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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Commission v Belgium (Industrial policy) French Text [2010] EUECJ C-222/08 (22 June 2010)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2010/C22208_O.html

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AVIS JURIDIQUE IMPORTANT: IMPORTANT LEGAL NOTICE - The source of this judgment is the web site of the Court of Justice of the European Communities. The information in this database has been provided free of charge and is subject to a Court of Justice of the European Communities disclaimer and a copyright notice. This electronic version is not authentic and is subject to amendment.



CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO Cruz Villalón

présentées le 22 juin 2010 (1)

Affaire C-‘222/08

Commission européenne

contre

Royaume de Belgique

«Recours en manquement – Communications électroniques – Directive 2002/22/CE – Financement des obligations de service universel – Tarifs sociaux – Notion de ‘charge injustifiée’ – Calcul du coût net»






I –    Introduction

1.        La Cour de justice s’est déjà prononcée dans le passé sur le financement des obligations du service universel des télécommunications (2). Toutefois, le présent recours en manquement formé contre la Belgique soulève une question inédite, qui a trait pour la première fois aux «tarifs sociaux» qu’appliquent les entreprises en pratiquant des prix inférieurs à ceux du marché dans le cadre des services qu’elles offrent à des catégories déterminées d’utilisateurs.

2.        Le présent litige oblige la Cour de justice à interpréter les conditions auxquelles la compensation financière des tarifs sociaux est admise. Plus précisément, elle devra examiner les conditions auxquelles la directive 2002/22/CE concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques  (3), permet à un État membre de qualifier de «charge injustifiée» tous les tarifs sociaux comportant une situation déficitaire pour les opérateurs qui doivent les consentir.

3.        Toutefois, cette affaire ne surgit pas du néant, mais s’inscrit dans un conflit qui oppose les opérateurs belges du secteur des télécommunications à l’opérateur historique de ce pays, Belgacom. La Commission est intervenue dans le débat en formant le présent recours en manquement, mais la Cour a été saisie également d’une demande préjudicielle étroitement liée au présent litige, à la suite du recours formé par les opérateurs devant la cour constitutionnelle belge (affaire C-389/08, Base e.a.). Cette circonstance explique que les conclusions dans chacune de ces deux affaires soient présentées le même jour, puisqu’elles ont un même objet, quoique avec des particularités qui justifient qu’elles soient examinées séparément.

II – L’objet du recours

4.        En application de l’article 226 CE, la Commission européenne demande à la Cour de constater que

–        en n’ayant pas effectué le calcul spécifique des coûts nets des tarifs sociaux avant de les qualifier de «charge injustifiée»,

–        et en ayant défini la méthode de calcul du coût net des «tarifs sociaux» de manière contraire à la directive 2002/22,

le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 12, paragraphe 1, et 13, paragraphe 1, ainsi que de l’annexe IV, partie A, de la directive 2002/22.

III – Le cadre juridique

A –    Le droit communautaire

5.        L’article 3 de la directive 2002/22 exhorte les États membres à éviter toute distorsion sur le marché des télécommunications, en particulier lorsque les services sont fournis à des tarifs ou à des conditions plus avantageux ou plus favorables aux fins de l’accomplissement de missions d’intérêt général. Il s’agit en effet de mettre en Å“uvre les «services universels» dans ce secteur tout en garantissant le fonctionnement du marché à des conditions égales pour tous les opérateurs.

6.        Les services universels au sens de la directive 2002/22 comprennent: a) le raccordement au réseau téléphonique public en position déterminée, à un prix abordable (4); b) des postes téléphoniques payants publics en nombre suffisant, ainsi que les numéros d’urgence, en particulier le numéro européen unique 112, qui puissent être appelés gratuitement à partir de n’importe quel téléphone (5); c) les services d’annuaires et de renseignements téléphoniques (6); et d) certaines mesures en faveur des utilisateurs les plus vulnérables socialement, tels que ceux vivant dans les zones rurales ou isolées, les personnes âgées (7), handicapées (8) ou à faibles revenus (9), afin qu’elles puissent accéder aux services universels dans les mêmes conditions que les autres.

7.        L’article 8 de la directive 2002/22 a trait à la désignation des prestataires du service universel:

«1.       Les États membres peuvent désigner une ou plusieurs entreprises afin de garantir la fourniture du service universel défini aux articles 4, 5, 6 et 7 et, le cas échéant, à l’article 9, paragraphe 2, de façon que l’ensemble du territoire national puisse être couvert. Les États membres peuvent désigner des entreprises ou groupes d’entreprises différents pour fournir différents éléments du service universel et/ou pour couvrir différentes parties du territoire national.

2.      Lorsque les États membres désignent des entreprises pour remplir des obligations de service universel sur tout ou partie du territoire national, ils ont recours à un mécanisme de désignation efficace, objectif, transparent et non discriminatoire qui n’exclut a priori aucune entreprise. Les méthodes de désignation garantissent que la fourniture du service universel répond au critère de la rentabilité et peuvent être utilisées de manière à pouvoir déterminer le coût net de l’obligation de service universel, conformément à l’article 12.»

1.      Les «tarifs sociaux»

8.        Basés sur la nécessité d’offrir un «prix abordable», les tarifs sociaux sont une composante du service universel expressément mentionnée dans la législation de l’Union. Aux termes du dixième considérant de la directive 2002/22, on entend par «prix abordable» le «prix défini au niveau national par les États membres compte tenu des circonstances nationales spécifiques, [qui] peut impliquer l’établissement d’une tarification commune indépendante de la position géographique ou de formules tarifaires spéciales pour répondre aux besoins des utilisateurs à faibles revenus. Du point de vue du consommateur individuel, le caractère abordable des prix est lié à sa capacité de surveiller et de maîtriser ses dépenses».

