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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> GONZALEZ ETAYO v. SPAIN - 20690/17 (Judgment : Prohibition of torture : Third Section Committee) French Text [2021] ECHR 46 (19 January 2021)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2021/46.html
Cite as: ECLI:CE:ECHR:2021:0119JUD002069017, CE:ECHR:2021:0119JUD002069017, [2021] ECHR 46

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TROISIÈME SECTION

AFFAIRE GONZALEZ ETAYO c. ESPAGNE

(Requête no 20690/17)

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

STRASBOURG

19 janvier 2021

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Gonzalez Etayo c. Espagne,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en un comité composé de :

          Georgios A. Serghides, président,

          María Elósegui,

          Peeter Roosma, juges,
et de Olga Chernishova, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête (no 20690/17) dirigée contre le Royaume d’Espagne et dont un ressortissant de cet État, M. Iñigo Gonzalez Etayo (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 6 mars 2017,

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement espagnol (le 6 juillet 2017),

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 décembre 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1.  La présente affaire porte sur l’absence d’une enquête approfondie et effective de la part des juridictions espagnoles au sujet des mauvais traitements présumés infligés au requérant pendant sa garde à vue au secret. Le requérant invoque l’article 3 de la Convention.

EN FAIT

2.  Le requérant est né en 1983 et réside à Baranain. Il était représenté par Me J. Carrera Ciriza, avocate.

3.  Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. R.-A. León Cavero, avocat de l’État.

I.       Procédure pour délit présumé d’appartenance aux organisations faisant partie du groupe terroriste ETA

4.  Dans la nuit du 17 au 18 janvier 2011, vers 2 heures du matin, le requérant fut arrêté à son domicile par des agents de la garde civile dans le cadre d’une enquête judiciaire portant sur un délit présumé d’appartenance aux organisations EKIN et SEGI, lesquelles font partie du groupe terroriste ETA. Le requérant fut informé de ses droits. Une perquisition eut lieu à son domicile. L’arrestation du requérant fut annoncée par le ministère de l’Intérieur et cette information fut aussitôt reprise par les médias. Elle figurait dans les éditions numériques de la presse écrite à 8 h 30.

5.  Le même jour, après la perquisition menée à son domicile, le requérant fut conduit à l’Audiencia provincial de Pampelune, devant laquelle il indiqua avoir été arrêté sans violence et ne pas avoir été maltraité.

6.  À 7 h 55, le requérant fut examiné par le médecin légiste près l’Audiencia provincial de Pampelune. Le médecin constata des ecchymoses sur les poignets de l’intéressé. Il procéda à un examen physique complet du requérant, lequel avait donné son consentement à cet examen.

7.  Toujours le 18 janvier 2011, pendant le trajet en voiture vers Madrid, le requérant, qui était menotté dans le dos par des cordes et qui avait les yeux bandés, avait selon ses dires été soumis à des menaces et à des insultes et avait reçu des coups de la part des deux agents de la garde civile qui étaient assis avec lui sur le siège arrière du véhicule. Selon lui, les gardes l’avaient sorti du véhicule, l’avaient menacé en agitant un stylo près de ses testicules, lui avaient baissé son pantalon et avaient tenté de lui ouvrir les jambes. Le requérant fut ensuite remis dans le véhicule.

8.  À son arrivée à Madrid, il fut conduit dans les locaux de la Direction générale de la garde civile et le masque qu’il avait sur les yeux lui fut enlevé. Dès le placement en garde à vue du requérant, le juge central d’instruction no 3 près l’Audiencia Nacional (« le juge central d’instruction no 3 ») décida que le requérant devait être examiné deux fois par jour par le médecin légiste affecté au tribunal central d’instruction no 3, et ce pendant toute la durée de sa garde à vue au secret jusqu’à sa mise à disposition judiciaire, selon le régime applicable en l’espèce conformément à l’article 520 bis du code de procédure pénale (voir références au cadre juridique applicable au paragraphe 38 ci-dessous).

9.  Le 18 janvier 2011, à 20 heures, le requérant fut examiné par le médecin légiste affecté au tribunal central d’instruction no 3. Il soutint avoir été arrêté sans violence à son domicile, avoir eu une crise d’hypoglycémie en raison d’exercices physiques intenses à la suite desquels on lui aurait donné un sucre, et ne pas avoir été maltraité.

10.  Le 18 janvier 2011, des membres de la famille du requérant demandèrent au juge central d’instruction no 3 que fussent versés au dossier les enregistrements vidéo de la cellule du requérant et ceux concernant toute la période de la garde à vue de l’intéressé jusqu’à sa traduction devant un juge, qu’un médecin librement désigné par la famille puisse accompagner le médecin légiste près l’Audiencia Nacional afin de rendre visite au requérant toutes les huit heures pendant sa garde à vue et sa mise à disposition judiciaire et que les agents de la garde civile responsables de la détention et de la garde à vue du requérant informent la famille du lieu où ce dernier était détenu au secret ainsi que de son état de santé.

11.  Par une décision du 19 janvier 2011, le juge central d’instruction no 3 rejeta les mesures sollicitées par des membres de la famille du requérant, rappelant que le CPP établissait des mécanismes concrets pour garantir les droits du détenu dans le cadre de l’exceptionnalité de la garde à vue au secret et que des mesures de contrôle étaient adoptées afin d’exclure toute possibilité de violation des droits fondamentaux.

