BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?

No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!



BAILII [Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback]

European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> AKTAN v. TURKEY - 41839/09 (Judgment : Article 10 - Freedom of expression-{general} : Second Section Committee) French Text [2018] ECHR 822 (09 October 2018)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2018/822.html
Cite as: [2018] ECHR 822

[New search] [Contents list] [Help]


 

 

 

DEUXIÈME SECTION

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AFFAIRE AKTAN c. TURQUIE

 

(Requête n o 41839/09)

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

 

 

 

 

STRASBOURG

 

9 Octobre 2018

 

 

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Aktan c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

Paul Lemmens, président,
Valeriu Griţco,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section ,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 septembre 2018,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l'origine de l'affaire se trouve une requête (n o 41839/09) dirigée contre la République de Turquie et dont une ressortissante de cet État, M me Özlem Aktan (« la requérante »), a saisi la Cour le 24 juillet 2009 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par M e İ. Akmeşe, avocat exerçant à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3. Le 30 octobre 2017, le grief concernant l'atteinte alléguée portée à la liberté d'expression de la requérante a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l'article 54 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

4. La requérante est née en 1980 et réside à Istanbul.

5. À l'époque des faits, elle était la rédactrice en chef d'un quotidien.

6. Par un acte d'accusation du 15 décembre 2006, le procureur de la République de Beyoğlu inculpa la requérante de l'infraction de l'apologie de crime et de criminelle en raison de l'expression « le leader du peuple kurde, Abdullah Öcalan », utilisée dans deux articles publiés le 15 novembre 2006 dans le quotidien de la requérante.

7. Le 16 mars 2009, la cour d'assises d'Istanbul reconnut la requérante coupable de l'infraction reprochée et la condamna à une amende judiciaire de 900 livres turques (411,81 euros à cette date) en application de l'article 215 du code pénal (CP). Elle considéra que l'expression susmentionnée constituait un éloge du fondateur et chef de l'organisation illégale PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), Abdullah Öcalan. Elle précisa en outre que, eu égard au montant de l'amende judiciaire, son arrêt n'était pas susceptible de pourvoi.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

8. L'article 215 du CP (loi n o 5237 du 26 septembre 2004, entrée en vigueur le 1 er juin 2005), tel qu'il était en vigueur à l'époque des faits, se lisait comme suit :

« Quiconque fait publiquement l'éloge d'un crime commis ou d'une personne en raison du crime qu'elle a commis est passible d'une peine pouvant aller jusqu'à deux ans d'emprisonnement. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

9. La requérante allègue que sa condamnation pénale constitue une atteinte à son droit à la liberté d'expression, protégé par l'article 10 de la Convention.

A. Sur la recevabilité

10. Constatant que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

11. La requérante soutient que sa condamnation pénale en raison des articles publiés dans le quotidien dont elle était la rédactrice en chef constitue une violation de son droit à la liberté d'expression.

12. Le Gouvernement estime qu'il n'y a pas eu ingérence dans la liberté d'expression de la requérante. Dans l'hypothèse où la Cour conclurait à l'existence d'une telle ingérence, il indique que l'article 215 du CP constitue la base légale de ladite ingérence. Il argue ensuite que cette ingérence poursuivait les buts légitimes de la protection de la sécurité nationale et de l'intégrité territoriale, de la défense de l'ordre et de la prévention du crime. Il soutient enfin que l'ingérence était nécessaire dans une société démocratique dans la mesure où l'expression incriminée employée dans les articles litigieux faisait l'éloge du leader d'une organisation terroriste en le décrivant comme le leader du peuple kurde.

13. La Cour rappelle les principes découlant de sa jurisprudence en matière de liberté d'expression, lesquels sont résumés notamment dans les arrêts Bülent Kaya c. Turquie (n o 52056/08, §§ 36-40, 22 octobre 2013) et Karácsony et autres c. Hongrie ([GC], n o 42461/13, § 132, 17 mai 2016).

14. Elle note, en l'espèce, que la condamnation de la requérante à une amende judiciaire constitue une ingérence dans le droit de celle-ci à la liberté d'expression (voir, mutatis mutandis , Çamyar c. Turquie (n o 2)) , n o 16899/07, § 59, 10 octobre 2017).

15. Elle observe que cette ingérence était prévue par la loi, à savoir l'article 215 du CP. Elle admet en outre que l'ingérence poursuivait des buts légitimes au regard de l'article 10 § 2 de la Convention, à savoir la sécurité nationale, l'intégrité territoriale, la défense de l'ordre et la prévention du crime.

16. Quant à la nécessité de l'ingérence, la Cour rappelle avoir déjà jugé que l'expression « leader du peuple kurde », retenue par les juridictions nationales à l'appui de la condamnation pénale de la requérante, n'incite pas en soi à la violence ( Belge c. Turquie , n o 50171/09, § 34, 6 décembre 2016). Elle note en outre qu'il n'a pas été allégué par les autorités nationales que, les articles litigieux, pris dans leur ensemble, contenait un appel à l'usage de la violence, à la résistance armée ou au soulèvement, ou qu'ils constituaient un discours de haine, ce qui est à ses yeux l'élément essentiel à prendre en considération ( Sürek c. Turquie (n o 4) [GC], n o 24762/94, § 58, 8 juillet 1999, et Belek et Velioğlu c. Turquie , n o 44227/04, § 25, 6 octobre 2015).

17. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que la mesure incriminée ne répondait pas à un besoin social impérieux, qu'elle n'était pas, en tout état de cause, proportionnée aux buts légitimes visés et que, de ce fait, elle n'était pas nécessaire dans une société démocratique.

18. Partant, il y a eu violation de l'article 10 de la Convention

II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

19. La requérante réclame 30 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu'elle estime avoir subi. Elle réclame également 7 434 livres turques (TRY) pour les frais d'avocat, 700 TRY pour les frais de traduction, 50 TRY pour les frais de fourniture et 50 TRY pour les frais de poste. Elle ne présente aucun document à l'appui de ses demandes relatives aux frais et dépens.

20. Le Gouvernement considère que la demande de la requérante au titre du dommage moral est excessive et ne correspond pas à la jurisprudence de la Cour. Il expose en outre que la requérante n'a présenté aucun document pour justifier ses demandes relatives aux frais et dépens.

21. La Cour considère qu'il y a lieu d'octroyer à la requérante 2 500 EUR au titre du préjudice moral. Quant aux demandes relatives aux frais et dépens, compte tenu de sa jurisprudence, elle les rejette pour absence de justificatifs présentés par la requérante à cet égard.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

 

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 10 de la Convention ;

 

3. Dit

a) que l'État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l'État défendeur , au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

 

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 octobre 2018, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Hasan Bakırcı Paul Lemmens
Greffier adjoint Président


BAILII: Copyright Policy | Disclaimers | Privacy Policy | Feedback | Donate to BAILII
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2018/822.html