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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> O.D. v. BULGARIA - 34016/18 (Judgment : Article 2 - Right to life : Fifth Section) French Text [2019] ECHR 720 (10 October 2019) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2019/720.html Cite as: [2019] ECHR 720 |
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CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE O.D. c. BULGARIE
(Requête no 34016/18)
ARRÊT
STRASBOURG
10 octobre 2019
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire O.D. c. Bulgarie,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une Chambre composée de :
Angelika Nußberger,
présidente,
Ganna Yudkivska,
Yonko Grozev,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits,
Lәtif Hüseynov,
Lado Chanturia, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 septembre 2019,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 34016/18) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant syrien, M. O.D. (« le requérant »), a saisi la Cour le 13 juillet 2018 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). En vertu de l’article 47 § 3 de son règlement, la Cour a décidé de ne pas divulguer l’identité du requérant.
2. Le requérant a été représenté par Me G. Voynov, avocat auprès du Comité Helsinki bulgare, une organisation non gouvernementale basée à Sofia. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme A. Panova, du ministère de la Justice.
3. Le 20 juillet 2018, le juge de permanence a décidé d’appliquer l’article 39 du règlement et d’indiquer au Gouvernement de ne pas expulser le requérant pour la durée de la procédure devant la Cour. Le même jour, la Cour a également décidé de traiter l’affaire en priorité (article 41 du règlement de la Cour).
4. Le 28 novembre 2018, les griefs tirés des articles 2, 3 et 13 de la Convention concernant le risque pour la vie et l’intégrité physique du requérant si l’ordre d’expulsion devait être mis à exécution, ainsi que l’existence de recours effectif à cet égard, ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1991 à Homs, en Syrie, et habite actuellement à Sofia.
A. L’arrivée du requérant en Bulgarie, la procédure pénale contre lui et sa première demande d’asile
6. Le requérant indique avoir intégré l’armée syrienne le 26 mai 2011, ayant atteint l’âge requis pour le service militaire. Il expose avoir suivi une formation professionnelle militaire au sein des divisions spéciales à Damas, notamment en vue des combats militaires en zone urbaine, pendant dix mois avant d’être transféré aux services à Alep pour trois mois. Il aurait atteint le grade de sergent. Selon certains éléments du dossier, le requérant était tireur d’élite et avait la compétence de manipuler des missiles. Le 21 juin 2012, étant en service à un point de contrôle à Alep, il aurait refusé d’exécuter l’ordre d’un officier d’ouvrir le feu sur un véhicule. Il aurait été renvoyé à la caserne et une enquête pour non-exécution d’un ordre militaire aurait immédiatement été engagée. Le requérant dit avoir déserté dans la même journée et, plus tard, avoir intégré l’Armée syrienne libre pendant neuf mois. Il aurait quitté la Syrie de manière illégale en mars 2013 et serait resté trois mois en Turquie. N’y ayant pas la possibilité de demander officiellement une protection de réfugié, il aurait décidé de le faire dans un autre pays européen. À l’aide d’un passeur, il serait arrivé en Bulgarie par la Grèce et la Macédoine du Nord[1].
7. Le 18 juin 2013, la police des douanes bulgare arrêta le requérant à la frontière bulgaro-roumaine, celui-ci n’ayant pas présenté de papiers d’identité. Une procédure pénale pour tentative de quitter le pays sans l’autorisation des autorités compétentes, une infraction prévue à l’article 279 du code pénal, fut ouverte contre le requérant. Par une décision du 21 juin 2013, le tribunal de district approuva un accord conclu entre le requérant et le procureur de district, lequel prévoyait que le requérant se reconnaisse coupable des accusations portées contre lui, qu’il renonce à être jugé et qu’il se voie infliger une peine d’emprisonnement de sept mois, assortie d’un sursis pendant trois ans, ainsi qu’une amende de 120 levs bulgares (BGN), soit environ 60 euros (EUR).
8. Le 12 août 2013, le requérant introduisit une demande d’octroi du statut de réfugié en Bulgarie. Le 21 mai 2014, l’Agence pour les réfugiés décida de suspendre la procédure au motif que le requérant ne s’était pas présenté à l’entretien auquel il avait été invité le 10 avril 2014. Par une décision distincte du 16 octobre 2014, l’Agence pour les réfugiés mit fin à la procédure, constatant qu’au cours des trois mois suivant la décision de suspension le requérant ne s’était pas présenté pour exposer les éventuels obstacles l’empêchant d’accomplir ses obligations dans le cadre de ladite procédure.
B. L’arrêté d’expulsion pris à l’encontre du requérant
9. Par un arrêté du 6 novembre 2013, l’Agence de sécurité nationale (Държавна агенция « Национална сигурност ») ordonna l’expulsion du requérant, ainsi que son interdiction du territoire pour une durée de cinq ans, au motif que sa présence sur le territoire bulgare constituait une menace pour la sécurité nationale. L’arrêté tenait compte d’une proposition administrative confidentielle enregistrée sous le no RB202001-001-03-T-6-147666 du 4 novembre 2013. Un arrêté distinct daté du même jour ordonna le placement du requérant en rétention administrative en vue de l’arrêté ordonnant l’expulsion et compte tenu du fait que le requérant n’était pas en possession de papiers d’identité.
10. Les deux arrêtés furent notifiés au requérant le 19 novembre 2013. Le même jour, le requérant fut arrêté et placé dans un centre spécialisé de rétention temporaire des étrangers. Il fut libéré le 7 janvier 2015.
11. Le requérant introduisit un recours contre l’arrêté d’expulsion et d’interdiction du territoire auprès de la Cour administrative suprême. Dans son recours, il soutenait que cet arrêté était illégal et mal fondé car, selon lui, il n’existait pas de données permettant de parvenir à la conclusion qu’il constituait une menace pour la sécurité nationale. Il arguait aussi qu’une expulsion vers la Syrie l’exposerait à un danger de mort et à des mauvais traitements compte tenu de la situation de conflit armé régnant dans ce pays. Il alléguait également qu’il n’avait pas exercé ses droits de la défense dans la mesure où il n’aurait pas eu la possibilité de prendre connaissance du contenu de la proposition administrative confidentielle, citée au paragraphe 9 ci-dessus, ni lors de la procédure administrative ni lors de la phase judiciaire. Enfin, il demandait la suspension de l’arrêté d’expulsion en attendant l’issue de la procédure.
12. Cette dernière demande fut rejetée par une formation de trois juges de la Cour administrative suprême, dans le cadre d’un examen distinct, par une décision datée du 21 mars 2014. Dans cette décision, la cour estima en particulier que le requérant n’avait pas présenté d’éléments réfutant les soupçons pesant sur lui selon lesquels il présentait une menace pour la sécurité nationale. La cour souligna également que l’arrêté en question ne définissait pas le pays de destination. Étant appelée à se prononcer sur le degré de risque encouru dans le pays de destination dans sa décision au fond, elle estima que, en l’espèce, compte tenu des allégations relatives aux menaces pour la sécurité du requérant s’il devait retourner en Syrie, celui-ci ne pouvait être expulsé vers ce pays, ce qui ne signifiait pas pour autant que l’arrêté ne pouvait être exécuté. Le 15 mai 2014, cette décision fut confirmée par une formation de cinq juges de la même cour.
13. Par un arrêt définitif du 6 août 2014, la Cour administrative suprême rejeta le recours du requérant au fond. Elle tint le raisonnement suivant :
« L’arrêté contesté (...) a été établi par un organe compétent au sens de l’article 44, alinéa 1 de la loi sur les étrangers en République de Bulgarie, en conformité avec les exigences de forme et de contenu de l’acte administratif, et en présence de motifs concrets exposés dans le dossier administratif (...).
La proposition d’imposer la mesure administrative préventive d’« expulsion » [au requérant], classifiée en conformité avec l’article 25 en relation avec l’article 28, alinéa 2, p. 3 de la loi sur la protection de l’information classifiée, constitue le fondement matériel pour l’établissement de l’acte au sens de l’article 44, alinéa 1, de la dernière proposition de la loi sur les étrangers en République de Bulgarie.
(...) En l’espèce, l’organe administratif a présenté le dossier administratif relatif à l’établissement de l’acte litigieux. Celui-ci contenait des pièces écrites non contestées par le requérant, ainsi que des photographies. Analysées dans leur ensemble, les preuves engagées établissent la présence de circonstances factuelles justifiant l’imposition des mesures administratives litigieuses.
Les allégations du requérant selon lesquelles ses droits de la défense ont été violés eu égard au refus allégué de lui accorder l’accès au dossier sont mal fondées.
