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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> COMPAORE v. FRANCE - 37726/21 (Article 3 - Prohibition of torture : Fifth Section) French Text [2023] ECHR 664 (07 September 2023) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2023/664.html Cite as: [2023] ECHR 664 |
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CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE COMPAORÉ c. FRANCE
(Requête no 37726/21)
ARRÊT
Art 3 • Mise à exécution du décret d'extradition vers le Burkina Faso entrainerait une violation faute d'une appréciation ex nunc par les autorités françaises de la validité et de la fiabilité des assurances diplomatiques fournies par cet État, de nature à écarter le risque pour le requérant d'emprisonnement ou à de traitements contraires à l'art 3 • Changements politiques majeurs touchant au maintien de l'ordre constitutionnel dans l'État d'accueil
STRASBOURG
7 septembre 2023
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Compaoré c. France,
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Georges Ravarani, président,
Lado Chanturia,
Carlo Ranzoni,
Mārtiņš Mits,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Mattias Guyomar,
Kateřina Šimáčková, juges,
et de Victor Soloveytchik, greffier de section,
Vu :
la requête (no 37726/21) dirigée contre la République française et dont un ressortissant burkinabé, M. Paul François Compaoré (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 30 juillet 2021,
la décision de porter à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement ») le grief fondé sur l'article 3 de la Convention et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,
la décision du 6 août 2021 du juge de la Cour désigné pour statuer sur les demandes de mesures provisoires, d'indiquer au gouvernement français, sur le fondement de l'article 39 du règlement, de ne pas extrader le requérant pendant la durée de la procédure devant la Cour et d'accorder la priorité à cette affaire,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 juillet 2023,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. Cette affaire concerne la décision des autorités françaises d'extrader le requérant vers le Burkina Faso, pays dans lequel il est visé par des poursuites pénales relatives à des faits « d'incitation à assassinats » d'un journaliste d'investigation, Norbert Zongo, et des trois hommes qui l'accompagnaient.
2. Sous l'angle de l'article 3 de la Convention, le requérant, de nationalité burkinabè et ivoirienne, fait valoir que son extradition lui fait courir un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants dès lors qu'il encourt une condamnation à une peine de prison à perpétuité sans possibilité d'aménagement de peine. Il se plaint également d'un risque d'y être détenu dans des conditions indignes, ainsi que d'être soumis à la torture en détention, non seulement en raison de la situation générale au Burkina Faso, mais également en raison de sa situation propre d'ancien membre de la classe politique dirigeante chassée du pouvoir en 2014.
EN FAIT
3. Le requérant est né en 1954 et réside à Paris. Il a été représenté par Me F.H. Briard, avocat.
4. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des Affaires juridiques au ministère de l'Europe et des Affaires étrangères.
5. Le requérant dispose d'un titre de séjour régulier en France. Il est marié depuis 1994 à une ressortissante burkinabé. Il est le père de quatre enfants dont un enfant mineur de nationalité française, et vit avec sa famille à Paris. Il est aujourd'hui retraité.
6. Le requérant fut l'un des proches conseillers de son frère, M. Blaise Compaoré, qui a exercé la fonction de président de la République du Burkina Faso entre 1991 et le 31 octobre 2014, date à laquelle il a été contraint de démissionner en raison d'un soulèvement populaire. Le requérant se réfugia avec sa famille en Côte d'Ivoire, où il fut naturalisé et où il résida jusqu'en mars 2015. À cette date, il rejoignit son épouse et leurs enfants, qui s'étaient installés en France, tout en séjournant régulièrement en Côte d'Ivoire.
7. Antérieurement à ces événements, le requérant fit l'objet d'investigations dans le cadre d'une enquête portant sur l'assassinat le 13 décembre 1998, par armes à feu et l'incendie du véhicule où ils se trouvaient sur un axe routier en provenance de Ouagadougou, de quatre personnes dont le journaliste d'investigation et directeur de l'hebdomadaire « L'indépendant », Norbert Zongo, le frère de celui-ci et deux autres collaborateurs.
8. Une Commission d'enquête indépendante (ci-après, la « commission d'enquête ») fut mise en place au Burkina Faso en 1998 pour faire la lumière sur cette affaire. Au cours de l'enquête, de très nombreuses auditions furent menées et le requérant fut entendu à deux reprises en qualité de témoin. Dans son rapport final du 6 mai 1999, la commission d'enquête, composée notamment de représentants des ministères de la Justice et de la Défense, du barreau, des éditeurs de presse, d'associations de défense des droits de l'homme et des familles des victimes, conclut que « l'hypothèse la plus crédible » était l'existence d'un lien entre l'assassinat de Norbert Zongo et ses activités de journaliste, les trois autres victimes ayant été tuées pour ne pas laisser de témoins. S'agissant du mobile des assassinats, la commission énuméra plusieurs « enquêtes dérangeantes » du journaliste, qui était pour cette raison régulièrement menacé de mort selon les témoignages recueillis. Elle précisa qu'il s'était en particulier intéressé aux circonstances de la mort violente en janvier 1998 du chauffeur du requérant, D. O., des suites des mauvais traitements infligés dans les locaux de la garde de sécurité présidentielle, alors que ce dernier était mis en cause dans des faits de vols au préjudice de l'épouse du requérant. La commission d'enquête estima que le journaliste avait été assassiné « pour des motifs purement politiques », parce qu'il défendait un idéal démocratique et luttait contre l'impunité. Elle identifia, enfin, de « sérieux suspects » des assassinats parmi les membres du régiment de sécurité présidentielle et recommanda qu'une suite judiciaire soit donnée aux résultats de son enquête.
9. Le 21 mai 1999, une instruction judiciaire fut ouverte contre X. En 2001, le chef des militaires désignés comme suspects par la commission d'enquête, l'adjudant M. K, fut inculpé par le juge d'instruction près le tribunal de grande instance de Ouagadougou des chefs d'assassinats et de destruction de biens. Le 18 juillet 2006, le magistrat instructeur rendit une ordonnance de non-lieu, qui fut confirmée en appel le 16 août 2006, faute de charges suffisantes. Le 19 janvier 2007, la demande des parties civiles en réouverture de l'information judiciaire fut rejetée par le parquet de Ouagadougou, en l'absence d'éléments nouveaux.
10. Le 11 décembre 2011, les ayants droit des victimes saisirent la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP) d'une requête (no 013/2011), invoquant en particulier la violation de l'article 7 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (la « Charte ») relatif au droit à ce que sa cause soit entendue par les juridictions nationales compétentes. Par un arrêt du 28 mars 2014, la CADHP jugea que la durée de près de huit années de la procédure pénale nationale n'avait pas été raisonnable (§§ 106 et 120 de l'arrêt) et releva certaines carences dans les diligences accomplies. Si elle rejeta l'allégation des parties civiles selon laquelle le requérant n'avait pas été entendu par le juge d'instruction, identifiant deux auditions par ce dernier en tant que témoin en 2001 et 2006 (§§ 132-135 de l'arrêt), elle reconnut toutefois l'existence d'une « défaillance de l'État défendeur dans la recherche et le jugement des assassins de Norbert Zongo », en violation des articles 7 précité et 1er de la Charte.
11. Le 30 mars 2015, le procureur général près la cour d'appel de Ouagadougou saisit le juge d'instruction de réquisitions aux fins de réouverture de la procédure au regard de charges nouvelles reposant sur des pièces (« compte-rendu de filature, croquis d'état des lieux du crime, quittances de prise en charge d'honoraires d'avocat, rapport de mission ... »), communiquées à la CADHP par les ayants droits du journaliste assassiné. Le 7 avril 2015, le magistrat instructeur rendit une ordonnance de réouverture de la procédure d'instruction. Le 5 mai 2017, il délivra un mandat d'arrêt international à l'encontre du requérant, « inculpé d'incitation à assassinats ». En vertu de ce mandat, une demande d'arrestation provisoire des autorités burkinabè fut diffusée via Interpol.
12. Le 29 octobre 2017, alors qu'il rentrait en France en provenance de la Côte d'Ivoire, le requérant fut interpelé à l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle en exécution du mandat d'arrêt susmentionné. Le lendemain, une demande d'extradition du requérant fut transmise aux autorités françaises, au visa de l'Accord de coopération en matière de justice du 24 avril 1961 signé entre la France et le Burkina Faso (paragraphes 52-53 ci-dessous) en raison des poursuites en cours pour les faits « d'incitation à assassinats ». Le juge d'instruction de Ouagadougou y relatait les circonstances du décès non accidentel du journaliste Norbert Zongo et de trois autres personnes, le 13 décembre 1998. Il détaillait également les causes de la réouverture de l'instruction judiciaire initialement clôturée en 2006 dans les termes suivants : « la réouverture du dossier pour charges nouvelles le 7 avril 2015 a été motivée par la découverte au domicile de Paul François Compaoré de plusieurs documents laissant penser que non seulement il suivait les faits et gestes de Norbert Zongo et ce depuis 1996, mais qu'il était aux petits soins des présumés exécutants de l'assassinat du journaliste et de ses compagnons et ce avant et après le 13 décembre 1998 ». Le magistrat précisait ensuite dans le détail les éléments à charge réunis à l'encontre du requérant, aux termes desquels ce dernier, qui avait proféré des menaces à l'encontre de Norbert Zongo pour faire cesser ses écrits, aurait commandité les assassinats en s'appuyant sur l'adjudant M. K., son homme de main et chef de la sécurité rapprochée du président du Burkina Faso, M. Blaise Compaoré.
13. Cette demande d'extradition fut complétée par un courrier du même jour, par lequel le ministre de la Justice du Burkina Faso s'engageait à ne pas requérir la peine de mort à l'encontre du requérant et, si elle était prononcée par le juge du siège indépendant, de ne pas la ramener à exécution. Il releva que, si cette peine était inscrite dans le droit positif burkinabè, les dernières et seules exécutions d'une telle peine remontaient à 1978 et à 1989 en ce qui concernait la justice militaire. Il rappela que cette position était celle qui prévalait dans le projet de convention bilatérale d'extradition en cours de signature entre le Burkina Faso et la France (paragraphe 53 ci-dessous), et qu'une réforme législative en cours prévoyait la suppression de la peine de mort du code pénal (paragraphe 66 ci-dessous).
14. Le 30 octobre 2017, le requérant fut remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire avec l'interdiction de sortir du territoire français.
15. Par un courrier du 24 novembre 2017, le ministre de la Justice du Burkina Faso adressa à la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris saisie de la requête en extradition, des précisions sur « la pratique de la commutation de la peine de mort en emprisonnement à vie », ainsi que sur les conditions de détention, reconnues comme étant « difficiles » dans certains établissements pénitentiaires du pays. Toutefois, il souligna l'existence de conditions « très améliorées par rapport à la situation générale » au sein de la maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou (ci-après la « MACO »), où étaient incarcérées les hautes personnalités du Burkina Faso, telles que le requérant, avec un taux d'occupation moyen en 2015 de 75 %.
16. À l'audience devant la cour d'appel, le requérant reçut notification du titre fondant son arrestation et des pièces produites au soutien de la demande d'extradition. Il refusa sa remise aux autorités du Burkina Faso. Il contesta l'existence des documents à charge trouvés à son domicile et évoqués dans la demande d'extradition du 30 octobre 2017 (paragraphe 12 ci-dessus). Il invoqua le motif politique de la demande d'extradition, qui viserait à nuire au « clan Compaoré » et à son parti le CDP, en vue des prochaines élections de 2020 au Burkina Faso. Il en contesta la régularité tant sur la forme que sur le fond, faute d'infraction pénale correspondant selon lui en droit français au crime « d'incitation à assassinat ». Invoquant l'article 3 de la Convention, il fit valoir que son extradition entraînerait des conséquences d'une gravité exceptionnelle sur sa sécurité et son intégrité physique.
17. Par un arrêt du 13 juin 2018, la chambre de l'instruction ordonna un complément d'information, conformément aux réquisitions du parquet général et aux dispositions de l'Accord de coopération précité du 24 avril 1961 (paragraphe 53 ci-dessous). Elle jugea qu'en l'état de la demande d'extradition, « les affirmations et présomptions des autorités requérantes », qui reposaient sur la découverte des documents susmentionnés au domicile du requérant étaient « insuffisantes à caractériser des faits matériels précis qui pourraient être imputés [au requérant] dans les assassinats objet de l'enquête ». La cour d'appel sollicita en conséquence des autorités burkinabè, en application de l'article 55 de l'Accord précité, la communication « des éléments matériels précis de nature à impliquer directement » le requérant dans la commission des quatre assassinats, ainsi que la production de certains actes de procédure et de textes de droit burkinabè relatifs à la délivrance des mandats et au régime d'aménagement des peines, en particulier dans le cas d'une peine d'emprisonnement à vie.
18. Le 23 août 2018, les autorités burkinabè présentèrent de nouvelles garanties par la voie diplomatique. Elles précisèrent qu'à la suite de l'adoption de la loi du 31 mai 2018, la peine d'emprisonnement à vie était désormais la peine maximale en matière de crime (article 121-1 du code pénal burkinabè). Elles indiquèrent les conditions d'aménagement des peines applicables en l'état du droit positif en matière de libération conditionnelle via la grâce présidentielle et de semi-liberté. Elles précisèrent qu'une révision du code de procédure pénale (CPP) était en cours, qui instituait la possibilité de demander une libération conditionnelle après avoir effectué vingt-cinq ans d'une peine d'emprisonnement à vie prononcée par les juridictions burkinabè (voir, nouvel article 614-1 alinéa 2 du CPP, paragraphe 68 ci-dessous).
19. Par un arrêt du 5 décembre 2018, la chambre de l'instruction émit un avis favorable à la demande d'extradition du requérant. Elle estima que, nonobstant l'implication du requérant dans la vie politique du pays et sa qualité de frère de l'ancien président de cet État, la demande n'avait pas été présentée dans un but politique mais bien dans le cadre de la poursuite d'une instruction portant sur des faits de nature criminelle. Elle releva que faisant suite à sa demande d'informations complémentaires, les autorités burkinabè avaient communiqué « en toute transparence, notamment un grand nombre d'auditions opérées par la [commission d'enquête] au début de l'année 1999, ainsi que des auditions opérées par le juge d'instruction depuis la réouverture de l'information », desquelles il résultait des éléments d'implication du requérant dans les faits poursuivis. Elle rappela, par ailleurs, qu'elle n'était pas chargée d'apprécier l'existence d'indices graves et concordants rendant vraisemblable la commission par le requérant des infractions reprochées, une telle appréciation relevant du juge d'instruction burkinabè. Elle constata que la prescription de l'action publique, non-acquise, ne pouvait donc pas être opposée à la demande d'extradition. Elle considéra que l'infraction poursuivie d'incitation à assassinats correspondait à l'infraction de complicité par instructions prévue par l'article 121-7 du code pénal français, et réprimée par la réclusion criminelle à perpétuité (article 221-3 du même code), ces constatations satisfaisant à la condition de double incrimination et de quantum posée par l'article 48, 1o de l'Accord (paragraphe 53 ci-dessous). S'agissant des garanties procédurales, de la peine encourue et du régime d'exécution applicable, elle retint la motivation suivante :
« Considérant (...) que la peine encourue par François Compaoré est dorénavant l'emprisonnement à vie puisque sont qualifiés [de] crimes les infractions punies d'une peine d'emprisonnement à vie (article 121-1 du code pénal), et que le crime d'assassinat et d'incitation à assassinat était puni de mort et que depuis la loi du 31 mai 2018 portant code pénal au Burkina Faso, ce crime est puni de la peine d'emprisonnement à vie (article 512-15 du code pénal) ; (...)
