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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> CIRSTEA v. ROMANIA - 10626/11 (Judgment : Article 5 - Right to liberty and security : Fourth Section Committee) French Text [2019] ECHR 587 (23 July 2019) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2019/587.html Cite as: [2019] ECHR 587, CE:ECHR:2019:0723JUD001062611, ECLI:CE:ECHR:2019:0723JUD001062611 |
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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE CÎRSTEA c. ROUMANIE
( Requête n o 10626/11 )
ARRÊT
STRASBOURG
23 juillet 2019
Cet arrêt est définitif . Il peut subir des retouches de forme.
En l ' affaire Cîrstea c. Roumanie ,
La Cour européenne des droits de l ' homme ( quatrième section ), siégeant en un comité composé de :Georges Ravarani, président,
Marko Bošnjak,
Péter Paczolay, juges,
et de Andrea Tamietti , greffier adjoint d e section ,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 30 avril et 2 juillet 2019 , Rend l ' arrêt que voici, adopté à cette date :PROCÉDURE
1. À l ' origine de l ' affaire se trouve une requête (n o 10626/11) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État,3 . Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents successifs, M me C. Brumar puis, à partir du 13 février 2019, M. V. Mocanu, du ministère des Affaires étrangères.
4. Le 13 février 2018 , les griefs tirés de l ' article 5 (justification et durée de la détention provisoire) et des articles 8 et 13 de la Convention (publication par les média de photos pendant l ' enquête) ont été communiqués au Gouvernement, et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l ' article 54 § 3 du règlement de la Cour.EN FAIT
9 . Le 17 août 2010, le parquet près la Haute Cour de cassation et de justice (« le parquet ») ouvrit des poursuites pénales in rem pour homicide involontaire et coups et blessures graves involontaires. Le même jour, la requérante fut entendue en tant que témoin. Aucune accusation ne fut portée à son encontre à ce moment-là. Lors de son audition, l ' intéressée fit la déposition suivante au sujet des événements survenus le jour de l ' incendie : ce jour-là, ayant senti une odeur de brûlé, elle avait vérifié les appareils électriques et avait constaté que ceux-ci fonctionnaient normalement, sans remarquer de fumée ou de feu ; elle était alors sortie pour appeler les secours ; l ' incendie s ' était déclenché pendant son absence.
10 . Par un jugement du 18 août 2010, le tribunal de première instance de Bucarest, faisant droit à une demande formulée par le parquet sur le fondement de l ' article 91 1 du code de procédure pénale (« le CPP »), autorisa diverses mesures de surveillance visant la requérante (interception des communications téléphoniques, surveillance électronique et surveillance par géolocalisation) pour une durée de trente jours.
11 . Le 20 août 2010, le procureur I.M., en charge de l ' enquête, fut interviewé par les médias. Il déclara publiquement que, lors de l ' incendie, le personnel médical participait à une fête dans une autre salle, tout en précisant que, jusque-là, il ne disposait pas d ' éléments pour conclure que la requérante s ' y trouvait également. Il affirma aussi que la requérante avait été la seule à pouvoir ouvrir la porte de la salle de soins intensifs en raison de l ' existence d ' une seule clé magnétique permettant d ' y accéder. Sur ce point, il fut établi, au cours de l ' enquête pénale, que cette dernière information était inexacte ; pour autant, le procureur I.M. ne rétracta jamais ses déclarations.
12 . Le 23 août 2010, le parquet ouvrit des poursuites pénales contre la requérante, accusée d ' homicide involontaire et de coups et blessures graves involontaires, du fait de son absence, qualifiée d ' injustifiée, de la salle de soins intensifs au moment du déclenchement de l ' incendie. La requérante fut informée le même jour des accusations portées à son encontre.
13 . Toujours le 23 août 2010, le parquet décida l ' arrestation de la requérante pour une durée de vingt-quatre heures, à partir du 23 août 2010 à 18 h 10 et jusqu ' au 24 août 2010 à 18 h 10.
