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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ADEM SERKAN GUNDOGDU v. TURKEY - 67696/11 (Judgment : No violation of Right to liberty and security) French Text [2018] ECHR 64 (16 January 2018) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2018/64.html Cite as: ECLI:CE:ECHR:2018:0116JUD006769611, [2018] ECHR 64, CE:ECHR:2018:0116JUD006769611 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ADEM SERKAN GÜNDOĞDU c. TURQUIE
(Requête no 67696/11)
ARRÊT
STRASBOURG
16 janvier 2018
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Adem Serkan Gündoğdu c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Robert Spano, président,
Julia Laffranque,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de
section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 novembre 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 67696/11) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Adem Serkan Gündoğdu (« le requérant »), a saisi la Cour le 7 octobre 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Mes F. N. Ertekin et K. Öztürk, avocats à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3. Le requérant alléguait en particulier que la durée de la détention provisoire subie par lui avait été excessive et qu’il n’avait pas disposé d’un recours effectif pour contester les décisions relatives à sa détention.
4. Le 17 décembre 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1977 et est détenu à Tekirdağ.
6. Le 8 septembre 2006, après plusieurs mois de filature et de surveillance, il fut arrêté par la police d’Istanbul, étant soupçonné d’être un haut responsable d’une organisation illégale. Son accès à un avocat fut restreint pendant les premières vingt-quatre heures de sa garde à vue.
7. Le 12 septembre 2006, le requérant fut traduit devant un juge, lequel ordonna sa mise en détention provisoire.
8. Tout au long de la phase d’enquête, examinant d’office ou sur demande la question de la détention provisoire, et statuant sur dossier, le juge ordonna le maintien en détention provisoire du requérant, suivant en cela l’avis du procureur de la République. Le juge ayant pris la décision de limiter l’accès au dossier d’enquête, l’avocat du requérant ne put consulter celui-ci.
9. Par un acte d’accusation du 17 mai 2007, le procureur de la République engagea une action pénale contre le requérant.
10. Le 28 mai 2007, la 10e cour d’assises d’Istanbul autorisa la mise en accusation et le procès commença devant cette juridiction.
11. Entre le 26 octobre 2007 et le 6 septembre 2012, la 10e cour d’assises tint seize audiences sur le fond de l’affaire. Au terme de chaque audience, la cour d’assises rejeta les demandes de mise en liberté du requérant et décida le maintien en détention provisoire de l’intéressé en se fondant sur différents motifs. Le requérant fut présent à chaque audience, assisté de son avocat. La cour d’assises procéda également, entre chaque audience, et tous les trente jours, à un examen d’office et sur dossier de la détention provisoire en application de l’article 108 du code de procédure pénale (CPP).
12. L’avocat du requérant forma opposition contre les décisions de maintien en détention adoptées à l’issue des audiences du 10 décembre 2010, du 17 mai 2011 et du 13 octobre 2011. Il demanda à chaque fois la tenue d’une audience lors de l’examen de l’opposition.
13. Le 27 décembre 2010, le 13 juin 2011 et le 16 novembre 2011 respectivement, statuant sur dossier et suivant l’avis du procureur, qui ne fut pas communiqué au requérant ou à son avocat, la 11e cour d’assises d’Istanbul rejeta les oppositions.
14. Le 13 décembre 2012, la 10e cour d’assises tint une dix-septième audience, au terme de laquelle elle décida de libérer le requérant.
15. Le 17 juillet 2013, la procédure était toujours pendante devant les juridictions internes.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
16. Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont exposés dans les affaires Altınok c. Turquie (no 31610/08, §§ 28-32, 29 novembre 2011) et Koçintar c. Turquie (déc.) (no 77429/12, §§ 9-26, 1er juillet 2014)
EN DROIT
I. SUR L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE TIRÉE DE L’ARTICLE 47 DU RÈGLEMENT DE LA COUR
17. Le Gouvernement soutient que la Cour n’a pas été régulièrement saisie au regard de l’article 47 de son règlement et du paragraphe 11 de l’instruction pratique concernant l’introduction de l’instance, en ce que les faits et les griefs du requérant auraient été décrits dans le formulaire de requête sur trente-six pages sans être accompagnés d’un résumé. Il considère à cet égard que, le formulaire de requête ayant été complété par les avocats du requérant, celui-ci n’avait aucune raison de ne pas satisfaire aux exigences de l’article 47 du règlement de la Cour. Il invite donc celle-ci à rejeter la requête.
18. La Cour note que le requérant a décrit explicitement les faits et indiqué clairement les violations de la Convention dont il se plaint dans le formulaire de requête. Par conséquent, elle estime que les griefs du requérant ont été soulevés conformément à l’article 47 § 1 de son règlement. S’agissant de la disposition de l’instruction pratique invoquée par le Gouvernement, la Cour souligne qu’elle ne constitue aucunement un critère de recevabilité au titre de l’article 35 de la Convention. Dès lors, le Gouvernement n’est pas fondé à demander le rejet de la présente requête au seul motif qu’il en juge la rédaction trop longue. Il convient donc de ne pas tenir compte des arguments du Gouvernement sur ce point (voir, dans le même sens, entre autres, Öner Aktaş c. Turquie, no 59860/10, § 29, 29 octobre 2013, et Levent Bektaş c. Turquie, no 70026/10, § 31, 16 juin 2015).
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION
19. Le requérant allègue que la durée de la détention provisoire subie par lui a enfreint l’article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »
20. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes offertes par le droit national. Selon lui, l’intéressé avait la possibilité d’introduire un recours individuel devant la Cour constitutionnelle, et il dispose aussi de la faculté de demander une indemnisation sur la base de l’article 141 § 1 d) du CPP, et ce sans attendre l’issue de son procès.
21. Le requérant combat la thèse du Gouvernement. Il affirme d’abord que le grief relatif à la détention provisoire ne relève pas de la compétence temporelle de la Cour constitutionnelle. Il soutient ensuite que le recours en indemnisation n’est pas une voie de recours à épuiser dans le cadre d’une détention et allègue que le recours en question n’est pas accessible à ce stade de la procédure.
