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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Hauck (Advocate General's Opinion) (French text) [2014] EUECJ C-205/13_O (14 May 2014) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2014/C20513_O.html Cite as: [2014] EUECJ C-205/13_O |
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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MACIEJ SZPUNAR
présentées le 14 mai 2014 (1)
Affaire C‑205/13
Hauck GmbH & Co. KG
contre
Stokke A/S
Stokke Nederland BV
Peter Opsvik
et
Peter Opsvik A/S
[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas)]
«Marques – Motifs de refus ou de nullité de l’enregistrement – Marque tridimensionnelle constituée par la forme du produit – Directive 89/104/CEE – Article 3, paragraphe 1, sous e), premier tiret – Signe constitué exclusivement par la forme imposée par la nature du produit – Article 3, paragraphe 1, sous e), troisième tiret – Signe constitué exclusivement par la forme qui donne une valeur substantielle au produit – Chaise d’enfant Tripp Trapp»
I – Introduction
1. La problématique des marques représentant le produit lui-même n’est pas nouvelle en droit de la propriété intellectuelle. Il résulte des travaux réalisés dans le cadre de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) que les juridictions françaises ont admis, dès la moitié du dix-neuvième siècle, la possibilité de protéger les marques représentant la forme du produit lui-même ou de son emballage – cette protection a par exemple été accordée en 1858 à une marque consistant en la forme d’une tablette de chocolat (2).
2. Il ne fait aucun doute que la question de l’enregistrement de ce type de signe se caractérise par une spécificité essentielle. Celle-ci tient au fait que la différence entre le signe et l’objet auquel le signe renvoie a tendance à disparaitre: l’objet devient un signe renvoyant à lui-même. Cela implique, en droit des marques, un risque que l’exclusivité issue de l’enregistrement de la marque s’étende à certaines caractéristiques du produit se manifestant dans la forme de ce dernier, ce qui peut aboutir, par voie de conséquence, à restreindre la possibilité d’introduire des produits concurrents sur le marché.
3. Le droit de l’Union relatif aux marques a pris cette circonstance en considération. En effet, une disposition particulière a été introduite s’agissant des signes représentant la forme du produit. À l’époque concernée par les circonstances du cas d’espèce, la disposition correspondante figurait à l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive 89/104/CEE (3).
4. Les questions formulées dans le renvoi préjudiciel du Hoge Raad der Nederlanden (la Cour suprême des Pays-Bas) concernent une demande d’annulation de l’enregistrement d’une marque tridimensionnelle représentant la chaise d’enfant Tripp Trapp. La présente affaire offre pour la première fois à la Cour l’occasion d’interpréter la portée de deux motifs de refus visés à l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive 89/104, lequel interdit l’enregistrement d’une marque constituée exclusivement par la forme «imposée par la nature même du produit» (premier tiret de cette disposition) ou «qui donne une valeur substantielle au produit» (troisième tiret).
II – Cadre juridique
A – Droit de l’Union
5. L’article 3, paragraphe 1, de la directive 89/104, intitulé «Motifs de refus ou de nullité», dispose:
«Sont refusés à l’enregistrement ou susceptibles d’être déclarés nuls s’ils sont enregistrés:
[…]
e) les signes constitués exclusivement:
– par la forme imposée par la nature même du produit,
– par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique,
– par la forme qui donne une valeur substantielle au produit;
[…]».
B – La convention Benelux
6. Le droit des marques au Pays-Bas est régi par la convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (marques et dessins ou modèles), signée à La Haye le 25 février 2005 (ci-après, la «convention Benelux»). L’article 2.1 de cette convention, intitulé «Signes susceptibles de constituer une marque Benelux», dispose:
«[…]
2. Toutefois, ne peuvent être considérés comme marques les signes constitués exclusivement par la forme qui est imposée par la nature même du produit, qui donne une valeur substantielle au produit ou qui est nécessaire à l’obtention d’un résultat technique».
III – Le litige au principal
7. Au début des années 1970, Peter Opsvik a conçu le modèle de la chaise pour enfant Tripp Trapp. Ce modèle a été primé à de nombreuses reprises et présenté dans les musées.
8. En 1972, le groupe Stokke, dont font partie deux des sociétés défenderesses au principal, à savoir la société de droit norvégien Stokke A/S et la société de droit néerlandais Stokke Nederland BV, a mis la chaise Tripp Trapp sur le marché. Les deux autres parties défenderesses au principal, à savoir Peter Opsvik et la société de droit norvégien Peter Opsvik A/S, détiennent également les droits de propriété intellectuelle sur la forme en question.
9. Le 8 mai 1998, Stokke A/S a déposé auprès de l’Office Benelux de la Propriété intellectuelle une demande d’enregistrement pour une marque tridimensionnelle représentant la forme de la chaise Tripp Trapp. La demande d’enregistrement concernait des «chaises, et notamment des chaises pour enfants», relevant de la classe 20 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que modifié. La marque précitée, enregistrée sous le numéro 0639972 (ci-après, la «marque Tripp-Trapp») concerne la forme représentée ci-dessous:
10. La société de droit allemand Hauck GmbH & Co. KG (ci-après la «société Hauck») exerce une activité de production et de distribution d’articles pour enfants, dont deux modèles de chaise pour enfants, désignés par les appellations «Alpha» et «Beta».
11. Stokke A/S, Stokke Nederland BV, Peter Opsvik i Peter Opsvik A/S (ci-après, conjointement, «Stokke i Opsvik») ont saisi le Rechtbank ʼs-Gravenhage d’un recours contre la société Hauck, en faisant valoir que la vente des chaises «Alpha» et «Beta» violait leurs droits d’auteur ainsi que leurs droits issus de l’enregistrement de la marque Tripp-Trapp.
12. La société Hauck a formé une demande reconventionnelle, concluant notamment à l’annulation de la marque Tripp-Trapp.
13. Par jugement en date du 4 octobre 2000, le Rechtbank ʼs- Gravenhage a accueilli le recours de Stokke et Opsvik en ce qui concerne la violation des droits d’auteur. Pour le reste, cette juridiction a considéré que la prétention de la demande reconventionnelle était fondée, et a déclaré la nullité de l’enregistrement de la marque Tripp Trapp.
14. Saisi en appel, le Gerechtshof ʼs-Gravenhage a partiellement annulé le jugement précité, s’agissant notamment des conclusions indemnitaires fondées sur la violation des droits d’auteurs. Ledit jugement a été confirmé en ce qu’il avait déclaré la nullité de l’enregistrement de la marque.
15. Ainsi qu’il ressort de la décision de la juridiction de renvoi, Stokke et Opsvik ont fait valoir en appel que la valeur substantielle de la chaise Tripp Trapp ne tenait pas tant à l’attrait exercé par cette chaise qu’à sa fonction utilitaire. Ils ont également soutenu que la forme couverte par la marque Tripp Trapp n’est pas exclusivement imposée par la nature du produit, dès lors que l’on prend en considération la variété des formes de chaise pour enfants. La société Hauck a en revanche soutenu que la forme attrayante de la chaise Tripp-Trapp exerce une influence sur la valeur substantielle du produit et, en outre, que cette forme est en grande partie fonctionnelle et donc déterminée par la nature du produit.
16. Dans son arrêt, le Gerechtshof ʼs-Gravenhage a notamment indiqué que la forme en cause est très attrayante et qu’elle donne une valeur substantielle à la chaise Tripp Trapp. Cette chaise apparaît, en raison précisément de sa forme, comme étant particulièrement adaptée à une utilisation pour les enfants. Elle constitue une chaise sûre, solide et confortable, et sa forme doit dès lors être considérée comme «pédagogique» et «ergonomique». Partant, la forme de la chaise Tripp Trapp est déterminée par la nature du produit. Le consommateur achète ainsi cette chaise en raison de ses qualités tant esthétiques que pratiques. Il est possible de considérer que les consommateurs recherchent ces caractéristiques dans les produits concurrents. La marque qui, à l’instar de la marque Tripp Trapp, est constituée exclusivement par une forme dont les caractéristiques essentielles résultent de la nature du produit et donnent à celui-ci une valeur substantielle, relève des motifs de nullité visés à l’article 2.1, paragraphe 2, de la convention Benelux. Il importe peu, à cet égard, que les caractéristiques précitées du produit puissent être obtenues par le biais d’autres formes.
