M. PAOLO MENGOZZI
«Directive 98/59/CE Article 2 Protection des travailleurs Licenciements collectifs Information et consultation des travailleurs Naissance de l'obligation de consultation Groupe d'entreprises Société mère Filiale»
- Par la présente demande de décision préjudicielle, qu'il a formée par une décision du 6 février 2008, le Korkein oikeus (Cour suprême) (Finlande) sollicite l'interprétation de la directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs (2). Cette demande a pour origine un litige opposant Akavan Erityisalojen Keskusliitto AEK ry e.a. (ci-après les «requérants au principal») à Fujitsu Siemens Computers Oy (ci-après la «défenderesse au principal») au sujet de l'obligation de procéder à des consultations avec les représentants des travailleurs en cas de licenciements collectifs.
- La présente procédure fournit à la Cour, pour la première fois, la possibilité de clarifier la portée de l'obligation de consultation prévue par la directive 98/59, dans le cas d'un groupe d'entreprises, lorsque l'initiative de «détacher» ou de fermer une entreprise émane du conseil d'administration de la société mère de l'entreprise.
II Le cadre juridique
A Le droit communautaire
- Selon le deuxième considérant de la directive 98/59, «[...] il importe de renforcer la protection des travailleurs en cas de licenciements collectifs en tenant compte de la nécessité d'un développement économique et social équilibré dans la Communauté».
- Aux termes du onzième considérant de la directive 98/59, «[...] il convient de faire en sorte que les obligations des employeurs en matière d'information, de consultation et de notification s'appliquent indépendamment du fait que la décision concernant les licenciements collectifs émane de l'employeur ou d'une entreprise qui contrôle cet employeur».
- L'article 2, paragraphe 1, de la directive 98/59 prévoit:
«Lorsqu'un employeur envisage d'effectuer des licenciements collectifs, il est tenu de procéder, en temps utile, à des consultations avec les représentants des travailleurs en vue d'aboutir à un accord.»
- L'article 2, paragraphe 2, premier alinéa, de la même directive dispose:
«Les consultations portent au moins sur les possibilités d'éviter ou de réduire les licenciements collectifs ainsi que sur les possibilités d'en atténuer les conséquences par le recours à des mesures sociales d'accompagnement visant notamment l'aide au reclassement ou à la reconversion des travailleurs licenciés.»
- Aux termes de l'article 2, paragraphe 3, premier alinéa, de la directive 98/59:
«Afin de permettre aux représentants des travailleurs de formuler des propositions constructives, l'employeur est tenu, en temps utile au cours des consultations:
a) de leur fournir tous renseignements utiles et
b) de leur communiquer, en tout cas, par écrit:A
i) les motifs du projet de licenciement;
ii) le nombre et les catégories des travailleurs à licencier;
iii) le nombre et les catégories des travailleurs habituellement employés;
iv) la période au cours de laquelle il est envisagé d'effectuer les licenciements;
v) les critères envisagés pour le choix des travailleurs à licencier dans la mesure où les législations et/ou pratiques nationales en attribuent la compétence à l'employeur;
vi) la méthode de calcul envisagée pour toute indemnité éventuelle de licenciement autre que celle découlant des législations et/ou pratiques nationales.»
- L'article 2, paragraphe 4, de la même directive dispose:
«Les obligations prévues aux paragraphes 1, 2 et 3 s'appliquent indépendamment du fait que la décision concernant les licenciements collectifs émane de l'employeur ou d'une entreprise qui contrôle cet employeur.
En ce qui concerne les infractions alléguées aux obligations d'information, de consultation et de notification prévues par la présente directive, toute justification de l'employeur fondée sur le fait que l'entreprise qui a pris la décision conduisant aux licenciements collectifs ne lui a pas fourni l'information nécessaire ne saurait être prise en compte.»
- L'article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 98/59, prévoit l'obligation pour l'employeur de notifier par écrit tout projet de licenciement collectif à l'autorité publique compétente. Selon le troisième alinéa du même paragraphe, la notification doit contenir tous renseignements utiles concernant le projet de licenciement collectif et les consultations des représentants des travailleurs.
B Le droit national
- Aux termes de l'article 7, paragraphe 1, de la loi applicable à l'époque des faits faisant l'objet de la procédure au principal, à savoir la loi sur la coopération au sein des entreprises [yhteistoiminnasta yrityksissä annettu laki (725/1978)], telle que modifiée par les lois 51/1993 et-06/1996 (ci-après la «loi sur la coopération»), avant que l'employeur ne tranche la question visée à l'article 6 (les licenciements collectifs à mettre en œvre), il doit effectuer des consultations relatives aux motifs de la mesure, à ses effets et à des alternatives à celle-ci avec les travailleurs ainsi qu'avec les agents ou les représentants du personnel concernés.
- Selon l'article 7, paragraphe 2, de la loi sur la coopération, l'employeur doit, avant d'enclencher la procédure de coopération, donner, en ce qui concerne le traitement de l'affaire, les informations nécessaires aux travailleurs concernés ainsi qu'aux représentants du personnel concernés. Les renseignements susmentionnés, tels que des renseignements sur les motifs du licenciement prévu, une estimation du nombre de travailleurs de différentes catégories qui seront visés par le licenciement, une estimation du délai dans lequel il est prévu de réaliser les licenciements planifiés ainsi que des renseignements sur les principes sur la base desquels les employés qui sont visés par le licenciement sont individualisés, doivent être fournis par écrit lorsque l'employeur envisage de licencier, de mettre temporairement au chômage pour plus de 90 jours ou de placer à temps partiel au moins dix travailleurs.
- L'article 7a, paragraphe 1, de la loi sur la coopération prévoit qu'il convient de faire une proposition écrite des consultations dans le cas visé à l'article 6, paragraphes 1 à 5, de ladite loi au moins cinq jours avant le début des consultations, si la mesure à négocier engendrera vraisemblablement le placement à temps partiel, le licenciement ou la mise au chômage temporaire d'un ou de plusieurs travailleurs.
- Selon l'article 8 de la loi sur la coopération, si l'employeur et les représentants du personnel n'ont pas convenu d'une autre procédure, l'employeur est considéré avoir rempli l'obligation de consultation lorsque l'affaire a été traitée de la manière prévue à l'article 7. Si la mesure à négocier engendre vraisemblablement le placement à temps partiel, le licenciement ou la mise temporaire au chômage pour une période de plus de 90 jours d'au moins dix travailleurs, l'employeur n'est pas réputé avoir rempli son obligation de consultation avant que six semaines au moins ne se soient écoulées à partir du début des consultations. En outre, l'examen des alternatives à la mesure peut commencer au plus tôt lorsque sept jours se sont écoulés depuis l'examen des motifs et des effets, s'il n'en est pas convenu autrement.
