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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Norma- A and Dekom v Ludzas novada dome French Text [2011] EUECJ C-348/10 (07 July 2011) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2011/C34810_O.html |
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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. P. Cruz Villalón
présentées le 7 juillet 2011 (1)
Affaire C-�348/10
SIA „Norma-A”
SIA „Dekom”
contre
Ludzas novada dome
contre
Latgales plānošanas reģions, successeur en droit de Ludzas novada dome
[demande de décision préjudicielle formée par le Latvijas Republikas Augstakas Tiesas Sanata Administrativo Lietu departaments (salle du contentieux administratif du Tribunal suprême de la République de Lettonie)]
«Distinction entre «marché public de services» et «concession de services» – Transports publics de bus – Procédures de recours en matière de passation de marché – Application directe et effets rétroactifs d’une directive»
Table des matières
I – Cadre juridique
A – Le droit de l’Union
B – Le droit national
II – Les faits
III – La question préjudicielle
IV – La procédure de la Cour de Justice
V – Les arguments présentés
VI – Observations
A – Sur la première question préjudicielle: le dilemme marché de services/concession de services publics
B – Sur la deuxième question: l’applicabilité directe de la directive 1992/13, dans sa version modifiée par la directive 2007/66
C – Sur la troisième question préjudicielle: l’éventuelle rétroactivité de la directive 1992/13
VII – Conclusion
La présente question préjudicielle peut permettre à la Cour de compléter sa jurisprudence relative aux critères qui permettent de distinguer entre contrat de marchés publics et concession de services, au sens du droit de l’Union, et de préciser également les hypothèses dans lesquelles il y a lieu d’estimer une directive non transposée dans les délais prévus à cet effet comme étant directement applicable. Cette affaire permet également d’illustrer, une fois de plus, la nécessité d’une coopération judiciaire entre l’Union et les États membres pour appliquer le droit de l’Union.
I – Cadre juridique
A – Le droit de l’Union
1. La directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (2) (ci-après la «directive 2004/18») et la directive 2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux (3) (ci-après, la «directive 2004/17») ont réformé à leur époque la réglementation en vigueur dans le domaine des marchés publics (4) en fournissant, dans un objectif de clarté, un classement systématique des instruments de coordination arbitrés par le législateur communautaire. Dans cette optique, l’article 1, paragraphe 2, sous a) et d) de la directive 2004/17 (5) dispose, en ce qui concerne les définitions des catégories et des notions utilisées:
«a) Les ‘marchés de fournitures, de travaux et de services’ sont des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre une ou plusieurs entités adjudicatrices visées à l’article 2, paragraphe 2, et un ou plusieurs entrepreneurs, fournisseurs ou prestataires de services; […]
d) les ‘marchés de services’ sont des marchés autres que les marchés de travaux ou de fournitures ayant pour objet la prestation de services mentionnés à l’annexe XVII».
2. De son côté, l’article 1, paragraphe 3, sous b), de la directive 2004/17 indique que la «concession de services» est un contrat présentant les mêmes caractéristiques qu’un marché de travaux, à l’exception du fait que la contrepartie de la prestation des services consiste soit uniquement dans le droit d’exploiter l’ouvrage, soit dans ce droit assorti d’un prix.
3. Conformément à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2004/17, celle-ci «s’applique aux entités adjudicatrices […] qui sont des pouvoirs adjudicateurs ou des entreprises publiques et qui exercent une des activités visées aux articles 3 à 7».
4. L’article 5, paragraphe 1, de la directive 2004/17 prévoit ainsi son application «aux activités visant la mise à disposition ou l’exploitation de réseaux destinés à fournir un service au public dans le domaine du transport par chemin de fer, systèmes automatiques, tramway, trolleybus, autobus ou câble».
5. De son côté, la directive 1992/13/CEE du Conseil, du 25 février 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications(6) (ci-après, la «directive 1992/13»), dans sa version modifiée par la directive 2007/66/CE du 11 décembre 2007 (7), a pour objet de garantir l’application effective tant de la directive 2004/17, que de la directive 2004/18, et elle indique à cette fin, en son article 2 quinquies, paragraphe 1, sous b):
«1. Les États membres veillent à ce qu’un marché soit déclaré dépourvu d’effets par une instance de recours indépendante du pouvoir adjudicateur ou à ce que l’absence d’effets dudit marché résulte d’une décision d’une telle instance dans chacun des cas suivants:
[…]
b) en cas de violation de l’article 1er, paragraphe 5; de l’article 2, paragraphe 3, ou de l’article 2 bis, paragraphe 2, de la présente directive, si cette violation a privé le soumissionnaire intentant un recours de la possibilité d’engager un recours précontractuel lorsqu’une telle violation est accompagnée d’une violation de la directive 2004/18/CE, si cette violation a compromis les chances du soumissionnaire intentant un recours d’obtenir le marché;» [Or. 8]
6. Conformément à l’article 2 septies, paragraphe 1, sous b), de la directive 1992/13, dans sa version modifiée par la directive 2007/66/CE:
«1. Les États membres peuvent prévoir que l’introduction d’un recours en application de l’article 2 quinquies, paragraphe 1, doit intervenir:
[…]
b) et en tout état de cause avant l’expiration d’un délai minimal de six mois à compter du lendemain du jour de la conclusion du contrat».
B – Le droit national
7. Les dispositions nationales pertinentes pour le cas d’espèce seraient celles indiquées ci-après. En premier lieu, la Par pašvaldībām likums (loi relative aux collectivités locales) (8), dont l’article 15 prévoit que l’organisation des services de transport public relève des pouvoirs autonomes des collectivités locales.
8. En second lieu, la Publiskās un privātās partnerības likums (loi de collaboration entre le secteur public et le secteur privé; ci-�après la «LCSPSP») (9), dont l’article 7 dispose que le contrat de concession de services est un contrat d’accord avec lequel, sur instances d’un partenaire public, l’associé privé fournit les services énumérés à l’annexe 2 de la Publisko iepirkumu likums (loi des marchés publics; ci-�après la «LCP») et en contrepartie de ces services, ou comme composant essentiel de la contrepartie, il obtient le droit d’exploiter ces services, tout en supportant en même temps le risque de leur exploitation ou une partie substantielle de ceux-ci.
9. D’après l’article 1er, paragraphe 8, de la loi sur les partenariats public/privé, le droit d’exploiter un service comprend celui de percevoir une redevance des usagers du service, ou le droit d’obtenir du partenaire public une contrepartie, dont le montant dépend de la demande de services de la part des usagers, ou encore le droit de percevoir simultanément une redevance des usagers et une contrepartie du partenaire public.
