BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?
No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!
[Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback] | ||
Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
||
You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Eredics (Police and judicial cooperation in criminal matters) French Text [2010] EUECJ C-205/09 (01 July 2010) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2010/C20509_O.html |
[New search] [Help]
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
Mme Juliane Kokott
présentées le 1er juillet 2010 (1)
Affaire C-205/09
Szombathelyi Városi Ügyészség
contre
Emil Eredics
et
Mária Sápi épouse Vass
(demande de décision préjudicielle formée par le Szombathelyi Városi Bíróság [Hongrie])
«Coopération policière et judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2001/220/JAI – Notion de ‘victime’ dans le cadre de procédures pénales – Personne morale – Médiation pénale dans le cadre de la procédure pénale»
I – Introduction
1. La présente demande de décision préjudicielle donne à la Cour l’occasion de préciser sa jurisprudence relative à la notion de «victime» dans la décision-cadre 2001/220/JAI relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales (ci-après la «décision-cadre») (2).
2. À l’occasion d’un litige au cours duquel le ministère public a refusé à l’accusé le déroulement d’une médiation dans le cadre de la procédure pénale, la juridiction de renvoi soulève, d’une part, à nouveau la question de savoir si la notion de «victime» au sens de la décision-cadre peut aussi s’entendre d’une personne morale. Elle s’interroge, d’autre part, sur les exigences découlant de la décision-cadre en ce qui concerne les modalités concrètes de la procédure de médiation.
II – Cadre juridique
A – Droit de l’Union
3. Selon l’article 1er, sous a), de la décision-cadre, la notion de «victime» désigne «la personne physique qui a subi un préjudice, y compris une atteinte à son intégrité physique ou mentale, une souffrance morale ou une perte matérielle, directement causé par des actes ou des omissions qui enfreignent la législation pénale d’un État membre».
4. L’article 1er, sous e), de la décision-cadre définit la notion de «médiation dans les affaires pénales» comme étant «la recherche, avant ou pendant la procédure pénale, d’une solution négociée entre la victime et l’auteur de l’infraction, par la médiation d’une personne compétente».
5. L’article 10 de la décision-cadre est ainsi libellé:
«Médiation pénale dans le cadre de la procédure pénale
1. Chaque État membre veille à promouvoir la médiation dans les affaires pénales pour les infractions qu’il juge appropriées à cette forme de mesure.
2. Chaque État membre veille à ce que tout accord intervenu entre la victime et l’auteur de l’infraction lors de la médiation dans les affaires pénales puisse être pris en compte.»
B – Droit national
6. L’article 221/A du code de procédure pénale hongrois (a büntető eljárási törvény) dispose:
«1) La procédure de médiation est une procédure qui peut être appliquée à la demande du suspect ou de la victime, et avec leur consentement, dans les procédures pénales engagées en raison d’infractions contre les personnes (chapitre XII, titres I et III, du Code pénal), la sécurité des transports (chapitre XIII du Code pénal) ou la propriété (chapitre XVIII du Code pénal) passibles d’une peine qui n’est pas plus lourde qu’une peine privative de liberté de cinq années.
2) La procédure de médiation a pour objectif de favoriser la réparation des conséquences de l’infraction et la conformité au droit du comportement futur du suspect. Dans la procédure de médiation, il convient de tendre à ce qu’un accord fondé sur le repentir actif du suspect intervienne entre le suspect et la victime. Au cours de la procédure pénale, l’affaire ne donne lieu au déroulement d’une procédure de médiation qu’à une seule reprise.
3) Le parquet ordonne d’office ou à la demande du suspect, du défenseur ou de la victime la suspension de la procédure pour une période de six mois au plus et le déroulement de la procédure de médiation de l’affaire
a) si la cessation des poursuites sur le fondement de l’article 36 du Code pénal ou une réduction illimitée de la peine est possible;
b) si le suspect reconnaît les faits au cours de l’enquête, accepte et est en mesure d’assumer la charge de l’indemnisation du préjudice subi par la victime ou de la réparation auprès de la victime, par tout autre moyen, des conséquences dommageables de l’infraction;
c) si le suspect et la victime ont également marqué leur accord au déroulement de la procédure de médiation, et
d) si, compte tenu de la nature de l’infraction, des modalités de commission et de la personne du suspect, le déroulement de la procédure judiciaire peut être omis ou il apparaît fondé de penser que la juridiction pourra apprécier le repentir actif lors de la détermination de la peine.
[…]
5) Il n’est pas possible d’utiliser à des fins probatoires les déclarations du suspect et de la victime se rapportant aux agissements qui servent de fondement à la procédure et qui ont été réalisées au cours de la procédure de médiation. Le résultat de la procédure de médiation ne peut pas être utilisé à charge contre le suspect.
[…]
7) Si la procédure de médiation aboutit et qu’il y a lieu d’appliquer l’article 36, paragraphe 1, du Code pénal, le parquet clôt la procédure; s’il y a lieu d’appliquer l’article 36, paragraphe 2, du Code pénal, il prononce la mise en accusation. Si le suspect a commencé à exécuter la convention intervenue au terme de la procédure de médiation, sans que cela n’ait d’incidence sur la possibilité de prononcer une sanction pénale, le parquet peut ajourner la mise en accusation pendant un à deux ans pour les infractions punissables d’une peine privative de liberté ne dépassant pas trois ans.»
