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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> NEDELCU v. ROMANIA - 39290/19 (Judgment : Fourth Section Committee) French Text [2021] ECHR 940 (16 November 2021) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2021/940.html Cite as: [2021] ECHR 940, ECLI:CE:ECHR:2021:1116JUD003929019, CE:ECHR:2021:1116JUD003929019 |
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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE NEDELCU c. ROUMANIE
(Requête no 39290/19)
ARRÊT
STRASBOURG
16 novembre 2021
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Nedelcu c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, présidente,
Iulia Antoanella Motoc,
Pere Pastor Vilanova, juges,
et de Ilse Freiwirth, greffière adjointe de section,
Vu la requête (no 39290/19) contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme Leonora Mariane Nedelcu (« la requérante »), née en 1942 et résidant à Bucarest, représentée par Me A. Grigoriu, avocat à Bucarest, a saisi la Cour le 17 juillet 2019 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
Vu la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement »), représenté par son agent, Mme O. Ezer, du ministère des Affaires étrangères.
Vu les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 octobre 2021,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
OBJET DE L’AFFAIRE
1. Le 3 décembre 2011, en début d’après-midi, la requérante, âgée de soixante-neuf ans, fut victime d’un accident dans une station de métro à Bucarest. Sa jambe gauche fut écrasée par un escalier roulant. Elle perdit connaissance et subit une hémorragie qui nécessita une intervention chirurgicale en urgence. Elle ne récupéra jamais l’usage normal de sa jambe gauche.
2. Une commission de l’Institut national de médecine légale estima que l’accident avait mis en danger la vie de la requérante. Elle constata que la requérante avait nécessité cent jours de soins et qu’elle souffrait désormais d’une infirmité permanente.
3. Le 20 janvier 2012, la requérante déposa une plainte pénale du chef de blessures involontaires contre l’entreprise publique M. (« l’entreprise ») qui exploitait le réseau du métro à Bucarest.
4. L’enquête fut effectuée par le bureau de la police du métro. Selon l’entreprise, l’escalier était révisé régulièrement, mais une marche de la plateforme de débarquement avait été volée le jour de l’accident, sans que les circonstances de ce vol puissent être éclaircies, la zone n’étant pas couverte par des caméras de surveillance. Un employé soutint qu’il avait effectué une ronde le matin de l’accident et qu’il n’avait constaté rien d’anormal.
5. Le parquet classa la plainte au motif que l’entreprise n’était pas responsable du vol allégué, la faute incombant à la requérante qui n’avait pas été en capacité d’éviter le vide créé par la pièce manquante. Le tribunal de première instance de Bucarest accueillit la contestation de la requérante et ordonna la poursuite de l’enquête pour établir si le fonctionnement de l’escalier respectait les normes légales de sécurité. Le parquet classa une seconde fois la plainte pour les mêmes motifs.
6. Par un jugement définitif du 11 décembre 2018, mis au net le 30 janvier 2019, le tribunal de première instance de Bucarest estima que l’entreprise avait méconnu les dispositions de la loi no 64/2008 concernant la sécurité du matériel de levage. Il constata que l’escalier fonctionnait sans le certificat obligatoire de conformité garantissant l’utilisation de l’appareil dans des conditions de sécurité et que l’entreprise n’avait pas prouvé qu’elle avait effectué sa révision. Toutefois, il constata que l’action en responsabilité pénale de l’entreprise était prescrite et, par conséquent, mit fin à l’enquête.
7. Invoquant l’article 2 de la Convention, la requérante affirme que l’État a manqué à son obligation positive de protéger son droit à la vie et que les autorités internes n’ont pas mené une enquête effective sur les circonstances de l’accident.
L’APPRÉCIATION DE LA COUR
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION
8. La requérante allègue que l’entreprise n’a pas assuré la sécurité de l’escalier et que, par conséquent, elle a mis sa vie en danger. Elle soutient également que l’enquête n’a pas permis à bref délai d’identifier et de punir les personnes responsables de l’accident qui a failli lui coûter la vie.
9. Le Gouvernement soulève deux exceptions préliminaires. D’une part, il plaide le non-épuisement des voies de recours internes estimant que la requérante aurait dû introduire une action en responsabilité civile délictuelle contre l’entreprise. D’autre part, il soutient que la requête est tardive par rapport à la date du prononcé du jugement définitif rendu par le tribunal de Bucarest (paragraphe 6 ci-dessus).
10. Sur le fond de l’affaire, le Gouvernement soutient qu’il existait, à l’époque des faits, des normes en matière de sécurité des escaliers prévues par la loi no 64/2008.
11. Selon le Gouvernement, l’entreprise aurait respecté ces normes, mais compte tenu du vol d’une pièce de l’escalier le jour même de l’accident, elle n’aurait été au courant d’aucun risque réel et imminent menaçant la vie ou l’intégrité physique des usagers.
12. Le Gouvernement reconnaît qu’à son stade initial, l’enquête n’a pas été complète. Néanmoins, il considère que les autorités de l’enquête auraient ensuite pris toutes les mesures raisonnables dont elles disposaient pour éclaircir les circonstances de l’accident.
13. La Cour rappelle avoir déjà jugé, dans une affaire relative à des griefs similaires et dirigées contre la Roumanie, que l’action indiquée par le Gouvernement (paragraphe 9 ci-dessus) ne constituait pas un recours effectif (Mircea Pop c. Roumanie, no 43885/13, §§ 56-60, 19 juillet 2016).
14. Les arguments du Gouvernement ne sauraient mener en l’espèce à une conclusion différente.
15. Quant à l’exception de tardivité, la Cour estime que la requérante a eu une connaissance suffisante du jugement du 11 décembre 2018 à partir de la date de sa mise au net, le 30 janvier 2019 (paragraphe 6 ci-dessus). Il s’ensuit que la requête introduite le 17 juillet 2019 n’est pas tardive.
