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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> HAMDANI v. SWITZERLAND - 10644/17 (Judgment : No Article 6+6-3-c - Right to a fair trial : Third Section) French Text [2023] ECHR 274 (28 March 2023)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2023/274.html
Cite as: ECLI:CE:ECHR:2023:0328JUD001064417, CE:ECHR:2023:0328JUD001064417, [2023] ECHR 274

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TROISIÈME SECTION

AFFAIRE HAMDANI c. SUISSE

(Requête no 10644/17)

 

 

 

ARRÊT

Art 6 § 1 (pénal) + Art 6 § 3 c) • Refus des autorités nationales de nommer l’avocat du choix du requérant comme son défenseur gratuit d’office n’ayant pas eu d’impact réel sur l’équité globale de son procès pénal • Intérêts de la justice commandant la désignation d’un défenseur d’office : le requérant étant en situation d’indigence et l’affaire n’étant pas « de peu de gravité » • Requérant ayant été représenté et assisté par son avocat dès l’instruction de l’affaire et au moins jusqu’au prononcé du jugement de condamnation, y compris après le rejet définitif de sa demande d’aide juridictionnelle

 

STRASBOURG

28 mars 2023

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Hamdani c. Suisse,


La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une Chambre composée de :

          Pere Pastor Vilanova, président,
          Georgios A. Serghides,
          Yonko Grozev,
          Jolien Schukking,
          Peeter Roosma,
          Ioannis Ktistakis,
          Andreas Zünd, juges,
et de Milan Blaško, greffier de section,


Vu la requête no 10644/17 dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant algérien, M. Mohamed Hamdani (« le requérant »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 2 février 2017,


Vu la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement suisse (« le Gouvernement »),


Vu les observations des parties,


Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 février 2023,


Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION


1.  La présente affaire concerne une demande tendant au bénéfice de l’assistance gratuite d’un avocat que le requérant a formée dans le cadre d’une procédure pénale dirigée contre lui.

EN FAIT


2.  Le requérant est né en 1969, et il résidait à Genève à l’époque des faits. Il a été représenté par Me O. Peter, avocat.


3.  Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. A. Chablais, de l’Office fédéral de la justice.


4.  Le requérant vit en Suisse depuis 2009. À l’époque des faits, il y séjournait illégalement et était sans domicile fixe et sans emploi.


5.  Le 19 mars 2016, il s’empara d’un sac qui était posé dans une voiture stationnée dont l’une des portes était ouverte. La conductrice, P., ayant crié « au voleur », le requérant lui restitua le sac et prit la fuite. Le fils de P. se lança alors à sa poursuite, le rattrapa et le retint jusqu’à l’arrivée de la police.


6.  Interrogé par la police le même jour, le requérant déclara qu’il n’avait pas besoin d’un avocat ni d’un interprète. Il contesta les faits de vol mais admit être en séjour irrégulier, et il indiqua suivre un traitement pour des troubles de mémoire et pour une dépression.


7.  Le 20 mars 2016, le ministère public prononça une ordonnance pénale, déclarant le requérant coupable de vol et de séjour illégal et le condamnant à une peine privative de liberté de soixante-quinze jours avec révocation du sursis qui lui avait été accordé lors d’une précédente condamnation à une peine pécuniaire de quatre-vingt-dix jours-amende. L’intéressé forma une opposition non motivée contre l’ordonnance pénale, et il mandata un avocat, Me Peter, pour le représenter et l’assister dans la procédure.


8.  Le 19 mai 2016, l’avocat désigné demanda au ministère public le bénéfice de l’assistance judiciaire gratuite en faveur de son mandant, arguant de l’indigence de celui-ci.


9.  Ledit avocat a produit devant la Cour une procuration se présentant sous la forme d’un document prérempli, dépourvu de la signature du requérant, en vertu duquel ce dernier lui donnait mandat de le représenter et de l’assister dans la procédure en question et s’obligeait « à s’acquitter de ses honoraires ».


10.  Par une ordonnance du 25 mai 2016, le ministère public refusa de nommer l’avocat d’office, considérant, d’une part, que la cause ne présentait pas de difficultés juridiques particulières, et, d’autre part, que le requérant était à même de se défendre efficacement seul. Ce dernier, par l’intermédiaire de Me Peter, forma un recours contre cette ordonnance.