10. D’après l’article 1, paragraphe 9, on entend par risque d’exploitation des services, les risques économiques qui existent lorsque les recettes du partenaire privé dépendent de la demande de services de la part des usagers (risque lié à la demande) et/ou de la fourniture aux usagers d’un service conforme aux conditions fixées dans le contrat de concession (risque de disponibilité), ou encore enfin, lorsque les risques dépendent autant du risque lié à la demande que du risque de disponibilité.
11. La sabiedriskā transporta pakalpojumu likums (loi sur les services de transport en commun) (ci-après «LSTP») (10) est également pertinente dans le contexte de cette affaire. Son article 8, paragraphe deux, prévoit que, sauf dispositions contraires de la loi, le donneur d’ordres organise les services de transport en commun conformément à la loi sur les marché publics ou à la loi réglementant l’octroi des concessions.
12. L’article 10, paragraphe 1er, de la LSTP dispose que les pertes subies par le prestataire et ses dépenses liées à la fourniture de ces services sont indemnisées selon les modalités prévues aux articles 11 et 12 de la même loi, alors que la troisième partie du même article dispose que, au sens de la loi, on entend également par pertes le coût du service si le donneur d’ordres a organisé la commande de services de transport en vertu de la Publisko iepirkumu likums (loi sur les marchés publics).
13. Conformément à l’article 11, paragraphe 1er, de la LSTP, le prestataire est indemnisé des pertes liées à la fourniture de services de transport en commun:
«2) à partir des fonds prévus à cette fin dans le budget de l’État pour les lignes d’intérêt local d’un réseau de transport régional;
3) à partir des fonds des budgets des collectivités locales, pour la partie des commandes de services d’intérêt local d’un réseau de transport régional qui excède les moyens affectés dans le budget de l’État pour garantir ces services […]».
14. En vertu de l’article 12, paragraphe 1er, de la LSTP, si l’État fixe au prestataire de transport des normes qualitatives minimales que celui-ci, agissant dans un but lucratif, n’appliquerait pas [de lui-même], et dont la mise en œuvre engendre des dépenses supplémentaires, le prestataire est en droit de recevoir de l’État une indemnisation pour la totalité de ces dépenses supplémentaires. D’autre part, l’article 12, paragraphe 2, prévoit l’indemnisation, au moyen du prix cité au paragraphe 1, pour le prestataire qui fournit des services de transport en commun dans le cadre d’une commande publique si les normes qualitatives minimales sont imposées alors que la fourniture de service de transport en commun a déjà commencé.
15. Enfin, le Ministru Kabineta noteikums nº 1226, Sabiedriskā transporta pakalpojumu sniegšanā radušos zaudējumu un izdevumu kompensēšanas un sabiedriskā transporta pakalpojuma tarifa noteikšanas kārtība (décret n° 1226 du Conseil des ministres, du 26 octobre 2009, relatif au régime de compensation des pertes et des dépenses engendrées par la fourniture de services de transport en commun et au régime de fixation des tarifs, ci-après le «décret n° 1226») (11), pris sur la base de la LSTP, dispose en son article 2 que le prestataire est indemnisé des pertes suivantes liées à l’exécution d’un marché public de transport:
1) les coûts inévitables liés à l’exécution du marché public de transport en commun qui excèdent les recettes;
2) le coût de l’application des tarifs fixés par le donneur d’ordres;
3) la perte de recettes due au fait que le donneur d’ordres a imposé des réductions tarifaires à l’égard de différentes catégories de passagers.
16. L’article 3 du décret précité prévoit que le prestataire peut demander à être indemnisé des pertes engendrées par le respect des normes qualitatives minimales fixées par le donneur d’ordres ou par des actes normatifs alors que la fourniture de service de transport en commun a déjà commencé, dès lors que le respect de ces normes entraîne des dépenses excédant le montant des frais liés aux exigences de qualité préalablement établies.
17. D’après l’article 39 du décret n° 1226, le donneur d’ordres déterminera les pertes effectives à partir du total des recettes découlant de l’exécution du marché public de transport en commun, en excluant les frais justifiés qui résultent de la fourniture du service de transport en commun. Au sens de cet article, sont considérées comme des recettes les recettes de la vente des billets, y compris des abonnements, et les autres recettes provenant de l’exécution du marché public de services de transport en commun.
18. Le donneur d’ordres déterminera le montant qu’il devra payer en compensation des pertes, en ajoutant à celles-ci, telles que définies à l’article 39 du décret n° 1226, le montant des bénéfices. Ce montant sera déterminé en multipliant les recettes par un pourcentage de bénéfice calculé en ajoutant 2,5 % au taux moyen du marché interbancaire européen (EURIBOR) pendant les douze mois de l’année de référence (article 40).
19. Le montant de l’indemnisation des pertes ne saurait excéder le montant des pertes réelles calculées si le prestataire a respecté les tarifs fixés par le donneur d’ordres (redevance de transport) (article 49).
20. Si le droit de fournir des services de transport public a été attribué en vertu de la loi sur les marchés publics, le montant de l’indemnisation sera déterminé par la différence entre le prix contractuel du marché de transport en commun et les recettes réelles (article 50).
21. D’après l’article 57 du décret n° 1226, lorsqu’un marché public de services de transport en commun prend fin:
1) le prestataire remboursera au donneur d’ordres les fonds trop-perçus si le montant de l’indemnisation des pertes pendant la période de fourniture de services de transport excède le montant de l’indemnisation réellement due, et le donneur d’ordre affectera lesdits fonds à l’indemnisation des pertes subies par d’autres prestataires;
2) le donneur d’ordres versera une indemnisation si le montant de l’indemnisation des pertes pendant la période de fourniture de services de transport est inférieur au montant de l’indemnisation réellement due.
II – Les faits
22. Ainsi que l’indique l’ordonnance de renvoi préjudiciel, le 17 juin 2009, le Ludzas rajona padome (conseil du district de Ludza) a publié un avis de concours ouvert pour la fourniture de services de transport en commun par autobus desservant la ville et les routes régionales dans le district de Ludza. Les demanderesses dans l’affaire au principal ont soumis leur offre le 6 août 2009.
23. Le marché a été attribué, par décision du 31 août 2009, à la société SIA Ludzas autotransporta uzņēmums (ci-après, «SIA Ludzas»). Le Ludzas novada dome (conseil régional de Ludza) (12) a décidé le 2 septembre 2009 de conclure un contrat de concession de services de transport en commun avec cette entreprise.
24. Les requérantes ont attaqué cette décision devant les tribunaux le 16 septembre 2009, en demandant en outre le sursis à exécution de celle-ci. Le 16 octobre 2009, l’Administratīvā rajona tiesa (tribunal administratif de première instance) a accueilli cette demande de suspension à titre conservatoire et sa décision a été confirmée en appel par l’Administratīvā apgabaltiesa (cour d’appel) le 14 décembre 2009.
