BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?

No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!



BAILII [Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback]

European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> BRAGA AND MIDGARD TERRA S.A. v. THE REPUBLIC OF MOLDOVA - 59351/12 (Judgment : Article 6 - Right to a fair trial : Second Section Committee) French Text [2020] ECHR 227 (17 March 2020)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2020/227.html
Cite as: [2020] ECHR 227, CE:ECHR:2020:0317JUD005935112, ECLI:CE:ECHR:2020:0317JUD005935112

[New search] [Contents list] [Help]


 

 

DEUXIÈME SECTION

 

AFFAIRE BRAGA ET MIDGARD TERRA S.A.

c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

(Requêtes nos 59351/12 et 41538/13)

 

 

 

 

ARRÊT
(Fond)

STRASBOURG

17 mars 2020

 

 

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

 


En l’affaire Braga et Midgard Terra S.A. c. République de Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

          Arnfinn Bårdsen, président,
          Valeriu Griţco,
          Peeter Roosma, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 février 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 59351/12 et 41538/13) dirigées contre la République de Moldova et dont deux ressortissantes de cet État, Mme Mariana Braga (« la requérante »), d’une part, et la société Midgard Terra S.A. (« la société requérante »), d’autre part, ont saisi la Cour respectivement le 28 août 2012 et le 27 mai 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  La requérante a été représentée par Me C. Chisiliţa, avocat à Chişinău, et la société requérante par Mes V. Nagacevschi et F. Nagacevschi, avocats à Chişinău. Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents.

3.  Les requérantes voyaient dans l’annulation des jugements définitifs rendus en leur faveur une méconnaissance de leurs droits découlant de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

4.  Le 2 décembre 2015, les requêtes ont été communiquées au Gouvernement.

5.  Le Gouvernement s’oppose à l’examen de la requête par un comité. Après avoir examiné l’objection du Gouvernement, la Cour la rejette.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6.  La requérante est née en 1971 et réside à Chişinău. La société requérante est une société anonyme de droit moldave ayant son siège à Chişinău.

A.    La requête no 59351/12

7.  En 2005, la requérante engagea contre V., son ex-époux, une action en partage de la communauté de biens ayant existé entre eux.

8.  Le 25 juillet 2008, les parties conclurent un règlement amiable par lequel V. s’engageait à payer à la requérante la somme de 350 000 lei moldaves (MDL), à lui acheter un appartement et une voiture, à subvenir aux besoins de leurs deux enfants jusqu’à leur majorité et à lui payer annuellement 1 000 euros (EUR) jusqu’en 2022. En contrepartie, la requérante renonçait à toute prétention à l’égard de V. Le tribunal de première instance de Centru homologua ce règlement par un jugement daté du même jour. Ce jugement ne fut pas contesté et devint définitif le 11 août 2008. Un titre exécutoire fut délivré le même jour.

9.  À une date non précisée dans le dossier, V. exerça un recours contre le jugement du 25 juillet 2008, invoquant une dégradation de sa situation économique et une impossibilité d’exécuter le jugement. Le 9 juin 2010, la cour d’appel de Chişinău rejeta le recours de V. comme étant dépourvu de fondement, jugeant que la dégradation de la situation économique de celui-ci ne constituait pas un motif de cassation.

10.  Le 1er mars 2012, la cour d’appel de Chişinău accueillit la demande en révision qui avait été introduite par V. le 21 novembre 2011, cassa la décision du 9 juin 2010 et le jugement du 25 juillet 2008 et renvoya l’affaire au tribunal de première instance de Centru pour un nouvel examen. Elle motiva sa décision par l’apparition de circonstances nouvelles, à savoir l’impossibilité pour V. d’exécuter le règlement amiable à la suite de la dégradation de sa situation économique.

B.     La requête no 41538/13

11.  La société requérante engagea contre la mairie de Chişinău une action en prescription acquisitive par laquelle elle sollicitait la reconnaissance de son droit de propriété sur un terrain de 3,86 ha.

12.  Par un jugement du 16 novembre 2010, le tribunal de première instance de Buiucani fit droit à l’action de la société requérante et reconnut le droit de propriété de celle-ci sur le terrain en question. Le représentant de la mairie était présent aux deux premières audiences. Ce jugement ne fut pas frappé d’appel et devint définitif.