11.  Le 16 juin 2016, le ministère public auditionna les parties dans le cadre de la procédure pénale. Le requérant, assisté par Me Peter, reconnut le vol et présenta des excuses à P. En réponse à des questions posées par son avocat, il indiqua que le courrier par lequel il avait formé opposition à l’ordonnance pénale avait été rédigé par l’une de ses connaissances, lui-même n’étant à ses dires pas en mesure d’écrire pareil texte. Enfin, il demanda, par l’intermédiaire de son avocat, à ne pas se voir infliger de peine privative de liberté.


12.  Le 8 juillet 2016, le ministère public transmit la procédure au Tribunal de police du canton de Genève, maintenant l’ordonnance pénale qui tenait lieu d’acte d’accusation. Par la suite, le requérant, toujours par l’intermédiaire de Me Peter, versa au dossier de l’affaire des pièces relatives à son état de santé ainsi qu’à une demande qu’il avait déposée en vue de la régularisation de son séjour en Suisse.


13.  Par un arrêt du 3 août 2016, la chambre pénale de recours de la Cour de justice rejeta le recours que le requérant avait formé contre l’ordonnance du ministère public du 25 mai 2016 (paragraphe 10 ci-dessus), décidant toutefois de laisser les frais de la procédure à la charge de l’État. Elle estima qu’il n’était pas nécessaire d’examiner la question de l’indigence de l’intéressé, les autres conditions requises pour la désignation d’office d’un avocat n’étant en tout état de cause pas remplies. Elle expliqua que si l’affaire n’était pas de peu de gravité (le requérant étant exposé à plus de cent vingt jours-amende), la cause ne présentait pas de difficultés particulières en fait et en droit que l’intéressé n’eût été à même de surmonter seul, et elle considéra que, dès lors qu’il avait reconnu les faits, le requérant n’avait pas besoin d’être assisté d’un avocat pour s’expliquer, personnellement et à nouveau, sur les événements litigieux et sur leurs circonstances.


14.  Le requérant forma contre ledit arrêt un recours en matière pénale, dont la première Cour de droit public du Tribunal fédéral le débouta le 22 novembre 2016, estimant, d’une part, que l’intéressé, qui s’exprimait en français, était capable de s’expliquer sur les faits qui lui étaient reprochés et de s’adresser aux associations d’aide aux personnes vivant dans la précarité, et, d’autre part, que les questions juridiques qui se posaient relativement à la responsabilité pénale et aux circonstances atténuantes ne présentaient pas de difficultés particulières.


15.  Le 13 mars 2017, le Tribunal de police tint une audience dans l’affaire au principal. Me Peter assista de nouveau le requérant et sollicita une réduction de la peine requise dans l’ordonnance pénale. À sa demande, le tribunal procéda à l’audition d’un témoin de moralité, qui déclara que le requérant était engagé dans un projet de réinsertion sociale. L’intéressé admit les faits et s’opposa à la quotité de la peine qui avait été requise par le ministère public.


16.  Par un jugement rendu le même jour, le Tribunal de police condamna le requérant à une peine de trente jours-amende de 30 francs suisses assortie du sursis, fixant le délai de l’épreuve à trois ans. Il renonça toutefois à révoquer le sursis qui avait été accordé à l’intéressé lors de sa précédente condamnation pénale, et mit à sa charge les frais de la procédure, qui s’élevaient au total à 691 francs suisses.


17.  La Cour n’a pas été informée par les parties de l’exercice d’un recours contre ce jugement.

LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT


18.  Les articles pertinents du code de procédure pénale suisse sont libellés comme suit :

Art. 132 Défense d’office

« 1 La direction de la procédure ordonne une défense d’office :

(...)

b.  si le prévenu ne dispose pas des moyens nécessaires et que l’assistance d’un défenseur est justifiée pour sauvegarder ses intérêts.

2 La défense d’office aux fins de protéger les intérêts du prévenu se justifie notamment lorsque l’affaire n’est pas de peu de gravité et qu’elle présente, sur le plan des faits ou du droit, des difficultés que le prévenu seul ne pourrait pas surmonter.

3 En tout état de cause, une affaire n’est pas de peu de gravité lorsque le prévenu est passible d’une peine privative de liberté de plus de quatre mois ou d’une peine pécuniaire de plus de 120 jours-amende. »

Art. 133 Désignation du défenseur d’office

« 1 Le défenseur d’office est désigné par la direction de la procédure compétente au stade considéré.

2 Lorsqu’elle nomme le défenseur d’office, la direction de la procédure prend en considération les souhaits du prévenu dans la mesure du possible. »

Art. 135 Indemnisation du défenseur d’office

« 1 Le défenseur d’office est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès.