17. Les deux parties du litige au principal ont saisi le Hoge Raad d’un pourvoi en cassation.
IV – La question préjudicielle et la procédure devant la Cour
18. C’est dans ce contexte que le Hoge Raad a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
1) a) Le motif de refus ou de nullité de l’article 3, paragraphe 1, sous e), [premier tiret], de la directive [89/104], telle que codifiée dans la directive [2008/95], lequel implique que les marques tridimensionnelles ne sauraient être exclusivement constituées par la forme imposée par la nature même des produits, vise-t-il une forme indispensable à la fonction du produit, ou ce motif s’applique-t-il aussi en présence d’une ou de plusieurs caractéristiques utilitaires essentielles du produit, que le consommateur recherche éventuellement dans les produits concurrents?
b) Si aucune de ces deux approches ne peut être retenue, comment cette disposition doit-elle être interprétée?
2) a) Le motif de refus ou de nullité de l’article 3, paragraphe 1, sous e), [troisième tiret], de la directive [89/104], telle que codifiée dans la directive [2008/95], lequel implique que les marques tridimensionnelles ne sauraient être exclusivement constituées par une forme qui donne une valeur substantielle aux produits, vise-t-il la raison (ou les raisons) ayant conduit le public pertinent à prendre la décision d’achat?
b) La notion de «forme qui donne une valeur substantielle au produit» (4), au sens de la disposition précitée, vise-t-elle uniquement la forme devant être considérée comme la valeur principale ou prépondérante par comparaison avec d’autres valeurs (telles que, s’agissant de chaises pour enfants, la sécurité, le confort et la qualité du matériel), ou vise-t-elle aussi, outre la forme, d’autres valeurs de ce produit qu’il convient également de considérer comme substantielles?
c) Pour répondre à la question 2, sous a) et b), la perception de la majorité du public pertinent doit-elle être considérée comme l’élément déterminant, ou le juge peut-il estimer que la perception d’une partie seulement de ce public suffit pour considérer la valeur en cause comme «substantielle» au sens de la disposition précitée?
d) Au cas où il convient de privilégier la deuxième option pour répondre à la question 2, sous c), quelle exigence convient-il de poser quant à l’ampleur de la partie pertinente du public?
3) L’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive [89/104] telle que codifiée dans la directive [2008/95], doit-il être interprété en ce sens que le motif de refus ou de nullité visé par cette disposition s’applique également lorsque la marque composée d’une forme est constituée par un signe auquel le [premier tiret] est applicable, et qui, pour le reste, relève du motif visé au [troisième tiret] de cette disposition?
19. La demande de décision préjudicielle est parvenue à la Cour le 18 avril 2013.
20. Des observations écrites ont été déposées par les parties du litige au principal, les gouvernements allemand, italien, et polonais, le gouvernement du Royaume Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, le gouvernement portugais et la Commission européenne.
21. Ces parties, à l’exception des gouvernements italien et portugais, ont également participé à l’audience, qui s’est tenue le 26 février 2014.
V – Analyse
22. J’ai déjà eu l’occasion de rappeler qu’hormis les motifs généraux de refus ou de nullité de l’enregistrement d’une marque, la directive 89/104 contient, à l’article 3, paragraphe 1, sous e), une disposition spéciale concernant uniquement les signes constitués par la forme du produit concerné (5).
23. Le fait que l’un quelconque des trois motifs de l’article 3, paragraphe 1, sous e), trouve à s’appliquer fait obstacle à l’enregistrement de la marque. Ces motifs revêtent une portée définitive dans la mesure où, à la différence des motifs de refus visés à l’article 3, paragraphe 1, sous a), c) ou d) de la directive, leur application ne saurait être écartée du fait que la marque en cause reçoit un «caractère distinctif acquis» en raison de l’usage qui a été fait de ladite marque (article 3, paragraphe 3, de la directive) (6).
24. La Cour a déjà interprété à plusieurs reprises le motif visé à l’article 3, paragraphe 1, sous e), deuxième tiret, de la directive. Ce motif porte sur le refus d’enregistrer les marques qui sont «constituées exclusivement par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique» (7). En l’espèce, la Cour est invitée à interpréter l’article 3, paragraphe 1, sous e), premier et troisième tirets. La demande de la juridiction de renvoi porte aussi sur la possibilité d’appliquer éventuellement ces deux motifs de manière cumulative.
A – Ratio legis de l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive
25. La Cour considère qu’il convient d’interpréter les différents motifs de refus ou de nullité énumérés à l’article 3, paragraphe 1, de la directive à la lumière de l’intérêt général qui sous-tend chacun d’entre eux (8).
26. Il ressort de la jurisprudence de la Cour concernant l’article 3, paragraphe 1, sous e), deuxième tiret, de la directive, que l’intérêt général sous-tendant cette disposition consiste à éviter qu’un monopole soit octroyé sur certaines caractéristiques essentielles d’un produit et issues de la forme de ce dernier.
27. Selon la Cour, l’article 3, paragraphe 1, sous e), deuxième tiret de la directive tend à éviter que l’enregistrement de la marque aboutisse à conférer un monopole sur des solutions techniques ou des caractéristiques utilitaires d’un produit, susceptibles d’être recherchées par l’utilisateur dans les produits des concurrents. Cette disposition entend ainsi éviter que la protection conférée par la marque ne fasse obstacle à ce que les concurrents puissent offrir librement des produits incorporant lesdites solutions techniques ou lesdites caractéristiques utilitaires (9).
28. Il ne fait aucun doute que l’objectif précité sous-tend l’ensemble des trois motifs visés à l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive. Ces trois motifs visent à maintenir dans le domaine public les caractéristiques essentielles du produit concerné, lesquelles se reflètent dans la forme de ce dernier.
29. Par ailleurs, la raison d’être fondamentale de cet objectif relève des prémisses axiologiques du droit de la protection des marques.
30. La marque, en tant que bien immatériel, dispose de la faculté de susciter, chez le public, des associations déterminées entre un produit (ou un service) et le signe concerné (10). Grâce à ce dernier, le destinataire peut faire le lien entre la marque concernée et l’origine de produits présentant un niveau de qualité constant. La marque garantit l’uniformité des caractéristiques des produits achetés, et de cette manière diminue, premièrement, le risque lié à l’accès restreint à l’information et, deuxièmement, le coût de la recherche d’un produit correspondant. Ainsi, le régime des marques renforce la transparence du marché, remédiant à la disproportion existant entre les conditions complexes de commercialisation et la connaissance limitée qu’en a le consommateur (11).
31. En raison de ses fonctions économiques, le régime de protection des marques constitue un élément indispensable qui sert à établir une concurrence loyale en fonction des prix et de la qualité des produits(12). Il convient de relever à cet égard que l’exclusivité dans l’utilisation d’un bien immatériel donné, qui constitue la caractéristique de tous les droits de propriété intellectuelle, n’a pas en général pour conséquence, en ce qui concerne les marques, de restreindre la concurrence. L’exclusivité d’utilisation du signe concerné (la marque) ne limite pas la liberté des concurrents d’offrir leurs produits. Ils peuvent librement faire leur choix dans l’ensemble des signes potentiels (des marques) dont le nombre est par nature illimité.
32. Toutefois, dans certaines situations, l’existence de droits exclusifs sur la marque peut aboutir à une distorsion de la concurrence.
