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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Commission v Spain (Free movement of persons) French Text [2006] EUECJ C-205/04 (23 February 2006) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2006/C20504F.html Cite as: [2006] EUECJ C-205/4, [2006] EUECJ C-205/04 |
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ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
23 février 2006 (*)
"Manquement d'État - Libre circulation des travailleurs - Emploi dans la fonction publique - Absence de prise en compte de l'ancienneté et de l'expérience professionnelle acquises dans la fonction publique d'autres États membres - Article 39 CE - Article 7 du règlement (CEE) n° 1612/68"
Dans l'affaire C-205/04,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l'article 226 CE, introduit le 7 mai 2004,
Commission des Communautés européennes, représentée par M. G. Rozet, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
Royaume d'Espagne, représenté par Mme N. Díaz Abad, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. C. W. A. Timmermans (rapporteur), président de chambre, MM. J. Makarczyk, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. P. Kūris et G. Arestis, juges,
avocat général: M. A. Tizzano,
greffier: M. R. Grass,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l'avocat général entendu, de juger l'affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en n'adoptant pas de dispositions législatives prévoyant explicitement, dans la fonction publique espagnole, la reconnaissance, en ce qui concerne les effets pécuniaires, des périodes de service antérieurement accomplies dans la fonction publique d'un autre État membre, le Royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 39 CE et 7 du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2).
Le cadre juridique
2 Aux termes de l'article 39, paragraphe 1, CE, "[l]a libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de la Communauté". Elle implique, selon le paragraphe 2 du même article, "l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail".
3 L'article 7 du règlement n° 1612/68 explicite les principes énoncés à l'article 39 CE, plus particulièrement en matière d'exercice de l'emploi. Ainsi, aux termes du premier paragraphe de cette disposition, "[l]e travailleur ressortissant d'un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d'emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement, et de réintégration professionnelle ou de réemploi s'il est tombé en chômage". L'article 7, paragraphe 2, du même règlement précise par ailleurs que ce travailleur bénéficie, sur le territoire des autres États membres, "des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux".
La procédure précontentieuse et le recours
4 Ayant reçu diverses plaintes de ressortissants communautaires qui, après avoir travaillé pendant plusieurs années dans le secteur public d'un État membre autre que le Royaume d'Espagne, avaient rencontré des difficultés lors de leur recrutement dans la fonction publique de ce dernier État membre pour ce qui concerne la prise en compte de leur activité professionnelle antérieure aux fins de déterminer leur classement et leur ancienneté, la Commission a, par lettre du 22 novembre 1999, adressé une mise en demeure aux autorités espagnoles, invitant celles-ci à faire valoir leurs observations à cet égard ainsi qu'à lui fournir des informations précises sur la législation ou les règles administratives applicables en la matière.
5 Lesdites autorités ont réagi en trois temps à cette invitation. Par un premier courrier du 1er mars 2000, complété, huit jours plus tard, par l'envoi des documents pertinents mentionnés dans ce premier courrier, les autorités espagnoles ont d'abord indiqué que, par l'article 37 de la loi 55/1999, du 29 décembre 1999, portant mesures fiscales, administratives et de l'ordre social (ley 55/1999, de 29 de diciembre, de medidas fiscales, administrativas y del orden social, BOE n° 312, du 30 décembre 1999, p. 46095, ci-après la "loi 55/1999"), des modifications avaient été récemment apportées à la loi 17/1993, du 23 décembre 1993, relative à l'accès des ressortissants des autres États membres de la Communauté européenne à certains secteurs de la fonction publique (ley 17/1993, de 23 de diciembre, sobre el acceso a determinados sectores de la función pública de los nacionales de los demás Estados miembros de la Comunidad Europea, BOE n° 307, du 24 décembre 1993, p. 36819, ci-après la "loi 17/1993"). Ces modifications viseraient à étendre le nombre de secteurs de la fonction publique espagnole ouverts auxdits ressortissants. Les mêmes autorités ajoutaient que, dans les faits, les administrations du Royaume d'Espagne prenaient déjà en compte l'ancienneté et l'expérience professionnelle acquises dans un autre État membre en ce qui concerne tant l'accès à la fonction que la progression dans la carrière.
