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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Total and Elf Aquitaine v Commission (Competition) French Text [2011] EUECJ T-206/06 (07 June 2011) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2011/T20606.html Cite as: [2011] EUECJ T-206/6, [2011] EUECJ T-206/06 |
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ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)
7 juin 2011(*)
« Concurrence – Ententes – Marché des méthacrylates – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord EEE – Imputabilité du comportement infractionnel – Droits de la défense – Présomption d’innocence – Obligation de motivation – Principe d’égalité de traitement – Principe d’individualité des peines et des sanctions – Principe de légalité des délits et des peines – Principe de bonne administration – Principe de sécurité juridique – Détournement de pouvoir – Amendes – Attribution de la responsabilité du paiement au sein d’un groupe de sociétés »
Dans l’affaire T-206/06,
Total SA, établie à Courbevoie (France),
Elf Aquitaine SA, établie à Courbevoie,
représentées par Mes É. Morgan de Rivery et S. Thibault-Liger, avocats,
parties requérantes,
contre
Commission européenne, représentée initialement par MM. F. Arbault et V. Bottka, puis par MM. Bottka et F. Castillo de la Torre, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande d’annulation de l’article 1er, sous c) et d), de l’article 2, sous b), et des articles 3 et 4 de la décision C (2006) 2098 final de la Commission, du 31 mai 2006, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/F/38.645 – Méthacrylates), ainsi que, à titre subsidiaire, une demande de réformation de l’article 2, sous b), de cette décision,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre),
composé de M. O. Czúcz, président, Mme I. Labucka (rapporteur) et M. K. O’Higgins, juges,
greffier : Mme T. Weiler, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 décembre 2009,
rend le présent
Arrêt
Antécédents du litige
A – Introduction
1 Par décision C (2006) 2098 final de la Commission, du 31 mai 2006, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) (Affaire COMP/F/38.645 – Méthacrylates) (ci-après la « décision attaquée »), la Commission a condamné solidairement Arkema SA et ses filiales Altuglas International SA (ci-après « Altuglas ») et Altumax Europe SAS (ci-après « Altumax » et, prises ensemble, « Arkema ») à une amende de 219 131 250 euros pour avoir participé à une entente dans le secteur des méthacrylates du 23 janvier 1997 au 12 septembre 2002 (ci-après « l’entente en cause »). Les requérantes, Total SA et Elf Aquitaine SA, qui étaient les sociétés mères d’Arkema, ont été tenues pour responsables solidairement du paiement de l’amende à hauteur de 140,4 millions et de 181,5 millions d’euros (article 2 de la décision attaquée).
2 Arkema (anciennement Atofina SA) est une société anonyme de droit français regroupant trois pôles d’activités : produits vinyliques, chimie industrielle et produits de performance. À l’époque des faits visés dans la décision attaquée, Arkema était détenue à 97,6 % par Elf Aquitaine, puis, à partir de la reprise du groupe Elf par Total Fina SA, le 17 avril 2000, à 96,48 % par Elf Aquitaine, elle-même détenue à 99,43 % par Total (considérants 265 et 266 de la décision attaquée).
3 Altuglas (anciennement Atohaas et Atoglas SA) et Altumax sont les principales filiales d’Arkema actives dans le secteur des méthacrylates et, en particulier, du polyméthacrylate de méthyle (ci-après le « PMMA ») qui ont participé aux comportements collusoires décrits dans la décision attaquée (considérant 259 de la décision attaquée). Altumax a été détenue à 100 % par Arkema pendant toute la durée de l’infraction. Altuglas est détenue à 100 % par Arkema depuis 1998. Avant cette date, Elf Atochem SA ne détenait que 50 % de son capital, mais était responsable pour sa gestion courante (considérant 263 de la décision attaquée).
B – Procédure administrative
4 L’enquête qui a abouti à l’adoption de la décision attaquée a été engagée à la suite de l’introduction par Degussa AG, le 20 décembre 2002, d’une demande d’immunité au titre de la communication de la Commission, du 19 février 2002, sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO C 45, p. 3, ci-après la « communication sur la coopération »).
5 Les 25 et 26 mars 2003, la Commission a procédé à des inspections, notamment dans les locaux d’Arkema. À la suite de ces inspections, Arkema a présenté, le 3 avril 2003, une demande d’immunité ou de réduction du montant de l’amende au titre de la communication sur la coopération (considérant 60 de la décision attaquée).
6 Le 17 août 2005, la Commission a adopté une communication des griefs relative à une infraction dans le secteur des méthacrylates et l’a adressée, notamment, à Total, à Elf Aquitaine, à Arkema, à Altuglas et à Altumax (considérant 85 de la décision attaquée).
7 Une audition s’est tenue les 15 et 16 décembre 2005, et y ont assisté tous les destinataires de la communication des griefs (considérant 87 de la décision attaquée).
8 Le 31 mai 2006, la Commission a adopté la décision attaquée.
C – Décision attaquée
9 Deux aspects de la décision attaquée sont particulièrement pertinents aux fins du présent litige : l’identification de ses destinataires et le calcul de l’amende.
1. Destinataires de la décision attaquée
10 La Commission, après avoir énoncé qu’il y avait lieu de déterminer à quelles entités juridiques la responsabilité de l’infraction était imputable (considérant 245 de la décision attaquée), a considéré qu’Altuglas, Altumax, Arkema et Elf Aquitaine étaient solidairement responsables de l’infraction dont s’étaient rendues coupables Altuglas et Altumax durant la période allant du 23 janvier 1997 au 12 septembre 2002. Total est tenue solidairement pour responsable de l’infraction commise par Altuglas et Altumax du 1er mai 2000 au 12 septembre 2002 (considérant 277 de la décision attaquée).
11 Plus spécifiquement, s’agissant de la responsabilité d’Elf Aquitaine, la Commission, compte tenu du fait que les membres du conseil d’administration d’Arkema étaient nommés par Elf Aquitaine et que celle-ci détenait dans le capital de sa filiale une participation de 97,6 % et, après le mois d’avril 2000, de 96,48 %, a présumé qu’Elf Aquitaine avait une influence déterminante et un contrôle effectif sur le comportement d’Arkema (considérant 265 de la décision attaquée).
12 S’agissant de la responsabilité de Total, la Commission a constaté que, depuis le mois d’avril 2000 et jusqu’à la fin de l’infraction, cette société avait contrôlé directement ou indirectement le capital de toutes les sociétés d’exploitation du groupe, y compris celles qui avaient joué un rôle direct dans l’entente en cause. Dans ces circonstances, la Commission a présumé que Total exerçait une influence déterminante sur le comportement de ses filiales Elf Aquitaine, Arkema, Altuglas et Altumax, et elle a adressé une communication des griefs à toutes ces entités (considérant 267 de la décision attaquée).
13 Arkema, d’une part, et Total et Elf Aquitaine, d’autre part, ont transmis séparément leurs réponses à la communication des griefs, en faisant valoir notamment qu’Arkema devait être la seule destinataire de la décision attaquée (considérants 268 et 269 de cette dernière). La Commission a rejeté leurs arguments et a confirmé la responsabilité des cinq entités visées au point précédent (considérants 270 à 277 de la décision attaquée). Ci-après, il sera fait référence à l’ensemble de ces sociétés comme formant le « groupe Total ».
2. Calcul de l’amende
14 S’agissant du calcul de l’amende, la Commission a examiné, en premier lieu, la gravité de l’infraction et a constaté, d’abord, que, au regard de la nature de l’infraction et du fait qu’elle couvrait l’ensemble du territoire de l’EEE, il s’agissait d’une infraction très grave au sens des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices ») (considérants 319 à 331 de la décision attaquée). Ensuite, la Commission a appliqué un traitement différencié aux entreprises participant à l’infraction, plaçant le groupe Total, eu égard au chiffre d’affaires d’Arkema réalisé dans l’EEE pour les trois produits en PMMA, dans la première catégorie. Sur cette base, elle a retenu, à son égard, un montant de départ de 65 millions d’euros (considérants 332 à 336 de la décision attaquée). Enfin, compte tenu du chiffre d’affaires mondial de Total, la Commission a appliqué un facteur multiplicateur de 3 à l’amende imposée au groupe Total pour garantir un effet dissuasif de l’amende. Ainsi, le montant de départ de l’amende s’élève à 195 millions d’euros (considérants 337 à 350 de la décision attaquée).
15 En deuxième lieu, la Commission a examiné la durée de l’infraction et a estimé que, étant donné qu’Arkema avait participé à l’infraction pendant cinq ans et sept mois, le montant de départ devait être majoré de 55 %. Cette majoration a été appliquée à Elf Aquitaine, à Arkema, à Altuglas et à Altumax. En ce qui concerne Total, propriétaire du capital de ses filiales pendant une plus courte durée, la Commission a majoré l’amende de 20 % (considérants 351 à 353 de la décision attaquée). Ainsi, le montant de base de l’amende calculée pour Arkema (y compris Elf Aquitaine) s’élève à 302,25 millions d’euros. Total est tenue solidairement pour responsable au paiement de 234 millions d’euros sur ce montant (considérant 354 de la décision attaquée).
16 En troisième lieu, la Commission a examiné la présence éventuelle de circonstances aggravantes. En ce qui concerne Arkema, la Commission a constaté, compte tenu de l’existence de trois décisions antérieures dont elle était destinataire, qu’elle avait récidivé en commettant une infraction de même type et a décidé de majorer le montant de base de l’amende pour Arkema de 50 %. La Commission a précisé, cependant, que Total et Elf Aquitaine n’étaient pas des récidivistes et donc que cette majoration s’appliquait seulement à Arkema, à Altuglas et à Altumax (considérant 369 de la décision attaquée et note en bas de page s’y rapportant n° 250).
17 En quatrième lieu, la Commission a rejeté les circonstances atténuantes avancées par le groupe Total.
18 À ce stade, compte tenu de la prise en compte ou non des circonstances aggravantes et atténuantes, le montant de l’amende était de 365 218 750 euros pour Arkema, Altuglas et Altumax. Pour Total, le montant de l’amende restait fixé à 234 millions d’euros. Pour Elf Aquitaine, le montant de l’amende demeurait de 302,25 millions d’euros (considérant 397 de la décision attaquée). En application de l’article 23, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] du traité (JO 2003, L 1, p. 1), la Commission a considéré que l’amende n’excédait pas 10 % du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée (considérants 398 et 399 de la décision attaquée).
19 En cinquième et dernier lieu, la Commission a procédé à l’application de la communication sur la coopération et a décidé, en application du point 23, sous b), premier tiret, de celle-ci, de réduire de 40 % le montant de l’amende qui, à défaut, aurait été infligée au groupe Total (considérants 403 à 410 de la décision attaquée).
20 Ainsi, à l’article 2, sous b), de la décision attaquée, la Commission a fixé le montant final de l’amende comme suit :
« Arkema […], Altuglas […] et Altumax […], conjointement et solidairement responsables : 219,13125 millions d’euros, dont Total […] est tenue [pour] responsable conjointement et solidairement pour 140,4 millions d’euros et dont Elf Aquitaine […] est tenue [pour] responsable conjointement et solidairement pour 181,35 millions d’euros ».
Procédure et conclusions des parties
21 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 août 2006, les requérantes ont introduit le présent recours.
22 La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la quatrième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.
23 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, d’inviter la Commission à répondre à certaines questions et à produire certains documents. La Commission a déféré à ces demandes dans le délai imparti. Les requérantes ont été priées de répondre à une question lors de l’audience.
24 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 15 décembre 2009.
25 Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 23 décembre 2009, les requérantes ont demandé la réouverture de la procédure orale, conformément à l’article 62 du règlement de procédure du Tribunal. Par lettre du 26 janvier 2010, le greffe du Tribunal a informé les parties que la décision relative à cette demande était réservée.
26 Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– à titre principal, annuler l’article 1er, sous c) et d), l’article 2, sous b), et les articles 3 et 4 de la décision attaquée ;
– à titre subsidiaire, réformer l’article 2, sous b), de la décision attaquée, en ce qu’il condamne solidairement Arkema, Altuglas et Altumax à une amende de 219 131 250 euros, dont Total et Elf Aquitaine sont solidairement tenues pour responsables à hauteur, respectivement, de 140,4 millions d’euros et de 181,35 millions d’euros, et réduire le montant de l’amende en cause à un niveau approprié ;
– condamner la Commission aux dépens.
27 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner les requérantes aux dépens.
En droit
28 À l’appui de leur demande d’annulation, les requérantes soulèvent neuf moyens. Le premier moyen est tiré d’une violation des droits de la défense. Le deuxième moyen est tiré d’une violation de l’obligation de motivation. Le troisième moyen est tiré d’une violation du caractère unitaire de la notion d’entreprise, au sens de l’article 81 CE, et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003. Le quatrième moyen est tiré d’une violation des règles gouvernant l’imputabilité aux sociétés mères des infractions commises par leurs filiales. Le cinquième moyen est tiré d’une violation de plusieurs principes essentiels reconnus par l’ensemble des États membres et faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union. Le sixième moyen est tiré d’une violation du principe de bonne administration. Le septième moyen est tiré d’une violation du principe de sécurité juridique. Le huitième moyen est tiré d’un détournement de pouvoir. Le neuvième moyen est tiré d’une violation de certains principes fondamentaux gouvernant la fixation des amendes.
29 À titre subsidiaire, par le dixième moyen, les requérantes demandent la réduction du montant de l’amende infligée en vertu de l’article 2, sous b), de la décision attaquée à Arkema, à Altuglas et à Altumax, dont elles sont tenues solidairement pour responsables.
30 Le Tribunal estime opportun d’examiner tout d’abord l’argumentation soulevée dans le cadre du quatrième moyen.
A – Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation des règles gouvernant l’imputabilité aux sociétés mères des infractions commises par leurs filiales
31 Le quatrième moyen s’articule en trois branches. Il convient d’examiner tout d’abord la deuxième branche dudit moyen.
1. Sur la deuxième branche, tirée d’une erreur de droit quant à l’interprétation de la jurisprudence relative à l’imputabilité et quant au respect par la Commission de sa pratique décisionnelle
32 En premier lieu, les requérantes contestent la validité de la présomption selon laquelle une société mère exerce une influence déterminante sur une filiale en cas de détention de la totalité ou de la quasi-totalité du capital de celle-ci (ci-après la « présomption d’exercice d’une influence déterminante ») dans la mesure où elle est fondée sur le seul critère de la participation de la première au capital de la seconde. En second lieu, elles soutiennent que, en tout état de cause, la présomption d’exercice d’une influence déterminante est réfragable et a, en l’espèce, été renversée par les requérantes au moyen d’un faisceau d’indices établissant l’autonomie d’Arkema sur le marché.
a) Sur la validité de la présomption d’exercice d’une influence déterminante en ce qu’elle serait fondée sur le seul critère de la participation de la société mère au capital de sa filiale
Arguments des parties
33 Les requérantes font valoir que la responsabilité de l’infraction litigieuse leur a été imputée sur le seul fondement de la détention - directe ou indirecte – de plus de 96 % du capital d’Arkema. Selon les requérantes, en estimant qu’aucun ensemble de preuves n’avait besoin d’être réuni par elle pour établir leur responsabilité (voir considérant 274 de la décision attaquée), la Commission a procédé à une interprétation erronée de la jurisprudence et a heurté sa propre pratique décisionnelle.
34 À cet égard, les requérantes soulignent que la structure de détention du capital – 100 % ou presque – d’une filiale constitue, à elle seule, un critère insuffisant pour déterminer si cette filiale est économiquement autonome par rapport à ses sociétés mères et ne suffit donc pas à présumer l’exercice d’une influence déterminante de ces dernières sur leur filiale. En effet, le contrôle inhérent à la détention du capital d’une filiale, même de son intégralité, n’emporterait pas nécessairement immixtion dans la stratégie commerciale de celle-ci. L’approche de la Commission reposerait sur une confusion entre ces deux notions.
35 Les requérantes avancent qu’il ressort de la jurisprudence que des éléments complémentaires – tels que la participation de la société mère à l’infraction, le fait qu’elle a été l’unique interlocuteur de la Commission lors de la procédure administrative ou qu’elle n’a pas contesté son immixtion dans la politique commerciale de sa filiale – sont toujours requis pour conforter la présomption d’exercice d’une influence déterminante. À leur avis, ladite présomption n’est qu’une simple facilité de preuve, qui doit être abandonnée dès qu’un indice permet de faire douter de la réalité de ladite influence. Tel aurait été le cas en l’espèce, les requérantes ayant contesté de manière circonstanciée leur mise en cause, et la Commission aurait donc dû, de l’avis des requérantes, rapporter une preuve supplémentaire concrète pour valider l’application au cas d’espèce de la présomption.
36 En outre, les requérantes relèvent que, jusqu’à la décision C (2004) 4876 de la Commission, du 19 janvier 2005, relative à une procédure de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire C.37.773 - AMCA) ci-après la « décision AMCA »), la pratique décisionnelle de la Commission avait toujours respecté cette exigence et, lorsque la Commission ne possédait, en revanche, aucun élément démontrant que la société mère avait influencé la politique commerciale de la filiale, elle s’était toujours gardée d’imputer l’infraction commise par cette dernière à la société mère.
37 Enfin, interrogées sur les conséquences qu’elles tirent pour la présente affaire de l’arrêt de la Cour du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission (C-97/08 P, Rec. p. I-8237), les requérantes ont affirmé, lors de l’audience, que cette jurisprudence ne s’appliquait pas au cas d’espèce. À leur avis, le cas d’espèce est spécifique, parce que la Commission a appliqué la présomption d’exercice d’une influence déterminante sur le seul fondement du lien capitalistique entre la société mère et sa filiale, sans disposer d’indices supplémentaires, et ce dans une situation où la société mère n’avait pas connaissance du comportement infractionnel de sa filiale, ce qui aurait été admis par la Commission. Ainsi, la présente affaire se distinguerait nettement de celle qui a donné lieu à l’arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, précité, dans laquelle la Commission avait avancé des indices supplémentaires, même si ce n’était qu’à titre superfétatoire.
38 La Commission conteste cette argumentation. À son avis, il ressort de la jurisprudence que la présomption d’exercice d’une influence déterminante par la société mère en cas de contrôle d’une filiale à plus de 96,6 ou à 100 % a vocation à produire ses effets même en l’absence d’éléments additionnels.
Appréciation du Tribunal
39 Tout d’abord, il convient de rappeler qu’il ressort des considérants 245 à 252 et 259 à 277 de la décision attaquée que la Commission a imputé l’infraction litigieuse aux requérantes au motif qu’elles constituaient une seule entreprise avec Arkema et ses filiales Altuglas et Altumax, qui avaient participé aux comportements collusoires. Pour parvenir à cette conclusion, la Commission s’est fondée sur la présomption, mentionnée dans la communication des griefs, selon laquelle Total et Elf Aquitaine exerçaient une influence déterminante sur le comportement de leurs filiales. S’agissant d’Elf Aquitaine, la présomption d’exercice d’une influence déterminante était fondée sur le fait que les membres du conseil d’administration d’Arkema étaient nommés par Elf Aquitaine et sur le fait que cette dernière possédait une participation de 97,6 puis de 96,48 %, dans le capital d’Arkema (considérant 265 de la décision attaquée). S’agissant de Total, la présomption était fondée sur le fait que, depuis le mois d’avril 2000, Total contrôlait directement ou indirectement le capital de toutes les sociétés du groupe, y compris les sociétés qui avaient joué un rôle direct dans l’entente en cause, en raison de sa participation à 99,43 % dans le capital d’Elf Aquitaine (considérants 266 et 267 de la décision attaquée). Il ressort de cette dernière que, dans leur réponse à la communication des griefs, les sociétés concernées ont avancé un certain nombre d’arguments visant à réfuter la présomption d’exercice d’une influence déterminante, mais que la Commission les a jugés insuffisants (voir notamment les considérants 272 et 274 de la décision attaquée).
