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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> A.I. v. ITALY - 70896/17 (Judgment : Right to respect for private and family life : First Section) French Text [2021] ECHR 269 (01 April 2021) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2021/269.html Cite as: ECLI:CE:ECHR:2021:0401JUD007089617, [2021] ECHR 269, CE:ECHR:2021:0401JUD007089617 |
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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE A.I. c. ITALIE
(Requête no no )
ARRÊT
Art 8 • Vie familiale • Victime de traite d’origine nigériane privée de tout contact avec ses enfants en dépit des préconisations d’experts et avant même la décision définitive sur leur adoptabilité • Procédure portant sur l’adoptabilité des enfants pendante depuis plus de trois ans • Intérêts supérieurs des enfants n’ayant pas primé • Vulnérabilité de la mère victime de traite non prise en compte • Appréciation des aptitudes parentales de la mère sans considérer son origine nigériane ni le modèle différent d’attachement entre parents et enfants dans la culture africaine
STRASBOURG
1er avril 2021
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire A.I. c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :
Ksenija Turković, présidente,
Krzysztof Wojtyczek,
Alena Poláčková,
Gilberto Felici,
Erik Wennerström,
Raffaele Sabato,
Lorraine Schembri Orland, juges,
et de Renata Degener, greffière de section,
Vu la requête (no 70896/17) dirigée contre la République italienne et dont une ressortissante nigériane, Mme A.I. (« la requérante ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 13 octobre 2017,
Vu la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement »),
Vu les observations des parties,
Vu la décision par laquelle la Cour a décidé de ne pas dévoiler l’identité de la requérante,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 mars 2021,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. L’affaire porte sur l’impossibilité pour la requérante, mère de deux enfants, d’exercer un droit de visite, en raison de l’interdiction de contacts ordonnée par le tribunal dans sa décision d’adoptabilité, alors que la procédure portant sur l’adoptabilité des enfants est encore pendante depuis plus de trois ans.
2. La requérante est née en 1981 et réside à Rome. Elle est représentée par Me S. Fachile, avocat.
3. Le Gouvernement a été représenté par son ancien agent à la Cour européenne des droits de l’homme, Mme E. Spatafora, et son ancien coagent, Mme M. G. Civinini.
4. La requérante, une ressortissante nigériane, arriva en Italie à une date non précisée en tant que victime de la traite d’êtres humains. Elle est la mère de deux enfants, J. et M., nées respectivement le 17 janvier 2012 et le 20 mai 2014.
5. À partir d’avril 2014, la requérante et sa fille, J., furent hébergées auprès du centre d’accueil de la « Via Staderini » de Rome.
6. Le 19 juin 2014, M. fut hospitalisée à Rome en raison d’une varicelle. Les médecins lui diagnostiquèrent une infection HIV. Selon les informations de l’hôpital, la requérante s’était opposée à entreprendre un parcours thérapeutique pourtant nécessaire pour l’enfant qui présentait un cadre clinique sérieux.
7. Le 25 juin 2014, le procureur près le tribunal pour enfants (ci-après « le tribunal ») saisit le tribunal d’une demande tendant à la suspension de l’autorité parentale de la requérante sur sa fille M.
8. Le 2 juillet 2014, le tribunal fit droit à la demande du procureur. Il nomma le maire de Rome en qualité de tuteur de l’enfant et lui ordonna de la placer - au moment de sa sortie de l’hôpital - dans une maison d’accueil avec interdiction de venir la chercher ou de l’éloigner sans autorisation du tribunal. Il demanda au parquet d’identifier l’autre enfant de la requérante, J., et de vérifier si elle se trouvait en situation de danger.
9. Le 17 juillet 2014, M. fut placée dans la maison d’accueil « Gruppo Appartamento Il Girotondo ».
10. Le 18 juillet 2014, le procureur demanda au juge d’ordonner une mesure de protection à l’égard de la fille aînée de la requérante, J.
11. Le 30 octobre 2014, le tribunal constata que la mère refusait que sa fille ainée, J., fît des tests de diagnostic, que l’enfant vivait dans un centre de premier accueil inadapté à ses exigences et que la mère refusait son transfert dans une maison d’accueil.
12. Par une décision du 27 novembre 2014, le tribunal décida de suspendre la responsabilité parentale de la requérante sur sa fille aînée, J. Il nomma le maire de Rome pro tempore en qualité de tuteur provisoire de la mineure et le chargea de placer l’enfant, conjointement avec la mère si elle y consentait, dans une structure d’accueil adaptée avec interdiction pour quiconque de la retirer sans autorisation du tribunal. Il ordonna de vérifier l’état de santé de J. et chargea le centre d’aide pour l’enfance maltraitée (ci-après le « centre ») d’effectuer une évaluation urgente de la personnalité et des capacités parentales de la requérante, de l’existence de ressources nécessaires pour s’occuper des enfants ainsi que du niveau psychophysique de la mineure J.
13. La requérante et J. furent transférées dans une autre structure d’accueil.
14. Le tuteur informa le centre que la requérante déléguait souvent la surveillance de l’enfant pour pouvoir sortir, qu’elle la confiait à des personnes non autorisées, et qu’elle ne se préoccupait pas des conditions de santé de l’enfant, car elle ne retirait pas les résultats des tests effectués.
15. J. fut hospitalisée du 27 février au 10 mars 2015.
17. Le 14 mai 2015, le tuteur pria le tribunal de pouvoir continuer à observer la relation entre la mineure, J., et la requérante pour en vérifier les progrès, d’autoriser la mère à sortir librement avec l’enfant, et de maintenir la fréquence des visites auprès de J., limitée à une par semaine. Le procureur sollicita le placement de la requérante et des deux enfants dans la même structure.
18. Par une décision du 11 juin 2015, le tribunal chargea le tuteur de placer les filles ensemble, avec leur mère, dans une structure adaptée et lui ordonna d’accorder à la mère de brèves sorties de la structure d’accueil en fonction des éventuels progrès faits par celle-ci dans la façon de s’occuper de ses filles.
19. Le 26 juin 2015, M. fut placée dans la même maison d’accueil que celle de sa mère et sa sœur.
20. Le 27 octobre 2015, le centre déposa un rapport dans lequel il était mentionné que la requérante s’occupait bien des enfants, mais qu’elle avait encore de grandes difficultés à établir des relations interpersonnelles avec les opérateurs de la structure d’accueil.
21. Le 4 novembre 2015, l’avocat de la requérante demanda de faire bénéficier l’intéressée d’un parcours d’autonomie dans une maison louée ou mise à disposition pour elle et de révoquer la suspension de l’autorité parentale. Il allégua que le père de M. était titulaire d’un permis de séjour de protection internationale, qu’il travaillait à Malte, qu’il avait repris la relation avec la requérante, et qu’il voulait reconnaître M. et supporter les dépenses de l’intéressée et des deux enfants.
22. Le 21 décembre 2015, le tribunal rejeta la demande de la requérante. Il demanda à l’hôpital de rédiger un rapport sur les conditions actuelles de santé de la requérante et convoqua le tuteur, le responsable de la structure d’accueil ainsi que le responsable du centre pour réexaminer la situation.
23. Le 29 février 2016, le centre soumit au tribunal et au tuteur un rapport qui mentionnait qu’il était difficile d’avoir des contacts réguliers avec la requérante, laquelle manifestait son irritation par rapport à sa présence permanente dans la structure d’accueil. Elle était incapable de finaliser et gérer un projet en autonomie, et se limitait à nourrir et à jouer avec les enfants sans respecter les horaires de l’école.
24. Le 14 mars 2016, le procureur demanda au tribunal de vérifier si les enfants se trouvaient dans un état d’abandon, condition préalable requise pour pouvoir déclarer leur adoptabilité.
25. Par une décision du 18 mars 2016, le tribunal ordonna l’ouverture de la procédure afin d’établir si les mineures étaient dans un état d’abandon, confirma la suspension de l’autorité parentale de la requérante et du père de J., et ordonna le placement des mineures dans une maison d’accueil avec possibilité pour la mère de leur rendre visite une fois par semaine.
26. Le 24 mars 2016, les enfants furent placées dans la maison d’accueil « Casa Famiglia Mirella ».
27. Par une décision du 23 mai 2016, le tribunal ordonna une expertise sur les conditions psychophysiques, les problématiques psychiatriques ou psychologiques éventuelles de la requérante et leur impact sur ses capacités parentales. Il accorda à la requérante un droit de visite à raison de deux heures par semaine.
28. L’expertise indiquait que la requérante était atteinte de troubles mixtes de la personnalité comprenant des traits paranoïaques dominants, accompagnés d’aspects narcissiques, ainsi que d’une pauvreté généralisée des capacités de logique et d’abstraction. Il ressortait de l’examen direct des interactions entre la mère et la fille ainsi que de l’analyse des rapports médicaux que la requérante souffrait de troubles psychiques qui interféraient de manière significative dans l’expression des capacités parentales. La requérante ne détachait pas ses propres besoins de ceux des mineures, elle manquait d’abstraction par rapport aux besoins de ses filles et apparaissait excessivement superficielle quant à l’évaluation des aspects logistiques concernant ses enfants. En particulier, « les déficits de la parentalité concern[aient] les domaines de la fonction régulatrice, normative, significative et représentative ».
29. Par une décision du 9 janvier 2017, le tribunal, en s’appuyant sur les conclusions de l’expertise, déclara les enfants abandonnées et adoptables. Il motiva sa décision en soulignant qu’il n’était pas possible d’accorder des aides supplémentaires à la requérante et que de plus les enfants ne pouvaient pas rester placées dans une structure en attendant que la requérante ait récupéré ses capacités parentales. Afin de gérer la situation des enfants, il confirma la nomination du tuteur, ordonna le placement des enfants dans une maison d’accueil et interdit tout contact entre les enfants et la requérante.