Considérant en ce qui concerne le régime d'exécution des peines au Burkina Faso, que les autorités requérantes ont exposé dans une note du 23 août 2018 signée du ministre de la justice, Monsieur [R. B.], en réponse au complément d'information, qu'en droit positif actuel, un condamné à l'emprisonnement à vie peut bénéficier d'une libération conditionnelle via la grâce présidentielle (décret no 160 du 18 avril 1961) et d'une semi-liberté (articles 68, 71 et 73 de la loi 10-2017/AN) ; qu'il était précisé qu'en ce qui concerne cette dernière mesure, la loi ne posant pas de critère de durée de la peine à exécuter pour en bénéficier, « les condamnés à l'emprisonnement à vie peuvent donc a priori bénéficier d'une mesure de semi-liberté » ; qu'il doit en être conclu qu'une condamnation à l'emprisonnement à vie prononcée par une juridiction du Burkina Faso est bien susceptible d'aménagement dans le droit de l'État requérant ;
Qu'en outre, est actuellement en cours une révision du code de procédure pénale prévoyant la possibilité pour une personne condamnée à l'emprisonnement à vie de demander une libération conditionnelle après avoir effectué vingt-cinq ans de sa peine ;
Considérant en ce qui concerne le régime de détention au Burkina Faso que la défense fait valoir que les conditions de détention au Burkina Faso et spécialement celles de la maison d'arrêt de Ouagadougou sont à maints égards dénoncées dans plusieurs rapports ;
Considérant que les autorités requérantes, par la voie d'une note signée du directeur de cabinet du ministre de la Justice, M. [S. I. F.], en date du 24 novembre 2017, n'ont pas caché que le taux d'occupation moyen des établissements pénitentiaires du Burkina Faso ait été de 188,6 % au 31 décembre 2015 et que « les conditions de détention sont à l'image des conditions de vie de la population générale dans le pays » ; qu'il est également expliqué dans cette note que « les quartiers des maisons d'arrêt et de correction, appelés quartier spécial ou quartier d'amendement, offrent des conditions d'incarcération très améliorées par rapport à la situation générale » ; que c'est le cas du quartier d'amendement de la maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou où sont détenues les hautes personnalités du Burkina Faso et que s'il était extradé au Burkina Faso, c'est dans ce quartier que serait détenu François Compaoré si le juge d'instruction décidait de son incarcération ;
Que par ces développements et cet engagement, les autorités requérantes ont répondu aux questions relatives au régime de la détention qui serait celui de François Compaoré s'il était placé en détention ;
Que la Cour note que l'engagement est donc pris par les autorités requérantes que ce dernier bénéficierait en cas d'incarcération, d'un régime de détention différent du régime de droit commun ;
Considérant que pour toutes les raisons ci-dessus développées, un avis favorable peut donc être donné à l'extradition de François Compaoré ».
20. Le requérant forma un pourvoi en cassation. Par un premier arrêt du 4 juin 2019, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta la demande de renvoi au Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) formée par le requérant et par laquelle il contestait la conformité à la Constitution de l'article 696-15 du CPP, qui limite notamment la faculté de former un pourvoi contre un avis de la chambre de l'instruction aux seuls cas de vices de forme de nature à priver cet avis des conditions essentielles de son existence légale. La Cour de cassation jugea à cet égard que la chambre de l'instruction avait en tout état de cause pour obligation de répondre aux articulations essentielles du mémoire déposé par l'intéressé invoquant, notamment, une atteinte ou un risque d'atteinte portée à une liberté ou à un droit fondamental.
21. Par un second arrêt du 4 juin 2019, la Cour de cassation rejeta le pourvoi dans les termes suivants quant au moyen du requérant tiré de la violation de l'article 3 de la Convention :
« Attendu que, pour dire n'y avoir lieu à émettre un avis négatif à la demande d'extradition de M. Compaoré, motif pris du risque de voir ce dernier être incarcéré selon des modalités contraires à l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'arrêt, après avoir énoncé que le requérant n'encourait plus la peine de mort pour le crime qui lui était imputé depuis la loi du 31 mai 2018 portant code pénal au Burkina Faso, mais une peine d'emprisonnement à vie aux termes de l'article 512-15 du code pénal burkinabé, relève que, selon les pièces transmises par les autorités requérantes à la suite du complément d'information adressé à ces dernières, d'une part, le régime d'exécution des peines mis en œuvre dans cet État permet à un condamné à l'emprisonnement à vie de bénéficier tant d'une mesure de libération conditionnelle, via la grâce présidentielle, que d'une mesure de semi-liberté, d'où il se déduit qu'une peine d'emprisonnement à vie prononcée par une juridiction du Burkina Faso est susceptible d'aménagement en application de la législation de ce pays, d'autre part, si le taux d'occupation moyen des établissements pénitentiaires du Burkina Faso est particulièrement élevé et les conditions de détention à l'image des conditions de vie de la population en général dans ce pays, en revanche les conditions d'incarcération mises en œuvre dans les quartiers des maisons d'arrêt et de correction, appelés quartier spécial ou quartier d'amendement, sont très améliorées par rapport à la situation générale, et qu'il en sera ainsi dans le quartier d'amendement de la maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou où pourra être détenu l'intéressé en cas d'extradition ; que les juges en déduisent que les autorités requérantes se sont engagées à ce que l'intéressé bénéficie, en cas d'incarcération, d'un régime de détention distinct du régime de droit commun ;
Attendu que la chambre de l'instruction ayant recherché, comme elle le devait, si la personne réclamée bénéficiera, en cas d'extradition, de la garantie de ne pas être soumise à un traitement inhumain et dégradant, notamment, en cas d'incarcération et d'exécution d'une peine d'emprisonnement à vie, et ayant examiné les engagements pris à cet égard par l'État requérant, son arrêt satisfait en la forme aux conditions essentielles de son existence légale, sans méconnaître les dispositions conventionnelles et légales invoquées ;
D'où il suit que le grief doit être écarté. (...)
Attendu que, pour dire que l'extradition de M. Compaoré n'avait pas été demandée par les autorités requérantes dans un but politique, l'arrêt, après avoir repris les éléments de la procédure décrivant les charges retenues contre l'intéressé dans le crime pour lequel cette procédure a été initiée, énonce que, si la personne concernée est le frère de l'ancien président du Burkina Faso, et est, par ailleurs, lui-même impliqué dans la vie politique de ce pays, la demande d'extradition qui le vise se rapporte à l'assassinat d'un journaliste d'investigation ainsi que de trois hommes ayant accompagné ce dernier ; que les juges ajoutent que cette demande apparaît, non comme ayant été présentée dans un but politique, mais comme un acte s'inscrivant dans une procédure d'instruction ayant pour objet des faits de nature criminelle de droit commun ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction a procédé aux recherches qui lui incombaient, sans méconnaître les dispositions conventionnelles et légales invoquées ; (...) »
22. Le 16 décembre 2019, le ministre de la Justice du Burkina Faso répondit à une demande d'informations complémentaires du ministre de la Justice français afin d'actualiser les précédentes assurances fournies par les autorités burkinabè à la chambre de l'instruction (paragraphe 15 ci-dessus). Concernant l'existence de meilleures conditions de détention au sein de la MACO pour les hautes personnalités du pays, il mentionna l'accès des détenus à leur avocat, aux soins médicaux et leur encellulement uniquement la nuit, ainsi qu'un taux d'occupation moyen de 60 % au 13 décembre 2019, taux très inférieur à celui existant en moyenne dans les autres établissements pénitentiaires du pays (de l'ordre de 189,6 % au 31 décembre 2018). Il fit valoir que les établissements pénitentiaires étaient soumis à des visites régulières des ONG et aux contrôles des autorités internationales, notamment au titre de l'Examen périodique universel (EPU) de l'ONU sur les conditions de détention. Il indiqua également à cet égard :
« À notre connaissance, les ONG qui ont examiné la situation carcérale à la MACO, comme Amnesty International lors des émeutes qu'a connues l'établissement dans la nuit du 30 au 31 octobre 2017, ou qui y interviennent de façon régulière ne se sont pas intéressées au quartier d'amendement, précisément parce qu'il offre des conditions d'incarcération répondant à des standards élevés de conformité aux droits humains, les meilleures possibles au Burkina Faso, et que les urgences se trouvent dans les autres quartiers de détention des hommes à la MACO, au quartier des mineurs et dans les autres établissements pénitentiaires du pays. »
23. Le ministre de la Justice précisa également le régime d'aménagement des peines au regard des dernières évolutions législatives. Concernant la mesure de libération conditionnelle, il renvoya aux dispositions de l'article 614-1 et suivants du CPP entrées en vigueur le 24 juin 2019, prévoyant notamment que la personne condamnée à l'emprisonnement à vie peut la solliciter après avoir exécuté vingt-cinq ans de sa peine, la décision appartenant au ministre chargé de la Justice (paragraphe 68 ci-dessous). Il détailla les conditions d'octroi des autres mesures d'aménagement, à savoir la grâce présidentielle et la mesure de semi-liberté (ibidem). Il indiqua en outre que les trois co-inculpés du requérant bénéficiaient à cette date d'une liberté provisoire, ceux qui étaient toujours en activité ayant d'ailleurs rejoint leur service d'origine.
24. Par un décret du 21 février 2020, le Premier ministre français, après avoir relevé l'absence de motivation politique de la demande d'extradition, autorisa l'extradition du requérant vers le Burkina Faso au visa des dernières assurances diplomatiques reçues, énumérant les conditions suivantes :
«
1. Monsieur Paul François Compaoré, s'il devait être condamné par les juridictions burkinabè à une peine d'emprisonnement à vie, pourra former une demande d'aménagement de peine selon les modalités prévues par la loi burkinabè en la matière ;
2. Monsieur Paul François Compaoré sera en cas d'incarcération, détenu dans le quartier d'amendement de la maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou (Burkina Faso) ou dans tout autre établissement pénitentiaire présentant des conditions de détention au moins aussi favorables ;
3. Monsieur Paul François Compaoré aura accès à un service médical adapté tout au long de sa détention ;
4. Monsieur Paul François Compaoré pourra rencontrer son avocat et/ou toute personne en charge d'assurer sa défense et s'entretenir de manière confidentielle avec eux, à chaque fois que l'intéressé, ou ses conseils, en formuleront la demande ;
5. Monsieur Paul François Compaoré pourra exercer librement et sans restriction, son culte ;
6. Monsieur Paul François Compaoré sera jugé publiquement, contradictoirement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, en bénéficiant du temps et des moyens de préparer sa défense à l'aide du conseil de son choix, ou si nécessaire, d'un conseil fourni gratuitement. »
25. Le requérant forma un recours pour excès de pouvoir à l'encontre du décret devant le Conseil d'État. Par un premier arrêt du 31 décembre 2020 (no 439436), la juridiction administrative rejeta la QPC présentée par le requérant au soutien de ce recours (paragraphe 47 ci-dessous). Le Conseil d'État décida, par ailleurs, d'une mesure complémentaire d'instruction. Par un courrier du 25 mars 2021, il demanda au ministre de la Justice français de solliciter par voie diplomatique la communication de garanties supplémentaires de la part des autorités burkinabè. Celles-ci furent invitées à préciser leurs engagements concernant, d'une part, l'existence de conditions d'incarcération du requérant exemptes de tout risque de soumission à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants et, d'autre part, la possibilité de visites des agents diplomatiques ou consulaires français sur le lieu de détention du requérant, pour s'assurer du respect des garanties assortissant la demande d'extradition et constituant des conditions à cette mesure, explicitement posées par le décret attaqué.
26. Le 2 avril 2021, le ministre de la Justice burkinabè apporta une réponse comportant les assurances demandées. Sur le premier point, il rappela la signature par le Burkina Faso de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et de son protocole facultatif (voir paragraphe 54 ci-dessous). Il souligna l'intégration des exigences de ces instruments internationaux dans l'ordonnancement juridique interne (voir paragraphes 66-68 ci-dessous). Il évoqua également les dispositions issues de la loi no 010-2017 du 10 avril 2017 portant régime pénitentiaire réaffirmant l'interdiction des traitements contraires à la dignité humaine à l'égard des détenus (voir paragraphe 69 ci-dessous), et ses articles 203 et 204, prévoyant des visites régulières des autorités judiciaires.
27. Enfin, le ministre fit mention de la création, par la loi no 001/AN du 24 mars 2016, d'une Commission nationale des droits humains (CNDH), institution indépendante chargée de veiller au respect des droits de l'homme au Burkina Faso, en particulier « dans les lieux de privation de liberté à travers des visites régulières, notifiées ou inopinées et de formuler des recommandations à l'endroit des autorités compétentes » (article 5 de la loi). Il mentionna l'attribution de compétences renforcées à la CNDH par la loi modificative no 001-2016 du 30 mars 2021 instaurant un droit de requête ou de plaintes pour les détenus en cas d'atteinte alléguée à leurs droits fondamentaux. Il souligna que ces efforts institutionnels avaient été reconnus par le Comité contre la torture à l'occasion de son dernier rapport périodique du mois de novembre 2019 (voir paragraphe 55 in fine ci-dessous). Il en conclut que « dans l'hypothèse où Monsieur Paul François Compaoré serait incarcéré, en application des dispositions et mécanismes sus-évoqués, les autorités burkinabè [seraient] en mesure de garantir son intégrité physique et le respect de sa dignité, ce qui implique sa protection contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants ».
28. S'agissant du second point sur lequel des assurances supplémentaires furent demandées aux autorités du Burkina Faso, à savoir sur d'éventuelles visites de contrôle du lieu de détention du requérant par les autorités diplomatiques et consulaires françaises (paragraphe 25 ci-dessus), le ministre considéra que ces autorités pourraient intervenir au titre du droit des détenus de recevoir des visites de toutes personnes « justifiant d'un intérêt » (article 208 de la loi pénitentiaire, voir paragraphe 69 ci-dessous), venant s'ajouter au droit de visite des proches, et aux obligations de visites des établissements par les autorités judiciaires susmentionnées (paragraphe 26), ainsi que celles pouvant être effectuées par les représentants des collectivités territoriales, par les avocats de manière inopinée, ou encore par des structures telles que le Mouvement burkinabè des droits de l'homme et des peuples (MBDHP).
29. Par un arrêt du 30 juillet 2021, le Conseil d'État rejeta le recours. Il motiva sa décision comme suit :
«
12. En sixième lieu, en vertu d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République, l'État doit refuser l'extradition d'un étranger lorsqu'elle est demandée dans un but politique. Le décret attaqué accorde l'extradition de M. Compaoré aux autorités burkinabè pour des faits d'incitation à assassinats qui ne présentent pas un caractère politique. Il ne ressort pas des éléments versés au dossier que l'extradition aurait été demandée par les autorités burkinabè dans un but autre que la répression, par les juridictions burkinabè, des infractions de droit commun qui sont reprochées à l'intéressé. M. Compaoré n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que son extradition aurait été demandée dans un but politique. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe fondamental reconnu par les lois de la République qui prohibe l'extradition à des fins politiques, et en tout état de cause, du 2o de l'article 696-4 du code de procédure pénale ne peut, ainsi, qu'être écarté.
(...)
16. En dixième lieu, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que « Nul ne peut être soumis à de la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Ces stipulations font obstacle à l'extradition d'une personne exposée à une peine incompressible de réclusion perpétuelle, sans possibilité de réexamen, et le cas échéant, d'élargissement. Si M. Compaoré soutient qu'en cas d'exécution du décret attaqué, il risque d'être exposé à une telle peine, il ressort des pièces du dossier, notamment des informations transmises par les autorités burkinabè, le 16 décembre 2019, qu'en vertu du code burkinabè de procédure pénale, les personnes condamnées à la peine de réclusion criminelle à perpétuité peuvent bénéficier, sous réserve de bonne conduite, d'une libération conditionnelle après une période minimale de détention de vingt-cinq ans. En prenant acte, le décret attaqué a précisé que l'extradition n'était accordée que sous réserve que M. Compaoré puisse y prétendre en cas de condamnation à une peine d'emprisonnement à vie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance, en raison de la peine encourue, des stipulations de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'ordre public français et, en tout état de cause, du 6o de l'article 696-4 du code de procédure pénale ne peut qu'être écarté.
17. En onzième lieu, si M. Compaoré soutient qu'en cas d'exécution du décret attaqué, il risquerait d'être exposé à des traitements inhumains ou dégradants en raison des conditions de détention dans les prisons burkinabè et de sa situation personnelle qui l'exposerait particulièrement, il ressort des pièces du dossier que le ministre de la justice du Burkina-Faso, tout en reconnaissant les difficultés du système pénitentiaire burkinabè, a, par des lettres des 24 novembre 2017 et 16 décembre 2019, pris des engagements sur le lieu et les conditions de détention de M. Compaoré. Par ailleurs, les autorités burkinabè ont fait connaitre les dispositions nationales et les engagements internationaux prohibant et réprimant la torture dans leur pays ainsi que les dispositifs de contrôle à cet effet, de nature à garantir que M. Compaoré ne soit pas soumis à la torture ou à des traitements inhumains et dégradants contraires aux exigences de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le décret attaqué indique que l'extradition n'est accordée que sous réserve du respect des conditions reprenant les garanties apportées par les autorités burkinabè, en ce qui concerne le lieu de détention et en précisant en particulier que M. Compaoré aurait accès à un service médical adapté et pourrait rencontrer son avocat ou toute personne chargée de sa défense et s'entretenir confidentiellement avec eux. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le décret attaqué méconnaitrait, pour ce qui concerne les conditions d'une éventuelle détention, les exigences résultant de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 10 du pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l'ordre public français ».