7. L’article 266, paragraphe 3, sous c), du code de procédure pénale prévoit que la juridiction peut suspendre la procédure dans l’intérêt du déroulement d’une procédure de médiation, pour une durée de six mois au plus. L’article 307 de ce même code de procédure pénale prévoit en outre que la procédure peut également être suspendue après la tenue d’une audience.
8. L’article 314 du code pénal hongrois (Büntető törvénykönyv, ci-après «code pénal») dispose comme suit:
«1) La personne qui cause un dommage au budget des Communautés européennes en faisant une déclaration mensongère, en utilisant un document au contenu mensonger, faux ou falsifié, ou qui ne satisfait pas ou insuffisamment, de manière à induire en erreur, aux obligations d’information prescrites en relation
a) avec des aides provenant de fonds gérés par les Communautés européennes ou en son nom,
b) avec des versements destinés au budget géré par les Communautés européennes ou en son nom
commet une infraction passible d’une peine privative de liberté pouvant aller jusqu’à cinq ans.
2) Sera également punie conformément aux dispositions du premier paragraphe la personne qui fait usage, à une fin différente de celle approuvée,
a) d’une aide telle celle visée au premier paragraphe, sous a), ou
b) d’un avantage en relation avec le versement visé au premier paragraphe sous b).»
9. L’article 318 du code pénal est ainsi libellé:
«1) La personne qui, en vue d’en retirer un bénéfice illégitime, induit une autre personne en erreur ou la laisse dans l’erreur et cause ainsi un préjudice commet une escroquerie.
[…]
4) L’infraction sera punie d’une peine privative de liberté pouvant allant jusqu’à trois ans si
a) l’escroquerie cause un préjudice considérable,
[…]».
10. L’article 138/A du code pénal prévoit ce qui suit:
«Aux fins de l’application de la présente loi, […] un préjudice est
[…]
b) considérable, s’il excède 200 000 HUF sans excéder 2 000 000 HUF.»
11. L’article 36 du code pénal dispose:
«1) N’est passible d’aucune peine la personne qui indemnise la victime, dans le cadre d’une procédure de médiation, du dommage causé par une infraction contre les personnes (chapitre XII, titres I et III, du Code pénal), la sécurité des transports (chapitre XIII du Code pénal) ou la propriété (chapitre XVIII du Code pénal) passible d’une peine qui n’est pas plus lourde qu’une peine privative de liberté de trois années ou assume la réparation, par tout autre moyen, des conséquences dommageables de l’infraction.
2) En ce qui concerne les infractions visées au premier paragraphe, la peine peut être réduite de manière illimitée si l’auteur indemnise la victime, dans le cadre d’une procédure de médiation, du dommage causé par une infraction passible d’une peine qui n’est pas plus lourde qu’une peine privative de liberté de cinq années ou assume la réparation, par tout autre moyen, des conséquences dommageables de l’infraction.»
12. L’infraction d’atteinte aux intérêts financiers des Communautés européennes prévue à l’article 314, paragraphe 1, du code pénal figure dans le chapitre XVII du code pénal, relatif aux infractions économiques.
III – Cadre factuel et procédure au principal
13. M. Eredics, principal prévenu dans l’affaire au principal, est poursuivi pour avoir frauduleusement détourné des fonds d’un montant de 1 200 000 HUF provenant d’un programme de l’Union européenne au moyen de documents falsifiés et d’avoir ainsi causé un préjudice à la société hongroise VÁTI, qui était chargée de surveiller la réalisation du projet subventionné et assumait la responsabilité de l’arrêté des comptes, ainsi qu’au budget de l’Union européenne.
14. Le parquet compétent a qualifié ces agissements d’atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne, infraction prévue et réprimée par l’article 314, paragraphe 1, sous a), du code pénal hongrois.
15. Dans le cadre de son enquête, le parquet a procédé à plusieurs reprises à l’audition de M. Eredics sans pour autant que ce dernier ne reconnaisse les faits qui lui étaient reprochés.
16. Sur la base des conclusions de l’enquête, le parquet près le Szombathelyi Várósi Bíróság (tribunal municipal de Szombathely) a procédé à la mise en accusation de M. Emil Eredics et d’une autre personne par acte du 2 septembre 2008.
17. Après réception de l’acte d’accusation, la juridiction de renvoi a procédé à sa signification au principal suspect en date du 7 novembre 2008. Lors de son audition par la juridiction de renvoi, M. Eredics a reconnu les faits qui lui étaient reprochés et a introduit une demande tendant au déroulement d’une médiation en vue d’obtenir un abandon des poursuites ou une réduction illimitée de la peine encourue conformément à l’article 221/A du code de procédure pénale.