40 Ensuite, il convient de rappeler la jurisprudence de la Cour dans ce domaine.
41 À cet égard, il convient de relever que le droit de la concurrence de l’Union vise les activités des entreprises et que la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 37 supra, point 54, et la jurisprudence citée).
42 La Cour a également précisé que la notion d’entreprise, placée dans ce contexte, devait être comprise comme désignant une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 37 supra, point 55, et la jurisprudence citée).
43 Lorsqu’une telle entité économique enfreint les règles de la concurrence, il lui incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 37 supra, point 56, et la jurisprudence citée).
44 L’infraction au droit de la concurrence de l’Union doit être imputée sans équivoque à une personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes et la communication des griefs doit être adressée à cette dernière. Il importe également que la communication des griefs indique en quelle qualité une personne juridique se voit reprocher les faits allégués (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 37 supra, point 57, et la jurisprudence citée).
45 Il résulte d’une jurisprudence constante que le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 37 supra, point 58, et la jurisprudence citée).
46 En effet, il en est ainsi parce que, dans une telle situation, la société mère et sa filiale font partie d’une même unité économique et, partant, forment une seule entreprise au sens susmentionné. Ainsi, le fait qu’une société mère et sa filiale constituent une seule entreprise au sens de l’article 81 CE permet à la Commission d’adresser une décision imposant des amendes à la société mère, sans qu’il soit requis d’établir l’implication personnelle de cette dernière dans l’infraction (arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 37 supra, point 59).
47 La Cour a également jugé que, dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de la concurrence de l’Union, d’une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale et, d’autre part, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 37 supra, point 60, et la jurisprudence citée).
48 La Cour a donc précisé que, dans ces conditions, il suffisait que la Commission prouve que la totalité du capital d’une filiale est détenue par sa société mère pour présumer que cette dernière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale. La Commission sera en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme solidairement responsable du paiement de l’amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n’apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 37 supra, point 61, et la jurisprudence citée).
49 Au vu de cette jurisprudence de la Cour, il convient de constater que la méthode suivie par la Commission en l’espèce pour imputer l’infraction litigieuse aux requérantes, visée au point 39 ci-dessus, est exacte.
50 D’une part, contrairement à ce que les requérantes semblent suggérer, cette imputation n’a pas été fondée sur la seule structure de détention du capital, mais également sur le constat que la présomption d’exercice d’une influence déterminante n’avait pas été réfutée (voir notamment les considérants 272 et 274 de la décision attaquée).
51 D’autre part, il ressort clairement de cette jurisprudence (voir notamment points 47 et 48 ci-dessus) que la structure de détention du capital d’une filiale constitue un critère suffisant pour poser ladite présomption, sans que la Commission soit tenue d’avancer d’indices supplémentaires relatifs à l’exercice effectif d’une influence de la société mère, comme les requérantes l’exigent.
52 Cette conclusion n’est pas remise en cause par le fait que de tels indices supplémentaires aient pu être relevés dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du Tribunal du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission (T-112/05, Rec. p. II-5049, points 13 et 54). Il ressort en effet sans aucune ambiguïté tant de l’arrêt du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, précité (points 61 et 62), que de l’arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, point 37 supra (points 61 et 62), que la mise en œuvre de la présomption d’exercice d’une influence déterminante n’est pas subordonnée à l’existence de tels indices supplémentaires. De même, il n’est pas exigé que la Commission établisse à cette fin que la société mère avait connaissance, au moment des faits, du comportement infractionnel de sa filiale.
53 Il y a lieu de relever encore que la jurisprudence susvisée concerne spécifiquement le « cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale » (arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, point 37 supra, point 60). Or, en l’espèce, les requérantes ne détiennent pas la totalité du capital de leurs filiales respectives.
54 Toutefois, il convient de souligner que les requérantes ne font valoir aucun argument tiré du fait que leurs participations n’atteignaient pas les 100 %. Au contraire, leur argumentation concernant la possibilité pour la Commission de recourir à une présomption d’exercice d’une influence déterminante vise indistinctement la situation de détention de « 100 % ou presque » du capital de celle-ci, confirmant ainsi qu’elles ne s’opposent pas à l’application du même régime probatoire dans les deux situations.
55 Par ailleurs, la problématique de l’application de la présomption d’exercice d’une influence déterminante aux cas autres que la détention de la totalité du capital de la filiale a fait l’objet d’une question écrite du Tribunal à la Commission et, ultérieurement, d’un débat lors de l’audience et les requérantes n’ont pas présenté d’observations spécifiques sur cette question.
56 En tout état de cause, il convient de constater que la société mère qui détient la quasi-totalité du capital de sa filiale se trouve, en principe, dans une situation analogue à celle d’un propriétaire exclusif, en ce qui concerne son pouvoir d’exercer une influence déterminante sur le comportement de sa filiale, eu égard aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui l’unissent avec ladite filiale. Par conséquent, la Commission est en droit d’appliquer à cette situation le même régime probatoire, à savoir recourir à la présomption que ladite société mère fait usage effectif de son pouvoir d’exercer une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. Certes, il n’est pas exclu que, dans certains cas, les associés minoritaires puissent disposer, à l’égard de la filiale, de droits permettant de remettre en cause l’analogie susvisée. Cependant, outre le fait que de tels droits ne se rattachent généralement pas à des parts tout à fait minimes, telles que celles en cause en l’espèce, aucun élément de cette nature n’a été rapporté par les requérantes en l’espèce. C’est donc à bon droit que la Commission a appliqué la présomption d’exercice d’une influence déterminante à l’égard des requérantes.
57 Enfin, à supposer même que, comme les requérantes le soutiennent, dans sa pratique décisionnelle antérieure en matière d’imputation de la responsabilité d’une infraction, la Commission ait toujours fait valoir des indices supplémentaires relatifs à l’exercice effectif d’une influence de la société mère, ce seul fait ne serait pas de nature à remettre en cause la validité de la méthode d’imputation décrite ci-dessus, telle qu’elle a été confirmée par la Cour.
58 Partant, le présent grief doit être rejeté.
b) Sur le faisceau d’indices apporté par les requérantes pour établir l’autonomie d’Arkema sur le marché
Arguments des parties
59 Les requérantes font valoir qu’elles ont rapporté, dans leur réponse à la communication des griefs, un faisceau d’indices qui atteste de manière certaine l’autonomie d’Arkema sur le marché à l’époque des faits litigieux et leur permet de réfuter la présomption d’exercice d’une influence déterminante retenue par la Commission.
60 En premier lieu, les requérantes soutiennent que l’autonomie économique d’Arkema était le reflet de l’organisation décentralisée qui caractérisait les groupes Total et Elf Aquitaine à l’époque des faits litigieux. Elles expliquent qu’Elf Aquitaine a opéré en tant que holding non opérationnelle, qui n’intervenait pas dans la gestion opérationnelle de ses filiales. Son intervention aurait été réservée aux décisions les plus importantes, qui pouvaient avoir un impact à l’échelle du groupe tout entier. Sur ce point, les requérantes précisent dans la réplique qu’elles déterminent une politique très générale, relative à la compatibilité des activités des différentes branches entre elles, aux changements d’activités et à l’implantation géographique des activités dans le monde, dans le but d’assurer une croissance régulière dans l’intérêt de leurs propres actionnaires. Elf Aquitaine aurait donc été essentiellement une « direction financière » hissée au sommet du groupe. Cette situation n’aurait pas changé après la prise de contrôle d’Elf Aquitaine par Total, en avril 2000.
61 En deuxième lieu, elles relèvent que, à l’époque des faits litigieux, Total et Elf Aquitaine ne sont jamais intervenues dans la définition de la stratégie commerciale de l’un des produits de la branche chimie. Au contraire, selon les requérantes, Arkema se comportait comme une entreprise autonome, n’ayant pas besoin de s’appuyer sur ses sociétés mères pour définir, ou même avaliser, sa stratégie sur ses différents marchés, et notamment sur ceux des méthacrylates. Cette situation s’expliquerait par les raisons suivantes : la culture de décentralisation évoquée ci-dessus, la dimension des groupes Elf Aquitaine et Total, le particularisme de l’activité chimique au sein d’une compagnie pétrolière, la taille d’Arkema (l’un des grands producteurs européens de produits chimiques) et le nombre considérable de produits vendus par Arkema sur différents marchés.
62 En troisième lieu, les requérantes font valoir qu’elles n’ont jamais défini la politique commerciale d’Arkema et ne sont jamais intervenues dans la gestion de l’activité relative aux méthacrylates auprès de leur filiale. Les requérantes avancent, en particulier, premièrement, qu’elles n’intervenaient ni dans la phase de fabrication ni dans la phase de commercialisation des produits chimiques d’Arkema ; deuxièmement, qu’Arkema a toujours librement défini la gamme des produits et/ou des services qu’elle commercialise sur le marché et qu’elles n’ont jamais adressé aucune instruction ni directive à leur filiale concernant sa production, les prix pratiqués et les débouchés de sa production ; et, troisièmement, qu’Arkema a pleinement bénéficié de la liberté de définir ses objectifs de vente et ses marges brutes.
63 Les requérantes font valoir que l’autonomie d’Arkema est confortée par le fait qu’elles n’ont jamais eu de clients communs avec leur filiale à l’époque des faits litigieux. Elles soulignent également qu’elles ont été absentes des marchés investis par leur filiale et des marchés connexes. En particulier, elles auraient été absentes des marchés du PMMA, ainsi que des marchés en amont et des marchés en aval, et n’auraient jamais été des clientes ou fournisseurs d’Arkema.
64 Les requérantes relèvent également qu’Arkema intervenait sur le marché en son nom et pour son propre compte, et non en tant que leur représentant. En particulier, à aucun moment, Arkema n’aurait pris part à l’entente en cause en leur nom ou pour leur compte.
65 En outre, les requérantes insistent sur le fait que l’activité relative aux marchés du PMMA ne constituait qu’une très faible part de leur chiffre d’affaires global et les produits à base de PMMA ne représentaient que quelques-uns des très nombreux produits (environ 5 000) de l’activité chimie d’Arkema.
66 En quatrième lieu, les requérantes indiquent qu’Arkema n’a jamais mis en œuvre de politique d’information systématique ou régulière à leur endroit, quant à son action ou à celle de ses concurrents sur le marché. Elle ne leur aurait non plus jamais fourni de renseignements sur sa clientèle. Elles relèvent que la seule reddition des comptes d’Arkema à ses sociétés mères restait strictement dans les limites des obligations légales de la holding en matière comptable et de régulation financière. Il serait demeuré par conséquent à un niveau très général et, surtout, n’aurait pas concerné la politique commerciale de chaque produit.
67 En particulier, elles n’auraient jamais eu connaissance de l’organisation et de la politique commerciale de l’activité relative aux méthacrylates et n’auraient, de ce fait, pu prévoir l’infraction ou contribuer à sa réalisation. Les requérantes auraient notamment démontré qu’elles n’avaient appris l’existence de l’entente en cause que très tardivement et postérieurement aux faits litigieux, à savoir le 27 mars 2003, au lendemain des vérifications menées par la Commission dans les locaux d’Arkema.
68 Les requérantes rappellent, par ailleurs, que l’activité relative aux méthacrylates était gérée par deux filiales d’Arkema et non par Arkema elle-même. Elles relèvent que ces strates additionnelles de la hiérarchie interne de leur groupe commun constituaient des obstacles supplémentaires à la mise en œuvre d’une information spécifique sur l’activité des méthacrylates au plus haut niveau dudit groupe.
69 En cinquième lieu, les requérantes avancent qu’Arkema jouissait du plein pouvoir de contracter sans l’autorisation préalable de ses sociétés mères, ce qui lui donnait la possibilité de gérer de manière pleinement autonome sa politique commerciale. En outre, les requérantes font valoir qu’Arkema disposait d’une pleine autonomie financière à l’époque des faits litigieux. Elles indiquent qu’elles se comportaient à son égard comme deux actionnaires et que le contrôle financier qu’elles exerçaient sur elle était très général. Il aurait concerné seulement des opérations ayant un impact sur son haut de bilan, à savoir les projets d’investissement industriel et d’acquisition majeurs ou des engagements très importants. En l’absence d’un tel impact, les opérations et les engagements d’Arkema n’auraient exigé aucune approbation préalable de ses sociétés mères. Elles précisent que l’activité relative aux méthacrylates n’a jamais été concernée par le type d’opérations ou d’engagements majeurs susvisés et que, par conséquent, le contrôle financier était totalement absent concernant cette activité.
70 En sixième lieu, les requérantes font valoir qu’Arkema est complètement autonome par rapport à ses sociétés mères dans la définition de sa stratégie juridique et, notamment, de sa défense dans la présente affaire. Elles indiquent que la décision d’Arkema de collaborer à l’enquête a été prise de manière totalement autonome, sans que celle-ci en réfère préalablement à aucune des requérantes, et qu’elles n’ont eu connaissance de cette coopération que le 3 avril 2003. De même, Arkema aurait développé sa réponse à la communication des griefs et participé à l’audition orale de manière complètement autonome.
71 En septième lieu, les requérantes relèvent que la perception des tiers conforte encore l’autonomie d’Arkema sur le marché. En effet, Arkema aurait été perçue par ses clients et ses fournisseurs comme un opérateur économique totalement autonome sur le marché, entièrement distinct de ses sociétés mères.
72 À cet égard, les requérantes précisent qu’il n’existe aucune marque commune entre Arkema, d’une part, et elles-mêmes, d’autre part, et que, par conséquent, ces sociétés ne se confondent pas dans l’esprit des consommateurs. En outre, les requérantes auraient été totalement absentes des transactions concernant les méthacrylates et, par conséquent, les fournisseurs et les clients d’Arkema n’auraient jamais été en contact avec elles. Par ailleurs, cette situation contrasterait avec celle observable au sein d’Arkema.
73 En huitième lieu, les requérantes indiquent que, le 18 mai 2006, date d’introduction en bourse d’Arkema par voie de scission, Arkema s’est séparée de ses anciennes sociétés mères et constitue désormais un groupe pleinement autonome sur le plan juridique et capitalistique par rapport à elles. Les requérantes considèrent que cette scission n’est que la conséquence logique de l’autonomie économique dont Arkema a toujours joui dans la conduite de ses activités.
74 Enfin, les requérantes considèrent que la constatation de la Commission selon laquelle les éléments susvisés constituent de simples affirmations, non étayées par des preuves suffisantes (voir, notamment, considérant 272 de la décision attaquée) est insuffisante pour dénier une valeur probante au faisceau d’indices qu’elles ont apporté. Elles soulignent, à cet égard, que les éléments exigés par la Commission pour faire tomber la présomption d’exercice d’une influence déterminante sont des éléments se rapportant à une preuve négative, dans la mesure où ils doivent établir une inaction, à savoir, en l’espèce, la non-immixtion des sociétés mères dans l’activité et la gestion opérationnelle de leurs filiales. Selon les requérantes, si la Commission devait exiger des requérantes qu’elles rapportent des preuves exclusivement documentaires de cette inaction, cette exigence relèverait de la preuve impossible, incompatible avec le droit de l’Union.
75 Selon les requérantes, la requête contient les preuves réfutant la présomption d’exercice d’une influence déterminante à travers les explications détaillées justifiant cette inaction. Elles considèrent donc que, pour rejeter ces justifications crédibles, il appartenait à la Commission d’avancer des éléments concrets, positifs cette fois, jetant un doute sur leur crédibilité, comme l’existence de rapports, de notes, d’instructions, de témoignages attestant d’une intervention quelconque sur les politiques ou stratégies susvisées. Or, la Commission n’aurait été capable d’avancer aucun élément de cette nature.
76 La Commission conteste cette argumentation. Elle fait valoir notamment que les arguments présentés par les requérantes dans la réponse à la communication des griefs se limitaient à des considérations d’ordre purement général, sans qu’ait été produit le moindre élément concret de preuve de l’autonomie des filiales en cause et, notamment, d’Arkema durant la période infractionnelle concernée.
Appréciation du Tribunal
77 À titre liminaire, il convient de constater que, contrairement à ce que les requérantes font valoir (voir point 74 ci-dessus), la constatation de la Commission figurant au considérant 272 de la décision attaquée, selon laquelle les éléments avancés par les requérants constituaient de simples affirmations, non étayées par des preuves suffisantes, permet à bon droit de considérer que la présomption d’exercice d’une influence déterminante n’a pas été renversée.
78 En effet, ainsi qu’il ressort de l’arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, point 37 supra (point 61), pour renverser ladite présomption, il incombe à la société mère d’apporter des « éléments de preuve suffisants » de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché. Par ailleurs, s’il suffisait à la partie intéressée de contester la présomption d’exercice d’une influence déterminante en avançant de simples affirmations non étayées, celle-ci serait privée de toute son utilité.
79 En outre, contrairement à ce que les requérantes suggèrent (voir point 74 ci-dessus), il n’était pas exigé d’elles de fournir exclusivement des preuves documentaires établissant directement une inaction. En effet, il ressort de la jurisprudence que, afin de déterminer si une filiale détermine de façon autonome son comportement sur le marché, il convient de prendre en considération l’ensemble des éléments pertinents relatifs aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent cette filiale à la société mère, lesquels peuvent varier selon les cas et ne sauraient donc faire l’objet d’une énumération exhaustive (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, point 37 supra, points 73 et 74). Par conséquent, il appartenait aux requérantes d’apporter tout élément relatif aux liens économiques, organisationnels et juridiques unissant cette filiale à elles-mêmes et qu’elles considéraient comme étant de nature à démontrer qu’elles ne constituaient pas, avec ladite filiale, une entité économique unique. À supposer que les requérantes n’aient pas été en mesure de produire de tels éléments de preuve en l’espèce, cela ne signifie pas, pour autant, que ladite présomption ne puisse en aucun cas être renversée.
80 Or, force est de relever d’emblée que, au vu de la réponse des requérantes à la communication des griefs, la constatation figurant au considérant 272 de la décision attaquée apparaît exacte.
