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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> PUZYREV v. RUSSIA - 15010/11 (Judgment : Article 3 - Prohibition of torture : Third Section Committee) [2021] ECHR 863 (19 October 2021)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2021/863.html
Cite as: CE:ECHR:2021:1019JUD001501011, [2021] ECHR 863, ECLI:CE:ECHR:2021:1019JUD001501011

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TROISIÈME SECTION

AFFAIRE PUZYREV c. RUSSIE

(Requête no 15010/11)

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

 

STRASBOURG

19 octobre 2021

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Puzyrev c. Russie,


La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en un comité composé de :

          Peeter Roosma, président,
          Dmitry Dedov,
          Andreas Zünd, juges,
et de Olga Chernishova, greffière adjointe de section,


Vu :


la requête (no 15010/11) dirigée contre la Fédération de Russie et dont un ressortissant de cet État, M. Radik Aleksandrovich Puzyrev (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 7 février 2011,


la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement russe (« le Gouvernement »),


les observations des parties,


Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 septembre 2021,


Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION


1.  La requête concerne les mauvais traitements infligés au requérant par un agent de police.

EN FAIT


2.  Le requérant est né en 1974 et réside à Menzelinsk. Il a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, et est représenté par Me I.N. Sholokhov, avocat.


3.  Le Gouvernement a été représenté initialement par M. G. Matiouchkine, ancien représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, puis par M. M. Vinogradov, son successeur dans cette fonction.


4.  Le Gouvernement ne s’est pas opposé à l’examen de la requête par un comité.


5.  À l’époque des faits le requérant travaillait et vivait sur un site de production près du village de Biyurgan de l’arrondissement de Tukayevski de la République du Tatarstan.


6.  Le 12 mai 2008, suite aux plaintes des habitants du village concernant le brûlage de déchets sur le site de production plusieurs policiers sont arrivés sur le site. Ils étaient dirigés par R. S., chef du département de police du district de Tukayevski («OVD») au grade de colonel à l’époque des faits. R. S. cria sur les ouvriers et frappa certains d’entre eux. Plus tard, R. S., étant en état d’ébriété, donna au requérant des coups de poing sur le visage et un coup de pied au dos.


7.  Le même jour, le requérant et d’autres ouvriers s’échappèrent et se rendirent dans un hôpital où ils ont reçurent des soins médicaux.


8.  Le 16 juillet 2008, une enquête fut ouverte contre R. S.


9.  Le 3 mars 2010, le tribunal de l’arrondissement de Toukaievski condamna R. S. pour abus de pouvoir à trois ans d’emprisonnement sous condition et à deux ans d’interdiction d’occuper des postes dans les services gouvernementaux locaux et fédéraux, avec une période d’essai d’un an.


10.  Le 28 avril 2010, le requérant saisit les juridictions civiles contre le ministère des Finances pour dommages subis à la suite de mauvais traitements infligés par la police.


11.  Le 6 juillet 2010, le tribunal de l’arrondissement de Vakhitovski de la ville de Kazan fit partiellement droit à la demande du requérant et lui alloua 5 000 roubles (environ 125 euros (EUR) à l’époque) à titre de réparation du préjudice moral.


12.  Le requérant fit appel de cette décision. Le 12 août 2010, la Cour Suprême de la République de Tatarstan confirma la décision du 6 juillet 2010.


13.  Le 16 septembre 2010, le tribunal de l’arrondissement de Toukaievski fit droit à la demande de sursis de R. S. et suspendit sa peine.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS


14.  Les dispositions internes pertinentes en l’espèce en vigueur à l’époque des faits concernant l’interdiction des mauvais traitements et la procédure d’examen des plaintes au pénal en la matière sont résumées dans l’arrêt Lyapin c. Russie, no 46956/09, § 96-102, 24 juillet 2014.


15.  Pour les dispositions pertinentes du droit interne relatives à la réparation du dommage moral (souffrances physiques et morales), voir Artur Ivanov c. Russie, no 62798/09, §§ 13-17, 5 juin 2018.

EN DROIT

I.         Sur la violation alléguée des articles 3 et 13 de la Convention


16.  Le requérant se plaint d’avoir été soumis à un traitement incompatible avec l’article 3 de la Convention. Sous l’angle de l’article 13 de la Convention, le requérant se plaint également d’un montant insuffisant de dédommagement obtenu au niveau national. Les articles cités par le requérant sont ainsi libellés :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale... ».

A.    Sur la recevabilité


17.  Le Gouvernement a confirmé que le requérant avait subi un traitement inhumain et dégradant incompatible avec l’article 3 de la Convention de la part d’un policier. Cependant, selon le Gouvernement, le requérant a perdu le statut de victime pour des raisons suivantes. Par le jugement définitif du 3 mars 2010, le tribunal de l’arrondissement de Toukaievski a condamné R. S. pour abus de pouvoir. Ensuite les juridictions civiles ont fait partiellement droit à la demande du requérant et lui ont alloué 5 000 roubles à titre de réparation du préjudice moral, ce qui représente une somme de réparation adéquate.


