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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> France v Commission (State aid) French text [1999] EUECJ C-251/97 (05 October 1999)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/1999/C25197.html
Cite as: [1999] ECR I-6639, [1999] EUECJ C-251/97

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IMPORTANT LEGAL NOTICE - The source of this judgment is the web site of the Court of Justice of the European Communities. The information in this database has been provided free of charge and is subject to a Court of Justice of the European Communities disclaimer and a copyright notice. This electronic version is not authentic and is subject to amendment.
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ARRÊT DE LA COUR

5 octobre 1999 (1)

«Article 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE) - Notion d'aide - Allégement des charges sociales en contrepartie des coûts résultant pour des entreprises d'accords collectifs en matière d'aménagement et de réduction du temps de travail»

Dans l'affaire C-251/97,

République française, représentée par Mme K. Rispal-Bellanger, sous-directeur du droit international économique et du droit communautaire à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et M. G. Mignot, secrétaire des affaires étrangères à la même direction, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade de France, 8 B, boulevard Joseph II,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. G. Rozet, conseiller juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet l'annulation de la décision 97/811/CE de la Commission, du 9 avril 1997, concernant les aides accordées par la France aux secteurs du textile, de l'habillement, du cuir et de la chaussure (JO L 334, p. 25),

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, P. J. G. Kapteyn et G. Hirsch (rapporteur), présidents de chambre, J. C. Moitinho de Almeida, C. Gulmann, J. L. Murray, L. Sevón, M. Wathelet et R. Schintgen, juges,

avocat général: M. N. Fennelly,


greffier: M. R. Grass,

vu le rapport du juge rapporteur,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 26 novembre 1998,

rend le présent

Arrêt

  1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 10 juillet 1997, la République française a, en vertu de l'article 173, premier alinéa, du traité CE (devenu, après modification, article 230, premier alinéa, CE), demandé l'annulation de la décision 97/811/CE de la Commission, du 9 avril 1997, concernant les aides accordées par la France aux secteurs du textile, de l'habillement, du cuir et de la chaussure (JO L 334, p. 25, ci-après la «décision attaquée»).

  2. Par cette décision, la Commission a qualifié d'aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 87, paragraphe 1, CE) des mesures étatiques visant à réduire de manière dégressive les cotisations patronales de sécurité sociale des entreprises des secteurs du textile, de l'habillement, du cuir et de la chaussure.

    Cadre juridique et factuel

  3. Afin de lutter contre la baisse continue du nombre d'emplois dans les secteurs de l'habillement, du cuir, de la chaussure et du textile, le Parlement français a institué, par l'article 99 de la loi n° 96-314, du 12 avril 1996, portant diverses dispositions d'ordre économique et financier (JORF du 13 avril 1996, ci-après la «loi»), la possibilité pour l'État, à titre expérimental et jusqu'au 31 décembre 1997, de signer

    avec ces branches professionnelles des conventions-cadres relatives au maintien ou au développement de l'emploi tenant compte des résultats des négociations entre employeurs et salariés sur l'aménagement et la réduction du temps de travail engagées après l'accord national interprofessionnel sur l'emploi du 31 octobre 1995, et d'accorder à ces branches, en contrepartie, une réduction supplémentaire des charges sociales sur les bas salaires par rapport à la mesure générale de réduction, applicable à tous les secteurs de l'économie, arrêtée par l'article 1er de la loi n° 95-882, du 4 août 1995, relative à des mesures d'urgence pour l'emploi et la sécurité sociale, modifiée par la loi de finances pour 1996 (n° 95-1346, du 30 décembre 1995).

  4. Aux termes de cette disposition, la réduction supplémentaire des charges sociales devait, d'une part, prendre la forme d'une extension du bénéfice de la réduction aux salaires inférieurs à 1,5 fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) mensuel, qui est fixé par voie légale, au lieu de 1,2 fois - puis 1,33 fois à partir du 1er octobre 1996 - dans la mesure générale de réduction. D'autre part, un coefficient spécifique d'allégement des charges devait être fixé par décret pour l'application de la mesure générale dans les secteurs concernés par cette réduction supplémentaire.