6 Par un deuxième courrier, daté du 13 mars 2001, ces mêmes autorités ont ensuite fourni les précisions suivantes: d'une part, pour être effectives, les modifications apportées à la loi 17/1993 par la loi 55/1999 supposaient l'adoption, par le gouvernement espagnol et les instances compétentes des Communautés autonomes ainsi que des autres autorités publiques, de mesures réglementaires complémentaires aux fins de déterminer les corps, cadres, services, emplois ou fonctions ouverts aux ressortissants des autres États membres; d'autre part, une modification de la loi 70/1978, du 26 décembre 1978, relative à la reconnaissance des états de service antérieurs dans l'administration publique (ley 70/1978, de 26 de diciembre, de reconocimiento de servicios previos en la Administración Pública, BOE n° 9, du 10 janvier 1979, p. 464, ci-après la "loi 70/1978"), s'imposait, en tout état de cause, pour assurer expressément la prise en compte des périodes de service antérieures dans la fonction publique d'autres États membres. Lesdites autorités assuraient toutefois que cette dernière modification interviendrait encore au cours de l'année 2001.
7 Par un troisième courrier, adressé à la Commission le 17 janvier 2002, les autorités espagnoles ont enfin indiqué que la loi 70/1978 n'avait pas encore été modifiée en raison, notamment, des problèmes qui se sont révélés lors de la discussion du projet de réforme de cette loi devant la Comisión Superior de Personal, organisme espagnol chargé d'examiner les dispositions législatives en matière de ressources humaines. En effet, la nécessité serait alors apparue d'instaurer un régime garantissant qu'une même période de service ne soit pas prise en compte plusieurs fois dans des administrations différentes. Dans cette même lettre, lesdites autorités informaient toutefois la Commission que l'administration espagnole interprétait de manière extensive la loi 70/1978 et que la modification de celle-ci serait effective aussitôt que des critères communs de reconnaissance de l'expérience professionnelle antérieure auraient été adoptés, au niveau communautaire, dans le cadre des travaux menés au sein du groupe "Mobilité", mis en place par les ministres et directeurs généraux de la fonction publique des États membres.
8 Estimant, dans ces circonstances, que le manquement aux obligations découlant du droit communautaire persistait, et saisie, entre-temps, de nouvelles plaintes portant, cette fois, sur l'absence de prise en compte de l'ancienneté et de l'expérience professionnelle acquises dans la fonction publique d'autres États membres lors du recrutement même de ressortissants communautaires dans la fonction publique espagnole, la Commission a, le 24 avril 2002, adressé une lettre de mise en demeure complémentaire au Royaume d'Espagne, étendant formellement la procédure à ce dernier aspect. Comme elle l'avait fait dans sa première lettre de mise en demeure du 22 novembre 1999, la Commission y rappelait les obligations découlant de l'article 39 CE et du règlement n° 1612/68, plus particulièrement des articles 3 et 7 de celui-ci, tels qu'interprétés par la Cour, notamment dans les arrêts du 23 février 1994, Scholz (C-419/92, Rec. p. I-505), du 15 janvier 1998, Schöning-Kougebetopoulou (C-15/96, Rec. p. I-47), et du 12 mars 1998, Commission/Grèce (C-187/96, Rec. p. I-1095).
9 N'ayant obtenu aucune réponse des autorités espagnoles à cette dernière lettre, la Commission a, le 19 décembre 2002, adressé un avis motivé au Royaume d'Espagne, l'invitant à prendre les mesures nécessaires pour se conformer audit avis dans un délai de deux mois à compter de sa réception.