Par une décision du 21 février 2014, [le requérant] s’est vu accorder une aide judiciaire sous forme de représentation juridique, et sa comparution en personne dans la procédure ainsi que l’assistance d’un interprète parlant sa langue maternelle ont été assurées. Le relevé des consultations du dossier [dans la présente affaire permet d’établir] que Maître M. a consulté le dossier classifié les 4, 6 et 7 mars, 25 et 28 avril et 6 et 10 juin 2014. De plus, le dossier classifié a également été consulté, le 6 mars 2014, par Maître A., représentante [du requérant]. Aussi les affirmations du requérant relatives au refus allégué d’accès à l’information sont-elles réfutées par les signatures de ses représentants certifiant personnellement avoir pris connaissance du dossier sans restrictions. Compte tenu de ces données, la Cour administrative suprême est d’avis que la consultation d’un dossier classifié pour des raisons liées à la sécurité nationale à huit reprises en l’espace de trois mois par des représentants différents de la personne concernée assure à celle-ci un exercice complet de ses droits de la défense.
(...) [I]l convient de tenir compte du fait que, en vertu de l’article 46, en relation avec l’article 42 de la loi sur les étrangers en République de Bulgarie, la légalité des arrêtés imposant la mesure administrative préventive d’« expulsion » (cumulée avec une « interdiction d’entrer dans le pays ») peut être contestée (...) [devant] la Cour administrative suprême. L’adoption de la loi sur les étrangers en République de Bulgarie, y compris les amendements [dont elle a fait l’objet] jusqu’à présent, marque une différence substantielle avec la loi applicable avant 1998. En effet, l’exclusion par cette dernière du recours juridictionnel contre cette catégorie d’arrêtés a conduit la Cour européenne des Droits de l’Homme à constater une [série] de violations de la [Convention].
(...) (L)’article 46, alinéa 3, prévoit que l’arrêté d’expulsion n’est pas motivé. Toutefois, comme il a été indiqué, les motifs sont exposés dans le dossier administratif ; ils reflètent la décision de l’organe administratif et offrent la possibilité au tribunal de contrôler la légalité de l’arrêté. (...)
[C]oncernant l’existence de données selon lesquelles le requérant pouvait représenter un risque pour la sécurité nationale, la cour tient compte des faits suivants :
- au cours de la procédure administrative, il a été établi, et le requérant ne le conteste pas, qu’il avait été arrêté, le 18 juin 2013, lors d’une tentative de quitter le pays de manière illégale au point du contrôle de douane « Le pont du Danube », une infraction pour laquelle il a été reconnu coupable dans le cadre [d’une procédure pénale].
(...) [Le requérant] déclare devant cette cour que l’objectif final de ses déplacements était « un pays européen quelconque ».
Il est établi, sur la base des dépositions [du requérant], que celui-ci dispose de compétences professionnelles dans la conduite d’activités militaires, et que, lors du conflit en Syrie, il avait déserté l’armée régulière et intégré l’armée syrienne libre. Il existe des données [indiquant que le requérant] est tireur d’élite et qu’il peut manipuler des missiles. [Le requérant] fait preuve d’une très bonne maîtrise de l’anglais et confirme avoir [reçu] une formation spécialisée pour participer à des combats militaires en zone urbaine (...). Il a un profil sur le réseau social « Facebook » sous le nom de [A. O. H. et O.D.].
L’analyse des éléments recueillis et les photographies trouvées sur Internet, sur lesquelles le requérant pose de manière démonstrative, porte la barbe et un uniforme militaire et tient un fusil d’assaut à la main, [le montre comme une] personne radicalement engagée dans la cause militaire de la formation djihadiste. Il apparaît, compte tenu de l’entretien avec [le requérant] et de ses déclarations auprès de cette cour, qu’il s’est fait aider par des personnes partageant les mêmes idées [que lui] en Grèce, en Turquie et en ex-République yougoslave de Macédoine (voire en Serbie (...)) afin de séjourner [dans ces pays] et de traverser les frontières de manière illégale. Ceci impose la conclusion qu’il entretient des contacts avec des personnes non identifiées, liées à sa cause et présentes dans des pays voisins de la Bulgarie.
Les circonstances décrites [ci-dessus] sont également corroborées par les dépositions faites par [A.R.], [depuis] expulsé, lors de son entretien (...). Dans ce sens, l’organe administratif a jugé que [le requérant] s’était infiltré sur le territoire de la République de Bulgarie dans le but d’arriver dans un pays membre de l’Union européenne. Pour parvenir à une telle conclusion, la loi n’exige pas l’établissement catégorique de cette circonstance, mais la présence de données suffisantes. De telles données sont présentes dans le dossier, [dont des données] confirmées par la référence à une source concrète.
Compte tenu du contexte historique de la cause, il faut tenir compte du fait que l’armée syrienne libre, pour laquelle le requérant affirme avoir déserté [de l’armée régulière], constitue un conglomérat hétérogène composé de soldats déserteurs de l’armée régulière de Bachar el-Assad ou de ceux qui, n’approuvant pas le régime, l’ont rejoint spontanément, ainsi que de diverses formations paramilitaires et groupes de combats d’organisations islamistes et terroristes. Le nombre, l’origine ethnique, la nationalité, l’idéologie ou les membres de ces derniers sont différents. L’organisation « Jabhat al-Nusra » tient un rôle dominant dans le spectre de l’opposition et se définit comme une filière de l’organisation terroriste « Al-Qaïda » en Syrie. Elle fait partie de la liste des organisations terroristes de l’ONU et des États-Unis depuis 2012.
En octobre 2011, le « Conseil national syrien » a été créé en Turquie. Il est défini comme la force d’opposition la mieux organisée pour mener des opérations contre le régime au pouvoir de Bachar el-Assad. Des processus visant l’islamisation du conflit ont commencé début 2013, avec la participation de plus en plus visible des djihadistes internationaux, sachant que le rôle premier est joué par [l’organisation] « Jabhat al‑Nusra ».
En vertu de la lettre p) de l’annexe I du Règlement d’exécution (UE) no 632/2013 de la Commission du 28 juin 2013 modifiant pour la cent quatre-vingt-quatorzième fois le règlement (CE) no 881/2002 du Conseil instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées au réseau « Al-Qaïda », l’organisation « Jabhat al-Nusra » est qualifiée dans un acte normatif d’organisation similaire à « Al-Qaida » et, par conséquent, les individus qui en sont membres ou qui sont liés à elle sont soumis aux mesures prévues dans le règlement [(CE)] no 881/2002 visant le gel des fonds et autres ressources financières et économiques.
Dans le cadre de la présente espèce et compte tenu des données opérationnelles établies par [l’Agence de sécurité nationale] indiquant l’implication du [requérant] dans l’organisation « Jabhat al-Nusra », filière de « Al-Qaïda », il convient de considérer, conformément au règlement précité, que celui-ci représente un danger pour la sécurité nationale. D’une part, le maintien [par lui] de contacts amicaux dans des zones géographiques différentes des Balkans et, d’autre part, ses compétences militaires, et surtout le contexte de son comportement (profil spécifique démontrant son intention d’utiliser ses compétences et non de fuir dans un autre pays), conduisent à la conclusion que [le requérant] n’est pas entré dans le pays en tant que réfugié, mais en tant que militaire bien formé et préparé. Il convient de noter que, lors de son entretien du 22 novembre 2013, il a indiqué avoir deux frères exerçant le métier d’ingénieur au Liban et deux sœurs en Turquie. Lors de son audition devant la présente cour à l’audience du 10 juin 2014, il a déclaré avoir deux sœurs et un frère en Turquie et un frère en Arabie Saoudite.
De plus, le fait que [le requérant] a quitté les rangs des formations de l’opposition pour entrer en Bulgarie soulève des doutes. Dans la mesure où celui-ci affirme que le fait d’avoir déserté l’armée de Bachar el-Assad et d’être passé du côté des opposants a été le résultat [de son refus d’exécuter] un ordre militaire, il n’existe pas de données indiquant pour quels motifs il a quitté les formations de l’opposition pour entrer en Bulgarie, d’autant plus que ses parents les plus proches sont établis en Turquie, [pays par lequel] il est passé [pour entrer en Bulgarie]. Il n’y a pas de données et [le requérant] ne maintient pas qu’il a interrompu ses contacts avec les structures de l’opposition en Syrie. Ceci permet de supposer qu’il a quitté le front militaire afin de transférer ses compétences et ses tâches de combat ailleurs et dans le but d’accomplir d’autres objectifs plus spécifiques.
(...)
Eu égard aux preuves recueillies, la cour estime que les circonstances exposées par l’organe coercitif administratif présentent un degré de probabilité important dans la mesure où il ne peut être conclu que les affirmations [de cet organe] sont arbitraires. Dans ce contexte, il convient également de tenir compte du fait que (...) la mesure administrative coercitive, c’est-à-dire la décision judiciaire exerçant le contrôle de légalité, ne représente pas un acte mettant fin à l’enquête conduite par les organes de la sécurité nationale à l’encontre de la personne concernée. Par conséquent, dans le cadre du contrôle judiciaire réalisé sur la légalité de l’arrêté d’expulsion, il convient surtout de prouver et d’établir [qu’il existe une] probabilité élevée que cette personne a commis/est en train de commettre des actes représentant un danger pour la sécurité nationale. Il faut clairement souligner que la décision de la juridiction administrative n’a pas le caractère d’une condamnation et n’a pas la force de la chose jugée pour ce qui est de l’aspect pénal des activités de la personne.