33. L’article 3, paragraphe 1, sous e) de la directive vise à éviter que l’enregistrement de la forme permette d’obtenir un avantage concurrentiel déloyal en instaurant une exclusivité sur les caractéristiques essentielles du produit, lesquelles sont importantes du point de vue d’une concurrence effective sur le marché concerné. Une telle situation aboutirait à remettre en cause l’objectif pour lequel le régime de protection des marques a été instauré.
34. Le cumul de la protection fondée sur l’enregistrement de la marque et de celle issue d’autres droits de propriété intellectuelle fournit un exemple, qui n’est pas unique, d’une telle utilisation du régime de protection des marques. Il convient à cet égard d’indiquer expressément qu’un tel cumul est en principe admis en droit de l’Union. À titre d’exemple, l’enregistrement d’un modèle ou dessin industriel n’exclut pas que la même forme tridimensionnelle bénéficie d’une protection au titre d’une marque dès lors, bien entendu, que les conditions d’enregistrement de la marque sont satisfaites (13).
35. Il convient néanmoins de garder en mémoire que l’objectif du régime de protection des marques, qui vise à instaurer les fondements d’une concurrence loyale en renforçant la transparence du marché, se distingue des prémisses sous-tendant la protection de certains autres droits de propriété intellectuelle, lesquels visent, en substance, à promouvoir l’innovation et la créativité.
36. Cette différence d’objectifs explique pourquoi la protection résultant de l’enregistrement d’une marque n’est pas limitée dans le temps, tandisque le législateur a limité dans le temps la protection des autres droits de propriété intellectuelle. Cette limitation résulte d’un équilibre entre, d’une part, l’intérêt public consistant à protéger l’innovation et la créativité et, d’autre part, l’intérêt économique consistant à pouvoir tirer profit des découvertes intellectuelles d’autres personnes afin de promouvoir un développement économique et social continu.
37. Si le droit des marques était utilisé afin d’allonger l’exclusivité sur les biens immatériels protégés au titre d’autres droits de propriété intellectuelle, une telle utilisation serait susceptible, après l’extinction de ces autres droits, de porter atteinte à l’équilibre des intérêts que le législateur a défini, notamment en limitant la durée de la protection applicable au titre de ces autres droits.
38. Cette question est régie de manière diverse dans les différents systèmes juridiques(14). Le législateur de l’Union l’a résolue en définissant des critères normatifs susceptibles de faire obstacle, de manière absolue, à l’enregistrement d’une marque constituée par la forme du produit.
39. Ces critères, visés à l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive, préviennent une utilisation du droit des marques à des fins qui ne seraient pas conformes aux prémisses sous-tendant ce droit. Ils visent à protéger une concurrence loyale en empêchant qu’un monopole ne soit octroyé sur les caractéristiques essentielles du produit concerné, lesquelles sont importantes du point de vue d’une concurrence effective sur le marché concerné. Ces critères visent, en particulier, à assurer aussi l’équilibre des intérêts que le législateur a défini en limitant la durée de la protection applicable au titre de certains autres droits de propriété intellectuelle.
40. C’est au vu des observations qui précèdent que j’aborderai les questions adressées par la juridiction de renvoi.
B – Interprétation de l’article 3, paragraphe 1, sous e), premier tiret de la directive (première question)
41. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande à la Cour d’interpréter la notion de «forme imposée par la nature même du produit».
42. En ce qui concerne le contexte de cette question, il résulte de la décision du Hoge Raad que les caractéristiques de la forme de la chaise pour enfants précitée sont, au moins en partie, conditionnées par ses caractéristiques fonctionnelles, et en particulier par sa sécurité, son confort et sa solidité. Cette chaise se caractérise également par ses qualités «pédagogiques» et «ergonomiques».
43. Stokke et Opsvik ont soutenu, dans le cadre du litige au principal, que les caractéristiques de la chaise précitée ne sont pas suffisantes pour constater l’applicabilité du motif de refus ou de nullité tenant à la forme imposée par la nature du produit (article 3, paragraphe 1, sous e), premier tiret). Selon Stokke et Opsvik, ce motif de refus ou de nullité concerne les produits de forme prédéfinie, ne pouvant revêtir une forme de substitution.
44. Comme je l’ai déjà indiqué, la Cour n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, sous e), premier tiret(15).
45. Il convient avant tout de souligner qu’il existe deux positions quant à la manière d’interpréter cette disposition, et que celles-ci se reflètent tant dans la doctrine en la matière que dans les observations des participants à la procédure.
46. Selon la première position, retenant une interprétation stricte, la notion de «forme imposée par la nature même du produit» concerne la forme qui est indissociablement liée à la nature du produit concerné, et qui ne laisse donc au producteur aucune latitude pour un apport personnel(16). Cette interprétation limite le champ d’application du motif en question aux produits ne disposant pas de forme alternative, et donc aux produits naturels (l’exemple classique de l’application de ce motif étant l’exclusion de la possibilité d’enregistrer la «forme de la banane pour les bananes») et aux produits manufacturés dont les caractéristiques de forme font l’objet de normes (comme par exemple celles d’un ballon de rugby).
47. Cette position paraît s’imposer dans la pratique administrative de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (ci-après, l’ «OHMI») s’agissant de la marque communautaire(17).
48. Selon la seconde position, fondée sur une interprétation extensive, le motif en question vise, pour l’ensemble des produits, la forme la plus communément adoptée, et reflétant le plus fidèlement la nature même du produit concerné (18). Il s’agit ici des signes typiques de la catégorie sémantique concernée, c’est-à-dire des signes renvoyant aux représentations que se fait le public des caractéristiques essentielles du produit concerné. L’interdiction d’enregistrement viserait exclusivement les caractéristiques de la catégorie (les caractéristiques génériques) du produit concerné, soit celles résultant de la fonction de ce dernier. En revanche, l’interdiction ne concernerait pas les caractéristiques spécifiques du produit concerné ni celles résultant d’une application particulière de ce produit (19).
49. Selon cette seconde interprétation, ne saurait être admise à l’enregistrement une forme constituée exclusivement par les caractéristiques ordinairement attribuées au produit concerné telles que, pour se servir d’exemples fournis à l’audience par le gouvernement britannique et fréquemment mentionnés en doctrine, la forme d’un parallélépipède pour une brique, la forme d’un récipient doté d’un bec, d’un couvercle et d’une anse pour une théière, ou la forme des dents de la fourchette pour une fourchette.
50. À mon sens, bien que la première position, retenant une interprétation stricte, puisse être admise à titre d’interprétation littérale de la disposition concernée, elle n’est pas pertinente au regard de la ratio legis de cette disposition.
51. Tout d’abord, cette première position risque de porter atteinte à l’essence même du motif visé à l’article 3, paragraphe 1, sous e), premier tiret, de la directive. Il est en effet difficilement concevable qu’un législateur rationnel ait prévu un motif de refus ou de nullité au champ d’application aussi restreint, se limitant en réalité aux formes créées par la nature ou instaurées de manière uniforme par des normes. Une interprétation aussi restrictive de ce critère apparaît superflue, étant donné que de telles formes ne sont manifestement dotées d’aucun caractère distinctif, ni ne peuvent en acquérir par voie d’usage. Leur enregistrement serait en tout état de cause exclu en vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive, et l’article 3, paragraphe 3, ne trouverait nullement à s’appliquer à leur égard.
52. En outre, l’interprétation aussi restrictive ainsi proposée pour la disposition en question n’aurait pas seulement pour effet de priver cette dernière de portée normative. Cette interprétation serait également contraire à la prémisse selon laquelle les trois critères visés à l’article 3, paragraphe 1, sous e), visent le même objectif (20).
