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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> GLUSCENCO v. THE REPUBLIC OF MOLDOVA - 8830/09 (Judgment : Article 6 - Right to a fair trial : Second Section Committee) [2022] ECHR 236 (15 March 2022)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2022/236.html
Cite as: [2022] ECHR 236

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DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE GLUŞCENCO c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

(Requête no 8830/09)

 

 

 

 

ARRÊT

STRASBOURG

15 mars 2022

 

 

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

 


En l’affaire Gluşcenco c. République de Moldova,


La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

          Branko Lubarda, président,
          Jovan Ilievski,
          Diana Sârcu, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,


Vu :


la requête (no 8830/09) contre la République de Moldova et dont un ressortissant de cet État, M. Ghenadie Gluşcenco (« le requérant »), né en 1963 et résidant à Chișinău, représenté d’abord par Me J. Hanganu et ensuite par Me V. Pîrău, avocates à Chișinău, a saisi la Cour le 30 janvier 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),


la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement moldave (« le Gouvernement »), représenté par son agent, M. L. Apostol,


les observations des parties,


la décision par laquelle la Cour a rejeté l’opposition du Gouvernement à l’examen de la requête par un comité,


Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 février 2022,


Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

OBJET DE L’AFFAIRE


1.  La présente requête porte sur la non-exécution d’une décision définitive rendue en faveur du requérant, ordonnant à l’autorité locale compétente de transmettre à celui-ci la propriété d’un terrain. Elle concerne également les révisions alléguées abusives des décisions définitives.


2.  Plus précisément, le requérant engagea une action contre le conseil local de Pîrîta réclamant la propriété d’un terrain de 0,5754 ha afférent à sa maison. Par une décision définitive du 1er juillet 2008, la cour d’appel de Chișinău accueillit l’action et ordonna au conseil local en question de transmettre au requérant la propriété du terrain litigieux.


3.  Le 4 mars 2009, la Cour suprême de justice accueillit la demande en révision formulée par le conseil local de Pîrîta et rouvrit la procédure. Par une décision définitive du 11 juin 2009, la cour d’appel de Chișinău arriva à des conclusions identiques à celles opérées dans sa décision du 1er juillet 2008.


4.  Le 17 décembre 2009, la cour d’appel de Chișinău décida, sur demande d’un tiers intervenant, de rouvrir une seconde fois la procédure. Par une décision définitive du 4 mars 2010, cette juridiction se prononça à nouveau en faveur du requérant et obligea le conseil local de Pîrîta de transmettre à celui-ci la propriété du terrain.


5.  Par la suite, le requérant engagea une action en réparation contre l’État, sur le fondement de la loi no 87, afin d’obtenir des dédommagements matériel et moral pour la non-exécution des décisions de la cour d’appel de Chișinău du 1er juillet 2008 et du 4 mars 2010. Par un jugement du 9 juillet 2012, le tribunal de Rîșcani accueillit partiellement l’action et alloua au requérant 10 000 lei moldaves (environ 660 euros selon le taux de change en vigueur à ce moment-là) au titre du préjudice moral pour la non-exécution de la décision du 4 mars 2010 durant vingt-huit mois. Quant au préjudice matériel qui aurait été causé par l’impossibilité pour le requérant de donner à bail le terrain litigieux, le tribunal estima qu’il s’agissait d’un revenu supposé et il le rejeta comme non étayé. Le 9 octobre 2012, ce jugement fut confirmé par la cour d’appel de Chișinău qui, en outre, accorda des sommes pour frais et dépens y compris pour la procédure devant la Cour.


6.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1, le requérant se plaint de la non-exécution de la décision définitive ordonnant au conseil local de Pîrîta de lui transmettre la propriété du terrain de 0,5754 ha afférent à sa maison. Invoquant les mêmes dispositions, il allègue également que l’annulation des décisions définitives rendues en sa faveur était abusive et donc contraire au principe de la sécurité des rapports juridiques.

L’APPRÉCIATION DE LA COUR

I.        SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION et de l’article 1 du Protocole no 1 en raison de la non-exécution de la décision définitive

A.    Sur la recevabilité

1.     Sur l’exception de non-épuisement


7.  Dans ses premières observations sur la recevabilité et le fond de l’affaire, le Gouvernement a excipé du non-épuisement des voies de recours internes. Il soutenait notamment que le requérant aurait dû engager une action en réparation contre l’État sur le fondement de la loi no 87, entrée en vigueur le 1er juillet 2011.


8.  La Cour note que la loi no 87 a été adoptée dans le prolongement de l’arrêt pilote Olaru et autres c. Moldova, (nos 476/07 et 3 autres, 28 juillet 2009). Elle souligne avoir déjà tranché que les personnes ayant introduit leurs requêtes avant l’adoption de cet arrêt pilote n’étaient pas tenues d’épuiser la nouvelle voie de recours que l’État devait mettre en place (Olaru, précité, § 61). Or, la présente requête a été précisément déposée avant l’arrêt pilote en question.


9.  Cela étant, la Cour remarque que le requérant a toutefois fait usage de la voie de recours suggérée par le Gouvernement et qu’il a ainsi offert la possibilité aux instances nationales de se prononcer sur les présents griefs.


10.  Partant, elle rejette cette exception du Gouvernement.

2.     Sur l’exception tirée de la perte de la qualité de victime


11.  Le Gouvernement soutient également que, compte tenu de l’issue de la procédure fondée sur la loi no 87, le requérant a perdu sa qualité de victime.