22. La Cour note que la détention provisoire du requérant a débuté le 8 septembre 2006 et qu’elle a pris fin le 13 décembre 2012, avec la remise en liberté de l’intéressé. Elle relève que celui-ci se plaint d’une situation continue et qu’une partie de sa détention est postérieure au 23 septembre 2012, date de prise d’effet du droit de recours individuel devant la Cour constitutionnelle. À cet égard, la Cour observe qu’il ressort clairement des arrêts déjà rendus par la Cour constitutionnelle que celle-ci admet l’extension de sa compétence ratione temporis aux situations de violation continue ayant commencé avant la date d’entrée en vigueur du droit de recours individuel et se poursuivant après cette date. Dès lors, la période de détention subie par le requérant avant le 23 septembre 2012 relève bien de la compétence temporelle de la Cour constitutionnelle (voir Koçintar, c. Turquie, no 77429/12, § 39, 1er juillet 2014). La Cour note en outre que le recours susmentionné est une voie de droit susceptible d’apporter un redressement approprié au grief du requérant relatif à la durée de la détention provisoire, offrant des perspectives raisonnables de succès (voir, entre autres, Levent Bektaş, précité, §§ 42-44, et Mercan c. Turquie (déc.), no 56511/16, §§ 17-30, 8 novembre 2016). Par conséquent, le requérant était tenu de saisir la Cour constitutionnelle d’un recours individuel, ce qu’il n’indique pas avoir fait.
23. S’agissant du recours en indemnisation, la Cour considère que, dès lors que la détention litigieuse a pris fin avec la mise en liberté du requérant le 13 décembre 2012 (paragraphe 14 ci-dessus), l’obtention d’une indemnité constitue effectivement une réparation adéquate (voir, en ce sens, Demir c. Turquie (déc.), no 51771/07, § 24, 16 octobre 2012). Elle note que le recours prévu par l’article 141 § 1 d) du CPP peut conduire, d’une part, à la reconnaissance du caractère déraisonnable de la mesure contestée et, d’autre part, à la réparation des préjudices subis par l’intéressé. Elle note également que, à partir de juin 2015, le recours en indemnisation pour détention provisoire excessive fondé sur cette disposition est devenu accessible avant la décision définitive sur le fond de l’affaire. La Cour estime que le requérant est donc tenu de saisir les juridictions internes d’une demande d’indemnisation fondée sur l’article 141 § 1 d) du CPP (A.Ş. c. Turquie, no 58271/10, § 93, 13 septembre 2016).
24. Les voies de recours internes n’ayant pas été épuisées, le grief du requérant tiré de l’article 5 § 3 de la Convention doit être déclaré irrecevable, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION
25. Le requérant se plaint d’une ineffectivité du recours en opposition ainsi que de la procédure d’examen d’office de la mesure de détention, en raison de l’absence d’audience et de la non-communication de l’avis du procureur de la République.
Le requérant dénonce aussi l’impossibilité qui lui aurait été faite d’accéder au dossier d’enquête en ce qu’elle l’aurait empêché de contester effectivement les décisions relatives à sa détention provisoire.
Le requérant se plaint également de n’avoir pas pu contester effectivement son placement en garde à vue, en raison de la restriction d’accès à un avocat.
Il allègue la violation de l’article 5 § 4 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
A. Sur la recevabilité
1) Sur la règle des six mois
26. Le Gouvernement excipe du non-respect de la règle des six mois concernant la décision du 27 décembre 2010 portant rejet de l’opposition formée contre la décision de maintien en détention en date du 10 décembre 2010.
27. La Cour note que, la présente requête ayant été introduite le 7 octobre 2011, la présentation des griefs relatifs à la décision du 27 décembre 2010 est tardive. Partant, elle accueille l’exception du Gouvernement sur ce point et rejette la partie de la requête y afférente, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
28. La Cour estime par ailleurs que le grief du requérant tiré de l’impossibilité qui lui aurait été faite d’accéder au dossier d’enquête doit aussi être rejeté pour non-respect du délai de six mois. En effet, la décision de restriction d’accès au dossier d’enquête a automatiquement pris fin avec l’autorisation de la mise en accusation par la cour d’assises et le début du procès, à savoir le 28 mai 2007 (paragraphe 11 ci-dessus). Il s’ensuit que la présentation de ce grief est tardive et que celui-ci doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
29. Enfin, la Cour considère que le grief relatif à la restriction d’accès à un avocat est également tardif, la garde à vue du requérant ayant pris fin le 12 septembre 2006. Par conséquent, ce grief doit aussi être rejeté, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
2) Sur l’absence de préjudice important
30. Pour autant que le requérant se plaint de l’absence de communication de l’avis du procureur de la République, le Gouvernement soulève une exception tirée de l’absence de préjudice important, au sens de l’article 35 § 3 b) de la Convention. Il indique que la question de l’absence de communication de l’avis du procureur de la République dans le cadre de la procédure d’opposition a été résolue en droit interne à la suite de l’adoption de la loi no 6459, entrée en vigueur le 30 avril 2013 : depuis cette date, l’article 270 du CPP n’imposerait plus à la juridiction appelée à examiner l’opposition de demander l’avis du procureur de la République et ladite juridiction serait tenue de communiquer les observations du procureur de la République au détenu, ou à son avocat, pour réponse uniquement en cas d’obligation de recueillir pareil avis.
31. La Cour rappelle avoir examiné une exception similaire dans le cadre de l’affaire Hebat Aslan et Firas Aslan c. Turquie (no 15048/09 §§ 68-82, 28 octobre 2014) et l’avoir rejetée. Pour parvenir à cette conclusion, elle a tenu compte du fait que l’on ne pouvait écarter la possibilité que l’avis du procureur ait pesé dans les décisions de rejet de l’opposition. Elle a aussi pris en considération le fait que l’enjeu de la procédure d’opposition et son issue revêtaient une importance cruciale pour le requérant, et elle a souligné l’importance du droit à la liberté dans une société démocratique. Aussi, en l’absence d’argument ou de fait pouvant mener à une conclusion différente dans la présente espèce, il convient de rejeter l’exception du Gouvernement.