14 . Le 24 août 2010 entre 9 h 30 et 10 h 45, la requérante fut entendue par le parquet, en présence de son avocat. Elle déclara qu ' elle avait quitté la salle de soins intensifs d ' abord pour se rendre dans une autre salle pendant quelques minutes, puis pour se rendre aux toilettes, et ensuite dans une autre salle, que quelqu ' un avait donné l ' alerte depuis le couloir et qu ' à ce moment- là elle se trouvait dans cette dernière pièce. Elle ajouta qu ' elle en était alors sortie, s ' était dirigée vers la salle de soins intensifs, avait déverrouillé la porte, mais n ' avait pu entrer à cause de la fumée. Elle précisa qu ' aucun cadre médical n ' était entré dans la salle de soins intensifs, et que les membres du personnel médical présents étaient tous restés dans le couloir afin de prendre en charge les nouveau-nés au fur et à mesure de leur évacuation par les pompiers. Tout de suite après sa déposition, le parquet demanda au tribunal de première instance de Bucarest d ' ordonner le placement en détention provisoire de la requérante.
15. Interrogée à nouveau par le parquet le 6 septembre 2010, elle maintint ses déclarations du 24 août 2010.a) Le jugement avant dire droit du 24 août 2010
16 . Le 24 août 2010, devant le tribunal de première instance de Bucarest, la requérante réitéra ses déclarations faites le même jour auprès du procureur (paragraphe 14 ci-dessus), indiquant également que sa première déclaration (paragraphe 9 ci-dessus) était fausse et qu ' elle l ' avait faite sur la suggestion de ses collègues.
17 . Par un jugement avant dire droit du 24 août 2010, le tribunal de première instance décida le placement en détention provisoire de la requérante pour une durée de vingt-neuf jours.
18 . Pour ce faire, il examina la demande du parquet à la lumière de la jurisprudence de la Cour relative à l ' article 5 § 1 c) de la Convention, et notamment des arrêts Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni (30 août 1990, série A n o 182), Murray c. Royaume-Uni (28 octobre 1994, série A n o 300 - A), Dumont- Maliverg c. France (n os 57547/00et 68591/01, 31 mai 2005), Clooth c. Belgique (12 décembre 1991, série A n o 225), et Matznetter c. Autriche (10 novembre 1969, série A n o 10). S ' appuyant sur les preuves du dossier, il estima que les conditions requises par la loi (notamment les articles 143 et 148 f) du CPP) pour la prise de cette mesure contre la requérante étaient remplies : il y avait des raisons plausibles de soupçonner que la requérante avait commis l ' infraction dont elle était accusée, cette infraction était passible d ' une peine de prison ferme, et il existait un risque que l ' intéressée pût se soustraire aux poursuites pénales et nuire ainsi à la bonne administration de la justice.
19 . Le tribunal de première instance retint d ' abord que les preuves du dossier laissaient penser que la requérante avait manqué à ses obligations professionnelles, ce qui avait engendré des conséquences extrêmement sévères. Il nota ainsi que, malgré son obligation de surveiller en permanence la salle de soins intensifs, l ' intéressée s ' était absentée pendante douze minutes, période au cours de laquelle l ' incendie s ' était déclenché et intensifié.
20 . Ensuite, le tribunal constata que la requérante n ' avait pas entièrement fait preuve de sincérité, puisqu ' elle avait essayé, lors de sa première déclaration (en date du 17 août 2010 - paragraphe 9 ci- dessus), d ' accréditer une version des faits qui lui était plus favorable. Il nota, qui plus est, qu ' une collègue de la requérante qui avait soutenu cette version initiale avait, elle aussi, modifié sa déclaration au cours de l ' enquête et expliqué qu ' on lui avait suggéré de faire une déclaration favorable à la requérante. Le tribunal releva également qu ' une autre collègue de l ' intéressée avait refusé de donner le nom de la personne qui lui avait demandé, à elle aussi, d ' omettre certains faits dans sa déclaration.