25. Néanmoins, le 9 octobre 2009, le conseil du district de Ludzas et SIA ont conclu un contrat de concession, partant, les requérantes ont introduit un recours le 26 novembre 2009 auprès du tribunal administratif de première instance visant à faire déclarer la nullité du contrat.
26. Par décision du 3 décembre 2009, le juge de première instance a rejeté le recours en nullité, considérant que le contrat en question était un contrat de droit privé et, partant, qu’il ne relevait pas de la compétence des juridictions administratives.
27. Cette décision a été annulée par la cour administrative d’appel le 11 mai 2010. Néanmoins, la cour d’appel a également rejeté le recours des requérantes sur le fond, considérant, ainsi que cela est indiqué dans l’ordonnance de renvoi de la présente question préjudicielle, que les «demanderesses n’avaient pas de droit subjectif à soumettre une requête en vue de faire prononcer la nullité du contrat en cause».
28. Les requérantes ont introduit un pourvoi contre cette décision auprès de la Cour suprême de Lettonie en faisant valoir que la directive 2007/66 leur conférait un droit subjectif de solliciter l’annulation du marché en cause. Tout en reconnaissant qu’au moment de la conclusion du contrat, le délai de transposition de cette directive n’était pas échu, les parties requérantes soutenaient que la juridiction n’aurait pas dû leur refuser un droit qui ressort de l’objectif même de la directive.
III – La question préjudicielle
29. Dans le cadre précédemment exposé, la Cour suprême de Lettonie a adressé à la Cour la question préjudicielle suivante, articulée autour de trois questions:
«1) Convient-il d’interpréter l’article 1er, paragraphe 3, point b), de la directive 2004/17/CE en ce sens que doit être considéré comme une concession de services public un contrat par lequel un contractant se voit conférer le droit de fournir des services de transport en commun par autobus alors que la contrepartie consiste, pour partie, dans le droit d’exploiter les services en question, que l’entité adjudicatrice indemnise le prestataire pour les pertes d’exploitation et que, de surcroît, les règles de droit public et les clauses contractuelles qui régissent la fourniture de ces services limitent le risque d’exploitation?
2) En cas de réponse négative à la première question, l’article 2 quinquies, paragraphe 1, point b), de la directive 92/13/CEE, modifiée par la directive 2007/66/CE, est-il directement applicable en République de Lettonie depuis le 21 décembre 2009?
3) En cas de réponse affirmative à la deuxième question, l’article 2 quinquies, paragraphe 1, point b), de la directive 92/13/CEE, doit-il être interprété en ce sens qu’il est applicable à des marchés [Or. 18] passés avant l’expiration du délai fixé pour la transposition de la directive 2007/66/CE?
30. Il y a lieu d’ajouter d’emblée que, ainsi que l’indique le libellé des questions, le premier doute de la juridiction de renvoi porte sur la qualification du contrat relatif à la fourniture de services de transport public en tant que contrat de «concession de services», au sens de l’article 1, paragraphe 3, sous b) de la directive 2004/17, alors que les circonstances suivantes sont réunies:
1) une fraction de la contrepartie est constituée par le droit d’exploiter le service de transport public (le prestataire du service perçoit la contrepartie par le biais du paiement de tiers, les usagers du transport);
2) le pouvoir adjudicateur, conformément aux dispositions de la loi de l’État membre, indemnise le prestataire de service dans l’hypothèse de pertes résultant de la prestation des services;
3) le risque d’exploitation du service de transport public est limité à la fois par la loi régulant la passation du marché de ces services, et par les dispositions contractuelles.
31. En ce qui concerne la deuxième question, en se fondant sur le fait qu’au cours de la période comprise entre le 21 décembre 2009 et le 14 juin 2010, [Or. 19] la Lettonie n’avait pas rempli les obligations figurant à la directive 2007/66, la Cour suprême de Lettonie se demande si l’article 2 quinquies, paragraphe 1, sous b), de la directive 1992/13 doit être interprété en ce sens qu’il doit également s’appliquer pour les contrats visés dans la directive 2004/17 et conclus avant la fin du délai d’adaptation du droit interne à la directive 2007/66. À cet égard, nous observons que, conformément à l’article 2 septies, paragraphe 1, sous b), de la directive 1992/13, une personne a le droit de contester un contrat dans un délai de six mois suivant le jour de sa signature. Par conséquent, dans l’affaire débattue en l’espèce, si l’on tient compte du jour de conclusion du contrat (le 9 octobre 2009) les requérantes avaient également ce droit le 21 décembre 2009 (une fois échu le délai pour l’adaptation du droit interne à la directive).
32. En définitive, la Cour suprême de Lettonie soutient qu’il existe des doutes concernant l’interprétation de l’article 1, paragraphe 3, sous b), de la directive 2004/17 et de l’article 2 quinquies, paragraphe 1, sous b), de la directive 1992/13, et qu’il s’agit d’un élément décisif pour qu’elle se prononce sur le droit des requérantes à introduire un recours en annulation du contrat auprès des tribunaux.
IV – La procédure de la Cour de Justice
33. La question préjudicielle a été enregistrée auprès du greffe de la Cour le 9 juillet 2010. [Or. 20]
34. Norma-A, Dekom, la Commission, ainsi que les gouvernements autrichien et letton ont présenté leurs observations dans cette affaire.
35. Lors de l’audience du 18 mai 2011, les représentants de Norma-�A et de Dekom, du Latgales plānošanas reģions (région de planification de Latgale (13)) ainsi que ceux du gouvernement letton et de la Commission ont présenté à l’oral leurs observations.
V – Les arguments présentés
36. En ce qui concerne la question de la qualification du contrat visé par la présente affaire, Norm-A et Dekom, ainsi que le gouvernement autrichien et la Commission soutiennent en substance qu’il s’agit d’un marché de services au sens de la directive 2004/17, alors que le gouvernement letton soutient qu’il s’agit d’une concession de services. Alors que les premiers estiment que le niveau du risque assumé par l’entreprise adjudicataire n’atteint pas le niveau requis pour conclure qu’il s’agit d’une concession, le gouvernement letton et Latgales plānošanas reģions concluent que le risque économique en jeu est considérable et en tout état de cause, qu’il est suffisant pour que l’on puisse parler d’une concession de services public.
