CAMACHO CAMACHO v. SPAIN - 32914/16 (Judgment : Article 6 - Right to a fair trial : Third Section Committee) French Text [2019] ECHR 640 (24 September 2019)


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European Court of Human Rights


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2019/640.html
Cite as: ECLI:CE:ECHR:2019:0924JUD003291416, [2019] ECHR 640, CE:ECHR:2019:0924JUD003291416

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TROISIÈME SECTION

 

 

 

 

 

 

AFFAIRE CAMACHO CAMACHO c. ESPAGNE

 

( Requête n o 32914/16 )

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

STRASBOURG

 

24 septembre 2019

 

 

 

 

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

 


En l ' affaire Camacho Camacho c. Espagne ,

La Cour européenne des droits de l ' homme ( troisième section ), siégeant en un comité composé de   :

Paulo Pinto de Albuquerque, président,
Helen Keller,
María Elósegui , juges ,
et de Stephen Phillips , greffi er d e section ,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 septembre 2019 ,

Rend l ' arrêt que voici, adopté à cette date   :

PROCÉDURE

1.     À l ' origine de l ' affaire se trouve une requête (n o   32914/16) dirigée contre le Royaume d ' Espagne et dont un ressortissant de cet État, M.   Antonio Camacho Camacho   le requérant   »), a saisi la Cour le 25   mai   2016 en vertu de l ' article   34 de la Convention de sauvegarde des droits de l ' homme et des libertés fondamentales («   la Convention   »).

2.     Le requérant a été représenté par M e   D. Fernández Fernández , avocat à Madrid. Le gouvernement espagnol («   le Gouvernement   ») a été représenté par son agent, M. R.-A. León Cavero , avocat de l ' État et chef du service juridique des droits de l ' homme au ministère de la Justice.

3.     Le 9 janvier 2017 , la requête a été communiquée au Gouvernement.

4.     Le Gouvernement ne s ' est pas opposé à l ' examen de la requête par un   comité.

EN FAIT

I.     LES CIRCONSTANCES DE L ' ESPÈCE

5.     Le requérant est né en 1980 et réside à Bonavista (Tarragone).

6.     5. M e   C., avocate à Castellón , représenta l ' ex-compagne du requérant dans une procédure civile concernant la garde de leur fille. Cette dernière se termina par un jugement du 30 avril 2008 dans lequel la garde fut attribuée à la mère de la mineure.

7.     Le 7 mai 2008 M e   C. fut agressée dans un rond-point lorsqu ' elle arrêta son véhicule après s ' être rendue compte que les pneus étaient crevés. Elle fut blessée mais réussit à s ' enfuir. L ' agresseur lui vola certains objets qui étaient à l ' intérieur du véhicule, dont un sac à main avec des affaires personnelles (y compris un téléphone portable) et un porte-documents contenant des documents professionnels.

8 .     Le requérant et deux autres individus furent accusés de trois délits en rapport avec les faits décrits   : obstruction à la justice, vol avec violence et intimidation et coups et blessures (prévus aux articles 464   §   2, 237 et 242   §   1, et 147   §   1, respectivement du code pénal)

9.     Au cours de l ' audience publique qui eut lieu devant le juge pénal n o   3 de Castellón , le requérant et ses co-accusés furent interrogés. Le juge entendit de nombreux témoignages, dont certains proposés par les parties accusatrices, à savoir le ministère public et la victime. Il considéra toutefois que l ' ensemble des éléments de preuve administrés ne permettait pas de conclure que les accusés étaient les auteurs des délits en cause. Il estima que rien ne démontrait que ces derniers avaient eu connaissance du jugement de la procédure civile avant l ' agression et qu ' il n ' avait pas été établi que les accusés avaient mené une campagne de vigilance sur le bureau professionnel de la victime, qu ' ils avaient crevé les pneus de son véhicule ou qu ' ils avaient agressé la victime s ' appropriant ensuite de ses affaires. Le juge nota en outre que deux des accusés, dont le requérant, avaient un alibi fourni par un témoin crédible qui les situait dans un autre endroit au moment des faits. Par conséquent, par un jugement du 15 mars 2013 du juge pénal n o 3 de Castellón , les accusés furent acquittés car le juge ne considéra pas prouvée leur responsabilité pénale.