21 . Le tribunal estima que, compte tenu, d ' une part, de la gravité des faits commis et, d ' autre part, du fort sentiment d ' insécurité ressenti par le public à la suite des événements en cause et de la désapprobation générale à l ' égard du comportement de la requérante, la mise en détention provisoire de cette dernière était justifiée par le besoin de protéger l ' ordre public reconnu par l ' article 148 f) du CPP. Il se prononça ainsi :
« En l ' espèce, le tribunal se réfère aux circonstances réelles dans lesquelles a été commise l ' infraction d ' homicide par négligence, aux conséquences [de celle-ci], au nombre de victimes, des nouveau-nés sans défense, qui se trouvaient dans une unité hospitalière spécialisée pour bénéficier de soins médicaux, au fort sentiment d ' insécurité ressenti par le public et à la désapprobation unanime quant au comportement de la requérante, qui a manqué à ses obligations professionnelles et n ' a pas assuré la surveillance des enfants qui se trouvaient le 16 août 2010 dans la salle de soins intensifs. »
22 . Le tribunal considéra enfin qu ' aucune autre mesure moins restrictive que la détention, telle que l ' obligation de ne pas quitter la ville, ne pouvait suffire dans les circonstances de l ' espèce.
b) L ' arrêt du 30 août 2010
23 . La requérante forma un recours con tre le jugement du 24 août 2010. Elle estima qu ' il n ' y avait pas d ' indices suffisants amenant à croire qu ' elle avait commis l ' infraction d ' homicide. En outre, elle argua que le sentiment d ' insécurité éventuellement ressenti par le public n ' était pas causé par ses agissements, mais plutôt par le fait qu ' un incendie avait pu se produire au sein de l ' hôpital. La requérante soutint également qu ' aucun élément concret du dossier n ' indiquait que le public ressentait un tel sentiment ou qu ' elle avait influencé les témoins ayant changé leur position au cours du procès pénal.
24 . Par un arrêt définitif du 30 août 2010, le tribunal départemental de Bucarest confirma la mesure de détention provisoire prise à l ' encontre de la requérante. Il rappela d ' abord que, selon la jurisprudence de la Cour, la détention provisoire était une mesure exceptionnelle et, réexaminant les preuves du dossier, confirma que les conditions requises par la loi pour la mise en détention de la requérante étaient réunies.
25 . Statuant sur l ' atteinte alléguée à l ' ordre public, il retint ce qui suit :
« L ' atteinte à l ' ordre public est liée non seulement aux données objectives qui justifient le placement en détention préventive, en tant que mesure exceptionnelle, mais aussi au ressenti du public. Dans cette affaire, une distinction doit se faire entre le trouble à l ' ordre public et l ' opinion publique, cette dernière étant l ' expression d ' un ressenti général sur l ' affaire qui n ' est pas dictée par les intérêts des victimes ou de l ' auteur présumé des infractions. Le juge ne doit pas être sensible ni insensible à l ' opinion publique, il ne doit pas non plus l ' ignorer, mais doit veiller à ce qu ' un juste équilibre soit atteint entre les intérêts opposés des victimes et de l ' auteur [présumé des faits], afin d ' assurer le respect à la fois des droits des intéressés et de l ' intérêt public, à l ' exclusion de tout intérêt particulier. (...)
La notion d ' ordre public, certes différente de celle d ' opinion publique, représente une réaction collective à une série de circonstances qui a un impact immédiat sur l ' opinion publique. Or [l ' affaire a eu un retentissement] médiatique immédiat, et [celui-ci] n ' a pas faibli, même après la prise de la mesure préventive la plus sévère. »
26 . Le tribunal départemental ajouta :
«
La nature de l
'
infraction prétendument commise par [la requérante], la façon dont [la requérante] a agi - en quittant la salle de soins intensifs pour une durée inacceptable, bien qu
'
elle ait entendu des bruits suspects et senti une odeur de brûlé, en sachant que les personnes de cette salle avaient besoin de soins et d
'
une surveillance particulière et permanente, compte tenu des particularités
psycho-physiques liées à leur âge, les conséquences de ses agissements étant la mort ou des blessures des personnes se trouvant sous sa responsabilité - concrétisent la gravité élevée de l
'
atteinte à l
'
ordre public des faits reprochés [à la requérante]. Dans ces conditions, la mise en liberté [de la requérante] serait perçue comme un octroi d
'
impunité et comme un manque de fermeté des autorités coercitives de l
'
É
tat, engendrant un sentiment d
'
insécurité du fait de l
'
absence de réponse ferme aux personnes soupçonnées d
'
avoir commis de telles infractions pénales.