2 Le ministère public ou le tribunal qui statue au fond fixent l’indemnité à la fin de la procédure.

(...)

4 Lorsque le prévenu est condamné à supporter les frais de procédure, il est tenu de rembourser dès que sa situation financière le permet :

a.  à la Confédération ou au canton les frais d’honoraires ;

b.  au défenseur la différence entre son indemnité en tant que défenseur désigné et les honoraires qu’il aurait touchés comme défenseur privé.

5 La prétention de la Confédération ou du canton se prescrit par dix ans à compter du jour où la décision est entrée en force. »


19.  Dans un arrêt no 1B_705/2011 du 9 mai 2012, le Tribunal Fédéral a énoncé ce qui suit :

« Seule la partie au procès qui remplit les conditions légales est titulaire d’un droit à une assistance judiciaire gratuite (arrêts 5P.220/2003 du 23 décembre 2003 consid. 3.1, 5P.164/2005 du 29 juillet 2005 consid. 1.3). Par conséquent, seule la personne dont la demande d’assistance judiciaire gratuite a été rejetée est habilitée à contester la décision de rejet. En revanche, l’avocat qui a déposé sans succès une demande d’assistance judiciaire gratuite au nom de la personne qu’il représente ne peut pas agir en son nom propre contre cette décision. Il est vrai que, dans certaines circonstances, il a un intérêt de fait à une infirmation de la décision de refus, à savoir lorsque la créance dont il dispose envers la personne qu’il représente concerne des prestations déjà fournies et s’avère irrécouvrable. À cet égard, il n’a toutefois pas un intérêt juridiquement protégé au sens de l’art. 81 al. 1 let. b [de la loi sur le Tribunal fédéral] (...). »

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION


20.  Le requérant se plaint du rejet de sa demande tendant au bénéfice de l’assistance gratuite d’un avocat. Il invoque l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, qui est ainsi libellé dans ses parties pertinentes :

« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

3.  Tout accusé a droit notamment à : (...)

c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent. »

A.    Sur la recevabilité

1.     Thèses des parties


21.  Le Gouvernement soutient que la requête est manifestement mal fondée (voir paragraphes infra). Le requérant combat cette thèse.

2.     Appréciation de la Cour


22.  La Cour constate d’emblée que le Gouvernement n’a pas plaidé le non-épuisement des voies de recours internes relativement à la non-formation d’un recours contre le jugement du tribunal de police (paragraphes 16-17 ci‑dessus). Partant, elle ne se prononcera pas sur ce critère de recevabilité.


23.  Elle considère également que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention. Dès lors, la Cour la déclare recevable.

B.    Sur le fond

1.     Thèses des parties


24.  Le requérant soutient qu’eu égard à sa situation personnelle et à la peine encourue par lui, il avait besoin de l’assistance d’un avocat et que la défense assurée par Me Peter lui a été utile. Il conteste l’appréciation que les juridictions internes ont faite concernant sa situation, la complexité de l’affaire et la nécessité de lui accorder une défense d’office en considération des « intérêts de la justice ».


25.  Il argue que l’effectivité de la défense dont il a bénéficié dans la procédure pénale dirigée contre lui ne peut valoir à elle seule respect de son droit, protégé par l’article 6 § 3 c), à être représenté gratuitement par un avocat. En même temps, le requérant reconnait n’avoir subi aucun « dommage effectif », sa situation d’indigence l’ayant mis dans l’impossibilité de s’acquitter du montant des honoraires de Me Peter.


26.  Le Gouvernement estime que le requérant n’a pas été privé d’une défense efficace, expliquant qu’il a été représenté par un avocat de son choix tout au long du procès et que le rejet de sa demande tendant à faire nommer un défenseur d’office n’a eu aucune incidence sur le respect des droits découlant pour lui de l’article 6.


27.  Il soutient en outre que les intérêts de la justice ne commandaient pas la désignation d’un défenseur d’office dans la cause. Il se réfère à cet égard aux conclusions des juridictions internes (paragraphes 13-14 ci-dessus), qu’il estime avoir examiné la question de façon circonstanciée et contradictoire. Enfin, il considère que la peine encourue par le requérant était de peu de gravité.