10.     La victime et le ministère public firent appel. Ce dernier sollicita la nullité du jugement a quo , l ' examen direct, personnel et contradictoire des accusés et de certains témoins dans une audience publique et la condamnation du requérant. Par une décision du 31 juillet 2013, l ' Audiencia   provincial de Castellón refusa de pratiquer les preuves sollicitées par le ministère public.

11.     Par un arrêt du 7 octobre 2013, l ' Audiencia provincial déclara la nullité de l ' arrêt attaqué pour erreur grave dans l ' appréciation des preuves pour ce qui est de l ' intervention du requérant aux faits de la cause et confirma l ' acquittement de ses deux co-accusés. Pour ce faire, elle accueillit partiellement l ' appel du ministère public et accepta partiellement les faits déclarés prouvés par le juge pénal, tout en enlevant la partie relative à l ' alibi du requérant et de l ' un des co-accusés dans la mesure où elle considéra douteuse la crédibilité du témoin. Elle signala aussi qu ' un autre témoin, dont la déclaration ne pouvait pas être prise en compte à cause de son lien familial avec l ' accusé, avait démontré une crédibilité remarquable. Elle nota que les indices signalaient le requérant comme ayant participé aux faits litigieux. Elle parvint à ces conclusions sans la tenue d ' une audience publique.

12.     Par conséquent, estimant que « la conviction du juge pénal, manquait de toute logique dans plusieurs points (...) [et que] le juge pénal aboutiss [ait] à des conclusions (...) absurdes et non raisonnables (...) », l ' Audiencia   provincial enjoignit ce dernier «   de réexaminer, au vu des arguments contenus dans [l ' ]arrêt, la possible participation [du requérant] (...) dans les délits [en cause], et tout ça avec liberté de critère et respect des règles de la logique, avec ratification du restant des prononcés du jugement en première instance   ». Elle renvoya donc l ' affaire devant le juge pénal n o   3 pour qu ' il rende un nouveau jugement.

13.     Par un second jugement rendu le 15 janvier 2014, le juge pénal acquitta de nouveau le requérant des délits dont il était accusé. Il réexamina les preuves au vu des conclusions de la juridiction d ' appel et il considéra qu ' il n ' y avait pas suffisamment d ' évidence de la commission des délits en cause par le requérant. Il nota que des simples «   soupçons ou conjectures ne suffis[ aient] pas pour déduire la participation [du requérant] dans la brutale agression et vol subies par [M e C.] la nuit du 7 mai 2008, même pas en tant qu ' incitateur ou coopérateur nécessaire [pour la commission desdits délits] comme l ' Audiencia Provincial le soulevait maintenant [dans son arrêt].

14.     Le ministère public fit appel. Il demanda que l ' Audiencia provincial déclare la nullité de la procédure orale ainsi que la tenue d ' un nouveau procès par un autre juge a quo . Subsidiairement, il demanda la condamnation de l ' accusé directement par l ' Audiencia provincial , moyennant l ' interrogatoire du requérant et de ses deux co-accusés et que certains témoins fussent entendus.

15.     Le requérant et le ministère public sollicitèrent et obtinrent la récusation des trois juges de l ' Audiencia provincial ayant participé à la procédure.

16.     Par une décision du 27 mai 2015, l ' Audiencia provincial nouvellement constituée rejeta les preuves proposées par le ministère public et rappela que l ' administration des preuves en appel dépendait des circonstances de chaque affaire et de la nature des questions devant être examinées.

17.     Le 15 juillet 2015 eut lieu une audience publique devant l ' Audiencia   provincial . Aucun élément de preuve ne fut administré. Le ministère public rappela que l ' interrogatoire du requérant avait été rejeté et qu ' il ne pouvait donc plus avoir lieu. À l ' audience, le représentant du requérant et le ministère public se sont limités à réitérer le contenu de leurs mémoires respectifs. À la fin de l ' audience, l ' Audiencia provincial demanda au requérant, qui était présent mais n ' avait pas été interrogé, s ' il avait des arguments additionnels pour sa défense (droit au dernier mot). Il se borna à nier sa participation aux faits de l ' espèce.