9.        Les trois premiers paragraphes de l’article 9 de la directive 2002/22 sont ainsi rédigés:

«1.       Les autorités réglementaires nationales surveillent l’évolution et le niveau des tarifs de détail applicables aux services définis, dans les articles 4, 5, 6 et 7, comme relevant des obligations de service universel et fournis par des entreprises désignées, notamment par rapport aux niveaux des prix à la consommation et des revenus nationaux.

2.       Les États membres peuvent, au vu des circonstances nationales, exiger que les entreprises désignées proposent aux consommateurs des options ou des formules tarifaires qui diffèrent de celles offertes dans des conditions normales d’exploitation commerciale, dans le but notamment de garantir que les personnes ayant de faibles revenus ou des besoins sociaux spécifiques ne soient pas empêchées d’accéder au service téléphonique accessible public ou d’en faire usage.

3.       En plus des dispositions éventuelles prévoyant que les entreprises désignées appliquent des options tarifaires spéciales ou respectent un encadrement des tarifs ou une péréquation géographique, ou encore d’autres mécanismes similaires, les États membres peuvent veiller à ce qu’une aide soit apportée aux consommateurs recensés comme ayant de faibles revenus ou des besoins sociaux spécifiques».

2.      Le financement du service universel

10.      Dans son préambule, la directive 2002/22 énonce que l’indemnisation des entreprises qui fournissent le service universel ne doit pas «entraîner une quelconque distorsion de la concurrence», de sorte que seul «le coût net spécifique encouru» doit être compensé «par un moyen neutre» (10). À partir de cette prémisse, la directive 2002/22 habilite les États membres à établir des mécanismes qui permettent de compenser le coût net de ce service universel – même si c’est seulement en cas de besoin – et «dans les cas où il est démontré que ces obligations ne peuvent être assumées qu’à perte ou à un coût net qui dépasse les conditions normales d’exploitation commerciale» (11). L’application de ces critères permet de déterminer ce que la directive appelle une «charge injustifiée» (12).

11.      Sous l’intitulé «Financement des obligations de service universel», l’article 13 de la directive 2002/22 énonce les méthodes de compensation des obligations de service universel:

«1.       Lorsque, sur la base du calcul du coût net visé à l’article 12, les autorités réglementaires nationales constatent qu’une entreprise est soumise à une charge injustifiée, les États membres décident, à la demande d’une entreprise désignée:

a) d’instaurer un mécanisme pour indemniser ladite entreprise pour les coûts nets tels qu’ils ont été calculés, dans des conditions de transparence et à partir de fonds publics, et/ou

b) de répartir le coût net des obligations de service universel entre les fournisseurs de réseaux et de services de communications électroniques.

2.       En cas de répartition du coût comme prévu au paragraphe 1, point b), les États membres instaurent un mécanisme de répartition géré par l’autorité réglementaire nationale ou un organisme indépendant de ses bénéficiaires, sous la surveillance de l’autorité réglementaire nationale. Seul le coût net des obligations définies dans les articles 3 à 10, calculé conformément à l’article 12, peut faire l’objet d’un financement.

3.       Un mécanisme de répartition respecte les principes de transparence, de distorsion minimale du marché, de non-discrimination et de proportionnalité, conformément aux principes énoncés dans l’annexe IV, partie B. Les États membres peuvent choisir de ne pas demander de contributions aux entreprises dont le chiffre d’affaires national est inférieur à une limite qui aura été fixée.

4.       Les éventuelles redevances liées à la répartition du coût des obligations de service universel sont dissociées et définies séparément pour chaque entreprise. De telles redevances ne sont pas imposées ou prélevées auprès des entreprises ne fournissant pas de services sur le territoire de l’État membre qui a instauré le mécanisme de répartition».

3.      Le coût net de l’exécution du service universel

12.      L’article 12 de la directive 2002/22, qui a trait au «calcul du coût des obligations de service universel», est ainsi rédigé:

«1.       Lorsque les autorités réglementaires nationales estiment que la fourniture du service universel, telle qu’elle est énoncée dans les articles 3 à 10, peut représenter une charge injustifiée pour les entreprises désignées comme fournisseurs de service universel, elles calculent le coût net de cette fourniture.

À cette fin, les autorités réglementaires nationales:

a) calculent le coût net de l’obligation de service universel, compte tenu de l’avantage commercial éventuel que retire une entreprise désignée pour fournir un service universel, conformément aux indications données à l’annexe IV, partie A, ou

b) utilisent le coût net encouru par la fourniture du service universel et déterminé par mécanisme de désignation conformément à l’article 8, paragraphe 2.

2.       Les comptes et/ou toute autre information servant de base pour le calcul du coût net des obligations de service universel effectué en application du paragraphe 1, point a), sont soumis à la vérification de l’autorité réglementaire nationale ou d’un organisme indépendant des parties concernées et agréé par l’autorité réglementaire nationale. Le résultat du calcul du coût et les conclusions de la vérification sont mis à la disposition du public.»

13.      Enfin, l’annexe IV, partie A, précise:

«[…] Le coût net correspond à la différence entre le coût net supporté par une entreprise désignée lorsqu’elle fournit un service universel et lorsqu’elle n’en fournit pas. Cette règle s’applique, que le réseau soit complètement achevé dans un État membre ou qu’il soit encore en train de se développer et de s’étendre. Il convient de veiller à évaluer correctement les coûts que l’entreprise désignée aurait évités si elle avait eu le choix de ne pas remplir d’obligations de service universel. Le calcul du coût net doit évaluer les bénéfices, y compris les bénéfices immatériels, pour l’opérateur de service universel.
Le calcul se fonde sur les coûts imputables aux postes suivants:

i)       éléments de services ne pouvant être fournis qu’à perte ou à des coûts s’écartant des conditions normales d’exploitation commerciale.