30. Dans une dernière note diplomatique adressée au ministre de la Justice français le 7 janvier 2022, complétant la note précitée du 16 décembre 2019, la ministre de la Justice burkinabè confirma les conditions d'aménagement des peines de prison à vie précédemment indiquées au gouvernement français mais releva toutefois qu'aucun exemple d'application à un condamné ne pouvait être fourni en raison du caractère récent de ces dispositions du CPP, en particulier s'agissant de l'octroi d'une libération conditionnelle, seules des autorisations de sorties pour raisons familiales ou de santé ayant été accordées à des condamnés à vie par le juge de l'application des peines. Elle indiqua qu'au demeurant, le ministre de la Justice n'avait été destinataire d'aucune requête aux fins de libération conditionnelle présentée par un condamné depuis la promulgation en 2018 du nouveau code pénal commuant les peines de mort en peine de prison à vie (voir paragraphe 66 ci-dessous). Elle ne fournit pas non plus d'exemples de décisions de semi-liberté ou de grâce présidentielle ayant été accordées à des condamnés. Enfin, concernant les conditions de détention au sein du quartier d'amendement de la MACO, la ministre réitéra les précédentes informations (paragraphe 22 ci-dessus) relatives à l'absence de surpopulation et à l'accès de ces détenus à des conditions de détention dignes en termes d'hygiène, d'alimentation, d'accès aux soins, y compris à l'extérieur de la prison à leurs frais et sous escorte, et d'accès libre à leur avocat. Elle précisa à nouveau que les ONG locales ou internationales avaient accès aux locaux de la maison d'arrêt, également soumise à l'Examen périodique universel (EPU) de l'ONU (paragraphe 22 ci-dessus). Elle ne communiqua toutefois pas de pièces illustrant l'ensemble de ces informations.
31. Le 6 août 2021, la Cour, saisie par le requérant d'une demande de mesure provisoire au titre de l'article 39 de son règlement aux fins de suspension de son extradition vers le Burkina Faso, décida, après un premier ajournement en vue de poser des questions au gouvernement français, d'indiquer à ce dernier de ne pas extrader le requérant pendant la durée de la procédure devant elle.
32. Sur une superficie représentant environ 40 % de son territoire, le Burkina Faso subit depuis 2015 des attaques violentes de groupes terroristes islamistes à l'encontre de l'armée mais également de la population civile, causant une crise humanitaire majeure dans ces zones et de graves problèmes de sécurité intérieure. À ce jour, ces attaques ont causé la mort de plus de 10 000 personnes civiles et militaires, ainsi que le déplacement d'environ deux millions de personnes (voir, Human Rights Watch, Rapport mondial 2023, Burkina Faso)[1]. Dans ce contexte, le 24 janvier 2022, un officier de l'armée burkinabè, le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba, s'est emparé du pouvoir politique par la force, renversant le président élu en 2015 à la présidence de la République du Burkina Faso et réélu en 2020, M. Roch Marc Christian Kaboré.
33. Dans une Note de presse publiée le 25 janvier 2022[2], la Haute Commissaire aux droits de l'homme des Nations unies a déploré la prise de pouvoir militaire de la veille et a rappelé que « lors de sa visite au Burkina Faso en novembre [2021], elle avait souligné l'importance de préserver les avancées durement acquises en matière de démocratie et de droits de l'homme dans le pays, notant en particulier les élections législatives et présidentielles pacifiques organisées en 2020 ». Elle a exhorté les autorités burkinabè à « un retour rapide à l'ordre constitutionnel » et à « veiller à ce que l'État de droit, l'ordre constitutionnel et les obligations du pays en matière de droit international des droits de l'homme soient pleinement respectés ».
34. Ces événements ont également donné lieu à un communiqué adopté par le Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l'Union africaine (UA), lors de sa 1062e réunion tenue le 31 janvier 2022[3] :
« (...) le Conseil de Paix et de Sécurité,
1. Exprime sa profonde inquiétude face à la résurgence des coups d'État militaires qui sapent la démocratie, la paix, la sécurité et la stabilité sur le continent ;
2. Condamne sans équivoque le coup d'État militaire au Burkina Faso, qui a abouti à l'éviction d'un Président démocratiquement élu (...) par une faction d'officiers militaires ; et réitère sa tolérance zéro à l'égard des changements anticonstitutionnels de gouvernement, conformément à l'article 4(p) de l'Acte constitutif de l'UA (...) ;
(...)
5. Décide, conformément aux instruments pertinents de l'UA, (...) de suspendre, avec effet immédiat, la participation du Burkina Faso à toutes les activités de l'UA, jusqu'au rétablissement d'un ordre constitutionnel normal dans le pays ; (...) »
35. Le nouveau président a instauré un régime de « transition » pour une durée de trente-six mois avant la tenue de nouvelles élections législatives et présidentielle à venir. Il a nommé un gouvernement et une assemblée législative de transition, essentiellement composés de personnalités civiles.
36. Par un courrier du 28 mars 2022, le nouveau ministre de la Justice, Maître B. Kéré, précédemment avocat et ancien bâtonnier, a « réitéré (...) au nom du gouvernement burkinabè tous les engagements précédemment pris par le Burkina Faso dans le cadre du processus extraditionnel à l'encontre » du requérant. Dans un second courrier du 19 avril 2022 adressé au ministre de la Justice français, il a apporté des « éléments de réponse aux questions de la Cour européenne des droits de l'homme [transmises par le magistrat de liaison régional] suite à la demande d'informations sur les conditions de détention au quartier d'amendement de la MACO ». Il a décrit des conditions de détention améliorées et caractérisées par un taux d'occupation de 77,5 %, le quartier étant composée de 4 cellules collectives de 85,26 m2 avec des toilettes, et accueillant chacune environ 23 détenus, une aire de promenade/jardin de 218 m2 arborée et accessible toute la journée jusqu'à 19 heures, heure de réintégration des détenus dans la cour intérieure de 115 m2, les cellules n'étant fermée que la nuit à partir de 21 heures, un accès sur demande écrite aux activités de loisirs (bibliothèque, séances de sport), ainsi qu'aux activités dans les unités de production (unité avicole, savonnerie, blanchisserie, porcherie, ateliers de soudure et de menuiserie, activités maraîchères), la fourniture de deux repas par jour et la possibilité de recevoir de la nourriture de l'extérieur, la présence de six infirmiers à temps plein et de médecins de façon rotative, la possibilité de consulter au sein de la détention son médecin traitant, ainsi qu'un accès sous escorte aux soins à l'extérieur en cabinet médical généraliste ou spécialisé, avec une évacuation sanitaire par une ambulance de la MACO en cas de problème de santé plus grave. Par ailleurs, le ministre a précisé les noms de six « personnes proches » du requérant, ayant été détenues à la MACO, ainsi que leurs dates d'entrée et de sortie du quartier d'amendement entre mars 2015 et, au plus tard, décembre 2021. Il a réfuté tout cas de meurtre entre détenus dans ce quartier ou de décès par manque de soins médicaux.
37. Affirmant sa volonté d'apaisement des tensions politiques internes et de réconciliation nationale afin de lutter plus efficacement contre les groupes djihadistes, le lieutenant-colonel P.-H. Damiba a autorisé au mois de juillet 2022 la visite de l'ancien président et frère du requérant, Blaise Compaoré, sur le sol burkinabè. La presse a évoqué cette visite contestée, qui a été perçue par une partie de la population et de la classe politique comme un « déni de justice » dès lors que quelques mois plus tôt, le 6 avril 2022, à l'issue d'un procès ayant eu lieu devant une juridiction militaire burkinabè, Blaise Compaoré, en exil en Côte d'Ivoire, avait été condamné à la prison à vie par contumace pour atteinte à la sûreté de l'État et complicité dans l'assassinat en 1987 de son prédécesseur, le capitaine Thomas Sankara, lors du coup d'État militaire ayant coûté la vie à ce dernier et permis à Blaise Compaoré, son ancien allié, d'accéder au pouvoir[4].
38. Le 30 septembre 2022, lors d'un second coup d'État militaire, un officier de l'armée burkinabè appartenant à une unité des forces spéciales anti-djihadistes, le capitaine Ibrahim Traoré, s'est à son tour emparé par la force de la présidence du Burkina Faso à la faveur d'un nouveau soulèvement populaire.
39. Auto-désigné comme le nouveau « président de la transition » au mois d'octobre 2022, le capitaine I. Traoré s'est rendu au mémorial Thomas Sankara et s'est réclamé de l'héritage révolutionnaire de celui-ci dans ses déclarations publiques[5]. Un nouveau gouvernement de transition de 23 membres, dont 3 militaires, a été nommé par le président pour diriger le pays sous l'égide d'un premier ministre issu de la société civile, jusqu'au retour de l'ordre constitutionnel toujours fixé au plus tôt au mois de juillet 2024. La « charte de la transition » approuvée par le nouveau régime prévoit également la mise en place d'une assemblée législative. La prise de pouvoir du capitaine I. Traoré s'est également accompagnée de manifestations d'hostilité de la population envers l'État français, du départ exigé de l'ambassadeur de France à Ouagadougou et de la fin en février 2023 de la présence militaire française sur le territoire du Burkina Faso[6]. Depuis le mois d'avril 2023, le pouvoir en place a par ailleurs pris des mesures ciblées de suspension ou d'expulsion du pays de certains médias français (suspension des chaînes de télévision France 24 et Radio France Internationale (RFI), expulsion des correspondantes du Monde et de Libération)[7], dans un contexte qualifié par les autorités nationales de « mobilisation générale »[8].
40. Dans un communiqué du 30 septembre 2022[9], réitéré le 2 octobre 2022, la Commission de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a fermement condamné la seconde prise de pouvoir par des « moyens non constitutionnels » au Burkina Faso, exigeant « le respect scrupuleux du [calendrier] déjà retenu avec les autorités de la transition pour un retour à l'ordre constitutionnel au plus tard le 1er juillet 2024 », et obtenu « grâce à la diplomatie et aux efforts de la CEDEAO ».
41. La situation actuelle de suspension de l'ordre constitutionnel a également été évoquée, dans un communiqué de presse du 30 septembre 2022[10], par le président de la Commission de l'Union Africaine, pour condamner la deuxième prise de pouvoir par la force au Burkina Faso :
« (...) En soutien ferme à la CEDEAO, le Président, conformément à la Déclaration de Lomé de 2000, à la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, et à la Déclaration d'Accra sur les changements non constitutionnels de gouvernement, exprime ses vives préoccupations concernant la résurgence de tels changements anti constitutionnels de gouvernement au Burkina Faso et à l'échelle de tout le continent africain.
Le Président appelle les militaires à s'abstenir immédiatement et totalement de tout acte de violence ou de menaces aux populations civiles, aux libertés publiques, aux droits de l'homme et au strict respect des échéances électorales pour un retour à l'ordre constitutionnel au plus tard le 1er juillet 2024. (...) »
42. L'extradition est un instrument de collaboration entre deux États souverains afin de lutter contre la délinquance internationale et de permettre la mise en œuvre de la justice répressive à l'encontre d'un individu qui a fui sur le territoire de l'État requis après avoir ou être suspecté d'avoir commis des faits pénalement répréhensibles relevant de la juridiction de l'État requérant. Lorsqu'une demande d'extradition n'entre pas dans les champs d'application du mandat d'arrêt européen (articles 695-11 à 695-51 du code de procédure pénale (CPP)) ou de la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957, le droit commun de l'extradition prévu aux articles 696 à 696-24-1 et 696-34 à 696-47-1 du CPP, issus de la loi no 2004-204 du 9 mars 2004, régit les demandes des États tiers à ces instruments internationaux, aux fins de remise d'une personne poursuivie en vue de son jugement ou d'un condamné en vue de l'exécution de sa peine.
43. La procédure d'extradition de droit commun se caractérise par une phase préalable nécessairement diplomatique, au cours de laquelle l'État requérant présente à l'État requis une demande d'extradition en bonne et due forme. La demande d'extradition fait ensuite l'objet d'une procédure d'examen en plusieurs étapes successives.
44. En premier lieu, si la personne à laquelle a été notifiée la demande d'extradition refuse d'y consentir, la chambre de l'instruction de la cour d'appel compétente est chargée de rendre un avis motivé, favorable ou défavorable à la demande d'extradition, à l'issue d'une procédure contradictoire. L'arrêt rendu, qui opère un strict contrôle de légalité, est susceptible de pourvoi formé devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui a un caractère suspensif. En vertu des dispositions du dernier alinéa de l'article 696-15 du CPP, le contrôle de la Cour de cassation porte sur « les vices de forme de nature à priver cet avis des conditions essentielles de son existence légale », à savoir la régularité de l'avis délivré par cette cour.
45. La Cour de cassation examine à ce titre les moyens portant sur l'effectivité des garanties fondamentales de procédure et de protection des droits fondamentaux dont bénéficiera la personne réclamée en cas de remise. Elle inclut notamment dans son contrôle l'allégation selon laquelle le motif de la demande d'extradition est politique (un délit ou un crime à caractère politique ne peut fonder une demande d'extradition en vertu de l'article 696-4 du CPP, ce qui vise également les mobiles de l'État requérant), ainsi que les moyens tirés d'un risque d'atteinte aux droits de la défense (Cass. crim. 11 juillet 2012, no 12-82.502) ou d'un risque de traitements inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention, notamment en lien avec les conditions de détention ou en raison d'une condamnation à une peine d'emprisonnement à vie incompressible (Cass. crim. 8 juin 2016, no 16-81.756 ; Cass. crim. 7 août 2019, no 18-86.297 ; Cass. crim. 29 novembre 2022, no 22-82.592).
46. En deuxième lieu, et uniquement en cas d'avis positif de la chambre de l'instruction ainsi dessaisie, l'extradition fait l'objet d'un examen en opportunité du gouvernement français. Le décret qui accorde l'extradition peut être contesté en application des dispositions de l'article 696-18 du CPP :
« Dans les cas autres que celui prévu à l'article 696-17 [cas d'un avis défavorable à l'extradition rendu par la chambre de l'instruction], l'extradition est autorisée par décret du Premier ministre pris sur le rapport du ministre de la justice. Si, dans le délai d'un mois à compter de la notification de ce décret à l'État requérant, la personne réclamée n'a pas été reçue par les agents de cet État, l'intéressé est, sauf cas de force majeure, mis d'office en liberté et ne peut plus être réclamé pour la même cause.
Le recours pour excès de pouvoir contre le décret mentionné à l'alinéa précédent doit, à peine de forclusion, être formé dans le délai d'un mois. L'exercice d'un recours gracieux contre ce décret n'interrompt pas le délai de recours contentieux. »
47. Enfin, en troisième lieu, lorsque le Conseil d'État est saisi d'un tel recours pour excès de pouvoir par la personne dont l'extradition a été accordée, ce recours est suspensif et le décret ne saurait donc être mis à exécution tant que la juridiction administrative n'a pas statué (CE, 31 décembre 2020, no 439436, voir paragraphe 25 ci-dessus). Le Conseil d'État se livre à un contrôle de légalité tant externe (régularité formelle et motivation) qu'interne (conditions de fond) du décret d'extradition dont l'annulation lui est demandée, y compris au visa des dispositions de l'article 3 de la Convention.
48. À cet égard, la jurisprudence administrative a évolué sous l'influence de celle de la Cour (voir en ce sens les conclusions du rapporteur public prises pour la décision du 9 novembre 2015 citée ci-dessous, qui renvoie aux arrêts Vinter et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 66069/09 et 2 autres, § 119, CEDH 2013 (extraits), voir paragraphe 93 ci-dessous, et Öcalan c. Turquie (no 2), nos 24069/03 et 3 autres, 18 mars 2014). Le Conseil d'État juge désormais que les dispositions de l'article 3 de la Convention « font obstacle à l'extradition d'une personne exposée à une peine incompressible de réclusion perpétuelle, sans possibilité de réexamen et, le cas échéant, d'élargissement ». En conséquence, il examine in concreto si les dispositions du droit pénal et de la procédure pénale de l'État requérant prévoient une possibilité de réexamen de la peine de prison à vie (pour un rejet en cas de possibilité de réexamen, voir, s'agissant d'un ressortissant turc, CE, 9 novembre 2015, no 387245, et pour une annulation, au visa de l'article 3 de la Convention, en cas d'absence d'une telle possibilité, voir, s'agissant d'un ressortissant marocain, CE, 18 novembre 2022, no 461381).