18.     Par un arrêt du 29 juillet 2015, l ' Audiencia provincial accueillit la prétention subsidiaire du ministère public et condamna le requérant du chef des trois délits en cause (paragraphe 8 ci-dessus) à des peines de prison, à une amende et à verser des indemnités à la victime. Elle nota dans son arrêt que le fait d ' avoir tenu une audience publique en appel, à la fin de laquelle l ' accusé avait eu l ' opportunité d ' être entendu sur les allégations des parties accusatrices, l ' autorisait à réviser le raisonnement suivi par le juge a quo à partir de plusieurs indices. Elle surligna qu ' elle n ' avait pas modifié les faits déclarés prouvés mais considéra que les mêmes faits considérés prouvés par le juge pénal permettaient d ' arriver à des conclusions différentes. Elle ajouta notamment les paragraphes suivants dans son arrêt   :

«   [Le requérant] fut partie dans une procédure civile devant les tribunaux de Nules , dans laquelle était en cause la garde d ' une fille née hors mariage qu ' il avait eu avec (...) M me G. Par décision du 30 avril 2008, (...) le juge de première instance n o   3 de Nules attribua la garde exclusive de la mineure à sa mère, qui avait été représentée dans cette procédure par l ' avocate [M e C].

Le [requérant] fut condamné pour délit de coups et blessures à une peine de deux ans d ' emprisonnement par un jugement du 29 mars 2004 du juge pénal n o   1 de Castellón (...) et pour un autre délit de coups et blessures à une peine de cinq mois d ' emprisonnement par un jugement du 3 mai 2005 du juge pénal n o   2 de Castellón (...).

Quand [le requérant] apprit cette décision judiciaire [dans le cadre de la procédure civile] qui était contraire à ses intérêts puis qu ' elle octroyait la garde de sa fille mineure a la mère de celle-ci (...), il trama la façon d ' exercer des représailles contre ladite avocate, et à cette fin, il se concerta avec plusieurs personnes, proches ou dépendants de lui ou employés de sa confiance, auxquelles il demanda d ' exécuter les faits décrits ci-après.

(...)

Les faits exposés ci-dessus (...) furent exécutés par des personnes dont l ' identité n ' a pas été entièrement démontrée dans la procédure, qui agissaient à tout moment sous les indications et la direction [du requérant]   ».

19.     Pour parvenir à cette conclusion, l ' Audiencia provincial examina le dossier et se référa à l ' appréciation faite dans son arrêt de 7 octobre 2013 concernant les preuves personnelles administrées devant le juge pénal, à savoir les témoignages fournis en première instance ainsi que les dépositions des accusés fournis également en première instance, y compris du requérant. Sur ce point, elle considéra qu ' il n ' y avait pas d ' obstacle pour une telle réinterprétation au motif que les faits déclarés prouvés en première instance demeuraient immuables et que l ' objet de la révision était uniquement l ' inférence effectuée par le juge a quo qui aurait considéré les indices présentés devant lui de façon isolée, sans le regarder dans l ' ensemble, ce qui lui aurait permis de parvenir à des conclusions différentes par rapport à l ' intervention du requérant aux faits de l ' espèce. La déduction du juge pénal n ' était donc pas, de l ' avis de la juridiction d ' appel, conforme aux règles de la logique et de l ' expérience.