12.  Le 19 janvier 2011, le requérant fut examiné à 10 h 35 et à 19 h 35 par le médecin légiste. Dans ses rapports consécutifs à ces visites, le médecin légiste indiqua que le requérant avait accepté d’être examiné le matin et qu’on lui prenne la tension le soir, qu’il lui avait dit avoir été soumis à un interrogatoire pendant deux heures, la veille, après l’examen médical, et qu’il n’avait pas été maltraité physiquement ni psychologiquement. Le requérant demanda au médecin quand il serait traduit devant le juge.

13.  Le 20 janvier 2011, le requérant fut examiné par le médecin légiste à deux reprises : à 10 h 30 puis à 20 h 10. Le médecin légiste nota dans ses rapports que le requérant indiquait ne pas avoir subi de mauvais traitements, et qu’il ne souhaitait pas être examiné mais qu’il avait demandé qu’on lui prenne la tension et qu’on mesure son taux de glucose car il aurait souffert d’hypoglycémie.

14.  Le 21 janvier 2011, à 9 h 50 et à 19 heures, le requérant fut examiné par le médecin légiste. Celui-ci nota dans ses rapports que le requérant indiquait ne pas avoir subi de mauvais traitements, qu’il avait été interrogé dans l’après-midi avec l’assistance d’un avocat d’office, et qu’il ne souhaitait pas être examiné.

15.  Ce même jour, à 14 h 20 et à 17 h 35, le requérant passa aux aveux en présence d’un avocat d’office et il reconnut son implication dans divers faits en rapport avec l’organisation EKIN (paragraphe 4 ci-dessus).

16.  Le 22 janvier 2011, le requérant fut traduit devant le juge central d’instruction no 3. Il fut examiné par le médecin légiste à 10 h 25 et déclara qu’il avait été maltraité les mardi et mercredi précédents (les 18 et 19 janvier), qu’on lui avait imposé de faire des flexions la tête recouverte d’un sac en plastique noir, qu’il ne pouvait pas respirer mais qu’il n’avait pas perdu connaissance et qu’on lui avait donné un sucre après. Il indiqua que les agents de la garde civile l’avaient menacé et lui avaient dit que « s’il ne racontait pas ce [qu’ils] voulaient, cela se répéterait » et que la veille, après le passage du médecin légiste, et le 22 janvier au matin, il avait été de nouveau menacé pour qu’il « dise devant le juge ce qu’il avait déclaré dans les locaux de la police ».

Dans sa déposition devant le juge, en présence du même avocat commis d’office que celui qui l’avait assisté pendant sa déclaration en garde à vue, le requérant revint sur le contenu des déclarations qu’il avait signées la veille pendant sa garde à vue, indiqua qu’elles avaient été obtenues sous la contrainte et que le texte de ces déclarations avait été préparé par les gardes civils responsables de sa garde à vue.

17.  Le 28 janvier 2011, le requérant fut transféré au centre pénitentiaire Madrid VII - Estremera où il fut de nouveau examiné par un médecin. Ce dernier indiqua dans son rapport que le requérant ne lui avait pas dit avoir été maltraité pendant sa garde à vue. Il fut remis en liberté le 26 juin 2012.

18.  Les 4 et 11 juin et 2 juillet 2015, le requérant fut examiné par deux psychologues, qui remirent le 28 août 2015 un rapport rédigé conformément aux critères méthodologiques du « Protocole d’Istanbul » (paragraphe 27 ci‑dessous). Selon ce rapport, le requérant souffrait de quelques symptômes de stress post-traumatique.

19.  Par un arrêt sur le fond rendu par l’Audiencia Nacional le 15 avril 2016, le requérant fut condamné à une peine de deux ans d’emprisonnement pour délit d’appartenance à une organisation terroriste, à laquelle fut substituée une remise en liberté conditionnée au refus par l’intéressé de la violence terroriste en tant que moyen de poursuivre des objectifs politiques.

II.    Plainte pour mauvais traitements

A.    Dépôt de la plainte et début de l’instruction

20.  Le 25 février 2011, assisté par deux avocates de son choix, le requérant porta plainte devant le juge de garde de Pampelune, alléguant avoir subi des mauvais traitements pendant sa garde à vue au secret.

Il sollicita la production de copies des rapports des visites des médecins légistes le concernant, des procès-verbaux de ses dépositions devant les agents de la garde civile pendant sa garde à vue au secret et devant le juge central d’instruction no 3 près l’Audiencia Nacional, ainsi que des éventuels enregistrements des caméras de sécurité des locaux où il avait été gardé à vue.

Il demanda l’identification des agents intervenus lors de sa détention et de ceux chargés de sa surveillance pendant sa garde à vue et l’audition par le juge : a) des agents ainsi identifiés, b) des médecins légistes l’ayant examiné à Madrid et à Pampelune ainsi qu’à la prison d’Extremera et c) de l’avocat commis d’office présent lors de ses dépositions.

Il demanda en outre à être soumis à un examen médical afin d’établir l’existence d’éventuelles lésions ou séquelles psychologiques, et à être entendu personnellement.