53. Avant de conclure sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, sous e), premier tiret, il est souhaitable de se référer à la jurisprudence de la Cour relative au deuxième tiret de cette disposition. Il convient de rappeler que cette disposition interdit l’enregistrement de la «forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique». Dans l’arrêt Philips, la Cour a indiqué que ce motif se réfère aux formes dont les caractéristiques essentielles (je souligne) assurent une fonction technique. L’instauration de l’exclusivité inhérente à la protection de la marque ne saurait faire obstacle à la possibilité pour les concurrents d’offrir des produits incorporant cette même fonction technique. Elle ne saurait non plus constituer un obstacle limitant la possibilité pour les concurrents de choisir une solution visant à obtenir un résultat technique déterminé. Dès lors que les caractéristiques fonctionnelles essentielles de la forme d’un produit sont attribuables uniquement au résultat technique, ledit article 3, paragraphe 1, sous e), deuxième tiret, exclut l’enregistrement d’un signe constitué par ladite forme, même si le résultat technique en cause peut être atteint par d’autres formes (21).
54. Selon moi, eu égard au fait que les trois motifs visés à l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive visent le même objectif, le raisonnement précité s’applique également dans le cas du motif excluant l’enregistrement d’un signe constitué exclusivement par «la forme imposée par la nature même du produit».
55. Au vu de ce qui précède, je considère que l’article 3, paragraphe 1, sous e), premier tiret, de la directive exclut l’enregistrement d’une forme dont l’ensemble des caractéristiques essentielles résultent de la nature du produit concerné et sont donc conditionnées par la fonction utilitaire assurée par le produit.
56. J’estime à cet égard qu’il convient de prendre en considération la circonstance suivante: certaines caractéristiques de la forme revêtent une importance particulière pour la fonction assurée par le produit concerné. Il peut également s’agir de caractéristiques de forme que l’on pourrait difficilement qualifier de nécessaires pour obtenir un «résultat technique» au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous e), deuxième tiret de la directive.
57. Dans la mesure où il s’agit ici de caractéristiques revêtant une importance essentielle pour la fonction du produit concerné, il s’agit aussi sans aucun doute de caractéristiques que l’utilisateur pourra chercher dans les produits concurrents. D’un point de vue économique, il s’agit de caractéristiques de forme qui n’ont pas de substitut équivalent approprié (disposant d’une substituabilité parfaite).
58. Réserver de telles caractéristiques au bénéfice d’un seul opérateur économique ferait obstacle à ce que des entreprises concurrentes attribuent à leurs produits une forme qui serait tout aussi utile à l’utilisation de ces derniers. Il s’ensuivrait que le propriétaire de la marque se verrait octroyer un avantage significatif exerçant une incidence négative sur la structure de la concurrence sur le marché concerné.
59. Au vu des observations qui précèdent, il ne fait aucun doute que l’article 3, paragraphe 1, sous e), premier tiret, de la directive exclut manifestement l’enregistrement de formes dont les caractéristiques essentielles résultent de la fonction du produit concerné. Il pourrait ainsi s’agir, par exemple, de pieds accolés à un plateau horizontal en ce qui concerne une table, ou d’une semelle de forme orthopédique dotée d’une lanière en forme de «v» en ce qui concerne des tongs. Cependant, la disposition précitée peut également revêtir une importance significative pour apprécier l’admissibilité des marques constituées par des formes de produits manufacturés plus complexes, comme par exemple la forme de la coque d’un voilier ou celle des hélices d’un avion.
60. Il convient ici de prendre aussi en considération le fait que, s’agissant des motifs de refus ou de nullité visés à l’article 3, paragraphe 1, sous b), c) et d) de la directive, le législateur a prévu la possibilité pour le signe de recevoir un caractère distinctif acquis en raison de l’usage qui a été fait de ce signe, conformément à l’article 3, paragraphe 3, de la directive.
61. En revanche, on ne saurait se fonder sur l’article 3, paragraphe 3, de la directive pour exclure l’application du motif de refus ou de nullité visé à l’article 3, paragraphe 1, sous e), premier tiret. L’application dudit motif signifie donc que l’enregistrement de la forme concernée est définitivement exclu. Cette considération est conforme à l’objectif de la disposition en cause, dans la mesure où cette dernière vise à ce que les caractéristiques essentielles de la forme, importantes pour la fonction du produit concerné, ne soient pas soumises à un monopole dès que l’existence d’un caractère distinctif acquis est démontrée.
62. L’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, sous e), premier tiret, de la directive nécessite en outre de prendre en considération la circonstance, survenant également dans le cadre du motif visé au deuxième tiret, dans laquelle l’enregistrement d’une marque représentant la forme d’un produit peut faire obstacle non seulement à l’utilisation de la forme concernée, mais également à celle de formes similaires. En cas d’enregistrement d’un signe représentant une forme constituée exclusivement par des caractéristiques imposées par la nature même du produit, de nombreuses formes de substitution pourraient s’avérer inaccessibles aux concurrents(22).
63. Ce constat revêt une portée particulière pour les formes de produits utilitaires, dans le cas desquels la nécessité d’obtenir un résultat fonctionnel impose des limites à l’invention créatrice. Cette circonstance justifie que soient refusées à l’enregistrement les formes dont les caractéristiques essentielles sont définies exclusivement par les fonctions utilitaires du produit concerné.
64. En revanche, selon moi, le motif de refus ou de nullité visé à l’article 3, paragraphe 1, sous e), premier tiret ne s’applique pas aux formes qui, en dehors des caractéristiques fonctionnelles de la catégorie concernée (caractéristiques fonctionnelles génériques), comprennent d’autres caractéristiques importantes. Ces dernières ne sauraient cependant résulter directement de la fonction du produit concerné, et doivent uniquement constituer la manifestation d’une application particulière de cette fonction. On peut évoquer, à titre d’exemple d’une telle application particulière, le manche d’une brosse à dent dont la forme serait inspirée d’histoires pour enfants, ou encore la caisse de résonnance d’une guitare conçue avec une forme différente de celle que l’on imagine ordinairement pour un tel instrument.
65. Il convient selon moi, à la lumière des observations qui précèdent, de répondre comme suit à la première question, sous a), de la juridiction de renvoi. L’article 3, paragraphe 1, sous e), premier tiret, de la directive concerne la forme dont l’ensemble des caractéristiques essentielles sont imposées par la nature même du produit, et il importe peu à cet égard que ledit produit puisse revêtir d’autres formes alternatives.
66. Eu égard à l’interprétation qui précède, il n’y a pas lieu de répondre à la première question, sous b).
C – Interprétation de l’article 3, paragraphe 1, sous e), troisième tiret, de la directive
67. Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi aborde un certain nombre de problèmes ayant trait à l’interprétation du motif de refus ou de nullité tiré de la «forme qui donne une valeur substantielle au produit».
68. Il résulte de l’ordonnance de la juridiction de renvoi que Stokke et Opsvik mettent en cause, dans le litige au principal, la constatation du Gerechtshof ʼs‑Gravenhage selon laquelle la forme en cause relève du champ d’application du motif précité dans la mesure où elle est très attrayante et confère une valeur importante à la chaise pour enfants Tripp Trapp. Ils soutiennent en particulier que les consommateurs achètent la chaise Tripp Trapp avant tout parce qu’elle constitue une chaise solide, sûre, fonctionnelle et ergonomique. En outre, le design de la chaise ne constituerait pas la raison fondamentale de cet achat, bien qu’il influe sur la valeur de cette chaise.
69. Il convient, à titre liminaire, de relever que l’article 3, paragraphe 1, sous e), troisième tiret, de la directive n’est pas formulé de manière transparente. En témoignent les grandes différences d’interprétation existantes pour cette disposition (23).
70. À mon sens, l’ensemble des manières d’interpréter l’article 3, paragraphe 1, sous e), troisième tiret, envisagées par la doctrine et la jurisprudence se fondent sur des prémisses téléologiques similaires. Ces considérations sont issues de la prémisse selon laquelle l’interdiction d’enregistrer des formes donnant une valeur substantielle au produit a pour objectif de tracer une limite entre la protection des marques et celle d’autres biens immatériels (protégés au titre du droit des dessins et modèles industriels ou du droit d’auteur). Il convient donc, pour l’interprétation de la disposition concernée, d’exclure le cas dans lequel le droit des marques serait exclusivement utilisé pour atteindre les objectifs que visent d’autres droits de propriété intellectuelle (24).