- En vertu de l'article 15a de la loi sur la coopération, lorsque la décision a été prise, intentionnellement ou par négligence manifeste, en infraction aux dispositions des articles 7, paragraphes 1 à 3, 7a ou 8 et que, pour des raisons liées à la décision, le travailleur a été placé à temps partiel, au chômage de manière temporaire, ou qu'il a été licencié, le travailleur a le droit d'obtenir de l'employeur une indemnité correspondant à un maximum de 20 mois de salaire.
III Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour
- à la suite du regroupement de certaines des activités commerciales en matière informatique de Fujitsu Ltd et de Siemens AG en une entreprise commune, le groupe Fujitsu Siemens Computers a commencé ses activités le 1er ctobre 1999.
- La défenderesse au principal est devenue une filiale de Fujitsu Siemens Computers (Holding) BV (Pays-Bas) (ci-après la «société mère»). à cette date, le groupe avait des installations de production à Kilo, district de la commune de Espoo (Finlande), ainsi qu'à Augsbourg, à Paderborn et à Sömmerda (Allemagne).
- Le 7 décembre 1999, le directoire de la société mère, composé des membres exécutifs de son conseil d'administration, a eu une réunion par téléphone. Au cours de cette réunion, il a été décidé de présenter au conseil d'administration de la société mère une proposition de détachement de l'usine de Kilo.
- Lors de la réunion du conseil d'administration de la société mère en date du 14 décembre 1999, il a été décidé de soutenir la proposition du directoire. Cependant, d'après le procès-verbal de cette réunion, aucune décision précise en ce qui concerne l'usine de Kilo n'a été adoptée.
- Le même jour, la défenderesse au principal a proposé des consultations en matière de coopération. Ces consultations se sont déroulées entre le 20 décembre 1999 et le 31 janvier 2000, c'est-à -dire pendant une période de six semaines.
- Le conseil d'administration de la défenderesse au principal, sous la présidence du vice'président du conseil d'administration de la société mère, a adopté, le 1er février 2000, une décision relative à la cessation d'activité de la société, à l'exception des activités de commercialisation d'ordinateurs en Finlande. La défenderesse au principal a commencé à licencier ses employés le 8 février 2000. Au total, environ 450 sur 490 employés ont été licenciés.
- Certains employés de la défenderesse au principal ont fait observer que cette dernière avait enfreint la loi sur la coopération dans le cadre des décisions intervenues à la fin de l'année 1999 et au début de l'année 2000, en ce qui concerne la fermeture de l'installation de production de Kilo. En application de l'article 15a de la loi sur la coopération, les travailleurs ont transmis aux requérants au principal, dont Akavan Erityisalojen Keskusliitto AEK ry, qui est l'un des plus grands syndicats en Finlande, leurs droits de créances avec intérêts sur l'indemnité prévue par ladite loi lorsque la décision de licenciement collectif a été prise illégalement, afin que les requérants au principal procèdent à leur recouvrement.
- Les requérants au principal ont demandé qu'il plaise à l'Espoon käräjäoikeus (tribunal de première instance d'Espoo) condamner la défenderesse au principal à leur verser l'indemnité prévue par la loi sur la coopération. Au cours da la procédure de première instance, les requérants au principal ont fait valoir que, dans le cadre du conseil d'administration de la société mère, une décision définitive relative au détachement de l'installation de production de Kilo de la défenderesse au principal avait été prise en réalité au plus tard le 14 décembre 1999, avant que les consultations sur la coopération n'aient eu lieu avec le personnel. La défenderesse au principal aurait donc enfreint, intentionnellement ou par négligence manifeste, la loi sur la coopération.
- L'Espoon käräjäoikeus a estimé que les requérants au principal n'avaient pas démontré que le conseil d'administration de la société mère aurait décidé de la cessation d'activité de l'installation de production de Kilo de telle sorte que la consultation entre l'employeur et les travailleurs au sein de la défenderesse au principal n'aurait pas pu se produire de la manière prévue par la loi sur la coopération. Selon cette juridiction, les alternatives à la fermeture de ladite installation étaient réelles et ces alternatives avaient été examinées dans le cadre des consultations sur la coopération. L'Espoon käräjäoikeus, en concluant que la décision relative à la cessation d'activité de l'installation de production de Kilo avait été prise lors de la réunion du conseil d'administration de la défenderesse au principal du 1er février 2000, lorsqu'il s'était avéré impossible de trouver d'autres alternatives et que les consultations relatives à la coopération avaient été réelles et appropriées, a ainsi rejeté le recours.
- Le Helsingin hovioikeus (cour d'appel de Helsinki) a confirmé, en substance, le jugement de première instance.
- Le Korkein oikeus, saisi du pourvoi, considère que les dispositions de la directive 98/59 ainsi que celles de la loi sur la coopération présentent des divergences du point de vue de leur construction et de leur contenu.
- Estimant que l'interprétation des dispositions de la directive 98/59 est nécessaire pour rendre son jugement, le Korkein oikeus a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) L'article 2, paragraphe 1, de la directive 98/59 [...] doit-il être interprété en ce sens que son obligation d'engagement de consultations 'en temps utile' lorsque l'on 'envisage' un 'licenciement collectif' des travailleurs requiert que les consultations commencent lorsqu'il a été constaté que les décisions stratégiques ou les modifications adoptées en ce qui concerne l'activité commerciale rendront nécessaire un licenciement collectif des travailleurs? Ou bien convient-il d'interpréter ladite disposition en ce sens que l'obligation d'entamer les consultations naît déjà au motif que l'employeur envisage de prendre des mesures ou des modifications portant sur l'activité commerciale, telles qu'une modification de la capacité de production ou une concentration de la production, dont on s'attend à ce qu'elles rendront nécessaire un licenciement collectif des travailleurs?