3) Sur les décisions relatives à la détention adoptées d’office
32. La Cour rappelle que l’article 5 § 4 s’applique aux procédures menées devant un tribunal à la suite de l’introduction d’un recours contre la légalité de la détention, c’est-à-dire, d’une part, aux procédures concernant les demandes d’élargissement et, d’autre part, aux procédures relatives aux appels introduits contre les décisions sur la prolongation de la détention. Il en ressort que l’article 5 § 4 ne trouve pas à s’appliquer dès l’adoption d’office d’une décision sur la prolongation de la détention - laquelle vise à fixer une période maximum de la détention et à « renouveler » la base légale de cette mesure au sens de l’article 5 § 1 c) de la Convention, et non à contrôler la légalité de la détention (voir, entre autres, Toth c. Autriche, 12 décembre 1991, § 87, série A no 224) - mais seulement à partir du moment où un recours est introduit contre une telle décision (Knebl c. République tchèque, no 20157/05, § 76, 28 octobre 2010).
33. La Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas de se prononcer, au regard de l’article 5 § 4 de la Convention, sur les décisions relatives à la prolongation de la détention adoptées d’office (voir Altınok c. Turquie no 31610/08, § 40, 29 novembre 2011).
4) Conclusion
34. Pour autant que le requérant se plaint des oppositions examinées le 13 juin 2011 et le 16 novembre 2011, la Cour constate que les griefs tirés de l’article 5 § 4 de la Convention ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle les déclare donc recevables.
B. Sur le fond
35. Le requérant reproche à la cour d’assises d’avoir procédé à l’examen de ses recours en opposition sans tenir d’audience, et il dénonce les motifs de détention retenus à son encontre en ce qu’ils n’auraient pas fait l’objet d’un débat contradictoire. Il se plaint d’une absence de recours effectif pour contester les décisions relatives à la détention, faute pour le recours offert par le droit interne d’être réellement contradictoire et d’offrir des chances raisonnables de succès. Le requérant indique que ni son avocat ni lui-même n’ont été entendus par la juridiction appelée à se prononcer sur les oppositions, en l’occurrence la 11e cour d’assises. Il explique que cette juridiction a recueilli l’avis écrit du procureur de la République lors de l’examen des recours en opposition, que son représentant et lui-même n’ont pas reçu notification de cet avis et qu’ils n’ont donc pas eu la possibilité de le commenter.
36. Le requérant ajoute que la juridiction ayant examiné les oppositions était différente de celle ayant eu à connaître de l’affaire au fond. Pour lui, cela signifie que la juridiction amenée à examiner ses recours, à savoir la 11e cour d’assises, ne l’a jamais fait comparaître en personne ou par le biais de son avocat. À cet égard, le requérant indique ne pas souscrire à l’approche de la Cour consistant à admettre l’absence d’audience en appel en cas de comparution du détenu en première instance. Selon lui, si l’on admet cette approche, le détenu ne pourra pas faire examiner sa détention en bénéficiant d’une audience devant une autre juridiction que celle ayant à connaître de l’affaire. Pour cette raison, le requérant estime que la tenue d’une audience s’impose lors de l’examen d’une opposition. Quant à la modification apportée par l’article 270 du CPP, il indique qu’elle est intervenue postérieurement à la période objet de la présente affaire et considère qu’elle est donc sans incidence sur l’examen de celle-ci.
37. Le Gouvernement indique que le requérant et son avocat étaient présents à chacune des audiences tenues devant la 10e cour d’assises, parmi lesquelles celles en date des 17 mai et 13 octobre 2011, et que les oppositions en cause ont été examinées pour l’une le 13 juin 2011 et pour l’autre le 16 novembre 2011, soit respectivement vingt-six jours et trente-trois jours après le prononcé des décisions de maintien en détention litigieuses, adoptées à l’issue des deux audiences susmentionnées. Il ajoute que, selon la jurisprudence de la Cour, lorsqu’un détenu a comparu devant une juridiction, l’absence d’audience lors de l’examen de l’opposition mené peu de temps après ne constitue pas une atteinte à l’article 5 § 4 de la Convention. Il se réfère à cet égard à l’affaire Altınok (précitée). Compte tenu de la durée des périodes écoulées entre les audiences et l’examen des oppositions, qu’il qualifie de courte, le Gouvernement considère que ce grief est manifestement mal fondé.
38. La Cour rappelle que la première garantie découlant de l’article 5 § 4 de la Convention est le droit d’être effectivement entendu par le juge saisi d’un recours contre une détention. Pour les personnes détenues dans les conditions énoncées à l’article 5 § 1 c) de la Convention, l’article 5 § 4 exige la tenue d’une audience (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999-II, Włoch c. Pologne, no 27785/95, § 126, CEDH 2000-XI, Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 31, CEDH 2005-XII, et Svipsta c. Lettonie, no 66820/01, § 129, CEDH 2006-III).
39. Il ne faut néanmoins pas perdre de vue le caractère spécifique de la procédure relevant de l’article 5 § 4 de la Convention, notamment l’exigence de célérité, ainsi que le risque d’une certaine paralysie de la procédure pénale si l’inculpé devait être entendu à chaque fois qu’il introduisait une demande d’élargissement. C’est pourquoi la Cour a admis que le droit d’être entendu par le juge saisi d’un recours contre la détention (qu’il s’agisse de la procédure relative au maintien en détention ou de celle relative à une demande d’élargissement) doit, lui aussi, pouvoir être exercé « à des intervalles raisonnables » (Knebl c. République tchèque, no 20157/05, § 85, 28 octobre 2010).