21.  L’examen de la plainte du requérant fut attribué au juge d’instruction nº 4 de Madrid. Le juge demanda que lui fussent remis les enregistrements de la garde à vue du requérant ainsi que des copies des rapports des médecins légistes et des déclarations du requérant dans les locaux de la police et devant le juge central d’instruction, si celles-ci n’étaient pas considérées comme secrètes. Le requérant fut cité à comparaître le 21 juin 2011.

22.  Le 1er avril 2011, la Direction générale de la garde civile informa le juge d’instruction no 4 de Madrid qu’il n’existait pas d’enregistrement vidéo de la garde à vue du requérant, expliquant que les locaux en question n’étaient pas équipés de caméras et que le juge central d’instruction no 3 près l’Audiencia Nacional n’avait rien ordonné en ce sens.

23.  Le 3 juin 2011, le requérant indiqua au médecin légiste du centre pénitentiaire d’Estremera qu’il ressentait une douleur légère et récurrente au thorax. Malgré les tests effectués (radiographie thoracique, exploration complète et prises de sang), aucune pathologie ne fut décelée.

24.  Le 21 juin 2011, le requérant fit sa déposition devant le juge d’instruction no 4 de Madrid, assisté par son avocate. Il confirma sa plainte initiale. Interrogé par son avocate sur les raisons pour lesquelles il n’avait pas dénoncé les mauvais traitements qu’il aurait subis pendant sa garde à vue auprès du médecin légiste, le requérant déclara n’avoir rien dit à ce dernier car, lors d’un interrogatoire ayant eu lieu à la suite de l’une des visites du médecin, les agents de la garde civile lui auraient raconté tout ce qu’il avait dit lors de la consultation, raison pour laquelle il aurait eu peur d’en parler au médecin.

25.  Le 13 juillet 2011, le médecin légiste du centre pénitentiaire d’Estremara déclara devant le juge d’instruction no 4 avoir examiné le requérant le jour même, que celui-ci se plaignait toujours de douleurs thoraciques mais qu’il n’avait pas constaté de lésions ni d’altérations fonctionnelles chez l’intéressé.

B.     Première ordonnance de non-lieu et appel

26.  Par une ordonnance du 27 octobre 2011, le juge d’instruction no 4 de Madrid rendit un non-lieu provisoire. Il considéra qu’il n’y avait pas d’indices selon lesquels le requérant avait subi les mauvais traitements allégués.

27.  Le 21 novembre 2011, le requérant fit appel, insistant sur les éléments de preuve demandés lors de sa plainte déposée le 25 février 2011 et les recommandations d’institutions et organismes internationaux et, notamment, du Comité pour la prévention de la torture et les peines et traitements inhumains et dégradants du Conseil de l’Europe (CPT) en matière de mauvais traitement et de garde à vue au secret, ainsi que sur le respect des exigences posées par le Manuel pour enquêter de manière efficace sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dit « Protocole d’Istanbul », adopté par l’Assemblée générale des Nations unies en 1999, pour la réalisation des rapports médicaux et psychologiques dans ce contexte.

28.  Par une décision du 19 novembre 2012, l’Audiencia provincial de Madrid infirma l’ordonnance de non-lieu du 28 octobre 2011 et demanda au juge d’instruction no 3 de Madrid de solliciter l’audition des avocats ayant assisté le requérant pendant sa garde à vue et devant les juges, et des médecins légistes étant intervenus auprès du requérant tout au long de la procédure. L’Audiencia provincial demanda également que fussent versées au dossier les copies des rapports médicaux qui, selon le requérant, n’avaient pas encore été fournis, et notamment le rapport du médecin légiste de Pampelune et du médecin légiste ayant examiné le requérant lors de son entrée au centre pénitentiaire, ainsi que le rapport portant sur les tests radiologiques qui furent effectués lorsque le requérant était en prison. Concernant les enregistrements vidéo demandés par le requérant, l’Audiencia provincial rappela qu’il était impossible de les fournir et considéra d’ailleurs qu’il était inutile d’identifier, à ce stade, les agents de la garde civile étant intervenus lors de l’arrestation et de la garde à vue du requérant, l’existence d’indices de commission du délit allégué devant être constatée avant de procéder à une telle identification.

C.    Deuxième ordonnance de non-lieu et deuxième appel

29.  Les médecins légistes intervenus aux différents stades de la procédure déclarèrent devant le juge d’instruction no 4 de Madrid en tant que témoins à diverses dates en mars et avril 2013 et confirmèrent leurs rapports. L’avocat d’office ayant assisté le requérant lors de sa déposition devant le juge central d’instruction le 22 janvier 2011 déclara, le 1er juillet 2013, soit deux ans et demi après les faits, ne s’être entretenu avec le requérant qu’avant son audition, dans le couloir, alors qu’ils étaient entourés de policiers. Il indiqua que le requérant était à ce moment-là très nerveux, qu’il ne s’était calmé que lors de sa déclaration dans le bureau du juge, et qu’il s’était alors référé aux mauvais traitements auxquels il disait avoir été soumis pendant sa garde à vue. L’avocat d’office ajouta qu’il « ne se rappel[ait] pas du type de mauvais traitements [auxquels le requérant aurait été soumis] mais [qu’il était] sorti convaincu [que le requérant] n’avait pas été bien traité ».