30. Par un recours déposé le 1er mars 2017, la requérante fit appel du jugement et introduisit une demande en référé, conformément à l’article 700 du code de procédure civile, visant à suspendre l’interdiction des contacts.
31. Par une décision du 13 mars 2017, le président de la cour d’appel de Rome fixa la comparution des parties à l’audience prévue le 20 juin 2017 et ordonna aux services sociaux de rédiger un rapport sur les conditions de vie de la requérante.
32. À l’audience du 7 novembre 2017, la cour d’appel constata que la requérante n’avait pas été trouvée dans l’habitation où elle avait élu domicile et qu’elle ne s’était jamais mise en contact avec les services sociaux. Pendant l’audience, l’intéressée fut informée que les enfants avaient été placées, en vue de leur adoption, dans deux familles différentes.
33. Par une ordonnance de la même date, la cour d’appel examina la demande en référé visant à suspendre l’interdiction des contacts et souligna que si la déclaration d’adoptabilité venait à être confirmée en appel les mineures auraient souffert, au cas où les contacts auraient repris, d’un nouvel éloignement avec la mère. Il était dans l’intérêt des filles de maintenir la suspension des contacts pendant la durée de la procédure en appel. Toutefois, la cour d’appel ordonna une nouvelle expertise et demanda à l’expert :
« de décrire et d’évaluer, avec l’aide d’un médiateur culturel et si nécessaire avec un interprète de langue anglaise, l’actuelle condition psychophysique et la personnalité de la requérante, en précisant les pathologies dont elle [était] atteinte et en acquérant le dossier médical de celle-ci auprès de l’hôpital, ainsi que les séquelles de sa maladie sur le plan physique et psychique et leur incidence sur sa capacité parentale, en faisant une référence spécifique à sa capacité d’éduquer les mineures d’un point de vue matériel et moral ».
L’expert devait également préciser s’il y avait des possibilités concrètes de voir la requérante récupérer ses capacités parentales, compte tenu de son histoire personnelle et de sa situation actuelle : quelles étaient, dans l’affirmative, les aides pour y parvenir et si le délai nécessaire à une telle récupération était compatible avec les exigences liées à l’évolution des mineures. L’expert devait, en outre, vérifier les conditions psychophysiques des mineures, évaluer les conséquences pouvant surgir à la suite d’un rétablissement des contacts entre les enfants et la requérante, fixer les modalités relatives aux rencontres sans porter préjudice aux mineures.
34. Il ressortait du rapport d’expertise qu’en ce qui concernait les évaluations des compétences parentales faites antérieurement, l’attitude méfiante de la requérante décrite par les opérateurs sociaux pouvait résulter des implications psychologiques de la condition de victime de traite, plutôt que des caractéristiques de la personnalité de l’intéressée ou de troubles mentaux importants. Le rapport précisait qu’en raison du traumatisme migratoire subi par la requérante, « [l’attitude de celle-ci] suscitait une réaction peu solidaire de la part des services sociaux, non formés à l’accueil de personnes appartenant à d’autres cultures ». Selon l’expert, « l’origine nigériane de la requérante [pouvait] avoir contribué à alimenter une vision stéréotypée d’une famille considérée comme peu fiable et [pouvait] faire croire que les femmes issues de cette origine [étaient] souvent impliquées dans les circuits de prostitution ». Le rapport indiquait que la requérante présentait des traits de personnalité ainsi que des troubles psychiques qui se répercutaient de manière significative sur sa capacité parentale, et que la possibilité de récupérer une pleine fonction parentale était difficilement compatible avec les exigences des enfants. À cet égard, l’expertise mettait en évidence la faible prise de conscience de soi de la requérante et sa faible propension à demander de l’aide. S’agissant de sa capacité d’éduquer ses filles d’un point de vue moral, elle avait toujours montré un fort attachement à son rôle de mère. Le rapport comportait les passages suivants :
« Elle s’est trouvée désorientée par rapport à la condition de mère isolée dans un pays étranger où les systèmes de soins et d’éducation diffèrent considérablement de ceux de son propre pays et dont la prise en charge des filles semble être profondément influencée par sa culture d’origine. En effet, l’échange entre mère et fils dans la culture africaine est plus marqué par des contacts corporels que par des échanges verbaux et des constats directs de regard ou de jeu partagé. La requérante a été accusée, comme c’est souvent le cas pour les femmes migrantes venant de l’Afrique subsaharienne, de ne pas savoir jouer avec ses filles et de se limiter à l’accueil primaire. Une perception plus attentive des éléments culturels implicites aussi bien dans sa relation liée à l’attention portée à ses filles que dans son approche avec le monde extérieur, aurait pu permettre à la requérante de recevoir un accompagnement pendant sa maternité et de valoriser ses compétences parentales.
La requérante, tout en ayant de bonnes capacités à accueillir moralement et affectivement les enfants, présente des traits de personnalité et/ou des troubles psychiques qui conduisent à l’adoption d’une attitude prudente face à une entière prise de conscience de la responsabilité parentale. »
35. L’expert soulignait que la requérante avait été victime pendant des années de violences sexuelles et qu’elle souffrait de stress post-traumatique. En outre, il observait que :
« Il est raisonnable de penser que si elle est aidée lors d’un parcours psychothérapeutique, la requérante pourrait maintenir un rôle positif dans la vie des filles même si elles restent placées. À cet égard, le lien avec la mère peut fournir ce reflet culturel tout aussi indispensable ; le bon positionnement dans l’histoire transgénérationnelle prend un sens important dans la construction d’une identité. »
36. Selon l’expert, la reprise des rapports entre la requérante et les filles pouvait leur garantir une reconnaissance et un reflet culturel identitaire dans le cadre d’une relation marquée par une forte affectivité. L’expert préconisait de rétablir la relation avec la requérante et de stabiliser en même temps les relations avec les familles d’accueil.
37. Par un arrêt du 2 octobre 2018, la cour d’appel, composée de deux magistrats professionnels et deux magistrats non professionnels, confirma le jugement du tribunal. Elle releva que l’expertise avait mis en évidence que la requérante était dénuée de capacités parentales et que la possibilité de récupérer lesdites capacités n’était pas compatible avec les exigences des enfants. De plus, la requérante n’était pas pleinement consciente de sa maladie, de la maladie de ses filles et de ses difficultés psychologiques.
38. La cour d’appel rejeta la demande de la requérante tendant à ordonner « exclusivement un placement extrafamilial » en permettant aux enfants de rester dans les familles d’accueil où elles étaient placées. À cet égard, elle releva que cette forme de placement devait être considérée comme temporaire, alors que dans le cas d’espèce l’incapacité de la requérante à exercer ses capacités parentales était définitive et que la seule solution était donc de déclarer l’adoptabilité des enfants. Elle rejeta la demande de la requérante visant à suspendre l’interdiction de contacts, nonobstant les conclusions de l’expertise sur la nécessité de maintenir des contacts, sans motiver sa décision sur ce point, se bornant toutefois à affirmer que la déclaration d’adoptabilité rompait tout lien avec la famille d’origine. Quant à la demande tendant à procéder à une adoption simple, elle la rejeta en rappelant que la loi ne prévoyait pas une telle adoption et que l’adoption prévue à l’article 44 d), lorsqu’il n’était pas possible de procéder à un placement en vue d’adoption (paragraphe 44 ci- dessous), ne faisait pas l’objet de la procédure.
39. La requérante se pourvut en cassation.
40. Par une décision du 13 février 2020, la Cour de cassation cassa l’arrêt de la cour d’appel et renvoya l’affaire devant une autre chambre de la cour d’appel. Elle rappela qu’une fois qu’un enfant était déclaré adoptable, il était placé dans une famille en vue d’adoption (affidamento preadottivo). L’interruption des rapports entre le parent biologique et l’enfant était la conséquence de l’adoption et non de la déclaration d’adoptabilité. Toutefois, l’interruption définitive des rapports entre la famille biologique et l’enfant était une conséquence directe du placement de l’enfant en vue d’adoption Par conséquent, les liens juridiques entre les parents biologiques et l’enfant prenaient fin avec la déclaration d’adoptabilité visant à l’adoption plénière qui était incompatible avec la continuation d’une relation devant être interrompue une fois l’adoption prononcée.
41. La Haute juridiction estima que l’adoption plénière était prononcée à titre d’ultima ratio lorsqu’il n’y avait pas d’intérêt que l’enfant maintînt une relation significative avec ses parents biologiques ou que ce lien pouvait lui porter préjudice. Elle constata que la cour d’appel n’avait pas pris en considération la partie de l’expertise dans laquelle il était souligné que le lien avec leur mère devait être préservé afin de construire l’identité des enfants. Elle releva que la cour d’appel n’avait pas estimé nécessaire d’évaluer s’il y avait un modèle différent d’adoption qui dans l’intérêt des enfants aurait pu être appliqué au cas d’espèce.
La Haute juridiction précisa que dans le système italien il était possible, en vertu de l’article 44 d) de la loi sur l’adoption, (voir paragraphe 44 ci-dessous) de procéder à l’adoption dans des cas particuliers. À cet égard, la jurisprudence prévoyait que, dans le cadre de la procédure qui permettait d’évaluer si le mineur devait être considéré en état d’abandon, la cour d’appel devait s’interroger immédiatement, à la lumière de l’expertise, sur la nécessité de maintenir des liens entre le parent biologique et l’enfant, car cela avait une incidence sur l’existence ou non de l’état d’abandon et donc sur le type d’adoption à prononcer. À cet égard, la Cour de cassation rappela que, dans des arrêts précédents (paragraphe 49 ci-dessous), elle avait souligné la nécessité d’effectuer une évaluation ex ante de la possibilité d’envisager une procédure d’adoption simple.