18. Le représentant de la société VÁTI Kht. a marqué son accord au déroulement d’une procédure de médiation.
19. Le parquet soutient que l’infraction reprochée au suspect ne figure pas au nombre de celles pour lesquelles la procédure de médiation est prévue. En outre, une médiation ne pourrait pas être réalisée en l’espèce car M. Eredics n’aurait pas reconnu les faits au cours de l’enquête, ainsi que l’exigerait le droit hongrois. De surcroît, il serait vain de permettre la participation de la société VÁTI Kht., en qualité de victime, à la médiation et de lui faire bénéficier d’une indemnisation par le suspect; en effet, la véritable victime serait la Communauté européenne, puisque le détournement des fonds européens porterait atteinte aux intérêts financiers de la Communauté et à son budget, de sorte que la médiation ne serait pas justifiée en l’espèce.
IV – Demande de décision préjudicielle et procédure devant la Cour
20. C’est dans ce contexte que le Szombathelyi Városi Bíróság a suspendu la procédure par décision du 22 avril 2009, parvenue à la Cour le 8 juin suivant, et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
1) Eu égard à l’obligation de promotion de la médiation entre la victime et l’auteur de l’infraction dans les affaires pénales visée à l’article 10 de la décision-cadre, une «personne autre qu’une personne physique» relève-t-elle de la notion de «victime» au sens de l’article 1er, sous a), de la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil? Dans le cadre de cette question, la juridiction de renvoi demande explicitement à ce que la Cour précise et complète l’arrêt du 28 juin 2007 dans l’affaire Dell’Orto, C-467/05.
2) Est-il possible d’interpréter la notion d’«infractions» à l’article 10 de la décision-cadre 2001/220/JAI en ce sens qu’elle vise toutes les infractions dont l’élément matériel défini par la loi est en substance analogue?
3) L’article 10, paragraphe 1, de la décision-cadre 2001/220/JAI peut-il être interprété en ce sens qu’il doit être possible de satisfaire aux conditions requises aux fins d’une médiation entre la victime et l’auteur au moins jusqu’à l’adoption d’une décision de premier ressort, de sorte que l’exigence d’une reconnaissance des faits lors de la procédure judiciaire, après achèvement de l’enquête, sous réserve de la réunion des autres conditions exigées, est conforme à l’obligation de promotion de la médiation?
4) L’article 10, paragraphe 1, de la décision-cadre 2001/220/JAI implique-t-il de garantir un accès général à la possibilité de médiation dans les affaires pénales, sous réserve de la réunion des conditions préalables prévues par la loi, sans laisser aucune marge d’appréciation? Les dispositions (exigences) de l’article 10 s’opposent-elles, en d’autres termes, à une règle selon laquelle «compte tenu de la nature de l’infraction, des modalités de commission et de la personne du suspect, le déroulement de la procédure judiciaire peut être omis ou il apparaît fondé de penser que la juridiction pourra apprécier le repentir actif lors de la détermination de la peine»?
21. Au cours de la procédure devant la Cour, les gouvernements français, italien et hongrois, ainsi que la Commission ont déposé des observations.
V – Appréciation
A – Première question préjudicielle
22. Par sa première question, la juridiction de renvoi souhaite en substance savoir si, à tout le moins dans le cadre d’une médiation au titre de l’article 10 de la décision-cadre, une personne morale peut être considérée comme «victime» au sens de ladite décision-cadre.
23. Cette question relative au champ d’application personnel de la décision-cadre a déjà été abordée par la Cour dans l’arrêt qu’elle a rendu dans l’affaire Dell’Orto dont la juridiction de renvoi demande explicitement qu’il soit précisé et complété. Dans cet arrêt, la Cour avait jugé que la décision-cadre devait être interprétée en ce sens que, dans le cadre d’une procédure d’exécution postérieure à un jugement définitif de condamnation, la notion de «victime» au sens de cette décision-cadre n’incluait pas les personnes morales (3).
24. La présente affaire soulève donc la question de savoir s’il convient de faire application d’une notion plus large de «victime» dans le cadre de la médiation prévue à l’article 10 de la décision-cadre. Cela est toutefois à exclure.
25. En effet, on peut d’emblée objecter que l’article 1er, sous a), de la décision-cadre comporte une définition légale de la notion de «victime». Cette disposition précise à titre liminaire qui est susceptible d’être considéré comme une «victime» aux fins de ladite décision-cadre, en l’occurrence uniquement les personnes physiques. Rien dans le libellé de la décision-cadre ne permet de supposer que la notion de «victime» puisse faire l’objet d’une interprétation plus large dans certains domaines relevant de celle-ci.
26. Ainsi que je l’ai exposé dans mes conclusions dans l’affaire Dell’Orto, l’interprétation systématique et téléologique de la décision-cadre milite également à l’encontre d’un élargissement de la notion de «victime» au-delà des limites inhérentes au libellé de sa définition. En effet, de nombreuses dispositions de ladite décision-cadre ne peuvent concerner, de par leur objet même, que des personnes physiques (4). À cet égard, on peut citer à titre d’exemple l’article 1er, sous a), qui vise parmi les préjudices susceptibles d’être subis par une victime une atteinte à son intégrité physique ou mentale ou une souffrance morale. Seules les personnes physiques sont susceptibles de subir un tel préjudice. On peut également citer l’article 2, paragraphe 1, selon lequel les victimes doivent bénéficier d’un traitement dûment respectueux de leur dignité personnelle.
