'a jamais pu être vérifiée dans les procédures engagées.13. Le test ADN, effectué le 19 novembre 2010, établit l'absence de lien de filiation biologique entre les donneurs des échantillons biologiques indiqués comme étant « le père putatif » et « l'enfant putatif ».14. À la suite de la réalisation de ce test, le requérant s'adressa au procureur, lui demandant d'introduire en son nom et pour son compte une action en désaveu de paternité, puisque le délai légal de six mois qui lui était offert par l'article 63 du code de la famille et des tutelles (« le CFT ») (en tant qu'époux de la mère d'un enfant né pendant le mariage) pour contester lui-�même la présomption de paternité était expiré.15. Le 19 avril 2011, le procureur introduisit l'action demandée devant le tribunal de district de Bydgoszcz (« le tribunal de district »).16. Au cours de la procédure en désaveu de paternité, le tribunal de district ordonna un test ADN, auquel la mère et l'enfant refusèrent de se soumettre.17. Pour connaître les raisons du refus manifesté par le mineur, le tribunal ordonna l'audition de celui-ci par un psychologue judiciaire. Selon l'opinion préparée par l'expert, le mineur s'était senti blessé par le requérant et notamment par les textos envoyées par ce dernier affirmant qu'il n'était pas son père. L'enfant avait aussi difficilement supporté la révélation de l'affaire par ce dernier à la presse locale, et l'humiliation en ayant, selon lui, résulté pour lui et sa mère. L'attitude du requérant suscitait chez l'enfant l'angoisse concernant son avenir et son identité. Le refus de l'enfant de se soumettre au test ADN n'était donc pas le résultat de manipulation par d'autres personnes mais reflétait son état émotionnel.18. Par un jugement du 19 décembre 2012, le tribunal de district déclara que le requérant n'était pas le père de l'enfant. Dans les motifs de sa décision, le tribunal de district indiqua que les échantillons biologiques fournis aux fins de la réalisation du test ADN effectué le 19 novembre 2010 appartenaient au requérant et au mineur.19. Le 3 octobre 2013, sur recours de la mère de l'enfant, le tribunal régional de Bydgoszcz (« le tribunal régional ») annula le jugement du 19 décembre 2012 et rejeta l'action en désaveu de paternité du requérant introduite par le procureur.20. Pour prendre sa décision, le tribunal régional se fonda sur une expertise complémentaire menée par un psychologue judiciaire, qu'il avait ordonnée afin d'obtenir des informations récentes sur l'état émotionnel de l'enfant, de déterminer si le refus de ce dernier de se soumettre au test ADN ne résultait pas d'une manipulation exercée par un tiers et, en outre, de savoir si le mineur avait dit au requérant que celui-ci n'était pas son père. En se basant sur cette expertise, le tribunal régional nota dans la motivation de son jugement que le refus de l'enfant de se soumettre au test ADN était authentique et sincère et qu'il était dû à sa crainte d'un avenir incertain et d'une perte de son identité. Il observa que ce refus résultait de l'état émotionnel de l'enfant et que celui-ci n'était soumis à aucune manipulation exercée par une personne tierce. Il releva que, dans ses déclarations faites devant le psychologue, l'enfant avait affirmé que c'était le requérant qui avait suggéré en 2010 qu'il n'était pas son fils et que cela l'avait fait souffrir. Il nota également que, d'après le psychologue judiciaire, le mineur avait un fort besoin de la présence paternelle, qui lui manquait, et qu'il espérait un rétablissement de sa relation avec le requérant.21. Le tribunal régional observa dans sa motivation que la charge de la preuve pour établir l'impossibilité que le requérant fût le père de l'enfant pesait sur le procureur qui avait engagé la procédure en cause. Le tribunal régional observa en outre que le procureur avait pu utiliser tous les moyens de preuve. À cet égard, il releva que le résultat du test ADN extrajudiciaire réalisé en vue de la contestation de la paternité du requérant vis-à-vis de l'enfant n'était qu'un document à caractère privé, prouvant uniquement que les