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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> IGNATENCU AND THE ROMANIAN COMMUNIST PARTY v. ROMANIA - 78635/13 (Judgment : Remainder inadmissible : Fourth Section) French Text [2020] ECHR 296 (05 May 2020) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2020/296.html Cite as: CE:ECHR:2020:0505JUD007863513, ECLI:CE:ECHR:2020:0505JUD007863513, [2020] ECHR 296 |
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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE IGNATENCU ET LE PARTI COMMUNISTE ROUMAIN c. ROUMANIE
(Requête no 78635/13)
ARRÊT
Art 11 • Liberté d’association • Refus d’inscrire sur la liste des partis politiques, un parti se voulant continuateur du parti communiste dissout en 1989 pour son régime totalitaire • Raisons pour le refus pertinentes, suffisantes et proportionnées au but légitime poursuivi • Législation raisonnable ne permettant pas la reconstitution de formations politiques n’ayant jamais fonctionné légalement dans un régime démocratique • Exigences légales neutres, n’ayant pas pour but de pénaliser le parti en raison des opinions ou des politiques défendues • Volonté d’empêcher des atteintes potentielles particulièrement graves à la sûreté de l’État ou aux fondements d’une société démocratique
STRASBOURG
5 mai 2020
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Ignatencu et le Parti communiste roumain c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une Chambre composée de :
Jon Fridrik Kjølbro, président,
Faris Vehabović,
Iulia Antoanella Motoc,
Branko Lubarda,
Carlo Ranzoni,
Jolien Schukking,
Péter Paczolay, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier de section,
la requête susmentionnée (no 78635/13) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Petre Ignatencu (« le premier requérant »), et une formation politique dénommée « Partidul Comunist Român » (Parti Communiste Roumain ; « le parti requérant » ou « le second requérant ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 4 décembre 2013,
les observations des parties,
Notant que le 27 novembre 2018, le grief tiré de l’article 11 de la Convention a été communiqué au Gouvernement,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 mars 2020,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
Dans leur requête devant la Cour, les requérants allèguent que le rejet en justice de leur demande tendant à l’enregistrement du second requérant en tant que parti politique a porté atteinte à leur droit à la liberté d’association au sens de l’article 11 de la Convention.
EN FAIT
1. Le second requérant est une formation politique dont la demande d’enregistrement en tant que parti politique a été rejetée par un arrêt du 16 juillet 2013 de la cour d’appel de Bucarest. Le premier requérant, qui est né en 1955 et réside à Bucarest, en est le président. Les deux requérants ont été représentés par Me N. Călinescu, avocat à Bucarest.
2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, en dernier lieu Mme Simona-Maya Teodoroiu, du ministère des Affaires étrangères.
I. Le contexte historique
3. Lors d’un congrès tenu du 8 au 12 mai 1921, le parti dénommé « Parti Communiste Roumain » (« le PCR ») se constitua par la scission de l’aile d’extrême gauche du Parti social-démocrate roumain.
4. De 1947 à 1989, le PCR, tout en ayant différentes dénominations et structures, fut le seul parti officiel à agir sur la scène politique roumaine. Le régime totalitaire qu’il mit en place était caractérisé, sur le plan politique, par sa position constitutionnelle de jure comme parti unique et organe dirigeant de l’État et, sur le plan économique, par l’imposition de nationalisations et le lancement de la planification centralisée de l’économie.
5. Le régime totalitaire instauré par les dirigeants du PCR fut renversé à la suite des confrontations violentes de décembre 1989, lors de l’instauration d’un régime démocratique dans le pays.
6. Le 27 décembre 1989, le décret-loi no 2/1989 relatif à la constitution du Conseil du front de salut national (Consiliul frontului salvării naționale) fut adopté. L’article 10 de ce texte disposait que toutes les structures créées par le régime totalitaire étaient dissoutes (paragraphe 46 ci-dessous).
7. Le 31 décembre 1989, le Conseil du front de salut national adopta le décret-loi no 8/1989 relatif à l’enregistrement et au fonctionnement des partis politiques, aux fins de mise en place d’une société démocratique en Roumanie et de réalisation du principe du pluralisme politique (paragraphe 44 ci-dessous).
8. Le 17 janvier 1990, le Conseil du front de salut national émit un communiqué, qui fut publié au Journal officiel no 12 du 19 janvier 1990, dans lequel il était fait état de l’impossibilité de procéder à la dissolution des partis politiques par décret à raison de la contrariété d’une telle dissolution aux principes démocratiques.
9. Par le décret-loi no 30/1990, adopté le 18 janvier 1990, tous les biens du PCR furent transférés dans le patrimoine de l’État.
II. La constitution du comité de réorganisation du PCR et les documents adoptés subséquemment
10. Le 27 mars 2010, un comité de réorganisation du Parti communiste roumain (« le comité ») fut constitué. Le premier requérant en fut élu président.
11. À la même date, le comité adopta les statuts et le programme politique du second requérant. Les passages pertinents en l’espèce de ces statuts se lisaient comme suit :
« B. La définition du but et des objectifs
Art[icle] 6 : le PCR est un parti des travailleurs des villes et des campagnes, de tous ceux qui avec leur esprit et leurs bras contribuent au progrès social.
Sa doctrine est le marxisme et d’autres concepts modernes, théoriques et pratiques de construction du socialisme.
Le but immédiat du PCR est d’édifier en Roumanie une société démocratique, libre et prospère, ce qui constitue un postulat fondamental pour passer vers une société de type socialiste, fondée principalement sur la propriété socialiste des moyens de production.
Le but final du PCR est de constituer une société fondée sur une haute conscience du peuple, sur la fraternité, sur la liberté individuelle et sur l’égalité sociale, la société communiste.
(...)
Art[icle] 8 : le PCR s’exprime et agit par toutes ses actions afin de :
1) respecter la Constitution et les lois du pays ;
2) [respecter] la forme de l’État, la République ;
3) [respecter] l’existence et le [principe] du pluripartisme, en tant qu’expression de la démocratie politique ;
4) défendre la souveraineté et l’indépendance nationale, l’unité et l’intégrité territoriale du pays, l’ordre légal (a ordinii de drept).
Art[icle] 9 : le PCR assume la continuité de l’expérience théorique et pratique du mouvement des travailleurs socialistes et communistes de Roumanie, de ses objectifs et idéaux. Il est le continuateur de fait (în fapt) du Parti Communiste Roumain constitué le 8 mai 1921.
Art[icle] 10 : Le Parti Communiste Roumain s’oppose au totalitarisme, à la discrimination sous toutes ses formes. Il est en faveur d’une société démocratique, pluraliste, dans laquelle les droits et les libertés des citoyens sont garantis par la Constitution et le peuple est souverain. »
12. Selon les articles 21 et 22 des statuts relatifs aux conditions à remplir pour devenir membre du parti requérant, les personnes qui avaient déjà été membres du PCR avant le 22 décembre 1989 pouvaient compléter une déclaration afin de reconfirmer leur appartenance au parti. De même, dans le formulaire d’adhésion au parti requérant, le demandeur devait mentionner s’il avait déjà été membre du PCR avant le 22 décembre 1989 et, dans l’affirmative, indiquer s’il était toujours en possession de son carnet de parti et, le cas échéant, renseigner la série et le numéro de celui-ci.
13. Les parties pertinentes en l’espèce du programme politique élaboré par le comité se lisaient ainsi :
« I. Principes généraux
(...) Le but immédiat du Parti Communiste Roumain est : d’édifier en Roumanie une société démocratique, libre et prospère - postulat fondamental pour passer vers une société de type socialiste fondée sur la propriété socialiste des moyens de production –, une société qui, par le mode de répartition du bénéfice social, assure à ceux qui travaillent un niveau de revenu plus élevé que le modèle capitaliste pour un même niveau de revenus matériels, condition [nécessaire] pour assurer un niveau de vie optimal pour tous les citoyens roumains.
Le but final du Parti Communiste Roumain est de constituer une société fondée sur une haute conscience du peuple, sur la fraternité, sur la liberté individuelle et sur l’égalité sociale, la société communiste.
(...)
Le Parti Communiste Roumain s’oppose au totalitarisme, à tout type de discrimination. Il est en faveur d’une société démocratique, pluraliste, dans laquelle les droits et les libertés des citoyens sont garantis par la Constitution et le peuple est souverain.
Le Parti Communiste Roumain, par toutes ses activités, poursuit exclusivement des objectifs politiques, dans le respect des dispositions légales, de son programme et de ses statuts. Ainsi :
(...)
- il est pour la construction, la reconstruction, la restructuration et la modernisation de l’économie roumaine, en principe par ses propres moyens, pour qu’elle soit fonctionnelle et efficace, apte à assurer à tous les citoyens les moyens nécessaires pour une vie satisfaisante ; [une économie] où la propriété collective des citoyens, gérée par l’État, est prépondérante, ce qui constitue la garantie qu’ils [les citoyens] vont recevoir la majorité des bénéfices issus de leur travail ;
(...)
