PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE PEKOV ET ANDREEVA c. GRÈCE
(Requête n o 36658/17)
ARRÊT
STRASBOURG
6 septembre 2018
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> PEKOV AND ANDREEVA v. GREECE - 36658/17 (Judgment : Article 3 - Prohibition of torture : First Section Committee) French Text [2018] ECHR 715 (06 September 2018) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2018/715.html Cite as: [2018] ECHR 715, CE:ECHR:2018:0906JUD003665817, ECLI:CE:ECHR:2018:0906JUD003665817 |
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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE PEKOV ET ANDREEVA c. GRÈCE
(Requête n o 36658/17)
ARRÊT
STRASBOURG
6 septembre 2018
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Pekov et Andreeva c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l'homme (première section), siégeant en un comité composé de :
Kristina Pardalos,
présidente,
Pauliine Koskelo,
Tim Eicke,
juges,
et de Renata Degener,
greffière adjointe
de section
,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 juillet 2018,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l'origine de l'affaire se trouve une requête (n o 36658/17) dirigée contre la République hellénique et dont deux ressortissants bulgares, M. Radostin Pekov et Mme Kristina Andreeva (« les requérants »), ont saisi la Cour le 17 mai 2017 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants ont été représentés par M e E.-L. Koutra, avocate à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par le délégué de son agent, M. K. Georghiadis, assesseur au Conseil juridique de l'État. Le gouvernement bulgare n'a pas usé de son droit d'intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention).
3. Les requérants allèguent une violation des articles 3 et 13 de la Convention en raison de leurs conditions de détention.
4. Le 7 juillet 2017, les griefs concernant les articles 3 et 13 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l'article 54 § 3 du règlement de la Cour.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5. Les requérants sont nés en 1981 et forment un couple sans être mariés.
6. Accusés de possession et d'importation de stupéfiants, les requérants furent arrêtés et détenus à partir du 18 décembre 2013, d'abord à la Direction des transfèrements de Thessalonique, puis, à compter du 20 décembre 2013, à la prison de Diavata où la seconde requérante se trouve encore. En août 2015, le premier requérant fut transféré à la prison de Patras. Le 1 er avril 2015, la cour d'appel criminelle de Thessalonique les condamna à des peines de réclusion. Le 24 mai 2017, la deuxième requérante fut libérée en vertu de la loi n o 4322/2015.
A. Les conditions de détention des requérants
1. La version des requérants
a) Les conditions de détention des deux requérants dans la prison de Diavata
7. La prison se trouve dans une zone industrielle, inappropriée pour y vivre en permanence en raison des émissions quotidiennes de gaz de butane. Cela oblige les détenus à garder fermées les fenêtres de leur chambrée qui ne disposent pas d'air conditionné.
8. Les requérants soulignent que le Gouvernement ne produit pas des plans de la prison afin de prouver ses allégations quant à la taille des cellules et chambrées.
9. Le requérant fut placé dans une chambrée de 10 personnes où il disposait d'un espace personnel de 2 m² environ. Huit de ses codétenus étaient fumeurs alors que lui était non-fumeur.
10. La requérante était placée dans une chambrée de 17 m² avec quinze autres détenues pendant un an et demi. Par la suite, elle fut transférée dans une chambrée plus petite avec sept détenues où elle séjourna pendant un an environ. Enfin, elle fut placée à nouveau dans la première chambrée avec sept autres détenues. La chambrée contenait 4 lits superposés et une toilette avec douche d'une superficie entre 2 m² et 3 m². L'espace personnel pour huit détenues était donc de 9 m². Les matelas étaient vétustes et de mauvaise qualité et les détenues devaient empiler des couvertures pour « dormir décemment ».
11. La chambrée était équipée d'une table en plastique et des deux petits tabourets, ce qui obligeait les détenus de prendre leurs repas sur leurs lits, ou d'attendre leur tour pour manger à table. La nourriture était insuffisante, le coût journalier des repas s'élevant à 2 euros par détenu. La fenêtre de la chambrée mesurant 4 cm X 80 cm ne laissait pas passer suffisamment de lumière, ce qui créait une ambiance dépressive pour les détenues. La lumière artificielle - une ampoule de faible puissance - ne suffisait pas pour la lecture. L'air conditionné dans la chambrée ne fonctionnait pas et les chauffages électriques disponibles n'étaient pas en nombre suffisant.