27. Les droits fondamentaux que le législateur de l’Union est tenu de respecter n’imposent pas davantage l’inclusion des personnes morales dans la notion de «victime». En effet, même au regard du principe d’égalité de traitement, il était loisible au législateur de ne se préoccuper que du traitement des personnes physiques. Quoique des personnes morales soient également susceptibles d’être victimes d’infractions, il ressort de la définition même de la notion de «victime» à l’article 1er, sous a), de la décision-cadre que le préjudice subi par des personnes physiques ne se limite souvent pas à des pertes matérielles, mais est susceptible de revêtir en présence d’atteintes à l’intégrité physique ou mentale ou d’une souffrance morale, une nature toute différente de celle des préjudices subis par des personnes morales. En outre, les personnes physiques ont fréquemment bien davantage besoin de bénéficier d’une protection dans le cadre de procédures pénales que les personnes morales qui bénéficient le plus souvent de l’appui de professionnels. Ceci constitue des raisons objectives au traitement privilégié de personnes physiques victimes d’infractions.
28. Il convient donc de constater que la décision-cadre ne comporte aucun élément militant en faveur d’un élargissement de la notion de «victimes» aux personnes morales, au-delà du libellé de sa définition. Cela vaut également en ce qui concerne la médiation prévue à l’article 10 de la décision-cadre.
29. Il convient enfin d’aborder l’objection soulevée par la juridiction de renvoi selon laquelle une inégalité de traitement des victimes d’infractions par les États membres pourrait résulter de l’absence d’inclusion des personnes morales dans la notion de «victime» au sens de la décision-cadre. En effet, certains États membres retiendraient une notion de «victime» plus large, comprenant les personnes morales, lors de la mise en œuvre de la décision-cadre. Par rapport à la situation prévalant dans ces États, les victimes seraient moins bien traitées dans les États membres pour qui la notion de «victime» ne s’entend que des personnes physiques.
30. Cette inégalité de traitement résulte toutefois du fait que la décision-cadre n’avait pour objet que de parvenir à une harmonisation des mesures relatives au statut des personnes physiques. Le risque d’une inégalité de traitement dans le domaine non harmonisé est inhérent au caractère partiel de l’harmonisation ainsi réalisée et il n’est pas possible d’y remédier par une interprétation extensive de la décision-cadre qui ferait litière de son libellé univoque.
B – Deuxième question préjudicielle
31. Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi souhaite savoir si la notion d’«infractions» au sens de l’article 10 de la décision-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle vise toutes les infractions dont l’élément matériel défini par la loi est en substance analogue.
32. Cette question repose sur la prémisse selon laquelle, en droit hongrois, une médiation peut être réalisée en cas d’escroquerie, même lorsque la victime de l’infraction est une personne morale. En revanche, lorsque les agissements sont constitutifs du délit d’atteinte aux intérêts financiers des Communautés européennes prévu et réprimé par l’article 314 du code pénal, le droit hongrois ne prévoit pas de médiation. En effet, cette disposition figure au chapitre XVII du code pénal (infractions économiques) – chapitre qui ne compte pas au nombre de ceux pour lesquels l’article 221/A du code de procédure pénale ouvre une possibilité de procédure de médiation (5).
33. La juridiction de renvoi juge l’élément matériel des infractions d’escroquerie et d’atteinte aux intérêts financiers des Communautés européennes identique en substance. En conséquence, il s’agit de savoir si le législateur national en matière pénale est libre de prévoir une médiation dans un cas et non dans l’autre, ou si le droit de l’Union exige une uniformité de traitement.
34. À titre liminaire, il convient de faire observer que le gouvernement hongrois a exposé de manière convaincante dans ses observations écrites que les deux infractions prévues en droit pénal hongrois se distinguaient nettement. En fin de compte, il appartiendrait à la juridiction de renvoi de se prononcer sur la question de la comparabilité des deux infractions.
35. Les gouvernements hongrois et italien sont d’avis que la deuxième question serait manifestement hypothétique, compte tenu de la réponse à la première question, de sorte qu’il n’y aurait pas lieu d’y répondre, dès lors qu’elle concernerait une infraction à l’encontre d’une personne morale qui ne relèverait précisément pas de la décision-cadre.
36. S’agissant des infractions pour lesquelles le législateur hongrois a prévu une médiation (6), celui-ci a permis la médiation tant lorsque la victime est une personne physique que lorsque celle-ci est une personne morale. En l’espèce, le législateur hongrois pourrait donc avoir opté en faveur d’une «transposition exorbitante» de la décision-cadre, en s’inspirant par conséquent des exigences de celle-ci également en ce qui concerne la médiation en présence de personnes morales.
37. Selon une jurisprudence constante, en cas d’une telle transposition exorbitante, une question portant sur l’interprétation du droit de l’Union est recevable. Il existe, en effet, pour l’ordre juridique de l’Union, un intérêt manifeste à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, toute disposition de droit de l’Union reçoive une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elle est appelée à s’appliquer (7).
38. Si la Cour retenait une telle transposition exorbitante, elle devrait se prononcer sur le point de savoir si, dans le champ d’application de la décision-cadre, c’est-à-dire dans le cas de personnes physiques, un État membre est tenu de prévoir uniformément une médiation pour toutes les infractions analogues.