  5. Ce coefficient a été fixé par le décret n° 96-572, du 27 juin 1996, relatif à la réduction dégressive sur les cotisations patronales de sécurité sociale des entreprises des secteurs du textile, de l'habillement, du cuir et de la chaussure instituée par l'article 99 de la loi n° 96-314 (JORF du 28 juin 1996, p. 9683, ci-après le «décret d'application») à un niveau tel que la réduction supplémentaire des charges s'élève à 734 FRF par mois et par salarié pour les salariés rétribués au SMIC, pour diminuer progressivement jusqu'à disparaître pour les salariés rémunérés à hauteur de 1,5 fois le SMIC. Le coût total du dispositif ainsi défini, évalué à l'origine à 2,1 milliards de FRF, a finalement été compris entre 1,8 et 1,9 milliard de FRF.

  6. Outre la condition relative à la conclusion d'une convention-cadre entre l'État et chacune des branches concernées, l'article 99, troisième alinéa, de la loi a subordonné l'octroi de la réduction supplémentaire des charges sociales, pour les entreprises d'au moins 50 salariés, à la condition qu'une convention spécifique soit signée entre l'entreprise concernée et l'État précisant la convention-cadre à laquelle l'entreprise se rattache et les engagements spécifiques de celle-ci en matière d'emploi ainsi qu'en matière d'aménagement et de réduction du temps de travail. L'article 99, dernier alinéa, précise de manière explicite que le non-respect de ces engagements par l'entreprise entraîne la suppression de l'allégement supplémentaire des charges sociales, y compris, éventuellement, à titre rétroactif.

  7. Les entreprises de moins de 50 salariés, qui ne sont pas soumises à l'obligation légale de créer un comité d'entreprise au sein duquel siègent des représentants de la direction et des salariés, sont, quant à elles, tenues, pour pouvoir bénéficier de

    l'allégement supplémentaire des charges sociales, d'adresser à l'administration du travail une déclaration mentionnant la convention-cadre à laquelle elles se rattachent (article 6 du décret d'application). En cas de fausse déclaration visant à obtenir indûment le bénéfice de la réduction supplémentaire, l'entreprise se voit sanctionnée par le retrait de celle-ci et la récupération des charges sociales non versées (article 7 du décret d'application).

  8. Des accords collectifs de branche ont été signés le 7 mai 1996 dans le secteur textile, le 29 mai 1996 dans le secteur de l'habillement et le 5 juin 1996 dans le secteur du cuir et de la chaussure. Ils prévoient le paiement d'une majoration de 25 % sur les heures supplémentaires - c'est-à-dire celles qui dépassent la durée légale de travail de 39 heures par semaine - alors même que le dispositif légal de modulation du temps de travail ne l'exige pas. De plus, des repos rémunérés supplémentaires, représentant de 10 % à 20 % des heures travaillées au-delà de la 44e heure, doivent être accordés en plus des repos et majorations légaux. La réduction du temps de travail peut donc représenter plus de sept jours de repos, soit près de 3 % du temps de travail. Ces accords ont été intégrés aux accords collectifs de branche existants.

  9. En application de l'article 99 de la loi et du décret d'application, des conventions-cadres relatives à l'emploi ont ensuite été conclues par l'État avec chacune des branches professionnelles concernées, soit le 14 mai 1996 avec l'Union des industries textiles, le 31 mai avec l'Union française des industries de l'habillement et le 28 juin 1996 avec la Fédération nationale de l'industrie de la chaussure de France pour la branche cuir-chaussure. Ces conventions-cadres contiennent en particulier des engagements de chaque branche en matière de sauvegarde de l'emploi et d'embauches de jeunes travailleurs.

  10. De plus, conformément à l'article 99 de la loi, les conventions-cadres tiennent compte des engagements pris par la profession dans les accords collectifs de branche mentionnés au point 8 du présent arrêt. À titre d'exemple, le point 3 de la convention-cadre textile, intitulé «Mise en oeuvre des dispositifs 'd'Aménagement - Réduction du temps de travail'» est ainsi libellé:

    «En signant l'accord du 18 mai 1982 sur la réduction de la durée du travail et sur l'amélioration de l'utilisation des équipements, accord qui permet notamment un développement des emplois à temps partiel, ainsi que l'accord national de branche du 13 avril 1993 sur la modulation des horaires, accord qui inscrit expressément les contreparties de la modulation dans une logique de réduction du temps de travail, la Profession a marqué sa volonté de mettre en oeuvre les dispositifs d'aménagement - réduction du temps de travail, qui peuvent contribuer au développement de la compétitivité et de l'emploi dans la branche.

    Les trois accords du 7 mai [1996] signés dans le cadre de la négociation sur l'aménagement et la réduction du temps de travail, engagée suite à l'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995, marquent la volonté de la Profession de

    renforcer de manière significative cette politique, en recherchant les effets les plus positifs sur l'emploi.»