20.     Selon l ' Audiencia provincial , il était donc possible d ' interpréter que le requérant avait planifié l ' agression de M e C. comme réaction au fait qu ' il avait été débouté dans la procédure civile portant sur la garde de sa fille, et qu ' il avait organisé, avec d ' autres personnes non identifiées qui suivaient ses indications, l ' agression contre l ' avocate de son ex-compagne. Le fait que le téléphone portable volé à M e   C. fût trouvé chez l ' un des employés co - accusés du requérant servait à établir un lien entre ce dernier et l ' agression, tout comme le fait que la victime avait reconnu la voix du requérant comme l ' un des interlocuteurs dans une conversation qui eut lieu avec ce portable. Ces indices suffisent à l ' Audiencia provincial pour conclure que, même s ' il n ' y avait pas de preuves directes de l ' intervention du requérant aux faits de la cause (ni de conversations avec de tierces personnes les incitant à commettre les délits), le requérant avait toujours eu la direction et le contrôle sur les faits.

21.     Le 1 er septembre 2015, le requérant sollicita la nullité de l ' arrêt de l ' Audiencia provincial , ce qui fut rejeté le 23 septembre 2015.

22.     Le requérant saisit alors le Tribunal constitutionnel d ' un recours d ' amparo , sur le fondement du droit à un procès équitable et à la présomption d ' innocence (article 24 de la Constitution). Par une décision du 26 janvier 2016, le recours fut déclaré irrecevable au motif que le requérant n ' avait pas satisfait à l ' obligation de démontrer que son recours revêtait une «   importance constitutionnelle spéciale   ».

II.     LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNE PERTINENTES

23.     Les parties pertinentes de l ' article 24 de la Constitution disposent comme suit   :

« 1. Toute personne a le droit d ' obtenir la protection effective des juges et des tribunaux dans l ' exercice de ses droits et intérêts légitimes, sans qu ' en aucun cas elle puisse être mise dans l ' impossibilité de se défendre.

(...)   »

24.     Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale en vigueur à l ' époque des faits, disposent comme suit   :

Article 790

«   1. L ' arrêt rendu par le juge pénal est susceptible d ' appel devant l ' Audiencia   Provincial correspondante (...)

2. Le mémoire en appel doit être présenté devant le tribunal qui rend la résolution discutée. Les allégations sur lesquelles l ' appel est fondé relatives à la violation des règles et garanties de la procédure, à des erreurs dans l ' appréciation des preuves ou à des infractions de normes du système juridique seront exposées de manière ordonnée (...)

3. Dans le mémoire de dépôt [de l ' appel], le requérant pourra demander l ' administration des moyens de preuve qu ' il ne put proposer devant la première instance ; de ceux qui furent rejetés sans motivation, à condition que [le requérant] ait formulé des objections auparavant ; et de ceux déclarés recevables mais qui ne furent pas administrés pour des raisons non imputables au requérant ».

EN DROIT

I.     SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L ' ARTICLE 6   §   1 DE LA CONVENTION

25.     Invoquant l ' article 6   §   1 de la Convention, le requérant reproche à l ' Audiencia provincial d ' avoir modifié les faits déclarés prouvés en première instance après une appréciation des preuves à caractère personnel qui, selon lui, n ' a pas respecté les principes d ' immédiateté et du contradictoire. Les parties pertinentes de la disposition invoquée prévoient que:

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

A.     Sur la recevabilité

26.     Constatant que la requête n ' est pas manifestement mal fondée au sens de l ' article   35   §   3   a) de la Convention et qu ' elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d ' irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B.     Sur le fond

1.     Thèses des parties

27.     Le Gouvernement souligne qu ' en l ' espèce, une audience publique a eu lieu devant l ' Audiencia Provincial , à laquelle ont assisté le requérant et son avocat, et que ce dernier a eu l ' occasion de soulever les arguments qu ' il a estimés nécessaires pour la défense du requérant. Il note par ailleurs que le représentant du requérant ne sollicita pas l ' interrogatoire de son client à l ' audience devant l ' Audiencia provincial et qu ' en tout état de cause, ce dernier eut la possibilité de s ' exprimer à la fin de cette dernière, sur proposition du tribunal. Par ailleurs, eu égard à la nature des questions devant être traitées, l ' Audiencia provincial décida à juste titre que l ' administration de certains éléments de preuve déjà examinés devant le juge a quo n ' était pas nécessaire. Le Gouvernement considère qu ' il s ' agit d ' une question strictement juridique et que la juridiction d ' appel s ' est limitée à rectifier la décision du juge pénal sur la base de moyens de preuve qui n ' exigeaient pas le respect du principe d ' immédiateté. Il soutient que la juridiction d ' appel n ' a supprimé des faits déclarés prouvés par le juge a quo ni ajouté de nouveaux faits mais s ' est bornée à modifier l ' inférence erronée faite par ce dernier à partir des faits prouvés.