Lors de la vérification de l’état d’abandon, la cour d’appel aurait dû vérifier si l’intérêt à ne pas rompre le lien avec la requérante primait sur l’insuffisance de ses capacités parentales. Si la cour d’appel avait estimé indispensable le maintien d’une relation entre les enfants et la requérante, alors d’autres formes d’adoption auraient pu être prévues. Par conséquent, la Cour de cassation établit que « l’une des pierres angulaires de l’évaluation de la déclaration d’adoptabilité [était] la correspondance de l’intérêt des enfants à maintenir le lien avec leur mère ». Selon la Haute juridiction, il n’était pas exclu de procéder à une forme d’adoption différente de l’adoption plénière, qui fût compatible avec le maintien du lien avec la mère et en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme.
42. Il ressort des dernières informations fournies par les parties que l’affaire est pendante devant une autre chambre de la cour d’appel.
I. LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le régime juridique interne
43. Une partie du droit interne pertinent en l’espèce est décrit dans les arrêts Zhou c. Italie (no no , §§ 24-26, 21 janvier 2014) et Paradiso et Campanelli c. Italie ([GC], no no , §§ 57-69, 24 janvier 2017).
44. Les dispositions relatives à la procédure d’adoption sont consignées dans la loi no 184/1983, intitulée « Droit de l’enfant à une famille » (ci-après « la loi sur l’adoption »), telle que modifiée par la loi no 149 de 2001.
« Titre II - De l’adoption
(...)
« Chapitre II - De la déclaration d’adoptabilité »
Article 8
« Peuvent être déclarés en état d’adoptabilité par le tribunal pour enfants, même d’office, (...) les mineurs en état d’abandon car dépourvus de toute assistance morale ou matérielle de la part des parents ou de la famille tenus d’y pourvoir, sauf si le manque d’assistance est dû à une cause de force majeure à caractère transitoire.
(...) »
Article 10
3. Le tribunal peut ordonner, jusqu’au placement pré-adoptif du mineur dans la famille d’accueil, toute mesure temporaire dans l’intérêt du mineur, y compris, le cas échéant, la suspension de l’autorité parentale, la suspension des fonctions de tuteur ou la nomination d’un tuteur temporaire.
4. En cas d’urgence, les mesures visées au paragraphe 3 peuvent être prises par le président du tribunal pour enfants ou un juge délégué par lui.
5. Dans un délai de trente jours, la juridiction confirme, modifie ou annule les mesures urgentes prises en vertu du paragraphe 4. Le tribunal prend sa décision en chambre du conseil avec l’intervention du procureur, après avoir entendu toutes les parties concernées et pris toutes les informations nécessaires. L’enfant qui a atteint l’âge de douze ans ou plus doit également être entendu, compte tenu de sa capacité de discernement. Les mesures prises doivent être communiquées au ministère public et aux parents. Les règles prévues aux articles 330 et suivants du code civil sont applicables. »
Article 18
Article 19
« Pendant l’état d’adoptabilité, l’exercice de l’autorité parentale est suspendu. Le tribunal pour enfants doit désigner un tuteur, s’il ne l’a pas encore fait, et prendre des mesures supplémentaires dans l’intérêt supérieur de l’enfant. »
« Titre IV - Adoption dans des cas particuliers
Chapitre I - L’adoption dans des cas particuliers et ses effets »
Article 44
« 1. Lorsque les conditions visées à l’alinéa 1 de l’article 7 ne sont pas réunies (mineurs qui n’ont pas encore été déclarés adoptables), les mineurs peuvent également être adoptés :
(...)
d) quand il est impossible de procéder à un placement en vue d’adoption.
(...) »
Article 45
« 1. Dans les cas prévus par l’article 44, sont requis le consentement du parent adoptif et celui de l’adopté qui a atteint l’âge de quatorze ans.
2. Si l’adopté est âgé de douze ans ou plus, il doit personnellement être entendu ; s’il est plus jeune, il doit être entendu, compte tenu de sa capacité de discernement.
3. En tout état de cause, si l’adopté est âgé de quatorze, l’adoption doit être organisée après avoir entendu son représentant légal.
(...) »
« L’adoption requiert le consentement des parents et du conjoint de l’adopté. Lorsqu’il n’y a pas consentement, le tribunal, après consultation des personnes concernées, à la demande du parent adoptif s’il estime le refus injustifié ou contraire à l’intérêt de l’adopté, peut prononcer l’adoption, sauf si le consentement a été refusé par les parents exerçant [la responsabilité parentale] ou, s’il cohabite, par le conjoint du parent adoptif. De même, le tribunal peut prononcer l’adoption lorsqu’il est impossible d’obtenir l’approbation pour incapacité ou irréprochabilité des personnes appelées à l’exprimer. »
Article 48
« 1. Si l’enfant est adopté par deux conjoints, ou par le conjoint de l’un des parents, la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant adopté et son exercice incombent aux deux conjoints.
(...) »
Article 50
« Si l’exercice de la responsabilité parentale par les parents adoptifs cesse, le tribunal pour enfants, à la demande de l’adopté, de ses parents ou de ses proches, ou du ministère public, ou même d’office, peut prendre les mesures appropriées concernant la représentation et l’administration des biens de la personne adoptée, même si celle-ci estime opportun que l’exercice de la responsabilité parentale soit exercée par les parents. Les règles énoncées aux articles 330 et suivants du code civil sont applicables. »
Article 55
« Les dispositions des articles 293, 294, 295, 299, 300 et 304 du code civil sont applicables au présent chapitre ».
45. L’article 300 du code civil prévoit que « [l]a personne adoptée conserve tous ses droits et obligations envers sa famille d’origine, sous réserve des exceptions prévues par la loi ».
46. Le tribunal pour enfants est un tribunal spécialisé. En vertu de l’article 2 du décret royal no 1404 de 1934, il est composé de deux juges professionnels et deux juges non professionnels qui sont choisis par le Conseil supérieur de la magistrature pour leur compétence ( biologie, psychiatrie, anthropologie criminelle, pédagogie et psychologie). L’article 5 prévoit également la présence de deux magistrats non professionnels, respectant les critères prévus à l’article 2, au sein des cours d’appels « pour enfants ».
47. L’article 61 du code de procédure civile, lequel est applicable également dans le cadre de la procédure d’adoptabilité, prévoit que « [l]orsque cela est nécessaire, le juge peut être assisté dans l’accomplissement de certains actes ou dans l’ensemble du procès par un ou plusieurs consultants ayant une compétence technique particulière ».
48. Selon l’article 194 du code de procédure civile et l’article 90, disposition mettant en œuvre le code de procédure civile, l’expertise doit être soumise aux débats contradictoires impliquant toutes les parties du procès et dans les délais impartis ; tous les documents utilisés pour établir les constats des experts doivent pouvoir être examinés par les parties et leurs défenseurs.
B. La jurisprudence interne pertinente
49. La Cour de cassation a rendu en la matière les arrêts suivants, dont les extraits pertinents sont reproduits.
Dans son arrêt no 12962 du 22 juin 2016, la Haute juridiction a jugé que :
« En ce qui concerne l’adoption dans des cas particuliers, l’article 44, paragraphe 1, lettre d), de la loi no 184 de 1983 (...) vise à permettre l’adoption chaque fois qu’il est nécessaire de sauvegarder la continuité affective et éducative de la relation entre le parent adoptif et l’adopté, comme élément caractérisant l’intérêt concret de l’enfant à maintenir les liens développés avec les autres personnes qui s’occupent de lui, à la seule condition (condicio legis) que « soit constatée l’impossibilité de procéder à un placement pré-adoptif », qui, en cohérence avec l’état de l’évolution du système de protection des mineurs et des relations de filiation biologique et adoptive, doit être comprise comme une impossibilité « de droit » de procéder à un placement pré-adoptif et non une impossibilité de « fait » découlant d’une situation d’abandon (ou de semi-abandon) du mineur dans un sens technico-juridique. »
Dans son arrêt no 12193 du 8 mai 2019, elle a considéré que :
« (...) L’article 44, paragraphe 1, point d), de la loi no 184 de 1983 (...) vise à permettre le recours à cet instrument chaque fois qu’il est nécessaire de sauvegarder la continuité du rapport affectif et éducatif, à la seule condition que « soit constatée l’impossibilité de procéder à un placement pré-adoptif », à entendre non comme une impossibilité de fait résultant d’une situation d’abandon de l’enfant, mais comme une impossibilité de droit de procéder à un placement pré-adoptif (voir Cour de cassation, paragraphe 1, point d), Section I, 22/06/2016, no 12962). »
50. Plusieurs tribunaux pour enfants ont fait application de l’article 44 d) de la loi sur l’adoption au-delà des cas prévus par la loi. En particulier, six tribunaux ont fait une interprétation extensive de l’article 44 d). Le tribunal de Lecce a fait une telle interprétation dans des cas où il estimait qu’il n’y avait pas un vrai état d’abandon. Le tribunal de Palerme a fait une interprétation extensive de la loi dans une affaire où il a estimé qu’il était dans l’intérêt de l’enfant de maintenir des relations avec la famille d’origine. Le tribunal de Bari a fait une interprétation extensive de cette disposition pendant plusieurs années en particulier de 2003 à 2008. Par la suite, à partir de 2009, ce tribunal a considéré que ce type d’interprétation extensive de la loi avait compromis, dans certains cas, le développement des enfants que l’on croyait protéger. Par ailleurs, selon le tribunal, les parents biologiques étaient très souvent opposés à avoir des relations épanouies avec la famille d’adoption.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX
51. La Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant adoptée à New York le 20 novembre 1989 contient, entre autres, les dispositions suivantes :
Article 3
« 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »
Article 9
« 1. Les États parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Une décision en ce sens peut être nécessaire dans certains cas particuliers, par exemple lorsque les parents maltraitent ou négligent l’enfant, ou lorsqu’ils vivent séparément et qu’une décision doit être prise au sujet du lieu de résidence de l’enfant.