    Des conventions-cadres dans les secteurs de l'habillement, du cuir et de la chaussure contiennent des clauses similaires.

  11. Les engagements sur le temps de travail sont ainsi considérés comme remplis au sens de l'article 99, premier et deuxième alinéas, de la loi. Conformément au troisième alinéa de cette disposition, ces engagements sont ensuite précisés, s'agissant des entreprises bénéficiaires d'au moins 50 salariés, dans des conventions spécifiques signées par chacune d'entre elles avec l'État. Il y est indiqué, pour la partie relative à l'aménagement du temps de travail, que les entreprises «s'engagent à ouvrir une négociation sur l'aménagement du temps de travail ou à mettre en oeuvre les accords». Pour bénéficier des mesures, une entreprise est donc tenue soit d'appliquer les résultats de la négociation collective, soit d'élaborer son propre accord, nécessairement plus favorable.

    Décision attaquée

  12. À l'issue de la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, CE) qu'elle avait engagée à l'égard des mesures instaurées par l'article 99 de la loi (ci-après les «mesures litigieuses»), la Commission a, par lettre du 5 mai 1997, notifié la décision attaquée au gouvernement français.

  13. Aux termes de l'article 1er de la décision attaquée:

    «L'allégement des charges sociales patronales institué dans le cadre du 'Plan textile' par l'article 99 de la loi n° 96/314 du 12 avril 1996 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier et par le décret n° 96/572 du 27 juin 1996 relatif à la réduction dégressive sur les cotisations patronales de sécurité sociales des entreprises des secteurs du textile, de l'habillement, du cuir et de la chaussure, constitue, pour la partie non couverte par la règle de minimis, une aide illégale dans la mesure où il a été mis en oeuvre avant que la Commission ne se soit prononcée à son sujet, conformément aux dispositions de l'article 93 paragraphe 3 du traité.

    Il est en outre, pour la partie non couverte par la règle de minimis, qui a fixé un seuil de 100 000 écus sur trois ans, incompatible avec le marché commun conformément aux dispositions de l'article 92 paragraphe 1 du traité et de l'article 61 paragraphe 1 de l'accord EEE et ne peut bénéficier d'aucune des dérogations prévues à l'article 92 paragraphe 2 et 3 du traité et à l'article 61 paragraphes 2 et 3 de l'accord EEE.»

  14. L'article 2 de la décision attaquée oblige la République française à mettre fin sans délai à l'octroi des aides illégales et à prendre les mesures nécessaires pour assurer la récupération de celles déjà versées.

    Moyens et arguments des parties

  15. À l'appui de son recours, le gouvernement français invoque, à titre principal, un moyen unique tiré de la violation de l'article 92, paragraphe 1, du traité, qu'il articule en deux griefs.

  16. Il considère, d'une part, que la Commission a commis une erreur de droit en qualifiant d'aides «qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions» au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité, pour autant qu'elles excèdent le seuil de minimis, des mesures, telles que celles prises par les autorités françaises en faveur des secteurs du textile, de l'habillement, du cuir et de la chaussure, qui consistent en l'octroi d'avantages financiers particuliers à des entreprises en contrepartie d'engagements dont le coût financier compense le montant de ladite aide.

  17. Le gouvernement français soutient, d'autre part, que la Commission a, en l'espèce, commis une erreur manifeste d'appréciation des faits en refusant, dans son examen de l'effet des mesures litigieuses effectué subsidiairement, d'admettre la neutralité financière et économique desdites mesures pour les entreprises bénéficiaires.

  18. À titre subsidiaire, le gouvernement français invite la Cour à annuler la décision attaquée en ce qu'elle fixe le montant des aides jugées incompatibles avec le marché commun, illégalement octroyées et devant faire l'objet d'un remboursement, à un niveau égal au montant brut de l'aide, sans déduire de ce dernier le coût des contreparties supportées par chacune des entreprises bénéficiaires.

  19. S'agissant du premier grief, le gouvernement français soutient, en premier lieu, qu'un avantage financier consenti par un État membre à une entreprise en contrepartie d'une action facultative de cette entreprise en faveur de ses salariés ne constitue pas une aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité dès lors que le montant de cet avantage n'excède pas le coût que représente cette action pour l'entreprise ou ne l'excède que pour un montant inférieur au seuil de minimis.

