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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> OPREA v. ROMANIA - 54408/20 (Judgment : Article 5 - Right to liberty and security : Fourth Section Committee) French Text [2023] ECHR 94 (31 January 2023)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2023/94.html
Cite as: [2023] ECHR 94, ECLI:CE:ECHR:2023:0131JUD005440820, CE:ECHR:2023:0131JUD005440820

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QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE OPREA c. ROUMANIE

(Requête no 54408/20)

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

 

 

STRASBOURG

31 janvier 2023

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Oprea c. Roumanie,


La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :

          Branko Lubarda, président,
          Iulia Antoanella Motoc,
          Pere Pastor Vilanova, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,


Vu la requête (no 54408/20) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Ovidiu Oprea (« le requérant »), né en 1981 et résidant à Hodac, représenté par Me Coman, avocat à Târgu Mureş, a saisi la Cour le 27 novembre 2020 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),


la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement »), représenté par son agent, Mme O.F. Ezer, du ministère des Affaires étrangères,


la décision par laquelle la Cour a rejeté l’opposition du Gouvernement à l’examen de la requête par un comité,


les observations des parties,


Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 janvier 2023,


Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

OBJET DE L’AFFAIRE


1.  Par deux jugements définitifs rendus respectivement le 2 juin 2011 et le 23 février 2012, le tribunal de première instance de Reghin (« le tribunal de première instance ») condamna le requérant à deux peines de prison pour des infractions au code de la route. L’intéressé s’étant rendu en Italie, le tribunal émit contre lui, aux fins de l’exécution de ces peines, deux mandats d’arrêt européens.


2.  Le requérant fut arrêté en Italie le 15 juillet 2012 en vertu de l’un de ces mandats d’arrêt.


3.  Par une décision du 23 octobre 2012, la cour d’appel de Naples refusa de remettre le requérant aux autorités roumaines au motif qu’il résidait en Italie et ordonna l’exécution des peines en Italie conformément à la loi italienne. Elle procéda au cumul des peines prononcées contre l’intéressé et ordonna l’exécution de la peine résultante.


4.  Le requérant purgea sa peine en Italie du 24 janvier 2013 au 24 juin 2015, date à laquelle il bénéficia d’une libération conditionnelle.


5.  Le 31 janvier 2016, alors qu’il retournait en Roumanie, il fut arrêté à la frontière par les autorités roumaines, qui le placèrent en détention en exécution des peines prononcées contre lui par le tribunal de première instance (paragraphe 1 ci-dessus).


6.  Le même jour, la prison d’Arad (Roumanie) adressa par la poste audit tribunal une lettre l’informant de l’arrestation du requérant. Le tribunal de première instance accusa réception de cette lettre le 8 février 2016.


7.  Le 15 février 2016, le tribunal de première instance avisa le ministère italien de la Justice de l’incarcération du requérant et sollicita des renseignements sur l’éventuelle exécution des peines en Italie.


8.  Le même jour, le ministère italien de la Justice répondit que le requérant avait purgé ses peines en Italie. Le 22 février 2016, la même information fut transmise au tribunal de première instance par le parquet général près la cour d’appel de Naples.


9.  Entretemps, le 18 février 2016, le requérant avait saisi le tribunal de première instance d’Arad d’une contestation à l’exécution de ses peines. Soutenant qu’il avait purgé celles-ci en Italie, il plaidait l’illégalité de son placement en détention par les autorités roumaines et demandait l’annulation des mandats d’exécution délivrés contre lui ainsi que sa remise en liberté.


10.  Le 22 février 2016, le tribunal de première instance de Reghin transmit au tribunal de première instance d’Arad les informations qui lui avaient été communiquées par les autorités italiennes.


11.  Par un jugement du 25 février 2016, le tribunal de première instance d’Arad reconnut le jugement de la cour d’appel de Naples du 23 octobre 2012, constata que le requérant avait purgé ses peines en Italie, annula les mandats d’exécution délivrés contre lui par le tribunal de première instance et ordonna sa libération immédiate.


12.  En l’absence de contestation des parties, le jugement du 25 février 2016 devint définitif le 1er mars 2016, date à laquelle le requérant fut libéré.


13.  Le 27 juin 2017, se fondant sur l’article 539 du code de procédure pénale (« le CPP ») et sur le jugement du 25 février 2016 (paragraphe 11 ci‑dessus), le requérant saisit le tribunal départemental de Mureş d’une action civile tendant à la réparation du préjudice qu’il estimait avoir subi du fait de sa détention, illégale selon lui, pendant la période du 31 janvier au 1er mars 2016.