Cette catégorie peut comprendre des éléments de services tels que l’accès aux services téléphoniques d’urgence, à certains téléphones payants publics, à la fourniture de certains services ou équipements destinés aux handicapés, etc.;

ii)       utilisateurs finals ou groupes d’utilisateurs finals particuliers qui, compte tenu du coût de la fourniture du réseau et du service mentionnés, des recettes obtenues et de la péréquation géographique des prix imposée par l’État membre, ne peuvent être servis qu’à perte ou à des coûts s’écartant des conditions commerciales normales.

Cette catégorie comprend les utilisateurs finals ou les groupes d’utilisateurs finals auxquels un opérateur commercial ne fournirait pas de services s’il n’avait pas une obligation de service universel.

Le calcul du coût net de certains aspects spécifiques des obligations de service universel est effectué séparément, de manière à éviter de compter deux fois les bénéfices directs ou indirects et les coûts. Le coût net global des obligations de service universel pour une entreprise correspond à la somme des coûts nets associés à chaque composante de ces obligations, compte tenu de tout bénéfice immatériel. La vérification du calcul incombe à l’autorité réglementaire nationale.»

B –    Le droit belge

14.      La loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques (13), dans sa version modifiée par la loi du 25 avril 2007 (14) (ci-après la «loi de 2005 modifiée»), institue un régime de financement du service universel, en distinguant les tarifs sociaux des autres obligations de service universel.

1.      Le financement des tarifs sociaux

15.      L’article 74 de la loi de 2005 modifiée contient les principes fondamentaux qui régissent les compensations entre opérateurs, en considérant les «conditions tarifaires particulières à certaines catégories de bénéficiaires» comme une composante sociale du service universel (15).

16.      L’Institut belge des services postaux et des télécommunications (ci-après l’«Institut») est tenu de remettre au ministre un rapport annuel indiquant le nombre «d’abonnés sociaux» que comptent les différentes entreprises par rapport aux parts de marché qu’elles détiennent dans le secteur de la téléphonie publique (16).

17.      C’est à un fonds doté de la personnalité juridique et géré par l’Institut qu’il appartient d’indemniser les opérateurs au titre des «tarifs sociaux » dès lors qu’ils ont déposé une demande à cet effet (17).

18.      Pour compenser la charge des «clients sociaux» assumée par chaque société, l’article 74, sixième et septième alinéas prévoit une répartition des fonds en fonction de son chiffre d’affaires global. Les compensations sont dues immédiatement, même si celles qui doivent être effectuées par le biais du fonds ne deviennent effectives qu’une fois que celui-ci sera devenu opérationnel ou, au plus tard, dans le courant de l’année suivant l’entrée en vigueur de l’article 74 (18).

19.      Le coût net des «tarifs sociaux» pour chaque opérateur qui le demande est calculé par l’Institut, conformément à la méthodologie définie dans l’annexe (19).

20.      En outre, l’Institut peut déterminer les modalités de calcul des coûts et des compensations dans les limites établies par cette loi (20).

21.      Aux termes de l’article 45 bis de l’annexe de la loi du 13 juin 2005, le coût net des tarifs sociaux correspond à la différence entre les recettes que l’entreprise toucherait dans des conditions commerciales normales et celles qu’elle reçoit réellement à la suite des réductions prévues dans la loi en faveur des bénéficiaires des tarifs sociaux. En outre, il édicte une règle transitoire en vertu de laquelle, pendant les cinq premières années à compter de l’entrée en vigueur de la loi, la compensation que le prestataire historique reçoit (le cas échéant) est diminuée d’un pourcentage fixé par l’Institut sur la base du bénéfice indirect; à cet égard, l’Institut se fonde sur les calculs qu’il a effectués pour établir les coûts nets des tarifs sociaux appliqués par ce prestataire.

22.      L’article 202 de la loi de 2007 fournit une interprétation du dernier alinéa de l’article 74 de la loi de 2005, qui prévoit que les remboursements du fonds sont dus immédiatement. Cet article 202 indique que, lors de la préparation de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques et à la demande de l’opérateur historique du service universel et après fixation du coût net de ce service par l’Institut, le législateur belge a procédé, en qualité d’autorité réglementaire nationale (ci-après «ARN»), à une évaluation des charges qui incombaient à l’ancien monopoliste. Le législateur a acquis ainsi la conviction que toute situation déficitaire résultant de l’exécution du service universel que ce calcul fait apparaître était déraisonnable et, partant, constituait une «charge injustifiée».

23.      L’arrêté royal du 20 juillet 2006 a fixé les modalités de fonctionnement des tarifs sociaux (21), son article 4, troisième alinéa, prévoyant que le fonds calculait les compensations en prenant en considération le montant des réductions accordées aux bénéficiaires par chaque opérateur, le nombre de bénéficiaires, ainsi que le nombre de jours de prestation. Ledit article a été abrogé par la loi du 25 avril 2007.

2.      Les bonifications liées aux tarifs sociaux

24.      L’article 22 de l’annexe de la loi du 13 juin 2005 fixe les conditions requises pour pouvoir bénéficier des tarifs sociaux (22).

25.      L’article 38 de cette annexe précise les réductions de tarifs que comporte cette composante du service universel, en partant d’une bonification minimum («au moins», pour reprendre les termes de cette disposition) sur les tarifs standards, ce qui correspond, selon le type de bénéficiaires, à 50 % du tarif normal de raccordement à un réseau téléphonique public en position déterminée, ou à une réduction de montants fixes sur la redevance d’abonnement ou sur les frais d’appel, selon les périodes où elle est calculée et selon qu’elle est versée à un ou plusieurs opérateurs; de même, une carte de prépaiement d’une valeur de 6,20 euros valable deux mois est offerte à une certaine catégorie de clients sociaux.

