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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> YILDIZ v. TURKEY - 66575/12 (Judgment : Article 10 - Freedom of expression-{general} : Second Section Committee) French Text [2019] ECHR 605 (03 September 2019) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2019/605.html Cite as: ECLI:CE:ECHR:2019:0903JUD006657512, CE:ECHR:2019:0903JUD006657512, [2019] ECHR 605 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE Y I LD I Z c. TURQUIE
( Requête n o 66575/12 )
ARRÊT
STRASBOURG
3 septembre 2019
Cet arrêt est définitif . Il peut subir des retouches de forme.
En l ' affaire Yıldız c. Turquie ,
La Cour européenne des droits de l ' homme ( deuxième section ), siégeant en un comité composé de :
Valeriu Griţco,
président,
Egidijus Kūris,
Darian Pavli,
juges,
et de
Hasan Bakırcı
,
greffier adjoint
d
e section
,
PROCÉDURE
1. À l ' origine de l ' affaire se trouve une requête (n o 66575/12) dirigée contre la République de Turquie et dont une ressortissante de cet État, M me Gülnaz Yıldız (« la requérante »), a saisi la Cour le 22 juin 2012 en vertu de l ' article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l ' homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). 2. La requérante a été représentée par M e S. Dursun, avocate à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent. 3. Le 8 décembre 2017 , le grief concernant l ' atteinte que la requérante estimait avoir été portée à son droit à la liberté d ' expression a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l ' article 54 § 3 du règlement de la Cour.EN FAIT
6 . Les articles pertinents, dont certains étaient consacrés aux déclarations du comité central d ' une organisation dénommée « TKEP/Leninist » ( Türkiye Komünist Emekçi Partisi / Leninist - Le parti communiste des travailleurs de Turquie / Léniniste) et d ' autres émanant de divers auteurs, ont été publiés comme suit dans différents numéros du périodique :
- le n o 65, publié le 12 avril 2006, contenait des articles portant principalement sur la nécessité d ' une révolution prolétaire et d ' une organisation de manifestations à cette fin. L ' article intitulé « Le printemps c ' est la rébellion, et la rébellion c ' est la révolution » ( Bahar isyandır, isyansa devrim ) relatait les circonstances dans lesquelles la police était intervenue lors d ' une manifestation à Istanbul et comprenait notamment les passages suivants :« aux armes contre le fascisme », « d ' un côté on faisait la guerre, de l ' autre on fabriquait des cocktails Molotov », « les manifestants luttaient comme des guérilléros », « nous avons attaqué la police et étendu la manifestation partout dans Gazi », « (...) l ' atmosphère du combat a changé avec l ' apparition de milices léninistes armées parmi les manifestants. L ' attaque armée des milices léninistes contre la police à trois endroits différents a accru la détermination du peuple de Gazi et des manifes tants à faire la guerre (...) »
- le n o 66, publié le 26 avril 2006, contenait un article intitulé « Les ouvriers, le peuple kurde, les travailleurs, les jeunes, le 1 er mai sur la place du 1 er mai » ( İşçiler, Kürt halkı, Emekçiler, Gençler, 1 Mayısta 1 Mayıs alanına ). Cet article lançait un appel à la solidarité et à la manifestation en utilisant un jargon idéologique de gauche. Il contenait notamment le passage suivant : « Vive le 1 er mai, le jour de la guerre du prolétariat contre le capitalisme, de la solidarité internationale et de l ' union » ( Yaşasın proletaryanın kapitalizme karşı savaş, enternasyonal dayanışma ve birlik günü 1 Mayıs ). - le n o 75, publié le 30 août 2006, contenait un article intitulé « Le parti des Deniz est à sa 17 e année de lutte » ( Denizler ' in partisi 17. mücadele yılında ), qui était relatif à la nécessité de mener une lutte anti-impérialiste et aux moyens idéologiques que l ' on pouvait mettre en œuvre pour combattre le capitalisme et parvenir à un système communiste. - le n o 79, publié le 30 octobre 2006, contenait un article intitulé « Le prolétariat du Kurdistan doit créer son parti communiste » ( Kürdistan proletaryası komünist partisini yaratmalıdır ), qui était relatif à l ' historique de la pensée communiste chez les Kurdes. L ' auteur de cet article indiquait que la Turquie était parvenue à occuper l ' esprit des Kurdes avec l ' idéologie capitaliste, et il défendait la nécessité pour les Kurdes de se rassembler autour de l ' idéologie communiste. Par ailleurs, l ' article intitulé « Le peuple kurde se libérera grâce à la révolution » ( Kürt Halkı devrimle özgürleşecek ) évoquait les suites possibles d ' un cessez-le-feu entre les forces de l ' ordre et le PKK. Enfin, l ' article intitulé « L ' alliance avec les puritains est une trahison envers la révolution » ( Gericilikle ittifak devrime ihanettir ) expliquait les raisons qui avaient conduit l ' auteur à penser que les Kurdes ne devraient pas faire alliance avec les religieux ultra-radicaux. - le n o 86, publié le 5 février 2007, contenait un article intitulé « La victoire obtenue dans la conscience et dans le cœur des peuples » ( Halkların bilincinde ve yüreğinde kazanılan zafer ), qui expliquait que des détenus ayant entamé un « jeûne de la mort » six ans plus tôt étaient arrivés au terme de leur épreuve et qui exposait les raisons de leur action.7 . Le 5 décembre 2008, la cour d ' assises d ' Istanbul, faisant application respectivement de l ' article 6 §§ 2 et 4 et de l ' article 7 § 2 de la loi n o 3713, reconnut la requérante coupable des infractions de publication de déclarations émanant de TKEP/Leninist à raison des articles publiés dans les n os 75 et 86 du périodique, et de propagande en faveur de ladite organisation à raison des articles publiés dans les n os 65, 66 et 79 de la revue. Elle la condamna à une peine de deux ans et onze mois d ' emprisonnement et au paiement d ' une amende judiciaire de 40 000 livres turques (TRY).