14.  Alors que cette demande en responsabilité était pendante, la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour ») fut saisie d’un recours dans l’intérêt de la loi, à raison de l’existence dans la jurisprudence nationale d’interprétations divergentes d’un passage de l’article 539 du CPP disposant que l’illégalité d’une détention pouvait être constatée par « un arrêt définitif du tribunal chargé de l’instruction de l’affaire ». Le 18 septembre 2017, la Haute Cour rendit un arrêt qui tranchait le point de droit en question en réservant au seul tribunal pénal la compétence pour juger de la légalité d’une détention provisoire. La possibilité d’engager en la matière une procédure civile en réparation sur le fondement l’article 539 du CPP se trouvait ainsi subordonnée à l’établissement, par une décision pénale spécifique et motivée par la mention explicite des dispositions légales méconnues, de l’illégalité de la détention ; la simple déduction de l’illégalité supposée de la détention en cause à partir de décisions judiciaires rendues par ailleurs à l’égard de la personne concernée ne pouvant se substituer à pareil constat.


15.  Par un jugement du 28 novembre 2017, le tribunal départemental de Mureş rejeta l’action en réparation du requérant (paragraphe 13 ci-dessus). Observant que le tribunal de première instance d’Arad ne s’était pas prononcé expressément dans son jugement du 25 février 2016 sur la légalité de la détention du requérant, il considéra en effet que les exigences posées par l’article 539 du CPP aux fins de l’examen d’un droit à réparation n’étaient pas satisfaites, le caractère illégal de la privation de liberté litigieuse n’ayant pas été établi.


16.  Le requérant interjeta appel de ce jugement. Il soutenait entre autres qu’au moment où il avait engagé son action, la jurisprudence relative à l’article 539 du CPP n’établissait pas de manière univoque qu’un constat exprès d’illégalité de la privation de liberté établi par un tribunal pénal était requis pour faire naître un droit à la réparation. Il ajouta que le jugement du tribunal de première instance d’Arad du 25 février 2016 ordonnant sa remise en liberté impliquait nécessairement, selon lui, la reconnaissance de l’illégalité de sa détention provisoire.


17.  L’appel du requérant fut rejeté par un arrêt définitif de la cour d’appel de Târgu Mureş du 29 juin 2020, qui jugea que les conditions posées par l’article 539 du CPP tel qu’interprété par la Haute Cour dans son arrêt du 18 septembre 2017 (paragraphe 14 ci-dessus) n’étaient pas remplies.


18.  Invoquant l’article 5 §§ 1 et 5 et l’article 13 de la Convention, le requérant se plaint d’avoir été illégalement placé en détention du 31 janvier au 1er mars 2016 et de n’avoir pas disposé d’une voie de recours interne qui lui eût permis de demander réparation du préjudice subi.

APPRÉCIATION DE LA COUR

I.        SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION


19.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.


20.  Les principes généraux concernant l’article 5 § 1 de la Convention ont été résumés dans les affaires Denis et Irvine c. Belgique ([GC], nos 62819/17 et 63921/17, § 125 et 129, 1er juin 2021), et Creangă c. Roumanie ([GC], no 29226/03, § 84, 23 février 2012).


21.  La Cour note que le Gouvernement indique que le requérant a été détenu du 31 janvier au 1er mars 2016 en vertu des mandats d’arrêt émis aux fins de l’exécution des peines qui lui avaient été infligées par le tribunal de première instance, lesquels n’avaient pas été annulés. Elle observe cependant qu’à la date où il a été arrêté par les autorités roumaines, le requérant avait déjà exécuté à l’étranger l’intégralité des peines de prison auxquelles il avait été condamné par le tribunal de première instance, comme l’a d’ailleurs constaté le tribunal de première instance d’Arad, qui fit droit à la contestation à l’exécution formée par l’intéressé et ordonné sa remise en liberté immédiate (paragraphe 11 ci-dessous). Dès lors, la détention du requérant ne pouvait plus être justifiée par la nécessité d’exécuter les mandats invoqués par le Gouvernement.