3.      Le financement des autres obligations de service universel

26.      La section 7 du chapitre I du titre IV de la loi du 13 juin 2005 régit, dans ses articles 92 à 95, le fonds pour le service universel. Les mécanismes spécifiques de financement sont détaillés dans la section 8 (23).

27.      En application de l’article 100, une fois que les données correspondant à chaque prestataire du service universel ont été dûment communiquées, l’Institut calcule chaque année le coût net de ces obligations, à l’exclusion des tarifs sociaux, calcul qui fait l’objet d’une publication détaillée.

28.      L’article 101, dans sa rédaction de la loi du 25 avril 2007, exclut de son champ d’application les tarifs sociaux, qui sont régis par un fonds distinct. Il prévoit en outre, que pour chacune des composantes du service universel, à l’exception des tarifs sociaux, le fonds verse une rétribution aux prestataires concernés ayant déposé une demande à cet effet auprès de l’Institut.

29.      L’article 203 de la loi du 25 avril 2007 interprète l’obligation précitée en indiquant que «lors de la préparation de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques, compte tenu des conditions prévues dans la directive 2002/22/CE concernant le service universel et à la suite d’une demande à cet égard de la part du prestataire historique du service universel et après fixation du coût net du service universel par l’Institut, le législateur, en tant qu’autorité réglementaire nationale, a procédé à une évaluation du caractère déraisonnable de la charge. À cet égard, le législateur a, comme cela a d’ailleurs été constaté par le Conseil d’État, estimé que, dans la mesure où il est tenu compte de tout le bénéficie indirect, y compris le bénéfice immatériel pouvant être généré par cette prestation, toute situation déficitaire que ce calcul fait apparaître est en effet une charge déraisonnable, et que celle-ci doit être supportée par toutes les entreprises concernées».

IV – Procédure précontentieuse et procédure devant la Cour de justice

30.      Le 15 décembre 2006, la Commission a fait savoir au Royaume de Belgique qu’elle avait des doutes quant à la compatibilité de la loi du 13 juin 2005 sur les télécommunications avec les articles 12, paragraphe 1, et 13, paragraphe 1, de la directive 2002/22, ainsi qu’avec l’annexe IV, partie A, de ce même texte.

31.      Dans sa réponse du 16 février 2007, le gouvernement belge a fait part à la Commission de son désaccord, en soutenant qu’il avait correctement transposé la directive. Dans cette lettre, les autorités belges annonçaient des modifications de la loi de 2005 qui ont effectivement été apportées par la loi de 2007, ce qui a conduit la Commission à retirer certains de ses griefs et à ne maintenir que celui concernant la compensation des obligations liées aux tarifs sociaux.

32.      Le 27 juin 2007, la Commission a adressé au Royaume de Belgique un avis motivé que celui-ci a ignoré, ce qui a conduit la Commission à former le présent recours le 22 mai 2008, en application de l’article 226, deuxième alinéa, CE.

33.      Après le dépôt de la requête et du mémoire en défense, la Commission a déposé un mémoire en réplique auquel le Royaume de Belgique a répondu par la duplique correspondante.

34.      L’audience, commune au présent recours en manquement et à la procédure préjudicielle dans l’affaire C-389/08, s’est déroulée le 17 mars 2010. Des représentants du Royaume de Belgique et de la Commission y ont assisté, les conclusions étant présentées à compter de cette date.

V –    Analyse

A –    Problématique et observations liminaires

35.      En Belgique, toutes les entreprises qui offrent des services de télécommunications sont obligées de consentir des tarifs sociaux à toute personne pouvant y prétendre. En revanche, seules quelques entreprises s’acquittent des autres obligations de service universel.

36.      Pour assurer la compensation économique des tarifs sociaux, la législation belge répartit cette charge entre toutes les sociétés, en constituant un fonds géré sur la base des réductions de tarifs accordées par chaque opérateur par rapport à sa part de marché totale: si ces réductions sont inférieures à celles qui lui incombent, il doit rembourser cette différence au fonds; par contre, si le ratio de «clients non rentables» qui pèse sur son chiffre d’affaires excède cette proportion, cet opérateur recevra du fonds une indemnité d’un montant égal à cette différence.

37.      Outre ce système de compensation des tarifs sociaux, il existe également un autre fonds destiné à financer les autres obligations de service universel.

38.      Par son premier grief, la Commission fait valoir que le système belge de financement des tarifs sociaux viole la directive 2002/22 dans la mesure où il ne prévoit pas, dans la déclaration de «charge injustifiée», le calcul spécifique des coûts nets qu’ils entraînent, mais procède à cette qualification de manière automatique et sur la base d’une loi interprétée rétroactivement par une autre loi postérieure.

39.      En second lieu, la Commission reproche à la Belgique le système de calcul du coût net des «tarifs sociaux», en faisant valoir qu’il est incompatible avec la directive 2002/22 au motif qu’il repose sur une notion de «coût net» distincte de celle prévue dans la directive et n’intègre pas dans son calcul les bénéfices immatériels.

40.      Le gouvernement belge conteste avoir omis de calculer les coûts nets avant de conclure à l’existence d’une «charge injustifiée», en relevant qu’on a évalué en 2003 le coût net des obligations de service universel accompli par Belgacom, entreprise qui, à cette époque, les assumait seule. Il soutient également que la directive 2002/22 prévoit un système de calcul in abstracto, et qu’il n’est donc pas nécessaire de le reproduire pour chaque opérateur. Enfin, il soutient que cette directive ne s’oppose pas à une évaluation économique effectuée sur la base du manque à gagner résultant de ces bonifications.

41.      Afin de résoudre les questions soulevées ici, il est nécessaire de procéder à un examen minutieux des articles 12 et 13 de la directive 2002/22 pour en clarifier la portée et les objectifs. De plus, cette appréciation serait utile dans l’examen tant du premier que du second grief invoqués par la Commission.