81 En effet, dans la réponse à la communication des griefs, les requérantes ont apporté très peu d’éléments concrets à l’appui de leurs affirmations quant à l’autonomie d’Arkema. En annexe à cette réponse, elles ont produit deux communiqués, en date des 9 janvier et 2 mai 2005, tirés respectivement des sites Internet d’Arkema et de Total, copie d’une page tirée du rapport annuel 2004 de Total et copie de trois brochures émanant d’Arkema (sous ses dénominations antérieures), intitulées « Marchés et métiers », respectivement pour les années 1995, 2000 et 2003. Or, indépendamment de la question de savoir quelle valeur probante il convient d’attribuer à ces documents, force est de constater qu’ils contiennent seulement quelques informations fragmentaires quant aux rapports entre les requérantes et leur filiale. Ainsi, ces documents pourraient attester, tout au plus, de ce qu’Arkema constituait une unité décentralisée – « branche chimique » - au sein du groupe, qu’elle devait devenir une entité indépendante en 2006 et qu’elle fabriquait un nombre important de produits dans différents domaines. Par ailleurs, à l’exception de la brochure « Marchés et métiers » relative à l’année 2000, tous ces documents concernent des années non comprises dans la période infractionnelle. Or, cette seule brochure n’enseigne rien sur les rapports entre Arkema et ses sociétés mères, si ce n’est le fait qu’elle (c’est-à-dire, plus spécialement, Atofina) y est présentée comme regroupant les « activités chimiques de Totalfina Elf ». Par conséquent, comme il sera exposé plus en détail ci-après, ces éléments sont insuffisants pour étayer les affirmations des requérantes figurant dans la réponse à la communication des griefs et pour renverser la présomption posée par la Commission.
82 C’est dans le cadre de ces observations générales qu’il y a lieu d’examiner les arguments particuliers avancés par les requérantes.
83 En premier lieu, les requérantes soutiennent qu’Elf Aquitaine a opéré en tant que holding non opérationnelle et était essentiellement une « direction financière » hissée au sommet du groupe, lequel était caractérisé par une gestion décentralisée de ses filiales. Cette situation n’aurait pas changé après la prise de contrôle d’Elf Aquitaine par Total, en avril 2000.
84 À cet égard, il convient de constater, d’une part, que les affirmations selon lesquelles Elf Aquitaine ne serait qu’une holding non opérationnelle et serait, en réalité, comparable à une simple « direction financière » ne sont étayées par aucun élément de preuve.
85 D’autre part, même à supposer qu’Elf Aquitaine ne soit qu’une holding non opérationnelle et une « direction financière », cela ne saurait suffire pour exclure qu’elle ait exercé une influence déterminante sur sa filiale Arkema en coordonnant notamment les investissements financiers au sein du groupe. En effet, il a déjà été jugé que, dans le contexte d’un groupe de sociétés, une holding est une société ayant vocation à regrouper des participations dans diverses sociétés et dont la fonction est d’en assurer l’unité de direction (arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, T-69/04, Rec. p. II-2567, point 63). En l’espèce, les requérantes affirment elles-mêmes qu’Elf Aquitaine intervenait dans les décisions les plus importantes qui pouvaient avoir un impact à l’échelle du groupe tout entier et qu’elle déterminait une politique très générale relative à la compatibilité des activités des différentes branches entre elles, aux changements d’activités et à l’implantation géographique des activités dans le monde. Loin d’infirmer la thèse de l’existence d’une entité économique composée par les requérantes et leurs filiales, ces affirmations confirment plutôt que la fonction d’Elf Aquitaine était d’assurer une unité de direction et une coordination, de nature à influer sur le comportement d’Arkema sur le marché.
86 En deuxième lieu, les requérantes relèvent que, à l’époque des faits litigieux, elles ne sont jamais intervenues dans la définition de la stratégie commerciale de l’un des produits de la branche chimie.
87 À cet égard, il convient de constater qu’il s’agit là d’une affirmation générale, qui n’est pas étayée par des éléments de preuve suffisants. En particulier, la réponse à la communication des griefs des requérantes ne renvoie sur ce point à aucune annexe. Quant à la dimension du groupe, le prétendu particularisme de l’activité chimique au sein d’une compagnie pétrolière, la taille d’Arkema et le nombre considérable de produits vendus par elle sur des marchés différents, il convient de relever que ces éléments ne sont pas de nature à établir, par eux-mêmes, que les requérantes ne sont jamais intervenues dans la définition de la stratégie commerciale de l’un des produits de la branche chimie.
88 Par ailleurs, comme il a été relevé ci-dessus, les requérantes affirment elles-mêmes qu’Elf Aquitaine intervenait dans les décisions les plus importantes, qui pouvaient avoir un impact à l’échelle du groupe tout entier, et qu’elle déterminait une politique très générale relative à la compatibilité des activités des différentes branches entre elles, aux changements d’activités et à l’implantation géographique des activités dans le monde. Ces éléments constituent, dès lors, des indices de ce que, dans la définition de sa stratégie commerciale globale, Arkema devait, à tout le moins, tenir compte des intérêts de cette société mère.
89 En troisième lieu, les requérantes font valoir qu’elles n’ont jamais défini la politique commerciale d’Arkema et ne sont jamais intervenues dans la gestion de l’activité relative aux méthacrylates auprès de leur filiale.
90 Force est de constater, d’une part, que cette affirmation n’est pas étayée par des éléments de preuve suffisants, les requérantes ayant apporté très peu d’éléments concrets quant aux rapports existant entre elles et leurs filiales au moment de l’infraction (voir point 81 ci-dessus).
91 D’autre part, et en tout état de cause, il convient de constater que, dans un groupe tel qu’Elf Aquitaine, puis Total, la division des tâches constitue un phénomène normal qui ne suffit pas à renverser la présomption selon laquelle les requérantes et Arkema constituaient une seule entreprise, au sens de l’article 81 CE. Il en est de même en ce qui concerne l’argument tiré de ce qu’Arkema intervenait sur le marché en son nom et pour son propre compte, et non en représentation de ses sociétés mères Total et Elf Aquitaine.
92 Aucune conclusion ne saurait davantage être tirée du fait que les requérantes n’aient jamais eu de clients communs avec leur filiale et qu’elles aient été absentes des marchés investis par leur filiale et des marchés connexes. Par ailleurs, lesdits éléments ne constituent que de simples affirmations non étayées par des éléments de preuve.
93 Quant aux affirmations selon lesquelles l’activité relative aux produits en PMMA ne constituait qu’une très faible part du chiffre d’affaires global de chacune des requérantes et que les produits à base de PMMA ne représentaient que quelques-uns des très nombreux produits (environ cinq mille) de l’activité chimie d’Arkema, elles ne sont pas de nature à démontrer que les requérantes aient laissé à leur filiale commune Arkema une autonomie totale pour définir son comportement sur le marché. Par ailleurs, il convient de souligner que l’autonomie d’une filiale par rapport à sa société mère ne doit pas être appréciée exclusivement au regard de son activité dans le domaine des produits cartellisés (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, point 52 supra, points 64 et 65). Par conséquent, même à supposer qu’un tel argument soit pertinent, il conviendrait d’apprécier l’importance d’Arkema dans son ensemble pour ses sociétés mères (voir, en ce sens, arrêt Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, point 85 supra, point 66). Or, les requérantes n’ont pas présenté d’arguments en ce sens.
94 En quatrième lieu, les requérantes font observer qu’Arkema ne les informait pas de son action sur le marché et se limitait à leur fournir une information générale, résultant des obligations légales de la holding en matière comptable et de régulation financière. En outre, elles soutiennent n’avoir pris connaissance de l’existence de l’entente en cause que postérieurement aux faits litigieux, à savoir le 27 mars 2003, au lendemain des vérifications menées par la Commission dans les locaux d’Arkema.
95 Force est de constater que ces affirmations, comme les précédentes, ne sont ni précises ni étayées par des éléments de preuve quant aux rapports existant entre les sociétés mères et leurs filiales. Le seul fait que l’activité relative aux méthacrylates ait été gérée par les filiales d’Arkema et non par Arkema elle-même ne suffit pas à établir que les requérantes n’étaient pas informées de cette activité. Par ailleurs, il convient de rappeler que, lors de la procédure administrative, Arkema n’a pas contesté avoir exercé une influence déterminante sur les activités de ses propres filiales. De surcroît, il importe de rappeler que ce n’est pas une implication directe de la société mère dans l’infraction commise par sa filiale, mais le fait qu’elles constituent une seule entreprise, qui habilite la Commission à imputer à ladite société mère l’infraction en question. La conclusion retenue par la Commission ne saurait, dès lors, être remise en cause par le fait que les requérantes n’ont pris connaissance de l’existence de l’entente en cause que postérieurement aux faits litigieux. De surcroît, comme il a été relevé au point 93 ci-dessus, l’autonomie d’une filiale par rapport à sa société mère ne doit pas être appréciée exclusivement au regard de son activité dans le domaine des produits cartellisés.
96 En cinquième lieu, les requérantes font valoir qu’Arkema disposait du pouvoir de contracter sans autorisation préalable et disposait d’une autonomie financière, dans la mesure où le contrôle financier exercé par les sociétés mères aurait concerné seulement des opérations ayant un impact sur son haut de bilan, à savoir les projets d’investissement industriel et d’acquisition majeurs ou des engagements très importants. Les requérantes soulignent, par ailleurs, que l’activité relative aux méthacrylates n’a jamais été concernée par le type d’opérations susmentionnées ou par des engagements majeurs.
97 À cet égard, il convient de constater que ces arguments constituent, comme les précédents, de simples affirmations, qui ne sont pas étayées par des éléments de preuve. De surcroît, si, ainsi que le soutiennent les requérantes, celles-ci contrôlaient les projets d’investissement industriel et d’acquisition majeurs ainsi que les engagements les plus importants de leur filiale, cette circonstance ne fait que renforcer la conclusion de la Commission selon laquelle cette filiale n’était pas autonome par rapport à ses sociétés mères.
98 En sixième lieu, il en est de même s’agissant du fait que, selon les requérantes, Arkema a toujours défini sa stratégie juridique de façon autonome dans l’affaire en cause, et cela dès le stade de l’enquête, à laquelle elle aurait décidé de collaborer sans en référer préalablement à ses sociétés mères. À cet égard, il y a lieu d’ajouter que le fait, pour une entreprise, de ne pas se présenter comme un seul interlocuteur, tant au cours de la procédure administrative qu’au stade contentieux, ne permet pas de conclure que la filiale concernée est autonome par rapport à sa ou ses sociétés mères.
99 En septième lieu, l’argument, selon lequel l’autonomie d’Arkema serait confortée par la perception que peuvent avoir d’elle les tiers, dans la mesure notamment où il n’existait pas de marque commune entre les sociétés concernées et où ces sociétés ne se confondaient pas dans l’esprit des fournisseurs, des clients et des consommateurs, n’est pas étayé par des éléments de preuve. De surcroît, les brochures « Marchés et métiers », annexées à la réponse à la communication des griefs, manifestement destinées aux tiers, désignent Arkema comme exerçant l’activité chimique ou comme constituant la branche chimique des groupes Total et Elf Aquitaine. Cela contredit l’argument des requérantes indiquant qu’Arkema était perçue par les tiers comme un opérateur entièrement distinct de ses sociétés mères. En tout état de cause, la perception par des tiers de l’image d’une société ne saurait suffire en elle-même à démontrer qu’une filiale est autonome à l’égard de sa ou de ses sociétés mères.
100 En huitième lieu, quant à l’argument soulevé dans la requête, selon lequel, le 18 mai 2006, date d’introduction en bourse d’Arkema par voie de scission, Arkema s’est séparée de ses anciennes sociétés mères et constitue désormais un groupe pleinement autonome sur le plan juridique et capitalistique par rapport à Total et à Elf Aquitaine, il suffit de constater que cet élément de fait ne peut être pris en compte pour apprécier l’autonomie d’Arkema pendant la période infractionnelle, étant postérieur à celle-ci.
101 Compte tenu de ce qui précède, il convient de conclure que les éléments apportés par les requérantes, même pris dans leur ensemble, ne sauraient suffire aux fins de renverser la présomption selon laquelle les requérantes exerçaient effectivement une influence déterminante sur le comportement de leur filiale.
102 Partant, la deuxième branche du présent moyen doit être rejetée dans sa totalité.
2. Sur la première branche, tirée d’une erreur de droit dans la détermination du critère de l’imputabilité
a) Arguments des parties
103 Les requérantes font valoir que, en affirmant, au considérant 271 de la décision attaquée, qu’elle « dispos[ait] d’une marge d’appréciation pour imputer la responsabilité à une société mère dans des circonstances telles que celles de l’espèce et le fait qu’elle n’ait pas usé de ce pouvoir dans une décision antérieure ne l’oblige[ait] pas à ne pas le faire en l’espèce », la Commission s’octroie un pouvoir discrétionnaire pour déterminer le critère pertinent de l’imputabilité et méconnaît ainsi l’encadrement par le juge de l’Union de son pouvoir d’imputer aux sociétés mères les infractions commises par leurs filiales. Les requérantes estiment, en effet, que la jurisprudence ne reconnaît pas de pouvoir discrétionnaire de la Commission à cet égard, qui ne peut imposer à son gré un critère d’imputabilité entièrement nouveau.
104 La Commission fait valoir que les requérantes font une interprétation erronée du considérant 271 de la décision attaquée et souligne qu’elle n’a aucunement excédé la marge d’appréciation dont elle dispose.
b) Appréciation du Tribunal
105 Le considérant 271 de la décision attaquée énonce ce qui suit :
« [L]e fait que, dans une précédente affaire, la Commission ait adressé sa décision à [Arkema] exclusivement ne l’empêche pas, comme tel, d’adresser sa décision en l’espèce aussi bien à [Arkema] qu’à Total/Elf Aquitaine. La Commission dispose d’une marge d’appréciation pour imputer la responsabilité à une société mère dans des circonstances telles que celles de l’espèce […] et le fait qu’elle n’ait pas usé de ce pouvoir dans une décision antérieure ne l’oblige pas à ne pas le faire en l’espèce. »
106 Force est de constater que la Commission n’y a pas prétendu disposer d’un « pouvoir discrétionnaire pour déterminer le critère pertinent de l’imputabilité » et donc du pouvoir d’imputer à une société la responsabilité des infractions commises par une autre société, en méconnaissance des règles posées par la jurisprudence. Par ailleurs, il ressort de ce qui précède que, pour imputer l’infraction litigieuse aux requérantes, la Commission a utilisé une méthode exacte, en conformité avec les règles posées par la jurisprudence et, notamment, avec la notion d’entreprise en droit de la concurrence.
107 L’affirmation de la Commission vise simplement à écarter l’argument des requérantes, figurant au considérant 268 de la décision attaquée, tiré de l’absence d’imputation, dans une décision antérieure adressée à Arkema, du comportement de cette dernière à sa société mère [décision C (2003) 4570 final de la Commission, du 10 décembre 2003, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E-2/37.857 – Peroxydes organiques] ci-après la « décision Peroxydes organiques »). Ainsi, la Commission prétend en substance que, lorsqu’elle est en mesure d’imputer la responsabilité d’une infraction à plusieurs sociétés d’un groupe, elle peut choisir de l’imputer à toutes ces sociétés ou seulement à celles qui ont directement participé à l’infraction.
108 Il s’ensuit que l’argumentation des requérantes est inopérante. En effet, même à supposer que, contrairement à ce qu’elle affirme, la Commission soit toujours tenue d’imputer le comportement infractionnel d’une filiale à sa société mère, lorsque ces deux sociétés forment une seule entreprise au sens du droit de la concurrence, le fait qu’elle ne l’ait pas fait dans le cadre de décisions antérieures n’aurait aucune conséquence sur la légalité de la décision attaquée. Il est rappelé, à cet égard, que la Commission a procédé à une telle imputation en l’espèce.
109 En tout état de cause, il ressort de la jurisprudence que la Commission n’est pas tenue de vérifier systématiquement si le comportement infractionnel d’une filiale peut être imputé à sa société mère (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T-259/02 à T-264/02 et T-271/02, Rec. p. II-5169, points 330 et 331, confirmé par l’arrêt de la Cour du 24 septembre 2009, Erste Group Bank e.a./Commission, C-125/07 P, C-133/07 P, C-135/07 P et C-137/07 P, Rec. p. I-8681, point 82). Par conséquent, même à supposer que les requérantes et Atofina (devenue Arkema) aient formé une seule entreprise également à l’époque des faits incriminés dans la décision Peroxydes organiques (voir également point 259 ci-après), le seul fait que la Commission n’ait pas envisagé la possibilité d’adresser cette décision et d’infliger une sanction aux requérantes ne s’opposait pas à ce qu’elle le fasse en l’espèce, en conformité avec les principes dégagés par la jurisprudence en matière d’imputabilité.
110 Partant, la présente branche du présent moyen doit être rejetée.
3. Sur la troisième branche, tirée d’une violation du principe d’autonomie économique de la personne morale
a) Arguments des parties
111 Les requérantes font valoir que, en procédant à l’imputation automatique, à savoir sans preuve et sans tenir compte du fait que cette imputation était contestée, aux requérantes de la responsabilité de l’entente en cause, à laquelle leur filiale avait pris part, la Commission a enfreint, dans la décision attaquée, le principe essentiel d’autonomie économique de la personne morale. Ce principe impliquerait, en effet, que le périmètre de l’entreprise, au sens de l’article 81 CE et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 recouvre, par principe, celui de la personne morale. Par conséquent, la possibilité d’imputer à une société mère la responsabilité des agissements anticoncurrentiels de sa filiale ne serait qu’une exception. Or, il ressortirait du considérant 248 de la décision attaquée que, par principe, le périmètre de l’entreprise responsable des pratiques anticoncurrentielles, commises par une filiale dont le capital est détenu à 100 % par sa société mère recouvre deux personnes morales, à savoir la filiale elle-même et sa société mère.
112 À cet égard, les requérantes relèvent que le droit des sociétés a, de longue date, consacré le principe d’autonomie juridique des personnes morales et que ce principe s’applique également aux filiales de groupes de sociétés, même contrôlées à 100 % par leur société mère. L’autonomie économique de principe de la filiale constituerait le prolongement logique et nécessaire du principe d’autonomie juridique. Même contrôlée à 100 %, une filiale disposerait en effet de tous les attributs juridiques que lui confère la personnalité morale, tels que son patrimoine propre et la pleine capacité de s’engager à l’égard des tiers et d’être responsable de ses actes, pour exercer en principe son activité économique de manière autonome par rapport à sa société mère.
113 Les requérantes avancent également que l’autonomie économique de principe de la filiale, même contrôlée à 100 % par la société mère, a été amplement consacrée en droit des sociétés et invoquent, à cet égard, les jurisprudences française et américaine, qui s’opposeraient au recours à une présomption automatique d’immixtion dans la politique commerciale de la filiale, non confortée par des indices concrets. De même, les autorités françaises de concurrence estimeraient que la filiale (même contrôlée à 100 % par la société mère) agit, par principe, de manière indépendante sur le marché et refuseraient donc de retenir une présomption de dépendance économique de la filiale à partir du seul critère de contrôle du capital. Selon les requérantes, même si la Commission n’est pas liée par cette position, elle doit toutefois en tenir compte, en raison des mécanismes de coopération renforcée avec les autorités nationales de concurrence, mis en place par le règlement n° 1/2003. Enfin, et surtout, les requérantes rappellent que, comme elles l’ont déjà relevé, l’autonomie économique de principe de la filiale a été également retenue par le juge de l’Union et par la Commission elle-même.
114 La Commission ne conteste pas qu’un principe d’autonomie économique de la personne morale puisse être consacré en droit des sociétés. Elle considère cependant que ce principe n’est pas incompatible avec la présomption formulée au considérant 248 de la décision attaquée.
b) Appréciation du Tribunal
115 Il convient de rappeler que la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement. Elle doit donc être comprise comme désignant une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (voir points 41 et 42 ci-dessus).