18.  Le requérant allègue que la somme de réparation du préjudice moral a été inadéquate.


19.  La Cour rappelle les principes déjà bien établis dans sa jurisprudence concernant la qualité de « victime » d’un requérant (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 178-192, CEDH 2006‑V). Selon ces principes, il lui appartient de vérifier, d’une part, s’il y a eu reconnaissance par les autorités nationales, au moins en substance, d’une violation d’un droit protégé par la Convention et, d’autre part, si le redressement offert peut être considéré comme approprié et suffisant. En cas de mauvais traitement délibéré infligé par des agents de l’État au mépris de l’article 3 de la Convention, la Cour estime de manière constante que deux mesures s’imposent pour que la réparation soit suffisante. Premièrement, les autorités de l’État doivent mener une enquête approfondie et effective pouvant conduire à l’identification et à la punition des responsables. Deuxièmement, le requérant doit le cas échéant percevoir une compensation ou, du moins, avoir la possibilité de demander et d’obtenir une indemnité pour le préjudice que lui a causé le mauvais traitement (Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 116, CEDH 2010).


20.  La Cour constate que les juridictions nationales ont reconnu que le requérant avait été battu par un policier. Suite à une enquête qui a duré moins de deux ans, R. S. a été condamné pour abus de pouvoir à trois ans d’emprisonnement sous condition et à deux ans d’interdiction d’occuper des postes dans les services gouvernementaux locaux et fédéraux, avec une période d’essai d’un an (voir paragraphe 9 ci-dessus). En effet, il a été établi que le policier R. S. a frappé le requérant à plusieurs reprises.


21.  La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que les autorités nationales ont honoré leur obligation procédurale sous l’angle de l’article 3 de la Convention et que les autorités ont reconnu en substance que le requérant avait été soumis à des mauvais traitements contraires aux garanties de l’article 3 de la Convention. La Cour doit en outre examiner s’il a eu lieu une réparation suffisante sous la forme d’une enquête adéquate et d’une indemnisation.


22.  La Cour rappelle que le statut de victime d’un requérant peut dépendre du montant de l’indemnisation qui lui a été accordée au niveau national pour la situation dont il se plaint devant la Cour (voir Scordino, précité, § 202). En l’espèce la Cour considère que la qualité de « victime » du requérant, au sens de l’article 34 de la Convention, n’a pas été affectée par la reconnaissance par les juridictions nationales d’un mauvais traitements subis par le requérant car le requérant avait obtenu 5 000 roubles (environ 125 EUR à l’époque) à titre de réparation du préjudice moral, ce qui est inférieure au montant généralement octroyé par la Cour dans des affaires où elle a conclu à une violation de l’article 3 de la Convention dans les affaires dirigées contre la Russie (voir, par comparaison, Ilgiz Khalikov c. Russie, no 48724/15, § 45, 15 janvier 2019, et Samesov c. Russie, no 57269/14, § 66, 20 novembre 2018). L’État défendeur n’a donc pas suffisamment redressé le traitement contraire à l’article 3 de la Convention que le requérant avait subi.


23.  Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

B.    Sur le fond


24.  Le requérant s’en tient à son grief.


25.  Le Gouvernement n’a pas présenté d’observations sur le fond.


26.  La Cour a déjà établi que les juridictions nationales avaient reconnu que le requérant avait subi les mauvais traitements de la part d’un policier (voir paragraphe 21 ci-dessus). En ce qui concerne la qualification des traitements imposés au requérant, la Cour estime que ces traitements (voir paragraphe 6 ci-dessus) représentent un traitement inhumain et dégradant (Shamardakov c. Russie, no 13810/04, § 136, 30 avril 2015).


27.  Compte tenu du fait que le requérant a gardé le statut de victime du point de vue du volet matériel de l’article 3 de la Convention, la Cour estime qu’il y a eu violation de ce dernier.

C.    Violation alléguée de l’article 13 de la Convention


28.  Eu égard au constat de la violation de l’article 3 de la Convention, la Cour considère qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 13 de la Convention.

II.      Sur l’application de l’article 41 de la Convention


29.  Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »


30.  Le requérant demande 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subi et 45 000 roubles (environ 500 EUR) au titre des frais et dépens.


31.  Le Gouvernement soutient que l’indemnisation alloué au requérant au niveau national au titre du préjudice moral a été adéquate. En ce qui concerne l’indemnisation des frais et dépens, le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas fourni de justificatifs nécessaires.


32.  La Cour octroie au requérant la somme demandée au titre du préjudice moral plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.


33.  Concernant les frais et dépens, la Cour, eu égard à la somme demandée et au fait que le requérant a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire pour cette procédure, n’accorde à l’intéressé aucune somme de ce chef.


34.  La Cour juge approprié de calculer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Déclare la requête recevable ;

2.      Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention, sous son volet matériel ;

3.      Dit,

a)     que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois, 10 000 EUR (dix mille euros) au taux applicable à la date du règlement plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b)     qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.      Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 octobre 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

 {signature_p_2}

Olga Chernishova                                                                  Peeter Roosma
Greffière adjointe                                                                       Président

 


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