(...)
Il ressort des éléments du dossier (...) que [le requérant] a déposé une demande de protection auprès de l’Agence nationale pour les réfugiés. À cet égard, il faut avoir égard au fait que, en vertu de la considération 9 des motifs de la Directive 2008/115/CE, le ressortissant d’un pays tiers qui a demandé l’asile ne devrait pas être considéré comme étant en séjour irrégulier avant qu’une décision sur sa demande ne soit entrée en vigueur.
(...)
Par ailleurs, les données rassemblées dans le dossier imposent de parvenir à la conclusion que [le requérant] n’est pas entré en Bulgarie afin de chercher une protection. Cela est confirmé par le fait qu’il a demandé l’asile après son arrestation (...), [donc que son] entrée [sur le territoire bulgare] avait pour but le transit vers l’Europe de l’Ouest. De plus, il y a un manque de clarté sur la question de savoir contre quoi [le requérant] souhaite se protéger, quels sont les droits et intérêts légitimes qu’il cherche à défendre, et quelle est la menace qui pèse sur lui. Ces questions revêtent encore plus d’importance en raison du fait que [le requérant] a participé, en plus de manière volontaire, à des combats militaires, d’abord dans un camp du conflit puis dans l’autre. Dans cette situation, l’expulsion représente une mesure fondée, visant à protéger l’intérêt public, et elle n’enfreint pas à un degré inadmissible les droits garantis par la Convention européenne des Droits de l’Homme. »
C. La deuxième demande d’asile du requérant
14. Le 15 avril 2015, le requérant introduisit une nouvelle demande d’octroi du statut de réfugié et du statut humanitaire. Par une décision du 7 août 2015, l’Agence pour les réfugiés rejeta sa demande. Elle considéra que le requérant n’avait pas été contraint de quitter son pays d’origine en raison d’une menace réelle de subir des traitements tels que la peine de mort, l’exécution, la torture ou des peines ou traitements inhumains et dégradants. Elle tint compte de la déclaration du requérant selon laquelle il n’avait jamais fait l’objet d’une arrestation, d’une procédure pénale ou d’une condamnation en Syrie et qu’il n’avait pas non plus été soumis à des actes de torture ou à des traitements dégradants ou inhumains. L’agence nota cependant que le requérant avait quitté la Syrie en qualité de civil car la situation dans ce pays l’exposait à « une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence généralisée résultant d’une situation de conflit armé ». Elle nota également que, dans ces circonstances, même si le requérant ne remplissait pas les conditions pour se voir octroyer le statut de réfugié, il était éligible à l’octroi du statut humanitaire. Toutefois, le requérant ne pouvait pas non plus bénéficier de ce statut car, selon un avis du 18 juin 2015 présenté par l’Agence de sécurité nationale, il présentait une menace pour la sécurité nationale. L’Agence pour les réfugiés précisa que les déclarations du requérant sur sa participation au conflit en Syrie étaient contradictoires. Elle releva d’une part que, lors d’un entretien conduit dans le cadre de la procédure sur sa première demande d’asile, le 15 août 2013, le requérant avait expressément indiqué qu’il n’avait pas été membre de l’armée syrienne libre parce qu’il n’aurait pas voulu participer à la guerre, et nota d’autre part que, dans le cadre de la deuxième procédure, il avait dit avoir choisi de rejoindre l’organisation de l’armée libre car il aurait adhéré à ses idées et exprimé un avis de principe favorable à la révolution.
15. Le requérant forma un recours contre la décision de l’Agence pour les réfugiés auprès du tribunal administratif de Sofia. Par un jugement du 16 octobre 2015, ce tribunal confirma la décision dans sa partie concernant le refus d’octroi du statut de réfugié, l’annula dans sa partie relative au refus d’octroi du statut humanitaire et renvoya ce point pour un nouvel examen par l’agence. Cette dernière se pourvut en cassation concernant la question du statut humanitaire. Par un arrêt du 28 décembre 2016, la Cour administrative suprême annula le jugement de première instance dans la partie contestée, qu’elle renvoya pour un nouvel examen par une autre formation du tribunal administratif de Sofia.
16. Par un jugement du 8 mars 2017, ce tribunal rejeta le recours du requérant portant sur le refus de l’Agence pour les réfugiés de lui accorder le statut humanitaire. Examiné en cassation, ce jugement fut confirmé par la Cour administrative suprême par un arrêt du 23 janvier 2018. Les juridictions constatèrent que les conclusions de l’agence étaient fondées, que, par l’arrêt définitif du 6 août 2014 de cette même cour, le requérant était considéré comme présentant une menace pour la sécurité nationale et que cette circonstance justifiait, au regard de la loi applicable, le refus du statut demandé. Par ailleurs, selon ces juridictions, il n’y avait pas lieu en l’espèce d’appliquer le principe de non-refoulement parce qu’il n’était pas établi que le requérant serait exposé à des menaces pour sa vie ou sa liberté.
D. Développements ultérieurs
17. Le 19 mars 2018, l’ambassade de Syrie en Bulgarie fournit au requérant un passeport d’une durée de validité de deux ans. Le 11 avril 2018, celui-ci conclut un mariage avec une ressortissante bulgare. Le 12 octobre 2018, la direction « Migration » du ministère des Affaires intérieures retint son passeport au requérant sur le fondement de l’article 31 de la loi sur les étrangers en République de Bulgarie prévoyant la rétention temporaire des papiers d’identité autorisant les voyages à l’étranger des personnes faisant l’objet, entre autres, d’une mesure d’expulsion (paragraphe 20 ci-dessous).
18. Selon les éléments du dossier, le 4 décembre 2018, le requérant demanda à cette même direction de lui restituer son passeport. Par une lettre du 13 décembre 2018, le directeur de celle-ci répondit que, en vertu de la législation applicable, le passeport serait retenu tant que les conditions imposant son retrait resteraient valables. Il précisa que l’arrêté d’expulsion du 6 novembre 2013 était valable, qu’aucun acte de son exécution n’avait été engagé au cours des procédures de demandes d’asile du requérant et que la direction « Migration » se conformait à la décision de la Cour imposant des mesures intérimaires obligeant les autorités à ne pas exécuter cette mesure pendant la procédure devant elle. Toutefois, il indiqua que ces mesures intérimaires n’annulaient pas l’arrêté d’expulsion et ne portaient pas sur un changement du statut du requérant en Bulgarie. Il ajouta que, dès lors, le requérant était toujours considéré comme une personne séjournant en Bulgarie de manière illégale et conclut que, compte tenu de ces éléments, il n’y avait pas lieu à ce stade de lui restituer son passeport.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
19. Le droit interne applicable concernant l’asile et la protection humanitaire a été exposé dans l’arrêt Auad c. Bulgarie, no 46390/10, §§ 27‑31, 11 octobre 2011. Les dispositions applicables à la question de l’expulsion pour des motifs liés à la sécurité nationale sont résumées dans le même arrêt (idem, §§ 32-40), ainsi que dans l’arrêt M.M. c. Bulgarie, no 75832/13, §§ 24-28, 8 juin 2017.
20. Par ailleurs, la loi sur les étrangers en République de Bulgarie prévoit, dans son article 31, alinéa 1, point 4, que les papiers d’identité permettant à un étranger de quitter le pays peuvent être temporairement retenus par les organes du ministère des Affaires intérieures lorsqu’un arrêté d’expulsion est établi à son encontre. Selon l’alinéa 3 de cette disposition, les papiers d’identité sont restitués lorsque les raisons justifiant de leur retenue n’existent plus.
III. INFORMATIONS PERTINENTES RELATIVES À LA SYRIE
21. Les documents pertinents du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR) relatifs à la protection des réfugiés sont mentionnés et résumés dans l’arrêt S.K. c. Russie (no 52722/15, §§ 42‑44, 14 février 2017).
22. Une série de rapports concernant la situation en Syrie sont résumés dans l’arrêt L.M. et autres c. Russie (nos 40081/14 et 2 autres, §§ 76-81, 15 octobre 2015) pour ce qui est de l’année 2015 et de la période antérieure à celle-ci, ainsi que dans l’arrêt S.K. (précité, § 47) pour ce qui est de la période 2015‑2016.
23. La Cour relève des informations contenues dans des rapports plus récents tels que le Rapport du HCNUR intitulé « Considérations de protection internationale concernant les personnes fuyant la République Arabe Syrienne. Mise à jour V » (HCR/PC/SYR/17/01, 3 novembre 2017)
« (...) II. Principaux développements en Syrie depuis 2016
Conflit, situation sécuritaire et récents développements politiques
Malgré les efforts déployés pour réduire la violence par le biais d’accords de désescalade, presque toutes les régions de la Syrie demeurent en proie à la violence. Celle-ci se manifeste entre les différents acteurs étatiques et non étatiques dans des conflits se chevauchant partiellement et impliquant de plus en plus d’acteurs régionaux et internationaux différents (...). Le conflit en Syrie se caractérise par des violations graves du DIH et du droit international des droits de l’homme par toutes les parties au conflit.