2.     Appréciation de la Cour


28.  La Cour constate d’emblée une évolution de sa jurisprudence en matière du droit à l’assistance gratuite d’un avocat. Si, dans les arrêts anciens, elle examinait cette question en tant qu’un élément autonome de la notion de procès pénal équitable (voir, par exemple, Pakelli c. Allemagne, 25 avril 1983, §§ 41-42, série A no 64, Alimena c. Italie, 19 février 1991, §§ 18-20, série A no 195‑D, Quaranta c. Suisse, 24 mai 1991, §§ 27-38, série A no 205, et Pham Hoang c. France, 25 septembre 1992, §§ 39-41, série A no 243), dans les arrêts plus récents, y compris ceux adoptés en formation de Grande Chambre, elle a infléchi son approche dans le sens d’une appréciation de l’équité globale du procès pénal.


29.  En effet, pour apprécier l’équité globale d’un procès, la Cour prend en compte, s’il y a lieu, les droits minimaux énumérés à l’article 6 § 3 de la Convention, qui montre par des exemples concrets ce qu’exige l’équité dans les situations procédurales qui se produisent couramment dans les affaires pénales. On peut donc voir dans ces droits des aspects particuliers de la notion de procès équitable en matière pénale contenue à l’article 6 § 1. Ces droits minimaux garantis par l’article 6 § 3 ne sont toutefois pas des fins en soi : leur but intrinsèque est toujours de contribuer à préserver l’équité de la procédure pénale dans son ensemble (Jemeļjanovs c. Lettonie, no 37364/05, §§ 77-78 et 100, 6 octobre 2016, Beuze c. Belgique [GC], no 71409/10, §§ 120‑123 et 147, 9 novembre 2018, et Murtazaliyeva c. Russie [GC], no 36658/05, § 90, 18 décembre 2018, et les références citées dans ces arrêts).


30.  La Cour rappelle également que le droit à un avocat n’est pas absolu mais qu’il est forcément sujet à certaines limitations en matière d’assistance judiciaire gratuite, et qu’il appartient aux tribunaux de décider si les intérêts de la justice exigent de doter l’accusé d’un défenseur d’office. Si les autorités nationales restreignent le libre choix d’un défenseur par l’accusé en l’absence de motifs pertinents et suffisants de juger que les intérêts de la justice le commandent, pareille restriction emporte violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) si la défense du requérant, au vu de la procédure dans son ensemble, s’en est trouvée lésée (voir, mutatis mutandis, Dvorski c. Croatie ([GC], no 25703/11, § 79, CEDH 2015, et les références y citées).


31.  Au vu de ces principes, la Cour doit en l’espèce déterminer si les autorités internes ont démontré, par des motifs pertinents et suffisants, que les intérêts de la justice commandaient de refuser au requérant la désignation d’un défenseur d’office, et, dans la négative, si au vu de la procédure pénale dans son ensemble, la défense du requérant s’est trouvée lésée du fait de ce refus.


32.  Non convaincue par les arguments du Gouvernement, la Cour considère qu’en l’espèce, les intérêts de la justice commandaient la désignation au requérant d’un défenseur d’office dès lors, d’une part, qu’il était en situation d’indigence (ce qui n’est pas contesté), et, d’autre part, que l’affaire n’était pas « de peu de gravité », l’intéressé risquant une peine non négligeable de privation de la liberté (Quaranta, précité, §§ 27‑38, et Benham c. Royaume-Uni, 10 juin 1996, § 61, Recueil des arrêts et décisions 1996-III ; voir aussi la conclusion de la chambre pénale de recours à cet égard, paragraphe 13 ci-dessus). Partant, il apparaît à la Cour que l’analyse par les juridictions internes de la double condition supplémentaire relative à la complexité de l’affaire et à la personnalité du requérant était superflue dans les circonstances de l’espèce. La Cour répond donc par la négative à la première question exposée ci-dessus.


33.  Quant à la seconde question, la Cour relève que le requérant a été représenté et assisté par un avocat de son choix dès le stade de l’instruction de l’affaire et au moins jusqu’au prononcé du jugement de condamnation, y compris après le rejet définitif de sa demande d’aide juridictionnelle. Cette assistance lui a permis de se défendre efficacement, et le requérant a obtenu une réduction significative de la peine initialement prononcée par le ministère public (comparer les paragraphes 6, 7, 11, 12, 15 et 16 ci-dessus).


34.  La présente affaire se distingue ainsi de celles dans lesquelles la Cour a conclu à une violation de l’article 6 § 3 c) à raison du défaut d’assistance par un avocat qui résultait du refus d’octroi de l’aide juridictionnelle aux requérants (Quaranta, précité, Pham Hoang, précité, § 39, Talat Tunç c. Turquie, no 32432/96, § 62, 27 mars 2007, Zdravko Stanev c. Bulgarie, no 32238/04, § 40, 6 novembre 2012, Saranchov c. Ukraine, no 2308/06, § 59, 9 juin 2016, et aussi Beuze, précité, §§ 193‑195).