71. Considérer que les prémisses téléologiques sont similaires ne permet cependant pas d’obtenir une interprétation uniforme de l’article 3, paragraphe 1, sous e), troisième tiret de la directive.
72. À cet égard, il est possible de constater que deux lignes jurisprudentielles se distinguent. Il s’agit, d’une part, de la jurisprudence rendue essentiellement par les juridictions allemandes et, d’autre part, de celle des chambres de recours de l’OHMI et du Tribunal de l’Union européenne.
73. Selon la jurisprudence du Bundesgerichtshof (25) (la Cour suprême fédérale allemande) et la doctrine allemande (26), la disposition concernée exclut l’enregistrement d’une forme lorsque les qualités esthétiques du produit, qui se manifestent dans la forme de ce dernier, sont si importantes que la fonction principale de la marque, à savoir renvoyer à une origine déterminée, perd de son importance. Si en revanche, aux yeux des personnes concernées par le commerce du produit en cause, ledit produit n’est pas exclusivement constitué par la seule forme esthétique, mais que cette forme est uniquement un «élément» de la totalité du produit, dont la fonction utilitaire ou la finalité reposent sur d’autres caractéristiques, alors l’enregistrement de cette forme peut être admise.
74. À la lumière de cette interprétation, le motif de refus ou de nullité en question concerne avant tout les œuvres d’arts et l’art appliqué, ainsi que les produits manufacturés répondant exclusivement à une fonction décorative. En revanche, elle n’exclut pas l’enregistrement de la forme pour les produits qui, hormis une fonction décorative, remplissent également d’autres fonctions utilitaires, tels que par exemple une chaise ou un fauteuil (27).
75. La pratique décisionnelle de l’OHMI, qui a été confirmée par l’arrêt rendu par le Tribunal dans l’affaire Bang & Olufsen/OHMI (Représentation d’un haut-parleur) (28), retient une solution différente.
76. Selon cet arrêt, le fait de considérer que la forme donne une valeur substantielle au produit n’exclut pas que d’autres caractéristiques, telles que les qualités techniques dans le cas d’un haut-parleur, puissent également conférer une valeur importante à ce produit. En d’autres termes, le simple fait que le design du produit en cause soit un élément essentiel aux yeux du consommateur démontre que la forme donne une valeur substantielle à ce produit. Il est à cet égard sans pertinence que le consommateur prenne également en considération les autres caractéristiques dudit produit (29). Il apparaît que cette interprétation est retenue de manière constante dans les décisions de l’OHMI (30).
77. Selon la première ligne jurisprudentielle, représentée avant tout par la jurisprudence des juridictions allemandes, le motif visé au troisième tiret s’applique exclusivement aux cas dans lesquels la qualité esthétique de la forme en cause est tellement importante que la fonction principale de la marque perd de son importance. Une telle situation se constate lorsque la valeur économique du produit concerné se fonde exclusivement sur le design, comme dans le cas des œuvres des arts appliqués ou de certains produits manufacturés de collection.
78. Pour ma part, cette position suscite des interrogations. Je souscris bien évidemment à l’approche selon laquelle la forme d’une œuvre d’art, y compris d’une œuvre des arts appliqués, ne saurait, eu égard à sa nature même, remplir la fonction d’une marque par rapport à une telle œuvre. Néanmoins, le fait que la forme ne constitue qu’un objet esthétique et, partant, qu’elle ne puisse assurer la fonction d’une marque ne représente pas, à mon sens, l’unique cas visé par l’hypothèse sous‑tendant la disposition précitée. Il m’est donc difficile de souscrire à la prémisse essentielle de la position discutée, selon laquelle la notion de forme «qui donne une valeur substantielle au produit» se limite aux cas où la valeur économique du produit consiste uniquement en la forme esthétique de ce dernier.
79. Selon moi, l’interprétation de la disposition en cause devrait tendre à attribuer à cette dernière un sens conforme à l’objectif général de l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive. Cette dernière disposition vise à ce que la protection de la marque ne soit pas utilisée à des fins autres que celles pour laquelle elle a été instaurée, et en particulier à ce qu’elle ne soit pas utilisée pour obtenir un avantage déloyal sur le marché, c’est-à-dire un avantage ne résultant pas d’une concurrence fondée sur le prix et sur la qualité.
80. À mon sens, le motif visé à l’article 3, paragraphe 1, sous e), troisième tiret vise à exclure l’octroi de tout monopole sur les caractéristiques extérieures du produit qui n’assurent pas de fonction technique ou utilitaire, mais qui cependant augmentent substantiellement l’attrait suscité par ce produit et influent de manière importante sur la préférence des consommateurs.
81. Selon cette interprétation, le champ d’application du motif défini au troisième tiret de la disposition concernée ne se limite pas aux œuvres d’art ou aux œuvres des arts appliqués. Il vise également tous les autres produits utilitaires dont le design constitue l’un des éléments essentiels décidant de leur attractivité, et donc de leur succès sur le marché.
82. À cet égard, je ne me réfère pas uniquement à certaines catégories de produits qui, de manière générale, sont achetés en raison de leur forme esthétique, comme c’est le cas de la bijouterie ou des couverts décorés.
83. La disposition en cause concerne également, selon moi, les produits qui ne sont pas ordinairement perçus comme des objets assurant une fonction ornementale, mais pour lesquels l’aspect esthétique de la forme joue un rôle important sur un certain segment défini du marché, comme c’est le cas pour les meubles de design.
84. Certes, personne n’achète des haut-parleurs uniquement pour les disposer dans un coin d’une pièce en vue de décorer cette dernière. Néanmoins, sur un certain segment donné du marché, la forme des haut-parleurs décidera indubitablement de l’attrait qu’ils exerceront.
85. L’interprétation que je propose pour la disposition concernée prend en considération le fait qu’un produit donné peut assurer de multiples fonctions. Il ne fait en effet aucun doute qu’hormis sa fonction utilitaire première (par exemple celle d’un haut-parleur, conçu comme un équipement permettant d’écouter de la musique), le produit peut également répondre à d’autres besoins du consommateur. Il est concevable qu’une valeur significative du produit ne soit pas uniquement due aux caractéristiques permettant à ce produit d’assurer sa fonction utilitaire, mais également à ses qualités esthétiques (par exemple, le haut-parleur peut également assurer une fonction décorative). Le fait qu’en dehors de sa fonction esthétique le produit concerné assure également une fonction utilitaire ne doit pas, selon moi, exclure la possibilité de faire application de l’article 3, paragraphe 1, sous e), troisième tiret, de la directive. Tels est le cas, à mon sens, de certains produits de design, dont la forme revêt des caractéristiques esthétiques qui constituent le motif principal ou au moins l’un des motifs principaux décidant le consommateur à acheter un tel produit.
86. Il convient en revanche d’analyser de manière distincte la question des circonstances factuelles devant être prises en considération pour démontrer que la forme en cause du produit attribue à ce dernier une «valeur substantielle» [deuxième question, sous a), c) et d)].
87. La question de la juridiction de renvoi concerne avant tout l’éventuelle nécessité de prendre en considération la manière dont la forme en cause est perçue par le public ciblé.
88. Il convient de relever en premier lieu que les motifs de refus ou de nullité visés à l’article 3, paragraphe 1, de la directive peuvent, de manière simplifiée, être distingués en deux groupes. Il y a, premièrement, les motifs en vertu desquels l’admissibilité de l’enregistrement s’apprécie du point de vue du consommateur, dans la mesure où ces motifs concernent les signes qui, ne pouvant servir au public d’indication sur l’origine du produit ou pouvant induire ce dernier en erreur (sous b) et sous g)), ne répondent pas au critère exigeant que la marque dispose d’un caractère distinctif. Il y a, deuxièmement, les motifs qui visent aussi à protéger les entreprises concurrentes, dans la mesure où ils ont pour objectif de maintenir certains signes dans le domaine public (sous c) et sous e)).