37. En ce qui concerne les deuxième et troisième questions, la Commission et les gouvernements autrichien et letton, tout comme Latgales plānošanas reģions soutiennent que la directive 2007/66 ne s’applique pas aux contrats conclus avant l’expiration du délai prévu pour la transposition, le gouvernement autrichien soutenant que la précision et le caractère inconditionnel de la directive qui sont requis pour que la directive soit immédiatement applicable ne sont pas réunis, bien qu’il s’agisse d’après lui, d’une observation purement hypothétique, étant donné que les phases procédurales de l’affaire au principal s’étaient déjà succédées avant l’expiration du délai de transposition, sans que rien ne permette de penser que la directive avait prévu un effet rétroactif exigeant l’annulation des contrats conclus avant cette date d’expiration. Toute autre solution irait à l’encontre du principe de sécurité juridique, ainsi que l’indique le gouvernement letton. De son côté, la Commission en répondant conjointement aux deux dernières questions, estime que les circonstances traditionnellement exigées pour l’applicabilité directe de la directive en cause sont réunies, même si cette directive ne saurait s’appliquer aux contrats conclus avant la date d’expiration du délai de transposition.
38. Enfin, Norm-A et Dekom soutiennent que, conformément à l’article 2 septies, paragraphe 1, sous b), de la directive 2007/66, le justiciable a le droit de saisir la juridiction pour demander la nullité d’un contrat durant la période des six mois suivant la date de la conclusion de celui-ci. Étant donné que, dans le cas d’espèce, ce délai n’était pas clôt à la date à laquelle la directive aurait dû être transposée, l’article 2 quinquies serait applicable, même si le contrat a été conclu antérieurement. Selon elles, de la même manière que les États membres doivent s’abstenir d’adopter des dispositions susceptibles de compromettre l’objectif visé par la directive, ils sont également tenus d’interpréter le droit national conformément à la directive. Et, dans une hypothèse comme celle du cas d’espèce, le droit subjectif à un recours de cette nature auprès d’un organe indépendant relève tout à fait de l’objectif poursuivi par la directive précitée.
VI – Observations
A – Sur la première question préjudicielle: le dilemme marché de services/concession de services publics
39. La qualification du contrat controversé dans l’affaire au principal relève de la seule compétence de la juridiction de renvoi. Celle-ci ne peut attendre de la Cour qu’une interprétation du droit de l’Union utile pour la décision qu’il lui revient de prendre dans le litige dont elle est saisie (voir pour tous, l’arrêt de la Cour du 13 octobre 2005, Parking Brixen, C-458/03, Rec. p. I-8585, point 32).
40. À cette fin, la question de savoir si un contrat doit ou non être qualifié de «concession de services» ou de «marché public de services» doit s’apprécier exclusivement au regard du droit de l’Union (voir ainsi les arrêts de la Cour du 18 juillet 2007, Commission/Italie, C-382/05, Rec. p. I-6657, point 31 et du 15 octobre 2009, Acoset, C-196/08, Rec. p. I-9913, point 38).
41. Il ressort de la combinaison des points a) et d) de l’article 1, paragraphe 2, de la directive 2004/17, que les marchés de services publics sont des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre une ou plusieurs entités adjudicatrices visées à l’article 2, paragraphe 2, et un ou plusieurs entrepreneurs, fournisseurs ou prestataires de services; pour la prestation de services mentionnés à l’annexe XVII de la directive, et parmi lesquels figure, en ce qui nous concerne ici, le service de transport par voie terrestre.
42. De son côté, l’article 1, paragraphe 3, sous b), de la même directive dispose que la «concession de services» est un contrat présentant les mêmes caractéristiques qu’un marché de services à l’exception du fait que la contrepartie de la prestation des services consiste «soit uniquement dans le droit d’exploiter le service, soit dans ce droit assorti d’un prix».
43. La différence entre les deux contrats résulte essentiellement de la contrepartie, dans les deux cas, de la prestation de services (arrêt de la Cour du 10 mars 2011, Privater Rettungsdienst und Krankentransport Stadler, C-274/09, non encore publié au Recueil, point 24).
44. La directive n’indique pas en quoi consiste la contrepartie d’un service fourni en application d’un contrat. Dans la mesure où elle indique que, dans l’hypothèse où cette contrepartie serait un droit d’exploitation, on se trouverait devant une concession de services, la Cour a conclu que la différence fondamentale entre ces deux contrats réside à première vue dans le fait que la rétribution pour le service fourni est directement versée par l’entité adjudicatrice, ou qu’elle pèse sur des tiers (affaire Eurawasser précitée point 51). En dernier lieu, cette différence conduit néanmoins au critère de la prise en charge du risque associé à l’incertitude du résultat d’un contrat signé pour satisfaire les intérêts respectifs des parties.
45. La rétribution de la prestation par des tiers a été un critère déterminant pour qualifier le contrat de concession de services, dans la mesure où elle implique que le risque d’exploitation du service est assumé par l’adjudicataire. Parfois, ainsi que l’a indiqué l’avocat général Mazak dans ses conclusions relatives à l’affaire Privater Rettungdienst und Krankentransport Stadler précitée (14), même une rétribution de caractère indirect a suffi en elle-même pour que la Cour considère que le contrat examiné était une concession de services (15).
46. Selon moi, l’élément réellement déterminant est la prise en charge du risque, ainsi qu’il ressort du fait que la rétribution directe de la prestation par l’entité adjudicatrice n’implique pas que nous nous trouvions nécessairement et en tout état de cause face à un marché de services. Et ce, parce que comme l’a indiqué l’avocat général Mazak dans les conclusions précitées (points 28 et 29), la Cour a désigné les «critères subsidiaires» permettant, en présence d’une rémunération directe, de conclure que le prestataire de services a pris en charge le risque d’exploitation lié au service en cause, cette prise en charge du risque étant, en dernière instance, ce qui conduit à qualifier le contrat, en dépit de la rétribution directe, de concession (16).
47. En définitive, le risque étant un élément inhérent à l’exploitation économique d’un service (voir affaire Eurawaser C-206/08 précitée, point 66), la Cour a estimé que cette prise en charge du risque par le prestataire de service implique que le contrat conclu avec l’entité adjudicatrice répond à la notion de concession de services.
48. Conformément à la jurisprudence, le risque d’exploitation économique du service doit être compris comme étant le risque d’exposition aux aléas du marché (voir l’arrêt Eurawasser précité, points 66 et 67, et l’arrêt Privater Rettungsdienst und Krankentransport Stadler, C-274/09, précité, point 37), lequel «peut se traduire par le risque de concurrence de la part d’autres opérateurs, le risque d’une inadéquation entre l’offre et la demande de services, le risque d’insolvabilité des débiteurs du prix des services fournis, le risque d’absence de couverture intégrale des dépenses d’exploitation par les recettes ou encore le risque de responsabilité d’un préjudice lié à un manquement dans le service» (arrêt Privater Rettungsdienst und Krankentransport Stadler, C-274/09, précité, point 37, citant les arrêts Contse e.a., point 22, et Hans & Christophorus Oymanns, point 74, précités).