personnes y ayant apposé leurs signatures étaient de l'avis indiqué sur ce document. Il souligna que ce document privé ne pouvait pas être considéré comme la preuve décisive dans le cadre de la procédure civile, puisqu'il avait été contesté par la mère de l'enfant. Par conséquent, il jugea qu'il convenait de soumettre le résultat de ce test ADN extrajudiciaire à un examen conforme à l'article 233 § 1 du code de procédure civile, selon lequel le tribunal évaluait la crédibilité de la preuve et sa force probante selon sa conviction, sur la base d'un examen complet du matériel recueilli. Il estima ainsi que, en l'espèce, il fallait confronter ce document avec les dépositions concordantes de la mère de l'enfant et de Z.P., interrogé comme témoin, selon lesquelles ceux-ci n'avaient jamais eu de relations intimes, contrairement à ce que le requérant avait suggéré.22. Le tribunal régional considéra que le refus de l'enfant de se soumettre à un test ADN, motivé par la crainte de voir supprimer son lien de filiation, aurait pu -� eu égard à toutes les circonstances de l'affaire -� peser sur le renversement de la présomption de paternité édictée à l'article 62 § 1 du code de la famille et des tutelles si d'autres éléments de preuve, susceptibles de montrer que la paternité d'un autre homme était davantage plausible, avaient été proposés.23. En l'occurrence, le tribunal observa qu'il ne pouvait pas tirer du refus de l'enfant de se soumettre au test ADN des conclusions contraires à l'intérêt supérieur de celui-ci, après avoir pris en compte la circonstance que le procureur était resté en défaut de fournir de telles preuves additionnelles, ainsi que le fait que le requérant avait admis avoir cohabité avec sa conjointe au cours de la période de conception de l'enfant et qu'avant 2010 il n'avait jamais contesté sa paternité envers le mineur, et après avoir considéré que la conjointe du requérant n'avait pas eu de relations intimes hors mariage lors de la période de conception de l'enfant.II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Les dispositions du code de la famille et des tutelles
24. Selon l'article 62 § 1 du CFT, l'époux d'une femme est présumé père de tout enfant né pendant le mariage ou dans les trois cents jours après sa dissolution ou son annulation. Selon l'article 62 § 3 du même code, cette présomption peut être combattue au moyen d'une action en désaveu de paternité.25. Selon l'article 63 du CFT, l'époux de la mère de l'enfant peut contester sa paternité devant un tribunal dans un délai de six mois à compter du moment où il a pris connaissance du fait que sa femme a donné naissance à cet enfant.26. Selon l'article 69 § 1 du CFT, la mère de l'enfant peut contester la paternité de son époux dans un délai de six mois à compter de la naissance de l'enfant.27. Selon l'article 70 § 1 du CFT, l'enfant peut contester la paternité de l'époux de sa mère jusqu'à l'expiration d'un délai de trois ans à compter de sa majorité.28. Selon l'article 86 du CFT, l'action en désaveu de paternité peut être introduite par un procureur si l'intérêt de l'enfant ou l'intérêt public l'exigent.B. Les dispositions du code de procédure civile (« le CPC »)
29. Selon l'article 454 §2 du CPC, l'action en désaveu de paternité introduite par le procureur est intentée contre le mari de la mère de l'enfant ou le curateur judiciaire si le mari est décédé, ainsi que contre l'enfant et la mère de l'enfant si elle est en vie.30. D'après l'article 3983 § 3 du CPC, un pourvoi en cassation ne peut pas porter sur des griefs concernant l'établissement des faits ou l'appréciation des éléments de preuve.C. La jurisprudence de la Cour suprême
31. Par un arrêt du 22 février 2008 (V CSK 432/07), la Cour suprême a jugé, en se référant à l'article 306 du CPC relatif aux prises de sang ordonnées par un tribunal, qu'un prélèvement des échantillons biologiques dans le but d'une recherche ADN ne pouvait pas être effectué sans l'accord des personnes concernées.EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