22.  Au demeurant, sans nier la complexité des démarches visant à vérifier si une personne a dûment exécuté sa peine à l’étranger, la Cour considère que le temps nécessaire à l’accomplissement de ces formalités ne saurait justifier le prolongement excessif d’une détention susceptible de s’avérer illégale. Or, en l’espèce, la Cour constate un manque de diligence de la part des autorités roumaines à cet égard : il leur a ainsi fallu plus d’une semaine pour solliciter de l’administration italienne les renseignements pertinents (paragraphes 6 et 7 ci-dessus), et ce n’est qu’après que l’intéressé eut formé une contestation à l’exécution, qu’il a été libéré.


23.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que la privation de liberté du requérant ne saurait passer pour « régulière » au regard de l’article 5 § 1 de la Convention. Partant, il y a eu violation de cette disposition.

II.     SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 5 DE LA CONVENTION


24.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.


25.  Les principes généraux concernant l’article 5 § 5 de la Convention ont été résumés dans les affaires Stanev c. Bulgarie ([GC], no 36760/06, § 182, CEDH 2012) et N.C. c. Italie ([GC], no 24952/94, § 49, CEDH 2002-X).


26.  Eu égard au constat de violation de l’article 5 § 1 auquel la Cour est parvenue ci-dessus, le paragraphe 5 de cette même disposition trouve à s’appliquer. Il convient donc de rechercher si l’intéressé a bénéficié au niveau interne d’un droit à réparation susceptible d’être effectivement exercé.


27.  La Cour note qu’au moment où le requérant a engagé la procédure de contestation à l’exécution et l’action en réparation, la jurisprudence interne n’exigeait pas, pour faire naître un droit à réparation, que l’illégalité d’une détention eût été expressément constatée par une juridiction pénale (paragraphes 9, 13 et 14 ci-dessus ; voir aussi Adrian Dragomir c. Roumanie (déc.), no 59064/11, §§ 11-14 et 28, 3 juin 2014, où la Cour a considéré, à la lumière des exemples de jurisprudence présentés par le Gouvernement, qu’une action en réparation constituait un recours effectif en cas de détention illégale même si l’illégalité de la détention n’avait pas été formellement constatée). Ce n’est que plus tard, alors que l’action en réparation du requérant était pendante, que la Haute Cour a estimé que toute réparation était subordonnée au constat exprès, établi par un tribunal pénal, de l’illégalité de la détention (paragraphe 14 ci-dessus).


28.  Dès lors, les conditions que le requérant était en l’espèce censé remplir pour former valablement une action en réparation n’étaient pas prévisibles. Il a ainsi été débouté de son action alors qu’à la lumière de la jurisprudence interne existante il pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’elle fût accueillie.


29.  En conséquence, la Cour estime que le requérant n’a pas disposé d’une possibilité effective de faire valoir son droit à réparation à raison de sa privation de liberté contraire à l’article 5 § 1 de la Convention. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention.

III.   SUR LE GRIEF RESTANT


30.  Quant au grief formulé par le requérant sur le terrain de l’article 13 de la Convention, la Cour estime qu’il relève du champ d’application de l’article 5 § 4 de la Convention et qu’eu égard aux faits de la cause, aux arguments des parties et aux conclusions ci-dessus, il n’y a pas lieu en l’espèce d’en examiner la recevabilité et le bien-fondé.

APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


31.  Le requérant demande 35 000 euros (EUR) pour le préjudice qu’il dit avoir subi à raison des violations alléguées de l’article 5 §§ 1 et 5 et de l’article 13 de la Convention, sans fournir davantage de détails à cet égard.


32.  Le Gouvernement estime qu’un éventuel constat de violation pourrait constituer en soi une réparation suffisante et qu’en toute hypothèse la somme demandée dépasse les montants accordés dans la jurisprudence de la Cour en la matière.


33.  La Cour note, eu égard à la manière dont le requérant a formulé sa demande, que celui-ci ne sollicite pas d’indemnité pour préjudice matériel ni ne demande le remboursement d’éventuels frais et dépens. Elle n’accorde en conséquence aucune somme à ces titres, mais octroie au requérant 3 900 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Déclare les griefs concernant l’article 5 §§ 1 et 5 de la Convention recevables ;

2.      Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 §§ 1 et 5 de la Convention ;

3.      Dit qu’il n’y a lieu d’examiner ni la recevabilité ni le bien-fondé du grief fondé sur l’article 5 § 4 de la Convention ;

4.      Dit

a)      que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois, la somme de 3 900 EUR (trois mille neuf cents euros) à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral ;

b)      qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

5.      Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 31 janvier 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

                       

            Crina Kaufman                                                  Branko Lubarda

       Greffière adjointe f.f.                                                   Président


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