42.      Comme je l’ai déjà dit plus haut, la directive 2002/22 prévoit des correctifs ponctuels lorsque les obligations que comporte le service universel deviennent déraisonnables pour les entreprises, mais n’institue pas, en réalité, un système de financement intégral. Or, et bien que les obligations de service public soient hétérogènes et répondent à des particularités propres, il ressort de la directive 2002/22 que la détermination, ainsi que le suivi et l’évaluation des coûts de service universel incombent aux les États membres, dans le respect des critères d’individualité, d’appréciation in concreto et de périodicité.

1.      Individualité

43.      Pour sa défense, le Royaume de Belgique fait valoir que l’appréciation de l’effort financier que requiert l’exécution du service universel exige une évaluation globale et large. Selon lui, un système tel que celui que prévoit la directive peut conduire à ce que certaines entreprises n’obtiennent pas cette aide si elles ne la demandent pas ou si leurs dépenses sont raisonnables, générant ainsi une inégalité de traitement qui irait à l’encontre des objectifs poursuivis.

44.      Cette argumentation n’est pas convaincante.

45.      En premier lieu, le fait que la directive autorise ? mais n’oblige pas ? à demander l’indemnisation à la suite d’une «charge injustifiée» infirme cet argument. En second lieu, toutes les charges qu’entraîne le service universel ne sont pas nécessairement «injustifiées».

46.      La directive 2002/22 oblige les États membres à prendre en considération la position stratégique et la capacité financière de chaque opérateur, sans admettre, en principe, un calcul mathématique général reposant sur les données d’une seule entreprise. C’est ce qu’atteste le vingt-et-unième considérant de la directive, qui rappelle que «(…) dans le cas d’une mise à contribution des entreprises, les États membres doivent veiller à ce que la méthode de répartition du prélèvement s’appuie sur des critères objectifs et non discriminatoires et respecte le principe de proportionnalité. Ce principe n’empêche pas les États membres d’exempter de contribution les nouveaux arrivants dont la part de marché n’est pas encore significative (…)», et que «(…) en particulier dans le cas de mécanismes de répartition du financement, les [principes] de non-discrimination et de proportionnalité [doivent être respectés]».

2.      Appréciation in concreto

47.      L’argumentation développée au point précédent conduit à apprécier la justification de la charge in concreto, c’est-à-dire par rapport à chacune des obligations constitutives du service universel, et non de l’évaluer in abstracto.

48.      Dans son arrêt Commission/France (24), la Cour, bien qu’elle se soit prononcée sur la directive antérieure, a jugé que seuls peuvent être pris en compte dans ce calcul des coûts qui sont «la suite directe de la fourniture de ce service»; elle en a déduit que «la directive 97/33 interdit donc de fixer des composantes du coût net du service universel de manière forfaitaire ou imprécise, sans effectuer un calcul spécifique».

49.      Par ailleurs, l’annexe IV, partie A, de la directive 2002/22 énonce que «le calcul du coût net de certains aspects spécifiques des obligations du service universel est effectué séparément (…) Le coût net global des obligations de service universel pour une entreprise correspond à la somme des coûts nets associés à chaque composante de ces obligations» (25).

50.      De même, le vingt-quatrième considérant de la directive 2002/22 exhorte les ARN à s’assurer que les entreprises bénéficiant de subventions au titre du service universel fournissent «des informations suffisamment détaillées sur les éléments spécifiques à financer afin de justifier leur demande». Il n’échappe pas à ce considérant que «les opérateurs désignés [peuvent être incités] à relever le coût net évalué des obligations de service public»; partant, pour couper court à toute tentation, il invite les États membres à garantir «une transparence effective et à vérifier les montants correspondants au financement des obligations du service universel» (26).

51.      Le fait que les «prestations accessoires» au service universel soient régies par le critère de la rentabilité sans appliquer «aucun mécanisme de compensation impliquant la participation d’entreprises spécifiques» (27) corrobore, à mon avis, le fait que la décomposition du calcul fonctionne comme un instrument permettant d’éviter des fraudes éventuelles, comme peuvent l’être l’introduction dans le financement des éléments accessoires au service universel ou le recours aux «subventions croisées».

3.      Périodicité du calcul

52.      Dans le droit fil de son exposé sur l’unicité de l’évaluation, le Royaume de Belgique soutient que, une fois instaurée la neutralité économique à travers les paiements au fonds, il n’y a pas lieu d’effectuer de nouvelles analyses quant au caractère injustifié des charges, ce qui n’empêche pas, à son avis, une actualisation annuelle (28).

53.      Cette appréciation semble méconnaître le dynamisme des obligations du service universel qui, comme le déclare la directive 2002/22, «devraient être périodiquement revues afin d’en modifier ou d’en redéfinir la portée, [en fonction] de l’évolution des conditions sociales, commerciales et technologiques» (29). De plus, la directive précitée ajoute que «toute modification de la portée des obligations de service universel implique nécessairement que les éventuels coûts nets puissent être financés grâce aux mécanismes autorisés par la présente directive» (30).

54.      Par conséquent, si de nouvelles obligations de service universel étaient ajoutées, ou si des entreprises qui auparavant ne participaient pas à leur exécution apparaissaient, d’autres coûts réclamant une nouvelle évaluation naîtraient. Dans le cadre de ce réexamen, l’ARN devrait étudier la manière dont chaque entreprise doit supporter les coûts dans le nouveau scénario, et déterminer ainsi si ces coûts constituent en définitive une «charge injustifiée» par rapport à la situation précédente.

B –    Sur le premier grief

55.      J’en viens à présent à l’examen détaillé des griefs invoqués par la Commission; dans le premier grief, cette dernière reproche au Royaume de Belgique d’avoir omis l’examen préalable visant à déterminer si la prestation de service universel constitue une charge injustifiée pour chaque opérateur de télécommunications. Cependant, le gouvernement belge souligne dans ses explications que cette analyse a bien été effectuée, et qu’elle s’est limitée à Belgacom, le seul opérateur qui existait à cette époque. De plus, le calcul englobait l’ensemble des obligations de service universel qui devaient être exécutées, et pas seulement les tarifs sociaux.