Le Parti Communiste Roumain est en faveur du respect et de la garantie du droit de propriété, sous toutes ses formes, à condition qu’il soit légalement constitué, juste et moral et qu’il ne contrevienne pas aux intérêts présents et futurs du peuple roumain. Il soutient et prône le principe selon lequel, s’agissant de la propriété sur les biens naturels, les intérêts généraux (communs) du peuple priment sur ceux des particuliers ([intérêts] individuels ou d’un groupe). Il est pour l’application du principe selon lequel les biens (bunurile) créés par la Nature sont la propriété commune de la société.
(...)
Le Parti Communiste Roumain soutient le principe « de pleine autorité de l’État sur l’économie nationale ». L’État exercera son autorité en tant qu’autorité publique (de réglementation, de contrôle et de sanction) mais aussi en tant que propriétaire, au nom du peuple, des principaux moyens de production. Le droit d’intervention de l’État dans l’économie découle du fait qu’il répond directement devant le peuple de la situation économique du pays, et [du fait que] l’économie est la composante la plus importante de la société parce qu’elle assure les moyens matériaux pour l’existence de celle-ci.
(...)
II. L’État socialiste de droit
Dans la conception du Parti Communiste Roumain, l’État de droit signifie que les autorités étatiques mènent leur activité dans le respect des normes de droit (lois) adoptées au préalable par les institutions [compétentes]. L’État socialiste de droit est l’État où les normes de droit qui régissent les relations dans la société sont subordonnées à l’impératif d’édifier la société socialiste.
(...)
III. L’économie socialiste de marché
Dans la conception du Parti Communiste Roumain, l’économie socialiste de marché est l’économie caractérisée par le fait que les prix des marchandises sont établis [non pas grâce à] l’intervention directe de l’État, [agissant] en tant qu’autorité publique, mais par [le jeu des] mécanismes de l’économie de marché, où tous les agents économiques fonctionnent selon les mêmes normes et où le capital social de la majorité est la propriété commune du peuple, dénommée de manière générale « la propriété d’État » ou la propriété commune (cooperatista). (...)
L’État s’impliquera dans l’économie en tant qu’autorité avec des attributions de réglementation, de contrôle, de sanction et de planification indicative, mais aussi en tant que propriétaire, lorsqu’il a cette qualité. »
14. Le 28 mars 2010, un communiqué de presse, signé par le premier requérant en sa qualité de président du comité, fut publié au nom du parti requérant. Ce communiqué de presse indiquait, entre autres, ce qui suit :
« (...) Nous [le comité] partons de la réalité que le Parti Communiste Roumain n’a pas été dissout ni en droit ni en fait, qu’il continue d’exister par ses membres qui n’ont pas abandonné l’idéal communiste. Nous souhaitons réparer une grave injustice politique et historique commise par le pouvoir instauré il y a vingt ans : la négation du droit d’organisation de la classe des travailleurs au sein d’un parti qui défend ses intérêts.
(...) Le comité assume la responsabilité de réorganiser le PCR jusqu’à la création des conditions [qui rendront possible la convocation de] la conférence nationale qui donnera lieu à de nouveaux statuts et à un nouveau programme. (...) »
15. Dans le numéro de juillet-août 2010 du journal électronique Scânteia As, le premier requérant fit publier, en sa qualité de président du comité, un article intitulé « Le PCR, un parti pour l’histoire, un parti pour le futur » (PCR un partid pentru istorie un partid pentru viitor). Il y exposait que le comité avait été créé afin de réorganiser le PCR, « [un parti] dont le dernier dirigeant avait été Nicolae Ceauşescu, [un] parti historique [qui avait été] créé le 8 mai 1921 et qui avait cessé temporairement son activité en raison des événements de décembre 1989 et des actions obstructionnistes du pouvoir mis en place à ce moment-là ». Il indiquait que, à son avis, « l’existence du PCR en tant que parti opérationnel, même s’il n’était plus au pouvoir, aurait tempéré le zèle destructeur des partis constitués après décembre 1989 [dirigé contre] tout ce qui avait été réalisé par l’effort extraordinaire du peuple roumain dirigé par le parti des travailleurs. » Il décrivait ensuite ce qu’il considérait comme étant les réalisations du PCR, dont la plus importante était le remboursement de la dette externe du pays, « [qui avait rendu] le pays indépendant et souverain ».
16. Dans le même article, le premier requérant mentionnait que, après décembre 1989, plusieurs formations politiques avaient essayé, en vain, de constituer un parti communiste et que la seule formation qui y était parvenue était le Partidul Comunistilor (Nepeceristi) (Parti des communistes n’ayant pas été membres du Parti communiste roumain ; « le PCN »), à la suite d’un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme. Le premier requérant estimait que cet insuccès était dû à l’approche suivie par ces formations politiques : ainsi, selon lui, le PCR continuait d’exister par ses membres, et ce parti devait faire l’objet d’une réorganisation, ce qui était d’ailleurs le but poursuivi par le comité.
III. Le rejet de la demande d’enregistrement du parti requérant
A. La procédure devant le tribunal de première instance
17. Le 16 octobre 2012, se fondant sur les articles 8 §§ 1 et 2 et 40 § 1 de la Constitution (paragraphe 42 ci-dessous) et sur l’article 9 de la loi no 14/2003 sur les partis politiques (« la loi no 14/2003 » ; paragraphe 45 ci‑dessous), les requérants et cinq autres membres fondateurs du parti, parmi lesquels C.C., saisirent le tribunal départemental de Bucarest (« le tribunal départemental ») d’une demande d’inscription du second requérant sur la liste des partis politiques. Ils exposaient dans leur demande qu’ils entendaient se prévaloir du « principe constitutionnel de pluralisme des partis politiques », ainsi que « des droits des citoyens d’être élus au sein des organes représentatifs de l’État afin de pouvoir participer activement à la résolution légale des problèmes de la société » et « de promouvoir leurs idées dans l’espace public ». Ils s’engageaient à respecter dans leur activité politique les articles 30 § 7 et 40 §§ 2 et 4 de la Constitution (paragraphe 42 ci-dessous).
18. Les intéressés joignirent à leur demande, parmi d’autres documents, la liste des signatures des personnes qui soutenaient le parti et une déclaration de responsabilité signée par le premier requérant par laquelle celui-ci attestait l’authenticité des signatures.
19. Par un jugement du 21 février 2013, se référant de manière générale à la loi no 14/2003 (paragraphe 45 ci‑dessous) et à la loi no 51/1991 sur la sûreté nationale (« la loi no 51/1991 » - paragraphe 43 ci‑dessous), le tribunal départemental rejeta la demande des requérants pour défaut de fondement. Pour ce faire, le tribunal départemental exposa qu’il ressortait de l’analyse des articles 6 et 9 des statuts du parti requérant (paragraphe 11 ci‑dessus) que les intéressés avaient pour but le passage vers une société de type socialiste et qu’ils proposaient une doctrine et des idéologies qui avaient constitué le fondement du régime totalitaire, traumatisant, qui avait gouverné le pays pendant environ un demi-siècle, et qui avaient été contraires à une société démocratique. Le tribunal indiquait ce qui suit :
« (...)
Or le renversement d’un tel régime et la libération de la société roumaine ont mené à la Révolution de 1989, il est inconcevable à présent qu’une société de type socialiste, fondée sur la propriété socialiste des moyens de production, communiste, puisse assurer le respect de l’ordre constitutionnel, de la démocratie et de l’ordre juridique (ordinea de drept) dans le respect des principes fondamentaux d’une société démocratique.
Il convient de tenir compte aussi de ce qui est présenté dans le programme du [parti] demandeur (...), à savoir des actions tendant au rétablissement de la conscience des classes, du « mouvement (...) socialiste et communiste de la Roumanie ». Il est suffisant de proclamer de tels buts pour diminuer l’importance et le rôle des [autres] buts, qui visent de manière générale le respect des droits et des libertés de tous les citoyens, (...), les premiers buts étant d’ailleurs en contradiction avec les derniers. »
B. La procédure devant la cour d’appel
20. Les requérants formèrent une contestation contre ce jugement devant la cour d’appel de Bucarest (« la cour d’appel »). Dans le cadre de cette contestation, ils exposaient que leur demande satisfaisait aux conditions prévues aux articles 1 à 3 de la loi no 14/2003 (paragraphe 45 ci‑dessous) et que le parti requérant entendait militer pour le respect de la souveraineté nationale, de l’indépendance et de l’unité de l’État, de l’État de droit et des principes de la démocratie constitutionnelle, dans le respect des articles 30 § 7 et 37 §§ 2 et 4 de la Constitution (paragraphe 42 ci-dessous).