30.  Le 21 novembre 2013, le juge d’instruction no 4 de Madrid rendit une deuxième ordonnance de non-lieu. Il détailla le contenu des rapports médicaux et des dépositions des médecins légistes ayant examiné le requérant pendant sa garde à vue et lors de son arrivée au centre pénitentiaire d’Estremera. Il prit également note des déclarations de l’avocat commis d’office ayant assisté le requérant pendant sa déposition devant le juge central d’instruction no 3. Il constata que le requérant n’avait pas signalé aux médecins légistes les mauvais traitements allégués, mis à part les flexions forcées et les menaces qu’il avait décrites à un médecin légiste le 22 janvier 2012, qu’aucune marque de violence n’avait été relevée lors des examens médicaux, et que les déclarations de l’avocat d’office étaient peu précises (paragraphe 29 ci-dessus). Le juge conclut qu’« au vu de l’absence de signes permettant de corroborer, au moins par des indices, la version du [requérant], la poursuite de l’instruction n’[était] plus justifiée parce qu’il n’y a[vait] aucune base pour une accusation au pénal ».

31.  Le 28 janvier 2014, le requérant fit appel. Il demanda que le nom de l’avocat d’office qui l’avait assisté lors de sa garde à vue fût sollicité auprès barreau de Madrid et, au cas où il se serait agi du même avocat que celui qui l’avait assisté lors de sa déposition du 22 janvier 2011 devant le juge central d’instruction no 3 (paragraphe 16 ci-dessus), qu’il soit cité de nouveau pour témoigner devant le juge d’instruction no 4 ; que les agents responsables de sa garde à vue fussent identifiés et cités à déclarer devant le juge et qu’un procédé de reconnaissance par la voix fût mis en œuvre ; qu’une inspection de visu des lieux de détention eût lieu, que le médecin du centre pénitentiaire d’Estremera expliquât les prétendues contradictions entre ses déclarations et son rapport ; que les déclarations du médecin légiste près l’Audiencia Nacional fussent versées au dossier ou bien que ce dernier témoignât de nouveau ; qu’une expertise médicale par un médecin spécialisé à même d’identifier des tortures examinât la compatibilité entre la plainte pour mauvais traitements formulée par lui et les déclarations et les rapports des médecins légistes étant intervenus au cours de la procédure, et, enfin, qu’un rapport sur son état psychologique fût établi, conformément au Protocole d’Istanbul, afin de déterminer efficacement s’il avait subi les mauvais traitements qu’il dénonçait.

32.  Par une décision du 14 mai 2014, l’Audiencia provincial de Madrid infirma l’ordonnance de non-lieu du 21 novembre 2013, demandant au juge d’instruction no 3 de Madrid de solliciter l’audition de l’avocat commis d’office ayant assisté le requérant pendant sa garde à vue, et de recueillir tout autre élément de preuve que le juge estimait pertinent, d’office ou à la demande des parties.

D.    Troisième ordonnance de non-lieu

33.  Le 17 juillet 2014, l’avocat d’office ayant assisté le requérant devant le juge central d’instruction no 3 (paragraphe 16 ci-dessus) et pendant la garde à vue réitéra le contenu de sa déposition du 1er juillet 2013 (paragraphe 29 ci-dessus) et, trois ans et demi après les faits, il expliqua qu’il ne se souvenait pas des déclarations du requérant pendant sa garde à vue.

34.  Le 4 septembre 2013, eu égard au manque de précisions de l’avocat commis d’office et estimant que celui-ci se serait souvenu d’avoir relevé des éléments significatifs à cet égard, le juge d’instruction no 4 de Madrid rendit une troisième ordonnance de non-lieu, réitérant les conclusions de son ordonnance du 21 novembre 2013 (paragraphe 30 ci-dessus).

35.  Le 28 octobre 2014, le requérant fit appel.

36.  Par une décision du 28 janvier 2015, l’Audiencia provincial de Madrid confirma l’ordonnance de non-lieu. Elle précisa que les allégations du requérant ne suffisaient pas pour considérer que les délits de mauvais traitements dénoncés avaient été commis, lesdites allégations devant être corroborées par d’autres éléments de preuve qui confirmeraient les faits dénoncés. Elle nota que l’enquête menée pour corroborer ces faits avait donné un résultat absolument contraire aux allégations du requérant. Elle constata que les rapports établis par les médecins légistes ayant assisté quotidiennement le requérant dès le premier jour de sa garde à vue, le 18 janvier 2011, tant à Pampelune qu’à Madrid, les rapports rendus dans les jours suivants, le témoignage et le rapport des médecins du centre pénitentiaire d’Estremera ainsi que le rapport de diagnostic radiologique ne faisaient état d’aucun signe objectif de blessure, d’abus ou de violence physique sur le requérant relatif aux mauvais traitements allégués par ce dernier. Elle nota que le requérant avait lui-même reconnu dans sa déclaration du 21 juin 2011 devant le juge d’instruction no 4 qu’il avait été examiné chaque jour par le médecin légiste à qui il avait déclaré qu’il n’avait pas subi de mauvais traitements. Enfin, elle releva que l’avocat d’office qui avait assisté le requérant dans les locaux de la garde civile avait déclaré qu’il ne se souvenait de rien de particulier concernant la déclaration faite par le détenu devant les agents de la garde civile lors de sa garde à vue. Pour toutes ces raisons, l’Audiencia provincial conclut à l’absence de justification suffisante quant à la perpétration des faits dénoncés, et qu’il n’était donc pas nécessaire de procéder à l’identification des auteurs présumés de ces faits.