39. Il ressort certes d’emblée du libellé de la décision-cadre que celle-ci reconnaît aux États membres une large marge d’appréciation aux fins de l’aménagement de la médiation dans les affaires pénales. Ainsi, d’une part, il se borne, de manière prudente, à imposer aux États membres de veiller à promouvoir la médiation dans les affaires pénales. Cette obligation de promotion ne pèse sur les États membres que pour les infractions qu’ils jugent «appropriées» à cette forme de mesure. Ce critère du caractère approprié laisse aux États membres une large marge d’appréciation aux fins de la détermination des infractions pour lesquelles ils entendent prévoir une médiation. On pourrait toutefois s’interroger sur le point de savoir si le principe d’égalité de traitement du droit de l’Union, qui s’impose aux États membres lors de la mise en œuvre de la décision-cadre, exige d’eux, lorsqu’ils prévoient une médiation pour des infractions déterminées, qu’ils introduisent uniformément celle-ci pour l’ensemble des infractions analogues. Dans le cas contraire, une inégalité de traitement entre personnes victimes d’infractions en substance analogues pourrait en résulter. La victime d’une infraction donnée bénéficierait de la possibilité d’une médiation, tandis qu’aucune possibilité de médiation ne serait prévue en faveur de la victime d’une infraction en substance analogue. À cet égard, il conviendrait encore de se prononcer sur le point de savoir si une telle inégalité de traitement pourrait être justifiée, notamment par des considérations de prévention.
40. Je ne souhaite cependant pas me prononcer définitivement sur ces questions, à ce stade, car je considère qu’il n’y a pas eu transposition exorbitante en l’espèce. Le législateur hongrois a délibérément choisi de ne prévoir aucune médiation pour l’infraction pertinente dans le cas d’espèce, à savoir l’atteinte aux intérêts financiers des Communautés européennes dont aucune personne physique ne saurait être la victime. En effet, cette infraction ne figure pas au nombre des infractions pour lesquelles l’article 221/A, paragraphe 1, du code de procédure pénale hongrois prévoit une possibilité de médiation. En conséquence, aucune transposition exorbitante n’était précisément voulue à cet égard, sans doute. Le gouvernement hongrois indique même qu’une médiation serait, en l’espèce, contraire à la loi. Dans la mesure où le législateur hongrois prévoit, pour d’autres infractions, une médiation également en présence de personnes morales en tant que victimes, il a tout au plus opté en faveur d’une transposition exorbitante partielle. Aucune transposition exorbitante n’a eu lieu pour l’infraction en cause en l’espèce et la catégorie d’infractions à laquelle celle-ci appartient.
41. Les indications données par la juridiction de renvoi à propos de la deuxième question ne comportent pas non plus d’élément qui autoriserait à penser qu’elle a posé ladite question dans le contexte d’une transposition exorbitante. J’interprète plutôt la deuxième question de la juridiction de renvoi comme portant sur le point de savoir si le droit de l’Union impose à un État membre d’ouvrir aux personnes morales une possibilité de médiation lorsque le droit national ouvre, dans le cas d’une infraction analogue, une telle possibilité de médiation aux personnes morales, en tant que victimes.
42. À cet égard, il convient de faire clairement ressortir qu’il n’existe aucune obligation, dans le chef d’un État membre, de prévoir une médiation lorsque la victime de l’infraction est une personne morale. Le principe d’égalité du droit de l’Union ne vaut, en effet, que dans le champ d’application du droit de l’Union qui est déterminé, en l’espèce, par la décision-cadre. La décision-cadre ne régit que les personnes physiques en tant que victimes d’infractions; les personnes morales en tant que victimes ne relèvent pas du champ d’application de la décision-cadre et donc de celui du droit de l’Union. En conséquence, le principe d’égalité du droit de l’Union n’emporte aucune obligation de prévoir une médiation dans les affaires pénales lorsqu’une personne morale a été victime d’une infraction et que le droit national ouvre une possibilité de médiation, même lorsque la victime est une personne morale, dans le cas d’une infraction en substance analogue.
C – Remarque liminaire à propos des troisième et quatrième questions préjudicielles
43. Par ses troisième et quatrième questions, la juridiction de renvoi souhaite en savoir davantage sur les modalités concrètes de la procédure de médiation régie par l’article 10 de la décision-cadre. Certaines parties sont d’avis que ces questions sont de nature manifestement hypothétique, de sorte qu’il n’y aurait pas lieu pour la Cour d’y répondre. Dès lors qu’il ressort d’ores et déjà des réponses aux deux premières questions qu’aucune victime au sens de la décision-cadre n’est concernée par la procédure au principal et que le principe d’égalité de traitement n’impose pas de prévoir une possibilité de médiation dans le cas de l’infraction en cause dans le cas d’espèce, alors même que la victime est une personne morale, je considère également qu’il n’est pas nécessaire de répondre à ces questions.
44. Pour le cas où la Cour souhaiterait également répondre à ces deux questions en se fondant sur l’idée d’une «transposition exorbitante», telle qu’elle a été abordée au point 36 des présentes conclusions, il convient de les examiner ci-après à titre subsidiaire.