56.      Le gouvernement belge reconnaît qu’avant l’entrée en vigueur de la loi du 25 avril 2007 la déclaration expresse affirmant que les coûts nets des tarifs sociaux constituaient une «charge injustifiée» au sens de la directive 2002/22 n’existait pas. Cette déclaration n’est intervenue qu’avec l’adoption de l’article 202 de la loi précitée, qui entendait mettre fin par voie interprétative à une situation d’insécurité juridique. Après les premiers contacts préalables au présent litige, le Royaume de Belgique a déclaré par voie législative que sa législation de 2005 voyait toujours dans l’application des tarifs sociaux une charge injustifiée. Le législateur de 2005 a utilisé à cet effet le calcul des coûts nets, effectué en 2003 et actualisé en 2005, de toutes les obligations de service universel de Belgacom, de sorte que ? selon le Royaume de Belgique ? la décision sur le caractère injustifié de la charge a été prise par le législateur après l’examen effectué par l’Institut.

57.      En effet, l’article 12 de la directive 2002/22 prévoit un système d’évaluation et de calcul qui précède la déclaration constatant l’existence d’une «charge injustifiée». Ainsi que l’a relaté la Commission, le législateur belge a institué un régime de compensation omettant toute mention du caractère injustifié des obligations de service universel, suivi d’une déclaration rétroactive. Dans mes conclusions dans l’affaire C-389/09, je souligne l’importance que revêt cette phase préalable d’évaluation et de calcul du point de vue de la sécurité juridique et de la neutralité technique que garantit l’ARN. Au vu des fins poursuivies par la procédure de déclaration d’une «charge injustifiée», ainsi que du libellé de l’article 12 de la directive 2002/22, une intervention telle que celle qui a eu lieu au cours de l’année 2007, en interprétant ex lege une décision législative de l’année 2005, est un comportement incompatible avec ladite directive.

58.      Toutefois, la Commission a souligné dans sa requête que la nature législative de la déclaration ne constitue pas sa préoccupation essentielle. Au contraire, le fait qui motive le présent recours est l’absence de calcul préalable, auquel s’ajoute le caractère général et difficilement révisable de la déclaration effectuée en 2005 et 2007.

59.      À cet égard, j’ai déjà souligné aux points 42 à 54 des présentes conclusions que le système prévu à l’article 12 de la directive impose, quoique tacitement, des conditions d’individualité, d’appréciation in concreto et de périodicité qui doivent être respectées lorsque l’on applique le mécanisme institué par la disposition précitée. Comme je l’ai déjà exposé, ces caractéristiques ne se sont pas retrouvées dans la démarche du Royaume de Belgique lors de l’adoption de la déclaration de «charge injustifiée». Par conséquent, dans la mesure où le législateur a agi de manière à rendre plus difficile l’application des critères d’individualité, d’appréciation in concreto et de périodicité, je considère que le premier grief invoqué par la Commission est fondé.

C –    Sur le second grief

60.      La Commission divise le second grief en deux branches, la première ayant trait à la méthode de calcul des «coûts nets» des tarifs sociaux, et la seconde à l’intégration dans ce calcul des bénéfices immatériels. Si donc le grief précédent était centré sur l’interprétation de l’article 12 de la directive 2002/22, le second grief a pour objet le système de répartition institué par l’article 13, qui obéit également aux critères d’individualité, d’appréciation in concreto et de périodicité.

1.      Sur la définition du «coût net» et les spécificités du calcul appliqué aux tarifs sociaux

61.      Selon la Commission, la méthode belge de financement du service universel est incompatible avec la directive 2002/22, dans la mesure où elle effectue une évaluation globale des données qui concernaient exclusivement Belgacom ? un ancien monopoliste ? et l’extrapole aux autres entreprises sans se préoccuper de leur situation particulière, de sorte que, dans l’État défendeur, les «tarifs sociaux» constituent toujours, et pour tout opérateur, une «charge injustifiée». Dans la mesure où cette conclusion repose sur une méthode de calcul erronée aux yeux de la Commission, cette dernière reproche au Royaume de Belgique d’avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 12, paragraphe 1, et 13, paragraphe 1, ainsi que de l’annexe IV, partie A, de la directive 2002/22.

62.      Pour sa part, l’État défendeur soutient que l’aide au service universel n’a pas à être fondée sur un examen périodique du caractère injustifié de la charge, ce qui pourrait conduire «à l’octroi d’une indemnisation». Au contraire, le Royaume de Belgique estime qu’il suffit que les coûts soient analysés une seule fois aux fins de «l’instauration d’un mécanisme général de financement».

63.      La directive 2002/22 ordonne que la concurrence joue également dans les segments «défavorisés géographiquement ou économiquement». Le gouvernement belge a souligné les avantages de son modèle de régulation des tarifs sociaux par rapport à la libre concurrence, en se basant sur l’argument suivant: si un opérateur attire davantage d’abonnés sociaux que ceux qui lui reviennent au vu de son chiffre d’affaires, il recevra une subvention du fonds; mais s’il ne fait aucun effort en ce sens, il lui faudra payer pour les abonnés sociaux qu’il ne prend pas en charge. Il s’ensuit que c’est le jeu du marché qui répartit ces clients.

64.      Cette approche, qui vise à favoriser la concurrence entre opérateurs, doit être analysée en prenant en considération les circonstances particulières qui entourent l’octroi des tarifs sociaux en Belgique, mais en tenant compte, comme cadre pertinent et général, des conditions d’individualité, d’appréciation in concreto et de périodicité détaillées plus haut, telles qu’elles résultent du libellé des dispositions de la directive 2002/22.