2. Dans tous les cas prévus au paragraphe 1 du présent article, toutes les parties intéressées doivent avoir la possibilité de participer aux délibérations et de faire connaître leurs vues.
3. Les États parties respectent le droit de l’enfant séparé de ses deux parents ou de l’un d’eux d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant.
4. Lorsque la séparation résulte de mesures prises par un État partie, telles que la détention, l’emprisonnement, l’exil, l’expulsion ou la mort (y compris la mort, quelle qu’en soit la cause, survenue en cours de détention) des deux parents ou de l’un d’eux, ou de l’enfant, l’État partie donne sur demande aux parents, à l’enfant ou, s’il y a lieu, à un autre membre de la famille les renseignements essentiels sur le lieu où se trouvent le membre ou les membres de la famille, à moins que la divulgation de ces renseignements ne soit préjudiciable au bien-être de l’enfant. Les États parties veillent en outre à ce que la présentation d’une telle demande n’entraîne pas en elle-même de conséquences fâcheuses pour la personne ou les personnes intéressées. »
Article 18
« 1. Les États parties s’emploient de leur mieux à assurer la reconnaissance du principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement. La responsabilité d’élever l’enfant et d’assurer son développement incombe au premier chef aux parents ou, le cas échéant, à ses représentants légaux. Ceux-ci doivent être guidés avant tout par l’intérêt supérieur de l’enfant.
2. Pour garantir et promouvoir les droits énoncés dans la présente Convention, les États parties accordent l’aide appropriée aux parents et aux représentants légaux de l’enfant dans l’exercice de la responsabilité qui leur incombe d’élever l’enfant et assurent la mise en place d’institutions, d’établissements et de services chargés de veiller au bien-être des enfants.
3. Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour assurer aux enfants dont les parents travaillent le droit de bénéficier des services et établissements de garde d’enfants pour lesquels ils remplissent les conditions requises. »
Article 20
« 1. Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciale de l’État.
2. Les États parties prévoient pour cet enfant une protection de remplacement conforme à leur législation nationale.
3. Cette protection de remplacement peut notamment avoir la forme du placement dans une famille, de la kafalah de droit islamique, de l’adoption ou, en cas de nécessité, du placement dans un établissement pour enfants approprié. Dans le choix entre ces solutions, il est dûment tenu compte de la nécessité d’une certaine continuité dans l’éducation de l’enfant, ainsi que de son origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique. »
Article 21
« Les États parties qui admettent et/ou autorisent l’adoption s’assurent que l’intérêt supérieur de l’enfant est la considération primordiale en la matière, et :
a) Veillent à ce que l’adoption d’un enfant ne soit autorisée que par les autorités compétentes, qui vérifient, conformément à la loi et aux procédures applicables et sur la base de tous les renseignements fiables relatifs au cas considéré, que l’adoption peut avoir lieu eu égard à la situation de l’enfant par rapport à ses père et mère, parents et représentants légaux et que, le cas échéant, les personnes intéressées ont donné leur consentement à l’adoption en connaissance de cause, après s’être entourées des avis nécessaires ;
(...) »
52. Dans son Observation générale no 7 (2005) sur la mise en œuvre des droits de l’enfant dans la petite enfance, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a souhaité encourager les États parties à reconnaître que les jeunes enfants jouissent de tous les droits garantis par la Convention relative aux droits de l’enfant et que la petite enfance est une période déterminante pour la réalisation de ces droits. Il fait en particulier référence à l’intérêt supérieur de l’enfant :
« 13. (...) L’article 3 de la Convention consacre le principe selon lequel l’intérêt supérieur de l’enfant est une considération primordiale dans toutes les décisions concernant les enfants. En raison de leur manque relatif de maturité, les jeunes enfants dépendent des autorités compétentes pour définir leurs droits et leur intérêt supérieur et les représenter lorsqu’elles prennent des décisions et des mesures affectant leur bien-être, tout en tenant compte de leur avis et du développement de leurs capacités. Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant est mentionné à de nombreuses reprises dans la Convention (notamment aux articles 9, 18, 20 et 21, qui sont les plus pertinents pour la petite enfance). Ce principe s’applique à toutes les décisions concernant les enfants et doit être accompagné de mesures efficaces tendant à protéger leurs droits et à promouvoir leur survie, leur croissance et leur bien-être ainsi que de mesures visant à soutenir et aider les parents et les autres personnes qui ont la responsabilité de concrétiser au jour le jour les droits de l’enfant :
a) Intérêt supérieur de l’enfant en tant qu’individu. Dans toute décision concernant notamment la garde, la santé ou l’éducation d’un enfant, dont les décisions prises par les parents, les professionnels qui s’occupent des enfants et autres personnes assumant des responsabilités à l’égard d’enfants, le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant doit être pris en considération. Les États parties sont instamment priés de prendre des dispositions pour que les jeunes enfants soient représentés de manière indépendante, dans toute procédure légale, par une personne agissant dans leur intérêt et pour que les enfants soient entendus dans tous les cas où ils sont capables d’exprimer leurs opinions ou leurs préférences ; »
53. Dans son Observation générale no 14 (2013) sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale (article 3, paragraphe 1) du 29 mai 2013, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies mentionne, au titre des « [é]léments dont il faut tenir compte lors de l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant », les points suivants :
« a) L’opinion de l’enfant
(...)
b) L’identité de l’enfant
(...)
c) Préservation du milieu familial et maintien des relations
(...)
d) Prise en charge, protection et sécurité de l’enfant
(...)
e) Situations de vulnérabilité
(...)
f) Droit de l’enfant à la santé
(...)
g) Le droit de l’enfant à l’éducation
(...) »
a) L’élaboration de toutes les mesures d’application que les gouvernements prennent;
b) Les décisions sur des cas individuels rendues par les autorités judiciaires ou administratives ou par des entités publiques par l’intermédiaire de leurs agents, qui concernent un ou plusieurs enfants déterminé(s);
c) Les décisions adoptées par des entités de la société civile et par le secteur privé, notamment des organisations commerciales et des organisations à but non lucratif fournissant des services qui concernent les enfants ou ont une incidence sur eux;
d) Les lignes directrices relatives aux actions menées par les personnes qui travaillent avec et pour les enfants, notamment les parents et les pourvoyeurs de soins »
(...)
« 38. En matière d’adoption (art. 21), le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant est encore renforcé ; il ne doit pas être simplement « une considération primordiale», mais «la considération primordiale». L’intérêt supérieur de l’enfant doit, de fait, être le facteur déterminant dans les décisions relatives à l’adoption, mais aussi dans d’autres domaines ».
Sous les titres « Mise en balance des éléments considérés dans l’évaluation de l’intérêt supérieur » et « Sauvegardes procédurales pour garantir la mise en œuvre de l’intérêt supérieur de l’enfant », on peut notamment lire les passages suivants :
« 84. Dans l’évaluation de l’intérêt supérieur il faut tenir compte du caractère évolutif des capacités de l’enfant. Les décisionnaires doivent donc envisager des mesures pouvant être revues ou ajustées en conséquence plutôt que de prendre des décisions définitives et irréversibles. Pour ce faire, ils devraient non seulement évaluer les besoins physiques, affectifs, éducatifs et autres de l’enfant au moment de la prise de décisions, mais aussi envisager les scénarios possibles de développement de l’enfant et les analyser dans le court terme comme dans le long terme. Dans cette optique, les décisionnaires devraient évaluer la continuité et la stabilité de la situation actuelle et future de l’enfant.
(...)
85. La mise en œuvre adéquate du droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale exige l’institution et le respect de sauvegardes procédurales adaptées aux enfants. Le concept d’intérêt supérieur de l’enfant constitue en tant que tel une règle de procédure (...)
(...)
87. Les États sont tenus de mettre en place des dispositifs formels, assortis de sauvegardes procédurales rigoureuses, destinés à évaluer et déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant lors de la prise de décisions qui le concernent, y compris des mécanismes d’évaluation des résultats. Les États sont tenus de concevoir des dispositifs transparents et objectifs pour toutes les décisions que prennent les législateurs, les juges ou les autorités administratives, en particulier dans les domaines qui intéressent directement les enfants. »
B. Le Conseil de l’Europe
54. La Convention européenne en matière d’adoption des enfants (révisée) du 27 novembre 2008, entrée en vigueur le 11 septembre 2011, ratifiée par dix États, mais non signée par l’Italie, comporte notamment les passages suivants :
Article 3 - Validité de l’adoption
« L’adoption n’est valable que si elle est prononcée par un tribunal ou une autorité administrative (ci-après l’« autorité compétente »). »
Article 4 - Prononcé de l’adoption
« 1. L’autorité compétente ne prononce l’adoption que si elle a acquis la conviction que l’adoption est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant.
2. Dans chaque cas, l’autorité compétente attache une importance particulière à ce que l’adoption apporte à l’enfant un foyer stable et harmonieux. »
Article 5 - Consentements à l’adoption
c le consentement du conjoint ou du partenaire enregistré de l’adoptant.
2. Les personnes dont le consentement est requis pour l’adoption doivent être entourées des conseils nécessaires et dûment informées sur les conséquences de leur consentement, en particulier sur le maintien ou la rupture, en raison d’une adoption, des liens de droit entre l’enfant et sa famille d’origine. Ce consentement doit être donné librement dans la forme légale requise, et doit être donné ou constaté par écrit.