8. Le 28 février 2012, la Cour de cassation rejeta le pourvoi de la requérante et confirma la décision de première instance.9 . Le 17 juillet 2012, la cour d ' assises, prenant acte de l ' entrée en vigueur de la loi n o 6352 (paragraphe 17 ci-dessous), décida, en application de l ' article 1 provisoire de celle-ci, de surseoir à l ' exécution de la peine infligée à la requérante.
« Est puni d ' une amende de 5 à 10 millions de livres turques quiconque imprime ou publie des déclarations ou des tracts d ' organisations terroristes.
(...)
Lorsque les faits visés aux paragraphes ci-dessus sont commis par la voie des périodiques visés à l ' article 3 de la loi n o 5680 sur la presse, le propriétaire est également condamné à une amende égale à 90 % de la moyenne du chiffre des ventes du mois précédent si la fréquence de parution du périodique est inférieure à un mois, ou du chiffre des ventes réalisé par le dernier numéro du périodique si celui-ci est mensuel ou paraît moins fréquemment (...) Toutefois, l ' amende ne peut être inférieure à 50 millions de livres turques. Le rédacteur en chef du périodique est condamné à la moitié de la peine infligée au propriétaire. »
11. Après la modification introduite par la loi n o 5532 du 29 juin 2006, cette disposition était libellée comme suit :« (...)
Est puni d ' une peine d ' un an à trois ans d ' emprisonnement quiconque imprime ou publie des déclarations ou des tracts [émanant] d ' organisations terroristes.
(...)
Lorsque les faits visés aux paragraphes ci-dessus sont commis par voie de presse et de publication, les propriétaires et les rédacteurs en chef des organes de presse et de publication qui n ' ont pas participé à la commission des faits sont également condamnés à une peine de 1 000 à 10 000 jours-amende. »
12. Par un arrêt de la Cour constitutionnelle du 18 juin 2009 (dossier n o 2006/121 et arrêt n o 2009/90), les mots « les propriétaires » mentionnés au quatrième alinéa de cette disposition ont été supprimés. 13. L ' article 6 de la loi n o 3713 a subi une nouvelle modification par le biais de la loi n o 6459 du 11 avril 2013. Cet article se lit désormais comme suit :« (...)
Est puni d ' une peine d ' un an à trois ans d ' emprisonnement quiconque imprime ou publie des déclarations ou des tracts [émanant] d ' organisations terroristes qui légitiment, glorifient ou encouragent les méthodes de contrainte, de violence ou de menace.
(...)
Lorsque les faits visés aux paragraphes ci-dessus sont commis par voie de presse et de publication, les rédacteurs en chef des organes de presse et de publication qui n ' ont pas participé à la commission des faits sont également condamnés à une peine de 1 000 à 5 000 jours-amende. »
« Quiconque apporte une assistance aux organisations mentionnées [à l ' alinéa ci - dessus] et fait de la propagande en leur faveur sera condamné à une peine d ' un an à cinq ans d ' emprisonnement ainsi qu ' à une peine d ' amende de 50 millions à 100 millions de livres (...) »
15. Après avoir été modifié par la loi n o 5532, entrée en vigueur le 18 juillet 2006, l ' article 7 § 2 de la loi n o 3713 disposait ce qui suit :« Quiconque fait de la propagande en faveur d ' une organisation terroriste sera condamné à une peine d ' un an à cinq ans d ' emprisonnement (...) »
16. Depuis la modification opérée par la loi n o 6459, entrée en vigueur le 30 avril 2013, cette disposition se lit ainsi :« Quiconque fait de la propagande en faveur d ' une organisation terroriste en légitimant les méthodes de contrainte, de violence ou de menace de ce type d ' organisations, en faisant leur apologie ou en incitant à leur utilisation sera condamné à une peine d ' un an à cinq ans d ' emprisonnement (...) »
17 . La loi n o 6352, intitulée « loi portant modification de diverses lois aux fins de l ' optimisation de l ' efficacité des services judiciaires et de la suspension des procès et des peines imposées dans les affaires concernant les infractions commises par le biais de la presse et des médias » (« la loi n o 6352 »), est entrée en vigueur le 5 juillet 2012. Elle prévoit en son article 1 provisoire, alinéas 1 c) et 3, qu ' il sera sursis pendant une période de trois ans à l ' exécution de toute peine devenue définitive consistant en une amende ou en un emprisonnement inférieur à cinq ans infligée pour la commission d ' une infraction réalisée par le biais de la presse, des médias ou d ' autres moyens de communication de la pensée et de l ' opinion, à la condition que l ' infraction sanctionnée par une telle peine ait été commise avant le 31 décembre 2011.
EN DROIT
33 . Eu égard à ce qui précède, elle estime que les mesures incriminées ne répondaient pas à un besoin social impérieux, qu ' en tout état de cause elles n ' étaient pas proportionnées aux buts légitimes visés et que, de ce fait, elles n ' étaient pas nécessaires dans une société démocratique.
34. Partant, elle juge qu ' il y a eu violation de l ' article 10 de la Convention.PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L ' UNANIMITÉ,
Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 septembre 2019 , en application de l ' article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Hasan Bakırcı
Valeriu Griţco
Greffier adjoint
Président