»
c) La prolongation de la détention provisoire
27 . La détention provisoire de la requérante fut prolongée par un jugement avant dire droit rendu par le tribunal de première instance de Bucarest le 15 septembre 2010. Dans ce jugement, le tribunal rappela le risque pour l ' ordre public que représentait la mise en liberté de la requérante et estima que, si elle était remise en liberté, celle-ci pouvait tenter d ' influencer les témoins. Le tribunal utilisa les mêmes arguments que les tribunaux s ' étant antérieurement penchés sur la mise en détention de la requérante. Ce jugement avant dire droit fut confirmé, sur appel de la requérante, par un arrêt définitif du 20 septembre 2010, dans lequel le tribunal départemental constata l ' existence de raisons plausibles de maintenir la mesure, compte tenu notamment de l ' état de l ' enquête pénale. Le 21 octobre 2010, l ' intéressée fut remise en liberté.
4. La suite de la procédure pénale contre la requérante
28. Par un réquisitoire du parquet du 6 décembre 2010, long de 138 pages, la requérante et cinq autres inculpés, dont l ' hôpital Giuleşti, furent renvoyés en jugement. 29. Par un jugement du 9 juillet 2013 du tribunal de première instance de Bucarest, confirmé par l ' arrêt définitif du 2 avril 2015 de la cour d ' appel de Bucarest, la requérante fut condamnée à une peine de deux ans et deux mois d ' emprisonnement ferme. Celle-ci purgea sa peine et fut libérée le 8 février 2016.30 . L a requérante se plaignit le 15 novembre 2010 auprès du service de détention provisoire de la police et le 22 décembre 2010 auprès de l ' inspection de la police, par l ' intermédiaire de son avocat, d ' avoir été menottée et accompagnée de policiers masqués lors de son transport entre le centre de détention et les locaux du parquet et du tribunal (notamment lors de l ' audien ce du 24 août 2010 - paragraphe 16 ci - dessus). Elle adressa aussi des plaintes au Conseil supérieur de la magistrature (« le CSM » ; les 17 septembre et 11 octobre 2010), à l ' avocat du peuple roumain (les 17 septembre et 8 octobre 2010), aux commissions aux droits de l ' homme des de ux chambres du Parlement (le 17 septembre 2010) et au président de la République ( le 27 septembre 2010).
31 . En outre, l ' avocat de la requérante adressa au parquet plusieurs plaintes concernant des erreurs qui auraient été commises lors de l ' enquête, notamment concernant l ' accès au dossier d ' enquête, et le suivi médical en détention. Ces plaintes furent rejetées par le parquet (ordonnances des 23 septembre et 21 décembre 2010). À la suite d ' une plainte de l ' avocat de la requérante, le 25 octobre 2010, le procureur général du parquet près la Haute Cour de cassation et de justice confirma l ' ordonnance du 23 septembre 2010.
EN DROIT
37 . Se fondant sur les articles 5 et 6 de la Convention, la requérante considère que sa mise en détention provisoire n ' était pas justifiée et que les juridictions n ' ont pas examiné de manière correcte et approfondie ses demandes de remise en liberté.
38. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour estime que, dans les circonstances de l ' affaire, il convient d ' examiner les allégations de la requérante exclusivement sous l ' angle de l ' article 5 de la Convention (voir, mutatis mutandis , Radomilja et autres c. Croatie [GC], n os 37685/10et 22768/12, §§ 114 et 126, 20 mars 2018, et Reinprecht c. Autriche , n o 67175/01, §§ 47-55, CEDH 2005 - XII). Cet article est ainsi libellé en ses parties pertinentes en l ' espèce :« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(...)
c) s ' il a été arrêté et détenu en vue d ' être conduit devant l ' autorité judiciaire compétente, lorsqu ' il y a des raisons plausibles de soupçonner qu ' il a commis une infraction ou qu ' il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l ' empêcher de commettre une infraction ou de s ' enfuir après l ' accomplissement de celle-ci ;
(...)
2. Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu ' elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.