10 à la suite de l'envoi de cet avis, les autorités espagnoles ont, par courriers des 13 février et 22 décembre 2003, apporté plusieurs éclaircissements relatifs à la portée de la loi 17/1993, telle que modifiée par la loi 55/1999, ainsi qu'aux modalités d'accès à la fonction publique espagnole et au système de classement retenu lors du recrutement initial des fonctionnaires et du personnel contractuel. Constatant, toutefois, que la loi 70/1978 n'avait toujours pas été amendée aux fins de permettre la prise en compte effective, dans la fonction publique espagnole, des périodes de service antérieurement accomplies par les ressortissants communautaires dans la fonction publique d'autres États membres, la Commission a décidé d'introduire le présent recours.
Sur le recours
11 S'appuyant sur la jurisprudence de la Cour, notamment les arrêts cités au point 8 du présent arrêt ainsi que ceux du 30 novembre 2000, Österreichischer Gewerkschaftsbund (C-195/98, Rec. p. I-10497), et du 30 septembre 2003, Köbler (C-224/01, Rec. p. I-10239), la Commission fait valoir que, en vertu des articles 39 CE et 7 du règlement n° 1612/68, le Royaume d'Espagne doit garantir la prise en compte effective de l'ancienneté et de l'expérience professionnelle acquises par les ressortissants communautaires dans la fonction publique d'un autre État membre et leur accorder, à cet égard, les mêmes droits et les mêmes avantages en matière de classement et de rémunération que ceux reconnus aux ressortissants communautaires ayant acquis une expérience similaire au sein de la fonction publique espagnole.
12 Le gouvernement espagnol ne conteste pas cette obligation ni la nécessité d'opérer, à cet effet, une réforme de la loi 70/1978 en vue d'étendre le champ d'application de cette loi de manière à reconnaître l'ancienneté et l'expérience acquises non seulement dans la fonction publique des autres États membres, mais également, en Espagne même, dans d'autres administrations que l'administration centrale. Toutefois, ledit gouvernement fait valoir que la mise en œuvre d'une telle réforme se heurte à des difficultés particulières liées, à la fois, à la multiplicité des organismes concernés, à la technicité propre de cette réforme et à la nécessité d'éviter une double comptabilisation de l'ancienneté relative à une même période d'activité professionnelle dans les systèmes de retraite de différents États membres. En effet, selon ce gouvernement, une mesure législative qui reconnaîtrait pleinement les périodes de service accomplies dans le secteur public d'autres États membres serait incompatible avec le droit communautaire en matière de pension de retraite dès lors qu'elle aboutirait à une double prise en compte d'une même période de service dans le calcul des droits relatifs à cette pension.
13 Invitée par la Cour à prendre position par écrit sur cette dernière question, la Commission a confirmé de manière expresse, par lettre du 29 avril 2005, que la question des droits à pension est étrangère à son recours, celui-ci visant uniquement le défaut de mise en conformité de la législation espagnole avec le droit communautaire dans le domaine de la reconnaissance, en ce qui concerne les effets pécuniaires, des périodes de service antérieures des ressortissants communautaires dans la fonction publique d'autres États membres. Il ressort du dossier que la Commission a spécialement en vue l'absence de prise en compte desdites périodes par la législation espagnole pour le calcul des triennats d'ancienneté prévus par la loi 70/1978, lesquels consistent dans l'octroi, pour chaque groupe de titularisation au sein de la fonction publique espagnole, d'un complément de rémunération identique par période de trois années de service accomplies dans un corps, un échelon, une classe ou une catégorie déterminés de ladite fonction publique.
14 à cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l'article 39 CE tel qu'interprété par la Cour, lorsque, à l'occasion du recrutement de personnel pour des postes qui ne rentrent pas dans le champ d'application du paragraphe 4 de cette disposition, un organisme public d'un État membre prévoit de prendre en considération les activités professionnelles exercées antérieurement par les candidats au sein d'une administration publique, cet organisme ne peut, à l'égard des ressortissants communautaires, opérer de distinction selon que ces activités ont été exercées dans l'État membre dont relève ledit organisme ou dans un autre État membre (voir, notamment, arrêts Scholz, précité, point 12, et du 12 mai 2005, Commission/Italie, C-278/03, Rec. p. I-3747, point 14).