12. Les toilettes, dépourvues de fenêtre, étaient de type turc et servaient aussi à l'évacuation des eaux de la douche qui consistait en un pommeau de douche accroché au mur. Les toilettes étaient aussi équipées d'un lavabo qui servait également pour le lavage des vêtements et sous-vêtements des détenues. Le lavage s'effectuait avec du liquide-vaisselle, seul produit d'entretien autorisé dans la prison. La requérante affirme que pendant les trois ans de sa détention, les détenues dans sa chambrée ne reçurent qu'une seule fois un petit verre avec de la javel alors que la chambrée était crasseuse et pas propice à l'habitation.
13. Le manque d'eau chaude suffisante (fournie pendant deux heures par jour) causait des bagarres entre détenues car elle ne suffisait pas pour la douche ou le lavage des vêtements. Les détenues devaient programmer leurs douches longtemps à l'avance ou rester sans se laver pendant plusieurs jours. Les détenues accrochaient leurs vêtements lavés à différents endroits de la chambrée pour les faire sécher.
14. La poubelle se trouvait à l'intérieur de la chambrée et les détritus débordaient souvent, ce qui aggravait encore plus les problèmes d'hygiène. Faute de casiers, les détenues étaient obligées de poser leurs affaires personnelles sur le sol en-dessous de leurs lits. Les détenues fumaient dans les chambrées au détriment des non-fumeuses.
15. Aucun produit d'hygiène corporelle n'était distribué aux détenues, même pas des serviettes hygiéniques, de sorte que les détenues impécunieuses, comme la requérante, priaient leurs codétenus de leur donner des morceaux de coton.
16. La requérante souligne que ses demandes à consulter un médecin furent ignorées ; ces demandes étaient inscrites sur un bout de papier qui était mis dans une boîte que le gardien récupérait dans un ordre fortuit. Le médecin généraliste visitait la prison tous les mardis et mercredis, le psychologue et le psychiatre une fois par semaine et les consultations était accaparées par les détenus de sexe masculin qui constituaient la grande majorité des détenus. Quant aux soins dentaires, la requérante ne put consulter un dentiste que très rarement et avait dû supporter elle-même le coût.
17. En dépit du fait que la durée de la promenade était suffisamment longue, la cour de la prison n'était pas abritée, de sorte que les jours de pluie ou de chaleur, les détenus étaient obligés de rester dans leurs chambrées. De même, il n'y avait pas de bancs pour s'asseoir et les détenues devaient s'asseoir par terre sur leurs couvertures si elles souhaitaient rester dehors.
18. Étant incarcérés dans la même prison, les requérants, qui formaient un couple de longue date, demandèrent aux autorités de la prison de leur permettre de se rencontrer, mais toutes leurs demandes furent rejetés pour des motifs de sécurité.
b) Les conditions de détention du premier requérant dans la prison de Patras
19. En août 2015, le requérant fut transféré à la prison de Patras. Il fut placé dans une cellule mesurant 20 m² avec dix ou onze autres détenus. Pendant longtemps, il dormit par terre. Huit à neuf de ces détenus étaient toxicomanes, prenaient des psychotropes et leurs réactions étaient imprévisibles, ce qui provoquait un grand stress chez le requérant. À part le requérant et un autre détenu, tous les autres étaient fumeurs, ce qui rendait l'atmosphère dans la cellule étouffante.
20. L'hygiène et l'aération dans la cellule étaient pratiquement inexistantes.
21. Dépourvue de médecin permanent, la prison conclut un contrat avec un médecin visiteur pour des visites de quelques heures une fois par semaine. Un détenu peut le consulter s'il met un « bout de papier dans une boîte » qui tient lieu de demande mais qui n'est enregistrée nulle part.