3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d ' être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l ' intéressé à l ' audience.
4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d ' introduire un recours devant un tribunal, afin qu ' il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
a) Le Gouvernement
39 . Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, au motif que la requérante n ' a formulé aucune plainte contre l ' ordonnance de placement en garde à vue (paragraphe 13 ci - dessus), bien que la loi, à savoir l ' article 140 1 § 1 du CPP, prévoyait expressément cette possibilité.
b) La requérante
40. La requérante rétorque que le recours hiérarchique indiqué par le Gouvernement pour qu ' elle puisse se plaindre de son arrestation n ' est pas effectif car, selon elle, le procureur général de la Haute Cour de justice et de cassation, compétent pour l ' examiner, ne jouit pas des garanties d ' indépendance et d ' impartialité requises par la jurisprudence constante de la Cour. Elle s ' appuie à cet égard sur les arrêts Vasilescu c. Roumanie (22 mai 1998, § 41, Recueil 1998 - III), et Pantea c. Roumanie , (n o 33343/96, § § 238- 239, CE DH 2003 - VI (extraits) ). Qui plus est, elle estime qu ' il était impossible d ' imaginer que le recours formulé dans la soirée aurait pu être analysé par le procureur général en temps utile (paragraphe 13 ci-dessus).a) La requérante
46
.
La requérante soutient que le procureur en charge de l
'
instruction pénale a présenté au public des fausses inf
ormations et a ainsi généré
lui-
même le sentiment d
'
insécurité qu
'
il a, selon elle, ensuite utilisé pour justifier les allégations de trouble à l
'
ordre public (paragraphe 11 ci-dessus). La requérante estime qu
'
il est contraire à l
'
esprit de la Convention et au principe de loyauté concernant l
'
activité des autorités judiciaires de tromper l
'
opinion publique sur des faits concernant un accusé afin d
'
obtenir l
'
arrestation de celui-ci en raison de la réaction négative de cette même opinion publique.
47 . En outre, elle soutient que la nature des faits commis et son comportement ne rendaient pas nécessaire sa mise en détention provisoire. Elle était accusée d ' avoir commis une infraction non intentionnelle, son casier judiciaire ne mentionnait aucun autre incident et elle n ' avait aucune possibilité de nuire à l ' enquête pénale dans la mesure où le procureur l ' avait de toute façon mise sous écoute (paragraphe 10 ci-dessus).
48. La requérante allègue également : que le tribunal n ' a pas examiné les faits dans le cadre de sa « pleine juridiction », puisqu ' il se serait contenté de vérifier uniquement l ' établissement de ces faits sans se prononcer sur leur qualification juridique ; que ni son représentant ni le tribunal n ' ont eu le temps de réellement prendre connaissance du dossier, très volumineux ; et que les juges et procureurs ont utilisé les mêmes portes pour se rendre dans la salle d ' audience et en sortir, et ce en violation du principe de l ' égalité des armes.b) Le Gouvernement
49. Le Gouvernement considère que, en ordonnant la mise et le maintien en détention provisoire de la requérante, les tribunaux ont pris en compte le danger concret pour l ' ordre public représenté par l ' intéressée, et ont donné des raisons pertinentes et suffisantes pour justifier ces mesures. Il indique qu ' ils ont ainsi établi, en se fondant sur les éléments du dossier, qu ' il existait une suspicion légitime quant à la commission par la requérante des faits dont elle était accusée. Les tribunaux ont pris en compte les circonstances concrètes dans lesquelles les actes ont été commis, les conséquences extrêmement graves des faits, ainsi que le nombre des victimes et leur qualité particulière (des nouveau-nés sans défense). De plus, le juge a tenu compte du sentiment d ' insécurité ressenti par le public et de la réaction de désapprobation de la société quant au comportement de la requérante, qui n ' a pas assuré la surveillance des enfants. Le Gouvernement ajoute que la mesure de détention provisoire était aussi justifiée par le stade auquel l ' enquête se serait trouvée (des preuves supplémentaires étaient encore recueillies par le procureur) et par l ' attitude de la requérante, qui aurait fait plusieurs déclarations contradictoires. Il estime que permettre à la requérante de rester en liberté aurait transmis un message d ' impunité et de manque de fermeté de la part des autorités, et, finalement, aurait eu pour effet de créer un sentiment d ' insécurité dans la société. 50. Enfin, le Gouvernement indique que la requérante n ' a été privée de liberté que pendant cinquante-neuf jours (soixante jours en tenant compte de la garde à vue). Il estime que, eu égard aux circonstances de l ' affaire et du stade de l ' enquête, la privation de liberté de la requérante n ' a pas dépassé des limites raisonnables, compte tenu de la nécessité de protéger l ' intérêt public.a) Principes généraux
51. La Cour se réfère aux principes généraux concernant l ' article 5 de la Convention, qui ont été réitérés dans l ' affaire Merabishvili c. Géorgie ([GC] , n o 72508/13, §§ 181-186 et 222 - 225, 28 novembre 2017 ; voir également Buzadji c. République de Moldova ([GC] , n o 23755/07, §§ 84-91, CEDH 2016, et Bivolaru c. Roumanie , n o 28796/04, §§ 94-95, 28 février 2017).