21. Les requérants soutenaient que le tribunal départemental avait à tort retenu qu’ils entendaient constituer un parti politique prônant un régime dictatorial. Selon eux, le tribunal départemental n’avait pas tenu compte de ce que « la formation politique dont la création était demandée (...) prétendait, non pas à reconstituer l’ancien PCR, mais, au contraire, (...), par les nouveaux statuts et programme (...), à constituer une nouvelle association à caractère politique qui ne reprenait pas les valeurs et les aspects négatifs de l’ancienne organisation politique ».
22. Ils indiquaient également que le tribunal départemental s’était limité à retenir « une forme intuitive et présumée d’un éventuel danger ultérieur » que pourrait représenter le parti dont l’enregistrement était demandé en se livrant à des comparaisons injustifiées avec l’ancien PCR et le régime totalitaire instauré par ce dernier.
23. Dans leurs conclusions écrites versées au dossier devant la cour d’appel, les requérants soutenaient que le refus d’inscrire le parti requérant constituait une ingérence dans leur droit à la liberté d’association qui, d’après eux, ne répondait pas à un besoin social impérieux. Ils exposaient que les statuts et le programme du parti requérant ne contenaient aucun appel à la violence et que, au contraire, ces documents démontraient leur foi dans les principes de la démocratie. Ils ajoutaient que le dialogue était la base d’une société démocratique même si parfois les idées mises en avant dérangeaient. Selon eux, le refus d’enregistrement du parti requérant, avant même que celui-ci eût pu mener ses activités, constituait une mesure radicale qui était disproportionnée et injustifiée dans une société démocratique.
24. Par un arrêt définitif du 16 juillet 2013, après avoir qualifié la contestation des requérants de « recours », la cour d’appel rejeta celle-ci et confirma le bien-fondé du jugement rendu en première instance. Pour décider ainsi, elle statua comme suit.
25. Premièrement, la cour d’appel jugea que, comme il ressortait des statuts et du programme du parti requérant versés au dossier ainsi que du texte publié dans le journal électronique de celui-ci (paragraphes 11 à 13 et 15 ci-dessus), la demande introductive d’instance ne portait pas sur l’enregistrement d’un nouveau parti, mais sur l’enregistrement après réorganisation de l’ancien PCR, qui avait existé de 1921 à décembre 1989. À cet égard, elle se référa plus particulièrement aux articles 9 et 10 des statuts et à l’article publié dans le journal Scânteia As, et elle prit note de ce que les demandeurs assumaient la continuité théorique et pratique du mouvement des travailleurs socialistes et communistes de Roumanie, ainsi que de ses objectifs et idéaux, et qu’ils considéraient que « le peuple [était] souverain ». Elle prit également en compte que, selon ses statuts, la structure organisationnelle du parti requérant était similaire à celle de l’ancien PCR et que les membres de ce dernier pouvaient confirmer leur appartenance au parti sur la seule base des anciens carnets de parti (paragraphe 12 ci-dessus).
26. La cour d’appel nota ensuite que l’article 4 de la loi no 14/2003 régissait le cas de l’organisation et du fonctionnement des nouveaux partis politiques. Elle retint également que l’article 37 de la même loi permettait la réorganisation des partis qui étaient déjà légalement constitués, laquelle pouvait se faire par fusion (fuziune), absorption ou fusionnement (contopire), ou par scission (paragraphe 45 ci-dessous). Or, pour la cour d’appel, la demande d’enregistrement soumise par les requérants ne relevait d’aucune des hypothèses ainsi décrites par la loi.
27. La cour d’appel estima que les articles 9, 21 et 22 des statuts (paragraphes 11 et 12 ci-dessus) démontraient que, contrairement à ce qui était indiqué dans la demande introductive d’instance, les requérants n’avaient pas pour but la création d’une nouvelle formation politique, mais la légitimation de l’ancienne formation politique qui avait instauré en Roumanie un régime totalitaire contraire aux principes démocratiques, lesquels devaient être respectés au moment de la validation de la demande d’enregistrement. Elle jugea que la demande des requérants ne pouvait donc pas être validée dans le cadre légal constitué et imposé par la loi no 14/2003.
28. La cour d’appel considéra en outre que l’accueil de la demande des requérants pouvait porter atteinte à la sécurité des rapports juridiques dès lors que les intéressés proclamaient que le second d’entre eux entendait être le continuateur de l’ancien PCR, qui avait fonctionné sans base légale (fără un suport legal) jusqu’en décembre 1989.
29. La cour d’appel nota également que les associations à caractère politique ne pouvaient se constituer que dans le respect des dispositions de la loi no 14/2003 et de celles de la loi no 51/1991. Après avoir cité intégralement l’article 1 § 3 de la Constitution, l’article 3 h) de la loi no 51/1991 et l’article 3 de la loi no 14/2003 (paragraphes 42, 43 et 45 ci‑dessous), la cour d’appel tint le raisonnement suivant :
« Dans les statuts (art. 6) et le programme politique du Parti Communiste Roumain (art. I), il est expressément prévu que [le parti] milite pour une société de type socialiste, son but final étant la mise en place d’une société communiste en Roumanie où l’État, qui est l’expression du pouvoir du peuple, est le propriétaire des principaux moyens de production (la propriété d’État étant prépondérante, en tant que propriété commune de la société - art[icle] I « Principes généraux » du programme du Parti Communiste Roumain, art[icle] 6 des statuts du Parti Communiste Roumain) et où l’État de droit est « l’État socialiste de droit dans lequel les normes de droit qui régissent les relations en société sont subordonnées à l’impératif de construction de la société socialiste ». De même (selon l’art[icle] I « Principes généraux » - l’art[icle] II du programme) ce parti soutient le principe de « pleine autorité de l’État sur l’économie nationale » en vertu duquel l’État, en tant qu’autorité publique (de réglementation, de contrôle et de sanction), mais aussi en tant que propriétaire, au nom du peuple, des principaux moyens de production, a le droit d’intervenir dans l’économie, eu égard au fait qu’il répond directement devant le peuple de la situation économique du pays.
Or, dans les documents du Parti Communiste Roumain [ayant existé] avant (...) décembre 1989 (...), auxquels il est fait référence dans le discours on-line [paru dans le] journal mentionné par le Parti Communiste Roumain qui demande [à présent] à être réorganisé et inscrit sur la liste des partis politiques sur le fondement de la loi no 14/2003 (...), était prôné le droit de propriété socialiste de l’État : l’État [était] le propriétaire des principaux moyens de production du pays (...) [et] agissait en double qualité - [en tant que] titulaire du pouvoir souverain et [en tant que] propriétaire des principaux moyens de production du peuple –, le peuple entier étant représenté par l’État socialiste.
Sous l’ancien régime communiste en Roumanie, les modalités spécifiques de constitution et d’obtention d’un droit de propriété socialiste de l’État étaient : la [mise en commun des propriétés des agriculteurs] (cooperativizarea), la nationalisation des principaux moyens de production (...), la confiscation des biens [immeubles] pour lesquels, après décembre 1989, des lois de réparation ont été adoptées, lois dont l’application n’a pas encore abouti à la compensation des personnes ayant subi un préjudice (...) ; ces modalités [de constitution du droit de propriété] étaient justifiées par le fait qu’elles étaient appliquées au nom du peuple entier.
Or la teneur du programme du Parti Communiste Roumain versé au dossier visant à la mise en place de la propriété socialiste du peuple entier, concentrée au niveau de l’État socialiste, (...) va clairement à l’encontre [tant] des dispositions constitutionnelles garantissant le respect du droit de propriété privée que de celles [garantissant] le pluralisme politique, l’ordre constitutionnel institué après décembre 1989 - l’État de droit.
Dans ces circonstances, il apparaît que les références faites dans les statuts et le programme du Parti Communiste Roumain au pluralisme politique et au respect des principes de la démocratie constitutionnelle (...) sont formelles.
L’ingérence [dans le droit à la liberté d’association] alléguée par [les intéressés] dans leurs conclusions écrites (...) est (...) proportionnée au but légitime poursuivi, [qui est] de ne pas permettre le retour en Roumanie de l’ancien régime totalitaire ayant existé jusqu’en décembre 1989 et d’assurer le respect des dispositions de la loi no 14/2003 (...) et de la loi no 51/1991 (...) et du principe de la sécurité des rapports juridiques, le jugement rendu en première instance étant pleinement en accord avec les exigences des articles 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence en la matière. (...) »
30. Troisièmement, la cour d’appel releva que, d’après l’article 19 2) de la loi no 14/2003 (paragraphe 45 ci-dessous), la liste des signatures des personnes qui soutenaient le parti dont l’enregistrement était demandé devait être accompagnée d’une déclaration de responsabilité de la personne qui l’avait établie attestant l’authenticité des signatures. Or elle constata que, en l’occurrence, la déclaration de responsabilité versée au dossier avait été émise non pas par la personne qui avait constitué la liste des signatures des partisans, mais par le premier requérant (paragraphe 18 ci-dessus), ce qui ne répondait pas à l’exigence du texte de loi susmentionné.