2. La version du Gouvernement
22. La requérante fut placée dans la chambrée n o 2, d'une superficie de 24,98 m², au départ avec sept autres détenues, puis, après l'entrée en vigueur de la loi n o 4322/2015 (le 27 avril 2015) visant à désengorger les prisons, avec cinq ou six autres détenues. Ainsi, son espace personnel varia de 3,12 m² à 4,99 m² après le 27 avril 2015. La dernière visite du CPT à cette prison eut lieu du 14 au 23 avril 2015, soit avant l'entrée en vigueur de la loi précitée dont la validité fut prolongée jusqu'en août 2017 afin de maintenir le nombre global des détenus dans les prisons grecques à moins de 10 000 personnes.
23. Les chambrées disposaient d'une toilette et d'une douche avec fermeture, des tables, des tabourets, des tables de chevet et d'une poubelle. En plus du chauffage central, des chauffages électriques étaient disponibles pendant les jours froids de l'hiver. L'eau chaude était disponible pendant plusieurs heures dans la journée. Les vitres mesuraient 3,7 m X 1 m et l'éclairage artificiel était assuré par trois batteries électriques de trois ampoules chacune.
24. Les détenu(e)s recevaient à intervalles réguliers des produits d'hygiène personnelle (savon, shampoing, papier hygiénique, mousse à raser). La prison employait aussi un coiffeur.
25. Des efforts considérables étaient consacrés pour le maintien de la propreté des cellules, chambrées et espaces communs. Le linge de lit était nettoyé dans le pressing de la prison, auquel les détenus pouvaient aussi faire laver leurs vêtements.
26. Les détenus recevaient trois repas par jour établis tous les quinze jours et approuvés par le médecin et le conseil de la prison. Ils pouvaient faire du sport pendant au moins une heure dans la cour de la prison ou sur des terrains jeu spécifiques. Ils pouvaient aussi participer à des activités récréatives.
27. Les soins médicaux des détenus étaient assurés par deux médecins généralistes (rémunérés par consultation), un généraliste volontaire, un psychiatre permanent, un dentiste (rémunéré par consultation) et un infirmier.
28. La requérante subit un examen par le médecin de la prison et fut transférée aussi à l'hôpital Papageorgiou de Thessalonique pour un examen hématologique.
29. La requérante travailla pendant dix-huit mois dans la prison comme agent de nettoyage et le requérant pendant trois mois dans les cuisines.
B. L'état de santé du premier requérant
30. Du 8 au 14 mars 2014, le requérant fut hospitalisé à l'hôpital Papageorgiou à Thessalonique où il subit divers examens qui ne révélèrent pas de problème cardiaque. Aucun traitement ne lui fut prescrit.
31. Le 20 février 2015, le requérant fut à nouveau transféré au même hôpital pour une échographie du pancréas et de la rate, puis encore une fois aux urgences, le 23 février, où on lui prescrit un traitement pour des vertiges.
32. Le 21 septembre 2015, le requérant fut transféré à l'hôpital de Patras pour un examen radiologique du thorax.
33. Le 28 septembre 2015, à la suite des problèmes respiratoires, le requérant fut transféré en urgence au même hôpital pour subir un examen coronarien. On lui diagnostiqua du liquide ascitique autour du foie et de la rate ainsi qu'une péricardite.
34. Le requérant sortit de l'hôpital le 5 octobre 2015. Le certificat de sortie précisait qu'il devait faire l'objet d'un contrôle cardiologique régulier, comprenant le contrôle de la tension artérielle et de la température trois fois par jour. Il recommandait un nouvel examen pour apprécier la nécessité d'une opération cardiovasculaire.
35. Faute de connaissance de la langue grecque, le requérant était dans l'impossibilité de comprendre son état de santé et le diagnostic des médecins. Il soutient que sa demande d'en être informé dans une langue qu'il comprenait avant tout acte médical sur lui fut interprété comme un refus de se faire opérer.