3. L’autorité compétente ne peut se dispenser du consentement ou passer outre le refus de consentement de l’une des personnes ou de l’un des organismes visés au paragraphe 1, sinon pour des motifs exceptionnels déterminés par la législation. Toutefois, il est permis de se dispenser du consentement d’un enfant atteint d’un handicap qui l’empêche d’exprimer un consentement valable.
4. Si le père ou la mère n’est pas titulaire de la responsabilité parentale envers l’enfant, ou en tout cas du droit de consentir à l’adoption, la législation peut prévoir que son consentement ne sera pas requis.
5. Le consentement de la mère à l’adoption de son enfant n’est valable que lorsqu’il est donné après la naissance, à l’expiration du délai prescrit par la législation, qui ne doit pas être inférieur à six semaines ou, s’il n’est pas spécifié de délai, au moment où, de l’avis de l’autorité compétente, la mère aura pu se remettre suffisamment des suites de l’accouchement.
6. Dans la présente Convention, on entend par « père » et « mère » les personnes qui, au sens de la législation, sont les parents de l’enfant. »
Article 11 –Effets de l’adoption
« 1. Lors de l’adoption, l’enfant devient membre à part entière de la famille de l’adoptant ou des adoptants et a, à l’égard de l’adoptant ou des adoptants et à l’égard de sa ou de leur famille, les mêmes droits et obligations que ceux d’un enfant de l’adoptant ou des adoptants dont la filiation est légalement établie. L’adoptant ou les adoptants assument la responsabilité parentale vis-à-vis de l’enfant. L’adoption met fin au lien juridique existant entre l’enfant et ses père, mère et famille d’origine.
2. Néanmoins, le conjoint, le partenaire enregistré ou le concubin de l’adoptant conserve ses droits et obligations envers l’enfant adopté si celui-ci est son enfant, à moins que la législation n’y déroge.
3. En ce qui concerne la rupture du lien juridique existant entre l’enfant et sa famille d’origine, les États Parties peuvent prévoir des exceptions pour des questions telles que le nom de famille de l’enfant, les empêchements au mariage ou à la conclusion d’un partenariat enregistré.
4. Les États Parties peuvent prévoir des dispositions relatives à d’autres formes d’adoption ayant des effets plus limités que ceux mentionnés aux paragraphes précédents du présent article. »
55. Le 22 avril 2015, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté la Résolution 2049. Cette résolution comporte notamment les passages suivants :
« 5. La pauvreté financière et matérielle ne devrait jamais servir d’unique motif pour retirer la garde d’un enfant à ses parents : elle devrait plutôt être interprétée comme le signe qu’il faudrait apporter une assistance appropriée à la famille. De plus, il ne suffit pas de démontrer qu’un enfant pourrait être placé dans un environnement plus bénéfique à son éducation pour pouvoir le retirer à ses parents, et encore moins pour pouvoir rompre complètement les liens familiaux.
(...)
8. Par conséquent, l’Assemblée recommande aux États membres :
(...)
8.2. de mettre en place des lois, des règlements et des procédures donnant véritablement la priorité à l’intérêt supérieur de l’enfant dans toute décision de placement, de retrait et de retour ;
8.3. de poursuivre et de renforcer les initiatives prises pour veiller à ce que toute procédure pertinente soit menée de manière attentive aux besoins de l’enfant et que le point de vue des enfants concernés soit pris en compte en fonction de leur âge et de leur degré de maturité ;
8.4. de rendre visible l’influence des préjugés et de la discrimination dans les décisions de retrait, en vue de les éliminer, notamment par une formation appropriée de l’ensemble des professionnels concernés ;
8.5. d’apporter une aide aux familles avec les moyens nécessaires (y compris financière, matérielle, sociale et psychologique) afin, tout d’abord, d’éviter des décisions injustifiées de retirer la garde de leurs enfants et d’accroître le pourcentage de retours réussis dans les familles après un placement ;
8.6. de veiller à ce que tout placement (temporaire) d’un enfant, lorsqu’il devient nécessaire en dernier ressort, s’accompagne de mesures visant à réintégrer ultérieurement l’enfant dans sa famille, notamment en facilitant les contacts adéquats entre l’enfant et sa famille, et fasse l’objet d’un contrôle périodique ;
8.7. d’éviter, sauf circonstances exceptionnelles prévues par la loi et soumises à un contrôle juridictionnel (approfondi et en temps utile) effectif, de rompre complètement les liens familiaux, de retirer des enfants à leurs parents dès la naissance, de justifier une décision de placement par l’écoulement du temps et d’avoir recours à l’adoption sans le consentement des parents ;
8.8. de veiller à ce que le personnel intervenant dans les décisions de retrait et de placement soit guidé par des critères et des normes appropriés (si possible de manière pluridisciplinaire), possède les qualifications requises et soit régulièrement formé, à ce qu’il dispose de ressources suffisantes pour prendre ses décisions en temps utile et à ce qu’il ne soit pas surchargé par un nombre de dossiers trop important à traiter ;
(...)
8.10. de veiller à ce que, hormis dans les affaires urgentes, les décisions initiales de retrait soient exclusivement fondées sur des décisions de tribunaux, afin d’éviter les décisions injustifiées et de prévenir les évaluations partisanes. »
56. Le 28 juin 2018, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté la Résolution 2232 (« Assurer un équilibre entre l’intérêt supérieur de l’enfant et le besoin de garder les familles ensemble »). Cette résolution comporte notamment les passages suivants :
« 4. L’Assemblée réaffirme que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être pris en considération de façon primordiale pour toutes les actions concernant les enfants, conformément à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. Cependant, la mise en application de ce principe dépend en pratique du contexte et des circonstances spécifiques. Il est quelquefois plus facile de dire ce qui n’est pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant tel qu’être maltraité par ses parents ou être retiré de sa famille sans raison valable.
5. Tenant compte de cette mise en garde, l’Assemblée réitère les recommandations formulées dans sa Résolution 2049 (2015) et invite les États membres du Conseil de l’Europe à se concentrer sur le processus afin d’obtenir les résultats les meilleurs pour les enfants comme pour leurs familles. Les États membres devraient :
(...)
5.2. apporter le soutien nécessaire aux familles en temps utile et dans un esprit positif afin d’éviter d’avoir à prendre des décisions de retrait en premier lieu et de faciliter la réunification de la famille lorsque cela est possible et sert l’intérêt supérieur de l’enfant ; il faut notamment établir une meilleure collaboration avec les parents, en vue d’éviter d’éventuelles erreurs fondées sur des malentendus, des stéréotypes ou des discriminations, erreurs qu’il sera difficile de corriger plus tard, une fois la confiance perdue ;
(...)
5.5. s’efforcer de limiter au minimum les pratiques de retrait de l’enfant à la naissance, de justification d’une décision de placement sur l’écoulement du temps et d’adoption sans le consentement des parents, et de n’y avoir recours que dans les cas extrêmes. Chaque fois que cela sert l’intérêt supérieur de l’enfant, des efforts devraient être faits pour maintenir les liens familiaux ;
5.6. lorsque la décision de retirer un enfant de sa famille a été prise, garantir :
5.6.1. que de telles décisions sont une réponse proportionnée à une évaluation crédible et vérifiable par les autorités compétentes démontrant qu’il y a un risque de préjudice réel et sérieux pour l’enfant, et pouvant faire l’objet d’une révision judiciaire ;
5.6.2. qu’une décision détaillée est transmise aux parents et qu’un exemplaire de celle-ci est aussi conservé. Il importe que la décision soit expliquée à l’enfant dans une forme adaptée à son âge ou, à défaut, qu’il ait accès à cette décision. Il convient que la décision mentionne les circonstances qui ont conduit à ce choix et indique les motifs du retrait ;
5.6.3. que la décision de retirer les enfants est une décision de dernier ressort et ne s’applique que pendant la période nécessaire ;
5.6.4. que les frères et sœurs sont placés ensemble dans tous les cas où un tel placement n’est pas contraire à leur intérêt supérieur ;
5.6.5. que les enfants, dans la mesure où cela sert leur intérêt supérieur, sont placés au sein du cercle familial élargi en vue de minimiser la rupture de leurs liens familiaux ;
5.6.6. que le fait de réunir la famille et/ou d’avoir accès à la famille est pris en considération à intervalle régulier, selon le cas, en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant et de son point de vue ;
5.6.7. que les visites et les contacts sont planifiés de façon à maintenir le lien familial et en vue de la réunification, sauf si c’est manifestement inapproprié ; »
57. La Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains est entrée en vigueur le 1er février 2008. Elle a été ratifiée par l’Italie le 29 novembre 2010 et est entrée en vigueur le 1er mars 2011.
Article 12 - Assistance aux victimes
« 1. Chaque Partie prend les mesures législatives ou autres nécessaires pour assister les victimes dans leur rétablissement physique, psychologique et social. Une telle assistance comprend au minimum :
a) des conditions de vie susceptibles d’assurer leur subsistance, par des mesures telles qu’un hébergement convenable et sûr, une assistance psychologique et matérielle ;
b) l’accès aux soins médicaux d’urgence ;
c) une aide en matière de traduction et d’interprétation, le cas échéant ;
d) des conseils et des informations, concernant notamment les droits que la loi leur reconnaît, ainsi que les services mis à leur disposition, dans une langue qu’elles peuvent comprendre ;
e) une assistance pour faire en sorte que leurs droits et intérêts soient présentés et pris en compte aux étapes appropriées de la procédure pénale engagée contre les auteurs d’infractions ;
f) l’accès à l’éducation pour les enfants.
2. Chaque Partie tient dûment compte des besoins en matière de sécurité et de protection des victimes.
3. En outre, chaque Partie fournit l’assistance médicale nécessaire ou tout autre type d’assistance aux victimes résidant légalement sur son territoire qui ne disposent pas de ressources adéquates et en ont besoin.