89. Lorsqu’on analyse la conformité du signe en cause au regard du premier groupe de motifs, la manière dont le signe est perçu par le public ciblé doit nécessairement être prise en considération (31). S’agissant ensuite du deuxième groupe de motifs, la manière dont le signe en cause est perçu doit être appréciée dans une perspective plus large. Il convient de prendre en considération tant la perception du signe en cause par le public pertinent que les conséquences économiques qui résulteront du fait que ce signe est réservé à une seule entreprise. En d’autres termes, il convient d’apprécier si l’enregistrement du signe n’affecte pas la possibilité d’introduire des produits concurrents sur le marché.
90. S’agissant de l’interprétation d’une disposition analogue à l’article 3, paragraphe 1, sous e), deuxième tiret, de la directive, la Cour a jugé que la perception du signe par le consommateur moyen n’est pas un élément décisif et qu’elle peut, tout au plus, constituer un élément d’appréciation utile pour l’autorité compétente lorsque celle-ci identifie les caractéristiques essentielles du signe (32).
91. Je considère que l’on peut appliquer un raisonnement similaire pour l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, sous e), troisième tiret, de la directive.
92. Je n’exclue pas que, dans le cadre de l’application de l’article 3, paragraphe 1, sous e), troisième tiret, de la directive, la perception présumée du consommateur puisse revêtir une importance plus grande que dans le cadre de l’application du deuxième tiret de cette disposition. À la différence du cas des formes nécessaires à l’obtention d’un résultat technique (deuxième tiret), l’appréciation visant à déterminer si la forme en cause donne une valeur substantielle au produit (troisième tiret), en raison par exemple de ses caractéristiques esthétiques, implique nécessairement de prendre en considération le point de vue du consommateur moyen.
93. Cependant, comme cela a été indiqué au point 89 ci-dessus, la manière dont le consommateur perçoit la forme en cause n’est pas un critère décisif d’appréciation. Elle ne constitue que l’une des nombreuses constatations factuelles, en principe objectives, destinées à démontrer que les caractéristiques esthétiques de la forme en cause exercent sur l’attrait exercé par le produit une influence si importante que le fait d’en réserver le bénéfice à une seule entreprise fausserait les conditions de concurrence sur le marché concerné. Les autres circonstances de ce type sont, par exemple: la nature de la catégorie concernée de produits, la valeur artistique de la forme en cause, la spécificité de cette forme par rapport à d’autres formes généralement présentes sur le marché concerné, la différence notable de prix par rapport à des produits manufacturés concurrents aux caractéristiques similaires, ou la mise au point par le producteur d’une stratégie promotionnelle mettant principalement en avant les caractéristiques esthétiques du produit en cause (33).
94. Au vu des observations qui précèdent, je considère que pour répondre à la deuxième question, sous b), de la juridiction de renvoi, il convient de considérer que la notion de forme «qui donne une valeur substantielle au produit» au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous e), troisième tiret, de la directive vise la forme dont les caractéristiques esthétiques constituent un des principaux éléments décidant de la valeur de marché du produit en cause, tout en constituant une des raisons principales pour lesquelles le consommateur décide d’acheter ledit produit. Cette interprétation n’exclut pas que le produit présente d’autres caractéristiques importantes pour le consommateur.
95. En revanche, s’agissant des interrogations formulées dans la deuxième question, sous a), c), et d), il convient d’indiquer que la perception du consommateur moyen constitue l’une des circonstances devant être prises en compte pour apprécier l’applicabilité du motif en cause, et parmi celles-ci figurent aussi, notamment, la nature de la catégorie concernée de produits, la spécificité de cette forme par rapport à d’autres formes généralement présentes sur le marché concerné, la valeur artistique de la forme en cause, la différence notable de prix par rapport à des produits manufacturés concurrents, ou l’existence d’une stratégie promotionnelle mettant principalement en avant les caractéristiques esthétiques du produit en cause. Aucune de ces circonstances n’est en elle-même décisive.
D – Possibilité d’une application cumulative des motifs visés à l’article 3, paragraphe 1, sous e), premier et troisième tirets de la directive (troisième question)
96. Par sa troisième question, la juridiction de renvoi analyse la possibilité d’appliquer cumulativement les deux motifs distincts de refus ou de nullité qui sont respectivement visés au premier et au troisième tirets de l’article 3, paragraphe 1, sous e).
97. Il ressort de l’ordonnance de la juridiction de renvoi que cette question concerne l’admissibilité de l’enregistrement d’un signe représentant une forme tridimensionnelle, dont certaines caractéristiques donnent une valeur substantielle au produit (troisième tiret) et alors que les autres sont imposées par la nature même du produit (premier tiret).
98. Les opinions des parties à la procédure divergent sur la question de savoir si une telle application cumulative est possible (34).
99. À mon sens, la réponse à cette question est fournie, dans une certaine mesure, par la structure normative de l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive, qui comprend trois conditions alternatives, dont chacune instaure un motif autonome de refus ou de nullité de l’enregistrement. De par sa structure, cette disposition paraît exclure son application dans les cas où aucun de ces trois motifs ne serait pleinement applicable.
100. Cette position se fonde également sur une interprétation littérale. Selon le libellé de cette disposition, chacun des trois motifs alternatifs énumérés à l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive concerne des signes constitués «exclusivement» par les formes respectivement visées par les tirets correspondants.
101. Si l’on prend ensuite en considération l’interprétation téléologique de l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive, cette disposition vise alors, comme je l’ai déjà indiqué, un seul et même objectif général. Chacun des trois motifs figurant aux différents tirets vise à éviter que l’exclusivité sur le signe en cause n’aboutisse à octroyer un monopole sur les caractéristiques essentielles du produits, se reflétant dans la forme de ce dernier.
102. L’interprétation que je propose pour l’article 3, paragraphe 1, sous e), signifie que l’application du critère figurant au premier tiret de cette disposition n’exclut pas que le produit en cause puisse revêtir différentes formes, et elle signifie aussi que l’application du critère figurant au troisième tiret n’exclut pas que le produit remplisse, en dehors de sa fonction esthétique, d’autres fonctions tout aussi importantes pour le consommateur.
103. À la lumière de l’interprétation ainsi retenue pour l’article 3, paragraphe 1, sous e) de la directive, l’application cumulative des motifs en question n’apparaît pas indispensable pour atteindre l’objectif visé par cette disposition.
104. En l’espèce, si la juridiction nationale considérait que la forme de la chaise Tripp Trapp donne une valeur substantielle à ce produit au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous e), troisième tiret, de la directive, et donc qu’elle remplit pleinement les conditions d’application de ce motif, il serait sans pertinence que cette forme présente également d’autres caractéristiques, telle que la sécurité ou des exigences d’ergonomie, lesquelles seraient susceptibles d’être en outre appréciées sous l’angle du motif visé à l’article 3, paragraphe 1, sous e), premier tiret, de la directive.
105. L’interprétation ainsi proposée pour l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive n’exclut donc pas que les mêmes circonstances fassent l’objet d’analyses parallèles visant à déterminer si plusieurs des motifs visés dans les différents tirets sont applicables. Le refus ou la nullité d’un enregistrement n’est possible que lorsque les conditions d’application d’au moins l’un des motifs précités sont pleinement remplies.
106. Cependant, je souhaiterais en dernier lieu émettre une réserve quant à l’interprétation ainsi proposée pour la disposition en cause.
107. Je souhaiterais en particulier faire observer que l’application cumulative des motifs visés à l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive devrait être admise dans le cas de signes qui sont uniquement perçus par les consommateurs comme un ensemble de différentes formes. Je fais ici référence aux signes qui représentent plusieurs objets distincts, comme par exemple le signe représentant la disposition d’une station essence ou l’apparence d’un magasin de vente au détail(35), et qui en fait ne représentent pas la forme d’un produit, mais reflètent matériellement les conditions dans lesquelles le service en cause est presté.