28.     De son côté, le requérant indique que l ' Audiencia provincial modifia partiellement les faits établis par le juge pénal et non seulement les inférences juridiques et affirme que l ' appréciation des preuves n ' a pas concerné des éléments exclusivement juridiques mais que la juridiction d ' appel s ' est aussi prononcée sur des questions purement factuelles, sans entendre l ' accusé ni les témoins au cours de l ' audience en appel, afin de respecter les principes d ' oralité, d ' immédiateté et du contradictoire. Il considère que la présente cause se rapproche des arrêts Sainz   Casla   c.   Espagne [comité] (n o   18054/10, 12 novembre 2013) et Román Zurdo Roman Zurdo et autres c. Espagne (n os   28399/09et 51135/09 , 8 octobre 2013) dans la mesure où l ' existence d ' une machination ou incitation pour commettre un délit et l ' intention de vengeance ont été examinées par la juridiction d ' appel allant au-delà d ' une simple opération d ' inférence juridique. Le requérant estime que l ' Audiencia a réapprécié les preuves personnelles allant jusqu ' à la modification des faits déclarés prouvés.

2.     Appréciation de la Cour

a)     Principes généraux

29.     La Cour observe d ' une part que la problématique juridique soulevée dans la présente affaire correspond à celle examinée dans les arrêts Hernández   Royo c. Espagne , n o 16033/12, §§ 32 à 35, 20 septembre 2016, Igual Coll c. Espagne , n o 37496/04, 10 mars 2009, Marcos Barrios c.   Espagne , n o 17122/07 , 21 septembre 2010 , Vilches Coronado et autres c.   Espagne , n o 55517/14, 13 mars 2018, entre autres . Par conséquent, elle renvoie aux principes qui y sont établis.

30.     Elle rappelle, d ' autre part, que comme elle a déclaré dans l ' affaire Lacadena Calero c. Espagne ( n o 23002/07, 22 novembre 2011) lorsqu ' une instance d ' appel est amenée à connaître d ' une affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l ' innocence, elle ne peut, pour des motifs d ' équité du procès, décider de ces questions sans appréciation directe des moyens de preuve présentés en personne par l ' accusé qui soutient qu ' il n ' a pas commis l ' acte considéré comme une infraction pénale ( Dondarini c.   Saint-Marin , n o   50545/99, § 27, 6   juillet   2004, Ekbatani   c.   Suède , §   32, 26 mai 1988, série A n o   134, Constantinescu   c.   Roumanie , §   55, 27 juin 2000). Dans ce type de cas, le réexamen de la culpabilité de l ' accusé devrait conduire à une nouvelle audition intégrale des parties intéressées ( Ekbatani c. Suède , précité, §   32).

b)     Application de ces principes en l ' espèce

31.     La Cour constate qu ' une audience a eu lieu en l ' espèce devant l ' Audiencia provincial , à laquelle était présent le requérant ainsi que son représentant.

32.     Elle relève toutefois que l ' examen direct, personnel et contradictoire du requérant ainsi que de certains témoins n ' a pas eu lieu au cours de l ' audience. À cet égard, la Cour observe qu ' il avait déjà été proposé par le ministère public comme moyen de preuve à pratiquer au sein de l ' audience en appel et que l ' Audiencia provincial de Castellón l ' avait refusé dans une décision du 7 octobre 2013.