37.  Le requérant forma un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel. Ce recours fut déclaré irrecevable par une décision du 6 septembre 2016 notifiée le 9 septembre 2016.

LE CADRE JURIDIQUE INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENTS

38.  Pour ce qui est du droit et de la pratique internes pertinents en l’espèce concernant le régime de la garde à vue au secret, ainsi que les rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) et du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe sur ce régime, la Cour renvoie aux arrêts Etxebarria Caballero c. Espagne, no 74016/12, §§ 28-32, 7 octobre 2014, et Beortegui Martinez c. Espagne, no 36286/14, §§ 23-24, 31 mai 2016.

EN DROIT

I.       OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

39.  Le requérant a été détenu dans le cadre de la même opération portant sur un délit présumé d’appartenance à des organisations faisant partie de l’ETA que les requérants dans les affaires Arratibel Garciandia c. Espagne (no 58488/13, 5 mai 2015) et Beortegui Martinez c. Espagne, (no 36286/14, 31 mai 2016).

II.    SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

40.  Le requérant se plaint d’une absence d’enquête effective de la part des juridictions internes à la suite de sa plainte au sujet des mauvais traitements qu’il soutient avoir subis au cours de sa garde à vue au secret. Il estime que les autorités ignorent les recommandations internationales concernant la garde à vue au secret. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

«  Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A.    Sur la recevabilité

41.  La Cour observe que le requérant a exposé les sévices dont il dit avoir été victime durant sa garde à vue. Elle est consciente des difficultés qu’un détenu peut rencontrer pour produire des preuves des mauvais traitements subis pendant qu’il était gardé à vue au secret et notamment lorsqu’il s’agit d’allégations d’actes de mauvais traitements ne laissant pas de traces. Elle note également qu’il est impossible pour le gardé à vue au secret de se procurer des éléments de preuve susceptibles de démontrer l’éventuelle véracité de ses allégations, et que ce n’est que les juges saisis de l’affaire ou de la plainte à cet égard qui peuvent les recueillir a posteriori. L’article 3 de la Convention trouve donc à s’appliquer en l’espèce.

42.  Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

B.     Sur le fond

1.    Les thèses des parties

a)      Le requérant

43.  Le requérant entend souligner que les faits et les griefs de sa requête sont analogues à ceux déjà jugés par la Cour dans les arrêts suivants rendus contre l’Espagne : Beristain Ukar c. Espagne, no 40351/05, 8 mars 2011, San Argimiro Isasa c. Espagne, no 2507/07, 28 septembre 2010, Otamendi Egiguren c. Espagne, no 47303/08, 16 octobre 2012, Etxebarria Caballero c. Espagne, no 74016/12, §§ 26-32, 7 octobre 2014, Ataun Rojo c. Espagne, nº 3344/13, 7 octobre 2014, Arratibel Garciandia (précité), et Beortegui Martinez (précité). Dans toutes ces affaires, qui avaient trait à des mauvais traitements que les agents de la garde civile auraient infligés à des personnes gardées à vue au secret ainsi qu’à l’absence d’enquête effective à ce sujet, la Cour a conclu au moins à la violation de l’article 3 de la Convention sous son volet procédural.

44.  Au sujet de la crédibilité de ses allégations de mauvais traitements, le requérant argue :

– que la Cour a déjà invité l’État espagnol à « adopter les mesures recommandées par le CPT pour améliorer la qualité de l’examen médicolégal des personnes soumises à la garde à vue au secret » (Etxebarria Caballero, précité, § 48, et Otamendi Egiguren, précité, § 41) ;

– qu’il n’a pas décrit au médecin légiste les mauvais traitements auxquels il dit avoir été soumis au motif que les agents qui le surveillaient étaient au courant du contenu de ses entretiens avec ledit médecin et qu’il avait eu peur qu’ils le battent davantage lors des interrogatoires ;

– que ses dépositions devant le juge central d’instruction accréditent clairement ses allégations de mauvais traitements, ce qu’il aurait également soutenu devant le médecin du centre pénitentiaire Madrid-V Soto del Real (paragraphe 17 ci-dessus) et plus tard, le 3 juin 2011, devant le médecin du centre pénitentiaire Madrid-VII Estremera lors d’une visite médicale pour une douleur légère et récurrente au thorax (paragraphe 23 ci-dessus) ; le médecin du centre Madrid-VII Estremera avait fait référence à ces douleurs dans sa déclaration devant le juge d’instruction (paragraphe 25 ci-dessus) ;

– que si d’autres éléments probants n’ont pas pu être joints à sa plainte, c’est précisément en raison, notamment, du caractère secret de sa garde à vue et de sa détention.