2) Compte tenu du fait que l'article 2, paragraphe 3, premier alinéa, de la directive [98/59] renvoie à la communication des renseignements en temps utile lors des consultations, l'article 2, paragraphe 1, de la directive doit-il être interprété en ce sens que [l']obligation d'entamer des consultations 'en temps utile' lorsque l'on 'envisage' des licenciements collectifs requiert que les consultations commencent avant même que l'appréciation faite par l'employeur ne soit parvenue à un stade permettant à l'employeur d'individualiser et de transmettre aux travailleurs les renseignements visés à l'article 2, paragraphe 3, sous b), [de ladite directive]?
3) Convient-il d'interpréter l'article 2, paragraphe 1, de la directive [98/59], en combinaison avec son article 2, paragraphe 4, en ce sens que, dans un cas où l'employeur se trouve sous le contrôle d'une autre société, l'obligation de l'employeur de commencer les consultations avec le représentant des travailleurs naît lorsque soit l'employeur, soit la société mère qui détient un pouvoir de contrôle vis-à -vis de ce dernier envisage d'agir en vue de procéder au licenciement collectif des travailleurs au service de l'employeur?
4) Lorsqu'il s'agit de consultations à mener au sein d'une filiale faisant partie d'un groupe et que l'on apprécie, compte tenu des dispositions de l'article 2, paragraphe 4, de la directive [98/59], l'obligation de l'article 2, paragraphe 1, d'entamer des consultations 'en temps utile' lorsque l'on 'envisage' des licenciements collectifs, l'obligation d'entamer des consultations naît-elle déjà lorsque la direction du groupe ou de la société mère envisage un licenciement collectif mais que cette appréciation ne s'est pas encore précisée au point de concerner des travailleurs au service d'une certaine filiale relevant d'un contrôle, ou bien l'obligation d'entamer des consultations au sein de la filiale naît'elle seulement au moment où la direction du groupe ou de la société mère envisage des licenciements collectifs expressément dans la filiale concernée?
5) Lorsque l'employeur est une entreprise (une filiale faisant partie d'un groupe) vis'à 'vis de laquelle une deuxième entreprise (une société mère ou la direction d'un groupe) détient un pouvoir de contrôle au sens de l'article 2, paragraphe 4, de la directive [98/59], l'article 2 de la directive [98/59] doit-il être interprété en ce sens que la procédure de consultation qui y est visée doit être clôturée avant qu'une décision ne soit prise au niveau de la société mère ou de la direction du groupe en ce qui concerne les licenciements collectifs à mettre en œvre au sein de la filiale?
6) Si la directive [98/59] doit être interprétée en ce sens que la procédure de consultation devant être menée au sein de la filiale doit être clôturée avant qu'une décision engendrant des licenciements collectifs des travailleurs ne soit prise au niveau de la société mère ou de la direction du groupe, une décision ayant pour effet direct de mettre en œvre des licenciements collectifs au sein de la filiale est-elle la seule décision déterminante dans ce contexte ou bien faut-il que la procédure de consultation soit clôturée avant même que ne soit prise, au niveau de la société mère ou de la direction du groupe, une décision commerciale ou stratégique sur le fondement de laquelle les licenciements collectifs au sein de la filiale sont probables mais ne sont pas encore sà»rs et définitifs?»
- Conformément à l'article 23 du statut de la Cour de justice, les requérants au principal, la défenderesse au principal, les gouvernements finlandais et du Royaume-Uni ainsi que la Commission des Communautés européennes ont déposé des observations écrites. Ces parties ont également été entendues en leurs plaidoiries lors de l'audience, qui s'est tenue le 14 janvier 2009, à l'exception du gouvernement du Royaume-Uni qui ne s'y est pas fait représenter.
IV Analyse
A Sur la recevabilité des quatre premières questions
- Selon la défenderesse au principal, les quatre premières questions seraient irrecevables puisque non pertinentes aux fins de la solution du litige au principal. à son avis, ces questions viseraient à préciser le moment où l'entreprise devrait entamer des consultations sur la coopération relative aux licenciements, alors même que cette question juridique n'a pas fait l'objet de la procédure au principal, aucune des parties n'ayant fait valoir que l'employeur aurait négligé d'entamer des consultations en temps utile.
- L'objection soulevée à l'encontre de la recevabilité des quatre premières questions ne saurait, à mon sens, être retenue.
- Il importe de rappeler, tout d'abord, que, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales, telle que prévue à l'article 234 CE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de l'affaire pendante devant lui, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu'il pose à la Cour (3).
- Il en résulte que les questions relatives à l'interprétation du droit communautaire posées par le juge national, dans le cadre réglementaire et factuel qu'il définit sous sa responsabilité, et dont il n'appartient pas à la Cour de vérifier l'exactitude, bénéficient d'une présomption de pertinence (4). Cette présomption de pertinence ne peut être écartée que dans des cas exceptionnels, lorsqu'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation sollicitée du droit communautaire n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal, ou lorsque le problème est de nature hypothétique ou que la Cour ne dispose pas des éléments de fait ou de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (5).
- En l'occurrence, les quatre premières questions, contrairement à ce que suggère la défenderesse au principal, ne visent pas exclusivement à fixer un point de départ précis, mais visent plutôt à établir quel acte ou projet de la société mère ou de l'employeur relevant du contrôle de cette dernière peut être qualifié de telle manière que l'on puisse les considérer comme un acte ou un projet par lequel l'une ou l'autre a envisagé un licenciement collectif ayant la conséquence d'enclencher l'obligation d'entamer des consultations avec les travailleurs au sens de la directive 98/59. Il ressort du dossier que cette interprétation est nécessaire afin de décider si le projet de détachement élaboré par la société mère concernant la défenderesse au principal peut être qualifié de décision de licenciement collectif, comme le prétendent les requérants au principal, ou de décision faisant éventuellement naître l'obligation des consultations relatives au licenciement collectif prévues par la loi sur la coopération qui transpose la directive 98/59. Il ne s'agit donc ni d'un problème hypothétique ni d'une question n'ayant aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal.
- Il s'ensuit qu'il y a lieu de répondre aux quatre premières questions préjudicielles.
B Sur le fond
1. Remarques liminaires
- Comme il a été révélé lors de l'examen de la recevabilité, l'une des questions essentielles pour la solution du litige au principal est celle de la qualification juridique de la «décision» de la société mère et la définition des conséquences en matière de consultation des représentants des travailleurs prévues par la directive 98/59. Cette question a d'ailleurs laissé place à une certaine confusion dans les observations des parties qui sont intervenues devant la Cour.