D – Troisième question préjudicielle
45. En ce qui concerne les modalités de la procédure de médiation, la juridiction de renvoi demande tout d’abord si l’article 10 de la décision-cadre doit être interprété en ce sens qu’une médiation entre la victime et l’auteur doit être possible au moins jusqu’à l’adoption d’une décision de premier ressort.
46. Dans ses explications relatives à cette question, la juridiction de renvoi indique qu’il serait, selon elle, contraire aux droits de la défense du suspect de subordonner la réalisation d’une médiation à une reconnaissance préalable des faits au cours de l’enquête. Or, selon les dispositions pertinentes du droit hongrois de la procédure pénale, il est notamment exigé que «le suspect reconnaî[sse] les faits au cours de l’enquête, accepte et [soit] en mesure d’assumer la charge de l’indemnisation du préjudice subi par la victime ou de la réparation auprès de la victime, par tout autre moyen, des conséquences dommageables de l’infraction» (8).
47. Cette troisième question préjudicielle se subdivise donc en deux sous-questions. Il convient, d’une part, de déterminer jusqu’à quand une médiation doit demeurer possible, et, d’autre part, s’il est conforme aux exigences de la décision-cadre de subordonner la réalisation d’une médiation à l’exigence d’une reconnaissance des faits au stade de l’enquête.
1. Sur le moment de la procédure de médiation
48. L’article 10, paragraphe 1, de la décision-cadre impose aux États membres de veiller à promouvoir la médiation dans les affaires pénales.
49. Il pourrait paraître contraire à cette disposition qu’un État membre n’ouvre la possibilité d’une médiation qu’au cours de l’enquête, assurant ainsi la promotion d’une médiation exclusivement à un stade précoce de la procédure.
50. L’article 1, sous e), de la décision-cadre définit expressément la «médiation dans les affaires pénales» comme se comprenant de la recherche, avant ou pendant la procédure pénale, d’une solution négociée entre la victime et l’auteur de l’infraction, par la médiation d’une personne compétente. Il est indéniable que la promotion de la médiation est assurée de manière particulièrement exhaustive lorsque celle-ci peut avoir lieu encore immédiatement avant que la procédure pénale ne prenne fin. La décision-cadre n’impose toutefois pas une obligation de promotion aussi étendue. En effet, la décision-cadre définit expressément la médiation comme une initiative avant ou pendant la procédure pénale et se contente donc d’exiger qu’une possibilité de médiation fût ouverte à un stade quelconque de la procédure. Il résulte de l’emploi de la conjonction «ou» dans la décision-cadre qu’une médiation peut avoir lieu tant au cours de l’enquête que durant la procédure judiciaire, sans pour autant qu’il soit nécessaire que cette possibilité fût ouverte dans un cas comme dans l’autre. Ainsi, c’est aux États membres qu’il revient de déterminer s’ils entendent limiter la possibilité d’une médiation à un seul stade procédural en vertu du large pouvoir d’appréciation qui leur est reconnu par la décision-cadre.
51. En outre, le gouvernement hongrois fait déjà valoir qu’une médiation serait possible en droit hongrois même après clôture de l’enquête, au cours de la procédure judiciaire, ce que corroborent les termes de l’article 266, paragraphe 3, du code de procédure pénale. La juridiction de renvoi cherche donc peut-être à connaître le moment auquel la reconnaissance des faits exigée aux fins d’une médiation peut légalement intervenir. C’est également le sens de la deuxième partie de la troisième question préjudicielle.
2. Sur la reconnaissance des faits par le suspect
52. En droit hongrois, l’article 221/A, paragraphe 3, sous b), du code de procédure pénale subordonne le déroulement d’une médiation à une reconnaissance des faits au cours de l’enquête. Il convient d’examiner ci-après si cela répond à suffisance à l’obligation de promotion de la médiation prévue à l’article 10 de la décision-cadre.
53. La décision-cadre ne donne pas davantage de précisions quant aux modalités exactes de la procédure de médiation qu’il appartient aux États membres de déterminer. L’article 10, paragraphe 1 impose uniquement aux États membres, d’une manière générale, de veiller à promouvoir la médiation dans les affaires pénales. Selon le paragraphe 2 de ce même article, les États membres veillent à ce que tout accord intervenu entre la victime et l’auteur de l’infraction puisse être pris en compte dans la procédure pénale.
54. La décision-cadre laisse ainsi aux autorités nationales un large pouvoir d’appréciation quant aux modalités concrètes de la médiation (9). Toutefois, les modalités concrètes de mise en œuvre de la décision-cadre ne saurait la priver d’une grande partie de son effet utile et méconnaître de la sorte les obligations énoncées à l’article 2, paragraphe 1, de celle-ci, aux termes duquel les États membres assurent aux victimes un rôle réel et approprié dans leur système judiciaire pénal (10).
55. Ici aussi, force est d’admettre que, du point de vue de l’accusé, une procédure de médiation apparaît plus intéressante lorsqu’il n’est pas contraint de la solliciter dès le stade d’une enquête en cours, mais qu’il lui est loisible d’opter en sa faveur même après sa mise en accusation. En effet, l’accusé a alors la possibilité de voir à quel résultat les mesures diligentées au cours de l’enquête ont abouti. Or, plus les modalités de la procédure de médiation sont intéressantes pour l’accusé, plus la victime bénéficie des avantages liés à une médiation, pour autant qu’il en souhaite une.