b) Application en l ' espèce de ces principes
i) Sur la violation alléguée de l ' article 5 § 1 de la Convention
52. Se tournant sur les faits de la présente affaire, la Cour constate que tout en ne contestant pas que la mise en détention préventive est légalement prévue par la législation roumaine, la requérante en conteste la nécessité ou justification dans le cas d ' espèce (paragraphes 46-47 ci-dessus). Elle constate également que, en décidant de placer la requérante en détention provisoire, le tribunal a retenu l ' existence de raisons plausibles qui laissaient penser que l ' intéressée était l ' auteur des faits reprochés (paragraphes 18 et 19 ci - dessus). Elle note en outre que la requérante a été aussitôt traduite devant un juge (paragraphe 16 ci-dessus). Il s ' ensuit que l ' arrestation de la requérante et sa mise en détention provisoire ont satisfait aux exigences de l ' article 5 § 1 de la Convention ( Merabishvili , précité , §§ 185-186). Il n ' y a donc pas eu violation de cette disposition. 53. Reste donc à savoir si les autorités ont avancé des motifs pertinents et suffisants pour légitimer la détention aux termes de l ' article 5 § 3 de la Convention ( Merabishvili , précité, §§ 222).ii) Sur la violation alléguée de l ' article 5 § 3 de la Convention
54. La Cour observe que le tribunal de première instance a pris en compte l ' existence d ' un risque de collusion parmi le personnel de l ' hôpital (paragraphe 20 ci-dessus). Toutefois le tribunal n ' a pas concrètement spécifié en quoi le danger d ' une collusion consistait. Il n ' a pas davantage expliqué quelles preuves pouvaient encore être obscurcies puisqu ' il se fia aux secondes déclarations de la requérante (paragraphe 14 ci-dessus), qualifiant celles faites auparavant de fausses (paragraphe 9 ci-dessus). 55. La Cour note ensuite que, en invoquant la nécessité d ' assurer la bonne administration de la justice et de protéger l ' ordre public , le tribunal de première instance s ' est référé de manière générale aux faits de l ' affaire, sans expliquer en quoi la situation concrète de la requérante aurait pu susciter un trouble social de nature à justifier une détention provisoire (paragraphe 21 ci-dessus). Elle relève que la requérante n ' a à aucun moment été soupçonnée d ' avoir été à l ' origine de l ' incendie ou d ' avoir intentionnellement blessé les victimes. 56. En outre, la Cour constate que, bien que le tribunal de première instance ait rejeté la possibilité d ' appliquer des mesures moins restrictives, il n ' a pas donné les raisons l ' ayant conduit à faire ce choix (paragraphe 22 ci- dessus). 57. Il est aussi à noter que les tribunaux s ' étant penchés ultérieurement sur la détention provisoire de la requérante n ' ont pas non plus montré que l ' élargissement de celle-ci troublerait réellement l ' ordre public, se contentant de faire des appréciations d ' ordre général et abstrait sur la notion d ' ordre public et sur la nature de l ' infraction imputée à la requérante (voir paragraphes 25 et 26 ci-dessus, ainsi que Smirnova c. Russie , n os 46133/99et 48183/99, § 63, CEDH 2003 - IX (extraits)). L e tribunal de première instance ayant décidé de prolonger de trente jours la détention provisoire de la requérante n ' a fait que réitérer les arguments présentés par les tribunaux antérieurs (paragraphe 27 ci- dessus). Or, la Cour rappelle avoir déjà jugé qu ' il incombe aux tribunaux internes de motiver de manière concrète, sur la base des faits pertinents, les raisons pour lesquelles l ' ordre public serait effectivement menacé dans le cas où l ' accusé comparaitrait libre. Sachant que les juridictions internes doivent respecter la présomption d ' innocence lors de l ' examen de la nécessité de prolonger la détention provisoire d ' un accusé, il convient de rappeler que le maintien en détention ne saurait servir à anticiper sur une peine privative de liberté en s ' appuyant essentiellement et de manière abstraite sur la gravité des faits commis ou le montant du préjudice (voir Tiron c. Roumanie , n o 17689/03, § 42, 7 avril 2009, et les affaires y citées ). La détention provisoire d ' un accusé doit servir les besoins de l ' enquête pénale, et non satisfaire la soif de vengeance et de punition que le public pourrait ressentir. 