49. S'agissant de la phase judiciaire de la procédure d'extradition (paragraphe 44 ci-dessus), selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la chambre de l'instruction qui a rendu un avis sur une première demande d'extradition peut être saisie par le gouvernement requis d'une nouvelle demande d'extradition pour les mêmes faits et concernant la même personne adressée postérieurement par l'État requérant, lorsque ce dernier se prévaut de l'existence d'éléments nouveaux, survenus ou révélés depuis la précédente demande d'extradition, et de nature à justifier une appréciation différente des conditions légales de l'extradition. Dans ce cas, la chambre de l'instruction rend un nouvel avis favorable ou défavorable à l'extradition (voir, Cass. crim. 20 décembre 1988, no 88-84.728, Bull. crim 1988, no 439 ; Cass crim. 12 mars 1991, no 90-86.710, Bull. crim. 1991, no 123 ; Cass. Crim. 13 octobre 2004, no 04-84.470, Bull. crim. 2004, no 241).
50. Par ailleurs, après le terme de la procédure d'extradition, et dans l'hypothèse où surviennent des « changements dans les circonstances de droit ou de fait » postérieurs au décret d'extradition, le Conseil d'État a reconnu à la personne dont l'extradition a été accordée la faculté de solliciter l'abrogation de ce décret, puis en cas de refus même implicite, celle d'en demander l'annulation pour excès de pouvoir (arrêt du 10 juin 2020, no 435348, publié au recueil Lebon) :
« (...)
4. Lorsque la personne qui a fait l'objet d'un décret d'extradition demeuré inexécuté entend faire valoir que ce décret est devenu illégal à la suite de changements dans les circonstances de droit ou de fait postérieurs à son édiction et ne peut, en raison de ces changements, être mis à exécution sans que soient méconnues les exigences qui conditionnent la légalité de l'extradition, en particulier les réserves émises par la France à l'occasion de la ratification de la convention européenne d'extradition, il lui appartient de demander l'abrogation de ce décret et, en cas de refus, de saisir le Conseil d'État par la voie du recours pour excès de pouvoir. (...) »
51. En outre, le Conseil d'État a considéré qu'en cas de mise en œuvre tardive du décret accordant l'extradition, la décision ordonnant la remise de la personne à l'État qui demande son extradition s'analyse comme étant une nouvelle mesure administrative dont il était compétent pour connaître et que le recours pour excès de pouvoir dirigé contre elle était recevable (CE, 29 juillet 1994, no 156288, publié au recueil Lebon).
52. Lorsqu'un traité bilatéral d'extradition existe, l'extradition perd son caractère discrétionnaire et devient obligatoire pour l'État requis, si la demande de remise remplit les conditions définies par les deux parties signataires et que la chambre de l'instruction a rendu en conséquence un avis favorable à l'extradition (paragraphe 44 ci-dessus).
53. La convention bilatérale applicable en l'espèce - aujourd'hui abrogée et remplacée par la Convention d'extradition signée entre la France et le Burkina Faso le 24 avril 2018 - est l'Accord de coopération en matière de justice, signé le 24 avril 1961 entre la République de la France et la République de Haute-Volta (décret no 62-136 du 23 janvier 1962 publié au JORF du 6 février 1962), dont les dispositions pertinentes sont les suivantes :
« Article 46
Les États contractants s'engagent à se livrer réciproquement, selon les règles et sous les conditions déterminées par les articles suivants, les individus qui, se trouvant sur le territoire de l'un des deux États, sont poursuivis ou condamnés par les autorités judiciaires de l'autre État.
(...)
Article 48
Seront sujets à extradition :
1o Les individus qui sont poursuivis pour des crimes ou délits punis par les lois de l'un et l'autre des États contractants d'une peine d'au moins deux ans d'emprisonnement ;
(...)
Article 49
L'extradition pourra être refusée si l'infraction pour laquelle elle est demandée est considérée par l'État requis comme une infraction politique ou comme une infraction connexe à une telle infraction.
(...)
Article 55
Lorsque des renseignements complémentaires lui seront indispensables pour s'assurer que les conditions requises par le présent Accord sont réunies, l'État requis, dans le cas où l'omission lui apparaîtra susceptible d'être réparée, avertira l'État requérant par la voie diplomatique avant de rejeter la demande. Un délai pourra être fixé par l'État requis pour l'obtention de ces renseignements. »
54. Le Burkina Faso a ratifié en 1999 le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, qui protège respectivement en ses articles 7 et 10 le droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et le droit d'être traité en détention avec humanité et avec le respect de la dignité inhérent à la personne humaine, ainsi que le Protocole facultatif se rapportant au Pacte précité et habilitant le Comité des droits de l'homme, constitué par le Pacte, à recevoir et à examiner des communications émanant de particuliers qui prétendent être victimes d'une violation d'un des droits énoncés dans le Pacte. Le Burkina Faso n'a ni signé ni ratifié le second Protocole facultatif se rapportant au Pacte précité, visant à abolir la peine de mort. La Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a également été ratifiée en 1999 par le Burkina Faso. Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention précitée a été ratifié en 2010. Il a pour objectif l'établissement d'un système de visites régulières, effectuées par des organismes internationaux et nationaux indépendants, sur les lieux où se trouvent des personnes privées de liberté, afin de prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
55. Les « Observations finales concernant le deuxième rapport périodique du Burkina Faso » (CAT/C/BFA/CO/2)[12], adoptées par le Comité contre la torture des Nations unies (le « Comité ») lors de sa 68ème session (11 novembre - 6 décembre 2019), font état des constatations suivantes :
« (...) B. Aspects positifs
4. Le Comité se félicite de la ratification, par l'État partie, de la quasi-totalité des instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l'homme, ainsi qu'aux protocoles facultatifs s'y rapportant.
5. Le Comité accueille avec satisfaction les mesures législatives, administratives et institutionnelles suivantes mises en place par l'État partie pour donner effet à la Convention, notamment l'adoption de :
a) La loi no 040-2019/AN du 29 mai 2019 portant code de procédure pénale ;
b) La loi no 025-2018/AN du 31 mai 2018 portant code pénal ;
c) L'abolition de la peine de mort, en l'excluant de l'arsenal des peines du code pénal de 2018 ;
d) La loi no 022-2014/AN du 27 mai 2014 portant prévention et répression de la torture et des pratiques assimilées ;
e) La loi no 001-2016/AN du 24 mars 2016 portant création d'une commission nationale des droits humains, et arrimant le mécanisme national de prévention de la torture à cette dernière ;
f) La loi no 010-2017/AN du 10 avril 2017 portant régime pénitentiaire au Burkina Faso ; (...)
C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations
(...)
Conditions de détention
21. Tout en accueillant favorablement l'adoption de la loi no 10-2017/AN portant régime pénitentiaire au Burkina Faso, qui intègre l'Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), le Comité demeure vivement préoccupé par la persistance de conditions de détention assimilables à des mauvais traitements dans la majorité des lieux de détention du pays. Il s'inquiète notamment des conditions d'hygiène déplorables, de l'insalubrité et du manque de nourriture adéquate, ainsi que du manque de soins qui prévalent tant dans les maisons d'arrêt et de correction que dans les cellules de garde à vue des brigades de gendarmerie et des commissariats de police. Le Comité déplore également l'absence de séparation effective entre catégories de détenus et la surpopulation carcérale alarmante, proche de 400 %, qui prévaut dans les maisons d'arrêt et de correction de Ouagadougou et Bobo-Dioulasso. Il s'inquiète en outre des conditions de détention des femmes au sein de la maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou, accompagnées de nourrissons et de jeunes enfants. (...) »
56. Le Burkina Faso a ratifié la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples en 1984. Dans ses « Observations finales et recommandations relatives au Rapport périodique et cumulé de la République du Burkina Faso sur la mise en œuvre de la Charte » (2011-2013) adoptées lors de sa 21ème session extraordinaire, la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après « la Commission ») en Gambie (23 février - 4 mars 2017)[13], a relevé certaines évolutions positives sur la période considérée en matière de protection des droits de l'homme, en particulier l'adoption d'une loi no 022-2014/AN du 27 mai 2014 portant prévention et répression de la torture et des pratiques assimilées et la révision constitutionnelle consacrant le droit pour le citoyen burkinabè de saisir le Conseil constitutionnel des violations des droits humains dont il a été victime.
57. Dans le domaine de la justice, la Commission a notamment souligné « la réouverture de dossiers emblématiques tels que le dossier Norbert Zongo en exécution de l'arrêt de la Cour Africaine des droits de l'homme et des Peuples [CADHP, voir paragraphe 10 ci-dessus], ainsi que du dossier Thomas Sankara poursuivi devant la justice militaire ». Elle a relevé les efforts des autorités burkinabè « visant à sauvegarder le droit à la vie ; notamment en observant un moratoire sur la peine de mort depuis 1988, pour les infractions militaires et 1978 pour les infractions de droit commun », tout en regrettant la lenteur du processus de ratification des instruments internationaux d'abolition de la peine de mort.
58. Concernant les conditions de détention, la Commission a relevé des avancées en matière de politiques nationales en faveur de l'amélioration des conditions de détention tout en considérant ces avancées insuffisantes. Elle a toutefois pris note de la mise en place de l'Observatoire national pour la prévention de la torture et autres pratiques assimilées, prévu par la loi du 27 mai 2014 susmentionnée (paragraphe 56 ci-dessus).
59. Dans son Rapport sur les droits de l'homme 2021 relatif au Burkina Faso, le Département d'État américain a notamment relevé s'agissant des conditions de détention[14] :
« La nourriture, l'eau potable, les installations sanitaires, le chauffage, la ventilation, l'éclairage et les soins médicaux sont insuffisants dans la plupart des centres de détention du pays. La tuberculose, le VIH, le sida et le paludisme sont les problèmes de santé les plus courants chez les détenus. Par exemple, à la prison de haute sécurité, trois infirmières sont employées pour traiter plus de 900 détenus et prisonniers, sans qu'aucun médecin ne soit présent sur place mais disponible sur appel. Les conditions de détention sont meilleures pour les citoyens riches ou influents ou pour les détenus considérés comme non violents. (...)
Contrôles indépendants : Le gouvernement a autorisé des contrôles par des observateurs indépendants non gouvernementaux. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et le Mouvement burkinabé des droits de l'homme et des peuples ont pu rendre visite aux détenus dans certains établissements à travers le pays. Le CICR a visité plus de 4 400 détenus dans 16 centres de détention au cours de l'année. »
60. L'existence de meilleures conditions de détention au sein de la maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) pour les personnalités de haut rang était déjà mentionnée dans le Rapport 2016 du Département d'État américain - en contraste avec les conditions de détention s'apparentant à des mauvais traitements pour les autres détenus -[15] :
« Le 6 avril, des représentants diplomatiques ont visité la MACO pour vérifier le respect des normes de détention et des droits de l'homme. Leur rapport fait état de surpopulation, de malnutrition, de problèmes d'hygiène et de santé.
Selon les organisations de défense des droits de l'homme, des décès sont survenus dans les prisons et les centres de détention en raison des conditions difficiles et de la négligence. Les militants des droits de l'homme estiment qu'un ou deux détenus mourraient chaque mois en raison des conditions de détention difficiles. (...)
Les violences physiques étaient un problème dans de nombreux centres de détention du pays. Ainsi, des organisations de défense des droits humains ont affirmé qu'en mai, des gendarmes avaient torturé et tué deux suspects. Les enquêtes menées sur ces affaires n'avaient débouché sur aucune arrestation ni aucune poursuite à la fin de l'année.
La nourriture, l'eau potable, les installations sanitaires, le chauffage, la ventilation, l'éclairage et les soins médicaux étaient insuffisants dans la majorité des centres de détention du pays, y compris la MACO. Les conditions de détention étaient meilleures pour les citoyens riches ou influents. Par exemple, un ancien fonctionnaire accusé de corruption a déclaré avoir été détenu à la MACO avec d'autres anciens fonctionnaires accusés d'infractions criminelles dans un bâtiment climatisé, équipé de réfrigérateurs, de téléviseurs et d'une cuisine. »
a) Amnesty International
61. Dans sa communication pour l'Examen périodique universel (EPU) des Nations unies de mai 2018, intitulé « Burkina Faso. Un chemin difficile vers les droits humains », Amnesty International a notamment fait état de torture et de traitements inhumains ou dégradants en détention suivis de l'impunité quand ils étaient dénoncés[16] :
« L'interdiction de la torture est consacrée par l'article 2 de la Constitution du Burkina Faso et la législation nationale interdit explicitement les actes de torture commis par des agents de l'État dans l'exercice de leurs fonctions [articles 3, 4, 8 et 9 de la loi no 022-2014/AN]. Lors de la précédente évaluation, le Burkina Faso a affirmé que la torture et les autres formes de mauvais traitements n'existaient pas dans le pays. Pourtant, en octobre 2014 et juin 2017, Amnesty International a recueilli les témoignages de plus de 40 prisonniers lors de visites à la maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO), faisant état d'actes de torture et d'autres mauvais traitements, en général au moment de l'arrestation ou de la garde à vue. (...) D'autres détenus ont affirmé avoir été frappés dans le but d'obtenir des « aveux ». (...)
Lors de son précédent EPU, le Burkina Faso a également accepté une recommandation qui préconisait d'enquêter sur les allégations de torture. Pourtant, quatre personnes interrogées par Amnesty International en 2017 ont affirmé qu'après avoir signalé de telles pratiques aux procureurs et au tribunal, personne n'avait été poursuivi pour torture et aucune enquête n'avait été menée sur ces allégations, en violation de l'article 13 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, à laquelle le Burkina Faso est un État partie.
CONDITIONS DE DÉTENTION
De nombreuses prisons du Burkina Faso sont surpeuplées. En juin 2017, les autorités carcérales de la MACO ont indiqué à Amnesty International que 1 900 personnes étaient incarcérées dans cette prison, alors que sa capacité est de 600 détenus seulement. Des personnes condamnées et des prévenus partagent les mêmes cellules.
Les conditions carcérales à la MACO restent mauvaises, malgré la construction d'un espace d'activité physique en plein air. Des dirigeants de la prison ont aussi expliqué à Amnesty International qu'une section inoccupée de la prison était très endommagée à la suite d'un incendie et cela met en danger les détenus qui sont logés dans l'aile située/jouxtant la section endommagée (à proximité). Les soins et services médicaux ne sont pas adaptés, la prison manque de matériel dans ce domaine et un seul médecin bénévole s'y rend deux heures par semaine. Les détenus comme les responsables de la prison ont indiqué à Amnesty International que la nourriture distribuée était inadéquate et que sa valeur nutritive était insuffisante.
En 2014, un manque d'air et d'eau a peut-être contribué à la mort de deux détenus lors d'un confinement en cellule de trois jours après une tentative d'évasion à la MACO. Certains détenus ont également expliqué à Amnesty International avoir été frappés à trois reprises après leur tentative d'évasion, notamment à coups de ceinture et de fouet, alors qu'ils étaient menottés et allongés de force à plat ventre sur le sol.
En juin 2017, des représentants du ministère de la Justice ont dit à Amnesty International qu'un plan stratégique était en cours d'élaboration afin d'améliorer les conditions carcérales. »
62. Le contexte général dans lequel s'inscrit la présente affaire était également évoqué :
« IMPUNITÉ
(...) En juin 2017, le procès de l'ancien président Blaise Compaoré a été suspendu à la suite d'une décision du Conseil constitutionnel, qui a estimé que l'absence de procédure d'appel était contraire à la Constitution.
En décembre 2015, trois anciens membres du Régiment de sécurité présidentielle ont été inculpés pour l'assassinat de Norbert Zongo, un journaliste assassiné en 1998.
Entre janvier 2015 et octobre 2016,14 personnes ont été inculpées pour des motifs liés à l'assassinat de l'ancien président Thomas Sankara. En juin 2017, au moins quatre personnes étaient toujours en détention, dont un civil [faisant tous partie de « l'administration Compaoré »], tandis que les autres sont en liberté provisoire. Un mandat d'arrêt international a été émis contre l'ancien président Blaise Compaoré, ainsi que l'un de ses anciens conseillers, [H. K.], dans le cadre de ce dossier. »
b) Centre d'information et de formation en matière de droits humains en Afrique (CIFDHA)
63. Dans son deuxième rapport périodique de mars 2019, soumis au Comité contre la torture[17], cette ONG burkinabè, en association avec la Clinique internationale de défense des droits humains (CIDDHU) de l'Université du Québec à Montréal, fait mention des conditions de détention au Burkina Faso :
« (...) en 2017, l'ensemble des établissements pénitentiaires au Burkina Faso comptait près du double de personnes détenues que leur capacité d'accueil (7 840 personnes détenues versus 4 120 places). Ainsi, le taux d'occupation de l'ensemble des établissements pénitentiaires du pays en 2017 a été de 190,3 %. Les plus grands établissements présentent un plus haut taux d'occupation. En effet, le 3 juillet 2017, la Maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou avait un taux d'occupation de 318,8%, (1 913 personnes détenues versus 600 places). Plus récemment (...) à la date du 8 octobre 2018, (...) la maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) avait un taux d'occupation de 445.61 % avec 2 540 détenus pour une capacité de 600 places. (...) Ces chiffres dépeignent par eux-mêmes les conditions extrêmement difficiles de détention dans les établissements pénitentiaires du pays.
