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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> CARAMAN v. THE REPUBLIC OF MOLDOVA - 3755/05 (Judgment : Right to a fair trial : Second Section Committee) French Text [2020] ECHR 633 (15 September 2020)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2020/633.html
Cite as: [2020] ECHR 633, CE:ECHR:2020:0915JUD000375505, ECLI:CE:ECHR:2020:0915JUD000375505

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DEUXIÈME SECTION

 

 

 

AFFAIRE CARAMAN c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

(Requête no 3755/05)

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

 



STRASBOURG

15 septembre 2020

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Caraman c. République de Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

          Arnfinn Bårdsen, président,
          Valeriu Griţco,
          Peeter Roosma, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée (no 3755/05) dirigée contre la République de Moldova et dont un ressortissant de cet État, M. Anatolie Caraman (« le requérant »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 29 décembre 2004,

Vu les observations des parties,

Notant que le 27 novembre 2007 la requête a été communiquée au Gouvernement,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 juillet 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1.  La requête concerne, sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, une allégation d’exécution tardive d’une décision définitive enjoignant aux autorités locales d’attribuer un logement au requérant.

EN FAIT

2.  Le requérant est né en 1958 et réside à Chişinău. Il a été représenté par Me V. Nagacevschi, avocat.

3.  Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. L. Apostol.

4.  Au moment des faits, le requérant était employé au ministère des Affaires intérieures. Par un jugement du 4 juin 2003, le tribunal de première instance de Grigoriopol enjoignit à la mairie de Chişinău de lui donner en location, pour un usage permanent, un logement appartenant à l’État. Ce jugement ne fut pas frappé d’appel et il devint définitif quinze jours plus tard.

5.  Ce jugement n’ayant pas été exécuté, le requérant saisit la Cour d’une requête. Le 22 février 2008, l’intéressé et le Gouvernement conclurent un règlement amiable en vertu duquel le Gouvernement s’engageait à verser au requérant la somme de 2 000 euros (EUR) pour préjudice moral et à exécuter immédiatement le jugement du 4 juin 2003. Le 22 avril 2008, la Cour raya la requête du rôle.

6.  Par une lettre du 9 janvier 2009, le requérant demanda à la Cour de réinscrire la requête au rôle, le Gouvernement ayant payé l’indemnité mais n’ayant pas exécuté le jugement du 4 juin 2003. Par une décision du 19 mai 2009, la requête fut réinscrite au rôle.

7.  Le 10 juin 2014, le Gouvernement informa la Cour que le jugement qui avait été rendu en faveur du requérant avait été exécuté le 8 août 2012, la mairie de Chişinău ayant donné un logement social en location à l’intéressé.

8.  Le 30 août 2014, le requérant adressa une lettre à la Cour, dans laquelle il soutenait que l’attribution d’un logement social n’équivalait pas à l’exécution du jugement rendu en sa faveur, en raison principalement de l’impossibilité de privatiser immédiatement ce logement et de le sous-louer. Il indiquait également qu’il existait une différence entre le loyer d’un logement d’État, tel que celui qui lui avait été attribué en vertu du jugement du 4 juin 2004, et le loyer du logement social qui lui avait été attribué par la mairie.

LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT

9.  Le droit moldave pertinent concernant l’exécution des décisions de justice définitives et la privatisation des logements d’État est résumé dans l’affaire Chirica c. République de Moldova (no 50905/08, §§ 9-14, 22 juillet 2014).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DEs ARTICLEs 6 § 1 et 13 DE LA CONVENTION ET DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 à la convention

10.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, le requérant se plaint que le jugement définitif du 4 juin 2003 n’ait pas été exécuté. Sous l’angle de l’article 13 de la Convention, il se plaint en outre de n’avoir disposé d’aucun recours effectif pour faire valoir ses droits découlant de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Dans leurs passages pertinents en l’espèce, ces dispositions sont ainsi libellées :

Article 6 de la Convention

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Article 1 du Protocole no 1 à la Convention

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

(...) »

Article 13 de la Convention

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A.    Sur la recevabilité

11 .  Le Gouvernement estime que le requérant ne peut plus se prétendre « victime » au sens de l’article 34 de la Convention. Il argue que le 8 août 2012 la mairie de Chişinău a attribué un logement social à l’intéressé et que le jugement définitif du 4 juin 2003 et le règlement amiable conclu entre les parties ont ainsi été exécutés.

12.  La Cour rappelle qu’une décision ou mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, § 81, CEDH 2012).

13.  En l’espèce, elle constate que le jugement rendu en faveur du requérant a été exécuté le 8 août 2012, soit avec un retard d’environ neuf ans. Elle note également qu’en vertu du règlement amiable conclu entre les parties le 22 février 2008 le requérant a été dédommagé pour la période d’inexécution de 2003 à 2008. Elle observe néanmoins que l’intéressé n’a reçu aucune réparation pour la période d’inexécution de 2008 à 2012. Au vu de ce qui précède, elle considère que les autorités nationales n’ont pas offert une réparation adéquate à l’intéressé et rejette l’exception relative à la qualité de victime soulevée par le Gouvernement.