65.      En premier lieu, la directive 2002/22 n’empêche pas, à la lumière de son article 8, que toutes les entreprises de télécommunications d’un État membre assurent une partie du service universel, comme c’est le cas en Belgique pour ce qui est des tarifs sociaux. En second lieu, le mécanisme de financement institué en Belgique s’inspire de l’article 13, paragraphe 1, sous b), de la directive 2002/22. Contrairement au cas de figure prévu au point a) dudit paragraphe, cette disposition n’envisage pas de versements de fonds publics en faveur d’une entreprise, mais une simple répartition du coût net des obligations de service universel «entre les fournisseurs de réseaux et de services de communications électroniques».

66.      En somme, ce mécanisme de répartition suppose en réalité un autofinancement: il s’agit en définitive de répartir la charge non seulement entre les opérateurs qui ont assumé l’obligation de service universel, mais également entre les entreprises qui n’ont pas été désignées à cet effet.

67.      Sur la base de cette prémisse, lorsque toutes les entreprises qui fournissent le service assurent l’obligation de service universel correspondante (en l’occurrence les tarifs sociaux), la nécessité d’une évaluation préalable des coûts doit être relativisée. De plus, comme le coût net des tarifs sociaux correspond au rabais que représente la bonification sur le tarif de marché, le calcul individuel et spécifique ne s’avère pas indispensable pour préserver la libre concurrence.

68.      Par contre, cette idée ne saurait être soutenue s’il existait un opérateur (même s’il n’y en avait qu’un) non soumis à l’obligation d’appliquer des tarifs sociaux, ou si l’obligation de service universel ne permettait aucun calcul arithmétique, à la différence des tarifs sociaux. Dans un tel cas, appliquer à tous les opérateurs le même ratio «part de marché – clients sociaux» sans évaluation préalable des coûts pourrait provoquer des gains ou des pertes au bénéfice ou au détriment d’un ou de plusieurs opérateurs et, partant, des distorsions de concurrence. Un tel résultat est clairement contraire à la directive 2002/22, et les probabilités qu’il se produise seraient encore plus élevées dans un scénario tel que celui qui existe en Belgique, où l’opérateur historique, comme l’audience l’a fait clairement apparaître, assume les tarifs sociaux dans une proportion qui atteint 96 %.

69.      En effet, l’accomplissement d’autres obligations de service universel distinctes des tarifs sociaux représenterait pour certains opérateurs un sacrifice d’une certaine importance en termes monétaires alors que d’autres opérateurs ne verraient pas leur rentabilité finale réduite. Tout dépendrait de la solidité économique de chaque opérateur et, bien entendu, de sa position sur le marché.

70.      Il est évident que le Royaume de Belgique est conscient de ces risques puisque, indépendamment des spécificités propres aux tarifs sociaux, l’article 100 de la loi belge sur les télécommunications prévoit que, une fois les données pertinentes dûment communiquées par chaque prestataire du service universel, l’Institut calcule tous les ans le coût net de ces obligations. Calcul qui, en outre, doit faire l’objet d’une publication détaillée.

71.      Pour ces raisons, j’estime que la première branche du second grief invoqué par la Commission est infondée.

2.      Sur le calcul des bénéfices immatériels

72.      Comme la Commission l’a indiqué, la directive 2002/22 mentionne expressément les bénéfices immatériels dans son vingtième considérant, de sorte que, «pour déterminer les coûts globaux, il faut déduire du coût net direct découlant des obligations de service universel un calcul estimé en termes monétaires des bénéfices indirects qu’une entreprise obtient en sa qualité de fournisseur de service universel.»

73.      Le souci de calculer les bénéfices immatériels se reflète également dans la partie A de l’annexe IV en ce que, après avoir rappelé que «le calcul du coût net de certains aspects spécifiques des obligations de service universel est effectué séparément», elle précise qu’il faut éviter «de compter deux fois les bénéfices directs ou indirects et les coûts». Enfin, l’annexe fait également allusion à la prise en considération du «bénéfice immatériel» aux fins de calculer le coût net global des obligations de service universel.

74.      De même, dans l’arrêt Commission/France, précité (31), la Cour a refusé que l’on puisse faire l’impasse sur cette catégorie d’avantages, générés par l’exécution du service universel. En effet, on ne peut nier que chaque opérateur projette sur le marché une image de marque déterminée, dont la notoriété peut s’accroître en fonction du mode de fourniture de ces prestations.

75.      Ces avantages ont été passés sous silence dans la législation belge, puisqu’il est constant qu’ils n’ont été pris en considération que dans l’analyse des coûts de Belgacom sans qu’ils ne soient pris en compte en ce qui concerne les autres opérateurs, ni non plus dans les futures évaluations qui pourraient être menées à bien.

76.      Pour ces raisons, la deuxième branche du second grief invoqué par la Commission est fondée, dans la mesure où la méthode imaginée par la Belgique pour calculer le coûts net des tarifs sociaux ne prévoit pas la possibilité d’intégrer ces bénéfices indirects.