Ensuite, cette surpopulation engendre plusieurs problèmes tels qu'une mauvaise hygiène et une chaleur extrême accompagnée d'un manque d'aération constant. Ces problèmes sont d'autant plus exacerbés par la canicule qui se manifeste dès le mois d'avril de chaque année. De plus, il n'est pas rare que les cellules soient infestées de rats, cafards et vers. (...)
En date du 26 avril 2016, les personnes détenues incarcérées dans le bâtiment destiné aux grands bandits de la Maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou manquaient d'air. De plus, une odeur nauséabonde se dégageait de l'intérieur des bâtiments, la chaleur y était suffocante et insoutenable, et l'obscurité, presque totale. Selon la Garde pénitentiaire, les personnes détenues pouvaient sortir à l'extérieur trois heures par jour. Elles étaient donc enfermées 21 h par jour dans des cellules surpeuplées. (...)
7. CONCLUSION
Tel que le démontre le présent rapport, les actes de torture et pratiques assimilées perdurent au Burkina Faso malgré les mesures législatives prises par l'État pour les prévenir. L'insurrection populaire de 2014 et le coup d'État de 2015 ont constitué un terrain propice à la commission de ces actes par les forces de l'ordre. De plus, la crise sécuritaire à laquelle l'État burkinabè fait face donne lieu à de tels actes et pratiques par les forces de défense et de sécurité à travers leur lutte contre le terrorisme, ainsi que par les groupes d'autodéfense Koglweogo, des groupes non étatiques s'étant donné pour mandat de combler un vide sécuritaire. Enfin, ces actes et pratiques se perpétuent également au sein du milieu carcéral burkinabè et les conditions de détention délétères au pays sont souvent constitutives de mauvais traitements.
Il ressort du présent rapport que l'État burkinabè fait face à des problèmes généraux qui favorisent ces actes de torture et pratiques assimilées et, incidemment, le non-respect des droits et obligations prévus à la Convention. Parmi ces problèmes, citons le climat d'insécurité dû au terrorisme et à la recrudescence du grand banditisme ainsi que le climat d'impunité et d'injustice favorisé par une corruption qui entache l'ensemble du système répressif burkinabè. (...) »
64. La Cour renvoie à cet égard à l'arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni (no 8139/09, §§ 141-154, CEDH 2012 (extraits)).
65. La Constitution du Burkina Faso du 2 juin 1991, dans sa dernière version modifiée par la loi no 343-2012 du 11 juin 2012[18], régit les institutions de la République du Burkina Faso, qui est dirigée par un président de la République élu au suffrage universel pour cinq ans. Le président « dispose du droit de grâce » (article 54). Selon les dispositions du Titre VIII de la Constitution, « Le pouvoir judiciaire est gardien des libertés individuelles et collectives. Il veille au respect des droits et libertés définis dans la présente Constitution » (article 125), et « Le Président du [Burkina] Faso est garant de l'indépendance du pouvoir judiciaire. (...) » (article 131).
66. La loi no 025/2018/AN du 31 mai 2018[19] a réformé le code pénal en supprimant la peine de mort des peines pouvant être infligées pour les crimes les plus graves. Ainsi, l'article 512-15 de ce code prévoit désormais qu'« est puni d'une peine d'emprisonnement à vie l'auteur d'assassinat », et l'article 131-8 du même code assimile l'incitation à la commission de ce crime à l'infraction principale pour la détermination de la peine applicable. Les condamnations à la peine de mort déjà prononcées ont été commuées en peine d'emprisonnement à perpétuité.
67. Par ailleurs, l'article 512-1 du code pénal définit la torture comme « tout acte ou omission par lequel une douleur ou des souffrances aigues, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins, notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit, lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de l'État ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite ». La loi no 040-2019/AN du 29 mai 2019[20] portant code de procédure pénale du Burkina Faso (entrée en vigueur le 24 juin 2019) complète, à l'article 251-11, cette définition de la torture et dispose que « Toute déclaration obtenue par suite de torture ou de pratiques assimilées ne peut être utilisée comme un élément de preuve dans une procédure, sauf pour établir la responsabilité de l'auteur de l'infraction ».
68. Le chapitre 4 de la même loi est relatif à « La libération conditionnelle » et comporte les dispositions suivantes :
« Article 614-1 :
Les condamnés ayant à subir une ou plusieurs peines privatives de liberté peuvent bénéficier d'une libération conditionnelle s'ils ont donné des preuves suffisantes de bonne conduite et présentent des gages sérieux de réinsertion sociale. La libération conditionnelle est réservée aux condamnés ayant accompli au moins la moitié de la peine ou les deux tiers de la peine pour les condamnés en état de récidive légale.
La libération conditionnelle peut être demandée par la personne condamnée à l'emprisonnement à vie après avoir exécuté vingt-cinq ans de sa peine.
Article 614-2 :
Le pouvoir d'accorder la libération conditionnelle appartient au ministre en charge de la justice.
Le dossier de proposition comporte les avis du juge de l'application des peines, du chef de l'établissement pénitentiaire dans lequel l'intéressé est détenu, du chef du service social de l'établissement pénitentiaire et du ministère public près la juridiction dans le ressort de laquelle est détenu l'intéressé. (...).
Article 614-4 :
L'arrêté de libération conditionnelle fixe les modalités d'exécution et les conditions auxquelles l'octroi ou le maintien de la liberté peut être subordonné, ainsi que la nature et la durée des mesures d'assistance et de contrôle. (...) »
(...) en cas d'emprisonnement à vie, la durée des mesures d'assistance et de contrôle ne peut être ni inférieure à cinq années, ni supérieure à dix années. (...) »
Les autres mesures d'aménagement sont la grâce présidentielle, qui est une prérogative du Président du Burkina Faso tirée de l'article 54 de la Constitution, et la semi-liberté, à laquelle sont éligibles « les détenus placés en division d'amendement en raison de leur bonne conduite, de leur ardeur au travail pénitentiaire ou d'une participation active aux activités socioéducatives de l'établissement pénitentiaire », et régie par les articles 68, 71 et 73 de la loi portant régime pénitentiaire du 10 avril 2017[21]. La loi ne pose pas de critère de durée de la peine à exécuter pour bénéficier de cette mesure. Elle n'exclut donc pas les condamnés à l'emprisonnement à vie de son bénéfice.
69. Les règles applicables aux établissements pénitentiaires et déterminant les conditions de détention sont issues de la loi no 010-2017/AN du 10 avril 2017 (précitée) portant régime pénitentiaire au Burkina Faso. Elles prévoient que « Tous les détenus sont traités avec le respect dû à la dignité inhérente à la personne humaine » (article 23). Son article 24 interdit de soumettre les détenus à la torture ou à d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui ne peuvent être en aucune circonstance justifiés. Le texte législatif contient également des dispositions garantissant l'accès à l'avocat (articles 58 et 59), à la prise en compte de la bonne conduite des détenus condamnés et de l'existence de « gages sérieux de réadaptation sociale » permettant de bénéficier d'une mesure de semi-liberté (articles 68, 71, 73) ou d'une mesure de libération conditionnelle dans les conditions prévues au CPP (articles 95 à 98). Les établissements peuvent être visités (articles 202 à 206) par les autorités judiciaires, les représentants des collectivités et les avocats. Des visites régulières du juge d'instruction (au moins une fois par mois), du « procureur du [Burkina] Faso » (au moins une fois par trimestre) et du président de la chambre d'accusation (au moins une fois par an) sont prévues dans les établissements pénitentiaires de leur ressort (article 203). Le droit de visite de toutes personnes « justifiant d'un intérêt certain » et des proches des détenus est soumis à la délivrance d'un permis de visite permanent ou ponctuel (articles 208 à 216). L'entretien et la santé des détenus relèvent de la responsabilité de l'État (articles 246 à 250 et 254 à 272). « Les locaux de détention et en particulier les dortoirs doivent répondre aux exigences de l'hygiène et tenir compte du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d'air, l'éclairage et la ventilation » (article 252).
EN DROIT
70. Le requérant soutient que son extradition vers le Burkina Faso l'exposerait à un risque réel de subir la torture ou des traitements contraires à l'article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
71. Le Gouvernement n'a soulevé aucun motif d'irrecevabilité du grief du requérant fondé sur l'article 3 de la Convention en ses différentes branches. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
72. Le grief soulevé sous l'angle de l'article 3 comporte deux branches respectivement tirées des conséquences devant être attachées au risque pour le requérant d'être condamné à une peine d'emprisonnement à vie incompressible en cas de renvoi vers le Burkina Faso et au risque d'y être soumis à des conditions de détention indignes voire à la torture tant en raison de sa situation personnelle que de la situation politique dans le pays.
a) Le requérant
73. Le requérant fait valoir que dans une procédure d'extradition au cours de laquelle un risque d'atteinte à l'article 3 de la Convention est allégué, l'État défendeur a l'obligation d'examiner si le respect des engagements pris sera objectivement et concrètement vérifiable, en prenant en compte la capacité de leur auteur à engager l'État d'accueil, la probabilité du respect par les autorités locales des assurances données et la précision de ces dernières, ainsi que la durée des relations bilatérales entre les deux États. Doivent également être prises en compte l'existence d'un mécanisme de protection contre la torture dans l'État d'accueil, la volonté de cet État de coopérer avec les mécanismes internationaux de contrôle et celle d'enquêter sur les allégations de torture et de les sanctionner.
74. En l'espèce, le requérant considère que les assurances diplomatiques fournies par le Burkina Faso n'ont pas de valeur, ce qui implique une forte probabilité qu'il soit soumis à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention en cas de renvoi dans son pays. Il invoque l'existence de dangers découlant de la crise sécuritaire au Burkina Faso et la forte instabilité politique dans le pays depuis 2014, qui s'est aggravée depuis les coups d'État militaires des mois de janvier et de septembre 2022. Dans ses dernières observations du 19 octobre 2022 adressées à la Cour, le requérant soutient que ces événements ont mis à néant des assurances diplomatiques initiales déjà douteuses, fournies par un État dont les dirigeants sont désormais déchus, tout comme ceux du premier gouvernement de transition. Il insiste sur la condamnation de ces régimes militaires successifs par les instances internationales dont l'Union Africaine et la CEDEAO (paragraphes 40-41 ci-dessus). Il fait valoir qu'il n'existe plus pour l'État français aucune garantie de respect des précédents engagements pris par l'État burkinabè, sur lesquels était fondée la décision d'extradition en 2020, à une date où la précarité de ces engagements due à la fragilité du gouvernement burkinabè était prévisible. Il en déduit que les autorités françaises ont violé l'article 3 de la Convention en acceptant les assurances diplomatiques du Burkina Faso pour autoriser l'extradition.
75. Revenant ensuite sur chacune des branches du grief susmentionnées (paragraphe 72 ci-dessus), le requérant évoque en premier lieu le risque de se voir infliger une peine d'emprisonnement à vie incompressible. À cet égard, il fait valoir que l'État français n'a fait que procéder à une analyse générale des dispositions pénales nationales burkinabè, au surplus très récentes, sans recueillir aucune garantie relative à leur mise en œuvre effective et concrète à l'égard des condamnés.
76. Le requérant relève que dans son courrier du 7 janvier 2022 (paragraphe 30 ci-dessus), le gouvernement burkinabè a confirmé l'absence de toute mise en application de ces dispositions en matière de libération conditionnelle, dont il n'est pas possible de prouver qu'elles seront appliquées à l'avenir. De plus, il souligne le caractère illusoire de cet aménagement compte tenu de son âge (68 ans) et de la durée de vingt-cinq ans requise avant toute demande de libération. Enfin, il conteste l'utilité d'une telle mesure dont l'octroi dépend d'une décision politique discrétionnaire du ministre de la Justice selon l'article 614-2 du CPP (paragraphe 68 ci-dessus) sans autres garanties procédurales et compte tenu du caractère hautement sensible du dossier. Pour les mêmes raisons, il soutient que la grâce présidentielle ne satisfait pas aux exigences de l'article 3 de la Convention. Enfin, il fait valoir que la semi-liberté ne permet pas un réexamen de la peine susceptible d'y mettre fin, mais qu'elle constitue une modalité de son exécution.
77. S'agissant en second lieu du risque d'être détenu dans des conditions indignes, le requérant considère qu'il subira sans nul doute de telles conditions au regard de la situation décrite au sein de l'établissement pénitentiaire de la MACO. Il renvoie à cet égard aux rapports du Comité des Nations unies contre la torture (paragraphe 55 ci-dessus), des ONG telles qu'Amnesty International (paragraphe 61 ci-dessus), ainsi que des constatations du Département d'État américain (paragraphe 59 ci-dessus). Il indique verser au dossier des témoignages démontrant que la MACO n'est pas épargnée par les conditions de détention déplorables caractérisant les établissements pénitentiaires du Burkina Faso. Il fait valoir que les assurances fournies à cet égard ne sont pas étayées et restent imprécises dans leur dernier état résultant du contenu des lettres de janvier et avril 2022 (paragraphes 30 et 36 ci-dessus). Il relève que le gouvernement burkinabè n'a pas communiqué de pièces notamment photographiques illustrant les bonnes conditions de détention alléguées et a reconnu l'absence de données disponibles en l'absence de rapports de visites des ONG dans le quartier de la MACO réservé aux personnalités. Le requérant en conclut que ces assurances ne sont pas fiables.
78. Enfin, concernant la question du risque d'être soumis à des actes de torture, le requérant soutient qu'il résulte tout autant de la situation générale du système carcéral et policier au Burkina Faso - la torture étant dénoncée de manière constante par les ONG internationales - que de sa situation personnelle, dès lors que sa famille est accusée par le gouvernement en place d'être liée aux terroristes djihadistes responsables de la crise sécuritaire et humanitaire majeure dans la région. Il fait valoir que de telles accusations sont de nature à lui faire courir un risque avéré d'être soumis à des actes de torture ou de mauvais traitements de la part des forces de l'ordre en charge de la lutte contre ces terroristes. Sur ce point également, le requérant considère que les assurances diplomatiques fournies par le Burkina Faso ne remplissent pas les critères définis par la Cour dans sa jurisprudence Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni (voir paragraphe 98 ci-dessous).
79. Pour l'ensemble de ces raisons, le requérant soutient que les juridictions nationales ont procédé à un examen incomplet et superficiel de sa situation au regard du risque de subir des traitements contraires à l'article 3 de la Convention, alors que les atteintes à l'intégrité physique des détenus sont courantes au Burkina Faso et font l'objet d'une impunité généralisée en raison de l'inertie des autorités judiciaires. Il fait état, en dernier lieu, de la montée d'un sentiment anti-français au sein d'une partie de la population et des forces de l'ordre du dernier gouvernement de transition burkinabè (paragraphe 39 ci-dessus), qui est de nature à aggraver ce risque.
b) Le Gouvernement
80. Le Gouvernement considère tout d'abord que doit être écartée l'idée qu'une situation générale de violence règne au Burkina Faso, même si des cas de violations graves des droits de l'homme ont été recensés dans le pays. Il conteste également le fait, invoqué par le requérant, que la seule qualité de frère de l'ancien président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, suffise à établir un risque personnel et réel de subir des mauvais traitements empêchant tout retour vers ce pays. Il renvoie à cet égard à la libération provisoire (sous contrôle judiciaire) décidée au bénéfice de trois co-inculpés du requérant dans la même affaire criminelle, en vertu d'un arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Ouagadougou du 29 août 2019, alors qu'il s'agit de proches de l'ancien président (voir paragraphe 23 ci-dessus). Il souligne qu'il en a été de même pour d'autres personnalités politiques de premier plan du gouvernement ou de l'entourage de l'ancien président, mis en cause dans le dossier relatif à la tentative de coup d'État au Burkina Faso en 2015, qui ont bénéficié de libérations provisoires puis de jugements de condamnation à des peines inférieures à l'emprisonnement à vie en 2019. L'un d'entre eux a également fait l'objet d'une évacuation vers la France pour raison sanitaire en 2020. Le Gouvernement rappelle que les juridictions internes ont dûment examiné le moyen selon lequel la demande d'extradition serait fondée sur des mobiles politiques, avant de le rejeter (voir paragraphes 19 et 21 in fine ci-dessus).