4. Chaque Partie adopte les règles par lesquelles les victimes résidant légalement sur son territoire sont autorisées à accéder au marché du travail, à la formation professionnelle et à l’enseignement.
5. Chaque Partie prend des mesures, le cas échéant et aux conditions prévues par son droit interne, afin de coopérer avec les organisations non gouvernementales, d’autres organisations compétentes ou d’autres éléments de la société civile, engagés dans l’assistance aux victimes.
6. Chaque Partie adopte les mesures législatives ou autres nécessaires pour s’assurer que l’assistance à une victime n’est pas subordonnée à sa volonté de témoigner.
7. Pour la mise en œuvre des dispositions prévues au présent article, chaque Partie s’assure que les services sont fournis sur une base consensuelle et informée, prenant dûment en compte les besoins spécifiques des personnes en situation vulnérable et les droits des enfants en matière d’hébergement, d’éducation et de soins convenables. »
58. Les parties pertinentes de l’avis no 15/2012 du 6 novembre 2012 du Conseil consultatif des juges européens (« CCJE ») sur la spécialisation des juges se lisent ainsi :
« B. Principes généraux - respect des droits et principes fondamentaux : position du CCJE
(...)
33. Il faut toujours veiller à ce que les principes du procès équitable soient respectés, à savoir l’impartialité du tribunal dans son entièreté et la liberté du juge d’apprécier les éléments de preuve. Il est également crucial que lorsque le système d’un assesseur ou d’un expert siégeant dans un tribunal aux côtés d’un juge professionnel existe, les parties conservent la possibilité de contredire l’avis donné au juge professionnel par l’assesseur ou l’expert. Dans le cas contraire, un tel avis pourrait faire partie du jugement sans que les parties aient eu la possibilité de le contester. Le CCJE estime que la préférence doit être donnée à un système dans lequel le juge désigne un expert ou dans lequel les parties peuvent elles-mêmes appeler à [faire] témoigner des experts dont les constats et conclusions peuvent être contestés et débattus entre les parties devant le juge. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
59. La requérante se plaint de l’interruption automatique de son droit de visite à la suite de l’arrêt du tribunal déclarant les enfants en état d’abandon et donc adoptables, alors que la procédure est encore pendante depuis plus de trois ans. Elle se plaint également de ce que les enfants ont été séparées afin d’être adoptées par des familles différentes. Elle invoque l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé :
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A. Sur la recevabilité
60. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, car la procédure d’adoptabilité était encore pendante au moment de l’introduction de la requête. De plus, il argue que la requérante n’a pas introduit un recours visant à suspendre l’interdiction de contacts devant une autre chambre de la cour d’appel. Selon le Gouvernement, il s’agirait d’un remède efficace.
61. La requérante s’oppose à l’exception de non-épuisement. Elle fait valoir que, nonobstant sa demande en référé devant la cour d’appel pour qu’elle adopte une mesure provisoire et urgente, la juridiction d’appel s’est prononcée huit mois plus tard. Quant au recours qu’elle aurait pu introduire, selon le Gouvernement, il relèverait de la même cour d’appel qui avait décidé de suspendre les contacts. À cet égard, la requérante affirme qu’il y aurait une tendance des cours d’appel à rejeter les demandes visant à suspendre l’efficacité exécutoire des décisions du tribunal et à retarder la décision jusqu’au moment du prononcé de l’arrêt.
62 . La Cour rappelle qu’en principe le requérant a l’obligation de tenter loyalement divers recours internes avant de la saisir, et que, si le respect de cette obligation s’apprécie à la date d’introduction de la requête (Baumann c. France, no 33592/96 , § 47, CEDH 2001‑V), la Cour tolère que le dernier échelon de ces recours soit atteint peu après le dépôt de la requête, mais avant qu’elle ne soit appelée à se prononcer sur la recevabilité de celle-ci (Ringeisen c. Autriche, 16 juillet 1971, § 91, série A no 13, E.K. c. Turquie (déc.), no 28496/95 , 28 novembre 2000, Karoussiotis c. Portugal, no 23205/08, §§ 57 et 87-92, CEDH 2011, Rafaa c. France, no 25393/10, § 33, 30 mai 2013, Stanka Mirković et autres c. Monténégro, nos 33781/15 et 3 autres, § 48, 7 mars 2017, et Mehmet Hasan Altan c. Turquie, no 13237/17, §§107-109, 20 mars 2018).
63. La Cour observe que la requérante a introduit la requête devant elle alors que la procédure portant sur l’adoptabilité de ses enfants était pendante devant la cour d’appel et après que le tribunal a prononcé l’adoptabilité de ses filles et ordonné l’interdiction de tout contact avec elles. Elle note à cet égard que la requérante avait introduit une demande en référé devant la cour d’appel le 1er mars 2017 pour que la juridiction d’appel se prononçât sur la suspension des contacts ordonnées par le tribunal et que sept mois s’étaient déjà écoulés sans qu’elle se fût prononcée. Elle note qu’il n’est pas contesté que le 7 novembre 2017, soit avant que la Cour eût statué sur la recevabilité de l’affaire, la cour d’appel a rejeté la demande urgente visant à suspendre l’interdiction des contacts et cela a été confirmé dans l’arrêt sur le fond déposé, un an plus tard, en octobre 2018.
64. En outre, la Cour observe que, contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement, la requérante a justement demandé à la cour d’appel de réexaminer la décision du tribunal concernant la suspension de contacts en formant un recours en référé. Il était loisible à la cour d’appel de qualifier cette demande en référé en un recours visant à obtenir ou réviser les mesures temporaires et urgentes, tel que prévu à l’article 10 de la loi no 184 de 1983 (ci-après « la loi sur l’adoption »), étant donné que le recours introduit par la requérante contenait tous les éléments du recours au sens de l’article 10 de ladite loi. La Cour note en particulier que la cour d’appel l’a effectivement examiné comme tel.
65. La Cour ne saurait reprocher à la requérante de lui avoir adressé ses griefs tirés de la violation de l’article 8 de la Convention sans avoir attendu que la cour d’appel se soit prononcée sur la demande provisoire et urgente visant à suspendre l’interdiction de contacts alors que plusieurs mois s’étaient déjà écoulés sans qu’elle ne se soit prononcée, bien qu’elle eût dû le faire dans un bref délai. À cet égard, la Cour tient à rappeler qu’il s’agissait d’un recours en référé en matière de droit de visite et que l’urgence du litige réclamait la prise d’une décision par les autorités plus rapide, car le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables sur les relations entre l’enfant et le parent qui ne vit pas avec lui (S.H. c. Italie, no 52557/14, § 42, 13 octobre 2015, et Strand Lobben et autres c. Norvège [GC], no no , § 208, 10 septembre 2019).
66. Dans ces conditions, la Cour estime que l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenue.
67. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.
1. Arguments des parties
a) La requérante
68. La requérante rappelle que, selon les dispositions législatives, une fois que le tribunal déclare l’adoptabilité de l’enfant, le parent, qui entre temps a été suspendu de son autorité parentale, est déclaré déchu, mais il ne perd pas automatiquement son droit de visite, car cette hypothèse se produit exclusivement par effet de l’adoption plénière.
69. Toutefois, la requérante note que, dans la pratique, même si la législation ne l’interdit pas, l’interruption des contacts est toujours ordonnée par les tribunaux une fois la déclaration d’adoptabilité prononcée, sans aucune évaluation spécifique de la situation et sans motivation. En outre, dans la pratique une fois que le mineur a été placé dans une famille en vue d’adoption, l’état d’adoptabilité ne peut plus être révoqué.
70. La requérante observe que le tribunal de première instance ayant décidé l’interruption des contacts une fois la déclaration d’adoptabilité prononcée, anticipe les effets de l’éventuel arrêt définitif. Dans le cas d’espèce, trois ans se sont écoulés et aucun arrêt définitif n’a été prononcé.
71. La requérante rappelle que la décision de première instance est immédiatement exécutive et que l’on se retrouve dans une situation dans laquelle l’enfant qui n’est pas encore définitivement déclaré adoptable ni adopté est traité comme tel et tout contact avec la famille naturelle est interrompu. Cette interruption automatique se traduit en une interférence illégitime dans la vie privée et familiale de la requérante.
72. En outre, la requérante tient à rappeler que, pendant la procédure devant le tribunal, le juge n’avait pas interrompu les contacts comme il aurait pu le faire au sens de l’article 10, alinéa 3, de la loi sur l’adoption. L’interruption automatique des contacts comme conséquence de la déclaration d’adoptabilité émise par le tribunal pour enfants est une mesure non nécessaire. La mesure n’a pas été motivée et les enfants ont en plus été séparées et placées dans deux familles différentes.
73. La requérante rappelle que, nonobstant sa demande en référé, la cour d’appel s’est prononcée sept mois après sur la suspension des contacts. Elle note enfin que la Cour de cassation, en annulant l’arrêt de la cour d’appel, a affirmé que la cour d’appel aurait dû évaluer si l’intérêt de ne pas interrompre le lien entre les enfants et la requérante devait ou non primer sur le constat que la requérante était dénuée de capacités parentales.
74. La requérante se plaint également du fait que les enfants ont été placées dans deux familles différentes et donc séparées sans raisons.
b) Le Gouvernement
75. Le Gouvernement ne conteste pas que la mesure litigieuse entre dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention et qu’elle constitue une ingérence de l’État dans le droit de la requérante au respect de sa vie familiale, mais observe par ailleurs que l’ingérence avait une base légale et que la mesure poursuivait un but légitime (protéger les enfants).