108. À mon avis, pour autant que l’on considère que les signes «composites» de cette catégorie peuvent assurer la fonction d’une marque, il conviendrait également d’apprécier si une application cumulative des critères est admissible quand l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive est appliqué à de tels signes.
109. Cette question sort du cadre de la présente affaire.
110. Au vu des observations qui précèdent, il convient selon moi d’apporter la réponse suivante à la troisième question: un même signe peut être apprécié parallèlement sous l’angle des différents motifs visés par l’article 3, paragraphe 1, sous e), premier et troisième tirets, mais le refus ou la nullité de l’enregistrement d’une marque n’est applicable que lorsque les conditions d’application d’au moins l’un des motifs précités sont pleinement remplies.
VI – Conclusion
111. À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour d’apporter la réponse suivante à la question déférée par le Hoge Raad der Nederlanden:
«1. La notion de forme «imposée par la nature même du produit» au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous e), premier tiret, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, concerne la forme dont l’ensemble des caractéristiques essentielles résultent de la nature du produit concerné. Il importe peu que ce produit puisse également revêtir d’autres formes alternatives.
2. La notion de forme «qui donne une valeur substantielle au produit» au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous e), troisième tiret, de la directive vise la forme dont les caractéristiques esthétiques constituent l’un des principaux éléments décidant de la valeur de marché du produit en cause, tout en constituant l’une des raisons principales pour lesquelles le consommateur décide d’acheter ledit produit. Cette interprétation n’exclut pas que le produit présente d’autres caractéristiques importantes pour le consommateur.
La perception du consommateur moyen constitue l’une des circonstances devant être prises en compte pour apprécier l’applicabilité du motif en cause, et parmi celles-ci figurent aussi, notamment, la nature de la catégorie concernée de produits, la valeur artistique de la forme en cause, la spécificité de cette forme par rapport à d’autres formes généralement présentes sur le marché concerné, la différence notable de prix vis-à-vis de produits manufacturés concurrents, ou l’existence d’une stratégie promotionnelle mettant principalement en avant les caractéristiques esthétiques du produit en cause. Aucune de ces circonstances n’est en elle-même décisive.
3. Un même signe peut être apprécié parallèlement sous l’angle des différents motifs visés par l’article 3, paragraphe 1, sous e), premier et troisième tirets, mais le refus ou la nullité de l’enregistrement d’une marque n’est applicable que lorsque les conditions d’application d’au moins l’un des motifs précités sont pleinement remplies.»
1 – Langue originale: le polonais.
2 – Voir les travaux de la dix-septième session du comité permanent du droit des marques, des dessins et modèles industriels et des indications géographiques de l’OMPI, relative aux nouveaux types de marques (accessibles à l’adresse http://www.wipo.int/policy/fr/sct/). La doctrine de l’époque a soutenu que l’enregistrement de telles marques ne devrait pas susciter de doutes, à l’exception des formes «voulues par la force même des choses» ou commandées par les besoins de la fabrication. On a même relevé qu’il était possible de cumuler cette protection à celle des dessins et modèles industriels issue de la loi de 1806 relative aux dessins et modèles industriels; voir E. Pouillet, Traité des marques de fabrique et de la concurrence déloyale en tous genres, Paris, Marchal et Billard 1875, pages 38 à 41. Dans la Pologne de l’entre-deux guerres, l’article 107 de la loi du 5 février 1924 relative à la protection des inventions, dessins et marques admettait expressément la possibilité d’enregistrer les marques constituées par des formes tridimensionnelles.
3 – Première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p.1, ci-après la «directive»). Cette directive a été ultérieurement remplacée par la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO L 299, p. 25). Néanmoins, compte tenu des circonstances du cas d’espèce, la directive 89/104/CEE trouve à s’appliquer. Dans ces deux actes de droit, les articles 3, paragraphe 1, sous e), dont le libellé est identique, régissent la question des marques issues de la forme du produit.
4 – Il convient de relever ici qu’il existe une certaine différence entre le fragment cité de la disposition, telle que libellée dans la langue de procédure, qui se réfère à la «forme qui donne une valeur substantielle au produit» (un libellé identique étant retenu en langue allemande, espagnole, anglaise, française, et autres), et le libellé de cette même disposition en langue polonaise, qui se réfère à «une forme augmentant significativement la valeur du produit» [«kształt zwiększający znacznie wartość towaru»]. Cette différence ne suscite pas, à mon sens, de divergence dans la compréhension de cette disposition.
5 – Cette notion comprend les formes tri- ou bidimensionnelles ainsi que les marques figuratives (visuelles) représentant la forme du produit, voir arrêt Philips, C‑299/99, EU:C:2002:377, point 76. Une disposition identique figure à l’article 7, paragraphe 1, sous e), du règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1) et figurait auparavant à l’article 7, paragraphe 1, sous e), du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1).
6 – Arrêts Philips, EU:C:2002:377, point 75, et Benetton Group, C-371/06, EU:C:2007:542, points 25 à 27.
7 – Arrêts Philips, EU:C:2002:377, et Lego Juris/OHMI, C-48/09 P, EU:C:2010:516, ainsi que les arrêts du Tribunal: arrêts Yoshida Metal Industry/OHMI – Pi-Design e.a. (Représentation d’une surface triangulaire avec des pois noirs), T-331/10, EU:T:2012:220, arrêt Yoshida Metal Industry/OHMI – Pi-Design e.a. (Représentation d’une surface avec des pois noirs), T-416/10, EU:T:2012:222, Reddig/OHMI – Morleys (Manche de couteau), T-164/11, EU:T:2012:443.
8 – Arrêts Windsurfing Chiemsee, C-108/97 et C-109/97, EU:C:1999:230, points 25 à 27, et Philips, EU:C:2002:377, point 77.
9 – Arrêts Windsurfing Chiemsee, EU:C:1999:230, point 25, et Philips, EU:C:2002:377, point 78-79.
10 – Voir R. Skubisz, Prawo z rejestracji znaku towarowego i jego ochrona. Studium z zakresu prawa polskiego na tle prawno-porównawczym [Le droit issu de l’enregistrement de la marque et sa protection. Analyse du droit polonais selon une approche comparatiste], Lublin 1988, pages 15 à 18, 235 et 236; E. Wojcieszko-Głuszko, Pojęcie znaku towarowego [La notion de la marque], in: System prawa prywatnego [Le système du droit privé], tome 14b — Prawo własności przemysłowej [Le droit de la propriété industrielle], Varsovie, CH Beck, Instytut Nauk Prawnych PAN 2012, p. 427-428.
11 – Voir W.M. Landes, R.A. Posner, The Economic Structure of Intellectual Property Law [La structure économique du droit de la propriété intellectuelle], Cambridge, Harvard University Press 2003, p. 166-168; A. Griffiths, An Economic Perspective on Trade Mark Law [Le droit des marques dans une perspective économique], Cheltenham, Elgar Publishing 2011, p. 47-53, 157.
12 – Voir, en ce sens, les arrêts Lego Juris / OHIM, EU:C:2010:516, point 38, et arrêt Pi-Design e.a./Yoshida Metal Industry, C-337/12 P à C-340/12 P, EU:C:2014:129, point 42.
13 – Une telle possibilité résulte notamment de l’article 16 Directive 98/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 1998 sur la protection juridique des dessins ou modèles (JO L 289, p. 28). Voir J.Szwaja, E. Wojcieszko-Głuszko, I.B. Mika, Kumulacja i kolizja praw własności przemysłowej (na przykładzie wzorów przemysłowych i znaków towarowych) [Cumul et collision des droits de propriété intellectuelle- exemple des dessins industriels et des marques], Kwartalnik Prawa Prywatnego, 2001, tome 2, p. 343.