49. D’autre part, les risques liés à la mauvaise gestion ou à des erreurs d’appréciation de l’opérateur économique ne sont pas déterminants pour qualifier un contrat de marché public ou de concession de services publics, car il s’agit des risques inhérents à tout contrat en général (arrêt Privater Rettungsdienst und Krankentransport Stadler, C-274/09, point 38). Partant, les risques relatifs à des variables dont la réalité dépend exclusivement de l’opérateur économique en cause ne sont pas pertinents aux fins de cette distinction.
50. Enfin, le risque assumé par le prestataire de service pour que le contrat soit une concession de services ne doit pas être un risque «considérable en terme d’absolu», mais constituer au moins une «partie significative» du risque que l’entité adjudicatrice assumerait en tout état de cause si elle fournissait elle-même le service en cause (17). [Or. 27]
51. En effet, la Cour a déclaré que, dans les hypothèses où la forme juridique publique de l’exploitation économique et financière du service réduit les risques économiques au minimum, il faut que les entités adjudicatrices conservent la possibilité de garantir la prestation de service au moyen d’une concession si elles estiment que ce mode contractuel est plus adapté pour garantir le service public. C’est pourquoi il serait absurde d’exiger que la réglementation applicable au secteur créé des conditions de risque économique supérieures à celles qui y existent déjà, dans le seul but de disposer d’un volume suffisant de risque transférable pour justifier la qualification juridique du contrat en tant que concession de services public (arrêt Eurawasser, points 72 à 76). Au contraire, il est déterminant qu’il y ait un transfert significatif du risque inhérent à l’exploitation du service, quelque soit ce risque dans l’absolu, c’est-à-dire en lui-même.
52. Cela dit, la Cour suprême de Lettonie pose sa première question préjudicielle par rapport à un marché dans lequel « la contrepartie consiste, pour partie, dans le droit d’exploiter les services en question» alors qu’en même temps, d’une part l’entité adjudicatrice «indemnise le prestataire pour les pertes d’exploitation» et que d’autre part, «les règles de droit public et les clauses contractuelles qui régissent la fourniture de ces services limitent le risque d’exploitation».
53. Comme le précise la juridiction de renvoi, le prestataire de service reçoit la contrepartie de sa prestation par le biais de paiements effectués par des tiers, les usagers du transport. Il s’agirait donc, de ce point de vue, d’un cas typique de concession de services au regard de l’article 1, paragraphe 2, sous a et d), de la directive 2004/17.
54. Néanmoins, le risque inhérent à l’exploitation économique du service est limité par la réglementation nationale en matière de prestation de service, en l’espèce la LSTP; autrement dit, il ne s’agit pas du risque caractéristique de la prestation d’un service dans un régime de liberté absolue du marché. D’autre part, même dans les limites du risque qui découle de la forme juridique publique de l’exploitation économique et financière du service, le pouvoir adjudicateur indemnise le prestataire de service de certaines pertes.
55. Ainsi que je viens de l’indiquer, le risque pertinent est celui qui résulte de la configuration de la prestation de service (points 51 et 52). Il importe que ce risque concret soit pris en charge de manière significative par l’adjudicataire car, ainsi que je l’ai également indiqué dans la note 17, le critère du niveau de risque pris en charge est déterminant en dernière instance, au-delà du genre de contrepartie de la prestation, pour qualifier le contrat de marché ou de concession de services.
56. La juridiction de renvoi signale en l’espèce que le risque d’exploitation du service n’incombe pas à l’adjudicataire. De fait, elle affirme que ce dernier n’assume même pas une partie significative de celui-ci (voir le point 13 de l’ordonnance de renvoi).
57. En effet, il ressort de la combinaison de la réglementation et du contenu du contrat que l’indemnisation des pertes liées à la fourniture du service a été garantie à l’adjudicataire en ce qui concerne: A) la partie des coûts inévitables liés à l’exécution du marché public de transport qui excède les recettes; B) les coûts générés par l’application des tarifs fixés par le donneur d’ordres; C) la perte de recettes due au fait que le donneur d’ordres a imposé des réductions tarifaires à l’égard de différentes catégories de passagers; D) les pertes engendrées par le respect des normes qualitatives imposées alors que la fourniture du service a déjà commencé, dès lors que ces normes entraînent des dépenses supplémentaires par rapport aux conditions de qualités préalablement exigées.
58. Par ailleurs, il convient d’ajouter au montant de l’indemnisation des pertes précitées le montant des bénéfices, qui sera fixé en multipliant les recettes par un pourcentage de bénéfice calculé en ajoutant 2,5 % au taux moyen du marché interbancaire européen (EURIBOR) pendant les douze mois de l’année de référence.
59. Autrement dit, l’indemnisation des pertes liées à la prestation de service en termes de coûts d’exploitation et les pertes de bénéfice sont prévues.
60. Ces données fournies par la Cour suprême de Lettonie sont en principe suffisamment éloquentes pour permettre à la juridiction de renvoi de conclure que le contrat débattu en l’espèce constitue un marché de services. En effet, selon moi, il se dégage clairement des dispositions réglementaires et contractuelles qui définissent le contexte et le contenu du contrat ici examiné des éléments permettant de conclure qu’il s’agit exactement d’un véritable marché de services publics.
61. Néanmoins, tant le gouvernement letton que Latgales plānošanas reģions opposent une série d’arguments pour exclure l’idée que les risques soient assumés par l’adjudicateur et partant, pour considérer qu’il s’agit d’un marché, à savoir essentiellement le degré élevé de risque de la demande, la réduction des postes budgétaires étatiques qui sont dédiés à la couverture de pertes éventuelles, les frais pour investissements non récupérables, et l’élargissement ou la réduction d’itinéraires et de trajets etc …
62. Cependant, il convient de rappeler ici qu’il ne saurait incomber à la Cour d’évaluer les circonstances exposées lors de l’audience par le gouvernement letton et par Latgales plānošanas reģions, et encore moins d’intervenir dans le débat portant sur la nature et la portée des divergences appréciables entre les prévisions d’activité avancées lors de l’adjudication et celles qui se sont effectivement réalisées en conséquence d’une conjoncture économique moins propice et favorable.
63. Cependant, étant donné qu’en dernière instance, ainsi que nous l’avons déjà indiqué au point 40, la qualification du contrat relève de la compétence de la juridiction de renvoi, il convient de préciser qu’il appartient à la Cour suprême de Lettonie de déterminer jusqu’à quel point les circonstances invoquées par le gouvernement letton et par Latgales plānošanas reģions peuvent invalider la conclusion à laquelle conduit naturellement la lecture de la réglementation applicable et des clauses contractuelles. Ceci est particulièrement vrai dans la mesure où la Cour suprême de Lettonie pose la première des questions en affirmant d’une part, que le pouvoir adjudicateur indemnise le prestataire de service pour les pertes résultant de la prestation et d’autre part, que la réglementation nationale applicable à l’espèce et les dispositions contractuelles «limitent» le risque d’exploitation. Déterminer dans quelle mesure le risque pertinent aux fins de la qualification du contrat visé est assumé par l’une ou l’autre des parties, est une tâche qui relève de la seule juridiction de renvoi, celle-ci étant la seule en position d’apprécier les circonstances et les données du cas d’espèce dans leur intégralité.