- Partant, il s'avère utile, avant d'aborder l'examen des différentes questions préjudicielles, d'examiner le champ d'application personnel de la directive 98/59 (6) et plus particulièrement la question, évoquée également lors de l'audience, de savoir si ladite directive établit des obligations à la charge non seulement de l'employeur, mais aussi de l'entreprise qui contrôle cet employeur.
- Une réponse à cette question, peut, à mon avis, être trouvée directement sur la base du texte des dispositions pertinentes de la directive en question.
- En effet, il y a lieu de constater que le libellé de la directive 98/59, notamment l'article 2, paragraphes 1, 3 et 4, ainsi que l'article 3, paragraphes 1 et 2, ne laisse aucun doute raisonnable quant au destinataire des obligations en matière d'information, de consultation et de notification.
- L'article 2, paragraphe 1, de ladite directive prévoit expressément que seul l'employeur est tenu de procéder, en temps utile, à des consultations avec les représentants des travailleurs. L'article 2, paragraphe 3, premier alinéa, de la même directive identifie uniquement l'employeur comme responsable de fournir tous renseignements utiles aux représentants des travailleurs. Selon la disposition de ce paragraphe 3, second alinéa, l'employeur est tenu de transmettre à l'autorité publique compétente la copie des éléments de la communication écrite prévus au premier alinéa.
- L'article 2, paragraphe 4, de la directive 98/59 ne prévoit en aucune manière une obligation à la charge de la société mère. Cet article indique uniquement que les obligations en matière d'information et de consultation prévues par la directive 98/59 s'appliquent indépendamment du fait que la décision concernant les licenciements collectifs émane de l'employeur ou d'une entreprise qui contrôle cet employeur. Le second alinéa de ce paragraphe 4 établit la responsabilité de l'employeur pour les décisions prises par la société mère, même s'il n'en a pas eu connaissance.
- Bien que ledit article 2, paragraphe 4, second alinéa, ne prévoit expressément aucune obligation qui incombe à la société mère en matière d'information, de consultation et de notification, il n'en demeure pas moins que, dans le cas où la société mère prend la décision conduisant aux licenciements collectifs, cette dernière est tenue de fournir l'information nécessaire à l'employeur concerné, sur lequel elle exerce un pouvoir de contrôle, pour que celui-ci soit en mesure de pouvoir dà»ment remplir toutes les obligations d'information, de consultation et de notification prévues par la directive 98/59. Cette obligation de la société mère consistant à fournir des renseignements nécessaires est donc uniquement valable dans la relation employeur-société mère. Elle ne concerne pas l'obligation de consultation proprement dite.
- L'article 3 de la directive 98/59, qui établit les règles de la procédure de notification, prévoit que cette obligation de notification incombe uniquement à l'employeur qui est tenu de notifier à l'autorité compétente tout projet de licenciement (article 3, paragraphe 1) et qui doit transmettre aux représentants des travailleurs la copie de cette notification (article 3, paragraphe 2).
- Partant, aucun élément que je puisse déduire des dispositions interprétées ne me permet de considérer que la directive 98/59 prévoit des obligations à la charge de la société mère en matière d'information, de consultation et de notification à l'égard des représentants des travailleurs de l'employeur ou à l'égard des autorités publiques (7). Plus particulièrement, en ce qui concerne l'obligation de consultation, il y a lieu de faire observer que le respect de cette obligation incombe uniquement à l'employeur même lorsque la société mère, qui exerce un contrôle sur ce dernier, prend la décision conduisant aux licenciements collectifs.
- Ces remarques étant faites, il importe à présent d'examiner les six questions préjudicielles.
2. Sur la première question
- Par la première question, la juridiction de renvoi, au-delà du langage un peu confus qu'elle utilise, souhaite, en réalité, être éclairée sur la signification de l'expression «envisage d'effectuer des licenciements collectifs», au sens de l'article 2, paragraphe 1, de la directive 98/59. Elle le fait pour le besoin de définir le moment auquel un employeur envisage cette mesure, étant donné que l'obligation de consultation surgit à ce moment précis. La juridiction de renvoi suggère deux interprétations. Selon la première interprétation possible, ce moment se produit lorsqu'il a été constaté que les décisions stratégiques ou les modifications qui sont intervenues dans l'activité rendront nécessaire un licenciement collectif. Selon la seconde interprétation possible, ledit moment coïncide avec le moment où l'employeur considère d'adopter des mesures ou d'apporter des modifications affectant l'activité de la société dont on s'attend à ce qu'elles rendront nécessaire un licenciement collectif des travailleurs (8).
- Il y a lieu de rappeler que l'article 2, paragraphe 1, de la directive 98/59 prévoit l'obligation pour l'employeur de procéder, «en temps utile», à des consultations avec les représentants des travailleurs lorsqu'il «envisage d'effectuer des licenciements collectifs».
- Cette disposition, en établissant que l'obligation de consultation naît dès que l'employeur envisage d'effectuer des licenciements collectifs, utilise le verbe «envisager» qui n'est pas, per se, apte à établir le moment précis où l'obligation de consultation naît. Pour déterminer ce moment, il importe de faire un effort interprétatif.
- Cet effort doit partir, tout d'abord, d'une considération des différentes versions linguistiques de l'article 2, paragraphe 1, de la directive 98/59. Il doit ensuite tenir compte d'un arrêt de la Cour qui, dans une affaire analogue à celle faisant l'objet de la présente procédure, a eu l'occasion d'interpréter cette disposition, ainsi que de la finalité de celle-ci.
- Dans les versions linguistiques de la directive 98/59 autres que la version française, le verbe «envisager» est rendu par des expressions telles que «tener la intención» (version espagnole), «beabsichtigen» (version allemande), «contemplate» (version anglaise) et «prevedere» (version italienne).
- Il paraît ainsi déjà résulter de la comparaison de ces différentes versions linguistiques de l'article 2, paragraphe 1, de la directive 98/59 que le législateur communautaire a voulu faire surgir l'obligation prévue par cette disposition de l'existence d'une intention de la part de l'employeur d'effectuer des licenciements collectifs.