36. Le 4 avril 2016, le médecin visiteur de la prison, répondant à une question du procureur concernant l'aptitude du requérant à comparaître à l'audience devant la cour d'appel criminelle de Thessalonique, précisa :
« Le détenu Pekov Radostin souffre de péricardite et doit être pris en charge par un chirurgien spécialiste du cœur. Toutefois, il refuse de se faire examiner de sorte qu'il ne reçoit pas le traitement approprié. Plus particulièrement, il a refusé d'être transféré à la clinique cardiologique aux dates des 6 octobre 2015, 20 novembre 2015 et 12 février 2016 (...)
Pour ces raisons, je ne suis pas en mesure d'affirmer qu'il puisse comparaître devant la cour d'appel criminelle de Thessalonique sans risque pour sa santé. Je considère que sa santé ne peut pas être adéquatement sauvegardée au sein de la prison. »
37. Du 15 novembre 2016 au 15 février 2017, le requérant fit l'objet d'un traitement pharmaceutique par psychotropes.
38. Le 30 janvier 2017, le requérant fut transféré à l'hôpital de Patras pour un examen radiologique du thorax.
39. Après sa mise en liberté (à une date non précisée dans le dossier), le requérant fut opéré en Bulgarie où il s'était entretemps rendu.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
40. Pour le droit et la pratique internes pertinents, la Cour se réfère à l'arrêt Koureas et autres c. Grèce (n o 30030/15, §§ 37-38, 18 janvier 2018).
41. Il ressort des tableaux statistiques du ministère de la Justice que la prison de Diavata - d'une capacité officielle de 358 personnes - accueillait pendant le premier semestre 2017 un nombre des détenus variant entre 505 et 541.
42. En outre, il ressort des tableaux statistiques du même ministère que la prison de Patras - d'une capacité officielle de 466 personnes - accueillait pendant le premier semestre 2017 un nombre des détenus variant entre 585 et 649, pendant le deuxième semestre 2017 un nombre variant entre 519 et 620 et pendant le premier semestre 2018 un nombre variant entre 496 et 524.
III. LES CONSTATS DU COMITÉ POUR LA PRÉVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU DEGRADANTS (CPT)
43. Dans son rapport du 5 juillet 2013, établi à la suite de sa visite du 4 au 16 avril 2013, le CPT relevait que la prison de Diavata, d'une capacité officielle de 250 détenus, en accueillait 590. La prison dispose de 53 cellules mesurant chacune 24 m² et accueillant chacune 10 détenus, de 10 cellules de 11 m² chacune et accueillant chacune 4 détenus et de 3 cellules où séjournent 34 détenues femmes. L'accès à la lumière naturelle et l'aération dans les cellules sont satisfaisants et il y a quelques tabourets. Les salles d'eau contiennent quatre toilettes ainsi qu'un évier qui sert aussi pour laver le linge et faire la vaisselle.
44. Dans son rapport du 1 er mars 2016, établi à la suite de sa visite du 14 au 23 avril 2015, le CPT relevait que la situation dans cette prison était inchangée par rapport à celle constatée lors de la visite de 2013. À la date de la visite, la prison accueillait 588 détenus pour une capacité de 370 places (cette capacité ayant été augmentée de plus de 100 en transformant les chambrées prévues pour 4 détenus - mesurant 24 m² - en chambrées pour 6. Les détenus de sexe masculin étaient placés par dix dans des chambrées de 24 m² et les 35 détenues de sexe féminin dans trois chambrées.
EN DROIT
I. SUR LA DEMANDE DE RADIATION DE LA REQUÊTE AU SENS DE L'ARTICLE 37 DE LA CONVENTION EN CE QUI CONCERNE LE PREMIER REQUÉRANT
45. Après l'échec des tentatives de règlement amiable, le 15 février 2018, le Gouvernement a informé la Cour qu'il a formulé une déclaration unilatérale afin de résoudre la question soulevée par la requête, en ce qui concerne le premier requérant. Il a invité la Cour à rayer celle-ci du rôle en application de l'article 37 de la Convention en contrepartie du versement d'une somme globale (7 600 EUR), couvrant tout préjudice matériel et moral ainsi que les frais et dépens et de la reconnaissance de la violation des droits garantis par les articles 3 et 13 de la Convention.