81. Le Gouvernement fait valoir ensuite que l'appréciation du risque d'atteinte à l'article 3 de la Convention, dont la preuve repose sur le requérant, doit être effectuée par référence aux circonstances dont l'État en cause avait ou devait avoir connaissance au moment de la décision d'éloignement.
82. S'agissant de la première branche du grief portant sur le risque de subir une peine d'emprisonnement incompressible, il souligne l'absence d'incompatibilité d'une peine de réclusion perpétuelle avec l'article 3 de la Convention lorsqu'il existe une perspective de libération à l'occasion d'un réexamen de la peine. Il fait valoir à cet égard que les réformes au Burkina Faso ont abouti en matière pénale à ce que, outre la grâce présidentielle, la personne condamnée à une peine d'emprisonnement à vie puisse désormais solliciter sa libération conditionnelle après vingt-cinq ans d'exécution de sa peine (articles 614-1 à 614-5 du CPP burkinabè, voir paragraphe 68 ci-dessus), contrairement à ce que prévoyait le droit bulgare dans l'affaire Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie (nos 15018/11 et 61199/12, CEDH 2014 (extraits)). Le Gouvernement fait valoir en outre qu'une même durée minimale de vingt-cinq ans d'emprisonnement à effectuer avant toute demande d'élargissement a déjà été considérée dans la jurisprudence de la Cour comme relevant de la marge d'appréciation de l'État en matière de justice criminelle, de même que le réexamen de la situation du détenu par une autorité relevant du pouvoir exécutif (Hutchinson c. Royaume-Uni [GC], no 57592/08, §§ 44 et 50, 17 janvier 2017). Il soutient que l'argument du requérant selon lequel il ne pourra pas bénéficier d'une libération conditionnelle avant un âge très avancé est indifférent, celui-ci pouvant au demeurant obtenir une grâce présidentielle plus tôt et solliciter des autorisations de sortie.
83. Le Gouvernement insiste par ailleurs sur les demandes répétées des autorités judiciaires et administratives internes pour que les autorités burkinabè fournissent des assurances diplomatiques suffisantes et le soin avec lequel ces garanties ont été examinées par les juridictions internes et l'État français. Il soutient qu'on ne saurait faire grief à l'État qui demande l'extradition du caractère récent de ses réformes en matière pénale, ne permettant pas de disposer d'exemples de libérations conditionnelles (Iorgov c. Bulgarie (no 2), no 36295/02, §§ 52-60, 2 septembre 2010) et que les vérifications susmentionnées, ainsi que les conditions précises attachées au décret accordant l'extradition sont de nature à garantir l'absence de risque d'atteinte à l'article 3 de la Convention.
84. S'agissant de la seconde branche du grief relative aux conditions de détention dénoncées par le requérant, le Gouvernement soutient que les mauvaises conditions générales caractérisant les établissements pénitentiaires du pays de destination ne sont pas suffisantes pour constituer un risque d'atteinte à l'article 3 précité. En l'espèce, et en référence à l'arrêt de la Cour dans l'affaire Bivolaru et Moldovan c. France (nos 40324/16 et 12623/17, §§ 143-144, 25 mars 2021), il fait valoir que les allégations du requérant concernant l'existence de conditions indignes, en particulier dans le quartier d'amendement des hautes personnalités, ne sont pas suffisamment étayées pour constituer un commencement de preuve d'un tel risque. Au contraire, il soutient que les garanties fournies à cet égard par les autorités burkinabè étaient claires, précises et circonstanciées, ce qui a également été relevé par les juridictions internes. Ces conditions de détention ont été différenciées de celles des autres maisons d'arrêt et de correction du pays, qui connaissent notamment une importante surpopulation carcérale. De plus, le Gouvernement fait valoir que ces établissements ne sont pas fermés aux ONG locales et internationales de contrôle du respect des droits des détenus. Enfin, il souligne que les conditions améliorées de détention devant bénéficier au requérant ont conditionné le décret autorisant son extradition, ainsi que la possibilité de visites des agents diplomatiques ou consulaires français.
85. Sur la question de la validité dans le temps des assurances diplomatiques fournies de manière réitérée par les autorités burkinabè, le Gouvernement observe que le décret d'extradition a été signé au mois de février 2020, à une date antérieure à la réélection sans difficulté du Président R. Kaboré au mois de décembre 2020, soit à une époque où la stabilité du gouvernement du pays de destination était incontestable.
86. Il s'oppose à la thèse du requérant concernant le défaut de pérennité de l'État burkinabè à la suite des événements politiques survenus en janvier 2022. Il fait valoir que malgré la dissolution du gouvernement en place, les affaires courantes ont par la suite été traitées par les secrétaires généraux des ministères et qu'un gouvernement « essentiellement civil » a été installé le 5 mars 2022, dont il justifie de la composition (22 ministres civils sur 25, dont le ministre de la Justice et le Premier ministre). Des Assises nationales de la Transition ont eu lieu fin février 2022 et une Charte de la Transition a été adoptée le 1er mars 2022, organisant les pouvoirs de la période de transition pour 36 mois. Une Assemblée législative de la Transition a également été installée le 22 mars 2022, dont le président est également une personnalité civile.
87. Le Gouvernement fait valoir l'existence de relations diplomatiques fortes et durables entre la France et le Burkina Faso depuis son accession à l'indépendance en 1960, et ce, quels que soient les changements politiques. Il souligne ainsi la réitération des assurances diplomatiques par le régime de transition à travers les courriers des 28 mars et 19 avril 2022 du ministre de la Justice burkinabè (paragraphe 36 ci-dessus). Il fait état, enfin, de la participation du ministre au Comité des Nations unies pour la protection des droits des travailleurs migrants en mars 2022, ou encore du Burkina Faso au sommet de la CEDEAO du 3 juillet 2022 à Accra, qui a mené à la levée des sanctions économiques à l'encontre du pays et atteste de la volonté de ce dernier de coopérer avec les organismes internationaux de contrôle. Le Gouvernement estime en conséquence que les critères définis par la Cour dans son arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni (no 8139/09, §§ 185 et 189, CEDH 2012 (extraits)) pour apprécier le caractère suffisant des assurances diplomatiques fournies par l'État qui demande l'extradition sont remplis.
88. Le Gouvernement fait valoir ensuite que les craintes du requérant relatives à l'existence d'une animosité des nouveaux dirigeants politiques du pays à l'encontre de sa famille, à laquelle ils reprocheraient des liens avec les terroristes djihadistes, sont contredites par la présence de plusieurs des anciens membres du régime du président Blaise Compaoré parmi les membres du régime de transition. Il fait valoir que l'État burkinabè s'est engagé à garantir l'intégrité physique du requérant et le respect de sa dignité dans son courrier du 2 avril 2021, et que ces assurances ont été expressément reprises par le nouveau régime le 28 mars 2022. Il précise que, compte tenu du délai écoulé depuis le décret accordant l'extradition en l'espèce, toute mise à exécution de cette décision sera en tout état de cause précédée d'un nouvel examen attentif par le gouvernement français du respect par l'État burkinabè de la réunion effective des conditions énoncées dans le décret.
89. Enfin, le Gouvernement souligne l'existence d'un risque de déni de justice en l'absence d'extradition du requérant. En effet, ni la nationalité de ce dernier ni celle des victimes ni la qualification des faits poursuivis au Burkina Faso ne sont de nature à permettre que le requérant soit jugé en France en vertu des dispositions du code pénal (articles 113-6, 113-7, 113-10, 113-13, 113-14 et 698-1 à 698-7). Il en est de même lorsque, comme en l'espèce, les autorités françaises n'ont pas non plus opposé un refus d'extradition à l'État qui l'a demandée (article 113-8-2 du même code).
a) Principes généraux
90. L'article 3 de la Convention, qui prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, consacre l'une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques. Il ne prévoit pas de restrictions, et d'après l'article 15, il ne souffre nulle dérogation, même en cas de danger public menaçant la vie de la nation (voir, parmi beaucoup d'autres, Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 163, série A no 25, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 95, CEDH 1999-V, Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie, no 36378/02, § 335, CEDH 2005-III, R c. France, no 49857/20, § 109, 30 août 2022, et Sanchez-Sanchez c. Royaume-Uni [GC], no 22854/20, § 78, 3 novembre 2022).
91. Il est ainsi établi dans la jurisprudence de la Cour que les États ont l'obligation de ne pas extrader une personne vers un pays qui en fait la demande lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé, si on le renvoie vers le pays de destination, y courra un risque réel d'être soumis à un traitement contraire à l'article 3, et donc de s'assurer qu'un tel risque n'existe pas (Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 88, série A no 161, López Elorza c. Espagne, no 30614/15, § 102, 12 décembre 2017, Romeo Castaño c. Belgique, no 8351/17, § 92, 9 juillet 2019, Einhorn c. France (déc.), no 71555/01, § 25, CEDH 2001-XI, et Bivolaru et Moldovan, précité, §§ 107-109).
92. À cet égard, il est aussi utile de renvoyer aux principes généraux applicables dans le contexte, certes différent, de l'expulsion tels qu'ils ont été résumés dans les arrêts F.G. c. Suède ([GC], no 43611/11, §§ 111-127, 23 mars 2016) et J.K. et autres c. Suède ([GC], no 59166/12, §§ 79-105, 23 août 2016). Dans les affaires d'extradition, l'obligation de coopérer en matière internationale, qui pèse sur les États contractants, est assujettie à l'obligation faite aux mêmes États de respecter le caractère absolu de l'interdiction posée par l'article 3 de la Convention. Dès lors, toute allégation relative à l'existence d'un risque réel d'être soumis à un traitement contraire à l'article 3 en cas d'extradition vers tel ou tel pays doit faire l'objet du même degré de contrôle quelle que soit la base juridique de l'éloignement (Khasanov et Rakhmanov c. Russie [GC], no 28492/15 et 49975/15, § 94, 29 avril 2022, et Sanchez-Sanchez, précité, §§ 83-87).
93. La Cour renvoie aux principes généraux applicables en ce qui concerne les peines d'emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle et leur compatibilité avec l'article 3 de la Convention prohibant la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, qui ont été récemment posés dans l'arrêt de Grande Chambre Sanchez-Sanchez (précité, §§ 78-99). Dans cet arrêt, la Cour a notamment rappelé les principes dégagés dans l'affaire Vinter et autres c. Royaume Uni ([GC], no 66069/09 et 2 autres, §§ 104-122, CEDH 2013 (extraits)), qui ont vocation à s'appliquer dans un contexte interne, lorsque la situation du requérant, qui a déjà été jugé coupable et condamné, est connue. Distinguant cette situation du contexte de l'extradition, elle a défini une nouvelle approche par rapport à sa jurisprudence antérieure issue de l'arrêt Trabelsi c. Belgique (no 140/10, §§ 136-138, CEDH 2014 (extraits)). Elle considère désormais que le constat d'une violation de l'article 3 d'un requérant qui n'a pas encore été condamné doit être concilié avec l'intérêt général de la société à ce que justice soit rendue en matière pénale (López Elorza, précité, § 111), ainsi qu'avec l'intérêt des États contractants à respecter leurs obligations conventionnelles internationales (Khasanov et Rakhmanov, précité, § 94), qui visent à empêcher la création de refuges pour les personnes accusées des infractions pénales les plus graves.
94. Par conséquent, en matière d'extradition, une approche modulée s'impose et il convient d'adopter une analyse en deux étapes (Sanchez-Sanchez, précité, §§ 95-97, et Hafeez c. Royaume-Uni (déc.), no 14198/20, § 37, 28 mars 2023). Dans un premier temps, il faut établir si le requérant a produit des éléments susceptibles de démontrer qu'il existe des raisons sérieuses de penser que son extradition et sa condamnation l'exposeraient à un risque réel de se voir infliger la réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. Dans un second temps, s'il est démontré l'existence d'un tel risque par le requérant, il faut s'assurer que, avant d'autoriser l'extradition, les autorités concernées de l'État défendeur ont vérifié qu'il existe, au sein de l'État d'accueil et dès le prononcé de la peine, un mécanisme de réexamen de celle-ci, permettant aux autorités nationales d'examiner les éventuels progrès accomplis par le détenu sur le chemin de l'amendement ou tout autre motif d'élargissement fondé sur son comportement ou sur d'autres éléments pertinents tirés de sa situation personnelle.
95. Pour vérifier l'existence d'un risque de mauvais traitements, la Cour doit examiner les conséquences prévisibles du renvoi du requérant dans le pays de destination de l'expulsion ou à l'origine de la demande d'extradition (F.G. c. Suède, précité, § 120, et Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, § 130, CEDH 2008), en tenant compte à la fois des circonstances propres au cas du requérant mais également de la situation générale dans le pays en question (Allanazarova c. Russie, no 46721/15, § 69, 14 février 2017). À cette fin, elle ne peut éviter d'apprécier la situation dans ce pays à l'aune des exigences de l'article 3. Il ne s'agit pas pour autant de faire de la Convention un instrument régissant les actes d'un État tiers ni de prétendre exiger des États contractants qu'ils imposent des normes à cet État (Soering, précité, § 86, et López Elorza, précité, § 104).
96. À cet égard, la Cour examinera s'il existe une situation générale de violence dans le pays de destination (Sufi et Elmi c. Royaume-Uni, nos 8319/07 et 11449/07, § 216, 28 juin 2011, et F.G. c. Suède, précité, § 114). Toutefois, une situation générale de violence n'est en principe pas à elle seule suffisante pour entraîner une violation de l'article 3 en cas d'expulsion vers le pays en question, sauf si la violence est d'une intensité telle que tout renvoi dans ce pays emporterait une pareille violation. La Cour n'adopterait une telle approche que dans les cas de violence générale les plus extrêmes où l'intéressé courrait un risque réel de subir des mauvais traitements du seul fait que son retour dans le pays en question l'exposerait à cette violence (Sufi et Elmi, précité, § 218, Khasanov et Rakhmanov, précité, § 96, et Liu c. Pologne, no 37610/18, § 66, 6 octobre 2022).
97. En ce qui concerne la charge de la preuve, la Cour rappelle qu'elle pèse en principe sur le requérant. Dans le contexte d'une mesure d'éloignement, il y a lieu de souligner qu'une part de spéculation est inhérente à la fonction préventive de l'article 3 et qu'il ne s'agit pas d'exiger des intéressés qu'ils apportent une preuve certaine de leurs affirmations qu'ils seront exposés à des traitements prohibés (X c. Suède, no 36417/16, § 74, 9 janvier 2018, et W c. France, no 1348/21, § 67, 30 août 2022). Lorsque de tels éléments sont produits, il incombe au Gouvernement de dissiper les doutes éventuels qu'ils pourraient faire naître (J.K. et autres c. Suède, précité, § 91, Allanazarova, précité, § 71, et A.M. c. France, no 12148/18, §§ 118 et 119, 29 avril 2019).
98. La Cour s'est également penchée sur la fourniture par l'État d'accueil d'assurances, qui constituent un facteur important supplémentaire dont elle tient compte. Cependant, les assurances, qui sont certes des engagements diplomatiques forts, ne sont toutefois pas en elles-mêmes suffisantes pour garantir une protection satisfaisante contre le risque de mauvais traitements. Il faut absolument vérifier par ailleurs qu'elles prévoient, dans leur application pratique, une garantie suffisante que le requérant sera protégé contre le risque de mauvais traitements. En outre, le poids à leur accorder dépend, dans chaque cas, des circonstances prévalant à l'époque considérée (Saadi, précité, § 148, et Othman (Abu Qatada), précité, § 187). La première question qui se pose est celle de savoir si la situation générale en matière de droits de l'homme dans l'État d'accueil n'est pas telle qu'il doit être exclu d'accepter quelque assurance que ce soit de sa part (voir paragraphe 96 ci-dessus et, pour des exemples, Othman (Abu Qatada), précité, § 188). Le plus souvent, la Cour apprécie d'abord la qualité des assurances données puis, à la lumière des pratiques de l'État d'accueil, elle évalue leur fiabilité. Ce faisant, elle tient compte notamment des facteurs suivants (voir Othman (Abu Qatada), précité, § 189 et les nombreuses références citées) :
i. le fait que les termes des assurances lui aient ou non été communiqués ;
ii. le caractère soit précis soit général et vague des assurances ;
iii. l'auteur des assurances et sa capacité ou non à engager l'État d'accueil ;
iv. dans les cas où les assurances ont été données par le gouvernement central de l'État d'accueil, la probabilité que les autorités locales les respectent ;
v. le caractère légal ou illégal dans l'État d'accueil des traitements au sujet desquels les assurances ont été données ;
vi. le fait qu'elles émanent ou non d'un État contractant ;
vii. la durée et la force des relations bilatérales entre l'État d'envoi et l'État d'accueil, y compris l'attitude passée de l'État d'accueil face à des assurances analogues ;
viii. la possibilité ou non de vérifier objectivement le respect des assurances données par des mécanismes diplomatiques ou par d'autres mécanismes de contrôle, y compris la possibilité illimitée de rencontrer les avocats du requérant ;
ix. l'existence ou non d'un vrai système de protection contre la torture dans l'État d'accueil et la volonté de cet État de coopérer avec les mécanismes internationaux de contrôle (dont les ONG de défense des droits de l'homme), d'enquêter sur les allégations de torture et de sanctionner les auteurs de tels actes ;
x. le fait que le requérant ait ou non déjà été maltraité dans l'État d'accueil ; et
xi. l'examen ou l'absence d'examen par les juridictions internes de l'État de départ/de l'État contractant de la fiabilité des assurances.