- Une telle interprétation de l'article 2, paragraphe 1, de la directive 98/59 peut être retenue à la lumière de l'arrêt Dansk Metalarbejderforbund et Specialarbejderforbundet i Danmark (9), dans lequel la Cour s'est prononcée sur la question de savoir si l'article 2, paragraphe 1, de la directive 75/129 trouvait à s'appliquer lorsque, en raison de sa situation financière, l'employeur aurait dà» envisager un licenciement collectif, mais ne l'a pas fait. La Cour a constaté que cette disposition ne s'applique que lorsque l'employeur a réellement envisagé d'effectuer un licenciement collectif ou avait établi un projet de licenciement collectif (10).
- De plus, cette interprétation est confirmée par la finalité de l'obligation de consultation que la directive 98/59 fait naître de la circonstance qu'un employeur envisage d'effectuer des licenciements collectifs.
- En effet, comme il résulte de la précision contenue à l'article 2, paragraphe 2, de la directive 98/59, l'obligation en question n'est pas prévue seulement «en vue d'aboutir à un accord» avec les représentants des travailleurs sur les licenciements collectifs à effectuer. Elle vise aussi à essayer d'atténuer les conséquences de tels licenciements par le recours à des mesures sociales d'accompagnement visant, notamment, l'aide au reclassement ou à la reconversion des travailleurs licenciés.
- à l'une et à l'autre fin, la consultation est, dans son essence, fonctionnelle à la réalisation d'une négociation (11); il est prévu que l'employeur l'entame en temps utile, c'est-à -dire à un moment où, en raison de sa fonction, elle ouvre aux représentants des travailleurs la possibilité de participer de manière efficace à cette négociation.
- Néanmoins, pour que cette participation soit efficace, il faut qu'elle intervienne à un moment où la négociation est susceptible d'avoir un objet suffisamment déterminé; un tel moment ne peut coïncider qu'avec le moment où il est possible de constater qu'il existe une intention de l'employeur d'effectuer des licenciements collectifs ou, du moins, qu'il prévoit déjà la possibilité d'y procéder à la suite des mesures projetées. C'est seulement à ce moment-là qu'il est possible de considérer que l'employeur est tenu de procéder à des consultations. Préalablement à ce moment, une participation véritable des représentants des travailleurs dans la prise de décision concernant l'emploi de ceux-ci et des alternatives réelles au licenciement collectif ne peuvent pas exister; par conséquent, une consultation ne serait pas utile.
- Étant donné que, comme le laisse entendre clairement le libellé de l'article 2, paragraphe 1, de la directive 98/59, la conséquence qui découle du fait d'envisager des licenciements collectifs est automatique et que cet effet surgit seulement si l'on est en présence d'une intention ou d'un projet de la part de l'employeur d'effectuer des licenciements collectifs, l'on doit considérer que ce fait, à savoir celui d'envisager ces licenciements, se produit seulement lorsque il est en mesure de donner lieu à une consultation capable de se réaliser à travers une négociation ayant un objet suffisamment déterminé.
- Eu égard à la finalité de l'obligation de consultation et à la nécessité de constater l'existence d'une intention dans le chef de l'employeur de procéder à un licenciement collectif, une décision qui engendre la nécessité probable de procéder, dans le futur, à des licenciements collectifs, ne saurait être couverte par le terme «envisager», puisque cette décision est caractérisée par l'absence de l'intention de l'employeur d'effectuer des licenciements collectifs ou d'un projet précis de le faire.
- En conséquence, j'estime que la première interprétation suggérée par la juridiction de renvoi dans sa première question, relative à la situation où l'employeur prend des mesures qui rendront nécessaire un licenciement collectif des travailleurs, se rapproche du cas où l'employeur devrait peut-être prévoir des licenciements collectifs mais n'a pas encore l'intention de les effectuer. En tenant compte de l'arrêt Dansk Metalarbejderforbund et Specialarbejderforbundet i Danmark, précité, et de la signification à accorder au terme «envisager» à la lumière de la fonction de l'obligation de consultation, je suis d'avis que la directive 98/59 ne saurait encore s'appliquer dans une telle situation. En effet, il me semble que l'expression «rendre nécessaire» utilisée par la juridiction de renvoi fait référence à un stade prématuré dans lequel l'employeur n'a pas encore projeté ou prévu des licenciements collectifs.
- Cela étant, il convient de noter que le second interprétation suggérée par la juridiction de renvoi dans sa première question, selon laquelle l'article 2, paragraphe 1, de la directive 98/59 devrait être entendu dans le sens que l'obligation de consultation surgirait dans le cas où l'employeur envisage de prendre des mesures dont on s'attend qu'elles rendront nécessaire un licenciement collectif des travailleurs, décrit une situation encore plus éloignée que celle envisagée dans la première alternative. Dans une telle situation, non seulement l'employeur n'a pas encore projeté ou prévu des licenciements collectifs, mais la réalisation d'un tel événement se situe encore au niveau de la pure probabilité.
- Il s'ensuit, à mon sens, que tant la première que la seconde alternatives proposées dans la première question reflètent des situations dans lesquelles la directive 98/59 ne saurait trouver à s'appliquer.
- Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la première question posée par la juridiction de renvoi que l'article 2, paragraphe 1, de la directive 98/59 doit être interprété en ce sens que ni la situation où l'employeur prend des mesures qui rendront nécessaire un licenciement collectif des travailleurs, ni celle où l'employeur projette d'adopter des mesures dont on s'attend qu'elles rendront nécessaire un licenciement collectif des travailleurs ne sauraient être couvertes par l'expression «envisage d'effectuer des licenciements collectifs». Cette expression doit être entendue dans le sens qu'elle se réfère au moment où l'on peut constater qu'il existe une intention de l'employeur d'effectuer des licenciements collectifs ou, du moins, qu'il prévoit déjà la possibilité d'y procéder à la suite des mesures projetées.
3. Sur la deuxième question
- Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'obligation d'entamer des consultations en temps utile lorsque l'on envisage des licenciements collectifs requiert que les consultations commencent avant même que l'employeur soit en mesure de fournir les informations visées à l'article 2, paragraphe 3, sous b), de la directive 98/59. Elle concerne donc le lien entre le point de départ des consultations et l'obligation de communiquer les informations prévues à l'article 2, paragraphe 3, de la directive 98/59 aux représentants des travailleurs.
- Il convient de constater que le libellé de l'article 2, paragraphe 3, premier alinéa, de la directive 98/59 indique clairement que les renseignements doivent être fournis par l'employeur «en temps utile au cours des consultations», afin «de permettre aux représentants des travailleurs de formuler des propositions constructives».