  20. Selon le gouvernement français, il est incontestable que, au total, les interventions publiques accordées en échange d'actions facultatives des entreprises en faveur des salariés, c'est-à-dire des actions qu'aucune entreprise n'a l'obligation d'engager, n'ont pas pour effet de procurer un quelconque avantage financier à ces entreprises par rapport à celles qui n'en bénéficient pas, lorsque ces actions leur imposent des charges supplémentaires. Les coûts liés aux contreparties acceptées par les entreprises ne sauraient donc être considérés comme étant «normalement à leur charge» puisque lesdites entreprises n'auraient pas accepté de telles contreparties

    sans l'intervention de l'État et n'auraient donc pas eu, en temps «normal», à supporter de telles charges.

  21. Le gouvernement français fait valoir, en second lieu, que de telles interventions de l'État, qui ne sont que la contrepartie d'engagements exorbitants du droit commun que les entreprises bénéficiaires acceptent de prendre à l'égard des salariés, ne sauraient pas non plus être considérées comme faussant ou menaçant de fausser la concurrence.

  22. Invoquant le contenu des accords collectifs de branche signés au sein des professions concernées, le gouvernement français affirme que les engagements pris par les entreprises en matière de rémunération des heures supplémentaires et de repos compensateurs vont bien au-delà des engagements que le patronat aurait accepté de prendre en l'absence d'intervention de l'État. Ce constat serait particulièrement évident pour le secteur textile, dans lequel l'accord collectif de branche, qui ne ferait qu'amender un précédent accord de 1993, renforçerait uniquement les engagements du patronat, mais non ceux des organisations représentatives des salariés. Ces engagements auraient donc un caractère exceptionnellement protecteur pour les salariés, ce qui faciliterait l'acceptation par ces derniers des mesures de modulation du temps de travail et inciterait les entreprises à ne pas avoir abusivement recours aux heures supplémentaires au détriment de l'embauche de nouveaux salariés.

  23. Le gouvernement ajoute qu'un nombre non négligeable d'entreprises, en particulier les grandes, ont renoncé à bénéficier du dispositif d'allégement des charges sociales, estimant que les contreparties exigées par l'État étaient trop lourdes. Au total, les deux tiers seulement des entreprises des branches concernées, représentant une proportion égale de salariés, auraient adhéré au dispositif. Cela démontrerait à suffisance que les mesures litigieuses ne comportaient aucun avantage concurrentiel évident pour leurs bénéficiaires.

  24. Selon la Commission, le dispositif mis en place par l'article 99 de la loi constitue une aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité. Se référant à la jurisprudence de la Cour, elle soutient que les charges, exorbitantes du droit commun ou non, découlant pour les entreprises d'accords conclus, volontairement, par les partenaires sociaux dans un secteur déterminé, doivent être considérées comme devant être normalement supportées par les budgets de ces entreprises. Selon elle, il est indifférent que l'allégement soit ou non destiné à compenser un surcoût accepté par l'entreprise bénéficiaire grâce à l'intervention étatique.

  25. La Commission souligne encore que, dans un marché où le volume des échanges est substantiel, toute aide, quel que soit son montant ou son intensité, fausse ou menace de fausser la concurrence normale dès le moment où les sociétés bénéficiaires reçoivent une aide d'État dont leurs concurrents ne bénéficient pas. Dans la présente espèce, l'allégement des charges sociales placerait les entreprises

    de ces secteurs dans une situation plus favorable que celle de leurs concurrents qui réalisent ou devront réaliser à l'avenir des aménagements du temps de travail, ou d'autres mesures semblables, sans l'appui de l'État. Ces considérations s'appliqueraient également d'une façon plus générale à l'égard des entreprises qui, dans d'autres États membres, procéderaient, sans aides publiques, à des efforts de rationalisation de la production pour faire face à la concurrence internationale.

  26. La Commission considère donc que le dispositif mis en oeuvre par l'article 99 de la loi constitue, par sa nature même et dans sa totalité, une aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité.

  27. S'agissant du second grief, tiré du refus de la Commission d'admettre la neutralité financière des mesures litigieuses, le gouvernement français considère, en premier lieu, que la Commission ne saurait remettre en cause la précision et la fiabilité des données chiffrées fournies par les autorités françaises.