31. En conclusion, la cour d’appel rejeta le recours des requérants pour défaut de fondement.
IV. Les événements ultérieurs à la procédure
32. Le 8 août 2013, le comité tint réunion afin de discuter de la voie à suivre après le rejet par les juridictions nationales de la demande d’enregistrement du parti requérant. Les membres présents débattirent de la nécessité de saisir les juridictions nationales d’une nouvelle demande d’enregistrement après suppression des articles 6 et 9 des statuts du parti, qui avaient été jugés problématiques par la cour d’appel. Le premier requérant n’ayant pas accepté la suppression de ces articles, les membres présents décidèrent de le suspendre de ses fonctions, de modifier le nom du comité et d’élire C.C. (paragraphe 17 ci-dessus) comme nouveau président.
33. Le 25 août 2013 eut lieu une assemblée générale des membres du parti et du comité (« l’assemblée générale »), sous la direction du premier requérant.
34. À cette occasion, il fut soumis au débat le fait que, lors de la réunion du 8 août 2013 (paragraphe 32 ci-dessus), des changements avaient eu lieu dans l’organisation et la présidence du comité en dépit de l’absence d’un vote de l’assemblée générale, pourtant obligatoire pour décider un changement de président. La structure constituée le 8 août 2013 se vit retirer son mandat, et le premier requérant fut réélu président du comité. À la suite d’un vote à la majorité, le premier requérant fut mandaté pour saisir la Cour de la présente requête.
35. Par la suite, des discussions eurent lieu sur la proposition de C.C. de procéder à la constitution d’un « comité d’organisation du PCR » chargé de faire des démarches en vue de l’enregistrement du second requérant en tant que nouveau parti ne présentant aucun lien avec l’ancien PCR. À la suite d’un vote, la majorité décida de ne pas donner suite à cette proposition.
V. Les démarches entreprises par C.C. en vue de l’enregistrement du Parti Communiste Roumain – Siècle XXI
36. À une date non précisée, un comité « d’organisation et d’enregistrement du Parti Communiste Roumain », présidé par C.C., fut constitué, distinct du comité présidé par le premier requérant. Cette structure élabora des nouveaux statuts en vue de l’enregistrement d’une nouvelle formation politique sous le nom de « Parti Communiste Roumain ».
37. C.C. et d’autres personnes, qui assumaient des fonctions de direction des antennes régionales de soutien à l’organisation du parti, saisirent les juridictions nationales d’une demande tendant à l’enregistrement de cette formation sous la dénomination susmentionnée.
38. Dans la demande introductive d’instance, C.C. indiquait que le parti dont l’enregistrement était sollicité était fondé sur les principes de la démocratie participative et que les dirigeants étaient chargés d’assurer l’implémentation des décisions collectives, et non pas d’exercer des fonctions de commande. Il avançait qu’il s’agissait d’une nouvelle formation politique qui n’entendait pas être le continuateur de l’ancien PCR et ne revendiquait pas pareille position.
39. Par un jugement du 27 novembre 2015, le tribunal départemental de Bucarest rejeta la demande d’enregistrement.
40. C.C. forma appel. Au cours de la procédure d’appel, il demanda l’enregistrement du nouveau parti sous la dénomination de « Parti Communiste Roumain ‑ Siècle XXI » et avec un nouveau sigle.
41. Par un arrêt définitif du 27 juin 2016, la cour d’appel fit droit à sa demande. Après avoir constaté que les statuts et le programme présentés étaient en accord avec le droit interne et le droit européen applicables en la matière, la cour d’appel ordonna l’enregistrement du Parti Communiste Roumain ‑ Siècle XXI sur la liste des partis politiques.
LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT
I. La Constitution
42. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la Constitution se lisent ainsi :
Article 1
L’État roumain
« 3) La Roumanie est un État de droit, démocratique et social, dans lequel la dignité humaine, les droits et libertés des citoyens, le libre développement de la personnalité humaine, la justice et le pluralisme politique représentent des valeurs suprêmes dans l’esprit des traditions démocratiques du peuple roumain et des idéaux de la révolution de décembre 1989, et [ces valeurs] sont garanties. »
Article 8
Le pluralisme et les partis politiques
« 1) Le pluralisme dans la société roumaine est une condition et une garantie de la démocratie constitutionnelle.
2) Les partis politiques sont constitués et exercent leur activité conformément à la loi. Ils contribuent à la définition et à l’expression de la volonté politique des citoyens, dans le respect de la souveraineté nationale, de l’intégrité territoriale, de l’ordre juridique et des principes de la démocratie. »
Article 30
La liberté d’expression
« 1) La liberté d’expression des pensées, des opinions ou des croyances et la liberté de création de toute sorte, par la parole, par l’écrit, par l’image, par le son, ou par d’autres moyens de communication en public, sont inviolables.
(...)
7) Sont interdites par la loi la diffamation du pays et de la nation, l’exhortation à la guerre d’agression, à la haine nationale, raciale, de classe ou religieuse, l’incitation à la discrimination, au séparatisme territorial ou à la violence publique, ainsi que les manifestations obscènes, contraires aux bonnes mœurs. »
Article 40
La liberté d’association
« 1) Les citoyens peuvent s’associer librement en partis politiques, (...).
2) Les partis ou les organisations qui, par leurs objectifs ou par leur activité, militent contre le pluralisme politique, les principes de l’État de droit ou la souveraineté, l’intégrité ou l’indépendance de la Roumanie sont inconstitutionnels.
(...)
4) Les associations clandestines (secret) sont interdites. »
Article 44
Le droit à la propriété privée
« 1) Le droit à la propriété ainsi que les créances sur l’État sont garantis. Le contenu et les limites de ces droits sont déterminés par la loi.
2) La propriété privée est garantie et protégée de manière égale par la loi, quel que soit le titulaire [du droit de propriété]. (...)
3) Nul ne peut être exproprié, si ce n’est pour une cause d’utilité publique, déterminée conformément à la loi, moyennant une juste et préalable indemnité.
4) Sont interdites la nationalisation et toutes autres mesures de saisie de biens à raison de l’appartenance sociale, ethnique, religieuse ou politique, ou d’autre nature discriminatoire des titulaires. (...) »
II. La loi no 51/1991 sur la sûreté nationale
43. L’article 3 h) de la loi no 51/1991 sur la sûreté nationale (« la loi no 51/1991 »), tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits, se lisait comme suit (voir également Partidul Comunistilor (Nepeceristi) et Ungureanu c. Roumanie, no 46626/99, § 25, CEDH 2005‑I (extraits)) :
« Constituent une menace pour la sécurité nationale de la Roumanie : (...) h) le fait de susciter, d’organiser, de commettre ou de soutenir, par quelque moyen que ce soit, des actions totalitaristes ou extrémistes, d’inspiration communiste, fasciste (...) raciste, antisémite, révisionniste ou séparatiste, qui peuvent mettre en péril d’une manière quelconque l’unité et l’intégrité territoriale de la Roumanie, ainsi que le fait d’inciter à des agissements qui peuvent mettre en péril l’État de droit. »
III. Les normes légales concernant l’enregistrement et l’activité des partis politiques
44. Les dispositions pertinentes en l’espèce du décret-loi no 8/1989 relatif à l’enregistrement et au fonctionnement des partis politiques, en vigueur jusqu’au 28 avril 1996, sont citées dans l’arrêt Partidul Comunistilor (Nepeceristi) et Ungureanu (précité, § 23).
45. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 14/2003 sur les partis politiques (« la loi no 14/2003 »), telles qu’en vigueur à l’époque des faits, se lisaient ainsi :
Article 3
« 1) Seules les formations politiques, constituées conformément à la [présente] loi, qui militent pour le respect de la souveraineté nationale, de l’indépendance et de l’unité de l’État, de l’intégrité territoriale, de l’ordre juridique et des principes de la démocratie constitutionnelle peuvent fonctionner en tant que partis politiques.
2) Sont interdits les partis politiques qui, par leurs statuts, leur programme, leur propagande ou les autres activités qu’ils organisent, portent atteinte aux dispositions de l’article 30 § 7, et de l’article 40 §§ 2 ou 4 de la Constitution (...) »
Article 4
« 1) Les partis politiques sont organisés et fonctionnent selon le critère administratif‑territorial (criteriul administrativ-teritorial).