35.  Enfin, la Cour ne peut s’empêcher de relever que le requérant ne lui a pas fourni d’informations quant à un quelconque exercice par lui d’un appel contre le jugement de condamnation, alors que pareille information était pertinente pour l’appréciation de l’équité globale de la procédure.


36.  La Cour rappelle que le respect des exigences du procès équitable s’apprécie au cas par cas à l’aune de la conduite de la procédure dans son ensemble et non en se fondant sur l’examen isolé de tel ou tel point ou incident (Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, §§ 251 et 272, 13 septembre 2016). Dans les circonstances de la présente affaire, elle ne peut que conclure que le refus par les autorités de nommer Me Peter comme défenseur gratuit d’office du requérant, aussi regrettable soit-il pour l’avocat, n’a pas eu d’impact réel sur l’équité globale du procès pénal du requérant.


37.  La Cour note subsidiairement que ce refus a certainement dû mettre l’avocat devant un choix déontologique délicat : renoncer à représenter le requérant ou continuer à le représenter pro bono. Il ne lui appartient toutefois pas de se prononcer sur cette question, distincte de celle relative à l’équité de la procédure pénale menée contre le requérant (voir aussi le paragraphe 19 ci‑dessus), d’autant que l’avocat n’a pas introduit de requête en son nom.


38.  Partant, la Cour considère qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.      Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

2.      Dit, par quatre voix contre trois, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 mars 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

             Milan Blaško                                                Pere Pastor Vilanova
                 Greffier                                                              Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges Serghides, Ktistakis et Zünd.

P.P.V.
M.B.


OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES SERGHIDES, KTISTAKIS ET ZÜND

1.  À notre grand regret nous ne sommes pas en mesure de nous rallier à l’opinion de la majorité. Les autorités suisses ont violé l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

2.  Selon l’article 6 § 3 c) de la Convention tout accusé n’ayant pas les moyens de rémunérer un défenseur a le droit d’être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent. Le requérant était en situation d’indigence, ce qui n’est contesté ni par les autorités suisses ni par la majorité. De plus, le requérant risquait de voir confirmer, par le Tribunal de police, sa peine privative de liberté de soixante-quinze jours prononcée par le ministère public avec révocation du sursis à une peine pécuniaire de quatre-vingt-dix jours-amende à laquelle il avait été condamné auparavant (§ 7 de l’arrêt). Nous souscrivons au point de vue de la majorité selon lequel, dans ces circonstances, contrairement à l’avis des juridictions nationales, les intérêts de la justice exigeaient la désignation d’un avocat d’office (§ 32 de l’arrêt). C’est d’autant plus vrai que le requérant a changé sa stratégie de défense grâce à l’intervention de l’avocat et a admis les faits, qu’il avait contestés auparavant (§§ 6, 11 et 15 de l’arrêt). C’est ce qui a conduit à une réduction sensible de la peine à trente-jours amende de 30 francs assortie du sursis et au renoncement à la révocation du sursis accordé avec la précédente condamnation (§ 16 de l’arrêt). On ne peut bien évidemment pas dire que le requérant n’avait pas besoin de l’aide d’un avocat.

3.  Comme il a déjà été relevé, notre arrêt constate avec raison, en son paragraphe 32, qu’en l’espèce les intérêts de la justice commandaient la désignation au requérant d’un défenseur d’office. La Cour aurait pu et aurait dû s’arrêter là et constater une violation de l’article 6 § 3 c) de la Convention. Dans les affaires Pakelli c. Allemagne, 25 avril 1983, série A no 64, et Quaranta c. Suisse, 24 mai 1991, série A no 205, les deux critères, à savoir l’absence de moyens de rémunérer un défenseur et l’intérêt de la justice à désigner un avocat d’office, avaient suffi à constater une violation de l’article 6 § 3 c). Nous n’arrivons pas à comprendre pourquoi, dans l’affaire dont nous sommes saisis, la majorité a préféré poursuivre son examen et rechercher si le requérant avait malgré tout bénéficié d’un procès équitable parce que l’avocat, sans avoir été nommé défenseur d’office, avait continué de le défendre.