12.  Les principes généraux applicables en matière de perte de qualité de victime dans les affaires de non-exécution ont été rappelés dans Cristea c. République de Moldova (no 35098/12, §§ 25 et 27-31, 12 février 2019).


13.  En l’espèce, la Cour note que les tribunaux nationaux ont reconnu en substance la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 et ont alloué au requérant un dédommagement moral.


14.  Cependant, elle fait remarquer que la décision interne définitive en faveur de l’intéressé n’est toujours pas exécutée, et ce plus de neuf ans après la condamnation de l’État par les tribunaux nationaux à verser des indemnités en raison de la non-exécution. Cette nouvelle période d’inexécution de neuf ans est considérable, car elle est largement suffisante pour constituer une seconde violation de la même procédure d’exécution. Compte tenu de cette omission persistante des autorités moldaves d’exécuter la décision initiale, la Cour estime que, en tout état de cause, le recours indemnitaire fondé sur la loi no 87 n’a pas offert au requérant un redressement adéquat (comparer avec Cristea, précité, § 35, et les affaires qui y sont citées).


15.  Il s’ensuit que le requérant peut toujours se prétendre victime des violations alléguées et que l’exception du Gouvernement doit être rejetée.

3.     Conclusion sur la recevabilité


16.  Constatant que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés ni irrecevables pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour les déclare recevables.

B.    Sur le fond


17.  Les principes généraux relatifs à l’exécution d’un jugement contre l’État ont été résumés dans Cristea (précité, §§ 41 et 46-47).


18.  Pour ce qui est d’abord de la période à considérer en l’espèce, la Cour note que le délai d’exécution a commencé à courir à partir de la date d’adoption par la cour d’appel de Chișinău de la décision définitive du 1er juillet 2008. En même temps, elle prête attention à l’affirmation du Gouvernement selon laquelle, d’après le droit interne, cette décision est restée exécutoire malgré les deux procédures en révision intentées en l’espèce. Elle n’est donc pas en mesure de conclure que l’écoulement du délai d’exécution a été interrompu par les deux réouvertures successives de la procédure interne.


19.  La Cour considère également que, compte tenu de l’omission persistante des autorités d’exécuter la décision en question, il serait injuste de demander au requérant d’introduire un nouveau recours sur le fondement de la loi no 87 (comparer avec Cristea, précité, § 45).


20.  Compte tenu de tous ces éléments, elle estime qu’elle peut prendre en considération toute la durée de la procédure d’exécution à partir du 1er juillet 2008 (ibidem ; voir, a contrario, Titan Total Group S.R.L. c. République de Moldova, no 61458/08, §§ 76-79, 6 juillet 2021).


21.  Elle constate ensuite que, à ce jour, la période d’inexécution de la décision définitive ordonnant de transférer au requérant la propriété du terrain litigieux a duré plus de treize ans. La Cour estime que cette période est considérable. En application de sa jurisprudence constante en la matière, elle juge que, de ce fait, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 dans le chef du requérant (voir, parmi beaucoup d’autres, Botezatu c. République de Moldova, no 17899/08, § 31, 14 avril 2015, Cristea, précité, § 48, et Marian et autres c. République de Moldova [comité], no 40909/12 et autres, § 18, 15 septembre 2020).

II.     SUR LES AUTRES GRIEFS


22.  Le requérant a également soulevé des griefs sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 en raison de l’annulation des décisions définitives rendues en sa faveur. Eu égard aux faits de l’espèce, aux arguments des parties et à la conclusion à laquelle elle est parvenue ci-dessus sur le terrain de ces mêmes dispositions, la Cour estime avoir examiné la principale question juridique soulevée par la requête. Elle en conclut qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur ces griefs (voir, notamment, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 156, CEDH 2014).

L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


23.  Le requérant demande 20 834,82 euros (EUR) au titre du dommage matériel qu’il estime avoir subi en raison de l’impossibilité de donner à bail le terrain dont la propriété devait lui être transmise par les autorités. Il réclame également 53 000 EUR pour le dommage moral.


24.  Le Gouvernement conteste ces sommes.


25.  Pour ce qui est d’abord du dommage matériel, la Cour observe que, dans le cadre de la procédure engagée par le requérant sur le fondement de la loi no 87, les tribunaux nationaux ont rejeté cette prétention comme spéculative. Elle rappelle que les juges internes sont manifestement mieux placés pour statuer sur l’existence et l’ampleur du dommage matériel allégué (Cristea, précité, § 29). En l’espèce, elle estime que les éléments dont elle dispose ne lui permettent pas de s’écarter des constats des instances internes, lesquels n’apparaissent donc pas comme arbitraires ou manifestement déraisonnables (ibidem, §§ 33 et 53 ; voir, a contrario, Botezatu, précité, §§ 28 et 35). Partant, elle rejette la demande du requérant au titre du dommage matériel.

 


27.  Quant au dommage moral, la Cour prend en compte le dédommagement de 660 EUR déjà alloué au niveau interne. Statuant en équité, elle octroie au requérant, en sus de ce montant, 3 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Déclare recevables les griefs tirés de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 relatifs à la non-exécution de la décision définitive rendue en faveur du requérant ;

2.      Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 ;

3.      Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner les griefs formulés sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention relatifs à l’annulation des décisions définitives rendues en faveur du requérant ;

4.      Dit

a)     que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois la somme de 3 000 EUR (trois mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement,

b)     qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5.      Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 mars 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

                       

   Hasan Bakırcı                                                                 Branko Lubarda
  Greffier adjoint                                                                      Président


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