- Compte tenu du fait que, selon l'article 2, paragraphe 3, premier alinéa, de ladite directive, les renseignements visés audit paragraphe 3, sous b), i) à vi), doivent être fournis au cours des consultations, il peut logiquement être considéré que l'obligation de fournir tous les renseignements exigés ne doit pas nécessairement être respectée au moment de l'ouverture de la consultation, mais peut l'être même au cours de celle-ci.
- Dans la logique de cette disposition, en effet, l'employeur doit tenir les travailleurs au courant des développements et leur fournir toutes les informations pertinentes tout au long des consultations. Cette souplesse s'avère nécessaire eu égard au fait que les renseignements peuvent devenir disponibles à différents moments du processus de consultation, ce qui implique que l'employeur a la possibilité de compléter, au cours des consultations, les renseignements visés à l'article 2, paragraphe 3, sous b), de la directive 98/59.
- Cette souplesse est de plus nécessaire dès lors que, comme il résulte expressément dudit paragraphe 3, la communication des renseignements «en temps utile» a pour finalité de «permettre aux représentants des travailleurs de formuler des propositions constructives» au cours du processus de consultation. Par conséquent, la communication des renseignements doit être comprise comme une obligation dont l'objectif est de permettre une participation des travailleurs au processus de consultation aussi complète et effective que possible, et, pour l'être, l'information doit être fournie jusqu'au dernier moment de la consultation.
- Il en découle que le moment du début des consultations ne dépend pas du fait que l'employeur soit déjà en mesure de fournir aux travailleurs toutes les informations mentionnées à l'article 2, paragraphe 3, sous b), de la directive 98/59.
- Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la deuxième question posée par la juridiction de renvoi que la naissance de l'obligation de l'employeur d'entamer les consultations sur les licenciements collectifs ne dépend pas du fait que l'employeur soit déjà en mesure de fournir aux représentants des travailleurs tous les renseignements exigés par l'article 2, paragraphe 3, sous b), de la directive 98/59.
4. Sur les troisième et quatrième questions
- Par la troisième question, la juridiction de renvoi demande à la Cour s'il convient d'interpréter les dispositions combinées de l'article 2, paragraphe 1, et de l'article 2, paragraphe 4, de la directive 98/59 en ce sens que l'obligation de consultation avec les représentants des travailleurs naît lorsque soit l'employeur, soit la société mère qui contrôle ce dernier envisage des licenciements collectifs. Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande si la naissance de l'obligation d'entamer des consultations exige, dans le cas d'un groupe d'entreprises, que l'appréciation de la nécessité du licenciement collectif envisagé par la société mère se soit précisée au point de concerner des travailleurs d'un certain employeur.
- Il convient de rappeler, tout d'abord, que, selon l'article 2, paragraphe 4, premier alinéa, de la directive 98/59, les obligations de l'employeur en matière d'information, de consultation et de notification s'appliquent indépendamment du fait que la décision concernant les licenciements collectifs émane de l'employeur ou d'une entreprise qui contrôle cet employeur.
- à l'égard du libellé de cette disposition, la juridiction de renvoi attire l'attention sur les formulations divergentes des paragraphes 1 et 4 dudit article 2 (le paragraphe 1 fait référence au cas dans lequel l'employeur «envisage» d'effectuer des licenciements collectifs, alors que le paragraphe 4 évoque une «décision» concernant les licenciements collectifs), d'une part, et sur les différents temps utilisés dans les verbes se rapportant à la «décision» par certaines des versions linguistiques du paragraphe 4 [par exemple l'emploi de l'imparfait en allemand («getroffen wurde»), du présent continu en anglais («is being taken»), du présent en français («émane») et du passé composé en finnois («on päättänyt»)], d'autre part.
- S'agissant de la divergence dans les formulations desdits paragraphes 1 et 4, j'estime qu'il faut tenir compte, premièrement, d'une interprétation systématique de la directive 98/59 et, deuxièmement, de l'objectif de l'article 2, paragraphe 4, de celle-ci.
- Pour ce qui concerne l'interprétation systématique de la directive 98/59, il convient de relever que la règle principale relative au début de l'obligation de consultation est établie par l'article 2, paragraphe 1, de ladite directive; le paragraphe 4 de cet article 2 n'a qu'une fonction auxiliaire par rapport audit paragraphe 1. En effet, ce paragraphe 4 a pour objectif de confirmer la portée de l'obligation de consultation de l'employeur prévue à l'article 2, paragraphe 1, de la directive 98/59 quand ce dernier est une filiale d'une entreprise. Pour cette raison, la différence de langage qui résulte de la disposition auxiliaire dudit paragraphe 4 ne peut pas changer la signification de la règle principale. Au contraire, c'est à la lumière de la règle principale que la disposition auxiliaire doit être entendue.
- Par conséquent, le terme «décision» utilisé à l'article 2, paragraphe 4, de la directive 98/59 doit être entendu au sens large, à la lumière de l'article 2, paragraphe 1, de cette directive qui, comme il a été mis en exergue au point 54 des présentes conclusions, en utilisant le verbe «envisager» fait référence à un moment où l'on projette ou prévoit de réaliser des licenciements collectifs, et qui précède l'adoption de la décision de licenciement.
- Partant, je suis d'avis que l'article 2, paragraphe 4, de la directive 98/59 ne doit pas être interprété de telle manière que l'obligation de consultation naît lorsque la société mère a adopté une décision de licenciement collectif, mais, au contraire, surgit au moment où soit l'employeur, soit l'entreprise qui contrôle ce dernier envisage, c'est'à 'dire projette ou prévoit, d'effectuer des licenciements collectifs.
- Cette interprétation est confirmée par l'objectif de la directive 98/59, tel qu'il est exprimé à l'article 2, paragraphe 2, de celle-ci d'éviter des licenciements collectifs ou, du moins, de réduire le nombre des travailleurs concernés par cette mesure. La réalisation de cet objectif serait compromise si la consultation était postérieure à la décision de licenciement collectif de la société mère qui contrôle l'employeur devant mettre en œvre ce licenciement (12).
- Eu égard aux observations qui précèdent, il n'est pas nécessaire d'examiner les divergences entre les différentes versions linguistiques concernant les temps utilisés dans les verbes se rapportant au terme «décision», et il faut tenir pour non pertinent l'emploi du temps passé dans certaines versions linguistiques de l'article 2, paragraphe 4, de la directive 98/59.