40. La Cour rappelle ensuite qu’un recours contre une décision portant sur la détention provisoire doit en principe accorder au détenu les mêmes garanties en appel qu’en première instance. Cela étant, elle a admis que, si le détenu avait pu comparaître en première instance devant le juge amené à se prononcer sur sa détention, le défaut de comparution en appel n’enfreignait pas en soi l’article 5 § 4 de la Convention, à moins que cette circonstance ne portât atteinte au respect du principe du contradictoire et de l’égalité des armes (Rahbar-Pagard c. Bulgarie, nos 45466/99 et 29903/02, § 67, 6 avril 2006, et Saghinadze et autres c. Géorgie, no 18768/05, § 150, 27 mai 2010). Cela dit, il peut y avoir des situations où le tribunal qui statue sur un appel ou une opposition se trouve dans l’obligation de tenir une audience avec comparution personnelle du détenu ; cela peut dépendre de la nature des questions à trancher, de l’importance de la décision pour le détenu, de la question de savoir si le détenu a comparu en personne lors de l’adoption de la décision contestée ou si sa comparution est nécessaire pour assurer le respect du droit à une procédure contradictoire (voir entre autres, Mamedova c. Russie, no 7064/05, §§ 89-93, 1er juin 2006, Krejčíř c. République tchèque, nos 39298/04 et 8723/05, §§ 118-120, 26 mars 2009, Allen c. Royaume-Uni, no 18837/06, §§ 40-48, 30 mars 2010, Černák c. Slovaquie, no 36997/08, § 81, 17 décembre 2013, et Lavrentiadis c. Grèce, no 29896/13, § 55, 22 septembre 2015).
41. En l’espèce, les 13 juin et 16 novembre 2011, la 11e cour d’assises a examiné les recours en opposition introduits par le requérant sans tenir d’audience. La Cour note néanmoins que le requérant a pu comparaître, assisté de son avocat, aux audiences devant la 10e cour d’assises qui a statué sur ses demandes d’élargissement en première instance. Il convient aussi de préciser que l’absence d’audience en appel n’a pas en soi porté atteinte au respect des principes de l’égalité des armes et du contradictoire dans la mesure où aucune des parties n’a participé oralement à la procédure d’opposition. Par conséquent, et compte tenu aussi du caractère spécifique de la procédure relevant de l’article 5 § 4, notamment de l’exigence de célérité, la Cour considère que le respect des exigences procédurales inhérentes à cette disposition n’exigeait pas la tenue d’une audience devant la 11e cour d’assises statuant en appel. En outre, il n’est pas allégué ou établi que la situation du requérant présentait une particularité qui aurait rendu nécessaire la tenue d’audiences lors de l’examen des recours en opposition ou que de nouveaux éléments sont apparus lors de la procédure pénale à l’encontre du requérant (voir, a contrario, Kolomenskiy c. Russie, no 27297/07, § 98, 13 décembre 2016).
42. Dans la mesure où le grief du requérant peut être interprété comme visant une atteinte à l’exercice par lui de son droit d’être entendu « à intervalles raisonnables » par le juge saisi d’un recours contre la détention, du fait de l’absence de comparution personnelle en appel, la Cour observe que la question de l’absence de comparution dans le cadre de la procédure d’opposition a fait l’objet d’un examen dans le cadre de l’affaire Altınok c. Turquie. Elle y a conclu que l’absence de comparution du requérant lors de la procédure d’opposition n’enfreignait pas en soi l’article 5 § 4 de la Convention dans la mesure où, d’une part, le requérant avait comparu quelques jours auparavant devant le juge amené à se prononcer sur sa détention en première instance et où, d’autre part, l’absence d’audience en appel n’avait pas en soi porté atteinte au respect du principe de l’égalité des armes, aucune des parties n’ayant participé oralement à la procédure d’opposition (Altınok, précité, §§ 54-56).
43. Aux yeux de la Cour, une approche basée uniquement sur la jurisprudence développée dans les affaires Rahbar-Pagard et Saghinadze et autres (précitées) (défaut de comparution en appel compatible avec l’article 5 § 4 de la Convention en cas de comparution en première instance) aurait impliqué, dans le cadre de la procédure d’appel, l’absence de limite quant à la durée pendant laquelle une personne peut être détenue sans comparaître devant un juge. En outre, cette jurisprudence ne couvre pas la situation où c’est le détenu qui engage la procédure pour examen (demande de mise en liberté). Or, dans ces deux cas de figure, il y aurait une violation de l’article 5 § 4 de la Convention du seul fait de l’absence de comparution personnelle après un certain temps, indépendamment de la question de l’égalité des armes (voir, par exemple, Vecek c. République tchèque, no 3252/09, §§ 76-77, 21 février 2013, et Gamze Uludağ c. Turquie, no 21292/07, §§ 44-45, 10 décembre 2013).
44. La Cour rappelle qu’elle a suivi l’approche adoptée dans l’affaire Altınok dans de nombreuses affaires contre la Turquie (voir, entre autres, Levent Bektaş, précité, §§ 48-51, Ali Rıza Kaplan c. Turquie, no 24597/08, §§ 28-32, 13 novembre 2014, Öner Aktaş, précité, §§ 45-49, et Çatal c. Turquie, no 26808/08, §§ 37/42, 17 avril 2012).