64. En conclusion, même si la qualification du contrat visé relève de la juridiction nationale et que la Cour a pour seule mission de fournir à cette juridiction une interprétation du droit de l’Union qui lui soit utile pour trancher le litige, les dispositions réglementaires et contractuelles en jeu permettent d’ores et déjà de conclure que ce contrat répond aux caractéristiques du marché de services. Ce nonobstant, et eu égard à cette compétence de la juridiction de renvoi, c’est à cette dernière qu’il incombe de déterminer dans quelle mesure, une fois examinées les circonstances concrètes invoquées par les parties dans l’affaire au principal, cette conclusion n’est pas, au regard du droit de l’Union, la plus pertinente ou la plus adéquate.
B – Sur la deuxième question: l’applicabilité directe de la directive 1992/13, dans sa version modifiée par la directive 2007/66
65. Dans l’hypothèse de départ selon laquelle nous serions face à un marché de services, la directive 1992/13 serait applicable rationae materiae. Partant, la question qui se pose ensuite est de savoir si l’article 2 quinquies, paragraphe 1, sous b), de la directive 1992/13, dans sa version modifiée par la directive 2007/66, est directement applicable en Lettonie depuis le 20 décembre 2009, date d’expiration du délai pour transposer la directive précitée. Si tel était le cas, l’autre question est de savoir si, en vertu de l’article 2 septies, paragraphe 1, sous b), de la directive, cet article est également applicable aux contrats conclus avant la fin du délai de transposition.
66. Ces deux questions correspondent à la deuxième et à la troisième question posées par la Cour suprême de Lettonie. J’estime, à l’inverse de ce que prétend le gouvernement autrichien, qu’il ne peut être répondu à la troisième question qu’après avoir répondu à la deuxième question. En effet, pour préciser si l’article 2 septies, paragraphe 1, sous b) de la directive 1992/13 permet une application rétroactive de l’article 2 quinquies, paragraphe 1, sous b), il est nécessaire de déterminer par avance si cet article était applicable à compter du 21 décembre 2009. Ce n’est qu’une fois résolue la question de savoir si la directive 1992/13 était directement applicable à compter de cette date que l’on pourra examiner si l’article, qui prévoit supposément une certaine rétroactivité à l’application de l’article 2 quinquies, paragraphe 1, sous b), de la directive précitée était également applicable.
67. Les parties s’accordent sur le fait que la République de Lettonie n’a pas mis «en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la […] directive [2007/66/CE] au plus tard le 20 décembre 2009», ainsi que le prescrivait l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2007/66. La transposition de cette directive en droit interne n’a été effective qu’à partir du 15 juin 2010, de sorte que la première question à résoudre est de savoir si durant la période comprise entre le 21 décembre 2009 et le 14 juin 2010, l’article 2 quinquies, paragraphe 1, sous b), de la directive était directement applicable en République de Lettonie, même s’il n’avait pas été transposé. [Or. 34] En effet, cette directive impose aux États membres l’obligation de veiller à ce que, dans les hypothèses où l’effet suspensif des recours introduits contre des décisions d’adjudication de marché de services ne serait pas respecté, «un marché soit déclaré dépourvu d’effets par une instance de recours indépendante de l’entité adjudicatrice ou à ce que l’absence d’effets dudit marché résulte d’une décision d’une telle instance».
68. L’expiration du délai prévu pour transposer une directive ou sa transposition défectueuse, n’est que l’une des conditions requises par la jurisprudence pour examiner la possibilité d’appliquer directement une directive non transposée (voir pour tous, l’arrêt de la Cour du 6 mai 1980, Commission/Belgique, 102/79, Rec. p. 1473, point 12). Il convient d’ajouter à cette condition d’une part, l’attribution aux particuliers des droits subjectifs invocables devant les tribunaux (arrêt de la Cour du 19 janvier 1982, Becker, 8/81, Rec. p. 53, point 25) et d’autre part, la condition que ses dispositions soient inconditionnelles et suffisamment précises (voir ainsi l’arrêt récent de la Cour, du 12 mai 2011, Trianel Kohlekraftwerk Lünen, C-115/09, non encore publié au Recueil, point 54) (18).
69. Il est clair que, dans le cas d’espèce, la première des conditions indiquées est remplie, et il en va de même pour la deuxième condition, car l’obligation imposée aux États membres par l’article 2 quinquies, paragraphe 1, sous b), de la directive 1992/13 se traduit nécessairement par le droit des particuliers à se voir garantir l’efficacité des recours qu’ils peuvent introduire contre les décisions d’adjudication d’un marché de services publics. En tant qu’obligation imposée aux États membres afin d’améliorer «l’efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés» comme indiqué au considérant 34 de la directive 2007/66, il est manifeste que cette garantie sert le droit des citoyens à une protection juridictionnelle effective dans le domaine des marchés publics.
70. Ce lien étroit entre l’article 2 quinquies, paragraphe 1, sous b), de la directive 1992/13 et le droit à la protection juridictionnelle conduit à se demander si, en réalité, ainsi que la question a été posée à l’audience, s’agissant de l’effectivité d’un droit opposable aux États membres qui s’appuie sur le droit primaire de l’Union, le droit, pour les parties dans l’affaire au principal, d’introduire le recours en cause aurait dû leur être reconnu en tout état de cause, et ce de surcroît, en marge de la directive et bien entendu, de toute loi interne de transposition. J’estime en principe qu’il doit en être ainsi, en dépit du fait que, le droit au recours étant un droit requérant typiquement une action positive de l’État, son exercice effectif rend inévitable l’intervention de la loi. Ceci m’amène à examiner le degré de l’intervention législative dans le présent cas d’espèce (19).
71. En effet, en ce qui concerne la troisième condition nécessaire pour appliquer directement une directive non transposée dans les délais, c’est-à-dire le caractère inconditionnel et suffisant du contenu normatif de l’article 2 quinquies, paragraphe 1, sous b), de la directive 2007/66, il y a lieu de partager l’avis de la Commission selon lequel la disposition examinée est, en substance, identique à celles qui figurent à l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/665/CEE (20), que l’arrêt de la Cour du 2 juin 2005, Koppensteiner (C-�15/04, Rec. p. I-4855, point 38) a qualifié de dispositions «inconditionnelles et suffisamment précises pour fonder un droit en faveur d’un particulier».