En parallèle (...) des tentatives visant à réduire les hostilités au niveau national ou infranational, de fragiles cessez-le-feu locaux ont été négociés dans certaines zones entre le gouvernement et les groupes armés anti-gouvernementaux, ce qui aurait abouti à une baisse des combats au niveau local. Ces accords locaux sont de plus en plus accompagnés d’évacuations partielles ou complètes des combattants du gouvernement et des civils dans ces zones, vers des zones tenues principalement par des groupes armés anti-gouvernementaux dans les Gouvernorats d’Idlib et d’Alep. Dans plusieurs cas, ces accords auraient entraîné des déplacements forcés de civils. Certaines localités d’où les populations ont été évacuées, sont devenues par la suite des zones militaires vers lesquelles la population d’origine n’a pas été autorisée à retourner.
Alors que les efforts internationaux pour trouver une solution politique au conflit en Syrie n’ont toujours pas porté leurs fruits, le conflit se poursuit avec des conséquences désastreuses pour la population syrienne, avec une augmentation du nombre de pertes civiles, un déplacement à grande échelle à l’intérieur et à l’extérieur du pays, et une crise humanitaire sans précédent.
Les victimes civiles
Selon les estimations, le nombre de personnes tuées à la suite du conflit depuis 2011 varie de 109 000 à 500 000. De plus, des dizaines de milliers de Syriens seraient toujours portés disparus (...), le plus grand nombre de pertes civiles a été enregistré par le Gouvernorat d’Alep, suivi de celui de Rural Damas, Homs, Idlib, Dera’a, Deir Ez-Zour, Hama, Damas et le Gouvernorat de Raqqa. (...)
Violations et abus du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire
D’après certains rapports, les parties au conflit commettent en toute impunité des crimes de guerre, d’autres violations sérieuses du DIH et des violations sérieuses du droit international des droits de l’homme incluant des actes constitutifs de crime contre l’humanité, laissant les civils subir de plein fouet le conflit. La situation en Syrie a été décrite de la manière suivante: « un abattoir, un effondrement total de l’humanité, le sommet de l’horreur (...) ».
Les forces progouvernementales
(...) Des attaques directes et indiscriminées contre des civils et des infrastructures civiles, des installations médicales et du personnel médical, ainsi qu’à l’encontre de biens humanitaires et du personnel humanitaire, constitueraient une série de violations perpétrées par les forces progouvernementales. Selon certaines informations, les forces progouvernementales auraient utilisé des armes de manière indiscriminée, incluant de l’artillerie, des frappes aériennes, des bombes barils, des bombes incendiaires, des armes à sous-munition, et des armes chimiques. Les forces du gouvernement assiégeraient aussi certaines zones détenues par l’opposition, utilisant la famine des civils comme une arme de guerre, et soumettant régulièrement ces zones assiégées à des pilonnages et bombardements intensifs.
D’après les Nations Unies et les observateurs des droits de l’homme, les arrestations arbitraires et disparitions forcées, la détention dans des conditions mettant la vie en danger, la torture et autres formes de traitements dégradants, et les exécutions sommaires ou extra-judiciaires sont perpétrés systématiquement et à grande échelle par le Gouvernement syrien à l’encontre principalement des opposants ou de ceux perçus comme étant des opposants au Gouvernement.
Situation humanitaire
(...) Le conflit en Syrie est désormais dans sa 7ème année et la situation humanitaire continue de se détériorer (...). D’après la « Humanitarian Needs Overview » de 2017, 13.5 millions de personnes ont besoin de protection et d’aide humanitaire, dont 5.7 millions de personnes qui nécessitent une aide immédiate conditionnant leur survivre.
Les insoumis ou déserteurs des Forces Armées
(...)
Les désertions des forces armées auraient été plus fréquentes dans les premières années du conflit, mais sont depuis devenues plus rares. La désertion est répréhensible d’après le code pénal militaire de 1950 (...) et peut aboutir, en fonction des circonstances, à l’emprisonnement ou à la peine de mort. Nonobstant ces dispositions légales, d’après certains rapports, les personnes qui auraient refusé de tirer, déserté ou suspectées d’avoir planifié leur désertion n’ont généralement pas été officiellement inculpées d’une infraction. Elles auraient plutôt été soit soumises à une exécution immédiate au moment de leur désertion ou arrestation, soit fait l’objet d’une arrestation arbitraire, d’une détention incommunicado, de torture et d’exécutions extrajudiciaires, soit reçu l’ordre de retourner dans leur unité militaire après une enquête. Des rapports indiquent que les forces progouvernementales auraient ciblé des membres de la famille de déserteurs, par exemple lors de campagnes d’arrestations dans des zones considérées comme sympathisantes avec l’opposition. Les propriétés des déserteurs auraient été délibérément la cible de pillages, d’incendies et de destructions.
Le HCR considère que les personnes s’étant soustraites au service militaire ou de réserve obligatoire ou ayant déserté les forces armées, sont susceptibles d’avoir besoin de la protection internationale du fait de leur opinion politique, voire de leur opinion politique imputée, et/ou du fait d’autre motifs pertinents, dépendant des circonstances individuelles de l’affaire.
(...)
IV. Moratoire sur les Retours Forcés
Toutes les parties du territoire syrien ayant été affectées, directement ou indirectement, par un ou plusieurs conflits, le HCR appelle les Etats à ne pas retourner de force les ressortissants syriens (...). Le HCR estime également qu’il ne serait généralement pas approprié de renvoyer les nationaux (...) dans des pays voisins et non voisins de la région, à moins que des arrangements spécifiques ne soient en place garantissant que la personne concernée sera réadmise dans le pays et pourra se prévaloir à nouveau de la protection internationale. (...) »
La Cour relève également des informations contenues dans le rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante sur la Syrie du 31 janvier 2019, présenté au Conseil des droits de l’homme de l’ONU en mars 2019. Ces informations sont les suivantes. En dépit d’une baisse générale des hostilités en Syrie, les violations généralisées et l’anarchie représentent une dure réalité pour les civils. Entre juillet 2018 et janvier 2019, d’intenses combats se sont poursuivis dans le nord-ouest et l’est de la Syrie et les civils ont été les plus touchés par ceux-ci. Ces combats se sont caractérisés par des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, notamment des attaques indiscriminées, des pillages et des persécutions, y compris par des groupes armés. Les avancées des forces progouvernementales et l’accord entre la Russie et la Turquie pour instaurer une zone démilitarisée dans la région d’Idlib ont contribué à une baisse du nombre des affrontements. Pour autant, ceux-ci se sont poursuivis dans d’autres zones entre la période entre mi-juillet 2018 et mi-janvier 2019. Le rapport souligne les effets néfastes des hostilités en cours et des violations qui en résultent sur le retour durable et en toute sécurité de millions de personnes déplacées et réfugiées. Il ajoute que, après avoir repris le contrôle de Douma, de Deraa et du nord de Homs, les forces gouvernementales ont créé un climat de peur en se livrant à des arrestations et des détentions arbitraires en masse.
24. Le Gouvernement défendeur a présenté, en annexe à ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la présente requête, un document résumant des informations relatives à la situation actuelle en Syrie, de sources non précisées. Ce document fait état du positionnement et des avancées des diverses forces armées sur le territoire syrien et indique que, en dépit des accords de désescalade, la situation sécuritaire en Syrie reste instable et marquée par des hostilités et des affrontements armés.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES L’ARTICLES 2, 3 et 13 DE LA CONVENTION
25. Invoquant les articles 2 et 3 de la Convention, le requérant soutient qu’il existe un danger pour sa vie et un risque qu’il soit soumis à des traitements inhumains et dégradants s’il était expulsé, directement ou indirectement, vers son pays d’origine, la Syrie. La partie pertinente en l’espèce de l’article 2 et l’article 3 de la Convention sont libellés comme suit :
Article 2
« Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. ... »
Article 3
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Les arguments des parties
1. Le Gouvernement
26. Le Gouvernement estime que la requête est irrecevable pour tardiveté dans la mesure où la Cour administrative suprême a adopté la décision définitive dans le cadre de la procédure interne sur la mesure d’expulsion le 6 août 2014, soit plus de six mois avant la saisine de la Cour. Il estime également que la requête est manifestement mal fondée et que le requérant a perdu la qualité de victime. Il met en avant que le requérant ne subit pas les conséquences de l’arrêté d’expulsion compte tenu de la présence d’un conflit militaire en Syrie. Il considère de plus que cet arrêté n’est plus valide depuis le 6 novembre 2018, ce qui signifie selon lui que le requérant ne peut être expulsé ni vers la Syrie ni vers un autre pays.