3.      Récapitulation

77.      Comme je l’ai exposé aux points 48 à 59 des présentes conclusions, le calcul des coûts nets en tant que règle générale et aux fins de la répartition des responsabilités de chaque entreprise dans les fonds de compensation, doit être effectué dans le respect des critères d’individualité, d’appréciation in concreto et de périodicité, dont l’omission en l’espèce justifie qu’il soit fait droit au premier grief invoqué par la Commission

78.      De même, la nécessité d’effectuer ce calcul préalablement à la déclaration, le cas échéant, de la charge injustifiée doit s’appliquer dans les cas où l’on opte pour un système de répartition des charges tel que celui prévu à l’article 13, paragraphe 1, sous b), de la directive 2002/22 et où tous les opérateurs n’exécutent pas une prestation spécifique de service universel bien qu’ils y contribuent. En l’espèce toutefois, c’est tout le contraire: toutes les entreprises sont soumises à l’obligation de fournir le service, et toutes apportent des fonds au système. Dans ce cas, le calcul du coût net s’obtient en effectuant une opération arithmétique qui s’applique de manière identique à tous les opérateurs concernés. Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, la Commission n’a pas démontré que le coût net des tarifs sociaux doive être obtenu par une méthode de calcul distincte de celle proposée par la Belgique. Si l’on ajoute à cela que tous les opérateurs contribuent à l’exécution du service, puisqu’ils sont pareillement tenus de l’offrir, et qu’ils participent conjointement à son financement, j’en conclus qu’il y a lieu de rejeter la première branche du second grief.

79.      Toutefois, et pour les raisons exposées aux points 72 à 74 des présentes conclusions, il y a lieu d’accueillir la deuxième branche du second grief de la Commission, dans la mesure où le Royaume de Belgique ne prend pas en considération les bénéfices indirects générés par l’octroi des tarifs sociaux dans le calcul de leur coût net.

VI – Sur les dépens

80.      En application de l’article 69, paragraphe 3, du règlement de procédure, si le recours est partiellement accueilli, la Cour de justice peut répartir les dépens entre les parties ou décider que chacune d’elles supportera ses propres dépens.

81.      Au cas où la Cour de justice suivrait ma proposition, le rejet d’une branche de l’un des deux griefs invoqués par la Commission à l’encontre du Royaume de Belgique commanderait, pour des raisons d’équité, que chaque partie supporte ses propres dépens.

VII – Conclusion

82.      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de justice de dire pour droit:

«1.       En ayant omis, au moment voulu et dans les circonstances relatées, la déclaration de ‘charge injustifiée’, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques.

2) Le Royaume de Belgique

- n’a pas manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 12, paragraphe 1, et 13, paragraphe 1, ainsi que de l’annexe IV, partie A, de la directive 2002/22/CE en instituant un système de calcul du coût net des tarifs sociaux égal à la différence entre les recettes qu’obtiendrait le prestataire dans des conditions normales de marché et celles qu’il reçoit effectivement du bénéficiaire du tarif;

- a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 12, paragraphe 1, et 13, paragraphe 1, ainsi que de l’annexe IV, partie A, de la directive 2002/22/CE en instituant un système de calcul du coût net qui ne prend pas en considération les bénéfices immatériels découlant de l’exécution du service.

3) Chaque partie supportera ses propres dépens».

1 – Langue originale: l’espagnol.


2 – Voir, notamment, arrêts du 24 avril 2008, Arcor (C-55/06, Rec. p. I-2931); du 17 juillet 2008, Arcor e.a. (C-152/07 à C-154/07, Rec. p. I-5959), et du 13 juillet 2006, Mobistar (C-438/04, Rec. p. I-‘6675).


3 – Directive du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002 (JO L 108, p. 51).


4 – Huitième considérant et article 4, paragraphe 1.


5 – Douzième considérant et article 6, paragraphes 1 et 3.


6 – Onzième considérant et article 5.


7 – Septième considérant.


8 – Article 7.


9 – Article 9.


10 – Quatrième considérant.


11 – Dix-huitième considérant.


12 – Vingt-et-unième considérant.


13 – Moniteur belge du 20 juin 2005.


14 – Moniteur belge du 8 mai 2007.


15 – Article 74, premier alinéa, de la loi.


16 – Article 74, troisième alinéa.


17 – Article 74, quatrième alinéa.


18 – Article 74, huitième alinéa.


19 – Spécialement envisagée à l’article 45 bis de l’annexe de la loi du 13 juin 2005, introduit par l’article 200 de la loi du 25 avril 2007.


20 – Article 74, dixième alinéa.


21 – Moniteur belge du 8 août 2006.


22 – Il s’agit notamment, dès lors que les conditions supplémentaires exigées à cet effet par l’article 22 sont réunies, des personnes de plus de 65 ans, des personnes âgées de 18 ans accomplis atteintes de handicap d’au moins 66 %, des personnes qui bénéficient du revenu d’intégration, de celles qui font l’objet d’une décision adoptée par le Roi, et des aveugles militaires de la guerre.


23 – Articles 96 à 102.


24 – Arrêt de la Cour du 6 décembre 2001 (C-146/00, Rec. p. I-9767, point 60).


25 – C’est nous qui soulignons.


26 – Au point 15 de ses conclusions présentées le 7 juin 2001 dans l’affaire Commission/France, précitée, l’avocat général Geelhoed est plus direct encore lorsqu’il explique que «(…) il s’agit en définitive d’exercer une surveillance sur d’anciens monopolistes qui disposent sur le marché d’une position dominante et qui, en se fondant sur cette position dominante, ont pour seule perspective la pertinence pour leur rentabilité du coût à imputer. Il est évident que ces opérateurs n’ont pas intérêt à calculer ce coût d’une manière trop étroite (…)».


27 – Article 32 de la directive 2002/22, annoncé par son vingt-cinquième considérant: «(…) les États membres ne sont pas autorisés à imposer aux acteurs du marché des contributions financières au titre de mesures qui ne relèvent pas des obligations de service universel. Chaque État membre reste libre d’imposer des mesures spéciales (ne relevant pas des obligations de service universel) et de les financer conformément au droit communautaire, mais pas par le biais de contributions provenant des acteurs du marché».


28 – Conformément à l’article 45 bis de l’annexe de la loi belge relative aux communications électroniques.


29 – Article 15 et vingt-cinquième considérant de la directive 2002/22.


30 – Vingt-cinquième considérant de la directive 2002/22.


31 – Au point 76 de l’arrêt, la Cour réaffirme l’obligation de calculer ces bénéfices immatériels.


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