45. En l’espèce, la Cour observe que les 13 juin et 16 novembre 2011, statuant sur dossier, la 11e cour d’assises a rejeté les oppositions formées par le requérant. Elle constate que, lorsque cette juridiction a examiné les recours en opposition, la dernière comparution du requérant devant la 10e cour d’assises remontait respectivement à vingt-sept jours et à un mois et trois jours, à savoir aux audiences tenues le 17 mai 2011 et le 13 octobre 2011. La Cour relève que les décisions objet des recours en opposition ont été rendues au stade du procès, phase au cours de laquelle l’intéressé a comparu à intervalles réguliers devant les juges appelés à se prononcer sur le fond de l’affaire. Le requérant et son avocat étaient présents lors des audiences au cours desquelles la cour d’assises s’est prononcée, en tant que juridiction du premier degré, sur les demandes d’élargissement de l’intéressé, et ils ont eu la possibilité de s’exprimer sur les motifs retenus pour justifier le maintien en détention. Le requérant a donc été en mesure de soutenir personnellement ses demandes de mise en liberté devant la juridiction de première instance. Enfin, à l’instar de ce qui a été constaté dans l’affaire Altınok, l’absence de comparution du requérant en appel n’a pas en soi porté atteinte au respect du principe de l’égalité des armes dans la mesure où aucune des parties n’a participé oralement à la procédure d’opposition.
46. La Cour note enfin, comme le souligne le requérant, que les décisions relatives au maintien en détention ont été prises par la 10e cour d’assises alors que les oppositions ont été examinées par la 11e cour d’assises. Elle estime néanmoins que sa jurisprudence actuelle ne corrobore nullement l’argument du requérant selon lequel une audience devrait avoir lieu en appel parce que la juridiction de second degré est différente de celle de première instance. Dans les affaires dans lesquelles la Cour a admis l’absence de comparution personnelle du requérant en appel, il était question d’une juridiction différente de celle qui avait statué sur la détention en première instance. S’agissant des affaires dans lesquelles la Cour a estimé que la comparution en première instance ne dispensait pas de la comparution en appel, cette conclusion se justifiait soit parce que l’absence d’audition personnelle avait eu pour conséquence de porter atteinte à l’égalité des armes (voir, par exemple, Samoilă et Cionca c. Roumanie, no 3065/03, § 74, 4 mars 2008, et Lapusan c. Roumanie, no 9723/03, § 53, 3 juin 2008), soit parce que des conditions exceptionnelles exigeaient aussi la comparution en appel (Lavrentiadis, précité, § 55). Le fait que la juridiction amenée à examiner l’appel était différente de la juridiction de première instance n’a pas été pris en considération à cet égard. Enfin, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu en l’espèce, aux fins de vérification de la conformité de la procédure d’opposition aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention, d’apprécier l’absence d’audience et de comparution personnelle du requérant conjointement avec l’autre défaut procédural reproché par l’intéressé, à savoir la non-communication de l’avis écrit du procureur de la République (a contrario, pour une approche globale, voir parmi d’autres, Lavrentiadis, précité, § 55).
47. Aussi, dans les circonstances de l’espèce, la Cour ne voit-elle aucune raison de se départir de l’approche adoptée dans l’affaire Altınok et suivie depuis lors dans les affaires turques. Elle considère donc que la comparution personnelle du requérant ne s’imposait pas lors de l’examen des oppositions effectué les 13 juin et 16 novembre 2011.
48. Partant, l’article 5 § 4 de la Convention n’a pas été enfreint sur ce point.
49. Quant à la non-communication de l’avis écrit du procureur de la République, considérant que ni le requérant ni son avocat n’ont eu la possibilité de se voir communiquer cet avis et qu’ils n’ont pas non plus pu y répondre et que, par conséquent, l’égalité des armes entre les parties n’a pas été respectée, la Cour estime que la procédure d’opposition n’a pas satisfait aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention à cet égard (Altınok, précité, § 60). Partant, il y a eu violation de cette disposition sur ce point.
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 5 DE LA CONVENTION
50. Invoquant l’article 5 § 5 de la Convention, le requérant se plaint d’une absence d’une voie d’indemnisation pour redresser la violation alléguée de l’article 5 § 3 de la Convention.
51. La Cour note que le requérant dispose d’un droit à réparation (paragraphe 23 ci-dessus). Il s’ensuit, à supposer même que le grief tiré de la violation de l’article 5 § 5 ne soit pas incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, que ce grief est en tout cas manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
52. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
53. Le requérant réclame 22 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subi.
54. Le Gouvernement conteste cette demande.
55. La Cour estime que le dommage moral subi par le requérant du fait de la violation de l’article 5 § 4 de la Convention est suffisamment réparé par le constat de violation auquel elle est parvenue (voir, en ce sens, Ceviz c. Turquie, no 8140/08, § 64, 17 juillet 2012).
B. Frais et dépens
56. Le requérant demande également 1 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 4 101 EUR pour ceux engagés devant la Cour. À titre de justificatif, il fournit des décomptes relatifs à des frais postaux et des fournitures, une convention d’honoraires ainsi qu’une quittance d’honoraires d’un montant de 2 360 livres turques.
57. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
58. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.
En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.
C. Intérêts moratoires
59. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 5 § 4 de la Convention, pour autant qu’ils concernent les recours en opposition examinés les 13 juin et 16 novembre 2011, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention en raison de l’absence d’audience et de comparution personnelle du requérant dans le cadre de la procédure d’opposition ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention à raison de la non-communication de l’avis du procureur de la République au requérant ou à son avocat dans le cadre de la procédure d’opposition ;
4. Dit que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;
5. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement,
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 janvier 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Hasan Bakırcı Robert Spano
Greffier ajoint Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Lemmens.
R.S.
H.B.
OPINION CONCORDANTE DU JUGE LEMMENS
1. La présente affaire soulève la question de l’étendue des garanties requises par l’article 5 § 4 de la Convention dans des procédures en appel. Plus particulièrement, elle soulève la question de savoir si en appel, quand le détenu conteste la décision d’une juridiction de première instance rejetant sa demande de mise en liberté, il a droit à une procédure orale et à une comparution personnelle à l’audience.
La majorité estime qu’une audience ne s’imposait pas dans les circonstances de l’espèce, étant donné que le requérant avait comparu quelques semaines auparavant devant la juridiction de première instance. Il résulte des motifs de l’arrêt que si le requérant n’avait pas comparu devant la juridiction de première instance à un moment relativement peu éloigné de la décision sur recours, il y aurait eu violation de l’article 5 § 4. La majorité applique ainsi la jurisprudence que notre section a inaugurée avec l’arrêt Altınok c. Turquie (no 31610/08, §§ 50-56, 29 novembre 2011).