99. Si le requérant se trouve encore dans l'État contractant, la date à retenir pour l'appréciation du risque de subir des mauvais traitements doit être celle de l'examen de l'affaire par la Cour. Une évaluation complète et ex nunc est requise lorsqu'il faut prendre en compte des informations apparues après l'adoption par les autorités internes de la décision définitive de renvoi de l'intéressé vers le pays d'accueil (F.G. c. Suède, précité, § 115, et Sanchez-Sanchez, précité, § 88). Pareille situation se produit généralement lorsque, comme dans la présente affaire, la mesure d'éloignement est retardée en raison de l'indication par la Cour d'une mesure provisoire au titre de l'article 39 du règlement (paragraphe 31 ci-dessus). Dès lors que la responsabilité que l'article 3 fait peser sur les États contractants dans les affaires de cette nature tient à l'acte consistant à exposer un individu au risque susmentionné, l'existence de ce risque doit s'apprécier principalement par référence aux circonstances dont l'État en cause avait ou devait avoir connaissance au moment de l'éloignement.
100. Lorsqu'il y a eu une procédure interne portant sur les faits litigieux, il n'entre pas dans les attributions de la Cour de substituer sa propre vision des faits à celle des cours et tribunaux internes, auxquels il appartient en principe de peser et d'apprécier les données qu'ils ont pu recueillir (voir, en matière d'expulsion, R c. France, précité, § 110, et, en matière d'extradition, Liu, précité, § 67). La Cour doit établir que l'appréciation livrée par les autorités de l'État contractant est adéquate et suffisamment étayée par les données internes et par celles provenant d'autres sources fiables et objectives, par exemple d'autres États contractants ou des États tiers, des organes des Nations unies et des organisations non gouvernementales réputées pour leur sérieux (Khasanov et Rakhmanov, précité, § 103).
b) Application des principes précités au cas d'espèce
101. Concernant tout d'abord la situation générale au Burkina Faso au regard des institutions de l'État et plus particulièrement du système judiciaire, la Cour note d'emblée que des changements majeurs sont intervenus dans la politique interne du pays depuis le premier coup d'État du 24 janvier 2022 (voir paragraphes 32-41 ci-dessus).
102. La Cour considère qu'il ne lui appartient pas de donner un avis sur la forme du gouvernement politique adoptée par cet État. Le rôle de la Cour consiste à prendre en considération tous les éléments à sa disposition, y compris si nécessaire les éléments obtenus proprio motu (voir Venkadajalasarma c. Pays-Bas, no 58510/00, § 63, 17 février 2004), pour apprécier les conditions du respect de l'article 3 de la Convention en cas de retour dans l'État qui a demandé l'extradition. Dans ce cadre, elle doit en particulier se pencher sur les assurances diplomatiques fournies par cet État, qui doivent être d'une qualité et d'une fiabilité suffisantes (paragraphe 98 ci-dessus).
103. À cet égard, la Cour n'est pas convaincue par l'argument du requérant selon lequel, à la date à laquelle les autorités internes ont eu à examiner la demande d'extradition le visant, la situation générale en matière de respect des droits de l'homme au Burkina Faso interdisait d'accepter quelque assurance que ce soit du gouvernement de cet État. Sans ignorer les éléments cohérents et inquiétants des rapports internationaux faisant état de conditions de détention pouvant être décrites comme inhumaines et dégradantes dans certains établissements pénitentiaires, y compris au sein de la maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou (la « MACO ») (voir paragraphes 55, 59-63 ci-dessus), la Cour rappelle que, pour autant, il est toujours possible de demander des assurances même en cas de problème systémique de torture et de mauvais traitements dans l'État d'accueil (Othman (Abu Qatada), précité, § 193). De plus, en l'espèce, elle estime plutôt que par de nombreux échanges d'informations précises sollicitées en particulier par les juridictions internes puis le gouvernement français, ce dernier et le gouvernement burkinabè se sont véritablement efforcés, l'un d'obtenir, l'autre de fournir des réponses et des assurances transparentes et détaillées (paragraphes 13-30 ci-dessus) garantissant non seulement que les éléments d'incrimination fournis à l'encontre du requérant étaient objectifs et ne visaient pas des poursuites de nature politique, mais également que le requérant ne serait pas maltraité à son retour au Burkina Faso (mutatis mutandis, concernant l'expulsion d'un requérant vers la Jordanie, Othman (Abu Qatada), précité, § 194).
104. Ainsi, les juridictions judiciaires chargées, lors de la première phase de la procédure d'extradition (paragraphes 44-45 ci-dessus), de contrôler la conformité de la demande présentée par l'État burkinabè avec les garanties découlant de l'article 3 de la Convention, ont procédé à un examen exhaustif des craintes exprimées par le requérant et ont motivé leurs décisions, avant de donner un avis favorable à l'extradition. Elles ont en effet pris en compte tant la suppression de la peine de mort dans le code pénal burkinabè et son remplacement par une peine d'emprisonnement à vie susceptible d'aménagement, que les conditions de détention particulières et plus favorables aménagées pour les hautes personnalités du pays au sein de la MACO, en prenant soin de les différencier des conditions bien plus dures prévalant dans les autres établissements pénitentiaires et les autres quartiers du même établissement, caractérisées par une surpopulation carcérale endémique (paragraphes 19 et 21 ci-dessus).
105. Au cours du deuxième temps de la procédure d'examen de la demande d'extradition (paragraphe 46 ci-dessus), et avant l'adoption du décret accordant l'extradition, le ministre de la Justice français a sollicité de nouvelles informations et assurances diplomatiques des autorités burkinabè. Ces nouvelles assurances ont été rapidement fournies. Elles portaient tout autant sur les conditions de détention au sein du quartier d'amendement de la MACO, dans lequel le requérant devait être détenu le cas échéant, et sur la possibilité de visites régulières des ONG et de contrôles au titre de l'examen périodique universel (EPU) de l'ONU, que sur un exposé détaillé des différents aménagements d'une peine d'emprisonnement à vie applicables depuis les récentes réformes législatives entrées en vigueur à cette date (paragraphes 22-23 ci-dessus). Le décret du 21 février 2020 a accordé l'extradition mais l'a assortie de plusieurs conditions reprenant les assurances diplomatiques susmentionnées, outre des garanties relatives à l'accès aux soins médicaux et aux droits de la défense du requérant en cas de détention (paragraphe 24 ci-dessus).
106. Enfin, lors d'un troisième temps de la procédure interne devant le Conseil d'État (paragraphe 47 ci-dessus), le requérant a pu une nouvelle fois soumettre ses arguments relatifs à ses craintes de subir des traitements inhumains et dégradants, précédemment invoquées. Après avoir sollicité et obtenu d'ultimes assurances complémentaires de la part des autorités burkinabè, ainsi que des précisions sur les engagements internationaux pris par le Burkina Faso quant au respect de l'interdiction de la torture et l'existence d'une commission nationale des droits humains chargée d'y veiller dans le pays (paragraphes 26-27 ci-dessus), la haute juridiction administrative a longuement motivé sa décision au regard des exigences de l'article 3 de la Convention, en tenant dûment compte à la fois de la situation générale dans le pays et de la situation personnelle du requérant, en sa qualité d'ancienne personnalité politique de premier rang (paragraphe 29 ci-dessus).
107. Il se déduit de ce qui précède que le cadre juridique interne applicable à la demande d'extradition du requérant prévoyait plusieurs niveaux de contrôle permettant aux autorités françaises de s'assurer, à l'issue d'un examen contradictoire et approfondi donnant lieu à des décisions motivées, qu'une fois remis aux autorités du Burkina Faso, le requérant ne serait pas soumis au risque de subir des traitements prohibés par l'article 3 de la Convention. Pour ce faire, l'État défendeur a pu bénéficier d'informations suffisamment précises, dont la fiabilité n'a pas été remise en cause à ce stade (voir, mutatis mutandis, concernant une extradition sollicitée par l'Union indienne, Salem c. Portugal (déc.), no 26844/04, 9 mai 2006, et, s'agissant d'une extradition sollicitée par la Fédération de Russie, Gasayev c. Espagne (déc.), no 48514/06, 17 février 2009).
108. De plus, la Cour relève que, s'agissant des conditions de détention plus favorables au sein du quartier d'amendement de la MACO, leur réalité a été constatée dans les rapports successifs du Département d'État américain en 2016 et 2021 (paragraphes 59-60 ci-dessus). Ces conditions y sont ainsi, par contraste, différenciées de celles qui ont pu être actées lors des visites des lieux de détention dans le pays, notamment, au sein des autres quartiers pénitentiaires de la MACO n'accueillant pas de hautes personnalités publiques, et dans lesquels persistent de graves insuffisances « assimilables à des mauvais traitements », comme la Cour l'a précédemment relevé (paragraphe 103 ci-dessus). Ainsi, les conditions imposées à l'État burkinabè par le décret d'extradition étaient de nature à répondre aux craintes du requérant à cet égard (paragraphe 24 ci-dessus), de même qu'elles pouvaient apparaître de nature à compenser l'absence d'exemples de décisions d'aménagements de peines d'emprisonnement à vie accordées précédemment par les autorités burkinabè à l'égard d'autres détenus, ce qui avait d'ailleurs été admis de manière transparente par le ministre de la Justice du Burkina Faso le 7 janvier 2022, postérieurement à la fin de la procédure interne d'extradition (paragraphe 30 ci-dessus).
109. De l'ensemble des constatations qui précèdent, il découle que les juridictions et les autorités internes se sont livrées, tout au long de la procédure d'extradition, à un examen sérieux et diligent des assurances fournies par l'État burkinabè. Pour autant et dans les circonstances spécifiques de l'espèce, la Cour n'a pas à prendre position sur les conclusions auxquelles elle serait parvenue si elle avait dû examiner la validité et la fiabilité de ces assurances diplomatiques en l'état du droit burkinabè antérieur aux coups d'État des 24 janvier et 30 septembre 2022. Elle considère, en effet, qu'en tout état de cause, les conditions nécessaires à la prise en compte de ces assurances ne sont plus aujourd'hui réunies pour les raisons qui suivent.
110. Tout d'abord, la Cour rappelle que lorsque la remise du requérant en exécution du décret d'extradition n'a pas eu lieu, le contexte historique ayant présidé aux décisions rendues sur la demande d'extradition présente certes un intérêt, dans la mesure où il peut éclairer la situation présente et son évolution probable, mais que ce sont les conditions actuelles qui sont décisives. Il est donc nécessaire de prendre en compte les informations connues postérieurement à la décision définitive adoptée par les autorités internes (voir, outre les références citées au paragraphe 99 ci-dessus, Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, pp. 1856 et 1859, §§ 86 et 97, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, Said c. Pays-Bas, no 2345/02, § 48, CEDH 2005-VI, et López Elorza, précité, § 110).
111. Or, en l'espèce, les éléments qui ont été pris en considération par les autorités internes pour écarter le risque d'atteinte à l'article 3 de la Convention en cas d'extradition du requérant vers le Burkina Faso jusqu'à l'issue de la procédure interne qui s'est achevée par l'arrêt du Conseil d'État en date du 30 juillet 2021 sont fondamentalement distincts de ceux que la Cour est amenée à apprécier au jour où elle statue.
112. En particulier, alors que l'État défendeur a porté son appréciation de ce risque au regard des très nombreuses garanties diplomatiques fournies par le Burkina Faso à différentes dates toutes contemporaines d'un gouvernement de cet État formé par un président de la République démocratiquement élu et dont les efforts pour respecter les standards internationaux en matière de droits de l'homme étaient salués (voir paragraphes 54-55 ci-dessus), la Cour ne peut que constater que les institutions internationales ont pris acte d'une grave mise en danger de ces avancées garantissant « un contexte de paix et de sécurité » à la suite de deux coups d'État successifs portant des personnalités militaires burkinabè au pouvoir et entraînant la dissolution des institutions législative et exécutive en place (paragraphes 33-34 et 40-41 ci-dessus). De plus, cette situation politique a eu pour effet, tant selon les déclarations et les actes des autorités burkinabè issues de ces bouleversements politiques que des organismes internationaux dont le Burkina Faso est membre, d'ouvrir une période de « suspension de l'ordre constitutionnel ». Cette suspension a été fixée à 36 mois par le premier chef d'État accédant au pouvoir par la force le 24 janvier 2022 et cette période a été confirmée par le second chef d'État lui ayant succédé dans les mêmes conditions le 30 septembre 2022 (paragraphes 33-35 et 39-41 ci-dessus). Cette période ne devrait donc pas prendre fin avant le mois de juillet 2024 (ibidem).
113. La Cour doit dès lors procéder à l'examen des critères de fiabilité des assurances fournies (précédemment énoncés au paragraphe 98 ci-dessus) à la lumière d'un contexte politique radicalement différent au Burkina Faso.
114. Tout d'abord et à tout le moins, elle constate qu'il ne découle pas des éléments en sa possession une remise en cause par le régime au pouvoir au Burkina Faso du caractère illégal des traitements contraires à l'article 3 de la Convention (voir paragraphes 54, 66-69 et paragraphe 98, v, ci-dessus), notamment en détention, ni des mécanismes nationaux de prévention de la torture et des traitements inhumains et dégradants mis en place ces dernières années (voir paragraphes 55 et 58 ci-dessus, s'agissant de la Commission nationale des droits humains et de l'Observatoire national pour la prévention de la torture et autres pratiques assimilées). Ainsi, sur le plan des principes et officiellement, la position des nouvelles autorités dirigeantes burkinabè n'apparaît pas de nature à susciter des inquiétudes justifiant, à elles-seules, le rejet de la prise en compte de toute assurance diplomatique quelle qu'elle soit.
115. Reste que la fiabilité de telles assurances obtenues par l'État défendeur dépend aussi du fait qu'elles doivent être replacées dans le contexte dans lequel elles ont été données (Othman (Abu Qatada), précité, § 195).
116. À cet égard, la Cour n'a pas de raison de remettre en cause les observations du Gouvernement lorsqu'il fait état de relations diplomatiques de longue date avec le Burkina Faso, qui est l'un des critères importants de fiabilité des assurances (voir paragraphe 98, vii, ci-dessus, Othman (Abu Qatada), précité, ibidem, Harkins et Edwards c. Royaume-Uni, nos 9146/07 et 32650/07, § 85, 17 janvier 2012, et McCallum c. Italie (déc.) [GC], no 20863/21, § 51, 21 septembre 2022), et ce quels que soient les changements politiques successifs depuis l'accession du pays à l'indépendance en 1960 (paragraphe 87 ci-dessus). Elle note toutefois que les relations diplomatiques entre les deux pays se sont indéniablement détériorées ces derniers mois, en particulier depuis le second coup d'État du 30 septembre 2022 (voir paragraphe 39 ci-dessus).
117. Comme la Cour l'a également rappelé, il importe que les assurances soient données par des autorités aptes à engager l'État d'accueil (voir paragraphe 98, iii). Pour que ce critère soit effectif, la Cour a déjà été amenée à vérifier que l'autorité émettrice des assurances représentait suffisamment l'État en question (voir, pour un exemple en ce sens, Othman (Abu Qatada), précité, ibidem, et, a contrario, Soldatenko c. Ukraine, no 2440/07, § 73, 23 octobre 2008, Ben Khemais c. Italie, no 246/07, § 59, 24 février 2009, Baysakov et autres c. Ukraine, no 54131/08, § 51, 18 février 2010, et Garayev c. Azerbaïdjan, no 53688/08, § 74, 10 juin 2010). En l'espèce, il s'agit de vérifier que « l'État d'accueil » en cause est bien celui qui sera tenu au respect des assurances données au jour de la remise du requérant par l'État défendeur.