45.  Le requérant dénonce diverses carences dans le régime de l’administration des preuves. Il soutient que sa demande d’expertise psychologique par un psychologue de sa confiance n’a pas été acceptée, que les rapports des médecins légistes qui sont intervenus pendant sa garde à vue au secret ont été établis sans respecter les exigences posées par le protocole d’Istanbul et que le juge d’instruction et l’Audiencia provincial n’ont pas fait droit à ses demandes à cet égard. Il indique que le juge d’instruction et l’Audiencia provincial n’ont pas donné suite à ses demandes d’identification et d’audition des agents chargés de sa surveillance lors de sa garde à vue au secret, sous prétexte de risques pour leurs vies, alors qu’il n’a jamais été accusé d’attenter contre la vie d’autrui et que l’organisation ETA a cessé définitivement son action armée le 2 octobre 2011 et annoncé son désarmement total le 8 avril 2017. Le requérant déclare qu’au moins les moyens de preuves suivants parmi ceux qu’il avait demandés n’ont pas été présentés : l’inspection des locaux où il a été gardé à vue, les enregistrements vidéo de sa garde à vue, une nouvelle déclaration du médecin du centre pénitentiaire d’Estremera, une expertise sur la compatibilité de ses déclarations avec les rapports médicaux et l’existence de torture.

46.  Dès lors, le requérant conclut à l’absence d’enquête effective au sujet des allégations de mauvais traitements qu’il avait formulées et, partant, à la violation de l’article 3 de la Convention.

b)      Le Gouvernement

47.  Le Gouvernement se réfère à l’arrêt de la Cour Egmez c. Chypre (no 30873/96, § 70, CEDH 2000XII), y voyant lidée que, au sujet de griefs de violation de larticle 3 de la Convention, un recours peut être reconnu comme effectif sans devoir forcément conduire à la sanction des fonctionnaires impliqués. En ce qui concerne l’étendue d’une enquête approfondie et effective, il se réfère à l’arrêt Archip c. Roumanie (no 49608/08, §§ 662, 27 septembre 2011).

48.  Le Gouvernement estime que les mauvais traitements dénoncés par le requérant ne sont pas présentés de manière défendable et crédible, ni accompagnés de preuves suffisantes de la véracité de ses allégations. Il expose :

– qu’en l’espèce le requérant n’a pas dénoncé devant les médecins légistes l’ayant examiné pendant sa garde à vue ni sa détention postérieure à celle-ci les sévices qu’il allègue avoir subis pendant sa garde à vue, et que ces derniers n’ont pas été constatés par les médecins légistes dans leurs rapports ;

– que le juge a pris en compte, entre autres, les rapports des deux médecins légistes mentionnés au paragraphe précédent et que, aux termes de l’article 479 de la loi organique 6/1985 relative au pouvoir judiciaire, les médecins légistes exercent leurs fonctions « en toute indépendance » selon des critères strictement scientifiques ;

– que le requérant a seulement déclaré devant le juge central d’instruction qu’il avait été contraint de faire des flexions et qu’il n’a jamais perdu connaissance ;

– que l’Audiencia provincial de Madrid n’a confirmé les non-lieux répétés du juge d’instruction que lors du troisième appel du requérant, lorsqu’elle a estimé que les allégations du requérant ne suffisaient pas pour considérer commis les délits de mauvais traitements dénoncés, lesdites allégations devant être corroborées par d’autres éléments de preuve qui confirmeraient les faits dénoncés (paragraphe 36 ci-dessus).

– le rapport sur l’état psychologique du requérant établi par deux psychologues de confiance en 2015, qui faisait état de quelques symptômes de stress post-traumatique, ne peut être considéré comme un élément de preuve concluant ;

– que le requérant avait été assisté par un avocat commis d’office pendant sa garde à vue.

49.  Concernant le régime de la garde à vue au secret en Espagne, le Gouvernement indique que celle-ci doit être décrétée par un juge, pour des délits en rapport avec des organisations armées ou terroristes et pour un délai maximum de soixante-douze heures pouvant être prolongé jusqu’à quarante-huit heures supplémentaires. Il ajoute que la garde à vue au secret est assortie de certaines garanties prévues par la loi, telle que l’assistance judiciaire d’office et l’examen du détenu par un médecin légiste toutes les 12 heures au minimum (paragraphe 38 ci-dessus). Le Gouvernement estime que le régime de la garde à vue au secret est pleinement compatible avec les standards internationaux en la matière et notamment avec ceux établis par le CPT (paragraphe 38 ci-dessus).

50.  Compte tenu de ce qui précède, le Gouvernement considère que la présente requête constitue un abus de droit manifeste, au profit d’une organisation criminelle qui pourrait attenter à la vie ou à l’intégrité physique des policiers, avocats ou médecins légistes qui étaient intervenus dans cette affaire, ou les empêcher d’exercer leur profession en affectant leur entourage familial.

51.  Le Gouvernement déduit de ce qui précède que la requête est à la fois manifestement mal fondée (article 35 § 3 a) de la Convention) et abusive (article 17 de la Convention).

52.  Subsidiairement, il est d’avis que le non-lieu rendu par le juge d’instruction et confirmé ultérieurement par l’Audiencia provincial de Madrid le 28 janvier 2015 (paragraphe 36 ci-dessus) doit être considéré comme suffisamment respectueux du devoir d’enquête qui découlait de l’article 3 de la Convention. Il en conclut qu’il n’y a pas eu violation de cette disposition.