14.  Le Gouvernement argue également que le requérant se plaint non pas d’une exécution tardive du règlement amiable, mais des modalités d’exécution du jugement, ce qui, selon lui, constitue un nouveau grief. En outre, quand bien même le requérant se plaindrait de retards dans l’exécution du jugement, le Gouvernement estime que le grief de l’intéressé est tardif dès lors que le délai de six mois a, selon lui, commencé à courir le 8 août 2012, date de l’exécution du jugement.

15.  La Cour relève que le requérant lui a adressé le 9 janvier 2009 une lettre dans laquelle il se plaignait expressément de ce que le règlement amiable et le jugement définitif rendu en sa faveur n’avaient pas été exécutés et elle observe que c’est pour ce motif que la requête a été réinscrite au rôle. La Cour rejette donc l’exception de non-respect du délai de six mois.

16.  Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B.     Sur le fond

17.  Le requérant soutient que l’attribution d’un logement social n’équivalait pas à l’exécution du jugement rendu en sa faveur, exposant qu’il n’a pas acquis le droit de propriété sur l’appartement en question.

18.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. Il avance que le jugement rendu en faveur de l’intéressé ne prévoyait pas l’attribution d’un logement en propriété.

19.  La Cour constate qu’en signant un contrat de bail avec la mairie de Chişinău le 8 août 2012 le requérant a reçu un logement social en location. Elle note également que le jugement rendu le 4 juin 2003 ne prévoyait pas l’attribution d’un logement en propriété. Les tribunaux ont enjoint aux autorités locales d’attribuer à l’intéressé un logement conformément aux dispositions légales, qui prévoyaient l’attribution des logements en usage et non en propriété privée (paragraphe 14 ci-dessus). La Cour observe en outre que le requérant a signé le contrat de bail avec la mairie, sans formuler d’objections quant aux modalités d’exécution du jugement rendu en sa faveur. Au vu de ce qui précède, elle considère que les autorités nationales ont exécuté le jugement litigieux le 8 août 2012.

20.  La question qui se pose est de savoir si la durée de la procédure d’exécution a été raisonnable. La Cour constate que le 22 février 2008 le Gouvernement a conclu un règlement amiable avec le requérant en s’engageant à exécuter immédiatement le jugement du 4 juin 2003. Elle relève aussi que le Gouvernement n’a honoré ses obligations que quatre ans et demi plus tard et qu’il n’a pas fourni d’explications pertinentes sur ce point. Elle rappelle qu’une autorité étatique ne peut justifier la non-exécution d’un jugement par l’absence de fonds et de logements de substitution (Prodan c. Moldova, no 49806/99 , § 53, CEDH 2004‑III (extraits)).

21 .  La Cour rappelle qu’elle a dit à maintes reprises dans des affaires soulevant des questions de non-exécution que l’impossibilité pour un créancier de faire exécuter intégralement et dans un délai raisonnable une décision rendue en sa faveur constitue une violation dans le chef de l’intéressé du « droit à un tribunal » consacré par l’article 6 § 1 de la Convention ainsi que du droit à la libre jouissance des biens garanti par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (Prodan, précité, §§ 56 et 62).

22.  À la lumière des circonstances de l’espèce, la Cour ne voit aucune raison de parvenir à une conclusion différente dans la présente affaire. Partant, elle estime qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention à raison de la non-exécution par les autorités dans un délai raisonnable du jugement définitif rendu en faveur du requérant.

23.  Eu égard à ce constat, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu en l’espèce violation de l’article 13 de la Convention (voir, entre autres, Popov c. Moldova (no 1), no 74153/01, § 58, 18 janvier 2005).

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

24.  Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.    Dommage

25.  Le requérant sollicite la somme de 5 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subi à la suite de l’exécution tardive du jugement rendu en sa faveur.

26.  Le Gouvernement conteste cette demande.

27.  La Cour note que l’intéressé a été dédommagé partiellement au niveau national en percevant, en vertu du règlement amiable conclu avec le Gouvernement, la somme de 2 000 EUR pour la période d’inexécution de 2003 à 2008. Elle relève également que le requérant n’a pas été dédommagé pour la période allant de 2008 à 2012. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère qu’il y a lieu de lui octroyer la somme de 1 600 EUR à ce titre.

B.     Intérêts moratoires

28.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Déclare la requête recevable ;

2.      Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

3.      Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief formulé sur le terrain de l’article 13 de la Convention ;

4.      Dit,

a)     que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois, la somme de 1 600 EUR (mille six cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b)     qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5.      Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 septembre 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

   Hasan Bakırcı                                                                    Arnfinn Bårdsen
  Greffier adjoint                                                                        Président

 


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