16. Partant, il convient de rejeter les exceptions soulevées par le Gouvernement.
17. Par ailleurs, la Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
18. Les principes généraux concernant l’obligation des États de prendre des mesures afin d’assurer la sécurité des personnes se trouvant dans les espaces publics ont été résumés dans l’affaire Marius Alexandru et Marinela Ștefan c. Roumanie (no 78643/11, §§ 97-103, 24 mars 2020). Plus particulièrement, les obligations positives susmentionnées imposent aux États d’adopter des règles visant à protéger la sécurité des personnes dans les espaces publics et à assurer le fonctionnement efficace de ce cadre règlementaire (ibidem, § 99).
19. S’agissant du volet procédural de l’article 2, la Cour a décrit, dans l’affaire Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie [GC] (no 41720/13, §§ 165‑171, 25 juin 2019), les aspects à prendre en considération pour qualifier une enquête d’« effective ».
20. La Cour constate qu’en l’espèce, il ne s’agissait pas d’un accident dû au hasard, mais qu’il trouvait son origine dans un problème de sécurité de l’escalier dont l’entreprise était responsable.
21. La Cour note que si le fonctionnement des escaliers roulants n’est pas en temps ordinaire une activité dangereuse, les accidents d’usagers peuvent être très graves ou mortels. Pour garantir leur sécurité, les pouvoirs publics ont adopté la loi no 64/2008 qui prévoit des mesures spécifiques, notamment l’obligation pour les exploitants d’obtenir un certificat de conformité garantissant l’utilisation des escaliers dans des conditions de sécurité, d’assurer l’entretien de ces appareils et de surveiller leur fonctionnement.
22. La Cour renvoie aux conclusions du tribunal de première instance de Bucarest (paragraphe 6 ci-dessus) et constate que l’entreprise a fait preuve de négligence, notamment en matière d’entretien de l’escalier. Par conséquent, elle a manqué à son devoir d’assurer la sécurité des usagers.
23. S’agissant de l’argument du Gouvernement selon lequel l’entreprise n’était pas au courant d’un risque réel et imminent menaçant la vie ou l’intégrité physique de la requérante (paragraphe 11 ci-dessus), la Cour constate qu’en vertu des dispositions de la loi no 64/2008, l’entreprise avait l’obligation légale de contrôler régulièrement le fonctionnement de l’escalier pour assurer la sécurité des usagers. Dès lors, elle ne saurait être exonérée de cette obligation en alléguant le vol, dans ses propres locaux et dans des circonstances qui n’ont jamais été élucidées, d’une pièce de cet escalier (paragraphe 4 ci-dessus).
24. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que l’État, à travers l’entreprise publique M., qui n’a pas respecté les normes impératives de sécurité relatives à l’escalier roulant, n’a pas rempli son obligation positive de protéger le droit à la vie de la requérante.
25. S’agissant du volet procédural de l’article 2, la Cour constate que l’enquête ouverte à la suite de la plainte pénale déposée par la requérante le 20 janvier 2012 pour blessures involontaires (paragraphe 3 ci-dessus) a été clôturée six ans et dix mois après son ouverture en raison de la prescription de la responsabilité pénale de l’entreprise (paragraphe 6 ci-dessus).
26. La Cour estime que le risque que la prescription de la responsabilité pénale empêchant l’établissement des éventuelles responsabilités, auraient dû inciter les autorités internes à faire preuve d’une plus grande diligence dans leur enquête sur les causes de l’accident et dans la recherche d’éventuels responsables (voir, mutatis mutandis, Gina Ionescu c. Roumanie, no 15318/09, § 41, 11 décembre 2012, et la jurisprudence citée).
27. Eu égard en particulier à la durée de l’enquête et à ses conséquences, la Cour considère que les autorités nationales n’ont pas agi avec la diligence requise par l’article 2 de la Convention. En conséquence, elle conclut à la violation de cette disposition sous son volet procédural.
28. Partant, il y a eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet matériel et procédural.
L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
29. La requérante réclame 35 000 euros (EUR) ainsi qu’une indemnité mensuelle à vie de 250 EUR pour dommage moral. Elle ne demande pas d’indemnité pour le préjudice matériel. Au titre des frais et dépens, elle réclame 2 700 EUR pour les frais d’avocat engagés par elle dans le cadre de la procédure devant la Cour. En plus, elle demande 2 500 EUR au titre d’honoraires qu’elle s’est engagée à verser à son avocat « en cas de succès devant la Cour ».
30. Le Gouvernement s’oppose à ces demandes estimant qu’elles sont excessives.
31. La Cour octroie à la requérante 26 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.
32. La Cour souligne que le pacte de quota litis aux termes duquel la requérante s’est engagée à verser à son avocat 2 500 EUR ne fait naître des obligations qu’entre l’avocat et son client et ne saurait lier la Cour, laquelle doit évaluer le niveau des frais et dépens à rembourser non seulement par rapport à la réalité des frais allégués, mais aussi par rapport à leur caractère raisonnable (Strand Lobben et autres c. Norvège [GC], no 37283/13, § 234, 10 septembre 2019).
33. Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour juge raisonnable d’allouer à la requérante la somme de 2 700 EUR tous frais confondus, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.
34. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet matériel et procédural ;
3. Dit,
a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans un délai de trois mois les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :
i. 26 000 EUR (vingt-six mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral ;
ii. 2 700 EUR (deux mille sept cents euros), plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt sur cette somme, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 novembre 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Ilse Freiwirth Gabriele Kucsko-Stadlmayer
Greffière adjointe Président