46. Le 11 avril 2018, le premier requérant a déclaré qu'il n'était pas satisfait des termes de la déclaration unilatérale compte tenu notamment du montant offert pour préjudice moral et frais et dépens.
47. La Cour a affirmé que, dans certaines circonstances, il peut être indiqué de rayer une requête du rôle en vertu de l'article 37 § 1 c) de la Convention sur la base d'une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur même si le requérant souhaite que l'examen de l'affaire se poursuive. Ce seront toutefois les circonstances particulières de la cause qui permettront de déterminer si la déclaration unilatérale offre une base suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de l'homme garantis par la Convention n'exige pas qu'elle poursuive l'examen de l'affaire au sens de l'article 37 § 1 in fine (voir, parmi d'autres, Tahsin Acar c. Turquie (exceptions préliminaires) [GC], n o 26307/95, § 75, CEDH 2003-�VI ; Melnic c. Moldova , n o 6923/03, § 14, 14 novembre 2006 ; et Messana c. Italie , n o 26128/04, § 23, 9 février 2017).
48. Quant au point de savoir s'il serait opportun de rayer la présente requête sur la base de la déclaration unilatérale du Gouvernement, la Cour relève que le montant du dédommagement offert est insuffisant par rapport aux sommes octroyées par elle dans des affaires similaires en matière des conditions de détention, compte tenu notamment de la durée de la détention en l'espèce.
49. Dans ces conditions, la Cour considère que la déclaration unilatérale litigieuse ne constitue pas une base suffisante pour conclure que le respect des droits de l'homme garantis par la Convention n'exige pas la poursuite de l'examen de la requête.
50. En conclusion, la Cour rejette la demande du Gouvernement tendant à la radiation de la requête du rôle en vertu de l'article 37 § 1 c) de la Convention et va en conséquence poursuivre l'examen de l'affaire sur la recevabilité et le fond.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
51. Invoquant l'article 3 de la Convention, les requérants se plaignent de leurs conditions de détention, le premier dans la prison de Patras, la deuxième dans celle de Diavata. En outre, le premier requérant se plaint que non seulement il n'a pas reçu des soins médicaux adéquats, mais que son problème cardiovasculaire n'a pas du tout été pris en considération par les autorités ce qui a eu pour résultat de mettre sa vie en danger et rendre sa détention insupportable. L'article 3 se lit ainsi :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
52. Constatant que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
53. Le premier requérant souligne qu'en omettant de présenter des observations le concernant, le Gouvernement admet la véracité de ses allégations relatives à ses conditions de détention et à l'insuffisance des soins médicaux prodigués.
54. La deuxième requérante se réfère à sa version des conditions de détention ainsi qu'aux arrêts Adiele et autres c. Grèce (n o 29769/13, 25 février 2016), Papadakis et autres c. Grèce (n o 34083/13, 25 février 2016), et Kalamiotis et autres c. Grèce (n o 53098/13, 29 octobre 2015) dans lesquels la Cour a conclu à la violation de l'article 3 en ce qui concernait les conditions de détention des détenus de sexe masculin dans cette prison. Or, les chambrées des détenues de sexe féminin sont situées dans le même établissement que la Cour a considéré comme impropre à la détention.
55. Le Gouvernement soutient que les griefs de la requérante concernant les soins médicaux inadéquats, le manque d'activités récréatives, la propreté, l'alimentation et l'hygiène insuffisantes, sont formulés de manière générale et ne sont pas de nature à faire établir que la requérante en a personnellement pâti à un degré tel qu'on puisse conclure qu'il y ait eu violation de l'article 3.
56. La Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en matière des principes généraux d'application de l'article 3 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente cause, (voir, en dernier lieu, Muršić c. Croatie [GC], n o 7334/13, §§ 96-�141, 20 octobre 2016).