116 Il s’ensuit que le fait qu’une filiale dispose d’une personnalité juridique distincte ne suffit pas à écarter la possibilité qu’elle constitue une seule entreprise avec sa société mère.
117 Les requérantes font toutefois valoir que, en vertu d’un supposé principe d’autonomie économique de la personne morale, la situation dans laquelle la société mère et sa filiale, même contrôlée à 100 %, forment une même entreprise constitue une exception. Cela s’opposerait à la méthode automatique d’imputation, qui aurait été employée par la Commission en l’espèce.
118 À cet égard, il convient de rappeler que l’infraction litigieuse a été imputée aux requérantes au motif que la présomption d’exercice d’une influence déterminante sur leur filiale n’avait pas été réfutée, celles-ci n’ayant pas présenté d’éléments de preuve suffisants quant à l’autonomie de leur filiale. Par conséquent, c’est à tort que les requérantes qualifient la méthode employée en l’espèce d’ « automatique », car elle a permis de tenir pleinement compte de la situation propre des requérantes et notamment des liens qui les unissaient avec Arkema à l’époque des faits litigieux.
119 Cette méthode est donc compatible avec la notion d’entreprise en droit de la concurrence, dans la mesure où elle a permis de déterminer si les requérantes et Arkema formaient une même unité économique. Par ailleurs, ainsi qu’il ressort de ce qui précède, le fait que cette méthode repose sur une présomption et qu’il incombe à celui qui la conteste de rapporter la preuve contraire est conforme à la jurisprudence.
120 En outre, les requérantes n’établissent pas l’existence d’un principe général du droit qui s’opposerait à l’application d’une telle présomption en l’espèce. Même à supposer que les arguments avancés par les requérantes soient fondés, ils permettraient seulement de constater que en droit civil et en droit commercial français et américain, ainsi que selon la pratique décisionnelle de l’autorité de concurrence française, la responsabilité de la société mère du fait des actes de sa filiale ne peut être constatée sur la base d’une présomption fondée sur le seul lien capitalistique. Toutefois, il importe de souligner qu’il ne s’agit pas là des éléments au regard desquels la légalité des décisions de la Commission en matière de concurrence doit être examinée. Au demeurant, les requérantes admettent elles-mêmes dans leur requête que la pratique décisionnelle des autorités de la concurrence françaises ne saurait lier la Commission.
121 Enfin, il convient de souligner que la présomption en question constitue simplement une facilité de preuve à disposition de la Commission dans le cadre de ses investigations en matière de concurrence et ne préjuge en rien des rapports entre les sociétés mères et leurs filiales et notamment du degré d’autonomie juridique ou économique dont une filiale peut disposer, conformément à la législation applicable et aux choix des sociétés en cause.
122 Partant, la troisième branche du présent moyen ne peut qu’être écartée. Il s’ensuit que le quatrième moyen doit être rejeté dans sa totalité.
B – Sur le premier moyen, tiré d’une violation des droits de la défense
123 Le premier moyen s’articule en deux branches.
1. Sur la première branche, tirée de l’impossibilité pour les requérantes d’avoir pu se défendre utilement
a) Sur le grief concernant la violation du principe de l’égalité des armes, résultant de ce que la Commission n’aurait pas assumé le fardeau de la preuve qui lui incombait
Arguments des parties
124 Les requérantes font valoir que la Commission était tenue, contrairement à ce qui serait énoncé au considérant 273 de la décision attaquée, de réfuter avec précision les explications apportées par les requérantes dans leur réponse à la communication des griefs, en leur présentant un ensemble distinct de preuves pour établir leur responsabilité, autres que celles utilisées pour prouver la responsabilité d’Arkema. Faute d’avoir assumé ce fardeau de la preuve, la Commission aurait violé le principe de l’égalité des armes.
125 Les requérantes soulignent que les griefs que la Commission a retenus à leur égard reposent sur une simple présomption. Or, il ressortirait de la jurisprudence que, lorsque la Commission entend prouver une infraction aux règles de la concurrence par de simples suppositions ou présomptions, et donc en l’absence de toute preuve documentaire, il suffit, pour combattre sa thèse, que l’intéressé présente une alternative plausible en démontrant l’existence de circonstances qui donnent un éclairage différent aux faits établis par la Commission (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, JFE Engineering e.a./Commission, T-67/00, T-68/00, T-71/00 et T-78/00, Rec. p. II-2501, points 186 et 187). Selon les requérantes, le faisceau d’indices qu’elles ont apporté dans leur réponse à la communication des griefs a bien constitué une alternative plausible au sens de cette jurisprudence.
126 La Commission conteste ces arguments.
Appréciation du Tribunal
127 S’agissant du grief concernant la violation du principe de l’égalité des armes, il repose sur la prémisse qu’il incombait à la Commission de présenter un ensemble distinct de preuves pour établir la responsabilité des requérantes, dès lors que celles-ci avaient contesté la présomption d’exercice d’une influence déterminante sur leur filiale.
128 Or, il ressort clairement de la jurisprudence qu’il incombe à la société mère de renverser ladite présomption, en apportant des éléments de preuve suffisants, de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché (arrêts de la Cour du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, C-286/98 P, Rec. p. I-9925, point 29, et du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, point 37 supra, point 61). Ainsi, lorsque la Commission constate que la présomption n’a pas été renversée, elle est en droit d’imputer l’infraction à la société mère, sans devoir rapporter un « ensemble distinct de preuves » pour établir sa responsabilité, comme les requérantes le soutiennent.
129 En particulier, il y a lieu d’indiquer que la jurisprudence invoquée par les requérantes (voir point 125 ci-dessus), selon laquelle il est possible de contester la thèse de la Commission quant à l’existence d’une infraction, lorsque celle-ci s’appuie uniquement sur la conduite des entreprises en cause sur le marché, par la présentation d’une « alternative plausible », n’est clairement pas applicable en l’espèce.
130 Au demeurant, il convient de rappeler que le règlement n° 1/2003 prévoit l’envoi aux parties d’une communication des griefs qui doit énoncer, de manière claire, tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure. Une telle communication des griefs constitue la garantie procédurale appliquant le principe fondamental du droit de l’Union qui exige le respect des droits de la défense dans toute procédure (arrêt de la Cour du 3 septembre 2009, Papierfabrik August Koehler e.a./Commission, C-322/07 P, C-327/07 P et C-338/07 P, Rec. p. I-7191, point 35).
131 Ce principe exige notamment que la communication des griefs adressée par la Commission à une entreprise à l’encontre de laquelle elle envisage d’infliger une sanction pour violation des règles de concurrence contienne les éléments essentiels retenus à l’encontre de cette entreprise, tels que les faits reprochés, la qualification qui leur est donnée et les éléments de preuve sur lesquels la Commission se fonde, afin que cette entreprise soit en mesure de faire valoir utilement ses arguments dans le cadre de la procédure administrative engagée à son égard (voir arrêt Papierfabrik August Koehler/Commission, point 130 supra, point 36, et la jurisprudence citée).
132 En particulier, la communication des griefs doit préciser sans équivoque la personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes, être adressée à cette dernière et indiquer en quelle qualité cette personne se voit reprocher les faits allégués (voir, en ce sens, arrêt Papierfabrik August Koehler/Commission, point 130 supra, points 37 et 38).
133 Ainsi, dès lors que la société à l’encontre de laquelle la présomption d’exercice d’une influence déterminante est invoquée peut, dans sa réponse à la communication des griefs et lors de l’audition auprès du conseiller-auditeur, présenter tous les éléments de fait et de droit en vue de contester cette présomption et que la Commission doit tenir compte de ces éléments pour, le cas échéant, abandonner des griefs qui se seraient révélés mal fondés, le principe de l’égalité des armes est respecté.
134 En l’espèce, la communication des griefs a permis aux requérantes de prendre connaissance de ce que leur implication dans la présente affaire reposait sur la présomption d’exercice d’une influence déterminante sur le comportement de leur filiale, fondée sur le lien capitalistique qui les unissait. Dès lors, cette présomption présentant un caractère réfragable, elles ont pu assurer, au cours de la procédure administrative, leur défense sur ce point en tentant de la renverser. Par ailleurs, c’est précisément ce qu’elles ont fait, ainsi qu’il ressort de la décision attaquée et de la requête, sans toutefois emporter la conviction de la Commission.
135 Partant, le présent grief doit être rejeté.
b) Sur le grief concernant l’absence de prise en compte des éléments résultant de la procédure administrative
Arguments des parties
136 Les requérantes font valoir que la Commission n’a pas respecté son obligation d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents résultant de la procédure administrative. En effet, la décision attaquée ne ferait pas état des éléments du faisceau d’indices rapportés par les requérantes dans leur réponse à la communication des griefs et lors de l’audition orale pour réfuter la présomption d’influence déterminante. La Commission se serait bornée à affirmer péremptoirement que la présomption d’exercice d’une influence déterminante « n’a[vait] pas été réfutée dans la présente affaire » (considérant 274 de la décision attaquée), sans expliquer véritablement cette position. Or, selon les requérantes, la Commission était tenue d’avancer les éléments de fait et de droit qui l’ont amenée à écarter le faisceau d’indices rapporté par les requérantes et de leur permettre ainsi de cibler leur défense sur des éléments concrets.
137 La Commission conteste cette argumentation.
Appréciation du Tribunal
138 Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans les cas où les institutions de l’Union disposent d’un pouvoir d’appréciation afin d’être en mesure de remplir leurs fonctions, le respect des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives revêt une importance d’autant plus fondamentale. Parmi ces garanties figure notamment l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (arrêts de la Cour du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C-269/90, Rec. p. I-5469, point 14, et du Tribunal du 24 janvier 1992, La Cinq/Commission, T-44/90, Rec. p. II-1, point 86). Cette obligation procède du principe de bonne administration (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission, T-62/98, Rec. p. II-2707, point 269).
139 Force est de constater que les requérantes ne démontrent pas que ces principes aient été violés en l’espèce. En particulier, elles ne précisent pas quels éléments spécifiques pertinents n’auraient pas été examinés avec soin et impartialité par la Commission.
140 Pour autant que ce grief vise l’intégralité des éléments que les requérantes ont mentionnés dans leur réponse à la communication des griefs pour contester l’imputation de l’infraction litigieuse, le libellé de la décision attaquée permet d’affirmer que ces éléments ont été examinés. Ainsi, la lecture des considérants 270 à 276 de la décision attaquée permet de constater que la Commission a examiné les arguments des requérantes, résumés au considérant 269, visant à étayer leur thèse selon laquelle seule Atofina devait être le destinataire de ladite décision. L’analyse de la réponse à la communication des griefs ne permet pas d’identifier d’autres éléments pertinents qui auraient été ignorés par la Commission.
141 S’agissant particulièrement des éléments visant à établir l’autonomie d’Atofina sur le marché, la Commission y a répondu au considérant 272 de la décision attaquée, en affirmant que « [l]es autres arguments [étaient] de simples affirmations [non] étayées par des preuves suffisantes pour renverser la présomption [d’influence déterminante] ». Le caractère succinct de cette motivation ne permet pas de constater, à lui seul, une violation de l’obligation d’examiner avec soin et impartialité les éléments pertinents résultant de la procédure administrative. Par ailleurs, il ressort de ce qui précède (voir points 80 et suivants ci-dessus) que cette constatation est exacte, ce qui permet d’affirmer qu’elle repose sur un examen soigneux et impartial effectué par la Commission.
142 Or, hormis le libellé succinct de la décision attaquée, les requérantes n’apportent aucun autre élément à l’appui de leur grief.
143 Partant, le présent grief doit être rejeté.
2. Sur la seconde branche, tirée de la violation de la présomption d’innocence
a) Arguments des parties
144 Les requérantes font valoir que la Commission n’a pas respecté la présomption d’innocence pour deux raisons. En premier lieu, elle aurait déclaré les requérantes a priori coupables d’une infraction à l’article 81 CE sur le seul fondement de la présomption d’exercice d’une influence déterminante, sans la conforter par des éléments concrets et en ignorant les preuves contraires. En second lieu, la culpabilité des requérantes aurait été retenue, alors même qu’elles n’ont pas pu bénéficier de toutes les garanties normalement accordées pour l’exercice des droits de la défense, comme les requérantes l’ont exposé dans le cadre de la première branche du présent moyen. En particulier, la thèse de la Commission, selon laquelle les requérantes constituent une seule entreprise avec Arkema, serait fondée sur une application erronée du régime probatoire applicable.
145 La Commission conteste cette argumentation.
b) Appréciation du Tribunal
146 Il convient de rappeler que la présomption d’innocence fait partie de l’ordre juridique de l’Union et s’applique aux procédures relatives aux violations des règles de concurrence visant des entreprises et susceptibles d’aboutir au prononcé d’amendes ou d’astreintes (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, C-199/92 P, Rec. p. I-4287, points 149 et 150, et Montecatini/Commission, C-235/92 P, Rec. p. I-4539, points 175 et 176). Elle implique que toute personne accusée est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
147 Les arguments des requérantes ne permettent pas d’affirmer que ce principe ait été violé en l’espèce.
148 En premier lieu, il convient de rappeler que la Commission peut recourir à la présomption selon laquelle une société mère exerce une influence déterminante sur une filiale, en cas de détention de la totalité ou de la quasi-totalité du capital de celle-ci, pour la tenir solidairement responsable du paiement de l’amende infligée à sa filiale. Dans un tel cas, la société mère est censée former avec sa filiale une seule entreprise, à qui il incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction. Or, en l’espèce, l’infraction a été reconnue par Arkema dans sa demande présentée au titre de la communication sur la coopération (voir considérant 60 de la décision attaquée). Par ailleurs, les requérantes ne contestent pas sa participation à l’entente en cause.
149 Contrairement à ce que les requérantes soutiennent, la Commission ne les a pas tenues a priori pour coupables, car il leur était loisible de renverser la présomption susvisée, posée dans la communication des griefs, en démontrant l’autonomie de leur filiale, ce que, comme il a été rappelé au point 134 ci-dessus, elles ont tenté de faire.
150 Il convient de rappeler, par ailleurs, que l’adoption d’une communication des griefs par la Commission ne peut en aucun cas être considérée comme une preuve de culpabilité de l’entreprise concernée. Dans le cas contraire, l’ouverture de toute procédure en la matière serait potentiellement susceptible de porter atteinte à la présomption d’innocence (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 21 septembre 2006, JCB Service/Commission, C-167/04 P, Rec. p. I-8935, point 99).
151 De même, ainsi qu’il ressort de l’examen de la première branche du présent moyen, il n’est pas établi que la Commission ait ignoré les éléments de preuve rapportés par les requérantes.
152 En second lieu, ainsi qu’il résulte également de l’examen de la première branche du présent moyen, les requérantes n’ont pas établi que leurs droits de la défense aient été violés.
153 Partant, la seconde branche du présent moyen doit être rejetée, de même que, par suite, le premier moyen dans sa totalité.
C – Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation
154 Les requérantes font valoir que la décision attaquée n’est pas suffisamment motivée en ce qui concerne leur mise en cause et leur condamnation et qu’elle devrait donc être annulée en ce qui les concerne. Ce moyen s’articule en trois branches.
1. Sur la première branche, tirée d’une violation de l’obligation de motivation renforcée en raison de la nouveauté de la position de la Commission
a) Arguments des parties
155 Les requérantes font valoir que, ainsi qu’elle l’admettrait elle-même au considérant 271 de la décision attaquée, la Commission a adopté à leur égard une position radicalement nouvelle et substantiellement différente de sa pratique antérieure, dans la mesure où l’imputation de l’infraction commise par la filiale aux sociétés mères repose en l’espèce sur le seul fondement d’une présomption, sans aucune considération factuelle pour la conforter. Selon les requérantes, il ressort de la jurisprudence que la Commission était tenue, dans ces conditions, de renforcer sa motivation sur l’imputation aux requérantes de la responsabilité de l’entente en cause (arrêt de la Cour du 26 novembre 1975, Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique e.a./Commission, 73/74, Rec. p. 1491, point 31 ; arrêt du Tribunal du 22 octobre 1997, SCK et FNK/Commission, T-213/95 et T-18/96, Rec. p. II-1739, point 226 ; ordonnances du Tribunal du 21 janvier 2004, FNSEA e.a./Commission, T-245/03, Rec. p. II-271, point 52, et FNCBV/Commission, T-217/03, Rec. p. II-239, point 66).
156 Or, la Commission aurait méconnu cette obligation renforcée de motivation en affirmant, en une seule phrase, au considérant 274 de la décision attaquée, son interprétation erronée de la jurisprudence et en ignorant les arguments et les preuves des requérantes visant à réfuter la présomption d’exercice d’une influence déterminante. Dès lors, les requérantes n’auraient pas été en mesure de comprendre, avec le minimum de certitude requise, ce qui a amené la Commission à adopter cette position radicalement nouvelle et, partant, de se défendre utilement. De même, le juge de l’Union aurait ainsi été empêché d’exercer son contrôle sur cette question.
157 La Commission conteste cette argumentation.
b) Appréciation du Tribunal
158 Il y a lieu de rappeler que, au considérant 271 de la décision attaquée, invoqué par les requérantes, la Commission affirme que, « le fait que, dans une précédente affaire, [elle] ait adressé sa décision à Atofina exclusivement ne l’empêch[ait] pas, comme tel, d’adresser sa décision en l’espèce aussi bien à Atofina qu’à Total/Elf Aquitaine. » La Commission y précise qu’elle « dispose d’une marge d’appréciation pour imputer la responsabilité à une société mère dans des circonstances telles que celles de l’espèce […] et le fait qu’elle n’ait pas usé de ce pouvoir dans une décision antérieure ne l’oblige[ait] pas à ne pas le faire en l’espèce. »
159 Force est de constater que ce passage ne revient nullement à admettre que la Commission ait adopté en l’espèce une position radicalement nouvelle et substantiellement différente de sa pratique antérieure, comme les requérantes le prétendent.
160 Par ailleurs, il convient de relever que la présomption d’exercice d’une influence déterminante, fondée sur le seul lien capitalistique, a déjà été appliquée par la Commission dans la décision AMCA, dans laquelle elle avait imputé l’infraction commise par Arkema à Elf Aquitaine. Les requérantes ne sauraient donc soutenir que la Commission a appliqué en l’espèce une position radicalement nouvelle à leur égard. Il ressort d’ailleurs de la décision attaquée que, lors de la procédure administrative, les requérantes ont soutenu que c’est précisément la décision AMCA qui représentait un « virage audacieux » dans la pratique décisionnelle de la Commission et ont demandé à cette dernière d’attendre l’issue de la procédure juridictionnelle qu’elles avaient engagée contre cette décision (voir considérant 268 de la décision attaquée). Partant, la jurisprudence invoquée par les requérantes n’est pas applicable en l’espèce.
161 En tout état de cause, cette jurisprudence exige seulement que la Commission développe son raisonnement d’une manière explicite lorsqu’elle prend, dans le cadre de sa pratique décisionnelle, une décision qui va sensiblement plus loin que les décisions précédentes. Il ne lui suffit donc pas, dans un tel cas, de fournir une motivation sommaire, notamment par référence à une pratique décisionnelle constante (voir, en ce sens, arrêt Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique e.a./Commission, point 155 supra, point 31).