56. Les vastes limites tracées aux États membres aux fins de la mise en œuvre de la décision-cadre n’ont toutefois pas été dépassées en l’espèce, dès lors que les modalités retenues par le droit hongrois ne la privent pas d’une grande partie de son effet utile. D’une part, la procédure de médiation conserve un champ d’application considérable; d’autre part, la création d’une incitation à un recours aussi précoce que possible à la médiation, au stade de l’enquête, peut aussi se justifier. Ainsi, par exemple, une procédure judiciaire, le cas échéant pénible, peut d’emblée être épargnée à la victime; sous l’angle de la politique pénale, la réduction de la peine encourue, voire le classement de l’affaire, qu’implique la médiation en droit hongrois se justifient d’autant plus aisément que l’accusé a reconnu les faits qui lui sont reprochés à un stade précoce et qu’il a recherché un accord avec la victime. Le gouvernement hongrois a fait valoir dans le même sens que l’exigence d’une reconnaissance précoce des faits a été introduite afin de parer à toute manœuvre et abus de la part du suspect.
57. La juridiction de renvoi considère également que le fait de subordonner la réalisation d’une médiation à une reconnaissance des faits au cours de la procédure d’enquête constitue une atteinte au droit de garder le silence reconnu à l’accusé (nemo tenetur se ipsum accusare). La juridiction de renvoi craint qu’un suspect soit contraint de reconnaître les faits et ainsi de contribuer de manière illicite à sa propre incrimination.
58. Le gouvernement français écarte d’emblée toute atteinte au droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination en se référant à l’article 221/A, paragraphe 5, du code de procédure pénale hongrois. Cette disposition prévoit qu’il n’est pas possible d’utiliser à des fins probatoires les déclarations du suspect et de la victime se rapportant aux agissements qui servent de fondement à la procédure et qui ont été réalisées au cours de la procédure de médiation. En l’espèce, il s’agit toutefois de la reconnaissance des faits que le suspect réaliserait lors de l’enquête avant la réalisation d’une procédure de médiation. En raison du moment à laquelle elle intervient, cette reconnaissance ne devrait pas pouvoir entrer dans le champ d’application de la disposition citée. La question préjudicielle n’apparaît donc pas hypothétique de ce seul fait.
59. La décision-cadre doit être interprétée de manière à ce que soient respectés les droits fondamentaux (11). À cet égard, il convient de relever le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH») et l’article 47, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (12) .
60. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le droit de garder le silence est au cœur de la notion de procès équitable consacrée par l’article 6 CEDH (13). Selon cette jurisprudence, sa raison d’être tient notamment à la protection de l’accusé contre une coercition abusive de la part des autorités. Selon la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme, le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination présuppose en particulier que, dans une affaire pénale, l’accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l’accusé (14).
61. Un accusé est certainement soumis à une certaine pression en vue de reconnaître rapidement les faits lorsqu’il sait que, en l’absence d’une telle reconnaissance ou en cas de reconnaissance plus tardive, il ne pourra plus bénéficier des avantages d’une médiation. Pour autant, la création par le législateur d’incitations positives, au niveau de la détermination de la peine, afin qu’un accusé reconnaisse les faits aussi rapidement que possible ne peut être assimilée à l’exercice d’une contrainte ou de pressions illicites. En effet, aux fins de la détermination de la peine, une reconnaissance des faits est généralement aussi prise en compte en vue de réduire la peine. Ainsi que toutes les parties l’ont soutenu à juste titre, une procédure de médiation dont les modalités sont celles du droit hongrois ne porte pas atteinte au droit à un procès équitable.
E – Quatrième question préjudicielle
62. Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi souhaite savoir si l’article 10, paragraphe 1, de la décision-cadre implique de garantir sans exception un accès général à la possibilité de médiation dans les affaires pénales, si les conditions prévues par la loi sont réunies, sans que cet accès ne puisse dépendre d’une décision discrétionnaire des autorités compétentes. Le juge a quo se réfère à cet égard aux dispositions de l’article 221/A, paragraphe 3, sous d), du code de procédure pénal hongrois, aux termes desquelles le parquet ordonne le déroulement de la procédure de médiation si, compte tenu de la nature de l’infraction, des modalités de commission et de la personne du suspect, le déroulement de la procédure judiciaire peut être omis, ou s’il apparaît fondé de penser que la juridiction pourra apprécier le repentir actif lors de la détermination de la peine.
63. La juridiction de renvoi considère que les dispositions nationales en question laissent place à des appréciations subjectives du ministère public lorsque ce dernier se prononce sur le point de savoir si les conditions requises aux fins d’une médiation sont réunies, et que cela est susceptible de faire obstacle au déroulement de la médiation. Cela pourrait ne pas contribuer à promouvoir la médiation, au détriment de la victime.
64. En vue de répondre à cette question, il convient à nouveau de souligner que l’article 10, paragraphe 1, de la décision-cadre ne comporte pas d’indications concrètes quant aux modalités exactes de la procédure de médiation. Cette disposition ne permet donc pas directement de savoir si l’accès à la médiation peut être laissé à la discrétion de l’autorité compétente. La décision-cadre se borne, à cet égard, à imposer aux États-membres, d’une manière générale, de promouvoir la médiation. Les États membres jouissent donc d’un large pouvoir d’appréciation quant à la détermination des modalités de la procédure de médiation ainsi que de ses conditions (15).