2) Il est interdit de mettre en place des structures de partis politiques selon le critère du lieu de travail, ainsi que de mener des activités politiques au niveau des opérateurs économiques ou des institutions publiques. (...) »
Article 9
« Chaque parti politique doit avoir ses propres statuts et son propre programme politique. »
Article 19
« 2) La liste [des signatures de ceux qui soutiennent la formation politique] sera accompagnée d’une déclaration de responsabilité de celui qui l’a établie attestant l’authenticité des signatures, sous peine d’application de la sanction prévue à l’article 292 du code pénal. »
Article 37
« 1) Les partis politiques légalement constitués peuvent procéder à une réorganisation.
2) La réorganisation peut se faire par fusion (fuziune), absorption ou fusionnement (contopire), ou par scission, totale ou partielle. »
IV. Les actes normatifs concernant l’ancien PCR, adoptés après les événements de décembre 1989
46. L’article 10 du décret-loi no 2/1989 relatif à la constitution du Conseil du front de salut national, adopté le 27 décembre 1989, se lit ainsi :
« 10. Toutes les structures du pouvoir de l’ancien régime dictatorial sont et restent dissoutes. »
47. Par le décret‑loi no 30/1990, adopté le 18 janvier 1990, tous les biens du PCR ont été transférés dans le patrimoine de l’État, après mention du fait que « l’ancien Parti Communiste Roumain, dans ses forme, structure et régime du temps de la dictature de Ceauşescu a[vait] cessé d’exister à la suite de la révolution du 22 décembre 1989 ».
LES DOCUMENTS PERTINENTS DU CONSEIL DE L’EUROPE
48. La Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) a élaboré les textes suivants, faisant état de l’existence au niveau européen d’une grande variété de régimes réglementaires en matière d’enregistrement d’une formation politique : les « Lignes directrices et rapport explicatif sur la législation relative aux partis politiques : questions spécifiques » (CDL-AD (2004) 007rev, 15 avril 2004), et le « Rapport sur la création, l’organisation et les activités des partis politiques » (CDL-AD (2004) 004, 16 février 2004 ; document établi sur la base des réponses à un questionnaire). Ces textes sont présentés, en leurs parties pertinentes en l’espèce, dans l’arrêt Organisation macédonienne unie Ilinden - PIRIN et autres c. Bulgarie (no 2) (nos 41561/07 et 20972/08, §§ 54 et 55, 18 octobre 2011).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
49. Invoquant les articles 7, 9, 10, 11 et 14 de la Convention ainsi que l’article 1 du Protocole no 12 à la Convention, les requérants allèguent que le refus des juridictions internes d’accueillir leur demande d’enregistrement du second d’entre eux sur la liste des partis politiques a enfreint leur droit à la liberté d’association.
50. Maîtresse de la qualification juridique des faits (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 114 et 126, 20 mars 2018), la Cour estime approprié d’examiner les allégations des requérants sous le seul angle de l’article 11 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État. »
A. Sur la recevabilité
1. Sur l’exception du Gouvernement tirée du caractère prétendument abusif de la requête
51. Le Gouvernement invite la Cour à déclarer la requête irrecevable pour abus du droit de recours individuel, au motif que le premier requérant a omis d’informer celle-ci qu’il avait été suspendu de ses fonctions de président du comité le 8 août 2013 (paragraphe 32 ci-dessus) et qu’il n’avait donc pas qualité pour la saisir d’une requête.
52. Le premier requérant renvoie à la décision de l’assemblée générale du 25 août 2013, à la suite de laquelle il avait été rétabli dans ses fonctions de président du comité et avait été expressément autorisé à saisir la Cour de la présente requête (paragraphe 34 ci-dessus).
53. La Cour rappelle qu’une requête peut être rejetée comme étant abusive, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention, si elle a été fondée sciemment sur des faits controuvés. Une information incomplète et donc trompeuse peut également être qualifiée d’abus du droit de recours individuel, particulièrement lorsqu’elle concerne le noyau de l’affaire et que le requérant n’explique pas de façon suffisante son manquement à divulguer les informations pertinentes (Gross c. Suisse [GC], no 67810/10, § 28, CEDH 2014, avec des références ultérieures).
54. En l’espèce, la Cour note que, du 8 au 25 août 2013, le premier requérant a effectivement été suspendu de ses fonctions de président du comité. Toutefois, d’après les pièces du dossier, le 25 août 2013, à la suite d’une réunion de l’assemblée générale, l’intéressé a été réélu président du comité et a obtenu un vote de confiance l’habilitant à saisir la Cour de la présente requête (paragraphe 34 ci-dessus), ce qu’il a d’ailleurs fait le 4 décembre 2013.
55. Dans ce contexte, de l’avis de la Cour, la conduite du premier requérant n’était pas de nature à la tromper sur un élément essentiel pour l’examen de la requête. Partant il convient de rejeter cette exception du Gouvernement.
2. Sur l’exception du Gouvernement relative à la qualité de victime du second requérant
56. Le Gouvernement estime que le second requérant n’est plus victime d’une violation de l’article 11 de la Convention. Il met en avant le fait que, à la demande de C.C. - qui, selon lui, avait succédé au premier requérant à la présidence du comité –, la cour d’appel a ordonné, par son arrêt définitif du 27 juin 2016, l’enregistrement du Parti Communiste Roumain - Siècle XXI (paragraphe 41 ci-dessus).
57. Les requérants répliquent que ce dernier parti est un parti distinct de celui pour lequel le premier requérant s’est vu mandater aux fins de son enregistrement et que la seule ressemblance entre ces deux formations politiques réside dans la circonstance que toutes deux déclarent être des partis communistes. Ils indiquent qu’ils ont demandé l’enregistrement d’un nouveau parti mais qui est le continuateur en fait du PCR constitué en mai 1921, lequel avait gouverné le pays pendant environ quarante ans, avait été renversé du pouvoir par la violence et avait été mis dans l’impossibilité de fonctionner par la confiscation de tous ses biens, l’assassinat de son leader et l’arrestation de ses dirigeants.
58. À cet égard, il convient de souligner que la question de savoir si une personne peut encore se prétendre victime d’une violation alléguée de la Convention implique essentiellement pour la Cour de se livrer à un examen ex post facto de la situation de la personne concernée. Pour ce faire, la Cour tient compte des principes déjà bien établis dans sa jurisprudence concernant la perte de la qualité de victime (voir, parmi beaucoup d’autres, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 178 à 180, CEDH 2006‑V). Plus particulièrement, la Cour réaffirme qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999‑VI).
59. La Cour constate que, en l’occurrence, il ressort des documents mis à sa disposition qu’il n’y a pas d’identité entre le second requérant et le Parti Communiste Roumain ‑ Siècle XXI : bien que cette dernière formation politique ait été enregistrée à la suite de l’initiative d’un ancien membre du second requérant, à savoir C.C., les deux formations politiques susmentionnées sont bien distinctes. En effet, les statuts et programmes respectifs de ces deux formations sont différents (paragraphes 36 et 38 ci‑dessus), et, en outre, leur position au sujet de l’ancien PCR est divergente, le Parti Communiste Roumain – Siècle XXI s’étant clairement démarqué de ce dernier dans la demande introductive d’instance présentée par C.C. et le second requérant ayant quant à lui exprimé le souhait d’être le continuateur de ce parti.
60. Dans ces conditions, la Cour ne peut pas considérer que l’arrêt de la cour d’appel du 27 juin 2016, qui ne vise donc pas le second requérant, constitue une mesure favorable à ce dernier, de nature à remplir la première condition imposée par sa jurisprudence en la matière (paragraphe 58 ci‑dessus). En tout état de cause, aucune réparation n’a été offerte à l’intéressé à la suite d’un éventuel constat, même en substance, de la méconnaissance de son droit à la liberté d’association.
61. Partant, la Cour rejette l’exception du Gouvernement et estime que le second requérant peut se prétendre « victime » au sens de l’article 34 de la Convention.
3. Autres motifs d’irrecevabilité
62. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Observations des parties
(a) Les requérants
63. Les requérants revendiquent la possibilité pour le PCR constitué en 1921 d’exister à nouveau dans le contexte historique actuel afin qu’il puisse défendre son passé et proposer des solutions aux problèmes de la société roumaine. Ils disent que le second requérant entend être le continuateur de ce parti, qui a dirigé la Roumanie jusqu’en décembre 1989, non seulement sur les plans théorique et politique, mais aussi sur le plan matériel.
64. Estimant que le refus des juridictions nationales d’ordonner l’enregistrement du second requérant constitue une ingérence dans leur droit découlant de l’article 11 de la Convention, les requérants considèrent que les décisions des juridictions nationales sont fondées sur une interprétation erronée des documents leur ayant été soumis. Or, à leurs dires, les documents constitutifs du second requérant mentionnaient de manière expresse que ce dernier s’engageait à respecter l’ordre juridique, le pluralisme politique et la Constitution roumaine. Les requérants ajoutent que, faute d’enregistrement, le second requérant ne peut ni participer à la vie politique ni prendre part aux débats publics ni avoir accès aux ressources matérielles ayant appartenu à l’ancien PCR jusqu’en 1989 et ayant été confisquées par l’État roumain. Selon eux, la restriction de leur droit à la liberté d’association a été excessive.