57. Dans cet arrêt, la Cour a confirmé que l'exigence de 3 m² de surface au sol par détenu (incluant l'espace occupé par les meubles, mais non celui occupé par les sanitaires) dans une cellule collective doit demeurer la norme minimale pertinente aux fins de l'appréciation des conditions de détention au regard de l'article 3 de la Convention ( Muršić , précité, §§ 110 et 114). Elle a également précisé qu'un espace personnel inférieur à 3 m² dans une cellule collective fait naître une présomption, forte mais non irréfutable, de violation de cette disposition. La présomption en question peut notamment être réfutée par les effets cumulés des autres aspects des conditions de détention, de nature à compenser de manière adéquate le manque d'espace personnel ; à cet égard, la Cour tient compte de facteurs tels que la durée et l'ampleur de la restriction, le degré de liberté de circulation et l'offre d'activités hors cellule, et le caractère généralement décent ou non des conditions de détention dans l'établissement en question ( ibidem , §§ 122-�138).
58. En ce qui concerne le premier requérant, compte tenu de l'absence d'observations de la part du Gouvernement relatives aux conditions générales de détention de celui-ci et des arrêts susmentionnés relatifs à la prison de Diavata, la Cour ne voit pas de raison de s'écarter de ses constats antérieurs et conclut à la violation de l'article 3 au regard des conditions générales de détention tant dans la prison de Diavata que dans la prison de Patras dans laquelle l'état de surpopulation ressort clairement des tableaux statistiques du ministère de la Justice (paragraphe 42 ci-dessus).
59. En revanche, en ce qui concerne les soins médicaux du premier requérant, la Cour note que les doléances de celui-ci se fondent sur l'absence alléguée de traitement adéquat des diverses pathologies présentées par lui. Elle tient à souligner qu'elle ne peut toutefois se prononcer sur des questions qui relèvent de l'expertise médicale. Afin de déterminer si l'article 3 de la Convention a été respecté, elle ne peut examiner que la seule question de savoir si les autorités nationales ont assuré au premier requérant un suivi médical approprié et mis en place un protocole thérapeutique adapté à la nature de ses pathologies.
60. À ce sujet, la Cour constate que, d'après le dossier, pendant sa détention à la prison de Diavata et de Patras, le premier requérant a été transféré à plusieurs reprises aux hôpitaux de ces deux villes : du 8 au 14 mars 2014 et les 20 et 23 février 2015 à l'hôpital Papageorgiou de Thessalonique ; le 21 septembre 2015, du 28 septembre au 5 octobre 2015 et le 30 janvier 2017 à l'hôpital de Patras. Du 15 novembre 2016 au 15 février 2017, il a aussi fait l'objet d'un traitement pharmaceutique par psychotropes. Dans ces circonstances, la Cour ne saurait conclure que les autorités nationales ont failli à leur devoir d'assurer un suivi médical au premier requérant et ont donc satisfait à leur obligation positive de lui fournir une assistance médicale adéquate.
61. Quant à la deuxième requérante, détenue dans la prison de Diavata du 20 décembre 2013 au 24 mai 2017, la Cour note que les versions des parties concernant la surpopulation (notamment en ce qui concerne la superficie de la chambrée) mais aussi les autres conditions dans la prison de Diavata diffèrent considérablement.
62. Pour former son opinion, la Cour s'efforcera de prendre en considération ceux des éléments qui lui paraissent les plus objectifs et qui émanent des autorités autres que les parties dans la présente affaire.
63. Dans son rapport du 1 er mars 2016, établi à la suite de sa visite du 14 au 23 avril 2015, le CPT relevait que la situation dans cette prison était inchangée par rapport à celle constatée lors de la visite de 2013 (paragraphe 44 ci-dessus). À la date de la visite du CPT, la prison accueillait 588 détenus. Il ressort, en outre, des tableaux statistiques du ministère de la Justice que la prison de Diavata - d'une capacité officielle de 358 personnes - accueillait pendant le premier semestre 2017 un nombre des détenus variant entre 505 et 541 (paragraphe 41 ci-dessus).