2.    L’appréciation de la Cour

a)      Sur l’insuffisance alléguée des investigations menées par les autorités nationales

53.  La Cour rappelle que, lorsqu’un individu affirme de manière défendable avoir subi, aux mains de la police ou d’autres services comparables de l’État, des sévices contraires à l’article 3 de la Convention, cette disposition, combinée avec le devoir général imposé à l’État par l’article 1 de la Convention de « reconnaître à toute personne relevant de [sa] juridiction, les droits et libertés définis (...) [dans la] Convention », requiert, par implication, qu’il y ait une enquête officielle effective. Cette enquête, à l’instar de celle résultant de l’article 2, doit pouvoir mener à l’identification et, le cas échéant, à la punition des responsables. S’il n’en allait pas ainsi, nonobstant son importance fondamentale, l’interdiction légale générale de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants serait inefficace en pratique et il serait possible dans certains cas à des agents de l’État de bafouer, en jouissant d’une quasi-impunité, les droits de ceux soumis à leur contrôle (Beortegui Martinez, précité, § 37, avec d’autres références).

54.  En l’espèce, la Cour note que le requérant a été placé en garde à vue au secret pendant quatre jours, durant lesquels il n’a pas pu informer de sa détention une personne de son choix ni lui en communiquer le lieu, et n’a pas non plus pu se faire assister par un avocat librement choisi, en vertu des règles applicables aux gardes à vue au secret (paragraphe 38 ci-dessus).

55.  Elle relève que l’intéressé a décrit de manière précise et circonstanciée les mauvais traitements dont il soutenait avoir été victime durant sa garde à vue au secret lorsqu’il a porté plainte à leur sujet devant le juge de garde de Pampelune (paragraphe 20 ci-dessus) ainsi que devant le juge central d’instruction près l’Audiencia Nacional, le 22 janvier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus). La gravité des délits objet de la plainte du requérant méritaient par conséquent une investigation approfondie de la part de l’État, propre à conduire à l’établissement des faits, à l’identification et, le cas échéant, si cela était jugé approprié, à la punition des responsables (Armani da Silva c. Royaume-Uni [GC], no 5878/08, § 286, 30 mars 2016).

56.  S’agissant des investigations menées par les autorités judiciaires au sujet des allégations de mauvais traitements, la Cour observe que le juge central d’instruction no 3 ne donna aucune suite aux demandes des membres de la famille du requérant concernant des mesures d’investigation et de protection du requérant pendant sa garde à vue (paragraphe 10 ci-dessus). Il n’ordonna aucune mesure d’investigation suite aux déclarations du requérant (paragraphe 16 ci-dessus) et ne transmit pas non plus le dossier à un quelconque autre juge compétent.

57.  Pour ce qui est de la plainte pour mauvais traitement déposée par le requérant devant le juge de garde de Pampelune, la Cour note que certaines des demandes d’administration des preuves formulées par le requérant (paragraphe 20 ci-dessus) ont été prises en considération par le juge d’instruction no 4 de Madrid, à qui l’examen de la plainte avait été attribué. Ce juge demanda en effet que lui fussent remis les enregistrements de la garde à vue du requérant, ce qui se révéla infructueux car les locaux en question n’étaient pas équipés à cette fin et que le juge central d’instruction no 3 près l’Audiencia Nacional n’avait rien ordonné en ce sens (paragraphe 22 ci-dessus). Le juge d’instruction no 4 demanda aussi copie des rapports des médecins légistes et des déclarations du requérant pendant sa garde à vue et devant le juge central d’instruction (paragraphe Error! Reference source not found. ci-dessus). Il considéra toutefois qu’il n’y avait pas d’indices que les mauvais traitements dénoncés par le requérant avaient été commis et rendit une première ordonnance de non-lieu, qui fut infirmée en appel.

58.  Le juge d’instruction no 3 de Madrid demanda alors l’audition de l’avocat ayant assisté le requérant ainsi que des médecins légistes intervenus tout au long de la procédure, entre autres. L’avocat déclara que, lors de sa déposition devant le juge central d’instruction, le 22 janvier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus), le requérant avait évoqué les mauvais traitements auxquels il aurait été soumis pendant sa garde à vue.

59.  À la suite à la deuxième ordonnance de non-lieu rendue par le juge d’instruction en raison de l’absence d’indication par le requérant aux médecins légistes qu’il avait subi les mauvais traitements allégués et de l’absence totale de signes de violence lors des examens médicaux, et au deuxième appel du requérant, dans lequel celui-ci demanda encore de nombreux moyens de preuve (paragraphe 31 ci-dessus), une nouvelle audition de l’avocat commis d’office du requérant eut lieu. La troisième ordonnance de non-lieu rendu par le juge d’instruction fut cette fois-ci confirmée par l’Audiencia provincial de Madrid, qui considéra que les allégations du requérant ne suffisaient pas pour considérer que les délits de mauvais traitements dénoncés avaient été commis (paragraphe 36 ci‑dessus).