13.  Le 6 décembre 2011, la mairie et le conseil municipal de Chişinău introduisirent une demande en révision du jugement du 16 novembre 2010, invoquant une apparition de circonstances nouvelles ainsi qu’une appréciation insuffisante des faits par le tribunal. Ils arguèrent également que les droits du conseil municipal avaient été affectés par ce jugement alors qu’il n’avait pas participé au procès.

14.  La société requérante sollicita le rejet de la demande en révision pour tardiveté et défaut de fondement. Elle argua que le délai légal de trois mois pour introduire une demande en révision n’avait pas été respecté en l’espèce. Elle indiqua que la mairie avait été représentée dans le cadre de la procédure et que le conseil municipal connaissait ce litige depuis 2009, car, selon elle, il avait été informé de son existence lors de l’examen d’une autre affaire impliquant les mêmes parties. Elle ajouta que la mairie et le conseil municipal de Chişinău avaient la même adresse et une direction juridique unique et que leurs intérêts devant les tribunaux étaient défendus par la même personne.

15.  Par une décision du 7 juin 2012, le tribunal de première instance de Buiucani déclara la demande irrecevable pour absence de motifs légaux susceptibles de justifier la demande en révision. La mairie et le conseil municipal de Chişinău exercèrent un recours contre cette décision.

16.  Le 22 janvier 2013, la cour d’appel de Chişinău accueillit le recours de la mairie et du conseil municipal de Chişinău, cassa le jugement du 16 novembre 2010 et renvoya l’affaire au tribunal de première instance de Buiucani pour un nouvel examen. Elle fonda sa décision sur l’article 449 c) du code de procédure civile, jugeant que les intérêts du conseil municipal de Chişinău avaient été affectés sans qu’il eût participé au procès. Elle ne se prononça pas sur l’argument soulevé par la société requérante selon lequel le délai légal pour introduire la demande en révision n’avait pas été respecté.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

17.  Le droit interne pertinent concernant la révision des décisions définitives est résumé dans les affaires Popov c. Moldova (no 2) (no 19960/04, §§ 27-29, 6 décembre 2005) et Jomiru et Creţu c. République de Moldova (no 28430/06, §§ 26-27, 17 avril 2012).

EN DROIT

I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

18.  Eu égard à la similitude des requêtes quant aux faits et aux questions juridiques qu’elles posent, la Cour décide, en application de l’article 42 § 1 de son règlement, de les joindre afin de les examiner conjointement dans un seul arrêt.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION ET DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE no 1 À LA CONVENTION

19.  Les requérantes soutiennent que la remise en cause no des jugements définitifs qui avaient été rendus en leur faveur a porté atteinte au principe de la sécurité des rapports juridiques ainsi qu’à leur droit au respect de leurs biens. Elles y voient une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, dont les parties pertinentes en l’espèce se lisent ainsi :

Article 6 § 1 de la Convention

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Article 1 du Protocole no 1 à la Convention

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. »

A.    Sur la recevabilité

20.  Constatant que les requêtes ne sont pas manifestement mal fondées au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elles ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

B.     Sur le fond

21.  Dans l’affaire no 59351/12, la requérante soutient que la demande en révision introduite par V. avait pour seule fin de permettre à celui-ci de se soustraire à l’exécution du jugement définitif du 25 juillet 2008. Elle argue que l’impossibilité d’exécuter un jugement à la suite de la dégradation de la situation économique du débiteur ne constituait pas un motif de révision prévu par l’article 449 du code de procédure civile.

22.  Dans l’affaire no 41538/13, la société requérante soutient que la demande en révision était tardive. Elle indique que la mairie et le conseil municipal de Chişinău ont attendu plus d’un an pour introduire la demande en révision.

23.  Le Gouvernement conteste ces thèses. Il estime que les révisions avaient pour but de corriger des erreurs judiciaires.

24.  La Cour rappelle que le respect du droit à un procès équitable et du principe de la sécurité des rapports juridiques requiert qu’aucune partie ne soit habilitée à solliciter la supervision d’une décision définitive et exécutoire à la seule fin d’obtenir un réexamen de l’affaire et une nouvelle décision à son sujet. En particulier, la supervision ne doit pas devenir un appel déguisé et le simple fait qu’il puisse exister deux points de vue sur le sujet n’est pas un motif suffisant pour rejuger une affaire. Il ne peut être dérogé à ce principe que lorsque des motifs substantiels et impérieux l’exigent (Riabykh c. Russie, no 52854/99, § 52, CEDH 2003-IX, et Roşca c. République de Moldova, no 6267/02, § 25, 22 mars 2005).