58. Par ailleurs, la Cour rappelle que même une période courte de détention doit être justifiée de manière convaincante par les autorités ( Idalov c. Russie [GC], n o 5826/03, § 140, 22 mai 2012). Dès lors, le fait que la détention provisoire de la requérante n ' a duré qu ' environ deux mois (du 23 août 2010 au 21 octobre 2010 - paragraphes 13 et 27 ci- dessus), ne dispense pas les autorités nationales de leur obligation de justifier correctement la prise et la prolongation de cette mesure à l ' encontre de l ' intéressée. 59. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que les raisons données par les tribunaux internes n ' étaient pas pertinentes et suffisantes en l ' espèce au sens de sa jurisprudence (voir, notamment, Buzadji , précité, § 88). 60. Il s ' ensuit qu ' il y a eu violation de l ' article 5 § 3 de la Convention.iii) Sur la violation alléguée de l ' article 5 § 4 de la Convention
61. Quant aux arguments portant sur une prétendue atteinte aux droits de la défense, la Cour constate que la requérante a été entendue par le tribunal ayant décidé sa mise en détention et qu ' elle a ainsi eu la possibilité de faire valoir tant sa position dans l ' affaire que les arguments pour sa défense (paragraphe 16 ci - dessus). Elle relève que l ' intéressée a aussi pu utiliser les voies de recours contre les décisions des tribunaux ayant statué en première instance sur sa mise en détention et sur la prolongation de sa détention provisoire (paragraphes 24 et 27 ci-dessus). 62. La Cour rappelle enfin avoir déjà jugé que le fait pour le procureur d ' avoir une place déterminée dans la salle d ' audience et les conditions offertes aux avocats pour l ' étude des dossiers ne suffisaient pas à mettre en cause l ' égalité des armes, dans la mesure où, s ' ils donnai ent au procureur une position « physique » privilégiée, ils ne plaçaient pas l ' accusé dans une situation de désavantage concret pour la défense de ses intérêts ( Blaj c. Roumanie , n o 36259/04, §§ 78-79, 8 avril 2014, Nastase c. Roumanie (déc.), n o 80563/12, § 77, 18 novembre 2014, et Diriöz c. Turquie , n o 38560/04, § 25, 31 mai 2012). Elle considère que la même conclusion s ' impose pour ce qui est des modalités d ' accès des procureurs et des juges à la salle d ' audience. 63. Il s ' ensuit qu ' il n ' y a pas eu en l ' espèce violation de l ' article 5 § 4 de la Convention.« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d ' une autorité publique dans l ' exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu ' elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale , à la sûreté publique, au bien- être économique du pays, à la défense de l ' ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d ' autrui. »
a) Le Gouvernement
66. Le Gouvernement déclare que, conformément aux dispositions du code civil en vigueur au moment des faits, la requérante aurait pu présenter une demande d ' indemnisation pour les dommages pécuniaires et non pécuniaires qu ' elle aurait subis en raison de la présence d ' images dans les médias la montrant menottée, en se fondant sur les dispositions des articles 998 et 999 du code civil en vigueur au moment des faits.b) La requérante
67 . La requérante estime qu ' elle n ' était pas tenue d ' emprunter la voie civile indiquée par le Gouvernement au motif qu ' elle avait déjà porté à l ' attention des autorités son grief tiré du port de menottes en public (paragraphe 30 ci-dessus). De plus, elle soutient que la seule voie de recours disponible à l ' époque des faits était la plainte fondée sur le décret n o 31/1954 sur les personnes physiques et morales, que la Cour a jugée non effective dans l ' affaire Rotaru c. Roumanie ([GC], n o 28341/95, §§ 39 et 70, CE DH 2000-V).