64. La Cour attache, de surcroît, une grande importance aux informations fournies par la direction de la prison de Diavata au Gouvernement au sujet de la présente affaire dans un document daté du 4 septembre 2017 et annexé aux observations du Gouvernement. La direction de la prison précisait que la requérante a été placée dans une chambrée mesurant 24,98 m² et contenant 8 lits. La chambrée disposait d'une toilette avec douche, mais contrairement aux toilettes des chambrées réservées aux détenus de sexe masculin, dont la superficie variait, le document ne mentionnait pas la superficie de la chambrée de la requérante. Le même document précisait que la requérante était placée avec sept autres détenues, mais qu'à partir de l'application de la loi n o 4322/2015 (paragraphe 22 ci-dessus), ce nombre variait entre cinq et six détenues. Toutefois, le document n'indiquait pas les périodes pendant lesquelles la deuxième requérante partageait la chambrée avec moins des détenues. En revanche, décrivant la capacité de la prison, la direction indiquait ce qui suit : « La capacité d'accueil de prison de Thessalonique s'élève, dans des conditions idéales, à 360 détenus. Toutefois, durant la plus grande partie de la détention des requérants, le nombre des détenus variait entre 470 et 520. Il en ressort qu'il y avait dépassement du nombre maximal des détenus qui pouvaient être accueillis ».
65. Faute des constats objectifs, la Cour ne peut pas se prononcer sur la plupart des allégations de la requérante concernant les conditions relatives au chauffage, à l'eau chaude, à l'éclairage, à la propreté des chambrées et des matelas, à la fourniture des produits d'hygiène aux détenues impécunieuses, à l'état de la cour de la prison. Elle relève cependant que la prison de Diavata ne dispose pas de réfectoire et les détenus sont obligés de prendre leurs repas dans leur cellules/chambrées, assis soit sur leurs lits, soit à tour de rôle sur les quelques tabourets disponibles. Les vasques dans les toilettes servent à la fois pour le lavage des vêtements des détenus et pour faire la vaisselle. Or, cette situation n'a pas été démentie par le Gouvernement.
66. Ces circonstances suffisent à la Cour pour conclure que la forte présomption de violation de l'article 3 (paragraphe 57 ci-dessus) ne peut être réfutée, le Gouvernement n'ayant pas réussi à démontrer la présence de facteurs propres à compenser de manière adéquate le manque d'espace personnel. La Cour estime que les conditions de détention en cause, compte tenu également de la durée d'incarcération de la deuxième requérante, ont soumis l'intéressée à une épreuve d'une intensité qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.
67. Partant, il y a eu aussi violation de l'article 3 de la Convention à l'égard de la deuxième requérante.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
68. Les requérants allèguent aussi une violation de l'article 13 de la Convention combiné avec l'article 3. L'article 13 de la Convention se lit ainsi :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
A. Sur la recevabilité
69. Constatant que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
70. Les requérants se plaignent également de l'absence d'un recours effectif pour dénoncer leurs conditions de détention. Ils se prévalent de la jurisprudence constante de la Cour en la matière dans les affaires grecques.
71. Le Gouvernement soutient que les recours prévus aux articles 6 du code pénitentiaire et 572 du code de procédure pénale, ainsi que la saisine du médiateur de la République, constituent des recours appropriés et effectifs que les requérants auraient pu tenter pour mettre un terme aux conditions de détention alléguées.
72. La Cour rappelle qu'elle a eu à plusieurs reprises à se prononcer sur les recours mentionnés par le Gouvernement et ne voit aucune raison de s'écarter dans la présente affaire de sa jurisprudence constante à cet égard (voir, parmi beaucoup d'autres, Koureas et autres c. Grèce , n o 30030/15, 18 janvier 2018, D.M. c. Grèce , n o 44559/15, 16 février 2017, et Konstantinopoulos et autres c. Grèce , n o 69781/13, 28 janvier 2016).
73. Enfin, concernant le recours au médiateur de la République, la Cour considère qu'il n'est pas effectif, les pouvoirs du médiateur ne lui permettant pas de prendre des mesures juridiquement contraignantes susceptibles de remédier à des situations de surpopulation dans les prisons (voir, mutatis mutandis , Devlin c. Royaume-Uni (déc.), n o 29545/95, 11 avril 2001, et Rodić et autres c. Bosnie-Herzégovine , n o 22893/05, 27 mai 2008). Selon les informations fournies par le Gouvernement, le médiateur de la République est habilité à se rendre dans les lieux de détention, s'entretenir avec des détenus, prendre des photos, demander des expertises et publier des rapports.