65. Toutefois, les modalités concrètes de mise en œuvre de la décision-cadre ne saurait la priver d’une grande partie de son effet utile (16). L’obligation de promotion de la médiation prévue à l’article 10, paragraphe 1, de la décision-cadre doit donc être interprétée en ce sens qu’elle exige une mise-en-œuvre qui laisse subsister, en pratique, un champ d’application considérable.
66. À la lumière de ces considérations, ainsi que les gouvernements italien et français l’ont également souligné, la décision-cadre ne fait pas par principe obstacle à l’octroi aux autorités compétentes de pouvoirs d’appréciation lorsqu’elles sont appelées à se prononcer sur l’ouverture de la procédure de médiation. L’article 10, paragraphe 1, ne peut pas être interprété en ce sens qu’il conviendrait d’accorder à la victime un droit général et inconditionnel à bénéficier d’une médiation. En effet, une décision individuelle du parquet apparaît opportune, eu égard à la prise en compte ainsi rendue possible de l’ensemble des circonstances particulières du cas d’espèce qui, outre l’intérêt que porte la victime à la médiation peuvent également comprendre d’autres considérations et pronostics d’importance. Une telle décision individuelle ne prive pas d’emblée la procédure de médiation de son effet utile.
67. La marge d’appréciation reconnue aux autorités doit toutefois se fonder sur des critères objectifs, respecter les droits fondamentaux et ne pas entraver, dans les faits, l’accès à une médiation. Si la victime a marqué son accord à la médiation, celle-ci devra donc être le plus souvent admise.
68. Dès lors que ce ne sont pas uniquement des considérations relatives à la protection de la victime qui sous-tendent le ius puniendi, mais que la peine poursuit également des objectifs de réinsertion sociale de l’auteur ainsi que de prévention, il peut toutefois également se justifier, dans certains cas, de ne pas admettre de médiation nonobstant l’accord de la victime à cet effet.
VI – Conclusion
69. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose de répondre comme suit aux questions préjudicielles du Szombathelyi Városi Bíróság:
1) La notion de «victime» au sens de la décision-cadre 2001/220/JAI relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales ne s’entend que de personnes physiques, y compris aux fins de la médiation dans les affaires pénales régie par l’article 10 de ladite décision-cadre.
2) Lorsqu’une personne morale est victime d’une infraction, le droit de l’Union n’implique aucune obligation de prévoir une médiation dans les affaires pénales, quand bien même le droit national ouvrirait, pour une infraction en substance analogue, une possibilité de médiation également lorsque la victime est une personne morale.
1 – Langue originale: l’ellemand.
2 – Décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil, du 15 mars 2001, relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales (JO L 82, p. 1).
3 – Arrêt du 28 juin 2007, Dell’Orto (C-467/05, Rec. p. I-5557, point 60).
4 – Voir mes conclusions du 8 mars 2007 dans l’affaire Dell’Orto (précitée note 3, points 52 et suivants).
5 – L’infraction d’escroquerie figure, au contraire, au chapitre XVIII (infractions contre la propriété), pour lequel l’article 221/A du code de procédure pénale hongrois prévoit une possibilité de médiation.
6 – Celles-ci sont énumérées à l’article 221/A, paragraphe 1, du code de procédure pénale hongrois.
7 – Jurisprudence constante depuis arrêt du 18 octobre 1990, Dzodzi (C-297/88 et C-197/89, Rec. p. I-3763, points 36 et 37). À propos de la directive 90/434 en particulier, voir arrêts du 17 juillet 1997, Leur-Bloem (C-28/95, Rec. p. I-4161, points 32 et 34), et du 15 janvier 2002, Andersen og Jensen (C-43/00, Rec. p. I-379, points 18 et 19); voir aussi arrêt du 11 décembre 2007, ETI e.a. (C-280/06, Rec. p. I-10893, points 21 et 22).
8 – Article 221/A, paragraphe 3, sous b), du code de procédure pénale hongrois.
9 – Arrêt du 9 octobre 2008, Katz (C-404/07, Rec. p. I-7607, point 46).
10 – Arrêt Katz, précité note 8, point 47.
11 – Arrêts Katz, précité note 8, point 48, et du 16 juin 2005, Pupino (C-105/03, Rec. p. I-5285, point 59).
12 – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne proclamée à Nice le 7 décembre 2000 (JO C 364, p. 1), telle que modifiée par la proclamation du 12 décembre 2007 (JO C 303, p. 1).
13 – Cour eur. D. H., arrêt Jalloh c. Allemagne du 11 juillet 2006, Recueil des arrêts et décisions 2006-IX, §§ 97 et suivants. [Précision relative à la version allemande, sans objet pour la version française des présentes conclusions.]
14 – Cour eur. D. H., arrêt Jalloh c. Allemagne, précité note 12, § 100.
15 – Voir, en ce sens, arrêt Katz (précité note 8, point 46).
16 – Voir, en ce sens, arrêt Katz (précité note 8, point 47).