33.     Par conséquent, l ' Audiencia provincial a infirmé le jugement rendu par le juge pénal et condamné le requérant en appel sans jamais entendre contradictoirement ce dernier et sans examiner les témoins . Force est de constater que l ' Audiencia provincial a procédé à une nouvelle appréciation des éléments de fait, non seulement objectifs, mais aussi subjectifs -en l ' espèce, l ' intention du requérant de se venger de l ' avocate de son ex - compagne-. Par ailleurs, contrairement au jugement d ' instance, elle considéra prouvé que le requérant avait pris connaissance de l ' existence du jugement dans la procédure civile sur la garde de sa fille et de son résultat défavorable à ses intérêts avant l ' agression à l ' avocate de son ex-compagne. Or, la Cour observe qu ' aucune preuve figurant ni dans le dossier de la première instance ni dans celui de la juridiction d ' appel ne permettait d ' établir ce fait avec certitude. Cette conclusion ne peut donc pas être considérée une inférence et nécessite du témoignage de référence. En effet, lorsque l ' inférence d ' un tribunal a trait à des éléments subjectifs, il n ' est pas possible de procéder à l ' appréciation juridique du comportement de l ' accusé sans avoir au préalable essayé de prouver la réalité de ce comportement, ce qui implique nécessairement la vérification de l ' intention de l ' accusé par rapport aux faits qui lui sont imputés ( Lacadena Calero c. Espagne , précité, § 47).

34.     En l ' espèce, il s ' agit de l ' avis de la Cour, d ' une nouvelle appréciation des éléments subjectifs des délits en question qui se traduit en une altération des faits déclarés prouvés en première instance. Cette altération s ' est effectuée sans que le requérant ait eu l ' occasion d ' être entendu personnellement afin de contester, moyennant un examen contradictoire , la nouvelle appréciation effectuée par l ' Audiencia Provincial ( Roman Zurdo et autres c. Espagne , n os 28399/09et 51135/09 , § 39, 8   octobre 2013 ).

35.     La Cour observe en outre que l ' interprétation de l ' Audiencia   provincial mit également en doute la crédibilité d ' un des témoins qui avait exprimé un alibi en faveur du requérant et signala qu ' un autre témoin, dont la déclaration ne pouvait pas être prise en compte à cause de son lien familial avec l ' accusé, avait démontré une crédibilité remarquable. Pourtant, aucun témoin n ' a été entendu par l ' Audiencia   directement en appel, ce qui empêcha d ' apprécier leur crédibilité et de modifier les inférences faites par le juge de première   instance.

36.     À la lumière des arguments qui précèdent, la Cour conclut qu ' en l ' espèce l ' étendue de l ' examen effectué par l ' Audiencia provincial rendait nécessaire l ' audition du requérant et des témoins. Partant, il y a eu violation de l ' article 6   §   1 de la Convention.

II.     SUR L ' APPLICATION DE L ' ARTICLE   41 DE LA CONVENTION

37.     Aux termes de l ' article   41 de la Convention,

«   Si la Cour déclare qu ' il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d ' effacer qu ' imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s ' il y a lieu, une satisfaction équitable.   »

A.     Dommage

38.     Le requérant sollicite l ' annulation de l ' arrêt rendu le 29 juillet 2015 par l ' Audiencia provincial de Castellón en appel. Subsidiairement, il réclame 95   310,54 euros (EUR) pour les motifs suivants   :

39.     Premièrement, le requérant sollicite un montant de 16   800 EUR au titre du dommage matériel pour manque à gagner sur un contrat de travail qui lui aurait été offert par un cabinet d ' affaires avec un salaire de 1   400   euros mensuels à compter de février 2016, et qu ' il n ' a pas pu honorer puisqu ' il a été écroué le 1 er mars 2016.

40.     Le requérant sollicite également un montant de 63   000 euros au titre du préjudice moral qu ' il aurait subi. Il explique qu ' il est en prison depuis des années et que cela a eu des conséquences pour sa famille et a affecté non seulement sa réputation professionnelle et sociale mais pour aussi celle de sa famille.