60.  La Cour observe que, lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis, il incombe aux autorités compétentes de l’État de procéder d’office et sans retard à une enquête impartiale (Arratibel Garciandia, précité, § 26). Bien que la Cour prenne acte de l’intérêt de l’Audiencia provincial de Madrid de dissiper tout doute sur les mauvais traitements que le requérant aurait subis, ce qui constitue une évolution très positive dans la présente affaire par rapport aux enquêtes menées dans les affaires citées au paragraphe 53 ci-dessus, elle note toutefois que l’annulation à deux reprises en appel des ordonnances de non-lieu rendues par le juge d’instruction n’a pas suffi en l’espèce à considérer l’enquête comme étant suffisamment approfondie et effective pour remplir les exigences précitées de l’article 3 de la Convention. Une investigation effective s’impose d’autant plus fortement lorsque, comme en l’espèce, le requérant se trouvait, pendant le laps de temps durant lequel les mauvais traitements allégués se seraient produits, dans une situation d’absence totale de communication avec l’extérieur, pareil contexte exigeant un effort plus important de la part des autorités internes pour établir les faits dénoncés. De l’avis de la Cour, l’administration des moyens de preuve supplémentaires suggérés par le requérant, et tout particulièrement l’identification et l’audition des agents chargés de sa surveillance lors de sa garde à vue au secret, aurait pu contribuer à l’éclaircissement des faits, dans un sens ou dans l’autre, comme l’exige la jurisprudence de la Cour.

61.  La Cour répète par ailleurs l’importance d’adopter les mesures recommandées par le CPT pour améliorer la qualité de l’examen médicolégal des personnes en garde à vue au secret (Otamendi Egiguren, précité, § 41). Elle prend acte également des rapports du CPT concernant ses visites en Espagne en 2007 et 2011 respectivement et notamment de celui du 30 avril 2013 (Beortegui Martinez, précité, § 46, et paragraphe 38 ci-dessus), ainsi que du rapport du 9 octobre 2013 du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe (Etxebarria Caballero, précité, § 32), et indique que les autorités espagnoles doivent établir un code de conduite clair sur la procédure à suivre pour mener les interrogatoires par les personnes chargées de la surveillance des détenus au secret et garantir leur intégrité physique.

62.  La Cour souligne la situation de particulière vulnérabilité des personnes détenues au secret, qui commande que des mesures de surveillance juridictionnelle appropriées soient adoptées et rigoureusement appliquées, afin d’éviter les abus et protéger l’intégrité physique des détenus.

63.  Pour la Cour, il incombe aux juges compétents en matière de gardes à vue au secret d’adopter une approche plus proactive concernant les pouvoirs de surveillance dont ils disposent. Elle souscrit aux recommandations des organes du Conseil de l’Europe, s’agissant aussi bien des garanties à assurer en pareil cas que du principe même de la possibilité de placer une personne en détention au secret (Beortegui Martinez, précité, § 46, avec d’autres références).

64.  En conclusion, eu égard à l’absence d’enquête approfondie et effective au sujet des allégations défendables du requérant (Martinez Sala et autres c. Espagne, no 58438/00, §§ 156-160, 2 novembre 2004) selon lesquelles il avait subi des mauvais traitements au cours de sa garde à vue au secret, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention sous son volet procédural.

b)      Sur les allégations relatives aux mauvais traitements en garde à vue

65.  Dans ses observations du 16 février 2018 en réponse à celles du Gouvernement, le requérant allègue une violation matérielle de l’article 3 de la Convention, alors que, dans sa requête, il se limitait à rappeler l’interdiction générale de la torture et le non–respect par l’Espagne, selon lui, des recommandations des institutions internationales à cet égard, et contestait également le régime de la garde à vue au secret dans le système juridique espagnol.

66.  La Cour renvoie aux paragraphes 48-50 de son arrêt Beortegui Martinez (précité). En tout état de cause, elle estime que ce grief est maintenant tardif et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

67.  Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.    Dommage

68.  Le requérant demande 25 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’il estime avoir subi.

69.  Le Gouvernement estime que le requérant n’a pas prouvé le préjudice moral allégué.

70.  La Cour considère que, compte tenu de la violation constatée en l’espèce, une indemnité pour tort moral doit être accordée au requérant. Statuant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention et eu égard aux montants alloués à cet égard dans des affaires similaires, elle décide de lui allouer 20 000 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

B.     Frais et dépens

71.  Le requérant réclame dans ses observations un montant global de 3 500 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Une partie de ces frais correspond à deux notes de frais d’avoué établies au nom de deux associations et réglées par ces dernières, pour un montant de 731,75 EUR. Les honoraires de l’avocate du requérant devant la Cour s’élèvent à un montant de 2 620,98 EUR, facture pro forma à l’appui.

72.  Le Gouvernement soutient que les montants réclamés ont été versés par des associations et non par le requérant.

73.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession, de l’absence de facture détaillée et réglée correspondante aux honoraires de son avocate, des notes de frais d’avoué dont les montants n’ont pas été directement facturés au requérant, et de sa jurisprudence, la Cour décide de ne pas accorder de somme au requérant à ce titre.

C.    Intérêts moratoires

74.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Déclare recevable le grief concernant l’article 3 de la Convention dans son volet procédural, et le surplus de la requête irrecevable ;

2.      Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention dans son volet procédural ;

3.      Dit,

a)   que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois, la somme de 20 000 EUR (vingt mille euros) pour dommage moral ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.   Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 janvier 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement._1}              {signature_p_2}

Olga Chernishova                                                            Georgios A. Serghides
Greffière adjointe                                                                       Président


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