162 Or, comme il sera exposé ci-après dans le cadre de l’examen de la deuxième branche du présent moyen, la motivation de la décision attaquée, s’agissant des raisons pour lesquelles la Commission a décidé d’imputer l’infraction aux requérantes, est suffisamment explicite. Par conséquent, elle satisfait aux conditions posées par la jurisprudence.
163 Partant, la première branche du présent moyen doit être rejetée.
2. Sur la deuxième branche, tirée de l’existence d’une contradiction de motifs
a) Arguments des parties
164 En premier lieu, les requérantes font valoir que les considérants 245 à 247 et 272 de la décision attaquée distinguent et confondent tout à la fois deux notions juridiques distinctes, à savoir, d’une part, la notion d’entreprise au sens de l’article 81 CE et, d’autre part, la notion de personne morale, c’est-à-dire l’entité juridique destinataire de la décision. Les requérantes considèrent que le même vocable « entreprise » ne peut être utilisé pour désigner ces deux notions juridiques, et ce dans la partie de la décision attaquée consacrée à la définition de ces notions in casu, dans la mesure où il était parfaitement possible de recourir à des vocables distincts permettant de les différencier. Le caractère confus et contradictoire de ce raisonnement aurait conduit à l’impossibilité de le comprendre.
165 En deuxième lieu, les requérantes avancent que la confusion entre les notions d’entreprise (unité économique) et d’entité juridique a amené la Commission à se contredire en tentant d’appliquer son raisonnement au groupe Total.
166 Premièrement, il y aurait une contradiction affectant la détermination de l’entité responsable de l’infraction litigieuse. En particulier, la décision attaquée contiendrait des affirmations contredisant la thèse de l’entreprise unique constituée par cinq sociétés du groupe Total et revenant à admettre l’autonomie d’Arkema sur le marché par rapport à ses sociétés mères. Ainsi, il ressortirait des termes des considérants 277 et 305 de la décision attaquée, et de son article 1er, que celle-ci reconnaîtrait l’existence de quatorze entités économiques autonomes (« entreprises », voir article 1er de la décision attaquée), dont les rapports seraient constitutifs d’un accord au sens de l’article 81 CE (« responsables de leurs infractions respectives », voir considérant 305 de la décision attaquée).
167 En outre, les requérantes critiquent le fait que les considérants 277 et 305 de la décision attaquée, ainsi que son article 1er, procèdent à une distribution de la responsabilité de l’infraction à chacune des entités juridiques composant la prétendue entreprise unique. Selon les requérantes, le fait que cette responsabilité n’est pas la même pour les différentes entités juridiques, mais varie quant à sa durée, revient à considérer que cette entreprise unique n’existe pas et qu’elles n’auraient pas dû être impliquées dans la présente affaire.
168 Deuxièmement, il y aurait une contradiction affectant la détermination du montant de l’amende à appliquer à Atofina. À cet égard, les requérantes soutiennent que, alors que la décision attaquée repose sur la thèse de l’unité économique responsable de l’infraction, les règles gouvernant les amendes sont appliquées de façon distributive aux différentes personnes juridiques composant cette prétendue unité économique. De l’avis des requérantes, l’application d’un calcul de l’amende spécifique à chacune de ces sociétés contrarie ouvertement la thèse de l’existence d’une entreprise unique, les englobant ainsi que leur filiale Atofina. Cette contradiction serait présente au stade de la détermination du montant de base de l’amende, dans le traitement de la récidive et dans l’application de la communication sur la coopération.
169 Selon les requérantes, en vertu de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, des lignes directrices sur le calcul des amendes et de la communication sur la coopération, le calcul de l’amende doit être conduit pour l’ensemble de l’entreprise auteur de l’infraction, et non de manière distributive entre les différentes entités juridiques qui, le cas échéant, la composent. Ainsi, les requérantes soutiennent que la Commission confond deux étapes bien distinctes de son raisonnement : le calcul de l’amende, qui doit être opéré de manière homogène à l’égard de l’entreprise tout entière, et la répartition du paiement de l’amende, à opérer, le cas échéant, entre les différentes entités juridiques composant l’entreprise. Or, en l’espèce, le périmètre de l’entreprise définie au titre de l’article 81 CE ne serait pas celui retenu pour calculer l’amende.
170 S’agissant du montant de base de l’amende, les requérantes critiquent, d’une part, le fait que, en ce qui concerne le traitement différencié, la Commission a fait référence, au considérant 334 de la décision attaquée, à Arkema seule et à son chiffre d’affaires, tout en appliquant le même montant aux requérantes, sans aucune explication (considérant 336 de la décision attaquée). D’autre part, les requérantes relèvent que, en ce qui concerne le coefficient attribuable à la durée de l’entente en cause, la Commission, dans les considérants 351 et 353 de la décision attaquée, qualifie Arkema, Total et Elf Aquitaine d’ « entreprises » et attribue à chacune d’elles un pourcentage de majoration du montant de départ de l’amende leur ayant été infligée en propre, en raison de la durée respective de l’infraction commise par chacune desdites entreprises. Cela infirmerait la thèse de l’unité économique entre Arkema, Total et Elf Aquitaine.
171 S’agissant du traitement de la récidive, les requérantes font observer que la Commission, au considérant 397 de la décision attaquée, a procédé à une majoration de 50 % au titre de la récidive seulement pour Arkema, Altuglas et Altumax et a laissé les montants de base de l’amende inchangés en ce qui les concerne. La Commission reconnaîtrait ainsi nécessairement qu’Arkema formait à elle seule une entreprise ou unité économique, au sens de l’article 81 CE, distincte de ses sociétés mères.
172 Selon les requérantes, si la Commission avait appliqué la théorie de l’unité économique de manière cohérente, elle aurait dû considérer que, en l’absence d’identité entre l’entreprise visée par les décisions de 1984 et de 1986 (c’est-à-dire Arkema) et celle prétendument impliquée dans l’entente en cause, sanctionnée par la décision attaquée (c’est-à-dire Arkema/Total/Elf Aquitaine), aucun facteur multiplicateur au titre de la récidive ne pouvait être appliqué.
173 À l’argument de la Commission selon lequel les requérantes n’auraient pas fait l’objet d’une majoration au titre de la récidive, puisqu’elles ont acquis Arkema et ses filiales après qu’Arkema avait été sanctionnée pour des faits similaires, les requérantes répliquent que, à l’époque des faits ayant donné lieu à la décision 94/599/CE de la Commission, du 27 juillet 1994, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/31.865 - PVC) (JO 1994, L 239, p. 14, ci-après la « décision PVC II »), sur laquelle, notamment, la Commission fonde la circonstance aggravante de récidive (considérant 358 de la décision attaquée), Elf Aquitaine possédait déjà Arkema (voir, notamment, les considérants 9 et 260 de la décision attaquée), bien qu’elle n’ait, à l’époque, pas été incluse dans l’entreprise ayant commis les infractions litigieuses et n’ait pas été condamnée.
174 Enfin, s’agissant de l’application de la communication sur la coopération, les requérantes relèvent que la Commission, au considérant 403 de la décision attaquée, qualifie Arkema d’ « entreprise », ce qui contredirait la thèse de l’unité économique composée d’Arkema et des requérantes.
175 La Commission conteste ces arguments.
b) Appréciation du Tribunal
176 Dans le cadre de la deuxième branche du présent moyen, les requérantes relèvent, en substance, que la décision attaquée est empreinte de contradictions, dans la mesure où, d’une part, la Commission y retient l’existence d’une entreprise unique composée des cinq sociétés du groupe Total concernées et, d’autre part, emploie le même terme « entreprise » pour désigner une entité juridique, identifie différentes sociétés du groupe Total dans les considérants consacrés au calcul de l’amende et qualifie ces sociétés de « responsables » de l’infraction (considérants 277 et 305 de la décision attaquée) ou de sociétés « [ayant] enfreint » l’article 81 CE (article 1er de la décision attaquée). Le caractère confus et contradictoire de ce raisonnement aurait conduit à l’impossibilité de le comprendre et constituerait donc une violation de l’obligation de motivation.
177 Pour ce qui est de l’obligation de motivation qui incombe à la Commission, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C-367/95 P, Rec. p. I-1719, point 63, et la jurisprudence citée).
178 Il a déjà été jugé que, lorsque, comme en l’espèce, une décision d’application de l’article 81 CE concerne une pluralité de destinataires et pose un problème d’imputabilité de l’infraction, elle doit comporter une motivation suffisante à l’égard de chacun de ses destinataires, particulièrement de ceux d’entre eux qui, aux termes de cette décision, doivent supporter la charge de cette infraction (arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, T-327/94, Rec. p. II-1373, point 78, et du 27 septembre 2006, Akzo Nobel/Commission, T-330/01, Rec. p. II-3389, point 93). Ainsi, pour être suffisamment motivée à l’égard des requérantes, la décision attaquée devait notamment contenir un exposé circonstancié des motifs de nature à justifier l’imputabilité de l’infraction à ces sociétés (voir, en ce sens, arrêt SCA Holding/Commission, précité, point 80).
179 Or, force est de constater que la décision attaquée expose clairement les éléments essentiels ayant présidé à son adoption.
180 D’abord, aux considérants 245 à 252 de la décision attaquée, la Commission expose les principes suivants :
– le sujet de l’accord visé à l’article 81 CE est l’entreprise, notion économique, qui peut désigner toute entité ayant une activité commerciale (considérant 246) ;
– pour permettre l’exécution des décisions rendues en matière de droit de la concurrence, il est nécessaire d’identifier une ou plusieurs personnes morales capables de représenter l’entreprise ; si une filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, sa société mère constitue, avec sa filiale, une seule et même entité économique et peut donc se voir imputer la responsabilité d’une infraction au motif qu’elle fait partie de la même entreprise (considérant 247) ;
– selon la jurisprudence, lorsqu’une société mère détient la totalité (ou la quasi-totalité) du capital de sa filiale, on peut présumer que cette filiale suit la politique définie par sa société mère et, partant, ne bénéficie pas d’une autonomie sur le marché ; cependant, la société mère peut renverser la présomption en question en produisant la preuve contraire (considérant 248 et note en bas de page n° 197 s’y rapportant).
181 Ensuite, quant à l’application de ces principes au groupe Total, la décision attaquée énonce ce qui suit aux considérants 259 à 277 :
– Altuglas et Altumax ont participé aux comportements collusoires litigieux (considérant 259) ;
– Arkema, leur société mère directe, est responsable de ces comportements (considérants 260 à 264) ;
– compte tenu du fait que les membres du conseil d’administration d’Arkema étaient nommés par Elf Aquitaine et du fait que cette dernière possédait une participation dans son capital de 97,6 %, puis de 96,48 %, la Commission présume qu’Elf Aquitaine a exercé une influence déterminante et un contrôle effectif sur le comportement d’Arkema et la tient donc responsable des infractions commises par Altuglas et Altumax (considérant 265) ;
– depuis le mois d’avril 2000, Total contrôle directement ou indirectement le capital de toutes les sociétés du groupe (en raison de sa participation à 99,43 % dans Elf Aquitaine). La Commission a donc présumé qu’elle exerçait une influence déterminante sur le comportement de ses filiales Elf Aquitaine, Arkema, Altuglas et Altumax (considérants 266 et 267) ;
– dans leurs réponses à la communication des griefs qui leur a été adressée, les requérantes et Arkema ont fait valoir que cette dernière devait être le seul destinataire de la décision attaquée. Elles ont notamment avancé qu’Arkema jouissait d’une totale autonomie dans son comportement sur le marché [considérant 269, notamment sous c)] ;
– la Commission a analysé ces arguments, mais a considéré que la présomption d’influence déterminante exercée par la société mère sur sa filiale n’avait pas été réfutée (considérants 270 à 274) ;
– par conséquent, la Commission confirme ses conclusions selon lesquelles Altuglas, Altumax, Arkema et les requérantes sont solidairement responsables de l’infraction litigieuse (considérant 277).
182 Ainsi, les requérantes ont manifestement pu comprendre les raisons pour lesquelles la Commission leur avait imputé l’infraction litigieuse, ainsi qu’en témoigne d’ailleurs le libellé de la requête. En particulier, la décision attaquée expose clairement ce qui est entendu par la notion d’entreprise et énonce la raison pour laquelle il était nécessaire d’identifier une ou plusieurs personnes morales capables de représenter l’entreprise. De même, la motivation de la Commission est suffisante pour que le Tribunal puisse exercer son contrôle de légalité sur ce point. Il y a lieu de relever, par ailleurs, que la présomption d’exercice d’une influence déterminante a été invoquée par la Commission au stade de la communication des griefs, puis adressée aux requérantes, et que celles-ci ont tenté de la renverser, en faisant valoir l’autonomie d’Arkema sur le marché [voir considérant 269, sous c), de la décision attaquée]. Cela confirme qu’elles ont pu comprendre la motivation de la décision attaquée sur ce point.
183 Ces conclusions ne sont pas remises en cause par les prétendues contradictions relevées par les requérantes dans le cadre du présent recours.
184 En premier lieu, s’agissant de la terminologie employée par la Commission, il convient de constater que, même si le terme « entreprise » est utilisé pour désigner tout à la fois une entité économique et une personne morale, le sens qui y est attribué dans les différents considérants de la décision attaquée apparaît de façon suffisamment claire, notamment dans le contexte de la partie concernée de la décision attaquée (voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 juin 2005, Tokai Carbon e.a./Commission, T-71/03, T-74/03, T-87/03 et T-91/03, non publié au Recueil, point 82).
185 En second lieu, s’agissant du fait que la Commission, d’une part, affirme dans la décision attaquée que les différentes sociétés du groupe Total constituent une entreprise unique ayant commis l’infraction litigieuse et, d’autre part, identifie chacune de ces sociétés en tant que destinataire de la décision attaquée auquel l’amende est infligée, il importe de relever qu’il s’agit d’une simple conséquence de ce que les destinataires des règles de la concurrence et les destinataires des décisions des autorités de la concurrence ne sont pas nécessairement les mêmes. En effet, alors que les règles de la concurrence visent des entreprises et s’appliquent à celles-ci directement, sans considération notamment de leur statut juridique, l’infraction au droit de la concurrence de l’Union doit être imputée sans équivoque à une personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, point 37 supra, points 54 à 57, et conclusions de l’avocat général Mme Kokott sous l’arrêt de la Cour du 11 décembre 2007, ETI e.a., C-280/06, Rec. p. I-10893, I-10896, points 68 et 69). Ces considérations ressortent par ailleurs clairement des considérants 246 et 247 de la décision attaquée. Par conséquent, il ne saurait en résulter une quelconque violation de l’obligation de motivation.
186 En troisième lieu, s’agissant de l’identification des différentes sociétés du groupe Total dans les motifs de la décision attaquée consacrés au calcul de l’amende, il suffit de constater que ladite décision fait apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement suivi par la Commission pour déterminer le montant de l’amende ainsi que les montants à concurrence desquels les requérantes ont été tenues pour responsables de son paiement. Par conséquent, l’obligation de motivation a été également respectée sur ce point. Enfin, dans la mesure où les requérantes allèguent une erreur de fond, à savoir que l’application d’un calcul de l’amende spécifique à chacune de ces sociétés concernées est incompatible avec la notion d’entreprise unique, il convient de renvoyer à l’analyse du troisième moyen, exposée ci-après.
187 Partant, la deuxième branche du présent moyen doit être rejetée.
3. Sur la troisième branche, tirée de l’absence de réponse de la Commission aux réfutations de la présomption d’exercice d’une influence déterminante
a) Arguments des parties
188 Les requérantes font valoir que la Commission n’a pas respecté ses obligations en matière de motivation, dans la mesure où elle s’est contentée, au considérant 272 de la décision attaquée, de nier purement et simplement l’existence de leurs arguments sur l’autonomie de leur filiale. La décision attaquée ne contiendrait donc aucune analyse sérieuse du faisceau de preuves apporté par les requérantes pour réfuter la présomption d’exercice d’une influence déterminante retenue par la Commission, ni un exposé des éléments de fait et de droit qui soit suffisant pour rejeter leurs prétentions.
189 De l’avis des requérantes, un tel exposé était d’autant plus nécessaire que la thèse de la Commission reposait sur la simple présomption, qu’elles avaient apporté un faisceau d’indices divers, motivé, concordant et convaincant, de nature à prouver l’autonomie d’Arkema ou, à tout le moins, à renverser la charge de la preuve et que les conséquences de la position retenue par la Commission en termes d’amende étaient considérables. Elles relèvent, par ailleurs, que les exigences de motivation sont également renforcées lorsque la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation afin de mettre en œuvre sa politique.
190 La Commission conteste cette argumentation.
b) Appréciation du Tribunal
191 Pour ce qui est de l’obligation de motivation qui incombe à la Commission, il y a lieu de renvoyer à la jurisprudence visée aux points 177 et 178 ci-dessus. Il convient de rappeler, en particulier, que, pour être suffisamment motivée à l’égard des requérantes, la décision attaquée devait contenir un exposé circonstancié des motifs de nature à justifier l’imputabilité de l’infraction à ces sociétés (voir, en ce sens, arrêt SCA Holding/Commission, point 178 supra, point 80).
192 Il en résulte que, lorsque, comme en l’espèce, la Commission se fonde sur la présomption d’exercice d’une influence déterminante et que les sociétés concernées ont avancé, lors de la procédure administrative, des éléments visant à renverser cette présomption, la décision doit contenir un exposé suffisant des motifs de nature à justifier la position de la Commission selon laquelle ces éléments n’étaient pas suffisants pour renverser ladite présomption.
193 En l’espèce, s’agissant des arguments des requérantes sur l’autonomie de leur filiale, la Commission a énoncé, au considérant 272 de la décision attaquée, que « [l]es autres arguments [étaient de] simples affirmations [non] étayées par des preuves suffisantes pour renverser la présomption de responsabilité de Total et d’Elf Aquitaine pour les actes commis par leur filiale Atofina ». Dans les circonstances de l’espèce, cette affirmation remplit les exigences posées par la jurisprudence susvisée.
194 En effet, la Commission a ainsi exposé la raison pour laquelle elle avait considéré que les éléments avancés par les requérantes n’étaient pas suffisants pour renverser la présomption d’exercice d’une influence déterminante. La décision attaquée leur a donc fourni les indications nécessaires leur permettant de défendre leurs droits. En particulier, les requérantes ont pu soit contester l’exactitude de cette affirmation, en faisant valoir qu’elles avaient étayé leurs affirmations par des preuves suffisantes, soit contester sa pertinence, en faisant valoir que les affirmations en cause, même non étayées, étaient en l’espèce suffisantes pour renverser ladite présomption. Par ailleurs, cette motivation prend tout son relief lorsqu’elle est confrontée au passage concerné de la réponse à la communication de griefs, connu naturellement des requérantes, qui comporte effectivement très peu d’éléments concrets à l’appui des affirmations qu’il contient (voir points 80 et suivants ci-dessus).