27. Pour les mêmes motifs, le Gouvernement soutient qu’il n’existe aucun risque pour le requérant de subir des traitements contraires aux articles 2 et 3 de la Convention. Il indique en effet que l’arrêté litigieux ne mentionne pas la Syrie comme étant un pays vers lequel le requérant serait expulsé et que les autorités n’ont pas non plus l’intention de le renvoyer vers ce pays. Il estime que, dans le cadre de la procédure sur la demande de suspension de l’arrêté formulée par le requérant, les autorités nationales ont pris en compte et analysé les craintes de l’intéressé au regard de l’article 44a de la loi sur les étrangers en République de Bulgarie, laquelle reprend les principes des articles 2, 3 et 5 de la Convention. En effet, selon le Gouvernement, la Cour administrative suprême a déclaré expressément que le requérant ne pouvait être expulsé vers la Syrie (paragraphe 12 ci-dessus). Le Gouvernement ajoute que, dans le même temps, les circonstances conduisant à l’avis que le requérant pourrait agir contre la sécurité nationale en raison de sa situation et de son comportement personnel ont également fait l’objet de l’analyse conduite par les autorités nationales. Selon le Gouvernement, l’intérêt public que les autorités défendent, et qui prévaut sur les intérêts individuels, justifie que le gouvernement bulgare ne saurait être tenu responsable d’une violation de l’interdiction absolue contenue dans les dispositions examinées.
28. Par ailleurs, le Gouvernement maintient que, malgré la situation factuelle personnelle du requérant en Syrie, telle que celui-ci l’a lui-même présentée devant les autorités bulgares, il n’était pas établi dans les décisions des juridictions qu’il était réellement exposé à un risque pour sa vie, à une éventuelle persécution l’exposant à la peine de mort ou à des mauvais traitements. Le Gouvernement indique en chercher également la preuve dans le fait que le requérant a pris l’initiative de prendre contact avec la représentation diplomatique syrienne en Bulgarie en vue de se voir délivrer un passeport.
29. Cependant, le Gouvernement conclut que, en tout état de cause, l’expulsion du requérant en Syrie, si elle était effectuée ou planifiée, emporterait une violation de l’article 2, et éventuellement de l’article 3 de la Convention. Il souligne qu’il n’existe pas de données permettant de croire qu’en l’occurrence le requérant ferait l’objet d’un acte d’expulsion et que ses griefs sont donc, pour ce motif, irrecevables. Pour cette raison, le Gouvernement estime qu’il est inutile d’examiner la situation actuelle en Syrie. En tout état de cause, il joint à ses observations un document sur les informations recueillies à cet égard (paragraphe 24 ci-dessus).
2. Le requérant
30. Le requérant réplique que, pour ce qui est du délai de six mois, celui‑ci est à calculer à partir du moment où l’exécution de l’arrêté d’expulsion est devenue possible, soit le 23 janvier 2018, lorsque la Cour administrative suprême a confirmé de manière définitive le refus d’octroi du statut de réfugié et du statut humanitaire. Il déclare qu’il peut encore se prétendre victime car l’arrêté d’expulsion n’avait selon lui pas une durée de validité de cinq ans, contrairement à ce que déclare le Gouvernement. Le requérant ajoute que, compte tenu des décisions internes, aussi bien dans la procédure relative à son recours contre cet arrêté que dans celle relative à ses demandes d’asile, ainsi que de la législation applicable, le seul obstacle à l’exécution de l’arrêté sont les mesures provisoires imposées par la Cour en application de l’article 39 de son règlement.
31. Ainsi, le requérant estime que les autorités internes envisagent toujours son expulsion vers la Syrie et/ou vers un pays tiers, malgré l’interprétation des faits et du droit interne faite par le Gouvernement dans la procédure devant la Cour. Il soutient que son retour dans son pays d’origine l’exposerait à un risque de mort ou de mauvais traitements, en raison notamment de ses activités militaires précédentes dans les deux camps du conflit, de sa désertion de l’armée et de la situation d’insécurité générale en Syrie. Il considère que les autorités compétentes n’ont pas analysé le risque ainsi invoqué. Selon lui, elles se sont contentées de limiter leur examen aux soupçons quant à son éventuelle appartenance idéologique à un groupe terroriste et de conclure qu’il pouvait représenter une menace pour la sécurité nationale en raison de ses activités militaires en Syrie, ce qu’il conteste.
1. Sur la recevabilité
a) Le délai de six mois
32. Le Gouvernement objecte que le requérant n’a pas respecté la règle des six mois (paragraphe 26 ci-dessus). La Cour rappelle qu’elle a eu l’occasion de traiter une objection similaire dans deux affaires dirigées contre la Suède, P.Z. et autres et B.Z. (nos 68194/10 et 74352/11, décisions du 29 mai 2012), dans lesquelles elle a jugé ce qui suit (§§ 34 et 32 respectivement) :
« Alors que (...) la date de la décision interne définitive assurant un recours effectif constitue normalement le point de départ pour le calcul du délai de six mois, la Cour rappelle (...) que la responsabilité de l’État d’envoi découlant des articles 2 et 3 de la Convention est engagée, en règle générale, seulement au moment de la réalisation de la mesure visant à éloigner l’individu concerné de son territoire. Des dispositions spécifiques de la Convention devraient être interprétées et comprises dans le contexte d’autres dispositions, ainsi que des questions pertinentes dans un type particulier d’affaires. La Cour juge dès lors que les considérations relatives à la détermination de la date de la responsabilité de l’État d’envoi doivent s’appliquer également dans le contexte de la règle des six mois.
En d’autres termes, la date de la responsabilité de l’État sous l’angle des articles 2 et 3 correspond à la date à laquelle le délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 commence à courir pour le requérant. Si une décision d’éloignement n’a pas été exécutée et l’individu demeure sur le territoire de l’État souhaitant l’éloigner (...) le délai de six mois n’a pas encore commencé à courir. »
33. La Cour ne voit pas de raison de s’éloigner de ce raisonnement dans la présente affaire. Il convient dès lors de rejeter l’objection de tardiveté soulevée par le Gouvernement au regard de l’article 35 § 1 de la Convention.
b) Le statut de victime
34. Ensuite, le gouvernement défendeur formule une objection d’irrecevabilité tirée de l’absence de qualité de victime (paragraphe 26 ci‑dessus). Il met en avant, sans référence à la réglementation applicable, que l’arrêté d’expulsion n’est plus valide depuis le 6 novembre 2018 (paragraphe 26 ci-dessus). La Cour remarque que l’arrêté lui-même ne prévoyait pas de date limite pour l’exécution de la mesure. Elle ne peut pas non plus conclure, à la lecture de la législation nationale applicable, à l’existence d’une durée de validité d’une décision administrative d’expulsion, même si celle-ci n’a pas été exécutée (paragraphes 9 et 19 ci‑dessus, avec les références qui y sont citées). Ce constat est confirmé par la lettre de la direction « Migration » du ministère des Affaires intérieures du 13 décembre 2018 (paragraphe 18 ci‑dessus). D’ailleurs, il ressort de l’arrêté du 6 novembre 2013 que seule la mesure d’interdiction du territoire est limitée dans le temps pour le requérant, celle-ci ayant été fixée expressément à cinq ans. La Cour doit conclure, dans ces circonstances, qu’au regard du droit interne et à la lumière des documents dont elle dispose, que l’arrêté litigieux, ayant été confirmé par la Cour administrative suprême, est devenu définitif et exécutoire. Bien qu’adopté il y a plus de cinq ans, il continue à avoir une valeur juridique entière et la suspension de son effet a été expressément refusée par les autorités (paragraphe 12 ci‑dessus). De plus, le requérant ayant obtenu la délivrance d’un passeport, il peut être renvoyé vers la Syrie (paragraphe 17 ci‑dessus).
35. Partant, en dépit de la reconnaissance formulée par le Gouvernement que la réalisation de l’expulsion emporterait une violation des articles 2 et 3 de la Convention (paragraphe 29 ci-dessus), les conséquences de l’arrêté de l’expulsion ne sont pas effacées de sorte que l’on puisse considérer que le requérant ne peut plus se prétendre victime au sens de l’article 34 de la Convention. Dès lors, la Cour rejette l’objection du Gouvernement formulée à ce titre.
c) Sur l’application de l’article 37 de la Convention
36. Le Gouvernement soutient également que la requête doit être considérée irrecevable au motif qu’aucun acte de mise en œuvre de l’expulsion n’a été engagé depuis l’établissement de l’arrêté litigieux (paragraphe 29 ci-dessus). Il convient d’analyser ce point comme une demande de radiation de la requête du rôle selon l’article 37 § 1 c) de la Convention. Pour estimer qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête, la Cour doit constater qu’il ressort clairement des informations dont elle dispose que le requérant ne risque plus, ni à présent ni avant longtemps, d’être expulsé et soumis à un traitement contraire aux dispositions de la Convention, et qu’il a la possibilité de contester devant les autorités nationales, et le cas échéant devant la Cour, une éventuelle nouvelle mesure d’éloignement. La Cour a en effet toujours envisagé la question sous l’angle d’une violation potentielle de la Convention et, dans la mesure où la menace d’une telle violation disparaît ou n’est plus imminente, la poursuite de l’examen de la requête ne se justifie plus, sous réserve de l’application de l’article 37 § 1 in fine (voir, Khan c. Allemagne [GC], no 38030/12, §§ 33‑35, 21 septembre 2016, et les affaires qui y sont citées, ainsi que M.M. c. Bulgarie, précité, §§ 37-38).