  28. En second lieu, en réponse à l'argument de la Commission selon lequel les calculs présentés par les autorités françaises omettent de prendre en compte l'avantage financier que les entreprises bénéficiaires retireront des gains de productivité que les mesures litigieuses leur permettront de réaliser grâce à l'aménagement du temps de travail, le gouvernement français souligne que le dispositif mis en place ne procure, par lui-même, aucun avantage financier aux entreprises sous forme de gains de compétitivité à venir, liés à l'aménagement du temps de travail. Ce dispositif se limiterait à imposer aux entreprises concernées des obligations, favorables aux salariés, en termes d'embauches ainsi qu'en termes de rémunération et de compensation des heures supplémentaires, qui s'inscriraient dans la politique générale du gouvernement et représenteraient pour les entreprises des dépenses supplémentaires qu'elles n'auraient jamais engagées sans l'incitation que constitue l'allégement des charges sociales.

  29. Ainsi, les gains de compétitivité liés à l'aménagement du temps de travail ne seraient pas la conséquence directe des mesures litigieuses, mais dépendraient concrètement de l'efficacité des réformes adoptées par chacune des entreprises en matière d'organisation du travail. Les mesures litigieuses, quant à elles, permettraient seulement de faciliter la mise en place de ces réformes en compensant provisoirement le coût des conditions particulièrement favorables pour les salariés dans lesquelles elles s'inscrivent.

  30. Le gouvernement français fait valoir, en outre, le caractère potentiel et difficilement mesurable des gains de compétitivité qui pourraient résulter de la mise en place dans les entreprises d'une nouvelle organisation fondée sur l'aménagement du temps de travail, mise en place que les mesures litigieuses viseraient à faciliter. En effet, ces mesures d'aménagement-réduction du temps de travail seraient susceptibles de générer des coûts en termes de réorganisation, a fortiori dans le cas d'une mise en oeuvre rapide. En tout état de cause, la réalisation à court terme de gains de productivité serait à l'évidence exclue.

  31. La Commission considère que le caractère aléatoire des données disponibles ne permet pas d'établir la prétendue neutralité du dispositif en cause.

  32. Ainsi, les calculs sur lesquels les autorités françaises s'appuient pour soutenir que les avantages procurés par l'aide étaient compensés par les coûts assumés par les bénéficiaires porteraient sur la totalité des entreprises appartenant aux secteurs concernés, alors que seuls les coûts assumés par les entreprises participantes devraient être pris en considération à cette fin. S'il était impossible de présager le nombre et l'importance de celles-ci, il serait également impossible d'affirmer le caractère neutre du dispositif en cause.

  33. Pour démontrer la neutralité de l'aide, la République française aurait dû, en toute hypothèse, déduire des coûts supportés par les entreprises bénéficiaires ceux que le patronat aurait en tout cas acceptés sans l'intervention étatique. L'impossibilité de le faire impliquerait, à son tour, l'impossibilité de conclure à la neutralité du dispositif en cause.

  34. Enfin, la Commission considère que, si les gains de compétitivité ne sont pas la conséquence directe des mesures litigieuses, ils résultent nécessairement de l'adaptation au marché de l'appareil de production, rendue possible par l'aménagement du temps de travail en cause.

    Appréciation de la Cour

  35. Selon la jurisprudence constante, la notion d'aide comprend les avantages consentis par les autorités publiques qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d'une entreprise (voir, notamment, arrêts du 23 février 1961, De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg/Haute Autorité, 30/59, Rec. p. 1, 39; du 15 mars 1994, Banco Exterior de EspaÄna, C-387/92, Rec. p. I-877, point 13; du 26 septembre 1996, France/Commission, dit «Kimberly Clark», C-241/94, Rec. p. I-4551, point 34, et du 29 juin 1999, DM Transport, C-256/97, non encore publié au Recueil, point 19).

  36. La Cour a précisé, à cet égard, qu'un dégrèvement partiel des charges sociales incombant aux entreprises d'un secteur industriel particulier constitue une aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité si cette mesure est destinée à exempter partiellement ces entreprises des charges pécuniaires découlant de l'application normale du système général de prévoyance sociale, sans que cette exemption se justifie par la nature ou l'économie de ce système (arrêt du 2 juillet 1974, Italie/Commission, 173/73, Rec. p. 709, point 33; dans le même sens, arrêt du 14 février 1990, France/Commission, C-301/87, Rec. p. I-307, point 41).

  37. La Cour a également souligné que le caractère social des interventions étatiques ne suffit pas à les faire échapper d'emblée à la qualification d'aides au sens de l'article 92 du traité (voir, notamment, arrêts Italie/Commission, précité, point 28;

    Kimberly Clark, précité, point 21, et du 17 juin 1999, Belgique/Commission, C-75/97, non encore publié au Recueil, point 25).