32. Invoquant l'article 8 de la Convention, le requérant allègue avoir été dans l'impossibilité de prouver de manière effective l'absence d'un lien de filiation biologique entre l'enfant et lui-même, ce qui aurait rendu sa position dans le cadre de la procédure en désaveu de paternité moins favorable par rapport à celle de la mère de l'enfant. Il se plaint notamment, d'une part, que la juridiction d'appel n'ait pas admis le test ADN extrajudiciaire en tant que preuve décisive et, d'autre part, que le refus de l'enfant de se soumettre à une recherche ADN ordonnée dans le cadre de la procédure en désaveu de paternité n'ait pas permis un renversement de la présomption de paternité édictée à l'article 62 § 1 du CFT. L'article 8 est ainsi libellé :« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
A. Sur la recevabilité
33. La Cour rappelle avoir déjà eu l'occasion d'examiner des affaires dans lesquelles le mari de la mère d'un enfant cherchait à contester le lien de filiation établi entre lui-même et l'enfant par le jeu de la présomption légale de paternité. Dans ces affaires, elle n'a pas jugé nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si l'exercice d'une action en désaveu de paternité concernait la « vie familiale » des requérants, parce qu'elle a conclu qu'en tout état de cause la détermination du régime juridique des relations entre un homme et les enfants nés au cours de son mariage concernait la « vie privée » de celui-ci (Rasmussen c. Danemark, 28 novembre 1984, § 33, série A no 87, Yildirim c. Autriche (déc.), no 34308/96, 19 octobre 1999, et Mizzi c. Malte, no 26111/02, §§ 102-104, CEDH 2006-�I).
34. Dans la présente affaire, la Cour note que le requérant a cherché, au moyen d'une action en justice, à combattre la présomption légale de paternité pesant sur lui vis-à-vis de l'enfant. Estimant disposer d'éléments de preuve qui, à ses yeux, jetaient un doute sur la réalité biologique de la filiation qui l'unissait à son fils légitime (paragraphes 12 et 13 ci-dessus), l'intéressé a demandé au procureur d'introduire une action en justice visant à la dissipation de ce doute et, le cas échéant, à la reconnaissance de l'absence d'un lien de filiation biologique entre l'enfant né pendant son mariage et lui-même. S'il est vrai que, en l'occurrence, les juridictions nationales se trouvaient confrontées à une question de preuve, et non directement de « vie privée », il n'en reste pas moins que le but du requérant était de connaître la vérité sur un aspect important de son existence, à savoir s'il était le père de l'enfant né pendant son mariage (I.L.V. c. Roumanie (déc.), no 4901/04, § 33, 24 août 2010). La Cour estime donc que les faits de l'espèce tombent sous l'empire de l'article 8 de la Convention, dès lors qu'ils concernent « la vie privée » de l'intéressé.35. Constatant que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.B. Sur le fond
1. Les arguments des parties
36. Le requérant soutient qu'il lui a été impossible de prouver de manière effective qu'il n'est pas le père biologique de l'enfant. Il indique que la loi nationale ne donne pas de précisions sur les conditions de réalisation d'un test ADN aux fins de l'établissement de la paternité. À cet égard, il estime que la loi devrait soit prévoir la possibilité de contraindre la partie à la procédure à se soumettre à un test ADN - un tel test étant, à ses yeux, le moyen de preuve le plus fiable en matière d'action en désaveu de paternité -�, soit garantir un système de présomptions légales efficace à même de protéger un père putatif en cas de refus d'un enfant de participer à une recherche ADN ordonnée par un tribunal.37. Le requérant indique qu'il comprend et accepte le besoin de protection des intérêts des mineurs par l'État. Pour autant, il considère que, dans son cas, la juridiction nationale n'a pas respecté un juste équilibre entre ses intérêts et ceux de l'enfant, et que la prééminence qui aurait été accordée en l'espèce aux intérêts de ce dernier a conduit à ignorer son droit à la vie privée.38. En outre, le requérant allègue que c'était le mineur qui, agissant probablement sous l'influence de sa mère, l'avait informé d'un doute