(b) Le Gouvernement
65. Le Gouvernement plaide qu’il n’y a pas eu d’ingérence dans le droit à la liberté d’association des requérants dès lors que, selon lui, le second requérant a été enregistré sous la dénomination de « Parti Communiste Roumain – Siècle XXI ».
66. Pour le cas où la Cour considèrerait qu’il y a eu ingérence dans le droit à la liberté d’association des requérants, le Gouvernement soutient que la mesure en cause poursuivait un but légitime, à savoir la protection de la sécurité nationale, laquelle aurait pu être mise à mal du fait de l’émergence d’un parti communiste présentant une doctrine similaire à celle du parti qui avait gouverné le pays pendant le régime totalitaire. Il soutient également que cette mesure visait aussi à la protection de la morale et des droits d’autrui.
67. Ensuite, le Gouvernement expose que les juridictions nationales ont rejeté la demande d’enregistrement du second requérant au motif que ce dernier ne remplissait pas les conditions prévues par la loi, et ce non seulement pour des raisons liées à sa dénomination, à son programme et à sa doctrine, mais aussi pour des raisons formelles. De l’avis du Gouvernement, il était loisible aux requérants de saisir les juridictions nationales d’une nouvelle demande d’enregistrement.
68. Enfin, le Gouvernement argue que la décision des juridictions nationales de ne pas ordonner l’enregistrement du second requérant relève de la marge d’appréciation des États, compte tenu notamment de l’enjeu en cause, à savoir la sécurité nationale. Il avance que la décision contestée doit être examinée à la lumière du contexte particulier de l’histoire récente de la Roumanie.
2. Appréciation de la Cour
(a) Sur l’existence d’une ingérence
69. La Cour constate que les positions des parties divergent sur la question de l’existence en l’espèce d’une ingérence dans le droit à la liberté d’association des requérants (paragraphes 64 et 65 ci-dessus).
70. Elle rappelle que le refus d’enregistrement d’un parti politique constitue une ingérence dans son droit à la liberté d’association (Partidul Comunistilor (Nepeceristi) et Ungureanu c. Roumanie, no 46626/99, § 27, CEDH 2005‑I (extraits). En l’espèce, la demande des requérants tendant à l’enregistrement du second requérant en tant que parti politique a été rejetée par les juridictions nationales. En outre, comme cela a été déjà expliqué ci‑avant (paragraphes 59 et 60 ci-dessus), le Parti Communiste
Roumain – Siècle XXI est une formation politique distincte du second requérant de sorte que son enregistrement sur la liste des partis politiques n’a pas d’incidence sur la situation de ce requérant.
71. La Cour est donc d’avis que le refus d’enregistrement du second requérant en tant que parti politique s’analyse en une ingérence dans le droit à la liberté d’association des requérants.
(b) Sur la justification de l’ingérence
72. La Cour rappelle qu’une telle ingérence enfreint l’article 11 de la Convention sauf si elle est « prévue par la loi », vise un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et est « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ce ou ces buts (voir, parmi beaucoup d’autres, Partidul Comunistilor (Nepeceristi) et Ungureanu, précité, § 28).
(i) Sur la question de savoir si l’ingérence était « prévue par la loi »
73. La Cour note d’emblée que les juridictions internes ont fondé leurs décisions sur la loi no 14/2003, qui permettait l’enregistrement des nouveaux partis politiques ou la réorganisation des partis politiques déjà existants (paragraphe 26 ci-dessus) et qui prévoyait les conditions à remplir pour toute demande d’enregistrement (paragraphes 26 et 30 ci-dessus). La cour d’appel a également fondé son raisonnement sur l’article 3 h) de la loi no 51/1991 et sur les dispositions de la Constitution (paragraphe 29 ci‑dessus). L’ingérence avait donc une base en droit interne (paragraphes 42, 43 et 45 ci-dessus).
74. La qualité des dispositions légales susmentionnées n’étant pas mise en cause par les requérants (pour une description de la notion de « qualité de la loi », voir Magyar Kétfarkú Kutya Párt c. Hongrie [GC], no 201/17, §§ 93 et 94, 20 janvier 2020), la Cour partira du principe que l’ingérence en question était « prévue par la loi ».
(ii) Sur la poursuite d’un but légitime
75. La Cour considère que, eu égard notamment à l’expérience totalitaire qu’a connue la Roumanie, la mesure litigieuse peut passer pour avoir visé à la protection de la sécurité nationale et à la protection des droits et libertés d’autrui (Partidul Comunistilor (Nepeceristi) et Ungureanu, précité, § 37).
(iii) Sur la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique
(α) Principes généraux
76. La Cour a confirmé à plusieurs reprises le rôle primordial que les partis politiques qui jouissent des libertés et droits reconnus par l’article 11 ainsi que par l’article 10 de la Convention jouent dans un régime démocratique. Eu égard en effet au rôle des partis politiques, toute mesure prise contre eux affecte à la fois la liberté d’association et, partant, l’état de la démocratie dans le pays dont il s’agit (Parti républicain de Russie c. Russie, no 12976/07, § 78, 12 avril 2011).
77. Les exceptions visées à l’article 11 de la Convention appellent, à l’égard des partis politiques, une interprétation stricte, seules des raisons convaincantes et impératives pouvant justifier des restrictions à leur liberté d’association. Pour juger en pareil cas de l’existence d’une nécessité au sens de l’article 11 § 2, les États contractants ne disposent que d’une marge d’appréciation réduite, laquelle se double d’un contrôle européen rigoureux portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, y compris celles d’une juridiction indépendante (Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998, § 46, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I).
78. Toutefois, les États ont le droit - sous réserve du respect de la condition de proportionnalité - d’exiger des formations politiques demandant leur enregistrement officiel qu’elles se conforment à des formalités légales raisonnables (Organisation macédonienne unie Ilinden - PIRIN et autres c. Bulgarie (no 2), nos 41561/07 et 20972/08, § 83, 18 octobre 2011). Cependant, la Cour doit vérifier si une mesure apparemment neutre entravant les activités d’un parti politique a en fait pour but de pénaliser celui-ci en raison des opinions ou des politiques qu’il promeut (voir, mutatis mutandis, Parti nationaliste basque - Organisation régionale d’Iparralde c. France, no 71251/01, § 33 in fine, CEDH 2007‑II).
79. De même, un État contractant à la Convention, en se fondant sur ses obligations positives, peut imposer aux partis politiques, formations destinées à accéder au pouvoir et à diriger une part importante de l’appareil étatique, le devoir de respecter et de sauvegarder les droits et libertés garantis par la Convention ainsi que l’obligation de ne pas proposer un programme politique en contradiction avec les principes fondamentaux de la démocratie (Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c. Turquie [GC], nos 41340/98 et 3 autres, § 103, CEDH 2003‑II).
80. La Cour a déjà estimé qu’un parti politique peut mener campagne en faveur d’un changement de la législation ou des structures légales ou constitutionnelles de l’État à deux conditions : 1) les moyens utilisés à cet effet doivent être en tous points légaux et démocratiques ; 2) le changement proposé doit lui-même être compatible avec les principes démocratiques fondamentaux (Yazar et autres c. Turquie, nos 22723/93, 22724/93 et 22725/93, § 49, CEDH 2002-II, et Refah Partisi et autres, précité, § 98).
81. Enfin, la Cour n’a point pour tâche de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais de vérifier sous l’angle de l’article 11 les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Il ne s’ensuit pas que la Cour doive se borner à rechercher si l’État défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable : il lui faut considérer l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants ». Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l’article 11, et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents (Partidul Comunistilor (Nepeceristi) et Ungureanu, précité, § 49).
(β) Application de ces principes au cas d’espèce
82. En l’espèce, il appartient à la Cour d’apprécier si l’ingérence litigieuse, à savoir le rejet de la demande d’enregistrement du second requérant en tant que parti politique, décidé par le tribunal départemental dans son jugement du 21 février 2013 (paragraphe 19 ci‑dessus) et entériné par la cour d’appel dans son arrêt définitif du 16 juillet 2013 (paragraphes 24 à 31 ci-dessus), répondait à un « besoin social impérieux » et était « proportionnée aux buts légitimes poursuivis ».