69 . Se tournant vers les faits de la présente affaire, elle constate que la requérante n ' a pas introduit de plainte à l ' encontre des médias pour atteinte à sa dignité en raison de la publication de photographies la montrant pendant le procès pénal. Elle note que, dans une série d ' affaires dirigées contre l ' État défendeur, les requérants, des journalistes, ont été condamnés au paiement de dommages et intérêts pour avoir nui à la réputation d ' autrui (voir, parmi beaucoup d ' autres, Mihaiu c. Roumanie , n o 42512 /02, § 17, 4 novembre 2008, Marin c. Roumanie , n o 30699/02, § 14, 3 février 2009, Dumitru c. Roumanie , n o 4710/04 , § 13, 1 er juin 2010, Ieremeiov c. Roumanie (n o 1) , n o 75300/01 , § 15, 24 novembre 2009, et Bugan c. Roumanie , n o 13824/06 , §§ 11-13, 12 février 2013 ; voir aussi la jurisprudence présentée par le Gouvernement dans l ' affaire Căşuneanu c. Roumanie , n o 22018/10 , § 41, 16 avril 2013). Il s ' ensuit que les articles 998 et 999 du code civil en vigueur à l ' époque des faits, présentés dans l ' affaire Căşuneanu précité e (§ 35), mettaient à la disposition de l ' intéressée un recours effectif pour porter ses allégations devant les tribunaux internes.
70. La Cour considère que la requérante n ' a présenté aucun argument susceptible de démontrer que, dans son cas particulier, ce recours n ' aurait pas été effectif. Elle rappelle que le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d ' une voie de recours donnée qui n ' est pas de toute évidence vouée à l ' échec ne constitue pas une raison valable pour ne pas exercer cette voie de recours ( Gherghina, décision précitée, § 106).71 . Il s ' ensuit que ces griefs doivent être rejetés pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l ' article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l ' octroi d ' un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l ' exercice de leurs fonctions officielles. »
a) Le Gouvernement
73. Le Gouvernement répète que les autorités nationales auraient pu évaluer et sanctionner les atteintes à l ' image de la requérante si celle-ci avait formé une action civile en se fondant sur les dispositions des articles 998 et 999 du code civil. Comme il indique l ' avoir également souligné dans ses observations faites dans l ' affaire Costiniu c. Roumanie ((déc.), n o 22016/10, 19 février 2013), il existait déjà de nombreuses actions fondées sur la responsabilité délictuelle par lesquelles les requérants se plaignaient d ' avoir subi des atteintes à leur image.b) La requérante
74. La requérante estime que le droit interne ne lui offrait aucune voie de recours effective afin de protéger ses droits garantis par l ' article 8 de la Convention.76. Aux termes de l ' article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu ' il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d ' effacer qu ' imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s ' il y a lieu, une satisfaction équitable. »
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L ' UNANIMITÉ,
a) que l ' État défendeur doit verser à la requérante , dans les trois mois, 5 000 EUR (cinq milles euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d ' impôt, pour dommage moral à convertir dans la monnaie de l ' État défendeur, au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu ' à compter de l ' expiration dudit délai et jusqu ' au versement, ce montant sera à majorer d ' un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 juillet 2019 , en application de l ' article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Andrea Tamietti
Georges Ravarani
Greffier adjoint
Président