- Par conséquent, il convient d'interpréter l'article 2, paragraphe 1, de la directive 98/59, en combinaison avec l'article 2, paragraphe 4, de cette directive, en ce sens que, dans le cas d'un groupe d'entreprises, l'obligation de consultation avec les représentants des travailleurs naît lorsque soit l'employeur, soit l'entreprise qui contrôle ce dernier projette ou prévoit d'effectuer des licenciements collectifs.
- Cependant, il y a lieu de rappeler que le respect de cette obligation de consultation incombe, ainsi qu'il a été mis en exergue aux points 38 et 40 des présentes conclusions, à l'employeur, indépendamment du fait que les licenciements collectifs sont projetés ou prévus par l'employeur ou par la société mère.
- J'estime qu'il convient de partir de cette constatation pour répondre à la quatrième question de la juridiction de renvoi par laquelle cette dernière demande si la naissance de l'obligation d'entamer des consultations avec les représentants des travailleurs exige, dans le cas d'un groupe d'entreprises, que la filiale dont les travailleurs seront concernés par le licenciement collectif soit déjà précisée.
- Eu égard au fait que l'obligation de consultation avec les représentants des travailleurs est à la charge de l'employeur, je suis d'avis que cette obligation ne prend naissance que lorsque la société mère, exerçant le contrôle, a identifié la filiale dans laquelle des licenciements collectifs sont envisagés. Ce n'est que cette filiale, en tant qu'employeur, qui peut engager de telles consultations, dont l'objectif est de parvenir à un accord avec les représentants des travailleurs.
- Cette finalité de l'obligation de consultation, qui vise, ainsi qu'il a été mis en exergue au point 53 des présentes conclusions, à assurer une participation véritable des représentants des travailleurs dans la prise de décision concernant l'emploi de ceux-ci, serait compromise dans l'hypothèse où l'obligation de consultation prendrait naissance à un moment où la société mère n'a pas encore identifié la filiale qui sera concernée par les licenciements collectifs envisagés. Dans ce cas, toutes les filiales d'un groupe d'entreprises se verraient obligées d'engager en même temps les consultations dans une situation où personne ne sait encore quel pourrait en être l'objet ni si elles sont véritablement nécessaires. Partant, la participation effective des représentants des travailleurs serait impossible dans une telle hypothèse.
- Par conséquent, j'estime que l'obligation de consultation prend naissance lorsque la société mère exerçant le contrôle a identifié la filiale qui sera concernée par les licenciements collectifs envisagés.
- Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux troisième et quatrième questions posées par la juridiction de renvoi qu'il convient d'interpréter l'article 2, paragraphe 1, de la directive 98/59, lu en combinaison avec l'article 2, paragraphe 4, de cette directive, en ce sens que, dans le cas d'un groupe d'entreprises, l'obligation de consultation avec les représentants des travailleurs naît lorsque soit l'employeur, soit l'entreprise qui contrôle ce dernier projette ou prévoit d'effectuer des licenciements collectifs. Dans le cas où c'est la société mère qui le prévoit, l'obligation de consultation ne prend naissance que lorsqu'elle a identifié la filiale qui sera concernée par ces licenciements.
5. Sur les cinquième et sixième questions
- Par la cinquième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si la procédure de consultation prévue à l'article 2, paragraphe 1, de la directive 98/59 doit être clôturée par l'employeur avant que la décision de licenciement collectif ne soit prise au niveau de la société mère. En cas de réponse affirmative, la juridiction de renvoi demande, par la sixième question, avant quel type de décision de la société mère la procédure de consultation doit être clôturée. Elle propose deux options, à savoir, d'une part, une décision ayant pour effet direct de mettre en œvre des licenciements collectifs au sein de la filiale et, d'autre part, une décision commerciale ou stratégique sur le fondement de laquelle les licenciements collectifs au sein de la filiale sont probables mais ne sont pas encore sà»rs et définitifs.
- J'estime que la réponse à apporter à la cinquième question peut être déduite de l'arrêt Junk, précité. Dans cet arrêt, la Cour a confirmé qu'un contrat de travail ne peut être résilié qu'après la clôture de la procédure de consultation, c'est-à -dire après que l'employeur a satisfait aux obligations prévues à l'article 2 de la directive 98/59 (13). Il s'ensuit que la procédure de consultation doit être terminée avant qu'une décision de licenciement collectif ne soit prise.
- En ce qui concerne le cas où cette décision de licenciement collectif à mettre en œvre au sein d'une filiale est prise par la société mère, je rappelle que l'article 2, paragraphe 4, de la directive 98/59 prévoit que l'obligation de consultation s'applique indépendamment du fait que la décision concernant les licenciements collectifs émane de l'employeur ou d'une entreprise qui contrôle cet employeur, ou, ainsi que cette précision a été apportée dans la réponse à la troisième question, indépendamment du fait que ces licenciements ont été envisagés par l'employeur ou par l'entreprise qui contrôle ce dernier.
- Par conséquent, j'estime que toute décision d'une société mère de mettre en œvre des licenciements collectifs dans une filiale, et qui conduit la filiale, en tant qu'employeur, à résilier les contrats de travail des employés, ne peut être prise qu'après la clôture de la procédure de consultation prévue à l'article 2, paragraphe 1, de la directive 98/59.
- Cette interprétation est confirmée par l'objectif de la directive 98/59, tel qu'il est exprimé à l'article 2, paragraphe 2, de celle-ci, d'éviter des licenciements collectifs ou, du moins, de réduire le nombre des travailleurs concernés par cette mesure. La réalisation de cet objectif serait compromise, ainsi qu'il a déjà été mis en exergue au point 75 des présentes conclusions, si la consultation était postérieure à la décision de licenciement collectif de la société mère (14).
- En ce qui concerne la sixième question, par laquelle la juridiction de renvoi demande avant quel type de décision de la société mère la procédure de consultation doit être clôturée, il résulte déjà , à mon sens, de la réponse donnée aux première et cinquième questions qu'il s'agit de la décision de licenciement collectif, faisant l'objet de la première option suggérée par la juridiction de renvoi.
- S'agissant de la seconde option proposée par la juridiction de renvoi, selon laquelle la procédure de consultation doit être terminée avant qu'une décision commerciale ou stratégique ne soit prise, sur le fondement de laquelle les licenciements collectifs au sein de la filiale sont probables mais ne sont pas encore sà»rs et définitifs, je tiens à rappeler la réponse apportée à la première question.