195 En outre, comme la Commission le relève à bon droit, il ressort de la jurisprudence que, si, en vertu de l’article 253 CE, elle est tenue de motiver ses décisions en mentionnant les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale de la mesure et les considérations qui l’ont amenée à prendre sa décision, il n’est pas exigé qu’elle discute tous les points de fait et de droit qui ont été soulevés par chaque intéressé au cours de la procédure administrative (arrêt de la Cour du 10 décembre 1985, Stichting Sigarettenindustrie e.a./Commission, 240/82 à 242/82, 261/82, 262/82, 268/82 et 269/82, Rec. p. 3831, point 88, et arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Atochem/Commission, T-3/89, Rec. p. II-1177, point 222). Ainsi, si la Commission doit faire apparaître, dans sa décision, pour quelles raisons elle considère que les éléments avancés sont insuffisants pour renverser la présomption d’exercice d’une influence déterminante, il ne s’ensuit pas qu’elle soit tenue, dans chaque cas, de discuter spécifiquement chacun des éléments avancés par les entreprises concernées. Une réponse globale, telle que celle qui a été donnée dans la présente affaire, peut, selon les circonstances de l’espèce, suffire pour que l’entreprise puisse défendre utilement ses droits et pour que le Tribunal puisse exercer son contrôle.
196 Partant, la troisième branche du présent moyen doit être rejetée, de même que le deuxième moyen dans sa totalité.
D – Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du caractère unitaire de la notion d’entreprise au sens de l’article 81 CE et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003
1. Arguments des parties
197 Les requérantes font valoir que, en vertu de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, c’est la même unité économique (à savoir l’entreprise) qui doit être à la fois le responsable de l’infraction à l’article 81 CE et l’entité que l’on sanctionne, c’est-à-dire à qui l’on inflige une amende. Or, en l’espèce, la décision attaquée retiendrait à propos d’Atofina une notion d’entreprise mouvante, dont le contenu évoluerait au gré des règles que la Commission met en œuvre.
198 En effet, de l’avis des requérantes, dans la partie de la décision attaquée consacrée à la recherche des responsables de l’infraction, la notion d’entreprise joue le rôle d’un véritable aimant et Atofina agrège cinq personnes morales distinctes. En revanche, dans les motifs consacrés au calcul de l’amende, la Commission diviserait cette unité économique identifiée au stade de la recherche de responsabilité et Atofina ne regrouperait plus, alternativement, qu’Arkema, ses deux filiales et Elf Aquitaine, mais sans Total (considérants 351, 353 et 354 de la décision attaquée) ou Arkema et ses deux filiales sans Total et Elf Aquitaine (considérant 369 de la décision attaquée et notes en bas de page s’y rapportant nos 233 et 250, ainsi que considérant 403 de la décision attaquée). Sur ce point, les requérantes renvoient à leur argumentation dans le cadre de la deuxième branche du deuxième moyen.
199 Selon les requérantes, cette incohérence porte atteinte à la notion unitaire d’entreprise, au sens de l’article 81 CE et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, et révèle que l’entreprise Atofina (regroupant cinq sociétés) n’existe pas et, partant, que l’imputation de la responsabilité de l’infraction litigieuse aux requérantes présente un caractère artificiel.
200 La Commission conteste cette argumentation.
2. Appréciation du Tribunal
201 À titre liminaire, il convient de relever que, dans le cadre du présent moyen, en se fondant sur leurs arguments développés dans le cadre du deuxième moyen, les requérantes font valoir, en substance, que la division de l’unité économique en différentes sociétés, dans les motifs consacrés au calcul de l’amende, constituent une erreur de fond, à savoir une violation du caractère unitaire de la notion d’entreprise. À leur avis, le calcul de l’amende devrait être opéré de manière homogène à l’égard de l’entreprise toute entière et la répartition, le cas échéant, du paiement de l’amende entre les différentes entités juridiques composant ladite entreprise devrait constituer une étape distincte du raisonnement.
202 À cet égard, il convient de souligner que, dans la mesure où cette argumentation viserait à remettre en cause l’imputation de l’infraction litigieuse aux requérantes, elle serait inopérante. À supposer même que l’approche de la Commission, dans les motifs consacrés au calcul de l’amende, consistant à déterminer la responsabilité respective des différentes sociétés du groupe pour le paiement de cette amende, soit incompatible avec la notion d’entreprise, cela n’aurait aucune incidence sur l’imputation de l’infraction litigieuse aux requérantes. En effet, ainsi qu’il résulte de ce qui précède, c’est à bon droit que la Commission a procédé à cette imputation en l’espèce, au motif qu’elles constituaient avec Arkema une seule entreprise. Ainsi, cette argumentation, à la supposer fondée, pourrait tout au plus avoir une incidence sur le montant de l’amende ou la répartition de la responsabilité respective de chaque société du groupe pour le paiement de cette amende. Force est de relever, toutefois, que, dans le cadre du présent moyen, les requérantes ne contestent pas les résultats concrets des calculs opérés par la Commission. En particulier, elles n’allèguent pas qu’une méthode différente aurait conduit à les tenir pour responsables du paiement d’un montant moins élevé de l’amende.
203 En tout état de cause, il convient de constater que l’approche de la Commission n’a pas été incompatible avec la notion d’entreprise.
204 À cet égard, il y a lieu d’observer que c’est à juste titre que les requérantes font valoir que, en vertu des articles 81 CE et 82 CE, ce sont les entreprises ou les associations d’entreprises qui peuvent être reconnues comme les auteurs de violations du droit de la concurrence. En outre, en vertu de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, la Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et aux associations d’entreprises lorsque, notamment, elles commettent une infraction aux dispositions des articles 81 CE ou 82 CE.
205 Il convient de rappeler également que la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement. En particulier, la notion d’entreprise, placée dans ce contexte, doit être comprise comme désignant une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, point 37 supra, points 54 et 55, et la jurisprudence citée).
206 Lorsqu’une telle entité enfreint les règles de la concurrence, il lui incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction (voir arrêt ETI e.a., point 185 supra, point 39, et la jurisprudence citée). Toutefois, l’infraction au droit de la concurrence de l’Union doit être imputée sans équivoque à une personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes (arrêts Papierfabrik August Koehler e.a./Commission, point 130 supra, point 38, et du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, point 37 supra, point 57). Par conséquent, lorsque l’existence d’une telle infraction est établie, il convient de déterminer la personne physique ou morale qui était responsable de l’exploitation de l’entreprise au moment où l’infraction a été commise afin qu’elle réponde de celle-ci (arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission, T-6/89, Rec. p. II-1623, point 236 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Cascades/Commission, C-279/98 P, Rec. p. I-9693, point 78).
207 Par ailleurs, la Cour a déjà jugé conforme à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 (remplacé par l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003) la pratique de la Commission consistant à tenir une société solidairement pour responsable du paiement d’une partie de l’amende infligée à une autre société, dès lors que le comportement anticoncurrentiel de cette dernière peut lui être imputée. Dans une telle hypothèse, la société en question est condamnée à une amende pour une infraction qu’elle est censée avoir commise elle-même du fait de cette imputation (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Metsä-Serla e.a./Commission, C-294/98 P, Rec. p. I-10065, points 26 à 28).
208 Partant, le fait que la décision attaquée identifie différentes personnes juridiques devant être solidairement responsables du paiement de l’amende n’est pas incompatible avec la notion d’entreprise. Il s’agit au contraire d’une exacte application de cette notion, dès lors qu’il est établi que l’entreprise en question est, du point de vue juridique, constituée de plusieurs personnes physiques ou morales.
209 De même, aucune violation de la notion d’entreprise ne saurait être tirée du seul fait que ces différentes personnes juridiques sont responsables du paiement de l’amende à concurrence de montants différents. En effet, le constat que plusieurs personnes juridiques forment une seule entreprise responsable de la commission de l’infraction n’implique pas nécessairement que tous les éléments pertinents pour le calcul de l’amende leur soient imputables de la même manière, notamment lorsque la composition, du point de vue juridique, de l’entreprise en question a évolué dans le temps. Ainsi, en l’espèce, Total a été tenue pour responsable seulement pour une partie de la période infractionnelle (considérant 277 de la décision attaquée) et aucune des requérantes n’a été considérée comme récidiviste (considérant 369 de la décision attaquée).
210 À cet égard, il convient de rappeler que, dans l’arrêt Cascades/Commission, point 206 supra, la Cour a invalidé l’approche consistant à imputer à la société mère le comportement infractionnel de ses filiales lorsqu’il était antérieur à leur acquisition. La Cour a précisé qu’il incombait, en principe, à la personne physique ou morale qui dirigeait l’entreprise concernée au moment où l’infraction avait été commise de répondre de celle-ci, même si, au jour de l’adoption de la décision constatant l’infraction, l’exploitation de l’entreprise avait été placée sous la responsabilité d’une autre personne. Après avoir souligné que les sociétés en question n’avaient pas été purement et simplement absorbées par l’acquéreur, mais avaient poursuivi leurs activités en tant que filiales de ce dernier, la Cour a jugé qu’elles devaient, en conséquence, répondre elles-mêmes de leur comportement infractionnel antérieur à leur acquisition par la société mère, sans que celle-ci puisse en être tenue pour responsable (points 77 à 80 de l’arrêt).
211 Partant, étant donné que Total avait acquis le contrôle d’Elf Aquitaine en avril 2000 (considérants 266 et 267 de la décision attaquée), c’est à bon droit que la Commission l’a tenue solidairement pour responsable de l’infraction litigieuse seulement à partir du 1er mai 2000 (considérant 277 de la décision attaquée) et que le montant de départ de l’amende a été majoré, en ce qui la concerne, de 20 % au lieu de 55 %, comme c’était le cas des autres sociétés du groupe (considérant 353 de la décision attaquée).
212 Quant à la récidive, dans le mémoire en défense ainsi que dans sa réponse écrite aux questions du Tribunal, la Commission a soutenu que les requérantes n’avaient pas fait l’objet d’une majoration à ce titre, car, à l’époque des faits visés par les décisions précédentes, les requérantes n’étaient pas les sociétés mères d’Arkema. L’exactitude de cette affirmation a été toutefois contestée par les requérantes dans leur mémoire en réplique. Elles ont relevé que, à l’époque des faits ayant donné lieu à la décision PVC II, sur laquelle, notamment, la Commission a fondé son analyse relative à la récidive, Elf Aquitaine possédait déjà Atofina, alors pourtant qu’Elf Aquitaine n’avait, à l’époque, pas été incluse dans l’entreprise ayant commis les infractions litigieuses.
213 Sans qu’il soit nécessaire de trancher cette question de fait, il convient de rappeler que, au considérant 355 de la décision attaquée, la Commission a défini la récidive comme la situation dans laquelle une entreprise, qui a déjà été destinataire d’une décision de la Commission dans le passé pour avoir participé à une infraction, est reconnue ultérieurement responsable d’une autre infraction du même type. Or, s’agissant du groupe Total, c’est Arkema seule, sous ses dénominations précédentes, qui avait été destinataire des décisions antérieures, visées au considérant 358 de la décision attaquée, sur lesquelles la Commission a fondé le constat de récidive. Les requérantes n’ayant pas été destinataires de ces décisions, la Commission ne pouvait pas non plus les considérer comme ayant fait partie de l’entreprise, au sens du droit de la concurrence, qui avait commis les infractions en question, et ce indépendamment de la question de savoir si elles ont été ou non les sociétés mères d’Arkema à l’époque. En effet, ainsi qu’il ressort de ce qui précède (voir points 45 à 48 et 130 à 134 ci-dessus), l’imputation de ces infractions aux requérantes aurait nécessité un constat formel, précédé d’une procédure permettant de garantir leurs droits de la défense. Par conséquent, c’est à bon droit que la Commission a énoncé, au considérant 369 de la décision attaquée, que les requérantes n’étaient pas des récidivistes.
214 Compte tenu de ce qui précède, les requérantes ne sauraient valablement critiquer la Commission pour avoir identifié différentes sociétés du groupe Total dans les motifs consacrés au calcul de l’amende, conformément à la méthodologie définie dans les lignes directrices.
215 Il convient de rappeler, par ailleurs, que les lignes directrices assurent la sécurité juridique des entreprises, étant donné qu’elles déterminent la méthodologie que la Commission s’est imposée aux fins de la fixation du montant des amendes (voir arrêt de la Cour du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission, C-3/06 P, Rec. p. I-1331, point 23, et la jurisprudence citée). L’administration ne peut s’en écarter, dans un cas particulier, sans donner des raisons qui soient compatibles avec l’égalité de traitement (arrêt de la Cour du 18 mai 2006, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, C-397/03 P, Rec. p. I-4429, point 91). Dans la mesure où, en l’espèce, l’amende a été calculée conformément à la méthodologie prévue par les lignes directrices, la Commission a pu légitimement s’appuyer sur la même méthodologie pour déterminer les montants à concurrence desquels les différentes sociétés en cause devaient être tenues pour responsables du paiement de l’amende. En effet, cette manière de procéder a permis de garantir que la responsabilité financière desdites sociétés ne porte pas sur les montants résultant de la prise en considération de facteurs qui ne leur étaient pas imputables.
216 Certes, la Commission aurait pu également, comme les requérantes le préconisent, procéder en deux étapes distinctes, à savoir d’abord calculer de manière homogène le montant de l’amende à l’égard de l’entreprise tout entière et, ensuite seulement, procéder à la répartition de la charge relative au paiement de l’amende entre les différentes entités juridiques composant l’entreprise. Toutefois, le fait qu’elle a procédé à cette répartition tout en procédant au calcul de l’amende ne saurait constituer une quelconque violation de la notion d’entreprise.
217 Enfin, il convient de souligner que, hormis les majorations au titre de la durée de l’infraction et de la récidive, pour la détermination desquelles la Commission a tenu compte des modifications dans le temps de la composition de l’entreprise concernée, l’amende a été calculée de manière homogène pour toutes les sociétés du groupe Total concernées, notamment en ce qui concerne l’application du traitement différencié et de la communication sur la coopération. Par conséquent, les critiques des requérantes concernant ces deux étapes du calcul de l’amende sont non fondées.
218 Partant, le troisième moyen doit être rejeté.
E – Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation de plusieurs principes essentiels reconnus par l’ensemble des États membres et faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union
219 Le cinquième moyen s’articule en trois branches.
1. Sur la première branche, tirée d’une violation du principe de non-discrimination
a) Arguments des parties
220 Les requérantes font valoir que le raisonnement suivi par la Commission pour leur imputer la responsabilité de l’infraction litigieuse est discriminatoire en ce qu’il ne correspond pas à celui qui a été adopté dans la décision attaquée s’agissant des autres sociétés mères concernées par l’infraction. Elles relèvent, en effet, que, en ce qui concerne Degussa et ICI plc, la Commission a vérifié si la présomption était corroborée par des éléments supplémentaires attestant que la société mère exerçait effectivement une influence déterminante sur sa filiale.
221 Plus spécifiquement, en ce qui concerne Degussa, outre la présomption d’exercice d’une influence déterminante sur ses filiales en raison de la détention de l’intégralité de leur capital (considérant 255 de la décision attaquée), la Commission se serait fondée sur au moins deux autres éléments convergents venant la conforter, à savoir la participation de Degussa à l’infraction litigieuse (considérants 254 et 258 de la décision attaquée) et le fait qu’elle ait elle-même pris l’initiative de dénoncer l’infraction litigieuse à la Commission le 20 décembre 2002. En ce qui concerne ICI, la Commission aurait également retenu au moins deux indices convergents, à savoir sa participation à l’infraction litigieuse (considérants 278, 290 et 292 de la décision attaquée) et l’absence de personnalité morale de l’unité commerciale ICI Acrylics, chargée de la production et de la vente de PMMA au sein du groupe (considérants 280, 287, 288 et 290 de la décision attaquée).
222 Par ailleurs, les requérantes réfutent l’argument de la Commission selon lequel le constat de responsabilité de Degussa et d’ICI ne serait pas fondé sur la présomption d’exercice d’une influence déterminante sur leurs filiales, mais sur leur participation propre à l’infraction. Elles soulignent que cet argument est contredit par les termes mêmes de la décision attaquée (considérant 255, s’agissant de Degussa, et considérants 280, 287, 289 et 290, s’agissant d’ICI).
223 La Commission conteste cette argumentation.
b) Appréciation du Tribunal
224 Il convient de rappeler que le principe d’égalité de traitement ou de non-discrimination exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt de la Cour du 11 septembre 2007, Lindorfer/Conseil, C-227/04 P, Rec. p. I-6767, point 63, et la jurisprudence citée).
225 Force est de considérer que les requérantes n’établissent pas de violation de ce principe dans la manière dont la Commission a imputé l’infraction litigieuse aux destinataires de la décision attaquée.
226 En premier lieu, il y a lieu de constater que la situation d’ICI n’est pas comparable à celle des requérantes. En effet, il ressort clairement de la décision attaquée qu’ICI Acrylics - l’entité qui participait directement à l’infraction litigieuse - était une simple unité commerciale d’ICI, dépourvue de personnalité morale, et non une filiale de celle-ci, détenue à 100 % ou presque (voir notamment considérants 280, 287 et 288 de la décision attaquée). Par conséquent, en ce qui concerne ICI, la Commission n’a pas appliqué la présomption d’exercice d’une influence déterminante, qu’elle soit confortée ou non par d’autres éléments, mais elle a simplement identifié la personne morale dont faisait partie, à l’époque des faits, l’unité commerciale qui avait commis l’infraction (considérants 288 et 289 de la décision attaquée).
227 En second lieu, s’agissant de Degussa, il convient de relever que, au considérant 255 de la décision attaquée, la Commission a constaté ce qui suit :
« Röhm GmbH & Co. KG (filiale à 100 % de Degussa) et Para-Chemie GmbH (filiale à 100 % de Röhm) sont des entités juridiques indépendantes. Puisque ces deux entreprises étaient, directement ou indirectement, détenues à 100 % par Degussa […] et que le conseil de surveillance de Röhm est composé pour partie des membres de la direction de Degussa […], la Commission tient Degussa pour responsable des comportements infractionnels de Röhm […] et de Para-Chemie […] »
228 Ainsi, il est exact que, pour imputer à Degussa le comportement infractionnel de ces filiales, la Commission s’est fondée sur la présomption d’exercice d’une influence déterminante, résultant de la détention à 100 % du capital de la filiale par la société mère, tout en mentionnant un élément supplémentaire, à savoir la présence, dans le conseil de surveillance de la filiale, de membres de la direction de la société mère.
229 Cependant, il ne s’ensuit pas que Degussa ait reçu un traitement différent de celui des requérantes, constitutif d’une violation du principe d’égalité de traitement.
230 Il convient de souligner, en effet, que, tout comme les requérantes, Degussa a été également tenue pour responsable du comportement infractionnel de ses filiales (considérant 258 de la décision attaquée). Or, rien dans la décision attaquée ne permet de penser que la Commission l’aurait exonérée de cette responsabilité si elle n’avait pu relever l’élément additionnel susvisé.
231 À cet égard, il convient de rappeler que, aux considérants 245 à 252 de la décision attaquée, la Commission a exposé les principes qui l’ont guidée dans l’identification des destinataires de la décision attaquée. Il en ressort clairement que, en présence d’un contrôle de la totalité ou de la quasi-totalité du capital de la filiale, la Commission s’estimait en droit de constater l’absence d’autonomie de cette filiale sur le seul fondement de la présomption d’exercice d’une influence déterminante, à condition que celle-ci n’ait pas été renversée au cours de la procédure administrative et, partant, d’imputer son comportement infractionnel à sa société mère au motif que cette dernière faisait partie de la même entreprise (voir, notamment, considérants 247 et 248 de la décision attaquée).