  38. En l'espèce, les mesures litigieuses ont pour objet la réduction dégressive des cotisations patronales de sécurité sociale pour les entreprises de certains secteurs industriels particuliers et se présentent ainsi comme des mesures qui, remplissant les conditions posées par la jurisprudence citée aux points 35 à 37 du présent arrêt, entrent dans le champ d'application de l'article 92, paragraphe 1, du traité.

  39. Le gouvernement français s'oppose cependant à une telle qualification, en faisant valoir que l'allégement des cotisations sociales n'est que la contrepartie des surcoûts exceptionnels que les entreprises ont accepté d'assumer à l'issue de la négociation des accords collectifs et que, en toute hypothèse, compte tenu de ces surcoûts, les mesures litigieuses apparaissent comme financièrement neutres.

  40. À cet égard, il y a lieu de rappeler que les coûts pour les entreprises, dont fait état le gouvernement français, résultent d'accords collectifs, conclus entre le patronat et les syndicats, que les entreprises sont tenues de respecter, soit en vertu d'une adhésion à ces accords, soit à la suite d'une extension de ces derniers par voie réglementaire. De tels coûts grèvent, par leur nature, le budget des entreprises.

  41. Par ailleurs, il n'est pas contesté que, en l'espèce, la mise en place des accords collectifs de branche est non seulement susceptible de générer, pour les entreprises, des coûts en termes de réorganisation, mais vise aussi à améliorer leur compétitivité.

  42. Il résulte, en effet, des termes des conventions-cadres mentionnées au point 10 du présent arrêt que, si les accords collectifs de branche renforcent les engagements des employeurs envers les salariés, ils ont aussi pour objet, par l'aménagement et la réduction du temps de travail, de contribuer au développement de la compétitivité et de l'emploi dans les branches concernées.

  43. Le chapitre VII, vingt-sixième alinéa, de la décision attaquée souligne, à ce sujet, qu'il est raisonnable de penser qu'une nouvelle organisation du travail dans le sens d'une meilleure adaptation des ressources des entreprises aux conditions et caractéristiques du marché permet une augmentation de l'efficacité de l'entreprise.

  44. Le gouvernement français ne conteste pas des gains de compétitivité pour les entreprises, mais insiste sur le caractère potentiel et difficilement mesurable de tels gains.

  45. Cette appréciation ne saurait être mise en cause. Toutefois, elle ne vaut pas seulement pour les avantages que les entreprises tirent des accords collectifs de branche, mais également pour les coûts résultant de ces accords.

  46. En effet, les accords que concluent les partenaires sociaux forment un ensemble et ne sauraient être évalués en tenant compte de façon isolée de certains de leurs aspects positifs ou négatifs pour l'une ou l'autre partie. Compte tenu de la diversité des considérations qui poussent les partenaires sociaux à négocier, ainsi que du fait que le résultat de leurs négociations est le fruit d'un compromis pour lequel chaque partie fait des concessions dans certains domaines en contrepartie d'avantages dans d'autres domaines, non nécessairement connexes, il est, du moins dans le présent contexte, impossible d'évaluer avec la précision nécessaire le coût final de tels accords pour les entreprises.

  47. Dès lors, le fait que les mesures étatiques en cause visent à compenser des surcoûts que les entreprises de certains secteurs auraient assumés à la suite de la conclusion et de la mise en oeuvre d'accords collectifs ne peut les faire échapper à la qualification d'aide au sens de l'article 92 du traité.

  48. Il résulte également de ce qui précède que la demande formulée à titre subsidiaire doit être rejetée. En effet, les surcoûts pour les entreprises dont il est question ne peuvent être déduits du montant de l'aide qui doit être remboursé.

  49. Aucun des moyens invoqués par gouvernement français n'ayant abouti, il convient de rejeter le recours.

    Sur les dépens

  50. 50. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République française aux dépens et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

    Par ces motifs,

    LA COUR

    déclare et arrête:

    1) Le recours est rejeté.

    2) La République française est condamnée aux dépens.

    Rodríguez Iglesias Kapteyn Hirsch

    Moitinho de Almeida Gulmann Murray

    Sevón Wathelet Schintgen

    Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 octobre 1999.

    Le greffier Le président

    R. Grass G. C. Rodríguez Iglesias


    1: Langue de procédure: le français.


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