15 Quant à l'article 7 du règlement n° 1612/68, il convient de souligner que cet article ne constitue que l'expression particulière du principe de non-discrimination consacré à l'article 39, paragraphe 2, CE dans le domaine spécifique des conditions d'emploi et de travail, et qu'il doit, dès lors, être interprété de la même façon que ce dernier article.
16 Au regard de ces deux dispositions, telles qu'elles ont été interprétées par la Cour de manière constante, il y a lieu de déclarer fondé le recours introduit par la Commission. En effet, il n'est pas contesté que, à l'expiration du délai fixé par l'avis motivé, aucune disposition législative n'avait été adoptée par les autorités espagnoles aux fins de garantir la prise en compte effective, dans le calcul des triennats d'ancienneté, des périodes de service antérieures des ressortissants communautaires dans la fonction publique d'autres États membres. Par ailleurs, aucun des éléments avancés par le gouvernement espagnol pour justifier cette situation ne saurait être admis.
17 En effet, d'une part, la circonstance que le retard constaté dans le processus de réforme de la loi 70/1978, au cœur du présent litige, découlerait du caractère technique de cette réforme ainsi que de la diversité des organismes qui y sont impliqués n'est pas de nature à exonérer un État membre de ses obligations résultant du droit communautaire. Conformément à une jurisprudence constante, un État membre ne saurait ainsi exciper ni de la complexité des réformes à mettre en œuvre, ni de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect desdites obligations (voir, en ce sens, notamment, arrêts du 15 mai 2003, Commission/France, C-483/01, Rec. p. I-4961, point 21, et Commission/France, C-484/01, Rec. p. I-4975, point 21, ainsi que du 8 décembre 2005, Commission/Irlande, C-38/05, non publié au Recueil, point 16).
18 S'agissant, d'autre part, de l'argument du gouvernement espagnol selon lequel ledit retard n'engendrerait aucun préjudice puisque la loi précitée ferait, en tout état de cause, l'objet d'une interprétation extensive, comme le démontrerait, notamment, un jugement du Tribunal Superior de Justicia de Murcia du 20 septembre 1999, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'incompatibilité d'une législation nationale avec des règles de droit communautaire, même directement applicables, ne peut être définitivement éliminée que par l'adoption de dispositions internes ayant un caractère contraignant et revêtues de la même valeur juridique que les dispositions internes qui doivent être modifiées. Des décisions de justice ou de simples pratiques administratives, ces dernières par nature modifiables au gré de l'administration et dépourvues d'une publicité adéquate, ne sauraient, dès lors, être considérées comme constituant une exécution valable des obligations du traité CE (voir, notamment, arrêts du 13 mars 1997, Commission/France, C-197/96, Rec. p. I-1489, point 14; du 10 mai 2001, Commission/Pays-Bas, C-144/99, Rec. p. I-3541, point 21; du 17 janvier 2002, Commission/Irlande, C-394/00, Rec. p. I-581, point 11, et du 8 décembre 2005, Commission/Luxembourg, C-115/05, non publié au Recueil, point 6).
19 Au regard de l'ensemble des considérations qui précèdent, il convient donc de constater que, en n'adoptant pas de dispositions législatives prévoyant explicitement, dans la fonction publique espagnole, la reconnaissance, en ce qui concerne les effets pécuniaires, des périodes de service antérieurement accomplies par des ressortissants communautaires dans la fonction publique d'un autre État membre, le Royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 39 CE et 7 du règlement n° 1612/68.
Sur les dépens
20 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume d'Espagne et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:
1) En n'adoptant pas de dispositions législatives prévoyant explicitement, dans la fonction publique espagnole, la reconnaissance, en ce qui concerne les effets pécuniaires, des périodes de service antérieurement accomplies par des ressortissants communautaires dans la fonction publique d'un autre État membre, le Royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 39 CE et 7 du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté.
2) Le Royaume d'Espagne est condamné aux dépens.
Signatures
* Langue de procédure: l'espagnol.