37. En l’espèce, la Cour note d’abord qu’elle vient de conclure que le requérant peut encore se prétendre victime des violations alléguées en raison de l’existence à son encontre d’un arrêté d’expulsion valide et exécutable (paragraphes 34 et 35 ci-dessus).
38. Elle observe aussi que, à la suite de la mesure provisoire qu’elle a indiquée aux autorités bulgares en application de l’article 39 de son règlement, l’exécution de la mesure d’expulsion prise à l’encontre du requérant a été suspendue.
39. Devant la Cour, le Gouvernement présente des observations ambiguës quant à sa position sur l’éventuelle expulsion du requérant. D’une part, il affirme qu’aucune donnée du dossier ne permet de croire que le requérant ferait l’objet d’un acte d’expulsion et semble se référer aux informations relatant une situation générale instable en Syrie sans toutefois en tirer expressément de conclusions (paragraphe 29 ci-dessus). D’autre part, il explique que requérant ne courrait pas de risque s’il retournait dans son pays d’origine (paragraphe 28 ci-dessus). Par ailleurs, la lettre de la direction «Migration » du ministère des Affaires intérieures du 13 décembre 2018 semble évoquer comme motif de non-réalisation de l’expulsion la mesure provisoire indiquée par la Cour (paragraphe 18 ci‑dessus). Dans ces circonstances, la Cour ne peut considérer les déclarations formulées dans les observations du gouvernement défendeur comme un engagement sérieux à ne pas renvoyer le requérant vers la Syrie. Il convient en particulier de distinguer la présente affaire de l’arrêt M.M. c. Bulgarie (précité). Dans cette dernière affaire, le Gouvernement a fourni des assurances expresses pour un engagement obligatoire de non-renvoi. Il avait notamment produit des lettres formelles émanant des autorités compétentes en matière de migration indiquant précisément que la personne concernée ne ferait pas l’objet d’expulsion, et a informé que celle-ci bénéficiait d’un permis de séjour temporaire valide délivré sur la base d’un statut humanitaire accordé en raison de la situation en Syrie (M.M. c. Bulgarie, précité, §§ 33 et 34, voir aussi Khan, précité, § 37, et Boutagni c. France, no 42360/08, §§ 47-48, 18 novembre 2010, où la Cour a relevé la présence d’assurances expresses de la part des gouvernements défendeurs). Dans la présente affaire, le Gouvernement ne s’est pas formellement engagé à ne pas expulser le requérant mais a simplement émis un avis selon lequel les éléments du dossier ne faisaient pas entendre que l’expulsion en cause serait réalisée. Cet avis, formulé à l’occasion des observations dans la présente affaire, ne se fonde sur aucun acte juridique et n’est reflété dans aucun document formel contraignant, de sorte qu’il n’est pas clair s’il pouvait en soi engager les autorités responsables pour l’exécution de l’arrêté d’expulsion (Auad, précité, § 105). Par ailleurs, la Cour note que les demandes de protection subsidiaire du requérant ont été rejetées et qu’il ne bénéficie d’aucun titre régularisant son séjour en Bulgarie.
40. Enfin, la Cour note que le gouvernement défendeur n’a pas présenté d’informations permettant de s’assurer que, en cas d’exécution de la mesure d’expulsion, les autorités d’immigration prendraient toutes les garanties contre un refoulement arbitraire du requérant, y compris la possibilité d’un recours juridictionnel.
41. Compte tenu de ces considérations, la Cour conclut que le motif invoqué par le Gouvernement ne justifie pas de mettre fin à la poursuite de la requête au sens de l’article 37 § 1 c) de la Convention. Il n’y a dès lors pas lieu de rayer la requête du rôle.
d) Conclusion quant à la recevabilité
42. Constatant que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.
2. Sur le fond
43. La Cour observe d’abord que les griefs tirés des articles 2 et 3 de la Convention se confondent et qu’il convient dès lors de les examiner ensemble (K.A.B. c. Suède, no 886/11, § 67, 5 septembre 2013).
44. Les principes généraux applicables en matière d’éloignement d’étrangers au regard de l’article 3 de la Convention ont été résumés par la Cour dans l’arrêt J.K. et autres c. Suède [GC], no 59166/12, § 77-105, 23 août 2016.
45. La Cour souhaite aussi rappeler qu’elle a une conscience aiguë de l’ampleur du danger que représente le terrorisme pour la collectivité et, par conséquent, de l’importance des enjeux de la lutte antiterroriste. Elle est de même parfaitement consciente des énormes difficultés que rencontrent à notre époque les États pour protéger leur population de la violence terroriste (voir, parmi d’autres, Lawless c. Irlande (no 3), 1er juillet 1961, § 28-30, série A no 3, Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, série A no 25, Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 179, CEDH 2005‑IV, Chahal c. Royaume‑Uni, 15 novembre 1996, § 79, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 126, CEDH 2009, et A. c. Pays‑Bas, no 4900/06, § 143, 20 juillet 2010). Devant une telle menace, elle considère qu’il est légitime que les États contractants fassent preuve d’une grande fermeté à l’égard de ceux qui contribuent à des actes de terrorisme, qu’elle ne saurait en aucun cas cautionner (Daoudi c. France, no 19576/08, § 65, 3 décembre 2009, Boutagni c. France, no 42360/08, § 45, 18 novembre 2010, Auad, précité, § 95, et A.M. c. France, no 12148/18, § 112, 29 avril 2019).
46. Il convient toutefois de rappeler que la Cour a affirmé que la protection offerte par l’article 3 de la Convention présentant un caractère absolu, pour qu’un éloignement forcé envisagé soit contraire à la Convention, la condition nécessaire – et suffisante – est que le risque pour la personne concernée de subir dans le pays de destination des traitements interdits par l’article 3 soit réel et fondé sur des motifs sérieux et avérés, même lorsqu’elle est considérée comme présentant une menace pour la sécurité nationale pour l’État contractant (Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, §§ 140-141, CEDH 2008, et Auad, précité, § 100). En d’autres termes, il n’est pas nécessaire que la Cour examine les affirmations selon lesquelles un requérant serait impliqué dans des activités terroristes, car cet aspect des choses n’est pas pertinent dans le cadre de l’analyse sur le terrain de l’article 3, au regard de la jurisprudence actuelle (Ismoïlov et autres c. Russie, no 2947/06, § 126, 24 avril 2008, et Auad, précité, § 101).
47. En relation avec ce dernier point, la Cour se doit d’observer de suite que toute considération en l’espèce portant sur la question de savoir si le requérant présente un risque pour la sécurité nationale de la Bulgarie est à écarter dans l’analyse des griefs soumis, contrairement aux arguments avancés par le Gouvernement à cet égard (paragraphe 27 ci-dessus). Le point crucial consiste à établir s’il a été démontré en l’occurrence qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que le requérant risque d’être exposé à des mauvais traitements ou à la mort si l’arrêté d’expulsion devait être exécuté (Auad, précité, § 101). Pour ce faire, la Cour tiendra compte de l’ensemble des éléments fournis par les parties et de ceux qu’elle s’est procurés d’office (Hirsi Jamaa et autres c. Italie [GC], no 27765/09, § 116, CEDH 2012.
48. Les allégations du requérant dans la présente affaire sont motivées par le contexte du conflit armé en Syrie, en cours à l’époque de la procédure sur son recours contre l’arrêté d’expulsion du 6 novembre 2013. Il soutient que, en cas de retour dans ce pays, il risquait de subir des traitements contraires aux articles 2 et 3 de la Convention, d’une part en raison de la situation de violence générale et, d’autre part, à cause de son implication passée dans les deux principaux camps du conflit et de sa désertion de l’armée du gouvernement (paragraphe 31 ci-dessus).
49. Si le requérant n’a pas encore été expulsé, la date à retenir pour l’appréciation doit être celle de l’examen de l’affaire devant la Cour (Chahal, précité, § 86). Dès lors que la responsabilité que l’article 3 de la Convention fait peser sur les États contractants dans les affaires de cette nature tient à l’acte consistant à exposer un individu au risque de subir des mauvais traitements, l’existence de ce risque doit s’apprécier principalement par référence aux circonstances dont l’État en cause avait ou devait avoir connaissance au moment de l’expulsion. L’appréciation doit se concentrer sur les conséquences prévisibles de l’expulsion du requérant vers le pays de destination, compte tenu de la situation générale dans ce pays et des circonstances propres à l’intéressé (J.K. et autres c. Suède, précité, § 83, et les affaires qui y sont citées). Quant à l’analyse du risque encouru par le requérant faite par les juridictions internes, la Cour se prononcera sur ce point sous l’angle de l’article 13 de la Convention (paragraphes 63-66 ci‑dessous).