25.  La Cour rappelle également que les décisions de réouverture d’un procès doivent être conformes aux dispositions internes pertinentes et que l’usage abusif d’une telle procédure peut être contraire à la Convention (Eugenia et Doina Duca c. République de Moldova, no 75/07, § 33, 3 mars 2009).

26.  Se tournant vers les circonstances de l’espèce, la Cour constate que des jugements définitifs ont été rendus en faveur des requérantes, mais qu’ils ont été annulés à la suite de l’admission des demandes en révision. Dans la requête no 59351/12, le jugement a été annulé en raison de l’apparition de circonstances nouvelles, à savoir l’impossibilité pour la partie adverse d’exécuter le jugement. Dans l’affaire no 41538/13, la demande en révision a été introduite plus d’un an après que le jugement est devenu définitif et la cour d’appel de Chişinău n’a aucunement répondu à la fin de non-recevoir soulevée par la société requérante et fondée sur la tardiveté de la demande.

27.  La Cour rappelle avoir traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle posée dans le présent cas et avoir constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (Macovei et autres c. Moldova, nos 19253/03 et 5 autres, §§ 44-50, 25 avril 2006, Tudor-Auto S.R.L. et Triplu-Tudor S.R.L. c. Moldova, nos 36341/03 et 2 autres, §§ 47-48, 9 décembre 2008, et Sfinx-Impex S.A. c. République de Moldova, no 28439/05, §§ 22-23).

28.  À la lumière des circonstances de l’espèce et des arguments avancés par les parties, la Cour ne voit aucune raison d’arriver à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime qu’en l’espèce la procédure de révision a été utilisée par la cour d’appel de Chişinău d’une manière incompatible avec le principe de la sécurité des rapports juridiques.

29.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à raison de l’annulation des jugements définitifs du 25 juillet 2008 et du 16 novembre 2010.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

30.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.    Dommage matériel

31.  Au titre du préjudice matériel qu’elle dit avoir subi, la requérante de la requête no 59351/12 réclame la somme de 150 649,89 EUR, qui représente, selon elle, les montants que V. devait lui payer en vertu du jugement du 25 juillet 2008, les intérêts moratoires afférents à ces montants et la contrevaleur d’un appartement et d’une voiture.

32.  La société requérante de la requête no 41538/13 sollicite le rétablissement de son droit de propriété tel qu’il a été reconnu par le jugement du 16 novembre 2010.

33.  Le Gouvernement conteste ces demandes.

34.  Dans les circonstances de la cause, la Cour estime que la question de l’application de l’article 41 de la Convention, dans la partie concernant le préjudice matériel, ne se trouve pas en état. Par conséquent, il y a lieu de la réserver et de fixer la procédure ultérieure en tenant compte de l’éventualité d’un accord entre l’État défendeur et les requérantes (article 75 § 1 du règlement de la Cour). À cette fin, la Cour accorde aux parties un délai de trois mois à partir de la date du présent arrêt.

B.     Dommage moral

35.  Au titre du préjudice moral qu’elles disent avoir subi, les requérantes réclament 10 000 EUR chacune.

36.  Le Gouvernement conteste ces sommes.

37.  La Cour considère que les requérantes ont forcément subi un dommage moral à raison de l’annulation des jugements définitifs rendus en leur faveur et leur alloue 3 600 EUR chacune pour préjudice moral.

C.    Frais et dépens

38.  Les requérantes n’ont présenté aucune demande pour frais et dépens. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de leur octroyer de somme à ce titre.

D.    Intérêts moratoires

39.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Décide de joindre les requêtes ;

2.      Déclare les requêtes recevables ;

3.      Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

4.      Dit que la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas en état pour le dommage matériel ; en conséquence,

a)     la réserve,

b)     invite le Gouvernement et les requérantes à lui adresser par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur cette question et, notamment, à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir,

c)     réserve la procédure ultérieure et délègue au président le soin de la fixer au besoin ;

5.      Dit

a)     que l’État défendeur doit verser à chacune des requérantes, dans les trois mois, la somme de 3 600 EUR (trois mille six cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral ;

b)     qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6.      Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 mars 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

   Hasan Bakırcı                                                                    Arnfinn Bårdsen
  Greffier adjoint                                                                        Président

 


BAILII: Copyright Policy | Disclaimers | Privacy Policy | Feedback | Donate to BAILII
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2020/227.html