sur sa paternité. Il ajoute que la déclaration contraire faite par l'enfant devant le psychologue judiciaire, selon laquelle c'était lui-même qui avait suggéré une absence de lien de filiation biologique, s'analyse en un changement d'avis de l'enfant sur la question et qu'elle a également pu résulter d'une influence exercée par la mère de ce dernier.39. Le Gouvernement soutient que l'État a rempli ses obligations positives pour garantir au requérant la jouissance de son droit à la vie privée. Il dit tout d'abord que le procureur a introduit une action en désaveu de paternité en faveur du requérant afin de réfuter la présomption légale pesant sur celui-ci conformément à l'article 62 du CFT.40. Le Gouvernement indique que le principe affirmanti incumbit probatio (« la charge de la preuve incombe à celui qui affirme ») s'applique dans le cadre de la procédure en désaveu de paternité. Il ajoute que, en l'espèce, le requérant, représenté par un avocat, a failli à proposer des preuves autres que le test ADN extrajudiciaire contesté par la mère de l'enfant, pour renverser la présomption de paternité. Or, selon lui, le requérant était tenu de proposer au tribunal des preuves raisonnables et suffisantes pour prouver ses allégations (Darmon c. Pologne (déc.), no 7802/05, 17 novembre 2009).41. Le Gouvernement expose en outre que, jusqu'en 2010, le requérant n'avait jamais exprimé aucun doute quant à sa paternité envers l'enfant, même pendant la procédure de divorce. Il ajoute qu'en octobre 2010 le requérant a commencé à suggérer à l'enfant, alors âgé de treize ans, que celui-ci n'était pas son fils et qu'ensuite il a rendu la cause publique dans les médias locaux, ce qui aurait été source de détresse pour le mineur et sa mère. Il dit que, selon le psychologue judiciaire, ce comportement du requérant a eu une influence sur l'état émotionnel de l'enfant, qui aurait eu peur de perdre son identité et, par conséquent, aurait refusé de se soumettre à un test ADN. Il indique aussi que, d'après cet expert, le mineur n'avait pas subi de manipulation de la part d'un tiers. Dès lors, pour le Gouvernement, l'enfant avait lui-même pris la décision, motivée par les liens émotionnels l'unissant au requérant et la peur de perdre son identité, de refuser de se soumettre à une recherche ADN.42. En outre, le Gouvernement soutient que la motivation du jugement de la juridiction d'appel fait apparaître que celle-ci a pris en considération toutes les circonstances de la cause et qu'elle a respecté l'équilibre entre les intérêts du requérant, ceux du mineur et ceux de la société.2. L'appréciation de la Cour
43. La Cour rappelle que, si l'article 8 de la Convention tend pour l'essentiel à prémunir l'individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il n'impose pas seulement aux États de s'abstenir de telles ingérences : il peut engendrer de surcroît des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie privée ou familiale. La frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l'État au titre de cette disposition ne se prête pas à une définition précise. Les principes applicables sont néanmoins comparables. Dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble ; de même, dans les deux hypothèses, l'État jouit d'une certaine marge d'appréciation (Hämäläinen c. Finlande [GC], no 37359/09, §§ 65-67, CEDH 2014, Shofman c. Russie, no 74826/01, §§ 34-34, 24 novembre 2005, et Klocek c. Pologne (déc.), no 20674/07, 27 avril 2010). En outre, même pour les obligations positives résultant du paragraphe 1, « les objectifs énumérés au paragraphe 2 (...) peuvent jouer un certain rôle » dans « la recherche » de l'« équilibre » voulu (Powell et Rayner c. Royaume-Uni, 21 février 1990, § 41, série A no 172, et İyilik c. Turquie, no 2899/05, § 26, 6 décembre 2011)44. La Cour rappelle ensuite qu'elle n'a point pour tâche de se substituer aux autorités nationales compétentes pour trancher les litiges touchant aux relations des individus entre eux au niveau national, mais d'examiner sous l'angle de la Convention les décisions que ces autorités ont rendues dans l'exercice