118. À cet égard, la Cour considère que s'il en allait sans conteste ainsi à la date où les assurances ont été données aux autorités internes lorsqu'elles émanaient du gouvernement démocratiquement constitué du Burkina Faso, la question de la fiabilité des engagements pris par les autorités burkinabè concernant les conditions du retour du requérant se posait légitimement après le premier coup d'État du 24 janvier 2022 (paragraphe 32 ci-dessus). Or, un changement de la base factuelle d'une affaire que la Cour doit examiner peut s'avérer décisif pour l'issue de la procédure devant elle, notamment en matière d'extradition lorsqu'il s'agit de prendre en compte de nouvelles informations ayant trait à l'existence, la qualité ou la fiabilité des assurances diplomatiques fournies par l'État de destination (voir, par exemple, s'agissant de la prise en compte d'un nouvel engagement des autorités internes compétentes, McCallum (déc.) [GC], précitée, § 50).
119. En l'espèce, la Cour observe que, dans un premier temps, et comme le soutient le Gouvernement dans ses observations (voir paragraphe 86 ci-dessus), le premier gouvernement de transition a paru maintenir une forme de « stabilité » des engagements de l'État burkinabè du fait de la réitération des assurances le 28 mars 2022 par le nouveau ministre de la Justice issu de la société civile. Le 19 avril 2022, ce dernier a également confirmé et précisé les conditions de détention plus favorables qui seraient, le cas échéant, appliquées au requérant au sein de la MACO en cas de remise de ce dernier aux autorités du Burkina Faso (paragraphe 36 ci-dessus).
120. Cependant, la Cour constate que ces assurances n'ont pas été confirmées par le second gouvernement de transition mis en place par le nouveau chef d'État qui a accédé au pouvoir le 30 septembre 2022, et que le Gouvernement, qui a eu communication des dernières observations du requérant sur ce point en date du 19 octobre 2022 (paragraphe 74 ci-dessus), n'a fait aucun commentaire. Il n'a ainsi été fait état d'aucune correspondance postérieure des autorités burkinabè relative à l'actualité des précédentes assurances diplomatiques fournies à l'État français.
121. La Cour en déduit que, contrairement à ce qu'elle avait pu constater dans l'arrêt Othman (Abu Qatada) (précité, ibidem), aux termes duquel les autorités jordaniennes avaient conclu avec l'État défendeur un « mémorandum d'entente » complet attestant du respect des assurances données en cas de retour dans le pays d'accueil, il n'existe plus en l'espèce les mêmes éléments permettant de s'assurer, au jour où la Cour statue, de la fiabilité des assurances fournies par le Burkina Faso par le passé et sur lesquelles les autorités internes se sont exclusivement fondées pour motiver leurs décisions accordant l'extradition du requérant.
122. Cette situation est donc de nature à remettre en cause d'autres critères de fiabilité des assurances fournies, à savoir l'existence d'un réel « examen par les juridictions internes de l'État de départ/de l'État contractant [la France en l'espèce] de la fiabilité des assurances » (paragraphe 98, xi, ci-dessus), la possibilité pour cet État de vérifier objectivement leur respect « par des mécanismes diplomatiques ou d'autres mécanismes de contrôle » (ibidem, viii), ou encore « la volonté de l'État d'accueil de coopérer avec les mécanismes internationaux de contrôle » (ibidem, ix). Dans le contexte d'une demande d'extradition émanant d'un État qui n'est pas partie à la Convention (la qualité d'État contractant étant également l'un des critères de fiabilité des assurances fournies, voir, ibidem, vi), ces critères revêtent une importance certaine.
123. La Cour rappelle ensuite qu'elle doit être mise en mesure de contrôler qu'il a été procédé en temps utile à l'analyse des risques attendue au regard de l'article 3 de la Convention, laquelle implique un examen, au besoin d'office, des risques connus ou pouvant être connus à la date de la mesure d'éloignement (R c. France, précité, § 142). Elle rappelle également que, sans préjudice de la charge de la preuve, une évaluation complète et ex nunc du grief du requérant est requise lorsqu'il faut prendre en compte des éléments apparus après l'adoption par les autorités internes de la décision définitive (K.I. c. France, no 5560/19, § 141, 15 avril 2021).
124. En l'espèce, la Cour relève qu'alors même qu'il s'était engagé à le faire avant toute mise à exécution du décret d'extradition (voir paragraphe 88 ci-dessus), le gouvernement français s'est abstenu, à ce jour, de procéder d'office au réexamen de la situation dans le pays d'accueil et des risques pour le requérant de subir des traitements contraires à l'article 3 de la Convention au regard des bouleversements politiques majeurs précédemment décrits. Des incertitudes en découlent en ce qui concerne la validité actuelle des assurances diplomatiques assortissant le décret d'extradition du 21 février 2020. La question est dès lors de savoir si, pour les raisons déjà exposées (paragraphes 117-121 ci-dessus), ces assurances continuent à engager l'État burkinabè au cours de la période transitoire de « suspension de l'ordre constitutionnel », s'agissant à la fois de l'application des dispositions du code pénal relatives à l'aménagement des peines d'emprisonnement à vie et des conditions de détention applicables au requérant. Or, ces incertitudes n'ont pas été dissipées au jour où la Cour statue, faute d'actualisation des garanties diplomatiques précédemment obtenues.
125. La Cour note à cet égard que les parties, dont les observations ont été échangées alors que les bouleversements politiques susmentionnés étaient en cours, n'ont pas fait état de la possibilité pour elles d'user des voies de droit disponibles pour procéder à un examen actualisé de l'incidence éventuelle des deux coups d'État successifs sur le risque pour le requérant d'être soumis à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention. Le Gouvernement n'a pas précisé pour quelles raisons il n'avait pas sollicité les autorités burkinabè « de transition » afin d'obtenir de nouvelles garanties quant au maintien des engagements de l'État burkinabè, alors qu'il avait précédemment formé une demande en ce sens avant l'édiction du décret d'extradition du 21 février 2020 (paragraphe 22 ci-dessus). De son côté, le requérant, qui était représenté par un avocat, n'a pas indiqué à la Cour pour quelles raisons il n'avait pas sollicité l'abrogation du décret d'extradition pour les mêmes motifs, renonçant ainsi, en cas de refus même implicite de l'État défendeur, à exercer un recours pour excès de pouvoir à l'encontre de ce refus, comme la jurisprudence du Conseil d'État l'y autorisait pourtant (paragraphe 50 ci-dessus). De l'avis de la Cour, si elle est compétente pour indiquer le cas échéant à l'État défendeur de ne pas extrader un requérant pendant la durée de la procédure devant elle en application de l'article 39 de son règlement, cet État garde intact son pouvoir d'appréciation du bien-fondé de la mesure d'extradition qu'il a accordée et ce tant que celle-ci n'est pas exécutée. En outre, le fait que le requérant n'ait pas présenté de demande d'abrogation du décret litigieux en invoquant de nouvelles circonstances postérieures à son édiction n'exonère pas l'État défendeur d'un tel réexamen ex nunc du grief tiré de l'article 3 de la Convention.
126. La Cour constate en conséquence qu'au moment où elle statue, l'absence de prise en compte par les autorités internes du nouveau contexte politique et constitutionnel dans le pays d'accueil, en particulier, comme elle l'a relevé précédemment (paragraphe 117 ci-dessus), quant à la question de savoir si les assurances sur lesquelles les décisions accordant l'extradition étaient fondées restaient de nature à engager l'État burkinabè, ne lui permet pas de considérer que le risque allégué par le requérant de subir des traitements contraires à l'article 3 de la Convention a été écarté en l'état actuel de la procédure d'extradition. Il en est ainsi tant au regard du risque pour le requérant de ne pas être détenu dans le quartier de la MACO réservé aux personnalités que de celui d'être condamné à une peine d'emprisonnement à vie incompressible au Burkina Faso.
127. Ni le fait que, au moment de la remise de la personne à l'État qui en demande l'extradition, le Gouvernement affirme se préoccuper de vérifier, en raison du temps écoulé depuis l'édiction du décret d'extradition, « la réunion effective des conditions énoncées dans le décret » (paragraphe 88 in fine ci-dessus), ni le fait que la décision révélée par la mise en œuvre tardive du décret soit susceptible d'un nouveau recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'État (paragraphe 51 ci-dessus), ne sont de nature à changer cette conclusion dès lors qu'il s'agirait en l'espèce d'une vérification de la fiabilité des assurances diplomatiques postérieure au contrôle de la Cour et sur laquelle elle ne pourrait donc pas se prononcer.
128. Enfin, s'agissant de l'affirmation du requérant selon laquelle sa notoriété l'exposerait à titre personnel à un risque plus grand en cas de renvoi au Burkina Faso, la Cour ne dispose d'aucun élément de nature à l'étayer, même s'il est exact que le chef d'État actuellement au pouvoir s'est réclamé de l'héritage de Thomas Sankara, qui trouva la mort en 1987 lors de l'arrivée au pouvoir de Blaise Compaoré, et que ce dernier a été condamné par contumace en avril 2022 à la peine d'emprisonnement à vie pour complicité d'assassinat de Thomas Sankara (paragraphes 37 et 39 ci-dessus).
129. En tout état de cause, et sans que la Cour ait à se pencher sur les craintes invoquées par le requérant à cet égard, dont il revient en premier lieu aux autorités internes françaises d'examiner la réalité, les considérations qui précèdent sont suffisantes pour lui permettre de conclure qu'il y aurait une violation de l'article 3 de la Convention en son volet procédural en cas de mise à exécution du décret d'extradition susmentionné, sans que l'État défendeur n'ait préalablement, eu égard aux changements politiques majeurs touchant au maintien de l'ordre constitutionnel dans l'État d'accueil, procédé à un examen ex nunc de la validité et de la fiabilité des assurances diplomatiques fournies par cet État, de nature à écarter le risque que le requérant soit soumis à une peine d'emprisonnement ou à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention.
130. La Cour rappelle que, en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention, le présent arrêt deviendra définitif : a) lorsque les parties auront déclaré ne pas demander le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre ; ou b) à l'expiration d'un délai de trois mois, si le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre n'a pas été demandé ; ou c) lorsque le collège de la Grande Chambre aura rejeté une demande de renvoi formée en vertu de l'article 43 de la Convention.
131. Elle considère que, jusqu'à ce moment et à moins qu'elle ne prenne une nouvelle décision à cet égard, la mesure provisoire indiquée au Gouvernement en vertu de l'article 39 du règlement (paragraphe 31 ci-dessus) doit continuer de s'appliquer (voir ci-dessous, le dispositif de l'arrêt).
132. Aux termes de l'article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
133. Le requérant demande les sommes de 1 000 000 d'euros (EUR) au titre du dommage moral qu'il estime avoir subi et découlant de l'atteinte à sa réputation et de l'extrême anxiété ressentie en raison du risque d'être « extradé vers la torture et la mort ». Il réclame également la somme de 500 000 EUR au titre du trouble dans ses conditions d'existence engendré par la procédure d'extradition.
134. Le Gouvernement demande à la Cour de rejeter ces demandes à titre principal. Outre la tardiveté de la plainte du requérant quant au trouble dans ses conditions d'existence en France, il considère que le préjudice moral allégué, qui n'est ni détaillé ni étayé par des pièces, est lié principalement au contrôle judiciaire, qui ne fait pas l'objet de la procédure devant la Cour. Se fondant sur la jurisprudence de la Cour en la matière, il fait valoir ensuite que la mesure d'extradition n'ayant pas eu lieu en l'espèce, le constat de violation de l'article 3 de la Convention constituerait une satisfaction équitable suffisante (M.G. c. Bulgarie, no 59297/12, § 83, 25 mars 2014, M.A. c. France, no 9373/15, § 83, 1er février 2018, et K.I. c. France, précité, § 155). À titre subsidiaire, le Gouvernement estime qu'une somme maximale de 2 000 EUR devrait être octroyée au requérant.
135. La Cour, eu égard aux conclusions auxquelles elle est parvenue dans le présent arrêt, qui sont étrangères à la question invoquée au stade de la satisfaction équitable de l'incidence de la procédure d'extradition sur les conditions de vie du requérant en France, estime que le constat de violation de l'article 3 constitue une satisfaction équitable suffisante et décide, en conséquence, de ne pas allouer d'indemnité au requérant pour dommage moral.
136. Le requérant réclame la somme totale de 179 288 EUR au titre des frais et dépens qu'il a engagés dans le cadre de la procédure menée devant les juridictions internes et au titre de ceux qu'il a engagés aux fins de la procédure menée devant la Cour. Il produit des factures d'honoraires de son conseil, relatives à la procédure d'extradition et à un titre de séjour pour le montant sollicité, qui inclut également une note d'honoraire du 27 août 2021 d'un montant de 50 000 EUR au titre de la procédure devant la Cour.
137. Le Gouvernement considère qu'une somme maximale de 15 000 EUR pourrait être allouée au requérant à ce titre compte tenu des seules factures d'honoraires d'avocats portant explicitement et exclusivement sur la procédure d'extradition.
138. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d'allouer au requérant la somme de 15 000 EUR tous frais confondus.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
a) que l'État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d'impôt, pour frais et dépens ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 septembre 2023, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Victor Soloveytchik Georges Ravarani
Greffier Président
[1] Rapport mondial 2023 : Burkina Faso | Human Rights Watch (hrw.org), site consulté le 27 avril 2023.
[2] https://www.ohchr.org/fr/2022/01/press-briefing-notes-burkina-faso, site consulté le 27 avril 2023.
[3] Communiqué de la 1062eme réunion du CPS, tenue le 31 janvier 2022, sur la situation au Burkina Faso-African Union - Peace and Security Department (peaceau.org), site consulté le 27 avril 2023.
[4] Assassinat de Thomas Sankara : la fin d'un procès historique au Burkina Faso (lemonde.fr), publié le 7 avril 2022, site consulté le 27 avril 2023 ; Coup d'État au Burkina Faso : les raisons de la chute du putschiste Paul-Henri Damiba (france24.com), publié le 3 octobre 2022, site consulté le 27 avril 2023.
[5] Burkina Faso : après son putsch, le capitaine Traoré se rêve en nouveau Sankara (lemonde.fr), publié le 21 octobre 2022, site consulté le 27 avril 2023.
[6] Fin de l'opération Sabre : quinze ans de présence militaire française au Burkina Faso (la-croix.com), publié le 20 février 2023, site consulté le 27 avril 2023.
[7] Burkina-Faso. Face aux attaques répétées, le droit à l'information doit être protégé - Amnesty International, publié le 7 avril 2023, site consulté le 27 avril 2023.
[8] Le Burkina Faso décrète la mobilisation générale face à la multiplication des attaques djihadistes (lemonde.fr), publié le 13 avril 2023, site consulté le 27 avril 2023.
[9] https://ecowas.int/communique-de-la-commission-de-la-cedeao-sur-la-situation-sociopolitique-au-burkina-faso/?lang=fr, site consulté le 27 avril 2023.
[10] Le Président de la Commission de l'Union Africaine condamne sans équivoque, la deuxième prise de pouvoir par la force au Burkina Faso. | Union africaine, publié le 3 octobre 2022, site consulté le 27 avril 2023.
[11] Devenue la République du Burkina Faso en 1984.
[12] https://daccess-ods.un.org/tmp/8479085.56461334.html, site consulté le 27 avril 2023.
[13] https://achpr.au.int/fr/state-reports/observations-finales-et-recommandations-burkina-faso-troisieme-et-quatrieme, site consulté le 27 avril 2023.
[14] https://www.state.gov/reports/2021-country-reports-on-human-rights-practices/burkina-faso, site consulté le 27 avril 2023.
[15] https://www.state.gov/reports/2016-country-reports-on-human-rights-practices/burkina-faso/, site consulté le 27 avril 2023.
[16] https://www.amnesty.org/fr/documents/afr60/7367/2017/fr/, site consulté le 27 avril 2023.
[17] https://ciddhu.uqam.ca/fichier/document/Rapport_parallele_CIDDHU_CIFDHA.pdf, site consulté le 27 avril 2023.
[18] https://adsdatabase.ohchr.org/IssueLibrary/BURKINA%20FASO_Constitution.pdf, site consulté le 27 avril 2023.
[19] https://academiedepolice.bf/index.php/telechargement/category/38-codes?download=163:la-loi-portant-code-penal, site consulté le 27 avril 2023.
[20] https://academiedepolice.bf/index.php/telechargement/category/38-codes?download=166:la-loi-portant-code-de-procedure-penale, site consulté le 27 avril 2023.