72. En effet, l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/665 impose aux États membres l’obligation de veiller à ce que les mesures prises aux fins des recours en matière de passation de marchés publics de fournitures et de travaux prévoient les pouvoirs permettant d’annuler ou de faire annuler les décisions illégales. Celles-ci, conformément à l’article 1, paragraphe 1, de cette directive doivent pouvoir faire l’objet de recours efficaces et rapides dans les conditions fixées dans la directive.
73. Si les dispositions de la directive 89/665 ont été estimées «inconditionnelles et suffisamment précises», on peut dire la même chose des dispositions qui figurent à l’article 2 quinquies, paragraphe 1, sous b), de la directive 1992/13, à l’exception du point que nous aborderons plus loin. En effet, elles prévoient avec une précision parfaite les conditions dans lesquelles un organe de recours indépendant est tenu de déclarer le contrat sans effet, à savoir, en ce qui concerne le cas d’espèce: A) en premier lieu, lorsque l’infraction de l’article 1, paragraphe 5, de l’article 2, paragraphe 3 ou de l’article 2 bis, paragraphe 2 est établie, ces articles imposant le respect de certains délais de suspension dans le cadre des procédures de passation de marché; B) en deuxième lieu, lorsque l’infraction a privé le soumissionnaire plaignant de la possibilité d’exercer des recours précontractuels; C) en troisième lieu, lorsque la violation de ces articles est combinée avec une violation de la directive 2004/18; et D) en dernier lieu, lorsque cette infraction a affecté les possibilités du soumissionnaire plaignant d’obtenir le contrat.
74. Il y a un point sur lequel la directive 1992/13 souffre néanmoins du manque de précision dénoncé par le gouvernement autrichien, en ce qu’elle n’indique pas «l’organe de recours indépendant de l’entité contractante» qui doit se prononcer sur la validité du contrat. Partant, sur ce point, l’intervention minimale nécessaire du législateur (à laquelle je faisais référence au point 71 lorsque je signalais que le caractère exigeant une action positive de la part de l’État du droit au recours rend indispensable l’apport du droit national) ferait défaut.
75. Selon moi, il ne faudrait pas exclure que l’article 2 quinquies, paragraphe 1, sous b), de la directive 1992/13 soit directement applicable en République de Lettonie à compter du 21 décembre 2009. En effet, ainsi que le gouvernement autrichien le relève, l’obligation d’interpréter le droit national conformément au droit de l’Union, combinée à l’obligation de protéger efficacement les droits des citoyens, doivent conduire la juridiction de renvoi à vérifier, conformément à la position retenue dans l’arrêt de la Cour du 17 septembre 1997, Dorsch Consult (C-�54/96, Rec. p. I-4961), si, conformément aux règles internes applicables en matière de compétence juridictionnelle, il est possible d’identifier une juridiction compétente pour traiter les recours visés par la directive 1992/13. Ceci, qu’il s’agisse d’une juridiction à laquelle incombe déjà, en vertu du droit national, le contrôle des procédures de passation de marchés publics, ou que certains mécanismes résiduels d’assignation de compétence puissent éventuellement être opérationnels (21).
C – Sur la troisième question préjudicielle: l’éventuelle rétroactivité de la directive 1992/13
76. Une fois parvenu à la conclusion selon laquelle l’article 2 quinquies, paragraphe 1, sous b), de la directive 1992/13, dans sa version modifiée par la directive 2007/66 peut être applicable en République de Lettonie à compter de la date d’expiration du délai fixé pour sa transposition, il reste à déterminer si le délai de six mois à compter du jour suivant la date de conclusion du contrat qui est prévue à l’article 2 septies, paragraphe 1, sous b), de la directive 1992/13 en tant que limite pour introduire le recours visé dans cet article, est applicable dans une hypothèse telle que celle débattue dans l’affaire au principal. En d’autres termes, il s’agit de déterminer si la possibilité d’un recours en vertu de la directive 1992/13 est étendue aux marchés conclus dans les six mois précédant la date à laquelle la directive est devenue directement applicable. Dans cette hypothèse, la directive s’appliquerait au présent cas d’espèce car le marché litigieux a été conclu le 9 octobre 2009.
77. En principe, j’estime qu’il y a lieu d’admettre que, dans l’objectif d’une meilleure efficacité de la directive, il est possible de plaider pour son application à tous les marchés conclus six mois avant la date limite fixée pour sa transposition. Ceci, entre autres, parce qu’on éviterait ainsi le risque d’éventuels marchés conclus précipitamment afin d’éviter son application et parce que cela empêcherait également la consolidation dans le temps d’une situation juridique néfaste à l’efficacité de l’exercice du droit à la protection juridictionnelle de citoyens. L’esprit de la jurisprudence de la Cour, tiré de l’arrêt de la Cour du 18 décembre 1997, Inter-Environnement Wallonie (C-129/96, Rec. p. I-�7411) invoqué par Norma-A et Dekom pointe également en ce sens, en ce que les États membres sont tenus, dans la période qui précède la date fixée pour la transposition de la directive en droit national, de ne pas compromettre la réalisation des objectifs recherchés par une directive.
78. Néanmoins, indépendamment du fait qu’on ne saurait faire abstraction du dommage qu’implique pour la sécurité juridique toute opération d’application rétroactive du droit, la structure et le contenu de la directive rendent impossible cette rétroactivité, au-delà de l’absence dans cette dernière de toute mention explicite relative à sa rétroactivité.
79. Les seuls marchés qui peuvent être contestés en vertu de la directive 1992/13 sont ceux qui ont été conclus dans le cadre juridique défini par la directive. En effet, les motifs de contestation doivent figurer parmi les conditions imposées dans la directive pour la passation des marchés. Partant, aucun des marchés conclus avant la date d’entrée en vigueur de la directive n’a pu remplir les conditions procédurales qui y étaient prévues, notamment les délais de suspension dont la violation est sanctionnée par l’article 2 quinquies, paragraphe 1, sous b).
80. Partant, permettre rétroactivement un recours qui ne pourrait se fonder que sur le seul motif du manquement à des conditions qui n’étaient pas exigibles au moment de la conclusion du marché visé n’aurait aucun sens.
VII – Conclusion
81. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions posées par la Cour suprême de Lettonie de la manière suivante:
«L’article 1er, paragraphe 3, point b), de la directive 2004/17/CE doit être interprété en ce sens qu’aux fins de celui-ci, il y a lieu de considérer en principe comme un marché de services publics le contrat en vertu duquel l’adjudicataire obtient en contrepartie le droit d’exploiter des services de transport public, le pouvoir adjudicateur l’indemnisant des pertes résultant de la prestation de services et le risque d’exploitation du service étant limité par les dispositions de droit public réglementant la prestation du service et par les dispositions contractuelles. En tout état de cause, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer dans quelle mesure les circonstances du cas d’espèce imposent une qualification différente au regard du droit de l’Union.