de leur pouvoir (voir, par exemple, Mikulić c. Croatie, no 53176/99, § 59, CEDH 2002-�I, Hokkanen c. Finlande, 23 septembre 1994, § 55, série A no 299-A, et İyilik, précité, § 27).45. La Cour doit donc examiner la question de savoir si, dans la présente espèce, l'État défendeur, amené, par le biais de ses juridictions, à se prononcer sur l'action en désaveu de paternité engagée par le procureur au nom et pour le compte du requérant, a agi en méconnaissance de ses obligations positives découlant de l'article 8 de la Convention (Mizzi, précité, § 107).46. Pour apprécier la « nécessité dans une société démocratique » de la mesure litigieuse, la Cour doit examiner, à la lumière de l'ensemble de l'affaire, tout en gardant à l'esprit le respect de l'ordre public, si le juste équilibre devant exister entre les intérêts présents a été ménagé dans les limites de la marge d'appréciation dont les États jouissent en la matière (Maumousseau et Washington c. France, no 39388/05, § 62, 6 décembre 2007). En l'occurrence, dans la mise en balance des intérêts en cause, il convient de considérer, d'un côté, le droit du requérant de savoir s'il est le père biologique de l'enfant et, de l'autre, le droit de celui-ci de garder sa filiation déjà établie ainsi que l'intérêt public à la protection de la sécurité juridique (I.L.V., décision précitée, § 38).47. Sur ce point, la Cour rappelle avoir jugé à plusieurs occasions qu'une situation dans laquelle il était impossible de faire prévaloir la réalité biologique sur une présomption légale de paternité n'était pas compatible avec l'obligation de garantir le « respect » effectif de la vie privée et familiale, même eu égard à la marge d'appréciation dont jouissent les États (Mizzi, précité, §§ 113 et 114, Paulík c. Slovaquie, no 10699/05, § 46, CEDH 2006-�XI, Shofman, précité, § 45, et Tavlı c. Turquie, no 11449/02, §§ 36-37, 9 novembre 2006). Il convient toutefois de noter que dans les affaires susmentionnées, les requérants avaient fait pratiquer un test ADN avec l'accord de l'enfant ou de sa mère.48. Or cela n'est pas le cas en l'espèce. En effet, la Cour note que le requérant a fait pratiquer un test ADN extrajudiciaire sur la base d'échantillons biologiques qu'il avait lui-même prélevés dans des conditions ne garantissant pas l'origine du matériel fourni (voir paragraphe 12 ci-�dessus), et qu'il n'était donc pas en possession d'une preuve biologique fiable susceptible d'attester qu'il n'était pas le père de l'enfant. Elle note aussi que, selon le droit interne, le résultat d'un test ADN réalisé hors de toute procédure judiciaire est considéré comme un simple document privé, prouvant uniquement que les personnes y ayant apposé leurs signatures sont de l'avis indiqué sur ce document. En l'occurrence, le résultat du test ADN extrajudiciaire ayant été contesté par la mère de l'enfant, le tribunal régional a souligné qu'il ne pouvait pas être considéré comme la preuve décisive dans le cadre de la procédure en désaveu de paternité et qu'il devait être soumis à un examen conforme à l'article 233 § 1 du CPC, selon lequel un tribunal évaluait la crédibilité et la force probante de l'offre de preuve selon sa conviction, sur la base d'un examen complet du matériel recueilli (voir paragraphe 20 ci-dessus).49. En outre, la Cour relève que le requérant a également cherché à obtenir une preuve de l'absence supposée de réalité biologique de sa paternité putative lors de la procédure en cause, mais que l'enfant a refusé de se soumettre au test ADN demandé par le tribunal. Malgré ce refus, ni le procureur qui avait introduit, au nom et pour le compte du requérant, l'action en désaveu de paternité ni l'intéressé, qui était représenté au cours de ladite procédure par un avocat, n'ont proposé d'autres preuves, susceptibles de montrer que la paternité d'un autre homme était davantage plausible. Au contraire, il ressort de la motivation de la juridiction de deuxième instance que le requérant avait admis avoir cohabité avec sa conjointe pendant la période de conception de l'enfant et qu'avant 2010 il n'avait jamais contesté sa