41.     Le Gouvernement s ' oppose à cette réclamation et note que la demande de satisfaction équitable du requérant à un caractère subsidiaire pour le cas où sa condamnation pénale ne pourrait pas être annulée. Il indique que, si la Cour parvenait à une conclusion de violation de la Convention, il appartiendrait aux tribunaux internes de réviser les décisions ayant trait à l ' attribution des dépens, possibilité prévue à l ' article 954 § 3 du code de procédure pénale tel que modifié par la loi 41/2015 du 5 octobre 2015.

42.     La Cour observe que les dépens et montants à titre de responsabilité civile (paragraphe 45 ci-dessus) que le requérant a dû acquitter trouvent leur origine dans l ' arrêt de l ' Audiencia provincial , qu ' elle considère comme ayant été rendu en contradiction avec les exigences de l ' article 6 § 1 de la Convention. Elle estime que la forme la plus appropriée de redressement pour une violation de l ' article 6 § 1 consiste à faire en sorte que le requérant se retrouve autant que possible dans la situation qui aurait été la sienne si cette disposition n ' avait pas été méconnue ( Tétériny c. Russie , n o   11931/03, § 56, 30 juin 2005, Jeličić c. Bosnie-Herzégovine , n o   41183/02, § 53, CEDH   2006-XII, Mehmet et Suna Yiğit c. Turquie , n o   52658/99, § 47, 17   juillet 2007 et Atutxa Mendiola et autres c. Espagne , n o 41427/14, § 51, 13 juin 2017). Elle juge que ce principe trouve à s ' appliquer en l ' espèce. En effet, comme l ' a évoqué le Gouvernement, elle note que le droit interne prévoit la possibilité de réviser les décisions définitives déclarées contraires aux droits reconnus dans la Convention par un arrêt de la Cour.

43.     Par conséquent, elle estime que la forme la plus appropriée de redressement serait, pourvu que les requérants la demandent, la révision de la procédure conformément aux exigences de l ' article 6 § 1 de la Convention, en application des dispositions de l ' article 954 § 3 du code de procédure pénale (voir, mutatis mutandis , Gençel c. Turquie , n o   53431/99, §   27, 23   octobre 2003).

44.     En revanche, elle estime que le requérant a certes subi un préjudice moral. Eu égard aux circonstances de la cause et statuant sur une base équitable comme le veut l ' article 41 de la Convention, elle décide d ' octroyer au requérant la somme de 6 400 EUR au titre du préjudice moral

B.     Frais et dépens

45 .     Le requérant demande également le remboursement de 15   510,54   EUR qu ' il aurait encouru pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes. Il ne fournit à l ' appui qu ' une facture d ' un montant de 6   000 euros correspondant aux honoraires de son avocat pour la préparation de son recours d ' amparo devant le Tribunal Constitutionnel. Il note également qu ' il a dû verser 9   510,54 EUR à la victime des délits en tant que responsabilité civile, y compris la réparation des dommages matériels causés au véhicule de cette dernière. Cependant, la Cour considère plus approprié d ' analyser ce montant en tant que dommage matériel dans la mesure où il trouve son origine dans le dispositif de l ' arrêt de   Audiencia provincial qui l ' a condamné ( Atutxa Mendiola et autres c. Espagne , précité, § 48).

46.     Le Gouvernement sollicite le rejet de ces prétentions.

47.     S ' agissant des frais relatifs à l ' introduction du recours d ' amparo , la Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l ' espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 6   000 EUR et l ' accorde au requérant.

C.     Intérêts moratoires

48.     La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d ' intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L ' UNANIMITÉ,

1.     Déclare la requête recevable   ;

 

2.     Dit qu ' il y a eu violation de l ' article 6   §   1 de la Convention   ;

 

3.     Dit

a)     que l ' État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes   :

i.     6   400 EUR (six mille quatre cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d ' impôt, pour dommage moral   ;

ii.     6   000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d ' impôt, pour frais et dépens   ;

b)     qu ' à compter de l ' expiration dudit délai et jusqu ' au versement, ces montants seront à majorer d ' un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage   ;

 

4.     Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 septembre 2019 , en application de l ' article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stephen Phillips Paulo Pinto d e Albuquerque
Greffi er Président

 


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