83. La Cour note d’emblée qu’il ressort de la lecture combinée des décisions rendues en l’espèce que les juridictions nationales ont motivé le rejet de la demande des requérants par deux catégories d’arguments : d’une part, la cour d’appel a fondé son arrêt sur des raisons formelles, à savoir le fait que la demande des requérants ne rentrait pas dans le cadre des hypothèses prévues par la loi pour l’enregistrement des partis politiques et ne respectait pas les conditions imposées par cette dernière pour la formulation d’une demande valide (paragraphes 26, 27 et 30 ci-dessus) ; d’autre part, les deux juridictions ont justifié leur position par des raisons liées au contenu des statuts et du programme politique du parti requérant, dont elles ont examiné la conformité aux dispositions de la loi no 14/2003, de la loi no 51/1991 et de la Constitution (paragraphes 19 et 29 ci-dessus). Dès lors, la Cour se penchera sur la question de la nécessité de l’ingérence litigieuse en prenant en considération pour l’essentiel les motifs de rejet retenus par les juridictions internes, qu’elle analysera successivement ci‑après (voir, mutatis mutandis, Parti communiste unifié de Turquie et autres, précité, § 52).
‒ Quant aux raisons formelles retenues pour justifier le refus d’enregistrement
84. S’agissant de la première catégorie d’arguments, la Cour relève, à l’instar de la cour d’appel (paragraphe 25 ci-dessus), que, bien qu’ils aient saisi les juridictions nationales d’une demande d’inscription du second requérant sur la liste des partis politiques, les requérants ne souhaitaient pas créer une nouvelle formation politique : ils entendaient reconstituer un parti qui avait eu une activité politique avant la demande d’enregistrement (voir, pour une situation différente, Partidul Comunistilor (Nepeceristi) et Ungureanu, précité, § 51, où le parti requérant était une formation politique qui n’avait pas eu d’activité politique avant sa demande d’enregistrement ; voir aussi Tsonev c. Bulgarie, no 45963/99, § 59, 13 avril 2006). Sont pertinents à cet égard tant les statuts du parti requérant que les prises de position du premier requérant en sa qualité de président dudit parti, qui démontrent que les intéressés considéraient le second d’entre eux comme le continuateur de l’ancien PCR, qui avait gouverné la Roumanie jusqu’en décembre 1989, et que leur intention était de redonner vie à ce dernier parti (paragraphes 11, 14 et 15 ci-dessus).
85. La Cour observe ensuite que le cadre législatif mis en place par la loi no 14/2003 prévoyait les hypothèses dans lesquelles une formation politique pouvait être inscrite sur la liste des partis politiques : soit il était question de la constitution d’une nouvelle formation politique ; soit il s’agissait d’une réorganisation, auquel cas la formation politique à restructurer devait avoir été préalablement légalement constituée (paragraphes 26 et 45 ci‑dessus). La loi interne prévoyait donc de manière claire et précise les hypothèses dans lesquelles une formation politique pouvait être enregistrée.
86. Or, de l’avis de la Cour, et comme l’a constaté la cour d’appel, la demande des requérants ne rentrait dans le cadre d’aucune des hypothèses prévues par la loi pour l’enregistrement d’un parti politique : il ne s’agissait ni d’une demande d’enregistrement d’un nouveau parti ni d’une demande de réorganisation d’une formation politique qui avait été déjà légalement constituée. À ce dernier égard, la Cour observe que l’ancien PCR ne fonctionnait plus en Roumanie depuis décembre 1989 (paragraphes 46 et 47 ci-dessus) et qu’il n’est démontré par aucun des documents mis à sa disposition que ce parti avait été enregistré sur la liste des partis politiques après décembre 1989 dans le respect des dispositions légales régissant cette matière (paragraphe 44 ci-dessus).
87. La Cour note en outre qu’il existait une irrégularité, relevée par la cour d’appel, dans l’établissement du document censé attester l’authenticité des signatures des partisans du second requérant (paragraphe 30 ci-dessus).
88. La Cour considère donc que, pour débouter les requérants, la cour d’appel a tenu compte des carences constatées dans le dossier de demande d’enregistrement. Reste à savoir si, d’une part, les exigences formelles mises en avant par la cour d’appel étaient raisonnables et si, d’autre part, les conséquences du non-respect par les requérants de celles-ci étaient proportionnées (voir, en ce sens, Organisation macédonienne unie Ilinden - PIRIN et autres (no 2), précité, § 91).
89. Sur le premier point, s’agissant des hypothèses prévues par la loi pour l’enregistrement d’un parti politique, la Cour rappelle qu’il n’est pas déraisonnable pour un État de subordonner la formation d’un parti politique à la réalisation, dans un ordre précis, de certaines étapes qui ne sont pas indûment exagérées. Les formalités requises peuvent varier en fonction des facteurs historiques et politiques propres à chaque pays, et les États disposent d’une certaine marge d’appréciation pour les fixer. En effet, il existe une grande variété de régimes réglementaires dans ce domaine dans les différents États membres du Conseil de l’Europe (voir Organisation macédonienne unie Ilinden - PIRIN et autres (no 2), précité, § 92, ainsi que les documents de la Commission de Venise auxquels le paragraphe 48 ci‑dessus renvoie).
90. En l’espèce, il convient de tenir compte du contexte historique roumain et du fait que le premier acte normatif venu réglementer le pluralisme politique dans une société démocratique date de décembre 1989. Comme mentionné déjà plus haut (paragraphe 86 ci-dessus), le PCR n’a plus officiellement existé depuis l’instauration du régime démocratique en Roumanie. De l’avis de la Cour, il n’est pas déraisonnable, surtout dans le contexte historique de l’affaire, que la législation roumaine ne permet la reconstitution de formations politiques n’ayant jamais fonctionné légalement dans un régime démocratique.
91. S’agissant de l’obligation légale relative à la liste des signatures des partisans de la formation politique, de l’avis de la Cour, et compte tenu du but mentionné par la loi, à savoir l’attestation de l’authenticité des signatures (paragraphe 45 ci‑dessus), il n’est pas non plus déraisonnable, en soi, d’exiger qu’un demandeur joigne une déclaration de responsabilité de la personne ayant établi la liste des signatures en question à sa demande.
92. Sur le deuxième point, il convient de rappeler que la protection des opinions et de la liberté de les exprimer au sens de l’article 10 de la Convention constitue l’un des objectifs de la liberté d’association (voir, par exemple, Refah Partisi et autres, précité, § 88). Dans ce contexte, les conditions formelles imposées par les États pour l’inscription d’un parti politique ne doivent pas être de nature à empêcher ledit parti de promouvoir ses idées et convictions politiques. Or, en l’espèce, les exigences légales que, selon la cour d’appel, les requérants n’avaient pas respectées sont, de l’avis de la Cour, purement neutres quant à leur contenu et ne visaient pas spécifiquement le parti requérant. La Cour considère donc que cette catégorie d’arguments opposés à la demande des intéressés n’avait pas pour but de pénaliser ce parti en raison des opinions ou des politiques qu’il défendait (voir, mutatis mutandis, Parti nationaliste basque - Organisation régionale d’Iparralde c. France, no 71251/01, § 33 in fine, CEDH 2007‑II).
93. S’agissant de la condition relative à la soumission de la déclaration de responsabilité, la Cour considère que les requérants pouvaient y satisfaire en présentant une nouvelle déclaration émise par la personne chargée de l’établissement de la liste des signatures des partisans, ce qui ne constituait pas un obstacle démesuré (voir, mutatis mutandis, Organisation macédonienne unie Ilinden - PIRIN et autres (no 2), précité, § 94, et Mouvement pour le Royaume démocratique c. Bulgarie, no 27608/95, décision de la Commission du 29 novembre 1995, non publiée).
94. Partant, la Cour estime que les raisons formelles opposées par la cour d’appel à l’enregistrement du second requérant sont « pertinentes et suffisantes » et « proportionnées au but légitime poursuivi ».
‒ Quant aux raisons liées au contenu des statuts et du programme politique retenues pour justifier le refus d’enregistrement
95. S’agissant ensuite de l’examen des statuts et du programme politique élaborés par les requérants, la Cour observe que, en se référant aux statuts et au programme versés au dossier, la cour d’appel a considéré que l’intention des intéressés était de promouvoir une société socialiste avec une économie de type socialiste où l’État, au nom du peuple, avait pleine autorité sur l’économie nationale (paragraphe 29 ci-dessus). De l’avis de la cour d’appel, ce projet était contraire à la Constitution, laquelle garantissait le droit à la propriété privée, le pluralisme politique et l’État de droit. Après avoir procédé à un rapprochement entre la politique menée par l’ancien PCR pendant le régime totalitaire et les statuts et le programme politique du parti requérant, le tribunal départemental et la cour d’appel ont estimé que l’intention des requérants de respecter les principes démocratiques n’était pas convaincante, et la cour d’appel a jugé les déclarations des intéressés comme purement formelles (paragraphes 19 et 29 ci-dessus).