J’ai des difficultés à suivre la majorité sur ce point. La jurisprudence Altınok, qui reste quasi-isolée au sein de la jurisprudence générale de la Cour, me semble compliquer inutilement les choses et reposer sur une combinaison illogique de certains éléments de la jurisprudence concernant l’article 5 § 4. Il aurait été mieux, à mon avis, d’abandonner la jurisprudence Altınok et de retourner à une application plus « classique » de l’article 5 § 4.
Les garanties procédurales dans les procédures tombant sous l’article 5 § 4
2. La présente affaire concerne la détention préventive d’un prévenu pendant la durée de son procès. Cette privation de liberté est couverte par l’article 5 § 1 c) de la Convention. L’article 5 § 4 garantit à toute personne privée de sa liberté « le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention ».
Malgré l’utilisation du mot « recours », l’article 5 § 4 n’exige pas toujours un recours auprès d’un organe juridictionnel supérieur. Se référant au mot « proceedings » dans le texte anglais, la Cour a dit dans l’affaire De Wilde, Ooms et Versyp que l’article 5 § 4 « se contente de l’intervention d’un organe unique, mais à condition que la procédure suivie ait un caractère judiciaire et donne à l’individu en cause des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il s’agit ». En effet, dans un tel cas, « le contrôle voulu par l’article 5 § 4 se trouve incorporé à la décision (privative de liberté) » (De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, 18 juin 1971, § 76, série A no 12).
3. Quant aux garanties de procédure requises, dans l’affaire Winterwerp, qui concernait l’internement d’une personne atteinte de troubles mentales (article 5 § 1 e) de la Convention), la Cour souligna qu’il fallait « que l’intéressé ait accès à un tribunal et l’occasion d’être entendu lui-même ou, au besoin, moyennant une certaine forme de représentation » (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 60, série A no 33). Quelques mois plus tard, dans l’affaire Schiesser, qui concernait une détention préventive, la Cour examina principalement les garanties découlant de l’article 5 § 3, mais ce faisant elle compara ce paragraphe à l’article 5 § 4 et clarifia en fait la portée de ces deux dispositions. Selon la Cour, le « magistrat » visé au paragraphe 3 devait notamment entendre personnellement l’individu traduit devant lui et examiner les circonstances qui militaient pour ou contre la détention (Schiesser c. Suisse, 4 décembre 1979, § 31, série A no 34). Quant au « tribunal » visé au paragraphe 4, la Cour estima qu’il devait suivre une procédure de caractère judiciaire donnant des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il s’agissait, mais ne parlait pas d’une comparution personnelle du prévenu ni même d’une audience devant ce tribunal (Schiesser, précité, § 30).
Dans l’affaire Sanchez-Reisse, qui concernait une détention extraditionnelle couverte par l’article 5 § 1 f) de la Convention, la Cour considéra que l’article 5 § 4 garantissait en général une procédure contradictoire et que cette exigence pouvait être remplie soit en offrant à l’intéressé la possibilité de commenter par écrit le point de vue de l’autorité s’opposant à son élargissement, soit en organisant une audience à laquelle l’intéressé ou ses représentants pouvaient oralement faire valoir les arguments en faveur d’une mise en liberté. Si une comparution personnelle n’était pas considérée nécessaire dans le cas du requérant, eu égard à la nature des arguments qu’il avait invoqués dans son recours, la Cour admit toutefois qu’il pouvait en être autrement dans d’autres cas (Sanchez-Reisse c. Suisse, 21 octobre 1986, § 51, série A no 107).
Dans l’affaire Kampanis la Cour précisa que la possibilité pour le détenu d’être entendu était requise notamment quand sa comparution personnelle pouvait être considérée comme « le moyen d’assurer le respect de l’égalité des armes » (Kampanis c. Grèce, 13 juillet 1995, § 47, série A no 318-B). En l’espèce, le tribunal compétent avait tenu une audience à laquelle le procureur avait été entendu : l’égalité des armes imposait alors « d’accorder au requérant la possibilité de comparaître en même temps que le procureur afin de pouvoir répliquer à ses conclusions » (Kampanis, précité, § 58).
4. Si la jurisprudence s’est pendant longtemps gardée d’exiger une audience dans tous les cas où une demande de mise en liberté était examinée par un tribunal, les choses prirent une tournure différente avec l’affaire Assenov et autres. Dans cette affaire la Cour considéra, sans ambiguïté : « S’il s’agit d’une personne dont la détention relève de l’article 5 § 1 c), une audience s’impose » (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 162, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII).
La nécessité d’une audience, dans les cas visés à l’article 5 § 1 c), a par la suite été confirmée à maintes reprises (voir, parmi les arrêts de la Grande Chambre, Nikolova c. Bulgarie ([GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999-II, Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 68, CEDH 2005-IV, A. et autres c. Royaume-Uni ([GC], no 3455/05, § 204, CEDH 2009, Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 161, 22 mai 2012).
La Cour a par ailleurs confirmé qu’à l’audience le détenu devait avoir l’occasion d’être entendu lui-même ou moyennant une certaine forme de représentation (Öcalan, précité, § 66, et Idalov, précité, § 161 ; voir également, pour des cas relevant de l’article 5 § 1 e) de la Convention, Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 171, c), CEDH 2012, et Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 113, CEDH 2014).
