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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> CIFTCI v. TURKEY - 51586/10 (Judgment : Article 3 - Prohibition of torture : Second Section Committee) French Text [2018] ECHR 593 (10 July 2018)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2018/593.html
Cite as: [2018] ECHR 593, CE:ECHR:2018:0710JUD005158610, ECLI:CE:ECHR:2018:0710JUD005158610

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DEUXIÈME SECTION

 

 

 

 

 

 

AFFAIRE ÇİFTÇİ c. TURQUIE

 

(Requête no 51586/10)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

 

 

STRASBOURG

 

10 juillet 2018

 

 

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Çiftçi c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

Paul Lemmens, président,
Valeriu Griţco,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 juin 2018,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 51586/10) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Murat Çiftçi (« le requérant »), a saisi la Cour le 27 juillet 2010 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me A. Doğan, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3. Le requérant se plaint d'avoir fait l'objet de mauvais traitements durant son arrestation et considère que l'enquête à cet égard était ineffective.

4. Le 22 mai 2017, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1979 et réside à Istanbul.

6. Le 23 octobre 2007, il fut arrêté durant une manifestation menée contre l'installation des caméras de surveillance dans le quartier de Gazi à Istanbul. Le requérant allègue avoir été frappé durant son arrestation.

7. Les rapports de l'hôpital Haseki datant du jour de l'arrestation, de l'hôpital Burat du 24 octobre 2007 et l'avis médical de l'institut médicolégal du 1er novembre 2007 font état de plusieurs lésions sur le requérant, en particulier des ecchymoses aux paupières, une ecchymose de 2 x 3 cm sur la région maxillaire gauche, une lésion de 4 x 4 cm sur le coude droit.             

8. Le 1er novembre 2007, le procureur de la République de Gaziosmanpaşa (« le procureur ») recueillit la déposition du requérant en tant que plaignant.

9. Le 16 décembre 2009, le procureur de la République rendit un non-lieu. Il indiqua que les procès-verbaux et l'acte d'accusation contre les manifestants indiquaient que « le requérant, parmi plusieurs autres personnes, avait pris la fuite et s'était opposé à son arrestation, qu'une photographie dans la presse montrait qu'un policier était debout au chevet du requérant alors que celui-ci était au sol, et que le requérant avait attendu 7-8 jours avant de porter plainte ». Le procureur reprit ensuite le texte des dispositions législatives autorisant le recours à la force et conclut par ce qui suit : « les agissements du plaignant correspondent à un cas où la police peut recourir à la force, les blessures sur le requérant peuvent avoir eu lieu lors de l'arrestation du requérant. Il est aussi fort probable que le requérant apporte des allégations pour se dégager des accusations contre lui. Aucun élément ne soutient les allégations selon lesquelles les policiers auraient dépassé le cadre déterminé par la loi dans l'usage de la force pour neutraliser l'intéressé ».

10. Le 3 juin 2010, la 5ème chambre de la cour d'assises d'Istanbul rejeta l'opposition du requérant.

11. Le 4 avril 2013, le requérant fut acquitté dans l'affaire pénale initiée contre les manifestants au motif qu'il était de passage sur les lieux et qu'aucun élément de preuve ne permettait d'établir sa participation au mouvement durant lequel des biens publics avaient été endommagés et la police attaquée.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

12. Le requérant allègue qu'il a été frappé par des policiers lors des événements à Gazi alors qu'il ne faisait que passer sur les lieux de la manifestation. Il se plaint également du fait que les policiers en question ne furent pas identifiés. Il invoque les articles 3, 6 et 13 de la Convention.

13. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse. Il considère que l'intervention des policiers était nécessaire et proportionnelle.

14. La Cour rappelle qu'elle peut décider de la qualification juridique à donner aux faits d'un grief en examinant celui-ci sur le terrain d'articles ou de dispositions de la Convention autres que ceux invoqués par les requérants (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 126, 20 mars 2018). En l'espèce, elle estime qu'il convient d'examiner les griefs sous l'angle du seul article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

15. Constatant que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

16. Pour les principes généraux en la matière, la Cour renvoie aux arrêts El-Masri c. l'ex-République yougoslave de Macédoine ([GC], no 39630/09, §§ 182-185 et 195-198, CEDH 2012) et Bouyid c. Belgique ([GC], no 23380/09, §§ 81-90 et 114-123, CEDH 2015).

17. En l'espèce, la Cour relève que le requérant présente plusieurs lésions (paragraphe 7 ci-dessus), lesquelles sont suffisantes pour faire entrer en jeu l'article 3 de la Convention (Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 88, CEDH 2010).

18. Elle relève aussi qu'il n'y a pas de désaccord pour dire que ces lésions sont survenus à la suite du recours à la force des policiers lors des événements qui avaient eu lieu à Gazi le 23 octobre 2007. Or la Cour constate que, tel qu'allégué par le requérant, les policiers auteurs de l'intervention n'ont jamais été identifiés, faute d'enquête en ce sens, et par conséquent n'ont jamais pu être interrogés. Au surplus, le procureur n'a pas individualisé les faits pour établir concrètement si la force employée contre le requérant avait été rendue nécessaire par les agissements de celui-ci, et était proportionnelle au but poursuivi, qui pouvait être son arrestation, le besoin de le mettre hors d'état de nuire ou de prendre la fuite (Şükrü Yıldız c. Turquie, no 4100/10, § 59, 17 mars 2015). De ce fait, les conclusions du procureur (paragraphe 9 ci-dessus) et celles de la cour d'assises qui a examiné l'opposition au non-lieu ne sont aucunement motivées, et sont d'ailleurs contradictoires avec l'acquittement du requérant qui eut lieu quelques années plus tard et qui était fondé sur l'absence d'élément prouvant sa participation aux actes de vandalisme (paragraphe 11 ci-�dessus).

19. Au vu de ce qui précède, la Cour dit qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention.

II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

20. Quant à l'article 41 de la Convention, le requérant réclame 30 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et 10 000 EUR au titre de préjudice moral qu'il estime avoir subi. Il demande également 7 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

21. Le Gouvernement conteste ces demandes.

22. La Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu'il y a lieu d'octroyer au requérant la totalité de sa demande au titre du préjudice moral.

23. Un requérant ne peut obtenir un remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux ; en outre, aux termes de l'article 60 §§ 2 et 3 du règlement, il doit soumettre des prétentions chiffrées et ventilées par rubriques et accompagnées des justificatifs pertinents, faute de quoi la Cour peut rejeter tout ou partie de celles-ci. En l'espèce, relevant que le requérant ne fournit pas de justificatif à l'appui de sa demande, la Cour décide de la rejeter dans son intégralité (Paksas c. Lituanie [GC], no 34932/04, § 122, CEDH 2011 (extraits)).

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable

 

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention ;

 

3. Dit

a) que l'État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 10 000 EUR (dix mille euros), à convertir dans la monnaie de l'État défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

 

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 juillet 2018, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Hasan BakırcıPaul Lemmens
Greffier adjointPrésident


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