- Eu égard à la constatation faite au point 60 des présentes conclusions, selon laquelle la décision prise par l'employeur qui rendra nécessaire un licenciement collectif des travailleurs ne saurait être couverte par l'expression «envisage d'effectuer des licenciements collectifs», il peut être constaté que cette décision, qui n'est pas apte à servir comme point de départ des consultations, est encore moins susceptible d'être qualifiée de point de clôture des consultations.
- Étant donné que, à l'égard de l'obligation de consultation, il est sans importance, selon l'article 2, paragraphe 4, de la directive 98/59, que la décision concernant les licenciements collectifs émane de l'employeur ou d'une entreprise qui contrôle cet employeur, il convient de noter que la constatation faite au point précédent des présentes conclusions à propos d'une décision prise par l'employeur est également valable en ce qui concerne la décision, adoptée par la société mère, qui rendra nécessaire un licenciement collectif des travailleurs de cet employeur.
- Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux cinquième et sixième questions posées par la juridiction de renvoi qu'il convient d'interpréter l'article 2, paragraphe 1, de la directive 98/59, lu en combinaison avec l'article 2, paragraphe 4, de celle-ci, en ce sens que, dans le cas d'un groupe d'entreprises, la procédure de la consultation doit être clôturée par l'employeur avant que la décision de licenciement collectif ne soit prise au niveau de la société mère. La décision commerciale ou stratégique de cette dernière sur le fondement de laquelle les licenciements collectifs au sein de la filiale sont probables mais ne sont pas encore sà»rs et définitifs ne saurait être déterminante pour la définition du moment de la clôture des consultations menées avec les représentants des travailleurs.
V Conclusion
- Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le Korkein oikeus:
«1) L'article 2, paragraphe 1, de la directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs, doit être interprété en ce sens que ni la situation où l'employeur prend des mesures qui rendront nécessaire un licenciement collectif des travailleurs, ni celle où l'employeur projette d'adopter des mesures dont on s'attend qu'elles rendront nécessaire un licenciement collectif des travailleurs ne sauraient être couvertes par l'expression 'envisage d'effectuer des licenciements collectifs'. Cette expression doit être entendue dans le sens qu'elle se réfère au moment où l'on peut constater qu'il existe une intention de l'employeur d'effectuer des licenciements collectifs ou, du moins, qu'il prévoit déjà la possibilité d'y procéder à la suite des mesures projetées.
2) La naissance de l'obligation de l'employeur d'entamer les consultations sur les licenciements collectifs ne dépend pas du fait que l'employeur soit déjà en mesure de fournir aux représentants des travailleurs tous les renseignements exigés par l'article 2, paragraphe 3, sous b), de la directive 98/59.
3) L'article 2, paragraphe 1, de la directive 98/59, lu en combinaison avec l'article 2, paragraphe 4, de cette directive, doit être entendu dans le sens que, dans le cas d'un groupe d'entreprises, l'obligation de consultation avec les représentants des travailleurs naît lorsque soit l'employeur, soit l'entreprise qui contrôle ce dernier projette ou prévoit d'effectuer des licenciements collectifs. Dans le cas où c'est la société mère qui le prévoit, l'obligation de consultation ne prend naissance que lorsqu'elle a identifié la filiale qui sera concernée par ces licenciements.
4) L'article 2, paragraphe 1, de la directive 98/59, lu en combinaison avec l'article 2, paragraphe 4, de celle-ci, doit être entendu dans le sens que, dans le cas d'un groupe d'entreprises, la procédure de consultation doit être clôturée par l'employeur avant que la décision de licenciement collectif ne soit prise au niveau de la société mère. La décision commerciale ou stratégique de cette dernière sur le fondement de laquelle les licenciements collectifs au sein de la filiale sont probables mais ne sont pas encore sà»rs et définitifs ne saurait être déterminante pour la définition du moment de la clôture des consultations menées avec les représentants des travailleurs.»
1 Langue originale: le français.
2 JO L 255, p. 16.
3 Voir, notamment, arrêt du 6 novembre 2008, Trespa International (C-48/07, non encore publié au Recueil, point 32 et jurisprudence citée).
4 Ibidem (point 33 et jurisprudence citée).
5 Idem.
6 La directive 98/59 constitue, comme le précise son premier considérant, la codification de la directive 75/129/CEE du Conseil, du 17 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs (JO L 48, p. 29), telle que modifiée par la directive 92/56/CEE du Conseil, du 24 juin 1992 (JO L 245, p. 3). En effet, comme j'ai déjà eu l'occasion de le relever aux points 35 et 36 de mes conclusions, présentées le 21 janvier 2009, dans l'affaire Mono Car Styling (C-2/08), pendante devant la Cour, il est donc possible de considérer la directive 98/59 à part entière comme la version actuellement en vigueur de la directive 75/129.
7 Cette interprétation est d'ailleurs confirmée par l'intention du législateur communautaire. à cet égard, il me semble utile de se référer aux travaux préparatoires de la directive 92/56 qui, introduisant le paragraphe 4 de l'article 2 dans la directive 75/129, ont abouti à l'adoption du texte définitif de la directive 75/129, reprise dans la directive 98/59. Selon le point 16 des motifs de la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 75/129 [COM(91) 292 final, JO C 310, p. 5), «il convient de souligner que le texte révisé ne fait passer directement aucune obligation sur l'entreprise qui exerce le contrôle comme tel. Les problèmes d'extraterritorialité sont dès lors évités. Il convient également de noter que la Commission ne propose pas un mécanisme [...] permettant aux travailleurs de demander des consultations avec l'administration centrale de l'entreprise ou la direction de l'entreprise qui exerce le contrôle du groupe (appelé système 'by-pass')».
8 Italiques ajoutés par mes soins.
9 Arrêt du 12 février 1985, Dansk Metalarbejderforbund et Specialarbejderforbundet i Danmark (284/83, Rec. p. 553).
10 Ibidem (points 12 à 17).
11 Pour la mise en exergue de la fonction des consultations comme donnant lieu à une négociation, voir point 59 des conclusions de l'avocat général Tizzano dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 27 janvier 2005, Junk (C-88/03, Rec. p. I'885), et, en ce sens, point 43 de cet arrêt.
12 Voir, en ce sens, arrêt Junk, précité (point 44).
13 Voir arrêt Junk, précité (point 45).
14 Voir, en ce sens, arrêt Junk, précité (point 44).