L’obligation de tenir une audience n’est pas sans exceptions. La Cour est sensible au risque d’une « paralysie de la procédure pénale » si le détenu avait le droit d’être entendu par le tribunal statuant sur une demande d’élargissement chaque fois qu’il introduisait une telle demande. Elle admet qu’afin d’éviter une telle paralysie de la procédure les autorités nationales limitent l’exercice du « droit d’être entendu par le juge saisi d’un recours contre la détention » à des « intervalles raisonnables » (voir, notamment, Knebl c. République tchèque, no 20157/05, § 85, 28 octobre 2010, Altınok, précité, § 49, et Çatal c. Turquie, no 26808/08, § 33, 17 avril 2012). Il suffit donc que le détenu puisse demander à être entendu en personne par le tribunal à des intervalles raisonnables, ce qui vient à dire que pendant ces intervalles une demande de mise en liberté peut être examinée par le tribunal compétent hors la présence du détenu, par exemple dans une procédure écrite. Par contre, si la dernière comparution devant le tribunal remonte à une date qui se situe dans un passé trop lointain, la décision rejetant la demande de mise en liberté ne peut pas être prise sans que le tribunal ait de nouveau entendu le détenu en personne (voir Krejčíř c. République tchèque, nos 39298/04 et 8723/05, § 119, 26 mars 2009, Knebl, précité, § 85, Farhad Aliyev c. Azerbaïdjan, no 37138/06, § 207, 9 novembre 2010, Erişen et autres c. Turquie, no 7067/06, § 53, 3 avril 2012, et Gamze Uludağ c. Turquie, no 21292/07, § 44, 10 décembre 2013).
Garanties en appel
5. Qu’en est-il des garanties qui s’appliquent au stade de l’appel ou, comme dans le système turc, au stade de l’opposition, contre la décision d’un tribunal rejetant une demande de mise en liberté ?
Le point de départ semble simple. L’article 5 § 4 n’astreint pas les États contractants à instaurer un double degré de juridiction pour l’examen de demandes d’élargissement. Néanmoins, un État qui se dote d’un tel système doit en principe accorder aux détenus les mêmes garanties en appel qu’en première instance (voir, parmi beaucoup d’autres, Toth c. Autriche, 12 décembre 1991, § 84, série A no 224, Navarra c. France, 23 novembre 1993, § 28, série A no 273-B, Graužinis c. Lituanie, no 37975/97, § 32, 10 octobre 2000, Svipsta c. Lettonie, no 66820/01, § 129, d), CEDH 2006-III (extraits), Fodale c. Italie, no 70148/01, § 39, CEDH 2006-VII, Bağrıyanık c. Turquie, no 43256/04, § 47, 5 juin 2007, Samoilă et Cionca c. Roumanie, no 33065/03, §§ 58 et 73, 4 mars 2008, Lapusan c. Roumanie, no 29723/03, § 53, 3 juin 2008, Allen c. Royaume-Uni, no 18837/06, § 39, 30 mars 2010, Farhad Aliyev, précité, § 204, et Rafig Aliyev c. Azerbaïdjan, no 45875/06, § 105, 6 décembre 2011).
6. Cela ne veut pas dire que les garanties doivent nécessairement être les mêmes.
Ceci est particulièrement vrai pour ce qui concerne l’obligation de tenir une audience. Compte tenu du caractère spécifique de la procédure relevant de l’article 5 § 4, notamment de l’exigence de célérité, la Cour admet que lorsqu’il y a eu une audience devant un tribunal statuant en première instance sur une demande d’élargissement, l’article 5 § 4 n’exige pas qu’il y ait de nouveau une audience devant la juridiction de recours (voir, par exemple, Rahbar-Pagard c. Bulgarie, nos 45466/99 et 29903/02, § 67, 6 avril 2006, Krejčíř, précité, § 117, Saghinadze et autres c. Géorgie, no 18768/05, §§ 147-151, 27 mai 2010, Knebl, précité, § 82, Trepachkine c. Russie (no 2), no 14248/05, § 149, 16 décembre 2010, Vecek c. République tchèque, no 3252/09, § 62, 21 février 2013, et Levent Bektaş c. Turquie, no 70026/10, § 49, 16 juin 2015).
Cette « tolérance » s’applique sous réserve de raisons particulières qui peuvent rendre, dans un cas déterminé, une audience nécessaire (Ali Rıza Kaplan c. Turquie, no 24597/08, § 30, 13 novembre 2014).
En outre, l’égalité des armes doit toujours être respectée. Si la partie poursuivante a la possibilité d’oralement présenter son point de vue devant la juridiction de recours, la défense doit avoir la même possibilité (consulter Ali Rıza Kaplan, précité, § 31, Levent Bektaş, précité, § 50, et Kolomenskiy c. Russie, no 27297/07, § 97, 13 décembre 2016).
Le droit d’être entendu à des intervalles raisonnables et son application en degré d’appel
7. Dans l’affaire Altınok la Cour a combiné le principe selon lequel l’exercice du droit à une audience, avec comparution personnelle du détenu, peut être restreint, à condition que le détenu puisse comparaître à des intervalles raisonnables devant le juge appelé à se prononcer sur la détention (voir point 4, ci-dessus), avec le principe que les mêmes garanties s’appliquent en appel qu’en première instance (voir point 5, ci-dessus). Elle a considéré qu’une audition devant la juridiction statuant sur l’opposition du détenu ne s’imposait pas lorsque la dernière comparution du détenu devant la juridiction statuant en première instance remontait à une date pas trop éloignée de la date à laquelle la juridiction de recours rendait sa décision (Altınok, précité, § 55). Le point décisif était donc le laps de temps entre la comparution en première instance et la décision sur l’opposition. La Cour ne semble pas avoir prêté une importance particulière au fait qu’il s’agissait de deux juridictions différentes.
Cette jurisprudence a été confirmée dans un nombre d’affaires contre la Turquie (voir, par exemple, Çatal, précité, § 41, Ergezen c. Turquie, no 73359/10, § 45, 8 avril 2014, Murat Özdemir c. Turquie, no 60225/11, §§ 46-47, 15 avril 2014, Hebat Aslan et Firas Aslan c. Turquie, no 15048/09, § 62, 28 octobre 2014, Ali Rıza Kaplan, précité, §§ 29-30, Levent Bektaş, précité, § 50). En dehors de ce contentieux, la jurisprudence Altınok ne semble pas avoir reçu beaucoup d’appui (voir toutefois Kolomenskiy, précité, §§ 96 et 98).