14 – En droit fédéral des États-Unis d’Amérique, ce problème est traité par le biais de la «doctrine de la fonctionnalité» («functionality doctrine») définie par voie jurisprudentielle et ensuite codifiée par voie légale; voir A. Horton, Designs, shapes and colours: a comparison of trade mark law in the United Kingdom and the United States [Dessins, formes et vouleurs: comparaison du droit des marques au Royaume-Uni et aux États-Unis], European intellectual property review, 1989, Vol. 11, p. 311.
15 – S’agissant de l’article 7, paragraphe 1, sous e), point i), du règlement n°40/94, voir l’arrêt du Tribunal Procter & Gamble/OHMI (Forme d’un savon), T‑122/99, EU:T:2000:39, point 55.
16 – En l’espèce, cette position a été exprimée dans les observations formulées par Stokke et Opsvik dans le cadre du litige au principal, dans les observations des gouvernements italiens et portugais, ainsi que dans celles de la Commission.
17 – Voir les directives relatives aux procédures devant l’OHMI, adoptées récemment par la décision n° EX-13-5 adoptée par le président de l’OHMI le 4 décembre 2013 (ci-après, les «directives de l’OHMI»), partie B, section 4 (Motifs absolus de refus), point 2.5.2. Voir également A. Folliard-Monguiral, D. Rogers, The protection of shapes by the Community trade mark [La protection des formes par la marque communautaire], European intellectual property review, 2003, Vol. 25, p. 173.
18 – Cette position est reprise dans les observations de la société Hauck et, avec certaines réserves, dans celles des gouvernements allemands et polonais, ainsi que celles du gouvernement du Royaume-Uni.
19 – Voir H. Fezer, MarkenG § 3 [L’article 3 de la loi allemande sur la protection des marques et autres signes distinctifs], in: H. Fezer (édit.), Markenrecht [Le droit des marques], 4ème édition, Munich, Beck 2009, paragraphe 663; G. Eisenführ, Art.7 [L’article 7], in: G. Eisenführ, D. Schennen (édit.), Gemeinschaftsmarkenverordnung [Le règlement sur la marque communautaire], 3ème édition, Cologne, Wolters Kluwer 2010, paragraphe 197; ainsi que A. Firth, E. Gredley, S. Maniatis, Shapes as trade marks: public policy, functional considerations and consumer perception [Les formes comme marques: politiques publiques, considérations fonctionnelles et perception du consommateur], European intellectual property review, 2001, Vol. 23, p. 92.
20 – En l’espèce, la Commission part de la prémisse, selon moi erronée, que le motif de refus visé au premier tiret de la disposition en question revêt une nature différente de celle des motifs visés dans les deux autres tirets, à savoir les deuxième et troisième tirets. Selon la Commission, ce motif ne concerne pas l’octroi d’un monopole sur certaines caractéristiques essentielles du produit, mais viserait à prévenir la création d’un «monopole naturel» à l’égard du produit en tant que tel, et donc à éviter que la seule forme possible du produit soit réservée à un seul opérateur, ce qui exclurait toute forme de concurrence.
21 – Arrêt Philips, EU:C:2002:377, points 79 et 83.
22 – Voir, pour ce qui est de l’article 7, paragraphe 1, sous e), point ii), du règlement n°40/94, l’arrêt Lego Juris / OHIM, EU:C:2010:516, point 56.
23 – Par exemple, les auteurs de l’étude rédigée sur commande de la Commission par l’Institut Max-Planck de propriété intellectuelle et droit de la concurrence indiquent que la ratio legis de cette disposition manque de clarté et suggère que cette dernière soit abrogée ou amendée, voir: Study of the overall functioning of the European trade mark system [analyse du fonctionnement global du système européen des marques], Munich 2011, points 2.32 et 2.33, p. 72-73 (accessible à l’adresse internet http://ec.europa.eu/internal_market/indprop/tm/index_en.htm). La proposition de refonte de la directive actuellement en cours d’examen prévoit cependant le maintien de la disposition dans un libellé non modifié. (COM(2013)162 du 27 mars 2013).
24 – Voir les conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans l’affaire Philips, C‑299/99, EU:C:2001:52, points 30 et 31.
25 – Voir l’arrêt du 24 mai 2007 «Fronthaube» (I ZB 37/04) BGH GRUR 2008, 71, point 23. Le Bundesgerichtshof s’est référé ici à une jurisprudence datant des années 1950: les arrêts du 22 janvier 1952 «Hummelfiguren» (I ZR 68/51) BGHZ 5, 1, et du 9 décembre 1958 «Rosenthal-Vase» (I ZR 112/57) BGHZ 29, 62, 64.
26 – Voir Fezer, précité (note en bas de page 19), paragraphe 696, et Eisenführ, précité (note en bas de page 19), paragraphe 201.
27 – Voir, par exemple, l’arrêt du Bundespatentgericht (tribunal fédéral des brevets en Allemagne) du 8 juin 2011 «Barcelona – Sessel» (26 W (pat) 93/08), concernant la «chaise Barcelone», conçue par le célèbre architecte allemand Ludwig Mies van der Rohe. La juridiction allemande a jugé que la forme concernée ne relève pas du motif de nullité tiré de la forme qui donne une valeur substantielle au produit dans la mesure où la finalité et la fonction utilitaire première est celle d’un meuble servant de siège («Sitzmöbel»), qui, en dehors des questions esthétiques, doit répondre à des exigences ergonomiques.
28 – Arrêt Bang & Olufsen/OHMI (Représentation d’un haut-parleur), T-508/08, EU:T:2011:575. Cet arrêt concerne le recours introduit contre la décision de la première chambre de recours de l’OHMI en date du 10 septembre 2008 (affaire 497/2005-1).
29 – Voir, s’agissant de l’application de l’article 7, paragraphe 1, sous e), iii), du règlement n° 40/94, l’arrêt Bang & Olufsen/OHMI (Représentation d’un haut‑parleur), T-508/08, EU:T:2011:575, points 73 et 77. La doctrine soutient également une position similaire et plus large, qui ne se limite pas aux produits manufacturés ayant exclusivement une fonction décorative: voir Folliard‑Monguiral, Rogers, précité (note en bas de page 17), p. 175; Firth, Gredley, Maniatis, précité (note en bas de page 17), p. 94.
30 – Voir les décisions des chambres de recours de l’OHMI concernant la forme de la chaise «Alu-Chair» dessinée par les architectes américains Charles et Ray Eames (décision du 14 décembre 2010 dans l’affaire R 486/2010-2) et celle de la bouteille de la forme d’un diamant conçue par le designer égyptien Karim Rashid (décision du 23 mai 2013 dans l’affaire R 1313/2012-1); voir également les directives de l’OHMI, partie B, section 4, point 2.5.4.
31 – Arrêt Koninklijke KPN Nederland, EU:C:2004:86, points 34 et 56, et Deutsche SiSi-Werke/OHMI, C-173/04 P, EU:C:2006:20, points 60 à 63.
32 – Voir, s’agissant de l’article 7, paragraphe 1, sous e), point ii), du règlement n°40/94, l’arrêt Lego Juris / OHIM, EU:C:2010:516, point 76. Voir également, s’agissant du point iii) de cette même disposition, l’arrêt Bang & Olufsen/OHMI (Représentation d’un haut-parleur), EU:T:2011:575, points 72.
33 – Voir, en ce sens, les circonstances prises en considération par le Tribunal, s’agissant de l’article 7, paragraphe 1, sous e), point iii), du règlement n°40/94, dans l’arrêt Bang & Olufsen/OHMI (Représentation d’un haut-parleur), EU:T:2011:575, points 74 et 75.
34 – La société Hauck, le gouvernement polonais et le gouvernement du Royaume-Uni suggèrent une réponse admettant une telle application cumulative, tandis que les autres participants à la procédure excluent une telle possibilité.
35 – Voir, s’agissant de l’apparence d’un magasin, l’arrêt de la Cour de cassation française, du 11 janvier 2000, n° 97-19.604, ainsi que l’affaire Apple (C-421/13, pendante).
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