96. La Cour rappelle ici que le fait qu’un projet politique passe pour incompatible avec les principes et structures actuels de l’État ne le rend pas en soi contraire aux règles démocratiques (Parti socialiste de Turquie (STP) et autres c. Turquie, no 26482/95, § 43, 12 novembre 2003, et Parti socialiste et autres c. Turquie, 25 mai 1998, § 47, Recueil 1998‑III). Cela étant, l’expérience politique des États contractants a montré que, dans le passé, les partis politiques ayant des buts contraires aux principes fondamentaux de la démocratie ne les avaient dévoilés jusqu’à ce qu’ils s’approprient le pouvoir. C’est pourquoi la Cour a toujours rappelé qu’on ne saurait exclure que le programme politique d’un parti cache des objectifs et intentions différents de ceux qu’il affiche publiquement. Pour s’en assurer, il faut comparer le contenu de ce programme avec les actes et prises de position des membres et dirigeants du parti en cause (Refah Partisi et autres, précité, § 101 ; voir, également, en ce sens, Ždanoka c. Lettonie [GC], no 58278/00, § 120 in fine, CEDH 2006‑IV).
97. En l’espèce, la Cour observe, à l’analyse des statuts et du programme politique du parti requérant, que ces textes insistent sur le respect de l’intégrité territoriale et de l’ordre juridique et constitutionnel du pays, ainsi que sur les principes de la démocratie, parmi lesquels le pluralisme politique, et qu’ils mentionnent de manière expresse l’opposition dudit parti au totalitarisme et à tout type de discrimination (paragraphes 11 et 13 ci‑dessus). Elle note également que ces documents ne renferment aucun passage qui puisse passer pour un appel à la violence, au soulèvement ou à toute autre forme de rejet des principes démocratiques ‑ ce qui est un élément essentiel à prendre en considération ‑, ni aucun passage qui puisse être perçu comme un appel à la « dictature du prolétariat » (voir Parti socialiste de Turquie (STP) et autres, précité, § 45, et, a contrario, Parti communiste d’Allemagne c. République fédérale d’Allemagne, no 250/57, décision de la Commission du 20 juillet 1957, Annuaire I, p. 222).
98. Pour déterminer si les juridictions nationales étaient fondées à affirmer que les intentions véritables des requérants étaient contraires aux principes démocratiques, la Cour doit apprécier les documents constitutifs en cause dans le contexte particulier de l’affaire (voir, mutatis mutandis, Parti socialiste de Turquie (STP) et autres, précité, § 49, et Gorzelik et autres c. Pologne [GC], no 44158/98, § 105, CEDH 2004‑I).
99. À cet égard, la Cour rappelle que le contexte historique, en l’occurrence l’expérience du communisme totalitaire en Roumanie jusqu’en 1989, ne saurait justifier à lui seul la nécessité de l’ingérence, d’autant plus que des partis communistes ayant une idéologie marxiste existent dans plusieurs pays signataires de la Convention (Partidul Comunistilor (Nepeceristi) et Ungureanu, précité, 58). Cela étant, elle ne peut ignorer en l’espèce que les requérants ne demandaient pas la simple création d’un parti communiste ayant une idéologie marxiste (voir, a contrario, Partidul Comunistilor (Nepeceristi) et Ungureanu, précité, § 55, et Tsonev, précité, § 59). En effet, les intéressés proclamaient que le second requérant entendait être le continuateur du parti qui avait dirigé la Roumanie avant la soumission de leur demande d’enregistrement : ce parti avait gouverné le pays en imposant un régime totalitaire, lequel avait été renversé en décembre 1989, à la suite de violentes confrontations, pour faire place à un régime démocratique (paragraphe 5 ci-dessus ; voir, a contrario, Parti socialiste de Turquie (STP) et autres, précité, § 50, où le parti requérant avait été dissout avant même ses premières activités, et Tsonev, précité, § 60). Ainsi, les requérants ne se sont pas dissociés concrètement et entièrement de l’ancien PCR. Au contraire, bien qu’ayant établi des nouveaux statuts et un programme politique distinct et bien qu’ayant indiqué vouloir assumer seulement certains des actes de l’ancien PCR (paragraphe 21 ci-dessus), ils ont déclaré que le second d’entre eux entendait être le continuateur de ce dernier parti (voir, mutatis mutandis, Ždanoka, précité, § 123).
100. La Cour tient compte de ce que les autorités internes ont motivé leur refus par la mention contenue dans les statuts aux termes de laquelle le parti requérant « assum[ait] la continuité de l’expérience théorique et pratique du mouvement des travailleurs socialistes et communistes de Roumanie », après s’être livrées à une appréciation des moyens proposés pour atteindre le but du parti requérant - à savoir la mise en place d’une société socialiste fondée principalement sur la propriété socialiste des moyens de production (paragraphe 11 ci-dessus) - à la lumière des déclarations des requérants selon lesquelles le second d’entre eux entendait être le continuateur de l’ancien PCR (paragraphes 25 et 29 ci‑dessus).
101. La Cour observe également que des partis ayant une doctrine communiste existent en Roumanie (paragraphes 16 et 41 ci-dessus). Dès lors, le droit des requérants de se constituer en un parti politique communiste n’est pas illusoire, d’autant moins que les intéressés pourraient réaménager leurs documents constitutifs et qu’ils ont eux‑mêmes affirmé vouloir y parvenir avec de nouveaux statuts et ne souhaiter reprendre que les seules valeurs positives de l’ancien PCR (paragraphe 21 ci-dessus).
102. La Cour observe enfin que la cour d’appel a amplement expliqué aux requérants quelles sont les raisons qui l’ont amenée à juger que leur demande ne satisfaisait pas aux conditions prévues par la loi no 14/2003, la loi no 51/1991 et la Constitution et, en outre, qu’elle a démontré en quoi le programme et les statuts du parti requérant étaient contraires à l’ordre constitutionnel et juridique du pays, et notamment aux principes fondamentaux de la démocratie (paragraphes 25 à 30 ci-dessus ; voir, pour une situation différente, Partidul Comunistilor (Nepeceristi) et Ungureanu, précité, § 55).
103. Dans ce contexte très particulier, eu égard aussi à la marge d’appréciation bien que réduite dont disposent les États, la Cour considère que l’analyse des juridictions nationales quant aux statuts et au programme politique présentés par les requérants n’est pas dénuée de fondement. De l’avis de la Cour, le motif du refus d’enregistrement opposé aux intéressés résidait dans la volonté d’empêcher une formation politique qui avait gravement abusé de sa position au cours d’une longue période, en instaurant un régime totalitaire, de faire à l’avenir un mauvais usage de ses droits, et d’éviter ainsi des atteintes à la sûreté de l’État ou aux fondements d’une société démocratique (voir, mutatis mutandis, X c. Belgique, no 8701/79, décision de la Commission du 3 décembre 1979, Décisions et rapports (DR) 18, pp. 251-252). Le refus d’enregistrement avait donc pour finalité de contrer un abus particulièrement grave, quoique seulement potentiel, de la part des intéressés, qui aurait consisté en une entorse aux principes de l’État de droit et aux fondements de la démocratie.
104. Partant, la Cour estime que les raisons liées au contenu des textes fondateurs du second requérant opposées par les juridictions nationales à l’enregistrement de ce dernier sont « pertinentes et suffisantes » et « proportionnées au but légitime poursuivi ».
(c) Conclusion
105. Eu égard au fait que les autorités nationales étaient fondées à considérer que l’ingérence litigieuse répondait à un « besoin social impérieux » et que celle-ci n’était pas disproportionnée aux buts légitimes poursuivis, la Cour conclut que le refus d’enregistrement du second requérant peut passer pour avoir été « nécessaire, dans une société démocratique », au sens de l’article 11 § 2 de la Convention.
106. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 11 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
107. Les requérants se plaignent de ne pas avoir bénéficié d’une procédure équitable pour demander l’enregistrement du second requérant. Ils reprochent à la cour d’appel non seulement de s’être livrée à une interprétation erronée des éléments de preuve versés au dossier, mais aussi d’avoir qualifié la contestation formée par eux contre le jugement du tribunal départemental de « recours », et non pas d’« appel », ce qui les aurait privés d’une voie de recours ordinaire.
108. Ils invoquent l’article 6 de la Convention, qui, en ses parties pertinentes, est ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
109. La Cour constate que la procédure litigieuse ne concernait ni une contestation sur les droits et obligations de caractère civil des requérants ni une accusation en matière pénale dirigée contre eux, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, mais portait sur le droit du second requérant d’être enregistré comme parti politique et de mener, en tant que tel, ses activités politiques. Il s’agissait donc, par excellence, d’un droit de nature politique, qui comme tel ne relève pas de la garantie de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Refah Partisi (Parti de la Prospérité) et autres c. Turquie (déc.), nos 41340/98 et 3 autres, 3 octobre 2000). Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et qu’il doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare le grief concernant l’article 11 de la Convention recevable et le surplus de la requête irrecevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 11 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 mai 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.p_2}
Andrea Tamietti Jon Fridrik Kjølbro
Greffier Président