74. Partant, la Cour estime qu'il y a eu violation de l'article 13 combiné avec l'article 3 de la Convention à l'égard des deux requérants.
IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
75. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
76. Au titre du préjudice moral qu'ils estiment avoir subi, les requérants réclament chacun 21 000 euros (EUR) pour la violation de l'article 3 et 18 000 EUR pour celle de l'article 13. Ils demandent aussi que ces sommes soient versées directement sur le compte bancaire indiqué par leur représentante.
77. Le Gouvernement souligne que les sommes réclamées sont excessives et totalement injustifiées, compte tenu notamment les circonstances de l'espèce et la situation financière de la Grèce. Il souligne que le constat de la violation constituerait une satisfaction suffisante. Il invite aussi la Cour à ignorer la demande tendant au versement d'une somme éventuelle sur le compte de la représentante.
78. La Cour considère qu'il y a lieu d'octroyer au titre du préjudice moral 21 000 EUR au premier requérant et 16 000 EUR à la deuxième requérante [1] .
B. Frais et dépens
79. Les requérants demandent également 7 500 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour, somme à verser directement sur le compte bancaire indiqué par leur représentante. Cette dernière produit copies des deux accords conclus avec chacun des requérants et qui portent sur le montant des honoraires de celle-ci et sur les conditions et les modalités de paiement.
80. Le Gouvernement considère que les conditions pour verser une somme pour frais et dépens ne sont pas réunies en l'espèce : non seulement, leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux n'est pas établi, mais la requérante ne produit aucun document de nature à contrôler la manière dont ils ont été calculés et de prouver qu'ils ont été payés. Leur montant étant excessif, le Gouvernement se déclare prêt, si la Cour estime devoir accorder une somme à ce titre, à payer 500 EUR.
81. Selon La Cour note que les requérants ont conclu avec leur conseil un accord concernant les honoraires de celle-ci, qui se rapprocherait d'un accord de quota litis . Ces accords peuvent attester, s'ils sont juridiquement valables, que l'intéressé est effectivement redevable des sommes réclamées. Pareils accords, qui ne font naître des obligations qu'entre l'avocat et son client, ne sauraient lier la Cour, qui doit évaluer le niveau des frais et dépens à rembourser non seulement par rapport à la réalité des frais allégués, mais aussi par rapport à leur caractère raisonnable ( Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 55, CEDH 2000-XI). Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime raisonnable d'accorder conjointement aux deux requérants 1 000 EUR pour les frais engagés pour la procédure devant elle, plus toute somme pouvant être due par les requérants à titre d'impôt, à verser directement sur le compte de leur représentante.
C. Intérêts moratoires
82. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions générales de détention du premier requérant dans les prisons de Diavata et de Patras ;
3. Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 3 de la Convention en ce qui concerne les soins médicaux prodigués au premier requérant ;
4. Dit qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions générales de détention de la deuxième requérante dans la prison de Diavata ;
5. Dit qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention, combiné avec l'article 3 de la Convention, à l'égard des deux requérants ;
6. Dit
a) que l'État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois, les sommes suivantes :
i. 21 000 EUR (vingt-et-un mille euros) au premier requérant et 16 000 EUR (seize mille euros) à la deuxième requérante, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral ;
ii. 1 000 EUR (mille euros), conjointement aux deux requérants, plus tout montant pouvant être dû par eux à titre d'impôt, pour frais et dépens, à verser sur le compte bancaire de leur représentante ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 septembre 2018, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Renata Degener
K. Pardalos
Greffière adjointe
Présidente
[1] Le premier requérant fut détenu à partir du 20 décembre 2013 jusqu'à présent (date retenue pour le calcul : le 20 septembre 2018) ce qui fait 4 ans et 9 mois. La deuxième requérante fut détenue pendant 3 ans et 5 mois. Selon le calcul dans les affaires grecques de ce type, on accorde 6 500 EUR pour la première année de détention et 325 EUR pour chaque mois de détention supplémentaire.