76. Il rappelle que l’État a déployé des efforts adéquats et suffisants pour faire respecter le droit de la requérante à vivre avec ses enfants : entre juin 2014 et décembre 2016 plusieurs projets de soutien à la mère ont été mis en place pour l’aider dans sa relation avec les enfants et pour l’accompagner dans un parcours de construction et de renforcement de sa capacité parentale ; les autorités ont pris des mesures concrètes pour permettre aux enfants de vivre avec la requérante, l’ont aidée, guidée, conseillée, lui ont assuré une protection accrue.
77. Les efforts accomplis pendant un délai de deux ans et demi n’ont pas donné le résultat espéré, cependant, le 9 janvier 2017, le tribunal pour enfants de Rome a constaté l’état d’abandon des enfants, les a déclarées adoptables et a décidé l’interruption des contacts avec la requérante.
78. Quant au délai mis par la cour d’appel pour se prononcer sur la demande visant à suspendre l’interdiction de contacts formée par la requérante, le Gouvernement souligne que la cour d’appel a dû ordonner le renouvellement de la notification au père d’une des enfants et, une fois le contradictoire établi, a ordonné une expertise sur la capacité parentale et la condition psychologique de la mère et celle des enfants et a demandé à l’expert d’évaluer si la reprise des visites de la requérante aurait été ou non préjudiciable pour les enfants et d’expliquer comment organiser une reprise éventuelle. La cour d’appel n’a pas suspendu l’efficacité exécutoire du jugement et a rendu sa décision une fois l’expertise terminée.
79. Cette décision de la cour d’appel aurait été nécessaire car, en cas de rétablissement des visites et de rejet ultérieur de l’appel, les enfants auraient été exposées à une double séparation et à des risques de traumatisme.
80. Le Gouvernement, en outre, rappelle que le placement des enfants est une mesure provisoire adoptée dans leur intérêt supérieur pour les protéger pendant le déroulement de la procédure relative à la vérification de l’état d’abandon. Cette mesure n’est pas un placement en vue d’adoption, qui peut être déclaré seulement après l’adoption de la décision définitive sur l’état d’abandon, c’est-à-dire après que l’arrêt qui déclare l’état d’abandon devient définitif. Jusqu’à ce moment, la mesure provisoire peut être révoquée et modifiée, si l’intérêt des mineurs l’exige. L’état d’adoptabilité même et le placement en vue d’adoption peuvent être révoqués dans l’intérêt du mineur. Le « placement à risque juridique » est une mesure provisoire qui peut être modifiée à tout moment - selon la conclusion de la procédure sur l’état d’abandon - et qui ne confère aux familles d’accueil aucun droit face au placement de l’enfant. Le « risque » est donc pour la famille d’accueil ; l’espoir d’une relation à long terme et familiale avec l’enfant placé pouvant se terminer avec le retour du mineur dans sa famille biologique.
82 . Sur la question de l’intérêt supérieur de l’enfant, le Gouvernement souligne que dans les textes internationaux pertinents l’enfant est considéré comme négligé lorsque ses parents n’entretiennent pas avec lui les relations nécessaires à son éducation ou à son développement, ou qu’ils ne lui apportent pas une assistance psychologique et matérielle. À cet égard, il évoque les problèmes posés par le placement à long terme : selon lui, l’enfant placé vit dans l’incertitude entre ses parents biologiques et ses parents de substitution, ce qui entraîne des problèmes tels que des conflits de loyauté. Il fait référence aux arrêts Paradiso et Campanelli c. Italie ([GC], no 25358/12, 24 janvier 2017) et Barnea et Caldararu c. Italie (no 37931/15, 22 juin 2017). Il argue que, selon des scientifiques et des experts, on ne peut pas poser la règle selon laquelle les liens avec la famille d’origine doivent être préservés, et qu’ils ne devraient l’être que si l’enfant dans le cas visé en tire bénéfice. D’après lui, seules les autorités nationales sont en mesure de procéder à l’appréciation nécessaire de cette question au cas par cas.
2. Appréciation de la Cour
a) Ingérence, légalité et but légitime
84. La Cour estime établi de manière non équivoque, et les parties le ne contestent pas, que les décisions litigieuses prononcées au cours de la procédure devant les juridictions s’analysent en une ingérence dans l’exercice par la requérante de son droit au respect de la vie familiale tel que garanti par le paragraphe premier de l’article 8 de la Convention.
85. Il n’est par ailleurs pas contesté non plus que ces décisions étaient prévues par la loi, à savoir la loi sur l’adoption, telle que modifiée par la loi no 149 de 2001 (paragraphe 44 ci-dessus), et qu’elles poursuivaient des buts légitimes, tels que la « protection de la santé ou de la morale » et « des droits et libertés » de deux enfants. La Cour ne voit aucune raison d’en juger autrement. Cette ingérence remplissait donc deux des trois conditions permettant, au regard du second paragraphe de l’article 8, de la considérer comme justifiée. En l’espèce, le litige porte sur la troisième condition, c’est-à-dire sur la question de savoir si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ».
b) Proportionnalité
i. Principes généraux
86. Les principes généraux applicables sont bien établis dans la jurisprudence de la Cour, et ont été exposés en détail dans l’arrêt Strand Lobben et autres c. Norvège ([GC], no no , §§ 202-213, 10 septembre 2019) auquel il est ici fait référence. Aux fins de la présente analyse, la Cour rappelle qu’en cas de séparation, l’unité familiale et la réunification de la famille constituent des considérations inhérentes au droit au respect de la vie privée et familiale tel que protégé par l’article 8 de la Convention. Par conséquent, toute autorité publique qui ordonnerait une prise en charge ayant pour effet de restreindre la vie de famille est tenue par l’obligation positive de prendre des mesures afin de faciliter la réunion de la famille dès que cela sera vraiment possible. De plus, tout acte d’exécution de la prise en charge temporaire doit concorder avec un but ultime : unir à nouveau le parent par le sang et l’enfant. L’obligation positive de prendre des mesures afin de faciliter la réunion de la famille dès que cela sera vraiment possible s’impose aux autorités compétentes dès le début de la période de prise en charge et avec de plus en plus de force, mais doit toujours être mise en balance avec le devoir de considérer l’intérêt supérieur de l’enfant. En outre, les liens entre les membres d’une famille et les chances de regroupement réussi se trouveront par la force des choses affaiblis si l’on dresse des obstacles empêchant des rencontres faciles et régulières des intéressés (Strand Lobben et autres, précité, §§ 205 et 208).
87. De plus, la Cour rappelle que, dans les cas où les intérêts de l’enfant et ceux de ses parents seraient en conflit, l’article 8 exige que les autorités nationales ménagent un juste équilibre entre tous ces intérêts et que, ce faisant, elles attachent une importance particulière à l’intérêt supérieur de l’enfant, qui, selon sa nature et sa gravité, peut l’emporter sur celui des parents. Qui plus est, seules des « circonstances tout à fait exceptionnelles » peuvent conduire à une rupture du lien familial (ibidem, §§ 206-207).
88. La Cour rappelle également que la marge d’appréciation ainsi laissée aux autorités nationales compétentes variera selon la nature des questions en litige et la gravité des intérêts en jeu tels que, d’une part, l’importance qu’il y a à protéger un enfant dans une situation jugée très dangereuse pour sa santé ou son développement et, d’autre part, l’objectif de réunir la famille dès que les circonstances le permettront. Dès lors, la Cour reconnaît que les autorités jouissent d’une grande latitude pour apprécier la nécessité de prendre en charge un enfant (ibidem, § 211).
89. Selon la Cour, il faut en revanche exercer un « contrôle plus rigoureux » sur les restrictions supplémentaires, comme celles apportées par les autorités au droit de visite des parents, et sur les garanties destinées à assurer la protection effective du droit des parents et des enfants au respect de leur vie familiale. Ces restrictions supplémentaires comportent en effet le risque d’amputer les relations familiales entre les parents et un jeune enfant (ibidem, § 211).
ii. Application au cas d’espèce des principes susmentionnés
90. La Cour note que les deux enfants de la requérante ont été déclarées adoptables par une décision non définitive du tribunal pour enfants, lequel avait estimé qu’elles se trouvaient dans un état d’abandon ; leur mère, une ressortissante nigériane, arrivée en Italie en tant que victime de traite, n’ayant pas, selon le tribunal, les capacités parentales nécessaires pour les élever. Le tribunal, dans son jugement, a décidé d’ordonner l’interruption des contacts entre la requérante et les enfants, tout en sachant que le jugement aurait pu être modifié par la cour d’appel et sans motiver sa décision sur les raisons urgentes qui l’ont poussé à prendre une décision si grave.
91. La cour d’appel saisie par la requérante d’une demande provisoire et urgente visant à suspendre l’interdiction des contacts a rejeté la demande de l’intéressée huit mois plus tard et a chargé un expert d’évaluer si les rencontres étaient dans l’intérêt des enfants. La Cour note que, nonobstant les résultats de l’expertise, qui soulignaient l’importance du maintien des contacts dans le but de construire l’identité des mineures (paragraphe 36 ci-dessus), la cour d’appel, dans son arrêt successif confirmant l’adoptabilité des enfants, a décidé que les contacts ne devaient pas reprendre, étant donné que, par la déclaration d’adoptabilité, le lien avec la famille d’origine était interrompu. Encore une fois, la cour d’appel, dans la motivation de son arrêt, n’expliquait pas les raisons pour lesquelles les contacts devaient être interrompus avant que l’arrêt concernant l’adoptabilité des enfants devînt définitif.
92. La Cour doit rechercher si, au moment de prendre les décisions susmentionnées, les autorités internes ont suffisamment tenu compte de l’obligation positive qui leur incombait de faciliter la réunification de la famille, ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu et énoncé des raisons pertinentes et suffisantes de nature à démontrer que les circonstances de l’espèce revêtaient un caractère si exceptionnel qu’elles justifiaient une rupture complète et définitive des liens entre les enfants et la requérante. La Cour note que dans le cas d’espèce, l’arrêt relatif à l’adoptabilité n’est pas encore devenu définitif et que l’adoption n’a pas encore été prononcé.