Dans la présente affaire, la majorité suit la jurisprudence Altınok, avec une motivation plus développée que d’habitude. Dans un premier temps elle estime que, eu égard au fait que la 10e cour d’assises avait examiné les demandes d’élargissement lors d’audiences auxquelles le requérant avait été présent, la 11e cour d’assises, statuant sur les oppositions du requérant, ne devait en principe pas tenir une audience et pouvait donc statuer sur base des pièces (paragraphe 41 de l’arrêt). Puis, elle examine s’il y a lieu d’appliquer l’exception relative à l’existence d’intervalles non-raisonnables entre les dates de comparution devant la 10e cour d’assises et les décisions de la 11e cour d’assises ; estimant que les intervalles étaient toujours raisonnables, elle accepte que la 11e cour d’assises pouvait décider sur pièces et conclut à l’absence de violation de l’article 5 § 4 sur ce point (paragraphes 42-48 de l’arrêt).
Critique de la jurisprudence Altınok et de l’approche de la majorité dans la présente affaire
8. L’approche Altınok me semble sujette à critique pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, implicitement elle prend comme point de départ un principe selon lequel tant en appel qu’en première instance, une audience avec possibilité de comparution personnelle du détenu est requise. À mon avis, un tel principe doit être nuancé. Si la juridiction du tribunal statuant en appel se limite à un contrôle de la légalité de la détention, une audience en première instance, en présence du détenu ou de son avocat, comme en l’espèce, devait normalement suffire (voir point 6, ci-dessus).
Ensuite, et surtout, il n’est pas logique de faire dépendre la nécessité d’une audience devant la juridiction de recours de la durée de la période depuis la dernière comparution devant la juridiction de première instance. De deux choses l’une. Ou bien on estime qu’une comparution personnelle est en principe requise chaque fois qu’un tribunal statue sur une demande de mise en liberté. Dans ce cas, c’est bien devant la juridiction qui doit statuer, que ce soit en première instance ou sur recours, que ce principe s’applique. On pourrait alors dire, en respectant la logique, qu’une comparution personnelle devant la juridiction statuant sur l’opposition n’est pas nécessaire si une telle comparution a eu lieu devant cette même juridiction (en l’espèce : la 11e cour d’assises) dans un passé pas trop lointain. Mais je ne vois pas comment la juridiction statuant sur l’opposition, à supposer qu’elle soit tenue (en principe) de voir et d’entendre le détenu, puisse être soustraite à cette obligation pour la seule raison qu’une autre juridiction, fût-ce le tribunal statuant en première instance (en l’espèce : la 10e cour d’assises), ait eu l’occasion de voir et d’entendre le détenu. Ou bien on estime que ni une audience ni une comparution personnelle du détenu ne sont nécessaires devant la juridiction statuant sur l’opposition, à condition que la procédure en première instance ait été conforme aux exigences procédurales de l’article 5 § 4. Dans ce cas, on n’a pas besoin de se demander quelle est la durée de la période qui sépare la comparution en première instance de la décision sur l’opposition. Le droit pour le détenu de comparaître en personne à des intervalles raisonnables serait alors un droit à exercer exclusivement en première instance.
Pour un retour à la jurisprudence classique
9. Je propose une approche plus simple et, du moins à mon avis, plus logique.
En ce qui concerne les circonstances de l’espèce, je constate tout d’abord que le requérant ne se plaint pas du déroulement de la procédure en première instance, devant la 10e cour d’assises. Ses demandes de mise en liberté y ont été examinées lors d’audiences auxquelles il assistait. Le contrôle voulu par l’article 5 § 4 s’est trouvé incorporé dans les décisions rendues à ces occasions.
Le requérant a fait opposition devant la 11e cour d’assises. Ce recours a été examiné selon une procédure écrite. À cet égard, je propose de suivre sans réserve la jurisprudence selon laquelle une audience et une comparution personnelle du détenu ne sont pas nécessaires en appel ou sur opposition, sauf circonstances particulières, si elles ont eu lieu en première instance (voir point 6, ci-dessus, et paragraphe 41 de l’arrêt). En l’espèce, il n’y avait pas de circonstance particulière (voir paragraphe 41 de l’arrêt). En soi, l’absence d’audience ne pose donc pas problème.
Toutefois, les avis écrits du procureur de la République n’ont pas été communiqués à la défense, de sorte que celle-ci n’a pas pu y répondre, ni par écrit ni -en l’absence d’audiences- oralement. La procédure devant la 11e cour d’assises n’a de ce fait pas satisfait au principe du contradictoire. Comme il est dit dans l’arrêt, l’article 5 § 4 a dès lors été violé (voir paragraphe 49 de l’arrêt).
10. Pour ces raisons, j’aurais préféré que le raisonnement de l’arrêt sur la question de l’absence d’audiences se termine au § 41 et que les paragraphes 42-47 n’y figurent pas.
Par ailleurs, je ne vois pas l’utilité d’avoir des conclusions séparées sur l’absence d’audiences, d’une part, et la non-communication des avis du procureur de la République, d’autre part (voir respectivement les paragraphes 48 et 49 de l’arrêt et les points 2 et 3 du dispositif). Une appréciation globale de la compatibilité de la procédure sur opposition avec les exigences de l’article 5 § 4 serait à mon avis préférable, d’autant plus qu’il y a un lien entre la non-communication de l’avis du procureur de la République et l’impossibilité d’y répondre (voir point 9, ci-dessus). Il me suffirait donc de conclure que l’article 5 § 4 a été violé, sans devoir préciser encore dans le dispositif pour quelle raison cela a été le cas et pour quelle raison cela n’a pas été le cas (voir, dans un tel sens, notamment Vecek, précité, et Lavrentiadis c. Grèce, no 29896/13, 22 septembre 2015, le dernier également cité au paragraphe 46 de l’arrêt).