paternité envers celui-ci. De plus, le tribunal régional a établi que la conjointe du requérant n'avait pas eu de relations intimes hors mariage pendant la période de conception de l'enfant (voir paragraphe 20 ci-dessus).50. Dans ces circonstances, la présente affaire se rapproche des situations en cause dans les affaires I.L.V. et İyilik (précitées), dans lesquelles la Cour avait conclu à l'absence de violation de l'article 8 de la Convention.51. En effet, en l'espèce la demande du requérant visant à la contestation de la présomption de paternité légitime reposait essentiellement sur sa propre conviction qu'il n'était pas le père biologique de l'enfant né pendant son mariage, et non pas sur des preuves raisonnables et suffisantes, que, au demeurant, il aurait dû soumettre aux juridictions nationales (Darmon, décision précitée, et M.D. c. Bulgarie (déc.), no 37583/04, § 42, 15 novembre 2011).52. La Cour note de surcroît que la juridiction d'appel a motivé son jugement de manière détaillée et convaincante, en prenant en considération toutes les circonstances et en mettant en balance les intérêts divergents en jeu, à savoir ceux du requérant et ceux de l'enfant. Par conséquent, elle considère que celle-ci a convenablement exercé ses compétences lors de son appréciation des faits pertinents.53. La Cour observe en outre que le droit interne ne prévoit aucune mesure qui permettrait de contraindre l'enfant à subir des tests ADN. Pour la Cour, cet élément a une importance décisive dans la mise en balance des intérêts en cause. Si, dans les affaires précitées (voir paragraphe 46 ci-�dessus), les intérêts des requérants et des enfants étaient convergents, en l'espèce, eu égard au refus de l'enfant de se soumettre au test ADN, les intérêts en cause apparaissent comme étant opposés (I.L.V., décision précitée, § 40, et İyilik, précité, § 32).54. La Cour est consciente que l'apparition des tests ADN et la possibilité pour tout justiciable de s'y soumettre constituent une évolution sur le plan judiciaire, en ce que ces tests permettent d'établir avec certitude l'existence ou l'absence de liens biologiques entre différentes personnes. Cela étant, la Cour rappelle avoir déjà jugé que la nécessité de protéger les tiers pouvait exclure la possibilité de les contraindre à se soumettre à quelque analyse médicale que ce fût, notamment à des tests ADN (Mikulić, précité, § 64 in fine). Une telle conclusion s'impose d'autant plus lorsque, comme en l'espèce, le tiers en question est un enfant, bénéficiant d'une filiation légitime de longue date (I.L.V., décision précitée, § 42).55. La Cour ne voit rien d'arbitraire ou de disproportionné dans la décision de la juridiction nationale, qui a donné plus de poids à l'intérêt de l'enfant qu'à l'éventuel intérêt du requérant à obtenir la vérification d'une donnée biologique (Nylund c. Finlande (déc.), no 27110/95, CEDH 1999-�VI, et İyilik, précité, § 34). En outre, elle estime que l'âge de l'enfant, qui était mineur à l'époque des faits, a joué en faveur de la prise en compte de son intérêt.56. Dans la présente affaire, l'absence d'une quelconque manifestation de la part de l'enfant du souhait de voir vérifier sa filiation (voir, a contrario, Paulík, précité, § 14, et Mizzi, précité, § 13, et voir aussi, mutatis mutandis, Odièvre c. France [GC], no 42326/98, § 44, CEDH 2003-�III), combinée avec le temps depuis lequel celui-ci bénéficiait de son état civil d'une manière stable ainsi qu'avec les conséquences patrimoniales susceptibles de découler pour lui de l'accueil d'une action en désaveu de paternité, a joué en l'espèce en faveur de son intérêt à ne pas être privé de son lien de filiation établi au motif d'une éventuelle discordance avec la réalité biologique (I.L.V., § 46, et Yıldırım, décisions précitées). Par conséquent, le fait de contraindre l'enfant à se soumettre à un test ADN aurait en l'espèce pu porter atteinte au droit de celui-ci au respect de sa vie privée et familiale et affecter son équilibre émotionnel.57. Par ailleurs, la Cour observe que le tribunal régional n'a pas pour autant perdu de vue l'intérêt