232 Il convient donc de constater que, comme la Commission le fait valoir dans ses écritures, c’est seulement à titre surabondant qu’elle a relevé l’existence d’éléments autres que le lien capitalistique, lorsqu’ils étaient disponibles. Par ailleurs, en ce qui concerne le groupe Total, la Commission a également relevé le fait que les membres du conseil d’administration d’Arkema avaient été nommés par Elf Aquitaine. Toutefois, la Commission n’a nullement subordonné l’imputation du comportement infractionnel d’une filiale détenue à 100 % ou presque à sa société mère à l’existence de tels éléments additionnels. Cette interprétation est d’ailleurs confirmée par le fait que, s’agissant de certaines sociétés mères, la décision attaquée mentionne exclusivement le lien capitalistique. Tel est le cas de Total (considérant 266) et des sociétés du groupe Barlo, à savoir Barlo Plastics Europe NV, Barlo Plastics NV et Barlo Group plc (considérant 301).
233 Au demeurant, il y a lieu de rappeler que la méthode suivie par la Commission en l’espèce pour imputer l’infraction litigieuse aux requérantes est exacte, ainsi qu’il ressort de ce qui précède (voir point 49 ci-dessus).
234 Partant, la première branche du présent moyen doit être rejetée.
2. Sur la deuxième branche, tirée d’une violation du principe de la responsabilité personnelle et de son corollaire, le principe de la personnalité des peines
a) Arguments des parties
235 Les requérantes font valoir que le droit répressif, qui inclut le droit de la concurrence, repose sur deux principes fondamentaux, à savoir le principe de la responsabilité personnelle, en vertu duquel nul n’est responsable que de son propre fait, et son corollaire, le principe de la personnalité des peines, en vertu duquel seule la personne déclarée pénalement responsable doit subir les conséquences de la répression. Selon les requérantes, la jurisprudence a admis l’application de ces deux principes en droit de la concurrence.
236 Elles considèrent que la décision attaquée enfreint ces deux principes, dans la mesure où la Commission y a retenu l’existence et la responsabilité de l’entreprise unique formée par Arkema et ses sociétés mères et a condamné ces dernières au paiement solidaire de l’amende infligée à cette entreprise, et ce faute d’éléments concrets confortant la présomption d’influence déterminante.
237 La Commission conteste cette argumentation.
b) Appréciation du Tribunal
238 Il convient de rappeler que, eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent, la responsabilité pour la commission de ces infractions a un caractère personnel (arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C-49/92 P, Rec. p. I-4125, point 78). En outre, en vertu du principe d’individualité des peines et des sanctions, une personne, physique ou morale, ne doit être sanctionnée que pour les faits qui lui sont individuellement reprochés (arrêt du Tribunal du 13 décembre 2001, Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, T-45/98 et T-47/98, Rec. p. II-3757, point 63), principe qui est applicable dans toute procédure administrative susceptible d’aboutir à des sanctions en vertu des règles de concurrence de l’Union (arrêt du Tribunal du 4 juillet 2006, Hoek Loos/Commission, T-304/02, Rec. p. II-1887, point 118).
239 En l’espèce, il suffit de constater que l’argumentation des requérantes repose sur une prémisse erronée, selon laquelle aucune infraction n’a été constatée dans leur chef et aucune amende personnelle ne leur a été infligée. Au contraire, il ressort de ce qui précède que les requérantes ont été personnellement condamnées pour une infraction à l’article 81 CE, qu’elles sont censées avoir commise elles-mêmes en raison des liens économiques, organisationnels et juridiques qui les unissaient à leurs filiales et de l’absence d’autonomie de celles-ci sur le marché (voir, en ce sens, arrêt Metsä-Serla e.a./Commission, point 207 supra, points 27 et 34). Quant à l’argument selon lequel la présomption d’exercice d’une influence déterminante n’a pas été confortée par des éléments additionnels, il suffit de renvoyer à l’analyse développée dans le cadre de l’examen de la deuxième branche du quatrième moyen.
240 Par conséquent, la deuxième branche du présent moyen doit être rejetée.
3. Sur la troisième branche, tirée d’une violation du principe de légalité des délits et des peines
a) Arguments des parties
241 Les requérantes font valoir que, en portant atteinte aux principes de la responsabilité personnelle et de la personnalité des peines, la Commission, dans la décision attaquée, a enfreint également le principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege), applicable en droit de la concurrence, en vertu duquel une sanction, même de caractère non pénal, ne peut être infligée que si elle repose sur une base légale claire et non ambiguë.
242 En effet, dès lors que les textes applicables en l’espèce (c’est-à-dire les articles 81 CE et 53 EEE) répriment une infraction qui n’a pas été prouvée en ce qui concerne la participation des requérantes, la Commission, en adoptant la décision attaquée, les aurait condamnées en l’absence de tout texte.
243 La Commission conteste cette argumentation.
b) Appréciation du Tribunal
244 Il convient d’indiquer que la troisième branche du présent moyen repose sur une prémisse erronée et ne saurait donc être accueillie.
245 En effet, contrairement à ce que les requérantes allèguent, une infraction à l’article 81 CE a été prouvée les concernant (voir notamment point 239 ci-dessus). Or, les sanctions relatives à une telle infraction sont clairement prévues à l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003. Par conséquent, le principe nullum crimen, nulla poena sine lege a été respecté.
246 Il s’ensuit que le cinquième moyen doit être rejeté dans sa totalité.
F – Sur le sixième moyen, tiré d’une violation du principe de bonne administration
1. Arguments des parties
247 Les requérantes font valoir que la Commission a violé le principe de bonne administration, tel qu’il est consacré par la jurisprudence. Elles indiquent, à cet égard, que la Commission n’a pas examiné avec soin et impartialité tous les éléments pertinents et, en particulier, les informations que les requérantes lui avaient fournies dans leur réponse à la communication des griefs, qui établissaient de manière claire et précise l’autonomie économique d’Arkema sur le marché. Contrairement aux exigences résultant de la jurisprudence, la Commission n’aurait pas non plus procédé à un examen concret et individuel de la situation des requérantes. À leur avis, un tel examen était d’autant plus nécessaire en l’espèce que la Commission avait adopté une position nouvelle, allant au-delà de la jurisprudence et de sa pratique décisionnelle antérieure.
248 En outre, les requérantes relèvent que, dans leur réponse à la communication des griefs, elles avaient demandé à la Commission de ne pas rendre de décision dans la présente affaire avant que le juge de l’Union ne se soit prononcé sur une affaire similaire, actuellement pendante devant le Tribunal, relative à la décision AMCA. À leur avis, même si la Commission n’était pas tenue de suivre cette demande (voir considérant 270 de la décision attaquée), elle aurait toutefois dû, en raison de la nouveauté de l’approche appliquée en l’espèce, et dans un souci de bonne administration et d’économie de procédure, attendre le jugement du Tribunal dans l’affaire susvisée, avant d’adopter la décision attaquée.
249 La Commission conteste cette argumentation.
2. Appréciation du Tribunal
250 Dans la mesure où les requérantes font valoir que la Commission n’a pas examiné avec soin et impartialité tous les éléments pertinents que les requérantes lui avaient fournis dans leur réponse à la communication des griefs, il suffit de renvoyer aux points 138 à 142 ci-dessus, où ces arguments ont été rejetés. Dans le cadre du présent moyen, les requérantes n’avancent aucun élément supplémentaire de nature à modifier cette conclusion.
251 Quant au grief spécifique tiré de ce que la Commission n’a pas attendu, pour adopter la décision attaquée, l’arrêt du Tribunal dans les affaires ayant trait à la décision AMCA, force est de constater que les requérantes admettent elles-mêmes, dans leur requête, que la Commission n’était pas tenue d’accéder à leur demande en ce sens. Les requérantes se bornent donc à soutenir qu’elle aurait dû, néanmoins, « attendre prudemment » l’arrêt du Tribunal, dans un souci de bonne administration et d’économie de procédure. Sur ce dernier point, les requérantes exposent que le principe de bonne administration implique que la Commission ait conscience du « coût social considérable de tout procès » et de « l’usage abusif de ressources judiciaires [de l’Union] déjà exploitées à la limite de leurs capacités. » Force est de rappeler, toutefois, que la Commission ne saurait être freinée dans l’accomplissement de sa mission en matière de concurrence simplement parce que sa décision risque d’être contestée devant le juge.
252 Il convient de relever, par ailleurs, que c’est en conformité avec le principe de bonne administration que la Commission a refusé d’accéder à la demande des requérantes, compte tenu notamment des ressources administratives déjà consacrées à l’enquête et du risque de prescription en matière d’amendes, ladite prescription étant prévue par l’article 25 du règlement n° 1/2003.
253 Partant, le présent moyen doit être rejeté.
G – Sur le septième moyen, tiré d’une violation du principe de sécurité juridique
1. Arguments des parties
254 Les requérantes font valoir que, en appliquant le nouveau critère de l’imputabilité dans la décision attaquée, la Commission a enfreint le principe de sécurité juridique. Elles soulignent qu’elles se voient infliger en l’espèce une amende de 140,4 millions d’euros pour Total et de 181,35 millions d’euros pour Elf Aquitaine, solidairement avec Arkema, alors que, jusqu’à présent, et notamment dans la récente affaire ayant donné lieu à la décision Peroxydes organiques, qui était semblable au cas d’espèce, seule Arkema avait été condamnée. Cette versatilité de la Commission en matière d’imputabilité des infractions au droit de la concurrence, particulièrement s’agissant de celles commises par Arkema, serait une source d’insécurité juridique dommageable pour les requérantes et pour d’autres sociétés holdings ou faîtières de groupe, ayant des activités multiples.
255 En particulier, les requérantes indiquent que la Commission ne peut s’affranchir des impératifs du principe de sécurité juridique au nom d’une marge de manœuvre qui, dans des circonstances telles que celles de l’espèce, aboutirait à lui permettre un « arbitraire absolu incompatible avec la vie des affaires » et, surtout, s’avérerait contraire aux principes d’une communauté de droit.
256 La Commission conteste cette argumentation.
2. Appréciation du Tribunal
257 Il suffit de rappeler que la décision attaquée n’est pas la première décision par laquelle la Commission impute la responsabilité de l’infraction commise par Arkema à sa société mère sur la base de la présomption d’exercice d’une influence déterminante. En effet, dans la décision AMCA, la Commission avait déjà procédé à une telle imputation à Elf Aquitaine. Par conséquent, contrairement à ce que les requérantes suggèrent, la décision attaquée ne constitue pas un revirement dans la pratique de la Commission en matière d’imputabilité, y compris en ce qui concerne le groupe en question. En outre, dans leur réponse à la communication des griefs en l’espèce, les requérantes faisaient déjà référence au critère d’imputabilité appliqué par la Commission dans la décision AMCA, comme cela ressort par ailleurs de leurs arguments présentés dans le cadre du sixième moyen. Par conséquent, la prémisse du présent moyen, selon laquelle la Commission aurait appliqué à l’égard des requérantes un nouveau critère d’imputabilité est, en l’espèce, incorrecte.
258 En tout état de cause, il convient de rappeler que la Commission n’est pas tenue d’envisager systématiquement l’imputation du comportement infractionnel d’une filiale à sa société mère (voir point 109 ci-dessus). Dès lors, le fait qu’elle décide d’imputer la responsabilité de l’infraction constatée à l’entreprise composée de la société mère et de sa filiale, alors que, selon sa pratique antérieure, elle n’aurait pas envisagé de le faire, n’est pas constitutif d’une violation du principe de sécurité juridique.
259 Au demeurant, il convient de constater qu’il ressort de la décision Peroxydes organiques (considérants 373 à 391), invoquée par les requérantes, que la Commission n’a pas du tout analysé la problématique de la responsabilité de la société mère d’Arkema et, en particulier, qu’elle ne s’est pas prononcée sur la question de son autonomie par rapport à la société mère. Dès lors, même à supposer que les faits dans cette affaire aient été semblables à ceux de l’espèce, il ne peut être soutenu que cette décision constituait une quelconque garantie quant à la façon dont la Commission percevait les rapports entre Arkema et ses sociétés mères, ni d’ailleurs quant au critère d’imputabilité applicable à ce groupe de sociétés.
260 Partant, le présent moyen doit être rejeté.
H – Sur le huitième moyen, tiré de l’existence d’un détournement de pouvoir
1. Arguments des parties
261 Les requérantes estiment que, en leur imputant la responsabilité de l’entente en cause et en les condamnant solidairement avec Arkema au paiement d’une amende, la Commission a procédé à un usage détourné des pouvoirs qu’elle détient en vertu du règlement n° 1/2003. En effet, la sanction qui leur a été infligée aurait été détournée de son objectif légitime, à savoir punir une entreprise pour la commission d’une infraction aux règles de concurrence. Selon les requérantes, la Commission a poursuivi un autre objectif, à savoir celui de maximiser l’amende infligée à une autre entreprise, à savoir Arkema, laquelle avait reconnu sa responsabilité dans l’entente en cause.
262 Les requérantes font observer, à cet égard, que l’imputation qui leur a été faite de la responsabilité de l’infraction a permis à la Commission de faire reposer sa sanction sur le chiffre d’affaires du groupe Total, soit plus de 143 milliards d’euros (voir considérant 349 de la décision attaquée), contre 5,7 milliards d’euros si elle n’avait retenu que le chiffre d’affaires d’Arkema (voir considérant 14 de la décision attaquée). D’ailleurs, ce faisant, le chiffre d’affaires sur lequel la Commission s’est fondée intégrerait deux éléments extérieurs, à savoir l’augmentation du prix du pétrole, sans aucun lien avec le produit et l’infraction visés, et les droits d’accises que le groupe Total supporte.
263 Les requérantes soulignent, par ailleurs, que la position de la Commission ne peut être justifiée par la recherche d’un niveau d’amende suffisamment dissuasif, étant donné qu’aucune infraction ne pouvait être retenue les concernant.
264 La Commission conteste cette argumentation.
2. Appréciation du Tribunal
265 Selon une jurisprudence constante, une décision n’est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d’indices objectifs pertinents et concordants, avoir été prise pour atteindre des fins autres que celles excipées (voir arrêt du Tribunal du 16 septembre 1998, IECC/Commission, T-133/95 et T-204/95, Rec. p. II-3645, point 188, et la jurisprudence citée).
266 Il y a également lieu de rappeler que, conformément à l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, la Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises qui commettent une infraction à l’article 81 CE. Il est établi que les sanctions prévues à l’article 23 du règlement n° 1/2003 ont pour objet de punir les actes illégaux des entreprises concernées ainsi que de dissuader tant les entreprises en question que d’autres opérateurs économiques de violer, à l’avenir, les règles du droit de la concurrence de l’Union (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 29 juin 2006, Showa Denko/Commission, C-289/04 P, Rec. p. I-5859, point 16).
267 Dès lors, étant donné que les requérantes et Arkema formaient une entreprise au sens de l’article 81 CE et que ladite entreprise a participé à l’infraction litigieuse, la sanction qui leur a été infligée n’a en rien été détournée de sa finalité, y compris dans la mesure où, en l’adoptant, la Commission poursuivait un objectif de dissuasion.
268 Partant, le huitième moyen doit être rejeté.
I – Sur le neuvième moyen, tiré d’une violation des principes fondamentaux gouvernant la fixation des amendes
269 Dans le cadre de ce moyen, les requérantes soutiennent que la décision attaquée méconnaît un certain nombre de principes qui encadrent le pouvoir de la Commission de procéder à la fixation des amendes. Ce moyen s’articule en deux branches.
1. Sur la première branche, tirée d’une violation du principe d’égalité de traitement
a) Arguments des parties
270 Les requérantes font valoir que la décision attaquée enfreint le principe d’égalité de traitement que la Commission est tenue de respecter lorsqu’elle inflige des amendes. Cette violation résulterait du fait que la décision attaquée n’applique aux requérantes aucune réfaction initiale du montant de départ de leur amende, contrairement à ce qui a été fait à l’égard de Barlo, qui a vu le montant de départ de son amende réduit à hauteur de 25 % en raison de son ignorance de l’infraction globale (voir considérant 335 de la décision attaquée). À leur avis, elles auraient même dû se voir appliquer une réfaction bien supérieure à 25 %, puisque, contrairement à Barlo, elles n’ont jamais eu connaissance du moindre élément de l’infraction litigieuse, ainsi que la Commission l’aurait reconnu dans le mémoire en défense.
271 La Commission conteste cette argumentation.
b) Appréciation du Tribunal
272 Il convient d’observer que, lorsqu’elle fixe des amendes en vertu de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, la Commission est tenue de respecter les principes généraux du droit, et notamment le principe d’égalité de traitement. En vertu de ce principe, la Commission ne peut traiter des situations comparables de manière différente ou des situations différentes de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir, en ce sens, arrêt Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, point 85 supra, points 41 et 42, et la jurisprudence citée).
273 Ce principe n’a pas été violé en l’espèce.
274 En effet, la réduction de 25 % du montant de départ de l’amende de Barlo a été motivée par le fait qu’il « n’[était] pas évident de savoir si Barlo [avait] pris ou non part à des contacts collusoires concernant les PMMA - composants de moulage ou les PMMA - plaques sanitaires » et que, par conséquent, « il sembl[ait] que Barlo n’avait pas connaissance ou ne pouvait pas avoir eu nécessairement connaissance du projet global d’arrangements anticoncurrentiels ». Ces considérations ne concernaient pas une quelconque société précise du groupe Barlo, mais l’entreprise Barlo dans son entièreté. En d’autres termes, la participation aux comportements collusoires d’aucune des sociétés du groupe Barlo, et notamment celle de la filiale Barlo Plastics GmbH, n’avait été établie en ce qui concerne les produits susvisés (voir considérant 297 de la décision attaquée). Par ailleurs, la réduction ainsi accordée a bénéficié à toutes les sociétés du groupe Barlo, destinataires de la décision attaquée.
275 Or, s’agissant du groupe Total, il ressort de la décision attaquée (voir considérants 135 à 174 et 259) que la participation d’Atluglas et d’Altumax a été établie en ce qui concerne les trois produits concernés par l’entente en cause, ce qui, d’ailleurs, n’est pas contesté par les requérantes. C’est donc dans cette mesure que les requérantes ont été tenues pour responsables de l’infraction litigieuse. La situation des requérantes n’était donc pas comparable à celle de Barlo, de sorte que la Commission pouvait légitimement leur appliquer un traitement différent.
276 Il convient donc de rejeter la première branche du présent moyen.
2. Sur la seconde branche, tirée d’une violation de la présomption d’innocence et du principe de sécurité juridique, résultant de la méconnaissance de l’encadrement du pouvoir de la Commission quant à la prise en compte de l’effet dissuasif
277 Les requérantes font valoir que, conformément à la jurisprudence, le pouvoir de la Commission en matière de fixation des amendes est encadré par le juge de l’Union et que cet encadrement concerne également l’appréciation effectuée au titre de l’effet dissuasif de l’amende. En l’espèce, en tenant compte du chiffre d’affaires mondial de Total pour apprécier la taille et la puissance économique des requérantes et d’Arkema aux fins de l’effet dissuasif de l’amende, la Commission aurait violé la présomption d’innocence et le principe de sécurité juridique.
a) Sur la violation de la présomption d’innocence
Arguments des parties
278 En premier lieu, les requérantes font valoir qu’aucun élément ne permettait de retenir leur responsabilité dans l’entente en cause et donc de les sanctionner au titre de l’effet dissuasif. Elles relèvent que la Commission ne pouvait sanctionner qu’une seule entreprise, à savoir Arkema, et non le groupe, au titre de l’effet dissuasif et qu’elle aurait dû prendre en compte le seul chiffre d’affaires d’Arkema pour déterminer la majoration du montant de départ de l’amende.