50. Par ailleurs, dans l’arrêt L.M. et autres c. Russie (nos 40081/14 et 2 autres, 15 octobre 2015), la Cour s’est prononcée comme suit :
« La Cour note qu’une situation de violence générale n’emportera normalement pas en soi une violation de l’article 3 en cas d’expulsion (H.L.R. c. France, 29 avril 1997, § 41, Recueil des arrêts et décisions 1997‑III) ; toutefois, elle n’a jamais écarté la possibilité qu’une situation générale de violence dans le pays de destination pourrait avoir un degré d’intensité suffisant tel que tout renvoi vers lui emporterait nécessairement une atteinte à l’article 3 de la Convention. Toutefois, la Cour adopterait une telle approche uniquement dans les cas de violence générale les plus extrêmes, où l’individu encourt un risque réel de mauvais traitement du seul fait qu’un retour l’exposait à une telle violence (NA. c. Royaume-Uni, no 25904/07, § 115, 17 juillet 2008). »
51. Dans cet arrêt, la Cour a analysé des griefs similaires à ceux présentés dans la présente espèce concernant la situation en Syrie et a jugé que les circonstances entourant l’affaire (L.M. et autres c. Russie, précité, §§ 123‑126) faisaient apparaître une violation des articles 2 et 3 de la Convention. La Cour a noté qu’à l’époque de cet examen, en 2015, elle n’avait pas encore adopté d’arrêt portant une appréciation sur les allégations de risque lié à un danger de mort ou à des mauvais traitements dans le contexte du conflit en Syrie. Ceci était certainement dû en partie au fait que, tel qu’il ressort des documents pertinents du HCNUR, la plupart des pays européens ne procédaient pas à des renvois forcés vers la Syrie. Dans l’arrêt plus récent S.K. c. Russie (no 52722/15, 14 février 2017), la Cour a observé, sur la base des documents pertinents relatifs à la situation en Syrie et postérieurs à l’arrêt L.M. et autres c. Russie, précité, que la sécurité et la situation humanitaire, ainsi que la nature et la portée des hostilités en Syrie s’étaient dramatiquement détériorées entre 2011 et début 2016. De plus, les rapports disponibles faisaient état d’usage systématique de la force de la part des parties au conflit, ainsi que d’attaques systématiques envers la population civile ou les bâtiments civils, malgré les cessations des hostilités signées en février 2016. Sur la base de ces éléments, la Cour a considéré, à l’instar de l’affaire L.M. et autres c. Russie, précitée, que le renvoi de la personne concernée vers la Syrie constituerait une violation des articles 2 et 3 de la Convention.
52. Eu égard à ces constats, il convient de vérifier les informations sur la situation générale en Syrie lors des circonstances de la présente espèce et au moment de l’examen de l’affaire par la Cour. À cet égard, il est à noter que le Gouvernement présente des observations contradictoires pour ce qui est de l’existence d’un risque pour le requérant dans son pays d’origine. D’une part, le Gouvernement semble affirmer que rien dans le dossier ne démontre que l’histoire du requérant peut être à l’origine d’un risque sérieux pour l’intéressé de se voir poursuivre pénalement ou traiter en violation des dispositions de la Convention. D’autre part, il reconnaît, en s’appuyant sur la décision de la Cour administrative suprême adoptée à la suite de la demande de suspension de l’exécution de l’arrêté litigieux, que le requérant ne pouvait être renvoyé vers la Syrie, ainsi que sur les informations relatives à la situation actuelle dans ce pays qu’il a recueillies, que, si ce renvoi était réalisé, il y aurait une violation de l’article 3 de la Convention, et éventuellement de l’article 2 (paragraphes 12, 27 et 29). Par ailleurs, l’Agence pour les réfugiés, alors qu’elle examinait les demandes de statut de protection du requérant, a admis que la situation était grave et généralisée en Syrie (paragraphe 14 ci-dessus). Ainsi, la Cour estime que les décisions de l’Agence pour les réfugiés et de la Cour administrative suprême ainsi que les observations du Gouvernement dans le cadre de la présente procédure peuvent être compris comme admettant que la situation générale en Syrie est de nature à justifier une protection sur le terrain des deux dispositions précitées (J.K. et autres c. Suède, précité, § 83, concernant la charge de la preuve pesant sur le gouvernement défendeur pour l’évaluation de la situation générale dans un pays donné).
53. Ces éléments ne peuvent être considérés isolément et la Cour doit les confronter aux informations par ailleurs disponibles sur la situation en Syrie (voir, mutatis mutandis, Auad, précité, §§ 102-103). À cet égard, compte tenu de ses constats à l’occasion de l’affaire S.K. (arrêt précité, §§ 60-61) et des informations pertinentes récentes qu’elle a obtenues, la Cour observe, pour sa part, que la sécurité et la situation humanitaire, ainsi que la nature et la portée des hostilités en Syrie, ont subi une détérioration dramatique durant la période comprise entre l’arrivée du requérant en Bulgarie en juin 2013 et l’arrêt définitif confirmant l’arrêté d’expulsion en août 2014, mais aussi entre cette dernière date et le refus d’octroi d’une protection à l’intéressé (paragraphes 21-23 ci‑dessus). De plus, cette situation semble perdurer à ce jour.
54. En effet, sur le plan du contexte général, les éléments d’information disponibles contiennent les indications suivantes : malgré une baisse générale des hostilités, les parties au conflit poursuivent d’intenses combats et se livrent à des attaques indiscriminées, y compris envers la population civile et les infrastructures civiles, à des pillages et à des persécutions. Face à cette situation, en novembre 2017, le HCNUR a lancé un appel général aux États de ne pas procéder au renvoi forcé des ressortissants syriens eu égard au fait que toutes les régions du pays sont affectées, directement ou indirectement, par un ou plusieurs conflits (paragraphe 23 ci-dessus). De plus, des arrestations et des détentions arbitraires de masse ont eu lieu encore récemment, début 2019, près de Homs, la ville d’origine du requérant. Pour ce qui est du risque individuel auquel le requérant est exposé, la Cour note que celui-ci craint des mauvais traitements en raison de sa désertion alléguée de l’armée syrienne. Elle observe aussi que rien dans les décisions internes et les observations du Gouvernement n’indique que les autorités bulgares estiment la version du requérant comme non crédible. Tenant compte de cet élément, la Cour doit remarquer tout particulièrement l’existence de pratiques d’exécution, de détention arbitraire ou des mauvais traitements à l’égard des personnes ayant déserté l’armée ou ayant refusé d’exécuter des ordres de tir (paragraphes 22 et 23 ci-dessus). Enfin, cette analyse quant au risque individuel encouru par le requérant en Syrie a été opérée par la Cour administrative suprême dans ses décisions du 21 mars 2014 et du 15 mai 2014 (paragraphe 12 ci-dessus), ainsi que par le Gouvernement dans ses observations en l’espèce (paragraphe 27 ci-dessus).
55. La Cour estime, à la lumière du contexte décrit ci-dessus, qu’il ne peut être établi, eu égard aux allégations du requérant selon lesquelles il subirait des mauvais traitements en raison de sa désertion de l’armée, que celui-ci peut retourner en Syrie, dans la ville de Homs ou ailleurs dans le pays, en sécurité.
56. Elle conclut que le renvoi du requérant de la Bulgarie vers la Syrie, sur le fondement de l’arrêté d’expulsion du 6 novembre 2013, confirmé par la Cour administrative suprême le 6 août 2014, s’il était effectué, emporterait une violation des articles 2 et 3 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION, COMBINÉ AVEC LES ARTICLES 2 ET 3
57. Au regard de l’article 13 de la Convention, le requérant dénonce l’absence en droit bulgare de voies de recours effectives pour remédier à ses griefs tirés des articles 2 et 3. L’article 13 se lit comme suit :
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
A. Les arguments des parties
58. Le Gouvernement expose que le requérant a pu bénéficier pleinement d’un recours au sens de l’article 13 de la Convention pour faire protéger ses droits découlant des articles 2 et 3, aussi bien dans le cadre de la procédure juridictionnelle relative à l’arrêté d’expulsion que dans le cadre de celle relative à sa demande d’octroi du statut de réfugié ou du statut humanitaire. Dans les deux procédures, les tribunaux ont examiné en détail la situation personnelle du requérant compte tenu du risque allégué par ce dernier d’être tué ou de subir des mauvais traitements dans son pays d’origine. Le requérant a eu accès à l’assistance juridique et à une interprétation vers sa langue maternelle, il a pu participer personnellement aux procédures et, enfin, il a pu consulter le dossier, même sa partie classifiée, et présenter ses arguments. Les tribunaux ont analysé les allégations du requérant dans le contexte des données opératives établies par l’Agence pour la sécurité nationale, selon lesquelles il existait des soupçons que ce dernier faisait partie de l’organisation « Jabhat al-Nusra », une organisation elle-même affiliée à « Al-Qaïda ». Faisant leur propre évaluation des faits et des éléments du dossier, les deux formations de la Cour administrative suprême ayant statué sur l’arrêté d’expulsion et sur la demande de protection ont conclu que le requérant présentait une menace pour la sécurité nationale, un constat qu’il n’avait pas réfuté lors des procédures, et que ce point avait revêtu une importance décisive pour rejeter les recours du requérant. Ainsi, la mesure engagée à l’encontre de l’intéressé était fondée et justifiée par l’intérêt public et elle a pu être contrôlée dans le cadre des recours précités, qui offraient toutes les garanties contre l’arbitraire, à la différence des affaires précédentes dans lesquelles la Cour avait constaté une violation de l’article 13 de la Convention. Le Gouvernement renvoie à cet égard à une série d’arrêts constatant une violation de cette disposition, en combinaison avec l’article 8, ainsi qu’à l’arrêt M. et autres c. Bulgarie, dans lequel la Cour a conclu à la violation de l’article 13, examiné ensemble avec l’article 3 (no 41416/08, 26 juillet 2011).