du requérant, puisqu'il a indiqué dans la motivation de son jugement que malgré le refus de l'enfant de se soumettre à un test ADN, dicté par la crainte de voir son identité sociale ébranlée, il était possible de renverser la présomption de paternité édictée à l'article 62 § 1 du CFT si d'autres éléments de preuve, susceptibles de montrer que la paternité d'un autre homme était davantage plausible, avaient été proposés. La Cour note que la juridiction nationale a pris en considération la situation du requérant dans les procès, résultant du refus de l'enfant de se soumettre à un test ADN, dans le cadre de l'appréciation des preuves.58. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour estime que le rejet de l'action en désaveu de paternité - découlant du refus du tribunal de s'appuyer sur le test médical extrajudiciaire réalisé sur la base des échantillons biologiques prélevés par le requérant lui-même et de tirer de l'absence de consentement de l'enfant à un test ADN des conséquences contraires à l'intérêt supérieur de celui-ci - n'a pas rompu le juste équilibre entre les intérêts en présence.59. Partant, l'article 8 de la Convention n'a pas été violé.II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 8 DE CELLE-CI
60. Invoquant l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 8 de celle-ci, le requérant allègue par ailleurs avoir été victime de discrimination lors de la procédure civile devant les juridictions nationales. L'article 14 est ainsi libellé:
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
61. La Cour juge cependant, à la lumière de l'ensemble des éléments en sa possession, que les faits dénoncés ne révèlent aucune apparence de violation des dispositions en cause. Il s'ensuit que ces allégations sont manifestement mal fondées au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention.III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
62. Invoquant l'article 6 de la Convention, le requérant se plaint de ne pas pouvoir, en application de l'article 3983 § 3 du CPC, saisir la Cour suprême pour se plaindre de l'interprétation, selon lui arbitraire, des faits de l'affaire par les juridictions inférieures.63. La Cour rappelle avoir jugé à maintes reprises que l'article 6 § 1 de la Convention n'astreignait pas les États contractants à créer des cours d'appel ou de cassation (Delcourt c. Belgique, 17 janvier 1970, § 25, série A no 11, et Maurice c. France [GC], no 11810/03, § 88, CEDH 2005-�IX). Elle rappelle en outre que le « droit à un tribunal », dont le droit d'accès constitue un aspect particulier, n'est pas absolu et qu'il se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité des recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l'État, lequel jouit à cet égard d'une certaine marge d'appréciation (Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, 19 décembre 1997, § 33, Recueil des décisions et arrêts 1997-�VIII, et Sierpiński c. Pologne, no 38016/07, § 98, 3 novembre 2009). La Cour a ainsi admis qu'un formalisme plus important pouvait être imposé devant les juridictions suprêmes (Levages Prestations Services c. France, 23 octobre 1996, § 48, Recueil 1996-�V).64. En l'espèce, la Cour estime que le fait que le contrôle exercé par la Cour suprême est limité au respect du droit (voir paragraphe 30 ci-dessus) ne saurait être regardé comme une restriction excessive apportée au droit du requérant à un tribunal en matière civile, en particulier dans la mesure où celui-ci a vu sa cause être examinée d'abord par un tribunal de district puis par un tribunal régional, disposant tous deux de la plénitude de juridiction (ibidem).65. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut que le grief tiré de l'article 6 de la Convention est manifestement mal fondé et qu'il doit être rejeté, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de de la Convention.PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 8 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 31 mai 2018, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Abel CamposLinos-Alexandre Sicilianos
GreffierPrésident