279 En second lieu, la Commission aurait également violé la présomption d’innocence en justifiant sa position par le fait que le but d’un groupe de sociétés, lorsqu’il crée une filiale, serait de l’associer à un comportement répréhensible pour échapper ainsi à une véritable sanction en droit de la concurrence ou à en limiter l’ampleur (voir considérant 345 de la décision attaquée). Il s’agirait, selon les requérantes, d’un présupposé, qui ferait des sociétés mères des délinquants présumés et des récidivistes potentiels.
280 La Commission conteste cette argumentation.
Appréciation du Tribunal
281 En premier lieu, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort de ce qui précède, c’est à bon droit que la Commission a imputé l’infraction litigieuse aux requérantes, au motif qu’elles formaient avec leurs filiales une seule entreprise, et les a tenues solidairement pour responsables du paiement de l’amende. Par conséquent, le fait que la Commission, dans la décision attaquée, les a tenues solidairement pour responsables du paiement de l’amende et que la Commission, en infligeant cette amende, poursuivait notamment un objectif de dissuasion, ne constitue pas une violation de la présomption d’innocence.
282 En second lieu, s’agissant du considérant 345 de la décision attaquée, invoqué par les requérantes, la Commission y a constaté ce qui suit :
« Si la Commission décidait, en reprenant l’argumentation développée par Total/Elf Aquitaine, d’infliger à Atofina une amende moins importante que ce que justifie la taille de l’entreprise dont elle fait partie, une très grosse entreprise participant à une ou à plusieurs ententes pourrait échapper à des amendes élevées en créant de petites filiales au chiffre d’affaires peu élevé afin de les impliquer dans un comportement illicite. En infligeant une amende suffisamment élevée à une grande entreprise pour chacune des infractions commises par ses entités, la sanction la dissuadera certainement d’adopter un tel comportement. »
283 Ainsi, il s’agit d’une considération d’ordre général, qui ne peut nullement être considérée comme constituant une violation de la présomption d’innocence à l’égard des requérantes. Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que les amendes infligées en matière de concurrence ont pour objet de punir les actes illégaux des entreprises concernées ainsi que de dissuader tant les entreprises en question que d’autres opérateurs économiques de violer, à l’avenir, les règles de la concurrence de l’Union (arrêt Showa Denko/Commission, point 266 supra, point 16). Dès lors, la Commission doit pouvoir déterminer de quelle façon les règles de la concurrence sont susceptibles d’être violées à l’avenir, pour adapter sa politique en conséquence, sans que cet exercice intellectuel constitue, en soi, une violation de la présomption d’innocence.
284 Par conséquent, le présent grief doit être rejeté.
b) Sur la violation du principe de sécurité juridique
Arguments des parties
285 Les requérantes font valoir que la Commission a méconnu le principe de sécurité juridique, en ce qu’elle a sanctionné Elf Aquitaine au titre de l’effet dissuasif dans la décision attaquée, alors qu’elle ne l’avait pas fait dans la décision Peroxydes organiques. Pourtant, cette dernière décision aurait porté sur des faits identiques à ceux du cas d’espèce quant à l’autonomie dont jouissait Arkema sur le marché et à l’ignorance d’Elf Aquitaine concernant ces deux infractions.
286 La Commission conteste cette argumentation.
Appréciation du Tribunal
287 Il suffit de constater que, si la Commission n’a pas sanctionné Elf Aquitaine dans la décision Peroxydes organiques, y compris au titre de l’effet dissuasif, il s’agit là d’une simple conséquence de ce que cette décision ne lui était pas adressée, la Commission ne lui ayant pas imputé l’infraction en question.
288 Or, s’agissant de la question de savoir si cette différence d’approche en matière d’imputation constitue une violation du principe de sécurité juridique, cette argumentation a été analysée et rejetée dans le cadre du septième moyen.
289 Par ailleurs, il convient de relever qu’Elf Aquitaine a bien été sanctionnée dans la décision AMCA et que la Commission a majoré le montant de départ de l’amende pour lui assurer un niveau suffisamment dissuasif, compte tenu de sa taille et de ses ressources globales (considérants 298 à 300 de la décision AMCA).
290 Partant, la seconde branche du moyen doit être rejetée, de même que le neuvième moyen dans sa totalité.
J – Sur le dixième moyen, présenté à titre subsidiaire, fondé sur une réduction du montant de l’amende à un niveau approprié
1. Arguments des parties
291 Par le présent moyen, les requérantes demandent, à titre subsidiaire, une réduction du montant de l’amende.
292 En premier lieu, elles demandent une réduction d’au moins 25 % du montant de départ de l’amende qui leur a été infligée, en raison de leur ignorance de l’infraction à laquelle leur filiale commune a participé. Elles rappellent qu’il s’agit d’une réduction transposant celle appliquée au montant de départ de l’amende de Barlo. Ainsi, le montant de départ de leur amende ne devrait pas excéder 48,74 millions d’euros, au lieu de 65 millions d’euros retenus par la Commission dans la décision attaquée.
293 En second lieu, les requérantes demandent une réduction du montant de l’amende fondée sur leur récente condamnation à deux amendes substantielles. Elles relèvent que, dans d’autres affaires, la Commission a procédé à une telle réduction pour tenir compte du fait que des amendes importantes avaient déjà été infligées aux sociétés concernées. Elle aurait suivi la même démarche au profit d’entreprises déjà condamnées à des amendes importantes dans une précédente affaire d’entente, lorsque les périodes infractionnelles de ces deux affaires étaient pratiquement les mêmes. Les requérantes renvoient, à cet égard, respectivement à la décision C (2002) 5083 final de la Commission, du 17 décembre 2002, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E-2/37.667 – Graphites spéciaux) (ci-après la « décision Graphites spéciaux ») et à la décision PVC II.
294 Les requérantes précisent qu’elles ont été condamnées, le 19 janvier 2005, au paiement d’une amende de 45 millions d’euros, solidairement avec leur filiale Arkema, dans l’affaire ayant donné lieu à la décision AMCA, et, le 3 mai 2006, au paiement d’une amende de 78,663 millions d’euros solidairement avec cette même filiale (dont Elf Aquitaine est tenue pour responsable à hauteur de 65,1 millions d’euros et Total à hauteur de 42 millions d’euros) dans l’affaire ayant donné lieu à la décision C (2006) 1766 de la Commission, du 3 mai 2006, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/F/C.38.620 - Peroxyde d’hydrogène et perborate). Ainsi, elles auraient été condamnées en l’espace d’un peu plus d’un an au paiement de près de 300 millions d’euros d’amende pour des infractions auxquelles elles estiment qu’elles sont totalement étrangères et sur la base d’une pratique décisionnelle entièrement nouvelle. Selon les requérantes, ces condamnations constituent des circonstances atténuantes justifiant une minoration additionnelle du montant de départ de l’amende.
295 La Commission conclut au rejet de la demande subsidiaire des requérantes.
2. Appréciation du Tribunal
296 En premier lieu, s’agissant de l’argument tiré de la réduction accordée à Barlo, il y a lieu de rappeler que sa situation n’était pas comparable à celle des requérantes (voir points 275 et 276 ci-dessus). Le Tribunal estime, par conséquent, que les requérantes ne sauraient bénéficier d’aucune réduction à ce titre.
297 En second lieu, s’agissant de la demande de réduction du montant de l’amende fondée sur leur condamnation récente à deux amendes substantielles, il convient de relever que, dès lors que les requérantes ont commis trois infractions distinctes aux dispositions de l’article 81, paragraphe 1, CE, il était loisible à la Commission d’infliger aux requérantes trois amendes distinctes, respectant chacune les limites fixées par l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Carbone-Lorraine/Commission, T-73/04, Rec. p. II-2661, point 56). Chacune de ces amendes devait nécessairement reposer sur l’appréciation de la durée et de la gravité propre de l’infraction qu’elle sanctionne. Or, il convient de constater que l’imposition d’une amende aux requérantes pour diverses activités anticoncurrentielles visant d’autres produits n’affecte pas la réalité de l’infraction litigieuse (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 décembre 2007, BASF et UCB/Commission, T-101/05 et T-111/05, Rec. p. II-4949, point 52).
298 Par conséquent, le seul fait que les requérantes ont été récemment condamnées à deux autres amendes, pour des infractions en partie simultanées, ne saurait justifier la réduction de l’amende infligée en l’espèce. Par ailleurs, si le fait d’avoir déjà été sanctionné justifiait la réduction d’une amende ultérieure, cela aboutirait à une situation paradoxale où une entreprise multipliant sa participation dans des ententes verrait le coût marginal de chaque sanction diminuer progressivement. Une telle situation serait manifestement contraire à l’objectif de dissuasion poursuivi par les amendes.
299 Or, les requérantes ne font valoir aucun élément de nature à démontrer que l’imposition de l’amende en l’espèce, combinée avec d’autres amendes récentes, les aurait placées dans une situation particulière. À cet égard, il convient de souligner notamment que ces amendes, même combinées, restent toujours largement en dessous du seuil de 10 % du chiffre d’affaires de Total, seuil qui est établi par le règlement n° 1/2003 pour une seule amende. Par ailleurs, compte tenu de ce qui précède, il ne saurait être soutenu que les requérantes ont été condamnées en l’espèce pour une infraction à laquelle elles étaient « totalement étrangères », et ce sur la base d’une pratique « entièrement nouvelle ».
300 S’agissant finalement de l’invocation par les requérantes des décisions Graphites spéciaux et PVC II, elle est en soi inopérante, le Tribunal n’étant pas lié par ces décisions dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction. En tout état de cause, il convient de souligner que, à la différence de la présente affaire, dans la décision PVC II, la Commission ne s’est pas appuyée sur la méthodologie énoncée dans les lignes directrices, cette décision étant antérieure à celles-ci. Quant à la décision Graphites spéciaux, la Commission y a accordé une réduction de l’amende, en raison de graves difficultés financières de l’entreprise concernée combinées à une condamnation récente de celle-ci au paiement d’amendes pour une infraction commise simultanément au droit de la concurrence (voir considérants 556 à 559 de la décision Graphites spéciaux). Or, les requérantes n’allèguent pas se trouver dans une situation comparable, en particulier sur le plan de la santé financière.
301 Par ailleurs, aucun autre élément apporté par les requérantes en l’espèce n’est de nature à entraîner la réduction du montant de l’amende.
302 En particulier, même si les requérantes allèguent, sans être contredites par la Commission, que, à partir du 18 mai 2006, Arkema a constitué un groupe pleinement autonome sur le plan juridique et capitalistique par rapport aux requérantes (voir point 73 ci-dessus) et s’il apparaît, par conséquent, que, au jour où la décision attaquée a été adoptée, les requérantes ne formaient plus une seule entreprise avec leurs anciennes filiales, cet élément ne saurait être que sans conséquence pour le montant de l’amende infligée aux requérantes.
303 En effet, compte tenu de la façon dont l’amende a été déterminée par la Commission en l’espèce, la scission du groupe après la période infractionnelle concernée mais avant l’adoption de la décision attaquée pourrait être, tout au plus, pertinente pour la détermination du facteur multiplicateur appliqué pour garantir un effet dissuasif de l’amende, compte tenu de la taille et de la puissance économique des entreprises concernées (voir point 14 ci-dessus et considérants 337 à 350 de la décision attaquée). À cet égard, il ressort de la jurisprudence que les ressources globales d’une entreprise, qui peuvent varier, en diminuant ou en augmentant, de manière significative en un laps de temps relativement bref, en particulier entre la cessation de l’infraction et l’adoption de la décision infligeant l’amende, doivent donc être évaluées, afin d’atteindre correctement l’objectif de dissuasion, et ce dans le respect du principe de proportionnalité, au jour où l’amende est infligée (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 5 avril 2006, Degussa/Commission, T-279/02, Rec. p. II-897, points 285 et 288). Cependant, en l’espèce, il ressort clairement de la décision attaquée que la scission avec Arkema, dont le chiffre d’affaires s’élevait à environ 5,7 milliards d’euros en 2005 (considérant 14 de la décision attaquée), n’a pas pu entraîner une diminution significative du chiffre d’affaires du groupe Total, pris en compte par la Commission pour fixer le facteur multiplicateur de 3 (environ 143 milliards d’euros en 2005, voir considérant 349 de la décision attaquée), de nature à rendre ce facteur multiplicateur injustifié à l’égard des requérantes.
304 Partant, la demande de réduction de l’amende doit être rejetée.
K – Sur la demande de réouverture de la procédure orale
305 Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 23 décembre 2009, les requérantes ont demandé la réouverture de la procédure orale, conformément à l’article 62 du règlement de procédure. Au soutien de cette demande, elles ont fait valoir que, lors de l’audience, en particulier dans ses remarques conclusives, la Commission a avancé certaines affirmations qui doivent être rectifiées, sous peine de porter atteinte aux droits de la défense des requérantes.
306 En vertu de l’article 62 du règlement de procédure, le Tribunal dispose, en ce qui concerne la demande de réouverture de la procédure orale, d’un pouvoir discrétionnaire. Toutefois, le Tribunal n’est tenu de faire droit à une telle demande que si la partie intéressée se fonde sur des faits de nature à exercer une influence décisive qu’elle n’avait pas pu faire valoir avant la fin de la procédure orale (arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Chemie Linz/Commission, C-245/92 P, Rec. p. I-4643, point 83).
307 En l’espèce, d’une part, la demande susvisée se fonde sur des éléments que les requérantes ont pu faire valoir avant la fin de la procédure orale. Tel est notamment le cas des affirmations de la Commission concernant la nomination des administrateurs d’Arkema, élément qui figure dans la décision attaquée et que les requérantes ont commenté dans leur requête. De même, s’agissant des arguments de la Commission tirés d’autres affaires en matière d’imputabilité, les requérantes ont pu présenter leurs observations sur le caractère prétendument spécifique de la présente affaire par rapport au dernier état de la jurisprudence et à la pratique décisionnelle récente de la Commission. Plus précisément, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, le Tribunal a spécifiquement demandé aux requérantes de développer, lors de l’audience, les conséquences qu’elles tiraient pour le présent litige de l’arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, point 37 supra.
308 D’autre part, et en tout état de cause, la demande des requérantes ne contient aucun élément décisif pour l’issue du litige. En particulier, s’agissant des exemples concrets d’intervention des requérantes dans la gestion des filiales concernées, donnés par la Commission lors de l’audience, il suffit de rappeler que la Commission ne s’est pas fondée sur ces éléments dans la décision attaquée. Par conséquent, ces éléments ne sont pas pertinents pour l’examen de la validité de celle-ci et les rectifications souhaitées par les requérantes sur ce point n’auraient aucune utilité pour l’issue du litige.
309 Partant, la demande de réouverture de la procédure orale est rejetée, de même que le recours dans son intégralité.
Sur les dépens
310 Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Total SA et Elf Aquitaine SA sont condamnées aux dépens.
Czúcz |
Labucka |
O’Higgins |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 juin 2011.
Signatures
Table des matières
Antécédents du litige
A – Introduction
B – Procédure administrative
C – Décision attaquée
1. Destinataires de la décision attaquée
2. Calcul de l’amende
Procédure et conclusions des parties
En droit
A – Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation des règles gouvernant l’imputabilité aux sociétés mères des infractions commises par leurs filiales
1. Sur la deuxième branche, tirée d’une erreur de droit quant à l’interprétation de la jurisprudence relative à l’imputabilité et quant au respect par la Commission de sa pratique décisionnelle
a) Sur la validité de la présomption d’exercice d’une influence déterminante en ce qu’elle serait fondée sur le seul critère de la participation de la société mère au capital de sa filiale
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
b) Sur le faisceau d’indices apporté par les requérantes pour établir l’autonomie d’Arkema sur le marché
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
2. Sur la première branche, tirée d’une erreur de droit dans la détermination du critère de l’imputabilité
a) Arguments des parties
b) Appréciation du Tribunal
3. Sur la troisième branche, tirée d’une violation du principe d’autonomie économique de la personne morale
a) Arguments des parties
b) Appréciation du Tribunal
B – Sur le premier moyen, tiré d’une violation des droits de la défense
1. Sur la première branche, tirée de l’impossibilité pour les requérantes d’avoir pu se défendre utilement
a) Sur le grief concernant la violation du principe de l’égalité des armes, résultant de ce que la Commission n’aurait pas assumé le fardeau de la preuve qui lui incombait
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
b) Sur le grief concernant l’absence de prise en compte des éléments résultant de la procédure administrative
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
2. Sur la seconde branche, tirée de la violation de la présomption d’innocence
a) Arguments des parties
b) Appréciation du Tribunal
C – Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation
1. Sur la première branche, tirée d’une violation de l’obligation de motivation renforcée en raison de la nouveauté de la position de la Commission
a) Arguments des parties
b) Appréciation du Tribunal
2. Sur la deuxième branche, tirée de l’existence d’une contradiction de motifs
a) Arguments des parties
b) Appréciation du Tribunal
3. Sur la troisième branche, tirée de l’absence de réponse de la Commission aux réfutations de la présomption d’exercice d’une influence déterminante
a) Arguments des parties
b) Appréciation du Tribunal
D – Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du caractère unitaire de la notion d’entreprise au sens de l’article 81 CE et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003
1. Arguments des parties
2. Appréciation du Tribunal
E – Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation de plusieurs principes essentiels reconnus par l’ensemble des États membres et faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union
1. Sur la première branche, tirée d’une violation du principe de non-discrimination
a) Arguments des parties
b) Appréciation du Tribunal
2. Sur la deuxième branche, tirée d’une violation du principe de la responsabilité personnelle et de son corollaire, le principe de la personnalité des peines
a) Arguments des parties
b) Appréciation du Tribunal
3. Sur la troisième branche, tirée d’une violation du principe de légalité des délits et des peines
a) Arguments des parties
b) Appréciation du Tribunal
F – Sur le sixième moyen, tiré d’une violation du principe de bonne administration
1. Arguments des parties
2. Appréciation du Tribunal
G – Sur le septième moyen, tiré d’une violation du principe de sécurité juridique
1. Arguments des parties
2. Appréciation du Tribunal
H – Sur le huitième moyen, tiré de l’existence d’un détournement de pouvoir
1. Arguments des parties
2. Appréciation du Tribunal
I – Sur le neuvième moyen, tiré d’une violation des principes fondamentaux gouvernant la fixation des amendes
1. Sur la première branche, tirée d’une violation du principe d’égalité de traitement
a) Arguments des parties
b) Appréciation du Tribunal
2. Sur la seconde branche, tirée d’une violation de la présomption d’innocence et du principe de sécurité juridique, résultant de la méconnaissance de l’encadrement du pouvoir de la Commission quant à la prise en compte de l’effet dissuasif
a) Sur la violation de la présomption d’innocence
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
b) Sur la violation du principe de sécurité juridique
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
J – Sur le dixième moyen, présenté à titre subsidiaire, fondé sur une réduction du montant de l’amende à un niveau approprié
1. Arguments des parties
2. Appréciation du Tribunal
K – Sur la demande de réouverture de la procédure orale
Sur les dépens
* Langue de procédure : le français.