93. Le Gouvernement a fondé sa thèse sur les problèmes posés par le placement à long terme ; selon lui l’enfant placé vit dans l’incertitude entre ses parents biologiques et ses parents de substitution, ce qui entraîne des problèmes tels que des conflits de loyauté.
94. La Cour est pleinement consciente que l’intérêt de l’enfant dans le processus décisionnel doit être la considération primordiale (voir l’Observation générale no 14 (2013) du Comité des droits de l’enfant des Nations unies sur le droit de l’enfant, paragraphe 38, cité au paragraphe 53 ci-dessus). Elle relève, toutefois, comme souligné également par la Cour de cassation dans son arrêt, que les autorités n’ont pas cherché à se livrer à un véritable exercice de mise en balance entre les intérêts des deux enfants et de la requérante et qu’elles n’ont pas sérieusement envisagé la possibilité de maintenir un lien entre les enfants et la requérante en dépit des préconisations de l’expertise, alors que la procédure était pendante et que l’arrêt relatif à l’adoptabilité n’était pas définitif.
95. Dans ce contexte, la Cour, en particulier, n’est pas convaincue que les autorités internes compétentes aient dûment pris en compte le lien profond existant entre la requérante et les enfants et les dommages qu’une interruption définitive de contacts aurait pu causer, d’autant plus que la procédure d’adoptabilité est à ce jour encore pendante depuis plus de trois ans.
96. La Cour estime significatif que la cour d’appel a d’abord rejeté la demande provisoire et urgente en se fondant sur l’expertise qui avait été ordonnée par le tribunal plus d’un an auparavant. Les motifs énoncés dans cette décision (paragraphe 33 ci-dessus) s’attardent exclusivement sur les effets potentiels d’un retour éventuel des enfants auprès de la requérante et d’une nouvelle interruption des contacts plutôt que sur les motifs qui ont conduit à mettre fin à tout contact entre les enfants et la requérante.
Ensuite, dans son arrêt sur le fond, la cour d’appel n’a pas pris en considération les conclusions de l’expertise dans la partie dans laquelle il était mis en évidence le lien profond existant entre la requérante et ses enfants et la nécessité que des contacts soient maintenus. Elle n’a pas non plus énoncé de raisons pertinentes sur ce point, se bornant à affirmer que l’interruption des contacts était la conséquence de la déclaration d’adoptabilité.
97. Par la suite, la Cour de cassation, saisie par la requérante en vue d’obtenir l’annulation de l’arrêt de la cour d’appel, a statué que la cour d’appel n’avait pas correctement appliqué le principe selon lequel l’adoption est prononcée à titre d’ultima ratio lorsqu’il n’y a pas d’intérêt que l’enfant maintienne une relation significative avec ses parents biologiques ou lorsque ce lien pourrait lui porter préjudice. La Haute juridiction a estimé que la cour d’appel aurait dû évaluer s’il était dans l’intérêt des enfants de maintenir un lien avec la requérante à la lumière des conclusions de l’expertise, et le cas échéant s’il y avait un modèle différent d’adoption qui pouvait être appliqué au cas d’espèce dans l’intérêt des enfants. Le modèle auquel se référait la Cour de cassation était celui de l’adoption simple prévue dans le système juridique italien dans les cas où il est dans l’intérêt des enfants (article 44 de la loi sur l’adoption) de maintenir le lien avec les parents naturels.
La Cour de cassation a considéré que, lors de la vérification de l’état d’abandon, la cour d’appel aurait dû analyser si l’intérêt à ne pas rompre le lien avec la requérante primait sur l’insuffisance de ses capacités parentales. En particulier, les conclusions de l’expertise selon lesquelles la nécessité pour les enfants de maintenir un lien avec la requérante en vue de construire leur propre identité n’avaient pas été prises en compte.
98. La Cour réitère sa position selon laquelle de manière générale, d’une part, l’intérêt supérieur de l’enfant dicte que les liens entre lui et sa famille soient maintenus, sauf dans les cas où celle-ci se serait montrée particulièrement indigne : briser ce lien revient à couper l’enfant de ses racines. En conséquence, seules des circonstances tout à fait exceptionnelles peuvent en principe conduire à une rupture du lien familial et tout doit être mis en œuvre pour maintenir les relations personnelles et, le cas échéant, le moment venu, « reconstituer » la famille (Gnahoré c. Italie, no 40031/98, § 59, CEDH 2000‑IX). D’autre part, il est certain que garantir à l’enfant une évolution dans un environnement sain relève de cet intérêt et que l’article 8 ne saurait autoriser un parent à prendre des mesures préjudiciables à la santé et au développement de son enfant (Strand Lobben et autres, précité, § 207). Il existe un important consensus international autour de l’idée que l’enfant ne doit pas être séparé de ses parents contre son gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant (voir l’article 9 § 1 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, reproduit au paragraphe 51 ci-dessus). De plus, il appartient aux États contractants d’instaurer des garanties procédurales pratiques et effectives permettant de veiller à la protection et à la mise en œuvre de l’intérêt supérieur de l’enfant (voir l’Observation générale no 14 (2013) du Comité des droits de l’enfant des Nations unies sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale, paragraphes 38, 85 et 87, cités au paragraphe 53 ci-dessus).
100. Or, dans le cas d’espèce, la Cour note que la cour d’appel, juridiction spécialisée, composée de deux juges professionnels et deux juges non professionnels, n’a pas tenu compte des conclusions de l’expertise dans la partie où était préconisé le maintien des liens entre la requérante et les enfants et n’a pas motivé sa décision sur les raisons qui l’ont amenée à ne pas prendre en compte ces conclusions. Au demeurant la Cour rappelle que, selon l’avis no 15 du Conseil consultatif des juges européens (paragraphe 58 ci-dessus) la préférence doit être donnée à un système dans lequel le juge désigne un expert ou dans lequel les parties peuvent elles-mêmes appeler à faire témoigner des experts dont les constats et conclusions peuvent être contestés et débattus entre les parties devant le juge.
101. Dans le cas d’espèce, en dépit de l’absence d’indices de violence ou d’abus commis sur ses enfants, et contrairement aux conclusions de l’expertise, la requérante a été privée de tout droit de visite, alors que la procédure d’adoptabilité est à ce jour encore pendante. La Cour observe de surcroît que les juridictions, sans motiver particulièrement leurs décisions sur ce point, ont placé les enfants dans deux familles différentes, ce qui a fait obstacle au maintien des liens fraternels. Cette mesure a donc provoqué non seulement l’éclatement de la famille, mais aussi celui de la fratrie, et est allée à l’encontre de l’intérêt supérieur des enfants (Y.I. c. Russie, no 68868/14, § 94, 25 février 2020, Soares de Melo c. Portugal, no 72850/14, § 114, 16 février 2016, S.H., précité, § 56, et Pontes c. Portugal, no 19554/09, § 98, 10 avril 2012).
103. La Cour estime par conséquent qu’au vu de la gravité des intérêts en jeu, il appartenait aux autorités compétentes d’apprécier la vulnérabilité de la requérante de manière plus approfondie au cours de la procédure dont il s’agit. Elle rappelle à cet égard que l’article 12, paragraphe 7, de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, prévoit la prise en compte des besoins spécifiques des personnes en situation vulnérable (paragraphe 57 ci-dessus) (S.M. précité).
104. Par ailleurs, il ressort des décisions du tribunal et de la cour d’appel que les juridictions internes ont apprécié les aptitudes parentales de la requérante sans prendre en compte son origine nigériane ni le modèle différent d’attachement entre parents et enfants qu’on peut retrouver dans la culture africaine, malgré le fait que cela ait été largement mis en évidence dans le rapport d’expertise (paragraphe 34 ci-dessus).
105 . À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que, pendant le déroulement de la procédure qui a abouti à l’interruption des contacts entre la requérante et ses enfants, il n’a pas été accordé suffisamment de poids au fait de permettre à l’intéressée et aux enfants de connaître une vie familiale. Elle estime donc que la procédure en cause n’a pas été entourée de garanties proportionnées à la gravité de l’ingérence et des intérêts en jeu. Par conséquent, elle conclut à la violation de l’article 8 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
106. La requérante se plaint de ne pas disposer d’un recours effectif qui lui permettrait de faire valoir son grief fondé sur l’article 8. Elle invoque l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
107. Compte tenu de la conclusion à laquelle elle est parvenue au sujet de l’article 8 de la Convention (paragraphe 105 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief fondé sur l’article 13.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
108. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
A. Dommage moral
109. La requérante sollicite 30 000 euros (EUR) pour le dommage moral qu’elle dit avoir subi à raison de l’interruption de contacts avec les enfants.
110. Le Gouvernement s’oppose à cette prétention, dont il demande le rejet.
111. Tenant compte des circonstances de l’espèce, la Cour considère que l’intéressée a subi un préjudice moral qui ne saurait être réparé par le seul constat de violation de l’article 8 de la Convention. Elle estime toutefois que la somme réclamée à ce titre est excessive. Eu égard à l’ensemble des éléments dont elle dispose, et statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle alloue à la requérante la somme de 15 000 EUR pour préjudice moral.
B. Frais et dépens
112. La requérante réclame 5 000 EUR au titre des frais et dépens engagés aux fins de la procédure menée devant la Cour.
113. Le Gouvernement s’oppose à cette prétention.
114. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens, la requérante n’ayant produit aucun justificatif à cet égard.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;
3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief fondé sur l’article 13 de la Convention ;
4. Dit,
a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 1er avril 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Renata Degener Ksenija Turković
Greffière Présidente