59. Le requérant répond que, même s’il a pu formellement contester l’arrêté d’expulsion et le refus d’octroi de protection, les autorités judiciaires n’ont pas véritablement examiné la question du risque encouru s’il devait retourner en Syrie. Même si, au cours de la procédure relative à la mesure d’expulsion, la Cour administrative suprême a admis, dans sa décision du 21 mars 2014, que le requérant ne pouvait être expulsé vers la Syrie, elle n’a pas ordonné la suspension de la mesure. Qui plus est, la même cour, dans sa décision au fond du 6 août 2014, n’a pas examiné la situation dans le pays d’origine du requérant et s’est contentée de dire que les risques encourus par ce dernier n’avait pas été précisés et qu’il ne correspondait pas au profil de réfugié. Quant à la procédure sur la demande de protection, même si ladite cour a constaté un risque pour le requérant en cas de retour dans son pays en qualité de civil, elle a tenu compte des constats établis dans la procédure sur l’expulsion et n’a pas examiné les risques réellement encourus par l’intéressé en tant qu’ancien combattant ayant déserté l’armée. Ainsi, elle n’a pas pris une décision faisant obstacle à la réalisation de la mesure d’expulsion.
B. L’analyse de la Cour
60. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
61. Concernant le fond du grief, compte tenu de ses constats dans les paragraphes 48-56 ci-dessus, la Cour estime que les griefs du requérant sont défendables, de sorte que ce dernier avait le droit à un recours effectif à cet égard. L’effectivité d’un recours dans de telles circonstances comprend deux éléments. D’abord, elle demande impérativement un contrôle attentif, indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l’article 3 (M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, § 293, CEDH 2011, et les affaires qui y sont citées, et Auad, précité, § 120). Cet examen ne doit pas tenir compte de ce que l’intéressé a pu faire pour justifier une expulsion ni de la menace à la sécurité nationale éventuellement perçue par l’État qui expulse (Chahal, précité, § 151). La deuxième exigence requiert que les intéressés disposent d’un recours de plein droit suspensif (Auad, précité, § 120, et les affaires qui y sont citées). Ainsi, la Cour précise que, contrairement à ce que suggère le Gouvernement (paragraphe 58 ci-dessus), il s’agit d’un contrôle différent de celui requis sous l’angle de l’article 8 de la Convention. Il n’est dès lors pas pertinent, en l’occurrence, d’établir si la Cour administrative suprême a soumis l’affirmation que le requérant représente une menace pour la sécurité nationale à un véritable examen ou si elle a opéré un contrôle de proportionnalité de l’expulsion (C.G. et autres c. Bulgarie, no 1365/07, §§ 60-64, 24 avril 2008, et Raza c. Bulgarie, no 31465/08, § 63, 11 février 2010).
62. La Cour rappelle ensuite que, dans l’affaire Auad précitée, elle a conclu que la procédure sur l’arrêté d’expulsion du requérant ne pouvait être vue comme un recours effectif pour des allégations tirées de l’article 3 de la Convention. Elle a tenu compte, notamment, du refus de la Cour administrative suprême d’examiner la question du risque, considérant que celle-ci n’était pas pertinente, ainsi que de l’absence en droit interne d’un effet suspensif automatique des arrêtés d’expulsion fondés sur un motif lié à la protection de la sécurité nationale (Auad, précité, § 121).
63. Dans la présente affaire, la Cour observe que, dans son arrêt du 6 août 2014, la Cour administrative suprême a analysé essentiellement les constats de l’Agence pour la sécurité nationale et le respect du droit national dans l’établissement de l’arrêté d’expulsion. En revanche, elle ne s’est pas penchée sur le risque évoqué par le requérant, se limitant à dire que les menaces encourues par le requérant et les droits qu’il cherchait à protéger n’étaient pas clairs (paragraphe 13 ci-dessus). Ainsi, elle ne s’est pas livrée à une évaluation de la situation générale en Syrie, alors même que la décision de cette même cour sur la demande de suspension de l’exécution de l’arrêté d’expulsion suggérait qu’une telle évaluation devait être réalisée dans le cadre de l’examen au fond (paragraphe 12 ci-dessus). De même, la Cour note que, la législation applicable n’ayant pas été modifiée depuis l’arrêt Auad précité, le requérant n’a pas bénéficié d’un effet suspensif sur la mesure d’expulsion dans le cadre de la procédure judiciaire. Quoi qu’il en soit, la suspension demandée par le requérant a été rejetée, notamment au motif que ce dernier représentait une menace pour la sécurité nationale (paragraphe 12 ci‑dessus).
64. Pour ce qui est de la procédure sur la demande d’octroi du statut de réfugié ou du statut humanitaire, il est vrai que, en cas d’issue favorable pour le requérant, celui-ci aurait été protégé contre une éventuelle expulsion. Toutefois, cette procédure n’avait pas pour but de contrôler la légalité de l’arrêté de l’expulsion, ni son effet dans le contexte des griefs tirés des articles 2 et 3 de la Convention. En tout état de cause, il convient d’observer que, en l’occurrence, la Cour administrative suprême, tout en notant l’existence d’une situation grave et généralisée en Syrie, a appliqué la législation nationale selon laquelle l’argument lié à la menace pour la sécurité nationale prévalait sur la présence d’une situation de risque dans le pays de destination pour fonder sa décision de refus d’octroi du statut. Ce recours n’était donc pas à même, en l’espèce, de trancher la question du risque.
65. La Cour note par ailleurs que le Gouvernement n’invoque pas d’autres recours disponibles en droit bulgare à cet effet. Elle observe que, selon la législation en l’état actuel, le requérant n’aurait pas pu obtenir autrement un examen effectif de ces griefs tirés des articles 2 et 3 de la Convention (Auad, précité, § 122).
66. Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 13 de la Convention à cet égard.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR
67. La Cour rappelle que, conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, le présent arrêt deviendra définitif : a) lorsque les parties déclareront qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ; ou b) trois mois après la date de l’arrêt, si le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre n’a pas été demandé ; ou c) lorsque le collège de la Grande Chambre rejettera la demande de renvoi formulée en application de l’article 43.
68. Elle considère que les mesures qu’elle a indiquées au Gouvernement en application de l’article 39 de son règlement (paragraphe 3 ci-dessus) doivent demeurer en vigueur jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard (voir dispositif).
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
69. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
70. Le requérant réclame 20 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subi en raison des violations alléguées des articles 2, 3 et 13 de la Convention. Il précise que le risque de se voir expulser en Syrie a créé chez lui un sentiment d’angoisse, de peur et d’impuissance.
71. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
72. La Cour observe que les violations des articles 2 et 3 de la Convention n’ont pas encore eu lieu en l’espèce. Dans cette situation, elle estime que le constat que l’expulsion, si elle était menée à exécution, constituerait une violation de ces dispositions, représente une satisfaction équitable suffisante. Il en est de même pour les conclusions au regard de l’article 13 de la Convention (Auad, précité, § 144, et les affaires qui y sont citées).
B. Frais et dépens
73. Le requérant demande également 5 600 EUR pour les frais et dépens qu’il dit avoir engagés devant les juridictions internes et la Cour. Il explique que ce montant correspond aux frais de conseil et de représentation, y compris des frais administratifs, pour un total de 80 heures de travail rémunérées 70 EUR l’heure. Il demande par ailleurs que le montant octroyé par la Cour soit versé directement sur le compte bancaire du Comité Helsinki bulgare.
74. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
75. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 2 500 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.
C. Intérêts moratoires
76. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Décide de continuer à indiquer au Gouvernement, en application de l’article 39 de son règlement, qu’il est souhaitable, dans l’intérêt du bon déroulement de la procédure, de ne pas expulser le requérant jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard ;
3. Dit que le renvoi du requérant de la Bulgarie vers la Syrie, sur le fondement de l’arrêté d’expulsion du 6 novembre 2013, confirmé par la Cour administrative suprême le 6 août 2014, s’il était effectué, emporterait une violation des articles 2 et 3 de la Convention ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13, combiné avec les articles 2 et 3 de la Convention ;
5. Dit que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;
6. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens, à convertir en levs bulgares, au taux applicable à la date du règlement, à verser sur le compte bancaire du Comité Helsinki bulgare ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 octobre 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Claudia Westerdiek Angelika Nußberger
Greffière Présidente