2) L’article 2 quinquies, paragraphe 1, sous b), de la directive 1992/13/CEE, dans sa version modifiée par la directive 2007/66/CE, peut être directement applicable en République de Lettonie à compter du 21 décembre 2009, sous réserve de l’existence d’une instance compétente pour connaître des recours visés par cette directive, la détermination de ce point incombant à la juridiction de renvoi.
3) L’article 2 quinquies, paragraphe 1, sous b), de la directive 1992/13/CEE doit être interprété en ce sens qu’il n’est pas applicable à des marchés publics passés avant l’expiration du délai fixé pour la transposition en droit interne de la directive 2007/66/CE».
1 – Langue originale: le français.
2 – JO L 134, p. 114.
3 – JO L 134, p. 1.
4 – La directive 2004/18 unifie dans une sorte de code unique les disciplines sectorielles contenues dans les directives 1993/36/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO L 199, p. 1); 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54) et 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1) alors que la directive 2004/17 l’a fait pour les dispositions réglementaires inscrites dans la directive 1993/38/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications (JO L 199, p. 84).
5 – Il est notoire que les notions relatives aux catégories définies par la directive 2004/17 sont extensibles, en raison de leur similitude par rapport aux articles 1, paragraphe 2, et 4 de la directive 2004/18. Voir en ce sens, pour tous, l’arrêt de la Cour du 10 septembre 2009, Eurawasser (C-�206/08, Rec. p. I-8377, point 43). En ce qui concerne la genèse de ces deux directives, voir les éditions respectives de Jan M. Hebly European Public Procurement: Legislative History of the «Utilities» directive 2004/17/EC, Wolters Kluwer, Alphen aan den Rijn, 2008, et European Public Procurement: Legislative History of the «Classic Directive 2004/18/EC, Wolters Kluwer, Alphen aan den Rijn, 2007.
6 – JO L 76, p. 14.
7 – JO L 335, p. 31
8 – Latvijas Vēstnesis n° 61, du 24 mai 1994, p. 192.
9 – Latvijas Vēstnesis n°107, du 9 juillet 2009, p. 4093, en vigueur depuis le 1er octobre 2009. Jusqu’au 30 septembre 2009, c’était la Koncesiju likums (loi sur les concessions) qui s’appliquait, et son article 1, paragraphe 2, définissait la concession comme étant «la cession du droit de fournir des services ou du droit exclusif d’utiliser les moyens de la concession, et ce pendant une période déterminée, concédant et concessionnaire étant liés par un contrat écrit».
10 – Latvijas Vestnesis n° 106, du 4 juillet 2007, p. 3682.
11 – Latvijas Vestnesis n° 183, du 20 novembre 2009, p. 4169. En vigueur depuis le 21 novembre 2009, remplace le décret n° 672 du Conseil des Ministres, du 2 octobre 2007 (Latvijas Vestnesis n° 175, du 31 octobre 2007, p. 3751).
12 – Organisme qui, dans l’intervalle, a repris les attributions du Conseil de district, même si les deux institutions ont apparemment coexisté pendant un certain temps.
13 – Entité qui s’est substitué en qualité de défenderesse dans l’affaire au principal à Ludzas novada pasvaldiba (adminsitration autonome du district de Ludzas).
14 – Conclusions du 9 septembre 2010, point 25, note 14.
15 – Voir par exemple, les arrêts de la Cour du 6 avril 2006, ANAV, C-410/04, Rec. p. I-3303, point 16, et du 13 novembre 2008, Coditel Brabant, C-324/07, Rec. p. I-8457, point 24.
16 – Arrêts de la Cour du 27 octobre 2005, Contse e.a. (C-234/03, Rec. p. I-9315); du 18 juillet 2007, Commission/Italie (C-382/05, Rec. p. I-6657); et du 11 juin 2009, Hans & Christophorus Oymanns (C-300/07, Rec. p. I-4779). Parmi ces critères, on retient celui de la délégation de responsabilité pour les dommages causés par un éventuel manquement dans la prestation de service ou celui de l’existence d’une certaine liberté économique pour définir les conditions d’exploitation du service.
17 – Remarque incidente: selon moi, c’est ici que prend toute son importance le fait que, conformément à l’article 1, paragraphe 3, sous b), de la directive 2004/17, la contrepartie d’une concession de services peut consister soit uniquement dans le droit d’exploiter le service, soit dans ce droit «assorti d’un prix». La combinaison de ces deux composants dans la contrepartie pour un service qui, juridiquement, ne peut être qu’un marché ou une concession doit conduire à pondérer le poids spécifique de chacun de ceux-ci. Il s’agit d’une opération pour laquelle, selon moi, il ne saurait y avoir d’autre critère que celui du niveau de risque assumé en fin de compte par le prestataire de service, et pour la détermination duquel il convient d’observer dans quelle mesure le prix lié au droit d’exploitation implique une réduction significative du risque inhérent à l’activité économique.
18 – En ce qui concerne la doctrine, voir pour tous, K. Lenaerts et P. van Nuffel, European Union Law, Sweet & Maxwell, 3ème ed. Londres, 2011 (22-080 et suiv).
19 – Sans qu’il soit nécessaire d’aborder ici la question de l’existence d’un droit à la protection juridictionnelle, qui, en tant qu’élément constitutif du patrimoine de l’union en tant que communauté de droit, constituerait la clef de voûte de l’édifice complet de l’ordre juridique communautaire, on ne saurait ignorer néanmoins le fait que la directive 1992/13 garantissait déjà dans sa première version le droit de contester les décisions adoptées par les autorités adjudicatrices, la directive 2007/66 venant améliorer l’efficacité des procédures de recours déjà existantes en matière de passation des marchés publics. Le fait que cette amélioration résulte de l’instauration de sanctions privant d’effets le contrat dans certaines circonstances, allant ainsi au-delà de la simple reconnaissance du droit à être indemnisé constitue une autre question. En effet, il y a lieu de tenir compte de ce que l’indemnisation destinée à réparer la violation d’un droit constitue une forme légitime, bien que «secondaire», de protection juridictionnelle. À cet égard, voir Wilfrid Erbguth, «Primär- und Sekundärrechtsschutz im öffentlichen Recht» dans Veröffentlichungen der Vereinigung der Deutschen Staatsrechtslehrer, vol. 61, Berlin, 2002, p. 21 et suiv.
20 – Directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L 395, p. 33).
21 – À cet égard, il y a lieu de signaler que, conformément aux allégations de Norma-A et Dekom, (p. 6-7 de la version française), il existe depuis le 1er février 2004 en République de Lettonie une juridiction administrative à laquelle l’article 184 du code de procédure administrative attribue compétence pour traiter des recours relatifs à la validité des contrats de droit public.