4.  On peut certes voir dans les droits énumérés à l’article 6 § 3 de la Convention, notamment le droit de se défendre soi-même, d’avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ou d’être assisté par un avocat d’office, des aspects particuliers de la notion de procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Et il nous semble tout à fait pertinent de considérer que ces droits minimaux ne sont pas des fins en soi, mais contribuent à préserver l’équité de la procédure dans son ensemble (§ 29 de l’arrêt). Contrairement à la majorité, cette conception théorique des garanties de l’article 6 de la Convention ne nous conduit pas à ne donner aucun poids à l’aspect de la gratuité de la défense par un avocat désigné d’office. La majorité a pertinemment dit que les deux exigences pour être assisté gratuitement par un avocat d’office, à savoir l’indigence et les intérêts de la justice à désigner un avocat d’office, étaient remplies dans le cas d’espèce (§ 32 de l’arrêt). Dès lors le Tribunal fédéral aurait dû accueillir la requête tendant à la désignation d’un avocat d’office. La majorité pense toutefois qu’on peut se dispenser a posteriori de la gratuité de la défense au motif que l’avocat a continué de défendre le requérant après le rejet de la demande de défense d’office. Nous ne pouvons suivre cette approche, pour plusieurs raisons.

5.  Premièrement, la question de la gratuité est primordiale pour un accusé qui est en situation d’indigence. En Suisse, un avocat qui demande l’assistance judiciaire au nom de son client est forclos à demander en même temps des honoraires ou une avance de frais par le client ; s’il le fait quand même il s’expose à des sanctions disciplinaires (arrêts du Tribunal fédéral, ATF 122 I 322 cons. 3b ; ATF 108 Ia 11). Cette situation change aussitôt qu’une demande d’assistance judiciaire est définitivement rejetée. À partir de ce moment-là, l’avocat peut demander des honoraires à son client, et rien dans le dossier ne nous montre que l’avocat en l’espèce aurait renoncé à être rétribué et aurait travaillé pro bono.

6.  Deuxièmement, le Tribunal fédéral a dit dans sa jurisprudence que l’assistance juridique gratuite peut être demandée à tout moment de la procédure. Si les conditions sont remplies, elle doit être accordée avec prise d’effet à partir du moment où la demande a été déposée, y compris pour les démarches entreprises par l’avocat en rapport avec un mémoire déposé simultanément (ATF 122 I 203 consid. 2c ; 122 I 322 consid. 3b ; 120 Ia 14 consid 3f). Il s’ensuit que l’avocat fait souvent (au moins partiellement) son travail sans être sûr qu’il sera désigné avocat d’office et qu’il sera payé pour le travail accompli. Nier le droit à l’assistance gratuite au motif que le travail est déjà accompli met en péril l’institution elle-même.

 

7.  Troisièmement, la majorité perd de vue l’aspect temporel. Le Tribunal fédéral a rejeté la demande de désignation d’un avocat d’office en dernière instance au niveau national par une décision du 22 novembre 2016. Le requérant a saisi la Cour européenne des droits de l’homme le 2 février 2017. À ce moment-là on ne pouvait pas encore savoir comment se déroulerait la procédure pénale, notamment si l’avocat défendrait l’accusé alors qu’il n’avait pas été désigné d’office. Le Tribunal de police a tenu son audience au principal le 13 mars 2017, un mois après que la Cour était saisie de l’affaire. Il en découle que la Suisse a bel et bien violé l’article 6 § 3 c) et l’article 6 § 1 de la Convention en refusant la désignation d’un avocat d’office, parce que le requérant était sans avocat au moment où il l’a saisie. L’intervention d’un tiers, l’avocat non désigné avocat d’office, a remédié à la violation des droits de l’homme commise par l’État membre et a - aux yeux de la majorité - empêché la Suisse d’être tenue pour responsable de la violation du droit à un procès équitable. Il ne faudrait pas y voir un redressement par l’État membre lui-même de la violation.

8.  Finalement, nous aimerions souligner que l’approche de la majorité n’aide guère à promouvoir les droits de l’homme parce qu’elle punit les avocats qui prennent le risque récurrent de n’être finalement pas payés pour leur travail accompli que ce soit par l’accusé lui-même ou par l’État membre quand bien même les exigences pour la désignation d’un avocat d’office seraient remplies. Les droits de la Convention s’en trouvent protégés peut‑être en théorie, mais pas en pratique (Fedotova et autres c. Russie [GC], nos 40792/10 et 2 autres, § 218, 17 janvier 2023). Cette approche rend plutôt ineffectif le droit à l’assistance gratuite.


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